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33577 lines
1.3 MiB
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1.3 MiB
Alexandre Dumas
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LES TROIS MOUSQUETAIRES
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Table des matières
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INTRODUCTION
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CHAPITRE PREMIER LES TROIS PRÉSENTS DE M. D'ARTAGNAN PÈRE
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CHAPITRE II L'ANTICHAMBRE DE M. DE TRÉVILLE
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CHAPITRE III L'AUDIENCE
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CHAPITRE IV L'ÉPAULE D'ATHOS, LE BAUDRIER DE PORTHOS ET LE
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MOUCHOIR D'ARAMIS
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CHAPITRE V LES MOUSQUETAIRES DU ROI ET LES GARDES DE M. LE
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CARDINAL
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CHAPITRE VI SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS TREIZIÈME
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CHAPITRE VII L'INTÉRIEUR DES MOUSQUETAIRES
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CHAPITRE VIII UNE INTRIGUE DE COEUR
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CHAPITRE IX D'ARTAGNAN SE DESSINE
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CHAPITRE X UNE SOURICIÈRE AU XVIIe SIÈCLE
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CHAPITRE XI L'INTRIGUE SE NOUE
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CHAPITRE XII GEORGES VILLIERS, DUC DE BUCKINGHAM
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CHAPITRE XIII MONSIEUR BONACIEUX
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CHAPITRE XIV L'HOMME DE MEUNG
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CHAPITRE XV GENS DE ROBE ET GENS D'ÉPÉE
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CHAPITRE XVI OÙ M. LE GARDE DES SCEAUX SÉGUIER CHERCHA PLUS D'UNE
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FOIS LA CLOCHE POUR LA SONNER, COMME IL LE FAISAIT AUTREFOIS
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CHAPITRE XVII LE MÉNAGE BONACIEUX
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CHAPITRE XVIII L'AMANT ET LE MARI
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CHAPITRE XIX PLAN DE CAMPAGNE
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CHAPITRE XX VOYAGE
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CHAPITRE XXI LA COMTESSE DE WINTER
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CHAPITRE XXII LE BALLET DE LA MERLAISON
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CHAPITRE XXIII LE RENDEZ-VOUS
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CHAPITRE XXIV LE PAVILLON
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CHAPITRE XXV PORTHOS
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CHAPITRE XXVI LA THÈSE D'ARAMIS
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CHAPITRE XXVII LA FEMME D'ATHOS
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CHAPITRE XXVIII RETOUR
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CHAPITRE XXIX LA CHASSE À L'ÉQUIPEMENT
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CHAPITRE XXX MILADY
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CHAPITRE XXXI ANGLAIS ET FRANÇAIS
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CHAPITRE XXXII UN DÎNER DE PROCUREUR
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CHAPITRE XXXIII SOUBRETTE ET MAÎTRESSE
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CHAPITRE XXXIV OÙ IL EST TRAITÉ DE L'ÉQUIPEMENT D'ARAMIS ET DE
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PORTHOS
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CHAPITRE XXXV LA NUIT TOUS LES CHATS SONT GRIS
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CHAPITRE XXXVI RÊVE DE VENGEANCE
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CHAPITRE XXXVII LE SECRET DE MILADY
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CHAPITRE XXXVIII COMMENT, SANS SE DÉRANGER, ATHOS TROUVA SON
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ÉQUIPEMENT
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CHAPITRE XXXIX UNE VISION
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CHAPITRE XL LE CARDINAL
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CHAPITRE XLI LE SIÈGE DE LA ROCHELLE
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CHAPITRE XLII LE VIN D'ANJOU
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CHAPITRE XLIII L'AUBERGE DU COLOMBIER-ROUGE
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CHAPITRE XLIV DE L'UTILITÉ DES TUYAUX DE POÊLE
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CHAPITRE XLV SCÈNE CONJUGALE
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CHAPITRE XLVI LE BASTION SAINT-GERVAIS
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CHAPITRE XLVII LE CONSEIL DES MOUSQUETAIRES
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CHAPITRE XLVIII AFFAIRE DE FAMILLE
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CHAPITRE XLIX FATALITÉ
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CHAPITRE L CAUSERIE D'UN FRÈRE AVEC SA SOEUR
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CHAPITRE LI OFFICIER
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CHAPITRE LII PREMIERE JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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CHAPITRE LIII DEUXIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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|
CHAPITRE LIV TROISIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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CHAPITRE LV QUATRIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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CHAPITRE LVI CINQUIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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CHAPITRE LVII UN MOYEN DE TRAGÉDIE CLASSIQUE
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CHAPITRE LVIII ÉVASION
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CHAPITRE LIX CE QUI SE PASSAIT À PORTSMOUTH LE 23 AOÛT 1628
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CHAPITRE LX EN FRANCE
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CHAPITRE LXI LE COUVENT DES CARMÉLITES DE BÉTHUNE
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CHAPITRE LXII DEUX VARIÉTÉS DE DÉMONS
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CHAPITRE LXIII UNE GOUTTE D'EAU
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CHAPITRE LXIV L'HOMME AU MANTEAU ROUGE
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CHAPITRE LXV LE JUGEMENT
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CHAPITRE LXVI L'EXÉCUTION
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CHAPITRE LXVII CONCLUSION
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ÉPILOGUE
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INTRODUCTION
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Il y a un an à peu près, qu'en faisant à la Bibliothèque royale
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des recherches pour mon histoire de Louis XIV, je tombai par
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hasard sur les Mémoires de M. d'Artagnan, imprimés -- comme la
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|
plus grande partie des ouvrages de cette époque, où les auteurs
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|
tenaient à dire la vérité sans aller faire un tour plus ou moins
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|
long à la Bastille -- à Amsterdam, chez Pierre Rouge. Le titre me
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séduisit: je les emportai chez moi, avec la permission de M. le
|
|
conservateur; bien entendu, je les dévorai.
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|
Mon intention n'est pas de faire ici une analyse de ce curieux
|
|
ouvrage, et je me contenterai d'y renvoyer ceux de mes lecteurs
|
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qui apprécient les tableaux d'époques. Ils y trouveront des
|
|
portraits crayonnés de main de maître; et, quoique les esquisses
|
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soient, pour la plupart du temps, tracées sur des portes de
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|
caserne et sur des murs de cabaret, ils n'y reconnaîtront pas
|
|
moins, aussi ressemblantes que dans l'histoire de M. Anquetil, les
|
|
images de Louis XIII, d'Anne d'Autriche, de Richelieu, de Mazarin
|
|
et de la plupart des courtisans de l'époque.
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|
Mais, comme on le sait, ce qui frappe l'esprit capricieux du poète
|
|
n'est pas toujours ce qui impressionne la masse des lecteurs. Or,
|
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tout en admirant, comme les autres admireront sans doute, les
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|
détails que nous avons signalés, la chose qui nous préoccupa le
|
|
plus est une chose à laquelle bien certainement personne avant
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nous n'avait fait la moindre attention.
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D'Artagnan raconte qu'à sa première visite à M. de Tréville, le
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|
capitaine des mousquetaires du roi, il rencontra dans son
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antichambre trois jeunes gens servant dans l'illustre corps où il
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sollicitait l'honneur d'être reçu, et ayant nom Athos, Porthos et
|
|
Aramis.
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Nous l'avouons, ces trois noms étrangers nous frappèrent, et il
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|
nous vint aussitôt à l'esprit qu'ils n'étaient que des pseudonymes
|
|
à l'aide desquels d'Artagnan avait déguisé des noms peut-être
|
|
illustres, si toutefois les porteurs de ces noms d'emprunt ne les
|
|
avaient pas choisis eux-mêmes le jour où, par caprice, par
|
|
mécontentement ou par défaut de fortune, ils avaient endossé la
|
|
simple casaque de mousquetaire.
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Dès lors nous n'eûmes plus de repos que nous n'eussions retrouvé,
|
|
dans les ouvrages contemporains, une trace quelconque de ces noms
|
|
extraordinaires qui avaient fort éveillé notre curiosité.
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|
Le seul catalogue des livres que nous lûmes pour arriver à ce but
|
|
remplirait un feuilleton tout entier, ce qui serait peut-être fort
|
|
instructif, mais à coups sûr peu amusant pour nos lecteurs. Nous
|
|
nous contenterons donc de leur dire qu'au moment où, découragé de
|
|
tant d'investigations infructueuses, nous allions abandonner notre
|
|
recherche, nous trouvâmes enfin, guidé par les conseils de notre
|
|
illustre et savant ami Paulin Paris, un manuscrit in-folio, coté
|
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le n° 4772 ou 4773, nous ne nous le rappelons plus bien, ayant
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pour titre:
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«Mémoires de M. le comte de La Fère, concernant quelques-uns des
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|
événements qui se passèrent en France vers la fin du règne du roi
|
|
Louis XIII et le commencement du règne du roi Louis XIV.»
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|
On devine si notre joie fut grande, lorsqu'en feuilletant ce
|
|
manuscrit, notre dernier espoir, nous trouvâmes à la vingtième
|
|
page le nom d'Athos, à la vingt-septième le nom de Porthos, et à
|
|
la trente et unième le nom d'Aramis.
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|
La découverte d'un manuscrit complètement inconnu, dans une époque
|
|
où la science historique est poussée à un si haut degré, nous
|
|
parut presque miraculeuse. Aussi nous hâtâmes-nous de solliciter
|
|
la permission de le faire imprimer, dans le but de nous présenter
|
|
un jour avec le bagage des autres à l'Académie des inscriptions et
|
|
belles-lettres, si nous n'arrivions, chose fort probable, à entrer
|
|
à l'Académie française avec notre propre bagage. Cette permission,
|
|
nous devons le dire, nous fut gracieusement accordée; ce que nous
|
|
consignons ici pour donner un démenti public aux malveillants qui
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prétendent que nous vivons sous un gouvernement assez médiocrement
|
|
disposé à l'endroit des gens de lettres.
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Or, c'est la première partie de ce précieux manuscrit que nous
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|
offrons aujourd'hui à nos lecteurs, en lui restituant le titre qui
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lui convient, prenant l'engagement, si, comme nous n'en doutons
|
|
pas, cette première partie obtient le succès qu'elle mérite, de
|
|
publier incessamment la seconde.
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En attendant, comme le parrain est un second père, nous invitons
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|
le lecteur à s'en prendre à nous, et non au comte de La Fère, de
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son plaisir ou de son ennui.
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Cela posé, passons à notre histoire.
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CHAPITRE PREMIER
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LES TROIS PRÉSENTS DE M. D'ARTAGNAN PÈRE
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Le premier lundi du mois d'avril 1625, le bourg de Meung, où
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naquit l'auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une
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révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus
|
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faire une seconde Rochelle. Plusieurs bourgeois, voyant s'enfuir
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les femmes du côté de la Grande-Rue, entendant les enfants crier
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sur le seuil des portes, se hâtaient d'endosser la cuirasse et,
|
|
appuyant leur contenance quelque peu incertaine d'un mousquet ou
|
|
d'une pertuisane, se dirigeaient vers l'hôtellerie du Franc
|
|
Meunier, devant laquelle s'empressait, en grossissant de minute en
|
|
minute, un groupe compact, bruyant et plein de curiosité.
|
|
|
|
En ce temps-là les paniques étaient fréquentes, et peu de jours se
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|
passaient sans qu'une ville ou l'autre enregistrât sur ses
|
|
archives quelque événement de ce genre. Il y avait les seigneurs
|
|
qui guerroyaient entre eux; il y avait le roi qui faisait la
|
|
guerre au cardinal; il y avait l'Espagnol qui faisait la guerre au
|
|
roi. Puis, outre ces guerres sourdes ou publiques, secrètes ou
|
|
patentes, il y avait encore les voleurs, les mendiants, les
|
|
huguenots, les loups et les laquais, qui faisaient la guerre à
|
|
tout le monde. Les bourgeois s'armaient toujours contre les
|
|
voleurs, contre les loups, contre les laquais, -- souvent contre
|
|
les seigneurs et les huguenots, -- quelquefois contre le roi, --
|
|
mais jamais contre le cardinal et l'Espagnol. Il résulta donc de
|
|
cette habitude prise, que, ce susdit premier lundi du mois d'avril
|
|
1625, les bourgeois, entendant du bruit, et ne voyant ni le guidon
|
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jaune et rouge, ni la livrée du duc de Richelieu, se précipitèrent
|
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du côté de l'hôtel du Franc Meunier.
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|
Arrivé là, chacun put voir et reconnaître la cause de cette
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|
rumeur.
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Un jeune homme... -- traçons son portrait d'un seul trait de
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plume: figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte
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|
décorcelé, sans haubert et sans cuissards, don Quichotte revêtu
|
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d'un pourpoint de laine dont la couleur bleue s'était transformée
|
|
en une nuance insaisissable de lie-de-vin et d'azur céleste.
|
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Visage long et brun; la pommette des joues saillante, signe
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d'astuce; les muscles maxillaires énormément développés, indice
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infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et
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|
notre jeune homme portait un béret orné d'une espèce de plume;
|
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l'oeil ouvert et intelligent; le nez crochu, mais finement
|
|
dessiné; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme
|
|
fait, et qu'un oeil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en
|
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voyage, sans sa longue épée qui, pendue à un baudrier de peau,
|
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battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et
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|
le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval.
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Car notre jeune homme avait une monture, et cette monture était
|
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même si remarquable, qu'elle fut remarquée: c'était un bidet du
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Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe, sans crins à
|
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la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en
|
|
marchant la tête plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile
|
|
l'application de la martingale, faisait encore également ses huit
|
|
lieues par jour. Malheureusement les qualités de ce cheval étaient
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|
si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue, que
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|
dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux,
|
|
l'apparition du susdit bidet à Meung, où il était entré il y avait
|
|
un quart d'heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit
|
|
une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu'à son cavalier.
|
|
|
|
Et cette sensation avait été d'autant plus pénible au jeune
|
|
d'Artagnan (ainsi s'appelait le don Quichotte de cette autre
|
|
Rossinante), qu'il ne se cachait pas le côté ridicule que lui
|
|
donnait, si bon cavalier qu'il fût, une pareille monture; aussi
|
|
avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait
|
|
M. d'Artagnan père. Il n'ignorait pas qu'une pareille bête valait
|
|
au moins vingt livres: il est vrai que les paroles dont le présent
|
|
avait été accompagné n'avaient pas de prix.
|
|
|
|
«Mon fils, avait dit le gentilhomme gascon -- dans ce pur patois
|
|
de Béarn dont Henri IV n'avait jamais pu parvenir à se défaire --,
|
|
mon fils, ce cheval est né dans la maison de votre père, il y a
|
|
tantôt treize ans, et y est resté depuis ce temps-là, ce qui doit
|
|
vous porter à l'aimer. Ne le vendez jamais, laissez-le mourir
|
|
tranquillement et honorablement de vieillesse, et si vous faites
|
|
campagne avec lui, ménagez-le comme vous ménageriez un vieux
|
|
serviteur. À la cour, continua M. d'Artagnan père, si toutefois
|
|
vous avez l'honneur d'y aller, honneur auquel, du reste, votre
|
|
vieille noblesse vous donne des droits, soutenez dignement votre
|
|
nom de gentilhomme, qui a été porté dignement par vos ancêtres
|
|
depuis plus de cinq cents ans. Pour vous et pour les vôtres -- par
|
|
les vôtres, j'entends vos parents et vos amis --, ne supportez
|
|
jamais rien que de M. le cardinal et du roi. C'est par son
|
|
courage, entendez-vous bien, par son courage seul, qu'un
|
|
gentilhomme fait son chemin aujourd'hui. Quiconque tremble une
|
|
seconde laisse peut-être échapper l'appât que, pendant cette
|
|
seconde justement, la fortune lui tendait. Vous êtes jeune, vous
|
|
devez être brave par deux raisons: la première, c'est que vous
|
|
êtes Gascon, et la seconde, c'est que vous êtes mon fils. Ne
|
|
craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai
|
|
fait apprendre à manier l'épée; vous avez un jarret de fer, un
|
|
poignet d'acier; battez-vous à tout propos; battez-vous d'autant
|
|
plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a
|
|
deux fois du courage à se battre. Je n'ai, mon fils, à vous donner
|
|
que quinze écus, mon cheval et les conseils que vous venez
|
|
d'entendre. Votre mère y ajoutera la recette d'un certain baume
|
|
qu'elle tient d'une bohémienne, et qui a une vertu miraculeuse
|
|
pour guérir toute blessure qui n'atteint pas le coeur. Faites
|
|
votre profit du tout, et vivez heureusement et longtemps. -- Je
|
|
n'ai plus qu'un mot à ajouter, et c'est un exemple que je vous
|
|
propose, non pas le mien, car je n'ai, moi, jamais paru à la cour
|
|
et n'ai fait que les guerres de religion en volontaire; je veux
|
|
parler de M. de Tréville, qui était mon voisin autrefois, et qui a
|
|
eu l'honneur de jouer tout enfant avec notre roi Louis treizième,
|
|
que Dieu conserve! Quelquefois leurs jeux dégénéraient en bataille
|
|
et dans ces batailles le roi n'était pas toujours le plus fort.
|
|
Les coups qu'il en reçut lui donnèrent beaucoup d'estime et
|
|
d'amitié pour M. de Tréville. Plus tard, M. de Tréville se battit
|
|
contre d'autres dans son premier voyage à Paris, cinq fois; depuis
|
|
la mort du feu roi jusqu'à la majorité du jeune sans compter les
|
|
guerres et les sièges, sept fois; et depuis cette majorité
|
|
jusqu'aujourd'hui, cent fois peut-être! -- Aussi, malgré les
|
|
édits, les ordonnances et les arrêts, le voilà capitaine des
|
|
mousquetaires, c'est-à-dire chef d'une légion de Césars, dont le
|
|
roi fait un très grand cas, et que M. le cardinal redoute, lui qui
|
|
ne redoute pas grand-chose, comme chacun sait. De plus,
|
|
M. de Tréville gagne dix mille écus par an; c'est donc un fort
|
|
grand seigneur. -- Il a commencé comme vous, allez le voir avec
|
|
cette lettre, et réglez-vous sur lui, afin de faire comme lui.»
|
|
|
|
Sur quoi, M. d'Artagnan père ceignit à son fils sa propre épée,
|
|
l'embrassa tendrement sur les deux joues et lui donna sa
|
|
bénédiction.
|
|
|
|
En sortant de la chambre paternelle, le jeune homme trouva sa mère
|
|
qui l'attendait avec la fameuse recette dont les conseils que nous
|
|
venons de rapporter devaient nécessiter un assez fréquent emploi.
|
|
Les adieux furent de ce côté plus longs et plus tendres qu'ils ne
|
|
l'avaient été de l'autre, non pas que M. d'Artagnan n'aimât son
|
|
fils, qui était sa seule progéniture, mais M. d'Artagnan était un
|
|
homme, et il eût regardé comme indigne d'un homme de se laisser
|
|
aller à son émotion, tandis que Mme d'Artagnan était femme et, de
|
|
plus, était mère. -- Elle pleura abondamment, et, disons-le à la
|
|
louange de M. d'Artagnan fils, quelques efforts qu'il tentât pour
|
|
rester ferme comme le devait être un futur mousquetaire, la nature
|
|
l'emporta et il versa force larmes, dont il parvint à grand-peine
|
|
à cacher la moitié.
|
|
|
|
Le même jour le jeune homme se mit en route, muni des trois
|
|
présents paternels et qui se composaient, comme nous l'avons dit,
|
|
de quinze écus, du cheval et de la lettre pour M. de Tréville;
|
|
comme on le pense bien, les conseils avaient été donnés par-dessus
|
|
le marché.
|
|
|
|
Avec un pareil _vade-mecum_, d'Artagnan se trouva, au moral comme
|
|
au physique, une copie exacte du héros de Cervantes, auquel nous
|
|
l'avons si heureusement comparé lorsque nos devoirs d'historien
|
|
nous ont fait une nécessité de tracer son portrait. Don Quichotte
|
|
prenait les moulins à vent pour des géants et les moutons pour des
|
|
armées, d'Artagnan prit chaque sourire pour une insulte et chaque
|
|
regard pour une provocation. Il en résulta qu'il eut toujours le
|
|
poing fermé depuis Tarbes jusqu'à Meung, et que l'un dans l'autre
|
|
il porta la main au pommeau de son épée dix fois par jour;
|
|
toutefois le poing ne descendit sur aucune mâchoire, et l'épée ne
|
|
sortit point de son fourreau. Ce n'est pas que la vue du
|
|
malencontreux bidet jaune n'épanouît bien des sourires sur les
|
|
visages des passants; mais, comme au-dessus du bidet sonnait une
|
|
épée de taille respectable et qu'au-dessus de cette épée brillait
|
|
un oeil plutôt féroce que fier, les passants réprimaient leur
|
|
hilarité, ou, si l'hilarité l'emportait sur la prudence, ils
|
|
tâchaient au moins de ne rire que d'un seul côté, comme les
|
|
masques antiques. D'Artagnan demeura donc majestueux et intact
|
|
dans sa susceptibilité jusqu'à cette malheureuse ville de Meung.
|
|
|
|
Mais là, comme il descendait de cheval à la porte du Franc Meunier
|
|
sans que personne, hôte, garçon ou palefrenier, fût venu prendre
|
|
l'étrier au montoir, d'Artagnan avisa à une fenêtre entrouverte du
|
|
rez-de-chaussée un gentilhomme de belle taille et de haute mine,
|
|
quoique au visage légèrement renfrogné, lequel causait avec deux
|
|
personnes qui paraissaient l'écouter avec déférence. D'Artagnan
|
|
crut tout naturellement, selon son habitude, être l'objet de la
|
|
conversation et écouta. Cette fois, d'Artagnan ne s'était trompé
|
|
qu'à moitié: ce n'était pas de lui qu'il était question, mais de
|
|
son cheval. Le gentilhomme paraissait énumérer à ses auditeurs
|
|
toutes ses qualités, et comme, ainsi que je l'ai dit, les
|
|
auditeurs paraissaient avoir une grande déférence pour le
|
|
narrateur, ils éclataient de rire à tout moment. Or, comme un
|
|
demi-sourire suffisait pour éveiller l'irascibilité du jeune
|
|
homme, on comprend quel effet produisit sur lui tant de bruyante
|
|
hilarité.
|
|
|
|
Cependant d'Artagnan voulut d'abord se rendre compte de la
|
|
physionomie de l'impertinent qui se moquait de lui. Il fixa son
|
|
regard fier sur l'étranger et reconnut un homme de quarante à
|
|
quarante-cinq ans, aux yeux noirs et perçants, au teint pâle, au
|
|
nez fortement accentué, à la moustache noire et parfaitement
|
|
taillée; il était vêtu d'un pourpoint et d'un haut-de-chausses
|
|
violet avec des aiguillettes de même couleur, sans aucun ornement
|
|
que les crevés habituels par lesquels passait la chemise. Ce haut-
|
|
de-chausses et ce pourpoint, quoique neufs, paraissaient froissés
|
|
comme des habits de voyage longtemps renfermés dans un
|
|
portemanteau. D'Artagnan fit toutes ces remarques avec la rapidité
|
|
de l'observateur le plus minutieux, et sans doute par un sentiment
|
|
instinctif qui lui disait que cet inconnu devait avoir une grande
|
|
influence sur sa vie à venir.
|
|
|
|
Or, comme au moment où d'Artagnan fixait son regard sur le
|
|
gentilhomme au pourpoint violet, le gentilhomme faisait à
|
|
l'endroit du bidet béarnais une de ses plus savantes et de ses
|
|
plus profondes démonstrations, ses deux auditeurs éclatèrent de
|
|
rire, et lui-même laissa visiblement, contre son habitude, errer,
|
|
si l'on peut parler ainsi, un pâle sourire sur son visage. Cette
|
|
fois, il n'y avait plus de doute, d'Artagnan était réellement
|
|
insulté. Aussi, plein de cette conviction, enfonça-t-il son béret
|
|
sur ses yeux, et, tâchant de copier quelques-uns des airs de cour
|
|
qu'il avait surpris en Gascogne chez des seigneurs en voyage, il
|
|
s'avança, une main sur la garde de son épée et l'autre appuyée sur
|
|
la hanche. Malheureusement, au fur et à mesure qu'il avançait, la
|
|
colère l'aveuglant de plus en plus, au lieu du discours digne et
|
|
hautain qu'il avait préparé pour formuler sa provocation, il ne
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trouva plus au bout de sa langue qu'une personnalité grossière
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qu'il accompagna d'un geste furieux.
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«Eh! Monsieur, s'écria-t-il, monsieur, qui vous cachez derrière ce
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volet! oui, vous, dites-moi donc un peu de quoi vous riez, et nous
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rirons ensemble.»
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Le gentilhomme ramena lentement les yeux de la monture au
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cavalier, comme s'il lui eût fallu un certain temps pour
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comprendre que c'était à lui que s'adressaient de si étranges
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reproches; puis, lorsqu'il ne put plus conserver aucun doute, ses
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sourcils se froncèrent légèrement, et après une assez longue
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pause, avec un accent d'ironie et d'insolence impossible à
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décrire, il répondit à d'Artagnan:
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«Je ne vous parle pas, monsieur.
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-- Mais je vous parle, moi!» s'écria le jeune homme exaspéré de ce
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mélange d'insolence et de bonnes manières, de convenances et de
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dédains.
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L'inconnu le regarda encore un instant avec son léger sourire, et,
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se retirant de la fenêtre, sortit lentement de l'hôtellerie pour
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venir à deux pas de d'Artagnan se planter en face du cheval. Sa
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contenance tranquille et sa physionomie railleuse avaient redoublé
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l'hilarité de ceux avec lesquels il causait et qui, eux, étaient
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restés à la fenêtre.
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D'Artagnan, le voyant arriver, tira son épée d'un pied hors du
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fourreau.
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«Ce cheval est décidément ou plutôt a été dans sa jeunesse bouton
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d'or, reprit l'inconnu continuant les investigations commencées et
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s'adressant à ses auditeurs de la fenêtre, sans paraître
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aucunement remarquer l'exaspération de d'Artagnan, qui cependant
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se redressait entre lui et eux. C'est une couleur fort connue en
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botanique, mais jusqu'à présent fort rare chez les chevaux.
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-- Tel rit du cheval qui n'oserait pas rire du maître! s'écria
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l'émule de Tréville, furieux.
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-- Je ne ris pas souvent, monsieur, reprit l'inconnu, ainsi que
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vous pouvez le voir vous-même à l'air de mon visage; mais je tiens
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cependant à conserver le privilège de rire quand il me plaît.
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-- Et moi, s'écria d'Artagnan, je ne veux pas qu'on rie quand il
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me déplaît!
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-- En vérité, monsieur? continua l'inconnu plus calme que jamais,
|
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eh bien, c'est parfaitement juste.» Et tournant sur ses talons, il
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s'apprêta à rentrer dans l'hôtellerie par la grande porte, sous
|
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laquelle d'Artagnan en arrivant avait remarqué un cheval tout
|
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sellé.
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Mais d'Artagnan n'était pas de caractère à lâcher ainsi un homme
|
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qui avait eu l'insolence de se moquer de lui. Il tira son épée
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entièrement du fourreau et se mit à sa poursuite en criant:
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«Tournez, tournez donc, monsieur le railleur, que je ne vous
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frappe point par-derrière.
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-- Me frapper, moi! dit l'autre en pivotant sur ses talons et en
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regardant le jeune homme avec autant d'étonnement que de mépris.
|
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Allons, allons donc, mon cher, vous êtes fou!»
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Puis, à demi-voix, et comme s'il se fût parlé à lui-même:
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«C'est fâcheux, continua-t-il, quelle trouvaille pour Sa Majesté,
|
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qui cherche des braves de tous côtés pour recruter ses
|
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mousquetaires!»
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Il achevait à peine, que d'Artagnan lui allongea un si furieux
|
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coup de pointe, que, s'il n'eût fait vivement un bond en arrière,
|
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il est probable qu'il eût plaisanté pour la dernière fois.
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L'inconnu vit alors que la chose passait la raillerie, tira son
|
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épée, salua son adversaire et se mit gravement en garde. Mais au
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même moment ses deux auditeurs, accompagnés de l'hôte, tombèrent
|
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sur d'Artagnan à grands coups de bâtons, de pelles et de
|
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pincettes. Cela fit une diversion si rapide et si complète à
|
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l'attaque, que l'adversaire de d'Artagnan, pendant que celui-ci se
|
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retournait pour faire face à cette grêle de coups, rengainait avec
|
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la même précision, et, d'acteur qu'il avait manqué d'être,
|
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redevenait spectateur du combat, rôle dont il s'acquitta avec son
|
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impassibilité ordinaire, tout en marmottant néanmoins:
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«La peste soit des Gascons! Remettez-le sur son cheval orange, et
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qu'il s'en aille!
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-- Pas avant de t'avoir tué, lâche!» criait d'Artagnan tout en
|
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faisant face du mieux qu'il pouvait et sans reculer d'un pas à ses
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trois ennemis, qui le moulaient de coups.
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«Encore une gasconnade, murmura le gentilhomme. Sur mon honneur,
|
|
ces Gascons sont incorrigibles! Continuez donc la danse, puisqu'il
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le veut absolument. Quand il sera las, il dira qu'il en a assez.»
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|
Mais l'inconnu ne savait pas encore à quel genre d'entêté il avait
|
|
affaire; d'Artagnan n'était pas homme à jamais demander merci. Le
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combat continua donc quelques secondes encore; enfin d'Artagnan,
|
|
épuisé, laissa échapper son épée qu'un coup de bâton brisa en deux
|
|
morceaux. Un autre coup, qui lui entama le front, le renversa
|
|
presque en même temps tout sanglant et presque évanoui.
|
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|
C'est à ce moment que de tous côtés on accourut sur le lieu de la
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scène. L'hôte, craignant du scandale, emporta, avec l'aide de ses
|
|
garçons, le blessé dans la cuisine où quelques soins lui furent
|
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accordés.
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Quant au gentilhomme, il était revenu prendre sa place à la
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fenêtre et regardait avec une certaine impatience toute cette
|
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foule, qui semblait en demeurant là lui causer une vive
|
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contrariété.
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«Eh bien, comment va cet enragé? reprit-il en se retournant au
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|
bruit de la porte qui s'ouvrit et en s'adressant à l'hôte qui
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venait s'informer de sa santé.
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-- Votre Excellence est saine et sauve? demanda l'hôte.
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|
-- Oui, parfaitement saine et sauve, mon cher hôtelier, et c'est
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moi qui vous demande ce qu'est devenu notre jeune homme.
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-- Il va mieux, dit l'hôte: il s'est évanoui tout à fait.
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-- Vraiment? fit le gentilhomme.
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-- Mais avant de s'évanouir il a rassemblé toutes ses forces pour
|
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vous appeler et vous défier en vous appelant.
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-- Mais c'est donc le diable en personne que ce gaillard-là!
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|
s'écria l'inconnu.
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|
-- Oh! non, Votre Excellence, ce n'est pas le diable, reprit
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|
l'hôte avec une grimace de mépris, car pendant son évanouissement
|
|
nous l'avons fouillé, et il n'a dans son paquet qu'une chemise et
|
|
dans sa bourse que onze écus, ce qui ne l'a pas empêché de dire en
|
|
s'évanouissant que si pareille chose était arrivée à Paris, vous
|
|
vous en repentiriez tout de suite, tandis qu'ici vous ne vous en
|
|
repentirez que plus tard.
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-- Alors, dit froidement l'inconnu, c'est quelque prince du sang
|
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déguisé.
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-- Je vous dis cela, mon gentilhomme, reprit l'hôte, afin que vous
|
|
vous teniez sur vos gardes.
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-- Et il n'a nommé personne dans sa colère?
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-- Si fait, il frappait sur sa poche, et il disait: «Nous verrons
|
|
ce que M. de Tréville pensera de cette insulte faite à son
|
|
protégé.
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-- M. de Tréville? dit l'inconnu en devenant attentif; il frappait
|
|
sur sa poche en prononçant le nom de M. de Tréville?... Voyons,
|
|
mon cher hôte, pendant que votre jeune homme était évanoui, vous
|
|
n'avez pas été, j'en suis bien sûr, sans regarder aussi cette
|
|
poche-là. Qu'y avait-il?
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-- Une lettre adressée à M. de Tréville, capitaine des
|
|
mousquetaires.
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|
-- En vérité!
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-- C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, Excellence.»
|
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|
L'hôte, qui n'était pas doué d'une grande perspicacité, ne
|
|
remarqua point l'expression que ses paroles avaient donnée à la
|
|
physionomie de l'inconnu. Celui-ci quitta le rebord de la croisée
|
|
sur lequel il était toujours resté appuyé du bout du coude, et
|
|
fronça le sourcil en homme inquiet.
|
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|
«Diable! murmura-t-il entre ses dents, Tréville m'aurait-il envoyé
|
|
ce Gascon? il est bien jeune! Mais un coup d'épée est un coup
|
|
d'épée, quel que soit l'âge de celui qui le donne, et l'on se
|
|
défie moins d'un enfant que de tout autre; il suffit parfois d'un
|
|
faible obstacle pour contrarier un grand dessein.»
|
|
|
|
Et l'inconnu tomba dans une réflexion qui dura quelques minutes.
|
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|
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«Voyons, l'hôte, dit-il, est-ce que vous ne me débarrasserez pas
|
|
de ce frénétique? En conscience, je ne puis le tuer, et cependant,
|
|
ajouta-t-il avec une expression froidement menaçante, cependant il
|
|
me gêne. Où est-il?
|
|
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|
-- Dans la chambre de ma femme, où on le panse, au premier étage.
|
|
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|
-- Ses hardes et son sac sont avec lui? il n'a pas quitté son
|
|
pourpoint?
|
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|
-- Tout cela, au contraire, est en bas dans la cuisine. Mais
|
|
puisqu'il vous gêne, ce jeune fou...
|
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|
-- Sans doute. Il cause dans votre hôtellerie un scandale auquel
|
|
d'honnêtes gens ne sauraient résister. Montez chez vous, faites
|
|
mon compte et avertissez mon laquais.
|
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|
-- Quoi! Monsieur nous quitte déjà?
|
|
|
|
-- Vous le savez bien, puisque je vous avais donné l'ordre de
|
|
seller mon cheval. Ne m'a-t-on point obéi?
|
|
|
|
-- Si fait, et comme Votre Excellence a pu le voir, son cheval est
|
|
sous la grande porte, tout appareillé pour partir.
|
|
|
|
-- C'est bien, faites ce que je vous ai dit alors.»
|
|
|
|
«Ouais! se dit l'hôte, aurait-il peur du petit garçon?»
|
|
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|
Mais un coup d'oeil impératif de l'inconnu vint l'arrêter court.
|
|
Il salua humblement et sortit.
|
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|
|
«Il ne faut pas que Milady soit aperçue de ce drôle, continua
|
|
l'étranger: elle ne doit pas tarder à passer: déjà même elle est
|
|
en retard. Décidément, mieux vaut que je monte à cheval et que
|
|
j'aille au-devant d'elle... Si seulement je pouvais savoir ce que
|
|
contient cette lettre adressée à Tréville!»
|
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|
|
Et l'inconnu, tout en marmottant, se dirigea vers la cuisine.
|
|
|
|
Pendant ce temps, l'hôte, qui ne doutait pas que ce ne fût la
|
|
présence du jeune garçon qui chassât l'inconnu de son hôtellerie,
|
|
était remonté chez sa femme et avait trouvé d'Artagnan maître
|
|
enfin de ses esprits. Alors, tout en lui faisant comprendre que la
|
|
police pourrait bien lui faire un mauvais parti pour avoir été
|
|
chercher querelle à un grand seigneur -- car, à l'avis de l'hôte,
|
|
l'inconnu ne pouvait être qu'un grand seigneur --, il le
|
|
détermina, malgré sa faiblesse, à se lever et à continuer son
|
|
chemin. D'Artagnan à moitié abasourdi, sans pourpoint et la tête
|
|
tout emmaillotée de linges, se leva donc et, poussé par l'hôte,
|
|
commença de descendre; mais, en arrivant à la cuisine, la première
|
|
chose qu'il aperçut fut son provocateur qui causait tranquillement
|
|
au marchepied d'un lourd carrosse attelé de deux gros chevaux
|
|
normands.
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Son interlocutrice, dont la tête apparaissait encadrée par la
|
|
portière, était une femme de vingt à vingt-deux ans. Nous avons
|
|
déjà dit avec quelle rapidité d'investigation d'Artagnan
|
|
embrassait toute une physionomie; il vit donc du premier coup
|
|
d'oeil que la femme était jeune et belle. Or cette beauté le
|
|
frappa d'autant plus qu'elle était parfaitement étrangère aux pays
|
|
méridionaux que jusque-là d'Artagnan avait habités. C'était une
|
|
pâle et blonde personne, aux longs cheveux bouclés tombant sur ses
|
|
épaules, aux grands yeux bleus languissants, aux lèvres rosées et
|
|
aux mains d'albâtre. Elle causait très vivement avec l'inconnu.
|
|
|
|
«Ainsi, Son Éminence m'ordonne..., disait la dame.
|
|
|
|
-- De retourner à l'instant même en Angleterre, et de la prévenir
|
|
directement si le duc quittait Londres.
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|
|
-- Et quant à mes autres instructions? demanda la belle voyageuse.
|
|
|
|
-- Elles sont renfermées dans cette boîte, que vous n'ouvrirez que
|
|
de l'autre côté de la Manche.
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|
-- Très bien; et vous, que faites-vous?
|
|
|
|
-- Moi, je retourne à Paris.
|
|
|
|
-- Sans châtier cet insolent petit garçon?» demanda la dame.
|
|
|
|
L'inconnu allait répondre: mais, au moment où il ouvrait la
|
|
bouche, d'Artagnan, qui avait tout entendu, s'élança sur le seuil
|
|
de la porte.
|
|
|
|
«C'est cet insolent petit garçon qui châtie les autres, s'écria-t-
|
|
il, et j'espère bien que cette fois-ci celui qu'il doit châtier ne
|
|
lui échappera pas comme la première.
|
|
|
|
-- Ne lui échappera pas? reprit l'inconnu en fronçant le sourcil.
|
|
|
|
-- Non, devant une femme, vous n'oseriez pas fuir, je présume.
|
|
|
|
-- Songez, s'écria Milady en voyant le gentilhomme porter la main
|
|
à son épée, songez que le moindre retard peut tout perdre.
|
|
|
|
-- Vous avez raison, s'écria le gentilhomme; partez donc de votre
|
|
côté, moi, je pars du mien.»
|
|
|
|
Et, saluant la dame d'un signe de tête, il s'élança sur son
|
|
cheval, tandis que le cocher du carrosse fouettait vigoureusement
|
|
son attelage. Les deux interlocuteurs partirent donc au galop,
|
|
s'éloignant chacun par un côté opposé de la rue.
|
|
|
|
«Eh! votre dépense», vociféra l'hôte, dont l'affection pour son
|
|
voyageur se changeait en un profond dédain en voyant qu'il
|
|
s'éloignait sans solder ses comptes.
|
|
|
|
«Paie, maroufle», s'écria le voyageur toujours galopant à son
|
|
laquais, lequel jeta aux pieds de l'hôte deux ou trois pièces
|
|
d'argent et se mit à galoper après son maître.
|
|
|
|
«Ah! lâche, ah! misérable, ah! faux gentilhomme!» cria d'Artagnan
|
|
s'élançant à son tour après le laquais.
|
|
|
|
Mais le blessé était trop faible encore pour supporter une
|
|
pareille secousse. À peine eut-il fait dix pas, que ses oreilles
|
|
tintèrent, qu'un éblouissement le prit, qu'un nuage de sang passa
|
|
sur ses yeux et qu'il tomba au milieu de la rue, en criant encore:
|
|
|
|
«Lâche! lâche! lâche!
|
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|
|
-- Il est en effet bien lâche», murmura l'hôte en s'approchant de
|
|
d'Artagnan, et essayant par cette flatterie de se raccommoder avec
|
|
le pauvre garçon, comme le héron de la fable avec son limaçon du
|
|
soir.
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|
|
«Oui, bien lâche, murmura d'Artagnan; mais elle, bien belle!
|
|
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|
-- Qui, elle? demanda l'hôte.
|
|
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|
-- Milady», balbutia d'Artagnan.
|
|
|
|
Et il s'évanouit une seconde fois.
|
|
|
|
«C'est égal, dit l'hôte, j'en perds deux, mais il me reste celui-
|
|
là, que je suis sûr de conserver au moins quelques jours. C'est
|
|
toujours onze écus de gagnés.»
|
|
|
|
On sait que onze écus faisaient juste la somme qui restait dans la
|
|
bourse de d'Artagnan.
|
|
|
|
L'hôte avait compté sur onze jours de maladie à un écu par jour;
|
|
mais il avait compté sans son voyageur. Le lendemain, dès cinq
|
|
heures du matin, d'Artagnan se leva, descendit lui-même à la
|
|
cuisine, demanda, outre quelques autres ingrédients dont la liste
|
|
n'est pas parvenue jusqu'à nous, du vin, de l'huile, du romarin,
|
|
et, la recette de sa mère à la main, se composa un baume dont il
|
|
oignit ses nombreuses blessures, renouvelant ses compresses lui-
|
|
même et ne voulant admettre l'adjonction d'aucun médecin. Grâce
|
|
sans doute à l'efficacité du baume de Bohême, et peut-être aussi
|
|
grâce à l'absence de tout docteur, d'Artagnan se trouva sur pied
|
|
dès le soir même, et à peu près guéri le lendemain.
|
|
|
|
Mais, au moment de payer ce romarin, cette huile et ce vin, seule
|
|
dépense du maître qui avait gardé une diète absolue, tandis qu'au
|
|
contraire le cheval jaune, au dire de l'hôtelier du moins, avait
|
|
mangé trois fois plus qu'on n'eût raisonnablement pu le supposer
|
|
pour sa taille, d'Artagnan ne trouva dans sa poche que sa petite
|
|
bourse de velours râpé ainsi que les onze écus qu'elle contenait;
|
|
mais quant à la lettre adressée à M. de Tréville, elle avait
|
|
disparu.
|
|
|
|
Le jeune homme commença par chercher cette lettre avec une grande
|
|
patience, tournant et retournant vingt fois ses poches et ses
|
|
goussets, fouillant et refouillant dans son sac, ouvrant et
|
|
refermant sa bourse; mais lorsqu'il eut acquis la conviction que
|
|
la lettre était introuvable, il entra dans un troisième accès de
|
|
rage, qui faillit lui occasionner une nouvelle consommation de vin
|
|
et d'huile aromatisés: car, en voyant cette jeune mauvaise tête
|
|
s'échauffer et menacer de tout casser dans l'établissement si l'on
|
|
ne retrouvait pas sa lettre, l'hôte s'était déjà saisi d'un épieu,
|
|
sa femme d'un manche à balai, et ses garçons des mêmes bâtons qui
|
|
avaient servi la surveille.
|
|
|
|
«Ma lettre de recommandation! s'écria d'Artagnan, ma lettre de
|
|
recommandation, sangdieu! ou je vous embroche tous comme des
|
|
ortolans!»
|
|
|
|
Malheureusement une circonstance s'opposait à ce que le jeune
|
|
homme accomplît sa menace: c'est que, comme nous l'avons dit, son
|
|
épée avait été, dans sa première lutte, brisée en deux morceaux,
|
|
ce qu'il avait parfaitement oublié. Il en résulta que, lorsque
|
|
d'Artagnan voulut en effet dégainer, il se trouva purement et
|
|
simplement armé d'un tronçon d'épée de huit ou dix pouces à peu
|
|
près, que l'hôte avait soigneusement renfoncé dans le fourreau.
|
|
Quant au reste de la lame, le chef l'avait adroitement détourné
|
|
pour s'en faire une lardoire.
|
|
|
|
Cependant cette déception n'eût probablement pas arrêté notre
|
|
fougueux jeune homme, si l'hôte n'avait réfléchi que la
|
|
réclamation que lui adressait son voyageur était parfaitement
|
|
juste.
|
|
|
|
«Mais, au fait, dit-il en abaissant son épieu, où est cette
|
|
lettre?
|
|
|
|
-- Oui, où est cette lettre? cria d'Artagnan. D'abord, je vous en
|
|
préviens, cette lettre est pour M. de Tréville, et il faut qu'elle
|
|
se retrouve; ou si elle ne se retrouve pas, il saura bien la faire
|
|
retrouver, lui!»
|
|
|
|
Cette menace acheva d'intimider l'hôte. Après le roi et M. le
|
|
cardinal, M. de Tréville était l'homme dont le nom peut-être était
|
|
le plus souvent répété par les militaires et même par les
|
|
bourgeois. Il y avait bien le père Joseph, c'est vrai; mais son
|
|
nom à lui n'était jamais prononcé que tout bas, tant était grande
|
|
la terreur qu'inspirait l'Éminence grise, comme on appelait le
|
|
familier du cardinal.
|
|
|
|
Aussi, jetant son épieu loin de lui, et ordonnant à sa femme d'en
|
|
faire autant de son manche à balai et à ses valets de leurs
|
|
bâtons, il donna le premier l'exemple en se mettant lui-même à la
|
|
recherche de la lettre perdue.
|
|
|
|
«Est-ce que cette lettre renfermait quelque chose de précieux?
|
|
demanda l'hôte au bout d'un instant d'investigations inutiles.
|
|
|
|
-- Sandis! je le crois bien! s'écria le Gascon qui comptait sur
|
|
cette lettre pour faire son chemin à la cour; elle contenait ma
|
|
fortune.
|
|
|
|
-- Des bons sur l'épargne? demanda l'hôte inquiet.
|
|
|
|
-- Des bons sur la trésorerie particulière de Sa Majesté»,
|
|
répondit d'Artagnan, qui, comptant entrer au service du roi grâce
|
|
à cette recommandation, croyait pouvoir faire sans mentir cette
|
|
réponse quelque peu hasardée.
|
|
|
|
«Diable! fit l'hôte tout à fait désespéré.
|
|
|
|
-- Mais il n'importe, continua d'Artagnan avec l'aplomb national,
|
|
il n'importe, et l'argent n'est rien: -- cette lettre était tout.
|
|
J'eusse mieux aimé perdre mille pistoles que de la perdre.»
|
|
|
|
Il ne risquait pas davantage à dire vingt mille, mais une certaine
|
|
pudeur juvénile le retint.
|
|
|
|
Un trait de lumière frappa tout à coup l'esprit de l'hôte qui se
|
|
donnait au diable en ne trouvant rien.
|
|
|
|
«Cette lettre n'est point perdue, s'écria-t-il.
|
|
|
|
-- Ah! fit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Non; elle vous a été prise.
|
|
|
|
-- Prise! et par qui?
|
|
|
|
-- Par le gentilhomme d'hier. Il est descendu à la cuisine, où
|
|
était votre pourpoint. Il y est resté seul. Je gagerais que c'est
|
|
lui qui l'a volée.
|
|
|
|
-- Vous croyez?» répondit d'Artagnan peu convaincu; car il savait
|
|
mieux que personne l'importance toute personnelle de cette lettre,
|
|
et n'y voyait rien qui pût tenter la cupidité. Le fait est
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qu'aucun des valets, aucun des voyageurs présents n'eût rien gagné
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à posséder ce papier.
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«Vous dites donc, reprit d'Artagnan, que vous soupçonnez cet
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impertinent gentilhomme.
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-- Je vous dis que j'en suis sûr, continua l'hôte; lorsque je lui
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ai annoncé que Votre Seigneurie était le protégé de
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M. de Tréville, et que vous aviez même une lettre pour cet
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illustre gentilhomme, il a paru fort inquiet, m'a demandé où était
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cette lettre, et est descendu immédiatement à la cuisine où il
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savait qu'était votre pourpoint.
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-- Alors c'est mon voleur, répondit d'Artagnan; je m'en plaindrai
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à M. de Tréville, et M. de Tréville s'en plaindra au roi.» Puis il
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tira majestueusement deux écus de sa poche, les donna à l'hôte,
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qui l'accompagna, le chapeau à la main, jusqu'à la porte, remonta
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sur son cheval jaune, qui le conduisit sans autre incident jusqu'à
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la porte Saint-Antoine à Paris, où son propriétaire le vendit
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trois écus, ce qui était fort bien payé, attendu que d'Artagnan
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l'avait fort surmené pendant la dernière étape. Aussi le maquignon
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auquel d'Artagnan le céda moyennant les neuf livres susdites ne
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cacha-t-il point au jeune homme qu'il n'en donnait cette somme
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exorbitante qu'à cause de l'originalité de sa couleur.
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D'Artagnan entra donc dans Paris à pied, portant son petit paquet
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sous son bras, et marcha tant qu'il trouvât à louer une chambre
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qui convînt à l'exiguïté de ses ressources. Cette chambre fut une
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espèce de mansarde, sise rue des Fossoyeurs, près du Luxembourg.
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Aussitôt le denier à Dieu donné, d'Artagnan prit possession de son
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logement, passa le reste de la journée à coudre à son pourpoint et
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à ses chausses des passementeries que sa mère avait détachées d'un
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pourpoint presque neuf de M. d'Artagnan père, et qu'elle lui avait
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données en cachette; puis il alla quai de la Ferraille, faire
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remettre une lame à son épée; puis il revint au Louvre s'informer,
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au premier mousquetaire qu'il rencontra, de la situation de
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l'hôtel de M. de Tréville, lequel était situé rue du Vieux-
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Colombier, c'est-à-dire justement dans le voisinage de la chambre
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arrêtée par d'Artagnan: circonstance qui lui parut d'un heureux
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augure pour le succès de son voyage.
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Après quoi, content de la façon dont il s'était conduit à Meung,
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sans remords dans le passé, confiant dans le présent et plein
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d'espérance dans l'avenir, il se coucha et s'endormit du sommeil
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du brave.
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Ce sommeil, tout provincial encore, le conduisit jusqu'à neuf
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heures du matin, heure à laquelle il se leva pour se rendre chez
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ce fameux M. de Tréville, le troisième personnage du royaume
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d'après l'estimation paternelle.
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CHAPITRE II
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L'ANTICHAMBRE DE M. DE TRÉVILLE
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M. de Troisvilles, comme s'appelait encore sa famille en Gascogne,
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ou M. de Tréville, comme il avait fini par s'appeler lui-même à
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Paris, avait réellement commencé comme d'Artagnan, c'est-à-dire
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sans un sou vaillant, mais avec ce fonds d'audace, d'esprit et
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d'entendement qui fait que le plus pauvre gentillâtre gascon
|
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reçoit souvent plus en ses espérances de l'héritage paternel que
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le plus riche gentilhomme périgourdin ou berrichon ne reçoit en
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réalité. Sa bravoure insolente, son bonheur plus insolent encore
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dans un temps où les coups pleuvaient comme grêle, l'avaient hissé
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au sommet de cette échelle difficile qu'on appelle la faveur de
|
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cour, et dont il avait escaladé quatre à quatre les échelons.
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Il était l'ami du roi, lequel honorait fort, comme chacun sait, la
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mémoire de son père Henri IV. Le père de M. de Tréville l'avait si
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fidèlement servi dans ses guerres contre la Ligue, qu'à défaut
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d'argent comptant -- chose qui toute la vie manqua au Béarnais,
|
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lequel paya constamment ses dettes avec la seule chose qu'il n'eût
|
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jamais besoin d'emprunter, c'est-à-dire avec de l'esprit --, qu'à
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défaut d'argent comptant, disons-nous, il l'avait autorisé, après
|
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la reddition de Paris, à prendre pour armes un lion d'or passant
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sur gueules avec cette devise: _Fidelis et fortis_. C'était
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beaucoup pour l'honneur, mais c'était médiocre pour le bien-être.
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Aussi, quand l'illustre compagnon du grand Henri mourut, il laissa
|
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pour seul héritage à monsieur son fils son épée et sa devise.
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|
Grâce à ce double don et au nom sans tache qui l'accompagnait,
|
|
M. de Tréville fut admis dans la maison du jeune prince, où il
|
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servit si bien de son épée et fut si fidèle à sa devise, que
|
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Louis XIII, une des bonnes lames du royaume, avait l'habitude de
|
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dire que, s'il avait un ami qui se battît, il lui donnerait le
|
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conseil de prendre pour second, lui d'abord, et Tréville après, et
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peut-être même avant lui.
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Aussi Louis XIII avait-il un attachement réel pour Tréville,
|
|
attachement royal, attachement égoïste, c'est vrai, mais qui n'en
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était pas moins un attachement. C'est que, dans ces temps
|
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malheureux, on cherchait fort à s'entourer d'hommes de la trempe
|
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de Tréville. Beaucoup pouvaient prendre pour devise l'épithète de
|
|
fort, qui faisait la seconde partie de son exergue; mais peu de
|
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gentilshommes pouvaient réclamer l'épithète de fidèle, qui en
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formait la première. Tréville était un de ces derniers; c'était
|
|
une de ces rares organisations, à l'intelligence obéissante comme
|
|
celle du dogue, à la valeur aveugle, à l'oeil rapide, à la main
|
|
prompte, à qui l'oeil n'avait été donné que pour voir si le roi
|
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était mécontent de quelqu'un et la main que pour frapper ce
|
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déplaisant quelqu'un, un Besme, un Maurevers, un Poltrot de Méré,
|
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un Vitry. Enfin à Tréville, il n'avait manqué jusque-là que
|
|
l'occasion; mais il la guettait, et il se promettait bien de la
|
|
saisir par ses trois cheveux si jamais elle passait à la portée de
|
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sa main. Aussi Louis XIII fit-il de Tréville le capitaine de ses
|
|
mousquetaires, lesquels étaient à Louis XIII, pour le dévouement
|
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ou plutôt pour le fanatisme, ce que ses ordinaires étaient à
|
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Henri III et ce que sa garde écossaise était à Louis XI.
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|
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|
De son côté, et sous ce rapport, le cardinal n'était pas en reste
|
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avec le roi. Quand il avait vu la formidable élite dont Louis XIII
|
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s'entourait, ce second ou plutôt ce premier roi de France avait
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|
voulu, lui aussi, avoir sa garde. Il eut donc ses mousquetaires
|
|
comme Louis XIII avait les siens et l'on voyait ces deux
|
|
puissances rivales trier pour leur service, dans toutes les
|
|
provinces de France et même dans tous les États étrangers, les
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|
hommes célèbres pour les grands coups d'épée. Aussi Richelieu et
|
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Louis XIII se disputaient souvent, en faisant leur partie
|
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d'échecs, le soir, au sujet du mérite de leurs serviteurs. Chacun
|
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vantait la tenue et le courage des siens, et tout en se prononçant
|
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tout haut contre les duels et contre les rixes, ils les excitaient
|
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tout bas à en venir aux mains, et concevaient un véritable chagrin
|
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ou une joie immodérée de la défaite ou de la victoire des leurs.
|
|
Ainsi, du moins, le disent les mémoires d'un homme qui fut dans
|
|
quelques-unes de ces défaites et dans beaucoup de ces victoires.
|
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|
Tréville avait pris le côté faible de son maître, et c'est à cette
|
|
adresse qu'il devait la longue et constante faveur d'un roi qui
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n'a pas laissé la réputation d'avoir été très fidèle à ses
|
|
amitiés. Il faisait parader ses mousquetaires devant le cardinal
|
|
Armand Duplessis avec un air narquois qui hérissait de colère la
|
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moustache grise de Son Éminence. Tréville entendait admirablement
|
|
bien la guerre de cette époque, où, quand on ne vivait pas aux
|
|
dépens de l'ennemi, on vivait aux dépens de ses compatriotes: ses
|
|
soldats formaient une légion de diables à quatre, indisciplinée
|
|
pour tout autre que pour lui.
|
|
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|
Débraillés, avinés, écorchés, les mousquetaires du roi, ou plutôt
|
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ceux de M. de Tréville, s'épandaient dans les cabarets, dans les
|
|
promenades, dans les jeux publics, criant fort et retroussant
|
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leurs moustaches, faisant sonner leurs épées, heurtant avec
|
|
volupté les gardes de M. le cardinal quand ils les rencontraient;
|
|
puis dégainant en pleine rue, avec mille plaisanteries; tués
|
|
quelquefois, mais sûrs en ce cas d'être pleurés et vengés; tuant
|
|
souvent, et sûrs alors de ne pas moisir en prison, M. de Tréville
|
|
étant là pour les réclamer. Aussi M. de Tréville était-il loué sur
|
|
tous les tons, chanté sur toutes les gammes par ces hommes qui
|
|
l'adoraient, et qui, tout gens de sac et de corde qu'ils étaient,
|
|
tremblaient devant lui comme des écoliers devant leur maître,
|
|
obéissant au moindre mot, et prêts à se faire tuer pour laver le
|
|
moindre reproche.
|
|
|
|
M. de Tréville avait usé de ce levier puissant, pour le roi
|
|
d'abord et les amis du roi, -- puis pour lui-même et pour ses
|
|
amis. Au reste, dans aucun des mémoires de ce temps, qui a laissé
|
|
tant de mémoires, on ne voit que ce digne gentilhomme ait été
|
|
accusé, même par ses ennemis -- et il en avait autant parmi les
|
|
gens de plume que chez les gens d'épée --, nulle part on ne voit,
|
|
disons-nous, que ce digne gentilhomme ait été accusé de se faire
|
|
payer la coopération de ses séides. Avec un rare génie d'intrigue,
|
|
qui le rendait l'égal des plus forts intrigants, il était resté
|
|
honnête homme. Bien plus, en dépit des grandes estocades qui
|
|
déhanchent et des exercices pénibles qui fatiguent, il était
|
|
devenu un des plus galants coureurs de ruelles, un des plus fins
|
|
damerets, un des plus alambiqués diseurs de Phébus de son époque;
|
|
on parlait des bonnes fortunes de Tréville comme on avait parlé
|
|
vingt ans auparavant de celles de Bassompierre -- et ce n'était
|
|
pas peu dire. Le capitaine des mousquetaires était donc admiré,
|
|
craint et aimé, ce qui constitue l'apogée des fortunes humaines.
|
|
|
|
Louis XIV absorba tous les petits astres de sa cour dans son vaste
|
|
rayonnement; mais son père, soleil _pluribus impar_, laissa sa
|
|
splendeur personnelle à chacun de ses favoris, sa valeur
|
|
individuelle à chacun de ses courtisans. Outre le lever du roi et
|
|
celui du cardinal, on comptait alors à Paris plus de deux cents
|
|
petits levers, un peu recherchés. Parmi les deux cents petits
|
|
levers celui de Tréville était un des plus courus.
|
|
|
|
La cour de son hôtel, situé rue du Vieux-Colombier, ressemblait à
|
|
un camp, et cela dès six heures du matin en été et dès huit heures
|
|
en hiver. Cinquante à soixante mousquetaires, qui semblaient s'y
|
|
relayer pour présenter un nombre toujours imposant, s'y
|
|
promenaient sans cesse, armés en guerre et prêts à tout. Le long
|
|
d'un de ses grands escaliers sur l'emplacement desquels notre
|
|
civilisation bâtirait une maison tout entière, montaient et
|
|
descendaient les solliciteurs de Paris qui couraient après une
|
|
faveur quelconque, les gentilshommes de province avides d'être
|
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enrôlés, et les laquais chamarrés de toutes couleurs, qui venaient
|
|
apporter à M. de Tréville les messages de leurs maîtres. Dans
|
|
l'antichambre, sur de longues banquettes circulaires, reposaient
|
|
les élus, c'est-à-dire ceux qui étaient convoqués. Un
|
|
bourdonnement durait là depuis le matin jusqu'au soir, tandis que
|
|
M. de Tréville, dans son cabinet contigu à cette antichambre,
|
|
recevait les visites, écoutait les plaintes, donnait ses ordres
|
|
et, comme le roi à son balcon du Louvre, n'avait qu'à se mettre à
|
|
sa fenêtre pour passer la revue des hommes et des armes.
|
|
|
|
Le jour où d'Artagnan se présenta, l'assemblée était imposante,
|
|
surtout pour un provincial arrivant de sa province: il est vrai
|
|
que ce provincial était Gascon, et que surtout à cette époque les
|
|
compatriotes de d'Artagnan avaient la réputation de ne point
|
|
facilement se laisser intimider. En effet, une fois qu'on avait
|
|
franchi la porte massive, chevillée de longs clous à tête
|
|
quadrangulaire, on tombait au milieu d'une troupe de gens d'épée
|
|
qui se croisaient dans la cour, s'interpellant, se querellant et
|
|
jouant entre eux. Pour se frayer un passage au milieu de toutes
|
|
ces vagues tourbillonnantes, il eût fallu être officier, grand
|
|
seigneur ou jolie femme.
|
|
|
|
Ce fut donc au milieu de cette cohue et de ce désordre que notre
|
|
jeune homme s'avança, le coeur palpitant, rangeant sa longue
|
|
rapière le long de ses jambes maigres, et tenant une main au
|
|
rebord de son feutre avec ce demi-sourire du provincial embarrassé
|
|
qui veut faire bonne contenance. Avait-il dépassé un groupe, alors
|
|
il respirait plus librement, mais il comprenait qu'on se
|
|
retournait pour le regarder, et pour la première fois de sa vie,
|
|
d'Artagnan, qui jusqu'à ce jour avait une assez bonne opinion de
|
|
lui-même, se trouva ridicule.
|
|
|
|
Arrivé à l'escalier, ce fut pis encore: il y avait sur les
|
|
premières marches quatre mousquetaires qui se divertissaient à
|
|
l'exercice suivant, tandis que dix ou douze de leurs camarades
|
|
attendaient sur le palier que leur tour vînt de prendre place à la
|
|
partie.
|
|
|
|
Un d'eux, placé sur le degré supérieur, l'épée nue à la main,
|
|
empêchait ou du moins s'efforçait d'empêcher les trois autres de
|
|
monter.
|
|
|
|
Ces trois autres s'escrimaient contre lui de leurs épées fort
|
|
agiles. D'Artagnan prit d'abord ces fers pour des fleurets
|
|
d'escrime, il les crut boutonnés: mais il reconnut bientôt à
|
|
certaines égratignures que chaque arme, au contraire, était
|
|
affilée et aiguisée à souhait, et à chacune de ces égratignures,
|
|
non seulement les spectateurs, mais encore les acteurs riaient
|
|
comme des fous.
|
|
|
|
Celui qui occupait le degré en ce moment tenait merveilleusement
|
|
ses adversaires en respect. On faisait cercle autour d'eux: la
|
|
condition portait qu'à chaque coup le touché quitterait la partie,
|
|
en perdant son tour d'audience au profit du toucheur. En cinq
|
|
minutes trois furent effleurés, l'un au poignet, l'autre au
|
|
menton, l'autre à l'oreille par le défenseur du degré, qui lui-
|
|
même ne fut pas atteint: adresse qui lui valut, selon les
|
|
conventions arrêtées, trois tours de faveur.
|
|
|
|
Si difficile non pas qu'il fût, mais qu'il voulût être à étonner,
|
|
ce passe-temps étonna notre jeune voyageur; il avait vu dans sa
|
|
province, cette terre où s'échauffent cependant si promptement les
|
|
têtes, un peu plus de préliminaires aux duels, et la gasconnade de
|
|
ces quatre joueurs lui parut la plus forte de toutes celles qu'il
|
|
avait ouïes jusqu'alors, même en Gascogne. Il se crut transporté
|
|
dans ce fameux pays des géants où Gulliver alla depuis et eut si
|
|
grand-peur; et cependant il n'était pas au bout: restaient le
|
|
palier et l'antichambre.
|
|
|
|
Sur le palier on ne se battait plus, on racontait des histoires de
|
|
femmes, et dans l'antichambre des histoires de cour. Sur le
|
|
palier, d'Artagnan rougit; dans l'antichambre, il frissonna. Son
|
|
imagination éveillée et vagabonde, qui en Gascogne le rendait
|
|
redoutable aux jeunes femmes de chambre et même quelquefois aux
|
|
jeunes maîtresses, n'avait jamais rêvé, même dans ces moments de
|
|
délire, la moitié de ces merveilles amoureuses et le quart de ces
|
|
prouesses galantes, rehaussées des noms les plus connus et des
|
|
détails les moins voilés. Mais si son amour pour les bonnes moeurs
|
|
fut choqué sur le palier, son respect pour le cardinal fut
|
|
scandalisé dans l'antichambre. Là, à son grand étonnement,
|
|
d'Artagnan entendait critiquer tout haut la politique qui faisait
|
|
trembler l'Europe, et la vie privée du cardinal, que tant de hauts
|
|
et puissants seigneurs avaient été punis d'avoir tenté
|
|
d'approfondir: ce grand homme, révéré par M. d'Artagnan père,
|
|
servait de risée aux mousquetaires de M. de Tréville, qui
|
|
raillaient ses jambes cagneuses et son dos voûté; quelques-uns
|
|
chantaient des Noëls sur Mme d'Aiguillon, sa maîtresse, et
|
|
Mme de Combalet, sa nièce, tandis que les autres liaient des
|
|
parties contre les pages et les gardes du cardinal-duc, toutes
|
|
choses qui paraissaient à d'Artagnan de monstrueuses
|
|
impossibilités.
|
|
|
|
Cependant, quand le nom du roi intervenait parfois tout à coup à
|
|
l'improviste au milieu de tous ces quolibets cardinalesques, une
|
|
espèce de bâillon calfeutrait pour un moment toutes ces bouches
|
|
moqueuses; on regardait avec hésitation autour de soi, et l'on
|
|
semblait craindre l'indiscrétion de la cloison du cabinet de
|
|
M. de Tréville; mais bientôt une allusion ramenait la conversation
|
|
sur Son Éminence, et alors les éclats reprenaient de plus belle,
|
|
et la lumière n'était ménagée sur aucune de ses actions.
|
|
|
|
«Certes, voilà des gens qui vont être embastillés et pendus, pensa
|
|
d'Artagnan avec terreur, et moi sans aucun doute avec eux, car du
|
|
moment où je les ai écoutés et entendus, je serai tenu pour leur
|
|
complice. Que dirait monsieur mon père, qui m'a si fort recommandé
|
|
le respect du cardinal, s'il me savait dans la société de pareils
|
|
païens?»
|
|
|
|
Aussi comme on s'en doute sans que je le dise, d'Artagnan n'osait
|
|
se livrer à la conversation; seulement il regardait de tous ses
|
|
yeux, écoutant de toutes ses oreilles, tendant avidement ses cinq
|
|
sens pour ne rien perdre, et malgré sa confiance dans les
|
|
recommandations paternelles, il se sentait porté par ses goûts et
|
|
entraîné par ses instincts à louer plutôt qu'à blâmer les choses
|
|
inouïes qui se passaient là.
|
|
|
|
Cependant, comme il était absolument étranger à la foule des
|
|
courtisans de M. de Tréville, et que c'était la première fois
|
|
qu'on l'apercevait en ce lieu, on vint lui demander ce qu'il
|
|
désirait. À cette demande, d'Artagnan se nomma fort humblement,
|
|
s'appuya du titre de compatriote, et pria le valet de chambre qui
|
|
était venu lui faire cette question de demander pour lui à
|
|
M. de Tréville un moment d'audience, demande que celui-ci promit
|
|
d'un ton protecteur de transmettre en temps et lieu.
|
|
|
|
D'Artagnan, un peu revenu de sa surprise première, eut donc le
|
|
loisir d'étudier un peu les costumes et les physionomies.
|
|
|
|
Au centre du groupe le plus animé était un mousquetaire de grande
|
|
taille, d'une figure hautaine et d'une bizarrerie de costume qui
|
|
attirait sur lui l'attention générale. Il ne portait pas, pour le
|
|
moment, la casaque d'uniforme, qui, au reste, n'était pas
|
|
absolument obligatoire dans cette époque de liberté moindre mais
|
|
d'indépendance plus grande, mais un justaucorps bleu de ciel, tant
|
|
soit peu fané et râpé, et sur cet habit un baudrier magnifique, en
|
|
broderies d'or, et qui reluisait comme les écailles dont l'eau se
|
|
couvre au grand soleil. Un manteau long de velours cramoisi
|
|
tombait avec grâce sur ses épaules découvrant par-devant seulement
|
|
le splendide baudrier auquel pendait une gigantesque rapière.
|
|
|
|
Ce mousquetaire venait de descendre de garde à l'instant même, se
|
|
plaignait d'être enrhumé et toussait de temps en temps avec
|
|
affectation. Aussi avait-il pris le manteau, à ce qu'il disait
|
|
autour de lui, et tandis qu'il parlait du haut de sa tête, en
|
|
frisant dédaigneusement sa moustache, on admirait avec
|
|
enthousiasme le baudrier brodé, et d'Artagnan plus que tout autre.
|
|
|
|
«Que voulez-vous, disait le mousquetaire, la mode en vient; c'est
|
|
une folie, je le sais bien, mais c'est la mode. D'ailleurs, il
|
|
faut bien employer à quelque chose l'argent de sa légitime.
|
|
|
|
-- Ah! Porthos! s'écria un des assistants, n'essaie pas de nous
|
|
faire croire que ce baudrier te vient de la générosité paternelle:
|
|
il t'aura été donné par la dame voilée avec laquelle je t'ai
|
|
rencontré l'autre dimanche vers la porte Saint-Honoré.
|
|
|
|
-- Non, sur mon honneur et foi de gentilhomme, je l'ai acheté moi-
|
|
même, et de mes propres deniers, répondit celui qu'on venait de
|
|
désigner sous le nom de Porthos.
|
|
|
|
-- Oui, comme j'ai acheté, moi, dit un autre mousquetaire, cette
|
|
bourse neuve, avec ce que ma maîtresse avait mis dans la vieille.
|
|
|
|
-- Vrai, dit Porthos, et la preuve c'est que je l'ai payé douze
|
|
pistoles.»
|
|
|
|
L'admiration redoubla, quoique le doute continuât d'exister.
|
|
|
|
«N'est-ce pas, Aramis?» dit Porthos se tournant vers un autre
|
|
mousquetaire.
|
|
|
|
Cet autre mousquetaire formait un contraste parfait avec celui qui
|
|
l'interrogeait et qui venait de le désigner sous le nom d'Aramis:
|
|
c'était un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans à peine, à
|
|
la figure naïve et doucereuse, à l'oeil noir et doux et aux joues
|
|
roses et veloutées comme une pêche en automne; sa moustache fine
|
|
dessinait sur sa lèvre supérieure une ligne d'une rectitude
|
|
parfaite; ses mains semblaient craindre de s'abaisser, de peur que
|
|
leurs veines ne se gonflassent, et de temps en temps il se pinçait
|
|
le bout des oreilles pour les maintenir d'un incarnat tendre et
|
|
transparent. D'habitude il parlait peu et lentement, saluait
|
|
beaucoup, riait sans bruit en montrant ses dents, qu'il avait
|
|
belles et dont, comme du reste de sa personne, il semblait prendre
|
|
le plus grand soin. Il répondit par un signe de tête affirmatif à
|
|
l'interpellation de son ami.
|
|
|
|
Cette affirmation parut avoir fixé tous les doutes à l'endroit du
|
|
baudrier; on continua donc de l'admirer, mais on n'en parla plus;
|
|
et par un de ces revirements rapides de la pensée, la conversation
|
|
passa tout à coup à un autre sujet.
|
|
|
|
«Que pensez-vous de ce que raconte l'écuyer de Chalais?» demanda
|
|
un autre mousquetaire sans interpeller directement personne, mais
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s'adressant au contraire à tout le monde.
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«Et que raconte-t-il? demanda Porthos d'un ton suffisant.
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-- Il raconte qu'il a trouvé à Bruxelles Rochefort, l'âme damnée
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du cardinal, déguisé en capucin; ce Rochefort maudit, grâce à ce
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déguisement, avait joué M. de Laigues comme un niais qu'il est.
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-- Comme un vrai niais, dit Porthos; mais la chose est-elle sûre?
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-- Je la tiens d'Aramis, répondit le mousquetaire.
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-- Vraiment?
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-- Eh! vous le savez bien, Porthos, dit Aramis; je vous l'ai
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racontée à vous-même hier, n'en parlons donc plus.
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-- N'en parlons plus, voilà votre opinion à vous, reprit Porthos.
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N'en parlons plus! peste! comme vous concluez vite. Comment! le
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cardinal fait espionner un gentilhomme, fait voler sa
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correspondance par un traître, un brigand, un pendard; fait, avec
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l'aide de cet espion et grâce à cette correspondance, couper le
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cou à Chalais, sous le stupide prétexte qu'il a voulu tuer le roi
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et marier Monsieur avec la reine! Personne ne savait un mot de
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cette énigme, vous nous l'apprenez hier, à la grande satisfaction
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de tous, et quand nous sommes encore tout ébahis de cette
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nouvelle, vous venez nous dire aujourd'hui: N'en parlons plus!
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-- Parlons-en donc, voyons, puisque vous le désirez, reprit Aramis
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avec patience.
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-- Ce Rochefort, s'écria Porthos, si j'étais l'écuyer du pauvre
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Chalais, passerait avec moi un vilain moment.
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-- Et vous, vous passeriez un triste quart d'heure avec le duc
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Rouge, reprit Aramis.
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-- Ah! le duc Rouge! bravo, bravo, le duc Rouge! répondit Porthos
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en battant des mains et en approuvant de la tête. Le «duc Rouge»
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est charmant. Je répandrai le mot, mon cher, soyez tranquille. A-
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t-il de l'esprit, cet Aramis! Quel malheur que vous n'ayez pas pu
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suivre votre vocation, mon cher! quel délicieux abbé vous eussiez
|
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fait!
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-- Oh! ce n'est qu'un retard momentané, reprit Aramis; un jour, je
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le serai. Vous savez bien, Porthos, que je continue d'étudier la
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théologie pour cela.
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-- Il le fera comme il le dit, reprit Porthos, il le fera tôt ou
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tard.
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-- Tôt, dit Aramis.
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-- Il n'attend qu'une chose pour le décider tout à fait et pour
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reprendre sa soutane, qui est pendue derrière son uniforme, reprit
|
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un mousquetaire.
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-- Et quelle chose attend-il? demanda un autre.
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-- Il attend que la reine ait donné un héritier à la couronne de
|
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France.
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-- Ne plaisantons pas là-dessus, messieurs, dit Porthos; grâce à
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Dieu, la reine est encore d'âge à le donner.
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-- On dit que M. de Buckingham est en France, reprit Aramis avec
|
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un rire narquois qui donnait à cette phrase, si simple en
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apparence, une signification passablement scandaleuse.
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-- Aramis, mon ami, pour cette fois vous avez tort, interrompit
|
|
Porthos, et votre manie d'esprit vous entraîne toujours au-delà
|
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des bornes; si M. de Tréville vous entendait, vous seriez mal venu
|
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de parler ainsi.
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-- Allez-vous me faire la leçon, Porthos? s'écria Aramis, dans
|
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l'oeil doux duquel on vit passer comme un éclair.
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-- Mon cher, soyez mousquetaire ou abbé. Soyez l'un ou l'autre,
|
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mais pas l'un et l'autre, reprit Porthos. Tenez, Athos vous l'a
|
|
dit encore l'autre jour: vous mangez à tous les râteliers. Ah! ne
|
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nous fâchons pas, je vous prie, ce serait inutile, vous savez bien
|
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ce qui est convenu entre vous, Athos et moi. Vous allez chez
|
|
Mme d'Aiguillon, et vous lui faites la cour; vous allez chez
|
|
Mme de Bois-Tracy, la cousine de Mme de Chevreuse, et vous passez
|
|
pour être fort en avant dans les bonnes grâces de la dame. Oh! mon
|
|
Dieu, n'avouez pas votre bonheur, on ne vous demande pas votre
|
|
secret, on connaît votre discrétion. Mais puisque vous possédez
|
|
cette vertu, que diable! Faites-en usage à l'endroit de
|
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Sa Majesté. S'occupe qui voudra et comme on voudra du roi et du
|
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cardinal; mais la reine est sacrée, et si l'on en parle, que ce
|
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soit en bien.
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|
-- Porthos, vous êtes prétentieux comme Narcisse, je vous en
|
|
préviens, répondit Aramis; vous savez que je hais la morale,
|
|
excepté quand elle est faite par Athos. Quant à vous, mon cher,
|
|
vous avez un trop magnifique baudrier pour être bien fort là-
|
|
dessus. Je serai abbé s'il me convient; en attendant, je suis
|
|
mousquetaire: en cette qualité, je dis ce qu'il me plaît, et en ce
|
|
moment il me plaît de vous dire que vous m'impatientez.
|
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-- Aramis!
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-- Porthos!
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-- Eh! messieurs! messieurs! s'écria-t-on autour d'eux.
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|
|
-- M. de Tréville attend M. d'Artagnan», interrompit le laquais en
|
|
ouvrant la porte du cabinet.
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|
À cette annonce, pendant laquelle la porte demeurait ouverte,
|
|
chacun se tut, et au milieu du silence général le jeune Gascon
|
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traversa l'antichambre dans une partie de sa longueur et entra
|
|
chez le capitaine des mousquetaires, se félicitant de tout son
|
|
coeur d'échapper aussi à point à la fin de cette bizarre querelle.
|
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|
CHAPITRE III
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|
L'AUDIENCE
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M. de Tréville était pour le moment de fort méchante humeur;
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néanmoins il salua poliment le jeune homme, qui s'inclina jusqu'à
|
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terre, et il sourit en recevant son compliment, dont l'accent
|
|
béarnais lui rappela à la fois sa jeunesse et son pays, double
|
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souvenir qui fait sourire l'homme à tous les âges. Mais, se
|
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rapprochant presque aussitôt de l'antichambre et faisant à
|
|
d'Artagnan un signe de la main, comme pour lui demander la
|
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permission d'en finir avec les autres avant de commencer avec lui,
|
|
il appela trois fois, en grossissant la voix à chaque fois, de
|
|
sorte qu'il parcourut tous les tons intervallaires entre l'accent
|
|
impératif et l'accent irrité:
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«Athos! Porthos! Aramis!»
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|
Les deux mousquetaires avec lesquels nous avons déjà fait
|
|
connaissance, et qui répondaient aux deux derniers de ces trois
|
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noms, quittèrent aussitôt les groupes dont ils faisaient partie et
|
|
s'avancèrent vers le cabinet, dont la porte se referma derrière
|
|
eux dès qu'ils en eurent franchi le seuil. Leur contenance, bien
|
|
qu'elle ne fût pas tout à fait tranquille, excita cependant par
|
|
son laisser-aller à la fois plein de dignité et de soumission,
|
|
l'admiration de d'Artagnan, qui voyait dans ces hommes des demi-
|
|
dieux, et dans leur chef un Jupiter olympien armé de tous ses
|
|
foudres.
|
|
|
|
Quand les deux mousquetaires furent entrés, quand la porte fut
|
|
refermée derrière eux, quand le murmure bourdonnant de
|
|
l'antichambre, auquel l'appel qui venait d'être fait avait sans
|
|
doute donné un nouvel aliment eut recommencé; quand enfin
|
|
M. de Tréville eut trois ou quatre fois arpenté, silencieux et le
|
|
sourcil froncé, toute la longueur de son cabinet, passant chaque
|
|
fois devant Porthos et Aramis, roides et muets comme à la parade,
|
|
il s'arrêta tout à coup en face d'eux, et les couvrant des pieds à
|
|
la tête d'un regard irrité:
|
|
|
|
«Savez-vous ce que m'a dit le roi, s'écria-t-il, et cela pas plus
|
|
tard qu'hier au soir? le savez-vous, messieurs?
|
|
|
|
-- Non, répondirent après un instant de silence les deux
|
|
mousquetaires; non, monsieur, nous l'ignorons.
|
|
|
|
-- Mais j'espère que vous nous ferez l'honneur de nous le dire,
|
|
ajouta Aramis de son ton le plus poli et avec la plus gracieuse
|
|
révérence.
|
|
|
|
-- Il m'a dit qu'il recruterait désormais ses mousquetaires parmi
|
|
les gardes de M. le cardinal!
|
|
|
|
-- Parmi les gardes de M. le cardinal! et pourquoi cela? demanda
|
|
vivement Porthos.
|
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|
-- Parce qu'il voyait bien que sa piquette avait besoin d'être
|
|
ragaillardie par un mélange de bon vin.»
|
|
|
|
Les deux mousquetaires rougirent jusqu'au blanc des yeux.
|
|
D'Artagnan ne savait où il en était et eût voulu être à cent pieds
|
|
sous terre.
|
|
|
|
«Oui, oui, continua M. de Tréville en s'animant, oui, et
|
|
Sa Majesté avait raison, car, sur mon honneur, il est vrai que les
|
|
mousquetaires font triste figure à la cour. M. le cardinal
|
|
racontait hier au jeu du roi, avec un air de condoléance qui me
|
|
déplut fort, qu'avant-hier ces damnés mousquetaires, ces diables à
|
|
quatre -- il appuyait sur ces mots avec un accent ironique qui me
|
|
déplut encore davantage --, ces pourfendeurs, ajoutait-il en me
|
|
regardant de son oeil de chat-tigre, s'étaient attardés rue Férou,
|
|
dans un cabaret, et qu'une ronde de ses gardes -- j'ai cru qu'il
|
|
allait me rire au nez -- avait été forcée d'arrêter les
|
|
perturbateurs. Morbleu! vous devez en savoir quelque chose!
|
|
Arrêter des mousquetaires! Vous en étiez, vous autres, ne vous en
|
|
défendez pas, on vous a reconnus, et le cardinal vous a nommés.
|
|
Voilà bien ma faute, oui, ma faute, puisque c'est moi qui choisis
|
|
mes hommes. Voyons, vous, Aramis, pourquoi diable m'avez-vous
|
|
demandé la casaque quand vous alliez être si bien sous la soutane?
|
|
Voyons, vous, Porthos, n'avez-vous un si beau baudrier d'or que
|
|
pour y suspendre une épée de paille? Et Athos! je ne vois pas
|
|
Athos. Où est-il?
|
|
|
|
-- Monsieur, répondit tristement Aramis, il est malade, fort
|
|
malade.
|
|
|
|
-- Malade, fort malade, dites-vous? et de quelle maladie?
|
|
|
|
-- On craint que ce ne soit de la petite vérole, monsieur,
|
|
répondit Porthos voulant mêler à son tour un mot à la
|
|
conversation, et ce qui serait fâcheux en ce que très certainement
|
|
cela gâterait son visage.
|
|
|
|
-- De la petite vérole! Voilà encore une glorieuse histoire que
|
|
vous me contez là, Porthos!... Malade de la petite vérole, à son
|
|
âge?... Non pas!... mais blessé sans doute, tué peut-être... Ah!
|
|
si je le savais!... Sangdieu! messieurs les mousquetaires, je
|
|
n'entends pas que l'on hante ainsi les mauvais lieux, qu'on se
|
|
prenne de querelle dans la rue et qu'on joue de l'épée dans les
|
|
carrefours. Je ne veux pas enfin qu'on prête à rire aux gardes de
|
|
M. le cardinal, qui sont de braves gens, tranquilles, adroits, qui
|
|
ne se mettent jamais dans le cas d'être arrêtés, et qui d'ailleurs
|
|
ne se laisseraient pas arrêter, eux!... j'en suis sûr... Ils
|
|
aimeraient mieux mourir sur la place que de faire un pas en
|
|
arrière... Se sauver, détaler, fuir, c'est bon pour les
|
|
mousquetaires du roi, cela!»
|
|
|
|
Porthos et Aramis frémissaient de rage. Ils auraient volontiers
|
|
étranglé M. de Tréville, si au fond de tout cela ils n'avaient pas
|
|
senti que c'était le grand amour qu'il leur portait qui le faisait
|
|
leur parler ainsi. Ils frappaient le tapis du pied, se mordaient
|
|
les lèvres jusqu'au sang et serraient de toute leur force la garde
|
|
de leur épée. Au-dehors on avait entendu appeler, comme nous
|
|
l'avons dit, Athos, Porthos et Aramis, et l'on avait deviné, à
|
|
l'accent de la voix de M. de Tréville, qu'il était parfaitement en
|
|
colère. Dix têtes curieuses étaient appuyées à la tapisserie et
|
|
pâlissaient de fureur, car leurs oreilles collées à la porte ne
|
|
perdaient pas une syllabe de ce qui se disait, tandis que leurs
|
|
bouches répétaient au fur et à mesure les paroles insultantes du
|
|
capitaine à toute la population de l'antichambre. En un instant
|
|
depuis la porte du cabinet jusqu'à la porte de la rue, tout
|
|
l'hôtel fut en ébullition.
|
|
|
|
«Ah! les mousquetaires du roi se font arrêter par les gardes de
|
|
M. le cardinal», continua M. de Tréville aussi furieux à
|
|
l'intérieur que ses soldats, mais saccadant ses paroles et les
|
|
plongeant une à une pour ainsi dire et comme autant de coups de
|
|
stylet dans la poitrine de ses auditeurs. «Ah! six gardes de Son
|
|
Éminence arrêtent six mousquetaires de Sa Majesté! Morbleu! j'ai
|
|
pris mon parti. Je vais de ce pas au Louvre; je donne ma démission
|
|
de capitaine des mousquetaires du roi pour demander une
|
|
lieutenance dans les gardes du cardinal, et s'il me refuse,
|
|
morbleu! je me fais abbé.»
|
|
|
|
À ces paroles, le murmure de l'extérieur devint une explosion:
|
|
partout on n'entendait que jurons et blasphèmes. Les morbleu! les
|
|
sangdieu! les morts de tous les diables! se croisaient dans l'air.
|
|
D'Artagnan cherchait une tapisserie derrière laquelle se cacher,
|
|
et se sentait une envie démesurée de se fourrer sous la table.
|
|
|
|
«Eh bien, mon capitaine, dit Porthos hors de lui, la vérité est
|
|
que nous étions six contre six, mais nous avons été pris en
|
|
traître, et avant que nous eussions eu le temps de tirer nos
|
|
épées, deux d'entre nous étaient tombés morts, et Athos, blessé
|
|
grièvement, ne valait guère mieux. Car vous le connaissez, Athos;
|
|
eh bien, capitaine, il a essayé de se relever deux fois, et il est
|
|
retombé deux fois. Cependant nous ne nous sommes pas rendus, non!
|
|
l'on nous a entraînés de force. En chemin, nous nous sommes
|
|
sauvés. Quant à Athos, on l'avait cru mort, et on l'a laissé bien
|
|
tranquillement sur le champ de bataille, ne pensant pas qu'il
|
|
valût la peine d'être emporté. Voilà l'histoire. Que diable,
|
|
capitaine! on ne gagne pas toutes les batailles. Le grand Pompée a
|
|
perdu celle de Pharsale, et le roi François Ier, qui, à ce que
|
|
j'ai entendu dire, en valait bien un autre, a perdu cependant
|
|
celle de Pavie.
|
|
|
|
-- Et j'ai l'honneur de vous assurer que j'en ai tué un avec sa
|
|
propre épée, dit Aramis, car la mienne s'est brisée à la première
|
|
parade... Tué ou poignardé, monsieur, comme il vous sera agréable.
|
|
|
|
-- Je ne savais pas cela, reprit M. de Tréville d'un ton un peu
|
|
radouci. M. le cardinal avait exagéré, à ce que je vois.
|
|
|
|
-- Mais de grâce, monsieur, continua Aramis, qui, voyant son
|
|
capitaine s'apaiser, osait hasarder une prière, de grâce,
|
|
monsieur, ne dites pas qu'Athos lui-même est blessé: il serait au
|
|
désespoir que cela parvint aux oreilles du roi, et comme la
|
|
blessure est des plus graves, attendu qu'après avoir traversé
|
|
l'épaule elle pénètre dans la poitrine, il serait à craindre...»
|
|
|
|
Au même instant la portière se souleva, et une tête noble et
|
|
belle, mais affreusement pâle, parut sous la frange.
|
|
|
|
«Athos! s'écrièrent les deux mousquetaires.
|
|
|
|
-- Athos! répéta M. de Tréville lui-même.
|
|
|
|
-- Vous m'avez mandé, monsieur, dit Athos à M. de Tréville d'une
|
|
voix affaiblie mais parfaitement calme, vous m'avez demandé, à ce
|
|
que m'ont dit nos camarades, et je m'empresse de me rendre à vos
|
|
ordres; voilà, monsieur, que me voulez-vous?»
|
|
|
|
Et à ces mots le mousquetaire, en tenue irréprochable, sanglé
|
|
comme de coutume, entra d'un pas ferme dans le cabinet.
|
|
M. de Tréville, ému jusqu'au fond du coeur de cette preuve de
|
|
courage, se précipita vers lui.
|
|
|
|
«J'étais en train de dire à ces messieurs, ajouta-t-il, que je
|
|
défends à mes mousquetaires d'exposer leurs jours sans nécessité,
|
|
car les braves gens sont bien chers au roi, et le roi sait que ses
|
|
mousquetaires sont les plus braves gens de la terre. Votre main,
|
|
Athos.»
|
|
|
|
Et sans attendre que le nouveau venu répondît de lui-même à cette
|
|
preuve d'affection, M. de Tréville saisissait sa main droite et la
|
|
lui serrait de toutes ses forces, sans s'apercevoir qu'Athos, quel
|
|
que fût son empire sur lui-même, laissait échapper un mouvement de
|
|
douleur et pâlissait encore, ce que l'on aurait pu croire
|
|
impossible.
|
|
|
|
La porte était restée entrouverte, tant l'arrivée d'Athos, dont,
|
|
malgré le secret gardé, la blessure était connue de tous, avait
|
|
produit de sensation. Un brouhaha de satisfaction accueillit les
|
|
derniers mots du capitaine et deux ou trois têtes, entraînées par
|
|
l'enthousiasme, apparurent par les ouvertures de la tapisserie.
|
|
Sans doute, M. de Tréville allait réprimer par de vives paroles
|
|
cette infraction aux lois de l'étiquette, lorsqu'il sentit tout à
|
|
coup la main d'Athos se crisper dans la sienne, et qu'en portant
|
|
les yeux sur lui il s'aperçut qu'il allait s'évanouir. Au même
|
|
instant Athos, qui avait rassemblé toutes ses forces pour lutter
|
|
contre la douleur, vaincu enfin par elle, tomba sur le parquet
|
|
comme s'il fût mort.
|
|
|
|
«Un chirurgien! cria M. de Tréville. Le mien, celui du roi, le
|
|
meilleur! Un chirurgien! ou, sangdieu! mon brave Athos va
|
|
trépasser.»
|
|
|
|
Aux cris de M. de Tréville, tout le monde se précipita dans son
|
|
cabinet sans qu'il songeât à en fermer la porte à personne, chacun
|
|
s'empressant autour du blessé. Mais tout cet empressement eût été
|
|
inutile, si le docteur demandé ne se fût trouvé dans l'hôtel même;
|
|
il fendit la foule, s'approcha d'Athos toujours évanoui, et, comme
|
|
tout ce bruit et tout ce mouvement le gênait fort, il demanda
|
|
comme première chose et comme la plus urgente que le mousquetaire
|
|
fût emporté dans une chambre voisine. Aussitôt M. de Tréville
|
|
ouvrit une porte et montra le chemin à Porthos et à Aramis, qui
|
|
emportèrent leur camarade dans leurs bras. Derrière ce groupe
|
|
marchait le chirurgien, et derrière le chirurgien, la porte se
|
|
referma.
|
|
|
|
Alors le cabinet de M. de Tréville, ce lieu ordinairement si
|
|
respecté, devint momentanément une succursale de l'antichambre.
|
|
Chacun discourait, pérorait, parlait haut, jurant, sacrant,
|
|
donnant le cardinal et ses gardes à tous les diables.
|
|
|
|
Un instant après, Porthos et Aramis rentrèrent; le chirurgien et
|
|
M. de Tréville seuls étaient restés près du blessé.
|
|
|
|
Enfin M. de Tréville rentra à son tour. Le blessé avait repris
|
|
connaissance; le chirurgien déclarait que l'état du mousquetaire
|
|
n'avait rien qui pût inquiéter ses amis, sa faiblesse ayant été
|
|
purement et simplement occasionnée par la perte de son sang.
|
|
|
|
Puis M. de Tréville fit un signe de la main, et chacun se retira,
|
|
excepté d'Artagnan, qui n'oubliait point qu'il avait audience et
|
|
qui, avec sa ténacité de Gascon, était demeuré à la même place.
|
|
|
|
Lorsque tout le monde fut sorti et que la porte fut refermée,
|
|
M. de Tréville se retourna et se trouva seul avec le jeune homme.
|
|
L'événement qui venait d'arriver lui avait quelque peu fait perdre
|
|
le fil de ses idées. Il s'informa de ce que lui voulait l'obstiné
|
|
solliciteur. D'Artagnan alors se nomma, et M. de Tréville, se
|
|
rappelant d'un seul coup tous ses souvenirs du présent et du
|
|
passé, se trouva au courant de sa situation.
|
|
|
|
«Pardon lui dit-il en souriant, pardon, mon cher compatriote, mais
|
|
je vous avais parfaitement oublié. Que voulez-vous! un capitaine
|
|
n'est rien qu'un père de famille chargé d'une plus grande
|
|
responsabilité qu'un père de famille ordinaire. Les soldats sont
|
|
de grands enfants; mais comme je tiens à ce que les ordres du roi,
|
|
et surtout ceux de M. le cardinal, soient exécutés...»
|
|
|
|
D'Artagnan ne put dissimuler un sourire. À ce sourire,
|
|
M. de Tréville jugea qu'il n'avait point affaire à un sot, et
|
|
venant droit au fait, tout en changeant de conversation:
|
|
|
|
«J'ai beaucoup aimé monsieur votre père, dit-il. Que puis-je faire
|
|
pour son fils? hâtez-vous, mon temps n'est pas à moi.
|
|
|
|
-- Monsieur, dit d'Artagnan, en quittant Tarbes et en venant ici,
|
|
je me proposais de vous demander, en souvenir de cette amitié dont
|
|
vous n'avez pas perdu mémoire, une casaque de mousquetaire; mais,
|
|
après tout ce que je vois depuis deux heures, je comprends qu'une
|
|
telle faveur serait énorme, et je tremble de ne point la mériter.
|
|
|
|
-- C'est une faveur en effet, jeune homme, répondit
|
|
M. de Tréville; mais elle peut ne pas être si fort au-dessus de
|
|
vous que vous le croyez ou que vous avez l'air de le croire.
|
|
Toutefois une décision de Sa Majesté a prévu ce cas, et je vous
|
|
annonce avec regret qu'on ne reçoit personne mousquetaire avant
|
|
l'épreuve préalable de quelques campagnes, de certaines actions
|
|
d'éclat, ou d'un service de deux ans dans quelque autre régiment
|
|
moins favorisé que le nôtre.»
|
|
|
|
D'Artagnan s'inclina sans rien répondre. Il se sentait encore plus
|
|
avide d'endosser l'uniforme de mousquetaire depuis qu'il y avait
|
|
de si grandes difficultés à l'obtenir.
|
|
|
|
«Mais, continua Tréville en fixant sur son compatriote un regard
|
|
si perçant qu'on eût dit qu'il voulait lire jusqu'au fond de son
|
|
coeur, mais, en faveur de votre père, mon ancien compagnon, comme
|
|
je vous l'ai dit, je veux faire quelque chose pour vous, jeune
|
|
homme. Nos cadets de Béarn ne sont ordinairement pas riches, et je
|
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doute que les choses aient fort changé de face depuis mon départ
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de la province. Vous ne devez donc pas avoir de trop, pour vivre,
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de l'argent que vous avez apporté avec vous.»
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D'Artagnan se redressa d'un air fier qui voulait dire qu'il ne
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demandait l'aumône à personne.
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«C'est bien, jeune homme, c'est bien, continua Tréville, je
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connais ces airs-là, je suis venu à Paris avec quatre écus dans ma
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poche, et je me serais battu avec quiconque m'aurait dit que je
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n'étais pas en état d'acheter le Louvre.»
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D'Artagnan se redressa de plus en plus; grâce à la vente de son
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cheval, il commençait sa carrière avec quatre écus de plus que
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M. de Tréville n'avait commencé la sienne.
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«Vous devez donc, disais-je, avoir besoin de conserver ce que vous
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avez, si forte que soit cette somme; mais vous devez avoir besoin
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aussi de vous perfectionner dans les exercices qui conviennent à
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un gentilhomme. J'écrirai dès aujourd'hui une lettre au directeur
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de l'académie royale, et dès demain il vous recevra sans
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rétribution aucune. Ne refusez pas cette petite douceur. Nos
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gentilshommes les mieux nés et les plus riches la sollicitent
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quelquefois, sans pouvoir l'obtenir. Vous apprendrez le manège du
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cheval, l'escrime et la danse; vous y ferez de bonnes
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connaissances, et de temps en temps vous reviendrez me voir pour
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me dire où vous en êtes et si je puis faire quelque chose pour
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vous.»
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D'Artagnan, tout étranger qu'il fût encore aux façons de cour,
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s'aperçut de la froideur de cet accueil.
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«Hélas, monsieur, dit-il, je vois combien la lettre de
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recommandation que mon père m'avait remise pour vous me fait
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défaut aujourd'hui!
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-- En effet, répondit M. de Tréville, je m'étonne que vous ayez
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entrepris un aussi long voyage sans ce viatique obligé, notre
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seule ressource à nous autres Béarnais.
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-- Je l'avais, monsieur, et, Dieu merci, en bonne forme, s'écria
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d'Artagnan; mais on me l'a perfidement dérobé.»
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Et il raconta toute la scène de Meung, dépeignit le gentilhomme
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inconnu dans ses moindres détails, le tout avec une chaleur, une
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vérité qui charmèrent M. de Tréville.
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«Voilà qui est étrange, dit ce dernier en méditant; vous aviez
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donc parlé de moi tout haut?
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-- Oui, monsieur, sans doute j'avais commis cette imprudence; que
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voulez-vous, un nom comme le vôtre devait me servir de bouclier en
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route: jugez si je me suis mis souvent à couvert!»
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La flatterie était fort de mise alors, et M. de Tréville aimait
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l'encens comme un roi ou comme un cardinal. Il ne put donc
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s'empêcher de sourire avec une visible satisfaction, mais ce
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sourire s'effaça bientôt, et revenant de lui-même à l'aventure de
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Meung:
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«Dites-moi, continua-t-il, ce gentilhomme n'avait-il pas une
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légère cicatrice à la tempe?
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-- Oui, comme le ferait l'éraflure d'une balle.
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-- N'était-ce pas un homme de belle mine?
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-- Oui.
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-- De haute taille?
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-- Oui.
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-- Pâle de teint et brun de poil?
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-- Oui, oui, c'est cela. Comment se fait-il, monsieur, que vous
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connaissiez cet homme? Ah! si jamais je le retrouve, et je le
|
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retrouverai, je vous le jure, fût-ce en enfer...
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-- Il attendait une femme? continua Tréville.
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-- Il est du moins parti après avoir causé un instant avec celle
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qu'il attendait.
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-- Vous ne savez pas quel était le sujet de leur conversation?
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-- Il lui remettait une boîte, lui disait que cette boîte
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contenait ses instructions, et lui recommandait de ne l'ouvrir
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qu'à Londres.
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-- Cette femme était anglaise?
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-- Il l'appelait Milady.
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-- C'est lui! murmura Tréville, c'est lui! je le croyais encore à
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Bruxelles!
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-- Oh! monsieur, si vous savez quel est cet homme, s'écria
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d'Artagnan, indiquez-moi qui il est et d'où il est, puis je vous
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tiens quitte de tout, même de votre promesse de me faire entrer
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dans les mousquetaires; car avant toute chose je veux me venger.
|
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-- Gardez-vous-en bien, jeune homme, s'écria Tréville; si vous le
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voyez venir, au contraire, d'un côté de la rue, passez de l'autre!
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Ne vous heurtez pas à un pareil rocher: il vous briserait comme un
|
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verre.
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-- Cela n'empêche pas, dit d'Artagnan, que si jamais je le
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retrouve...
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-- En attendant, reprit Tréville, ne le cherchez pas, si j'ai un
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conseil à vous donner.»
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Tout à coup Tréville s'arrêta, frappé d'un soupçon subit. Cette
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grande haine que manifestait si hautement le jeune voyageur pour
|
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cet homme, qui, chose assez peu vraisemblable, lui avait dérobé la
|
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lettre de son père, cette haine ne cachait-elle pas quelque
|
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perfidie? ce jeune homme n'était-il pas envoyé par Son Éminence?
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ne venait-il pas pour lui tendre quelque piège? ce prétendu
|
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d'Artagnan n'était-il pas un émissaire du cardinal qu'on cherchait
|
|
à introduire dans sa maison, et qu'on avait placé près de lui pour
|
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surprendre sa confiance et pour le perdre plus tard, comme cela
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s'était mille fois pratiqué? Il regarda d'Artagnan plus fixement
|
|
encore cette seconde fois que la première. Il fut médiocrement
|
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rassuré par l'aspect de cette physionomie pétillante d'esprit
|
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astucieux et d'humilité affectée.
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«Je sais bien qu'il est Gascon, pensa-t-il; mais il peut l'être
|
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aussi bien pour le cardinal que pour moi. Voyons, éprouvons-le.»
|
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|
«Mon ami, lui dit-il lentement, je veux, comme au fils de mon
|
|
ancien ami, car je tiens pour vraie l'histoire de cette lettre
|
|
perdue, je veux, dis-je, pour réparer la froideur que vous avez
|
|
d'abord remarquée dans mon accueil, vous découvrir les secrets de
|
|
notre politique. Le roi et le cardinal sont les meilleurs amis;
|
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leurs apparents démêlés ne sont que pour tromper les sots. Je ne
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prétends pas qu'un compatriote, un joli cavalier, un brave garçon,
|
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fait pour avancer, soit la dupe de toutes ces feintises et donne
|
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comme un niais dans le panneau, à la suite de tant d'autres qui
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s'y sont perdus. Songez bien que je suis dévoué à ces deux maîtres
|
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tout-puissants, et que jamais mes démarches sérieuses n'auront
|
|
d'autre but que le service du roi et celui de M. le cardinal, un
|
|
des plus illustres génies que la France ait produits. Maintenant,
|
|
jeune homme, réglez-vous là-dessus, et si vous avez, soit de
|
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famille, soit par relations, soit d'instinct même, quelqu'une de
|
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ces inimitiés contre le cardinal telles que nous les voyons
|
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éclater chez les gentilshommes, dites-moi adieu, et quittons-nous.
|
|
Je vous aiderai en mille circonstances, mais sans vous attacher à
|
|
ma personne. J'espère que ma franchise, en tout cas, vous fera mon
|
|
ami; car vous êtes jusqu'à présent le seul jeune homme à qui j'aie
|
|
parlé comme je le fais.»
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Tréville se disait à part lui:
|
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|
«Si le cardinal m'a dépêché ce jeune renard, il n'aura certes pas
|
|
manqué, lui qui sait à quel point je l'exècre, de dire à son
|
|
espion que le meilleur moyen de me faire la cour est de me dire
|
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pis que pendre de lui; aussi, malgré mes protestations, le rusé
|
|
compère va-t-il me répondre bien certainement qu'il a l'Éminence
|
|
en horreur.»
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|
|
|
Il en fut tout autrement que s'y attendait Tréville; d'Artagnan
|
|
répondit avec la plus grande simplicité:
|
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|
«Monsieur, j'arrive à Paris avec des intentions toutes semblables.
|
|
Mon père m'a recommandé de ne souffrir rien du roi, de M. le
|
|
cardinal et de vous, qu'il tient pour les trois premiers de
|
|
France.»
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|
|
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D'Artagnan ajoutait M. de Tréville aux deux autres, comme on peut
|
|
s'en apercevoir, mais il pensait que cette adjonction ne devait
|
|
rien gâter.
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|
«J'ai donc la plus grande vénération pour M. le cardinal,
|
|
continua-t-il, et le plus profond respect pour ses actes. Tant
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|
mieux pour moi, monsieur, si vous me parlez, comme vous le dites,
|
|
avec franchise; car alors vous me ferez l'honneur d'estimer cette
|
|
ressemblance de goût; mais si vous avez eu quelque défiance, bien
|
|
naturelle d'ailleurs, je sens que je me perds en disant la vérité;
|
|
mais, tant pis, vous ne laisserez pas que de m'estimer, et c'est à
|
|
quoi je tiens plus qu'à toute chose au monde.»
|
|
|
|
M. de Tréville fut surpris au dernier point. Tant de pénétration,
|
|
tant de franchise enfin, lui causait de l'admiration, mais ne
|
|
levait pas entièrement ses doutes: plus ce jeune homme était
|
|
supérieur aux autres jeunes gens, plus il était à redouter s'il se
|
|
trompait. Néanmoins il serra la main à d'Artagnan, et lui dit:
|
|
|
|
«Vous êtes un honnête garçon, mais dans ce moment je ne puis faire
|
|
que ce que je vous ai offert tout à l'heure. Mon hôtel vous sera
|
|
toujours ouvert. Plus tard, pouvant me demander à toute heure et
|
|
par conséquent saisir toutes les occasions, vous obtiendrez
|
|
probablement ce que vous désirez obtenir.
|
|
|
|
-- C'est-à-dire, monsieur, reprit d'Artagnan, que vous attendez
|
|
que je m'en sois rendu digne. Eh bien, soyez tranquille, ajouta-t-
|
|
il avec la familiarité du Gascon, vous n'attendrez pas longtemps.»
|
|
|
|
Et il salua pour se retirer, comme si désormais le reste le
|
|
regardait.
|
|
|
|
«Mais attendez donc, dit M. de Tréville en l'arrêtant, je vous ai
|
|
promis une lettre pour le directeur de l'académie. Êtes-vous trop
|
|
fier pour l'accepter, mon jeune gentilhomme?
|
|
|
|
-- Non, monsieur, dit d'Artagnan; je vous réponds qu'il n'en sera
|
|
pas de celle-ci comme de l'autre. Je la garderai si bien qu'elle
|
|
arrivera, je vous le jure, à son adresse, et malheur à celui qui
|
|
tenterait de me l'enlever!»
|
|
|
|
M. de Tréville sourit à cette fanfaronnade, et, laissant son jeune
|
|
compatriote dans l'embrasure de la fenêtre où ils se trouvaient et
|
|
où ils avaient causé ensemble, il alla s'asseoir à une table et se
|
|
mit à écrire la lettre de recommandation promise. Pendant ce
|
|
temps, d'Artagnan, qui n'avait rien de mieux à faire, se mit à
|
|
battre une marche contre les carreaux, regardant les mousquetaires
|
|
qui s'en allaient les uns après les autres, et les suivant du
|
|
regard jusqu'à ce qu'ils eussent disparu au tournant de la rue.
|
|
|
|
M. de Tréville, après avoir écrit la lettre, la cacheta et, se
|
|
levant, s'approcha du jeune homme pour la lui donner; mais au
|
|
moment même où d'Artagnan étendait la main pour la recevoir,
|
|
M. de Tréville fut bien étonné de voir son protégé faire un
|
|
soubresaut, rougir de colère et s'élancer hors du cabinet en
|
|
criant:
|
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|
«Ah! sangdieu! il ne m'échappera pas, cette fois.
|
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|
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-- Et qui cela? demanda M. de Tréville.
|
|
|
|
-- Lui, mon voleur! répondit d'Artagnan. Ah! traître!»
|
|
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|
Et il disparut.
|
|
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|
«Diable de fou! murmura M. de Tréville. À moins toutefois, ajouta-
|
|
t-il, que ce ne soit une manière adroite de s'esquiver, en voyant
|
|
qu'il a manqué son coup.»
|
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|
CHAPITRE IV
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|
L'ÉPAULE D'ATHOS, LE BAUDRIER DE PORTHOS ET LE MOUCHOIR D'ARAMIS
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D'Artagnan, furieux, avait traversé l'antichambre en trois bonds
|
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et s'élançait sur l'escalier, dont il comptait descendre les
|
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degrés quatre à quatre, lorsque, emporté par sa course, il alla
|
|
donner tête baissée dans un mousquetaire qui sortait de chez
|
|
M. de Tréville par une porte de dégagement, et, le heurtant du
|
|
front à l'épaule, lui fit pousser un cri ou plutôt un hurlement.
|
|
|
|
«Excusez-moi, dit d'Artagnan, essayant de reprendre sa course,
|
|
excusez-moi, mais je suis pressé.»
|
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|
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À peine avait-il descendu le premier escalier, qu'un poignet de
|
|
fer le saisit par son écharpe et l'arrêta.
|
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|
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«Vous êtes pressé! s'écria le mousquetaire, pâle comme un linceul;
|
|
sous ce prétexte, vous me heurtez, vous dites: "Excusez-moi", et
|
|
vous croyez que cela suffit? Pas tout à fait, mon jeune homme.
|
|
Croyez-vous, parce que vous avez entendu M. de Tréville nous
|
|
parler un peu cavalièrement aujourd'hui, que l'on peut nous
|
|
traiter comme il nous parle? Détrompez-vous, compagnon, vous
|
|
n'êtes pas M. de Tréville, vous.
|
|
|
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-- Ma foi, répliqua d'Artagnan, qui reconnut Athos, lequel, après
|
|
le pansement opéré par le docteur, regagnait son appartement, ma
|
|
foi, je ne l'ai pas fait exprès, j'ai dit: "Excusez-moi." Il me
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|
semble donc que c'est assez. Je vous répète cependant, et cette
|
|
fois c'est trop peut-être, parole d'honneur! je suis pressé, très
|
|
pressé. Lâchez-moi donc, je vous prie, et laissez-moi aller où
|
|
j'ai affaire.
|
|
|
|
-- Monsieur, dit Athos en le lâchant, vous n'êtes pas poli. On
|
|
voit que vous venez de loin.»
|
|
|
|
D'Artagnan avait déjà enjambé trois ou quatre degrés, mais à la
|
|
remarque d'Athos il s'arrêta court.
|
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«Morbleu, monsieur! dit-il, de si loin que je vienne, ce n'est pas
|
|
vous qui me donnerez une leçon de belles manières, je vous
|
|
préviens.
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-- Peut-être, dit Athos.
|
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-- Ah! si je n'étais pas si pressé, s'écria d'Artagnan, et si je
|
|
ne courais pas après quelqu'un...
|
|
|
|
-- Monsieur l'homme pressé, vous me trouverez sans courir, moi,
|
|
entendez-vous?
|
|
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|
-- Et où cela, s'il vous plaît?
|
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|
-- Près des Carmes-Deschaux.
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|
-- À quelle heure?
|
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-- Vers midi.
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|
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-- Vers midi, c'est bien, j'y serai.
|
|
|
|
-- Tâchez de ne pas me faire attendre, car à midi un quart je vous
|
|
préviens que c'est moi qui courrai après vous et vous couperai les
|
|
oreilles à la course.
|
|
|
|
-- Bon! lui cria d'Artagnan; on y sera à midi moins dix minutes.»
|
|
|
|
Et il se mit à courir comme si le diable l'emportait, espérant
|
|
retrouver encore son inconnu, que son pas tranquille ne devait pas
|
|
avoir conduit bien loin.
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|
|
|
Mais, à la porte de la rue, causait Porthos avec un soldat aux
|
|
gardes. Entre les deux causeurs, il y avait juste l'espace d'un
|
|
homme. D'Artagnan crut que cet espace lui suffirait, et il
|
|
s'élança pour passer comme une flèche entre eux deux. Mais
|
|
d'Artagnan avait compté sans le vent. Comme il allait passer, le
|
|
vent s'engouffra dans le long manteau de Porthos, et d'Artagnan
|
|
vint donner droit dans le manteau. Sans doute, Porthos avait des
|
|
raisons de ne pas abandonner cette partie essentielle de son
|
|
vêtement car, au lieu de laisser aller le pan qu'il tenait, il
|
|
tira à lui, de sorte que d'Artagnan s'enroula dans le velours par
|
|
un mouvement de rotation qu'explique la résistance de l'obstiné
|
|
Porthos.
|
|
|
|
D'Artagnan, entendant jurer le mousquetaire, voulut sortir de
|
|
dessous le manteau qui l'aveuglait, et chercha son chemin dans le
|
|
pli. Il redoutait surtout d'avoir porté atteinte à la fraîcheur du
|
|
magnifique baudrier que nous connaissons; mais, en ouvrant
|
|
timidement les yeux, il se trouva le nez collé entre les deux
|
|
épaules de Porthos c'est-à-dire précisément sur le baudrier.
|
|
|
|
Hélas! comme la plupart des choses de ce monde qui n'ont pour
|
|
elles que l'apparence, le baudrier était d'or par-devant et de
|
|
simple buffle par-derrière. Porthos, en vrai glorieux qu'il était,
|
|
ne pouvant avoir un baudrier d'or tout entier, en avait au moins
|
|
la moitié: on comprenait dès lors la nécessité du rhume et
|
|
l'urgence du manteau.
|
|
|
|
«Vertubleu! cria Porthos faisant tous ses efforts pour se
|
|
débarrasser de d'Artagnan qui lui grouillait dans le dos, vous
|
|
êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens!
|
|
|
|
-- Excusez-moi, dit d'Artagnan reparaissant sous l'épaule du
|
|
géant, mais je suis très pressé, je cours après quelqu'un, et...
|
|
|
|
-- Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez, par hasard?
|
|
demanda Porthos.
|
|
|
|
-- Non, répondit d'Artagnan piqué, non, et grâce à mes yeux je
|
|
vois même ce que ne voient pas les autres.»
|
|
|
|
Porthos comprit ou ne comprit pas, toujours est-il que, se
|
|
laissant aller à sa colère:
|
|
|
|
«Monsieur, dit-il, vous vous ferez étriller, je vous en préviens,
|
|
si vous vous frottez ainsi aux mousquetaires.
|
|
|
|
-- Étriller, monsieur! dit d'Artagnan, le mot est dur.
|
|
|
|
-- C'est celui qui convient à un homme habitué à regarder en face
|
|
ses ennemis.
|
|
|
|
-- Ah! pardieu! je sais bien que vous ne tournez pas le dos aux
|
|
vôtres, vous.»
|
|
|
|
Et le jeune homme, enchanté de son espièglerie, s'éloigna en riant
|
|
à gorge déployée.
|
|
|
|
Porthos écuma de rage et fit un mouvement pour se précipiter sur
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
«Plus tard, plus tard, lui cria celui-ci, quand vous n'aurez plus
|
|
votre manteau.
|
|
|
|
-- À une heure donc, derrière le Luxembourg.
|
|
|
|
-- Très bien, à une heure», répondit d'Artagnan en tournant
|
|
l'angle de la rue.
|
|
|
|
Mais ni dans la rue qu'il venait de parcourir, ni dans celle qu'il
|
|
embrassait maintenant du regard, il ne vit personne. Si doucement
|
|
qu'eût marché l'inconnu, il avait gagné du chemin; peut-être aussi
|
|
était-il entré dans quelque maison. D'Artagnan s'informa de lui à
|
|
tous ceux qu'il rencontra, descendit jusqu'au bac, remonta par la
|
|
rue de Seine et la Croix-Rouge; mais rien, absolument rien.
|
|
Cependant cette course lui fut profitable en ce sens qu'à mesure
|
|
que la sueur inondait son front, son coeur se refroidissait.
|
|
|
|
Il se mit alors à réfléchir sur les événements qui venaient de se
|
|
passer; ils étaient nombreux et néfastes: il était onze heures du
|
|
matin à peine, et déjà la matinée lui avait apporté la disgrâce de
|
|
M. de Tréville, qui ne pouvait manquer de trouver un peu cavalière
|
|
la façon dont d'Artagnan l'avait quitté.
|
|
|
|
En outre, il avait ramassé deux bons duels avec deux hommes
|
|
capables de tuer chacun trois d'Artagnan, avec deux mousquetaires
|
|
enfin, c'est-à-dire avec deux de ces êtres qu'il estimait si fort
|
|
qu'il les mettait, dans sa pensée et dans son coeur, au-dessus de
|
|
tous les autres hommes.
|
|
|
|
La conjecture était triste. Sûr d'être tué par Athos, on comprend
|
|
que le jeune homme ne s'inquiétait pas beaucoup de Porthos.
|
|
Pourtant, comme l'espérance est la dernière chose qui s'éteint
|
|
dans le coeur de l'homme, il en arriva à espérer qu'il pourrait
|
|
survivre, avec des blessures terribles, bien entendu, à ces deux
|
|
duels, et, en cas de survivance, il se fit pour l'avenir les
|
|
réprimandes suivantes:
|
|
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«Quel écervelé je fais, et quel butor je suis! Ce brave et
|
|
malheureux Athos était blessé juste à l'épaule contre laquelle je
|
|
m'en vais, moi, donner de la tête comme un bélier. La seule chose
|
|
qui m'étonne, c'est qu'il ne m'ait pas tué roide; il en avait le
|
|
droit, et la douleur que je lui ai causée a dû être atroce. Quant
|
|
à Porthos! Oh! quant à Porthos, ma foi, c'est plus drôle.»
|
|
|
|
Et malgré lui le jeune homme se mit à rire, tout en regardant
|
|
néanmoins si ce rire isolé, et sans cause aux yeux de ceux qui le
|
|
voyaient rire, n'allait pas blesser quelque passant.
|
|
|
|
«Quant à Porthos, c'est plus drôle; mais je n'en suis pas moins un
|
|
misérable étourdi. Se jette-t-on ainsi sur les gens sans dire
|
|
gare! non! et va-t-on leur regarder sous le manteau pour y voir ce
|
|
qui n'y est pas! Il m'eût pardonné bien certainement; il m'eût
|
|
pardonné si je n'eusse pas été lui parler de ce maudit baudrier, à
|
|
mots couverts, c'est vrai; oui, couverts joliment! Ah! maudit
|
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Gascon que je suis, je ferais de l'esprit dans la poêle à frire.
|
|
Allons, d'Artagnan mon ami, continua-t-il, se parlant à lui-même
|
|
avec toute l'aménité qu'il croyait se devoir, si tu en réchappes,
|
|
ce qui n'est pas probable, il s'agit d'être à l'avenir d'une
|
|
politesse parfaite. Désormais il faut qu'on t'admire, qu'on te
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cite comme modèle. Être prévenant et poli, ce n'est pas être
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lâche. Regardez plutôt Aramis: Aramis, c'est la douceur, c'est la
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grâce en personne. Eh bien, personne s'est-il jamais avisé de dire
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qu'Aramis était un lâche? Non, bien certainement, et désormais je
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veux en tout point me modeler sur lui. Ah! justement le voici.»
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D'Artagnan, tout en marchant et en monologuant, était arrivé à
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quelques pas de l'hôtel d'Aiguillon, et devant cet hôtel il avait
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aperçu Aramis causant gaiement avec trois gentilshommes des gardes
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du roi. De son côté, Aramis aperçut d'Artagnan; mais comme il
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n'oubliait point que c'était devant ce jeune homme que
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M. de Tréville s'était si fort emporté le matin, et qu'un témoin
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des reproches que les mousquetaires avaient reçus ne lui était
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d'aucune façon agréable, il fit semblant de ne pas le voir.
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D'Artagnan, tout entier au contraire à ses plans de conciliation
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et de courtoisie, s'approcha des quatre jeunes gens en leur
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faisant un grand salut accompagné du plus gracieux sourire. Aramis
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inclina légèrement la tête, mais ne sourit point. Tous quatre, au
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reste, interrompirent à l'instant même leur conversation.
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D'Artagnan n'était pas assez niais pour ne point s'apercevoir
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qu'il était de trop; mais il n'était pas encore assez rompu aux
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façons du beau monde pour se tirer galamment d'une situation
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fausse comme l'est, en général, celle d'un homme qui est venu se
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mêler à des gens qu'il connaît à peine et à une conversation qui
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ne le regarde pas. Il cherchait donc en lui-même un moyen de faire
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sa retraite le moins gauchement possible, lorsqu'il remarqua
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qu'Aramis avait laissé tomber son mouchoir et, par mégarde sans
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doute, avait mis le pied dessus; le moment lui parut arrivé de
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réparer son inconvenance: il se baissa, et de l'air le plus
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gracieux qu'il pût trouver, il tira le mouchoir de dessous le pied
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du mousquetaire, quelques efforts que celui-ci fît pour le
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retenir, et lui dit en le lui remettant:
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«Je crois, monsieur que voici un mouchoir que vous seriez fâché de
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perdre.»
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Le mouchoir était en effet richement brodé et portait une couronne
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et des armes à l'un de ses coins. Aramis rougit excessivement et
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arracha plutôt qu'il ne prit le mouchoir des mains du Gascon.
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«Ah! Ah! s'écria un des gardes, diras-tu encore, discret Aramis,
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que tu es mal avec Mme de Bois-Tracy, quand cette gracieuse dame a
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l'obligeance de te prêter ses mouchoirs?»
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Aramis lança à d'Artagnan un de ces regards qui font comprendre à
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un homme qu'il vient de s'acquérir un ennemi mortel; puis,
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reprenant son air doucereux:
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«Vous vous trompez, messieurs, dit-il, ce mouchoir n'est pas à
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moi, et je ne sais pourquoi monsieur a eu la fantaisie de me le
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remettre plutôt qu'à l'un de vous, et la preuve de ce que je dis,
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c'est que voici le mien dans ma poche.»
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À ces mots, il tira son propre mouchoir, mouchoir fort élégant
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aussi, et de fine batiste, quoique la batiste fût chère à cette
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époque, mais mouchoir sans broderie, sans armes et orné d'un seul
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chiffre, celui de son propriétaire.
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Cette fois, d'Artagnan ne souffla pas mot, il avait reconnu sa
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bévue; mais les amis d'Aramis ne se laissèrent pas convaincre par
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ses dénégations, et l'un d'eux, s'adressant au jeune mousquetaire
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avec un sérieux affecté:
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«Si cela était, dit-il, ainsi que tu le prétends, je serais forcé,
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mon cher Aramis, de te le redemander; car, comme tu le sais, Bois-
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Tracy est de mes intimes, et je ne veux pas qu'on fasse trophée
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des effets de sa femme.
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-- Tu demandes cela mal, répondit Aramis, et tout en reconnaissant
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la justesse de ta réclamation quant au fond, je refuserais à cause
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de la forme.
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-- Le fait est, hasarda timidement d'Artagnan, que je n'ai pas vu
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sortir le mouchoir de la poche de M. Aramis. Il avait le pied
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dessus, voilà tout, et j'ai pensé que, puisqu'il avait le pied
|
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dessus, le mouchoir était à lui.
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-- Et vous vous êtes trompé, mon cher monsieur», répondit
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froidement Aramis, peu sensible à la réparation.
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Puis, se retournant vers celui des gardes qui s'était déclaré
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l'ami de Bois-Tracy:
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«D'ailleurs, continua-t-il, je réfléchis, mon cher intime de Bois-
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Tracy, que je suis son ami non moins tendre que tu peux l'être
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toi-même; de sorte qu'à la rigueur ce mouchoir peut aussi bien
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être sorti de ta poche que de la mienne.
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-- Non, sur mon honneur! s'écria le garde de Sa Majesté.
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-- Tu vas jurer sur ton honneur et moi sur ma parole et alors il y
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aura évidemment un de nous deux qui mentira. Tiens, faisons mieux,
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Montaran, prenons-en chacun la moitié.
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-- Du mouchoir?
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-- Oui.
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-- Parfaitement, s'écrièrent les deux autres gardes, le jugement
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du roi Salomon. Décidément, Aramis, tu es plein de sagesse.»
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Les jeunes gens éclatèrent de rire, et comme on le pense bien,
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l'affaire n'eut pas d'autre suite. Au bout d'un instant, la
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conversation cessa, et les trois gardes et le mousquetaire, après
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s'être cordialement serré la main, tirèrent, les trois gardes de
|
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leur côté et Aramis du sien.
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«Voilà le moment de faire ma paix avec ce galant homme», se dit à
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part lui d'Artagnan, qui s'était tenu un peu à l'écart pendant
|
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toute la dernière partie de cette conversation. Et, sur ce bon
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sentiment, se rapprochant d'Aramis, qui s'éloignait sans faire
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autrement attention à lui:
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«Monsieur, lui dit-il, vous m'excuserez, je l'espère.
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-- Ah! monsieur, interrompit Aramis, permettez-moi de vous faire
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observer que vous n'avez point agi en cette circonstance comme un
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galant homme le devait faire.
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-- Quoi, monsieur! s'écria d'Artagnan, vous supposez...
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-- Je suppose, monsieur, que vous n'êtes pas un sot, et que vous
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savez bien, quoique arrivant de Gascogne, qu'on ne marche pas sans
|
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cause sur les mouchoirs de poche. Que diable! Paris n'est point
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pavé en batiste.
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-- Monsieur, vous avez tort de chercher à m'humilier, dit
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d'Artagnan, chez qui le naturel querelleur commençait à parler
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plus haut que les résolutions pacifiques. Je suis de Gascogne,
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c'est vrai, et puisque vous le savez, je n'aurai pas besoin de
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vous dire que les Gascons sont peu endurants; de sorte que,
|
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lorsqu'ils se sont excusés une fois, fût-ce d'une sottise, ils
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sont convaincus qu'ils ont déjà fait moitié plus qu'ils ne
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devaient faire.
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-- Monsieur, ce que je vous en dis, répondit Aramis, n'est point
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pour vous chercher une querelle. Dieu merci! je ne suis pas un
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spadassin, et n'étant mousquetaire que par intérim, je ne me bats
|
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que lorsque j'y suis forcé, et toujours avec une grande
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répugnance; mais cette fois l'affaire est grave, car voici une
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dame compromise par vous.
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-- Par nous, c'est-à-dire, s'écria d'Artagnan.
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-- Pourquoi avez-vous eu la maladresse de me rendre le mouchoir?
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-- Pourquoi avez-vous eu celle de le laisser tomber?
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-- J'ai dit et je répète, monsieur, que ce mouchoir n'est point
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sorti de ma poche.
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-- Eh bien, vous en avez menti deux fois, monsieur, car je l'en ai
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vu sortir, moi!
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-- Ah! vous le prenez sur ce ton, monsieur le Gascon! eh bien, je
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vous apprendrai à vivre.
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-- Et moi je vous renverrai à votre messe, monsieur l'abbé!
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Dégainez, s'il vous plaît, et à l'instant même.
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-- Non pas, s'il vous plaît, mon bel ami; non, pas ici, du moins.
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Ne voyez-vous pas que nous sommes en face de l'hôtel d'Aiguillon,
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lequel est plein de créatures du cardinal? Qui me dit que ce n'est
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pas Son Éminence qui vous a chargé de lui procurer ma tête? Or j'y
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tiens ridiculement, à ma tête, attendu qu'elle me semble aller
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assez correctement à mes épaules. Je veux donc vous tuer, soyez
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tranquille, mais vous tuer tout doucement, dans un endroit clos et
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couvert, là où vous ne puissiez vous vanter de votre mort à
|
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personne.
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-- Je le veux bien, mais ne vous y fiez pas, et emportez votre
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mouchoir, qu'il vous appartienne ou non; peut-être aurez-vous
|
|
l'occasion de vous en servir.
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-- Monsieur est Gascon? demanda Aramis.
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-- Oui. Monsieur ne remet pas un rendez-vous par prudence?
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-- La prudence, monsieur, est une vertu assez inutile aux
|
|
mousquetaires, je le sais, mais indispensable aux gens d'Église,
|
|
et comme je ne suis mousquetaire que provisoirement, je tiens à
|
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rester prudent. À deux heures, j'aurai l'honneur de vous attendre
|
|
à l'hôtel de M. de Tréville. Là je vous indiquerai les bons
|
|
endroits.»
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Les deux jeunes gens se saluèrent, puis Aramis s'éloigna en
|
|
remontant la rue qui remontait au Luxembourg, tandis que
|
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d'Artagnan, voyant que l'heure s'avançait, prenait le chemin des
|
|
Carmes-Deschaux, tout en disant à part soi:
|
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«Décidément, je n'en puis pas revenir; mais au moins, si je suis
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tué, je serai tué par un mousquetaire.»
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CHAPITRE V
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LES MOUSQUETAIRES DU ROI ET LES GARDES DE M. LE CARDINAL
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D'Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au
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rendez-vous d'Athos sans amener de second, résolu de se contenter
|
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de ceux qu'aurait choisis son adversaire. D'ailleurs son intention
|
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était formelle de faire au brave mousquetaire toutes les excuses
|
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convenables, mais sans faiblesse, craignant qu'il ne résultât de
|
|
ce duel ce qui résulte toujours de fâcheux, dans une affaire de ce
|
|
genre, quand un homme jeune et vigoureux se bat contre un
|
|
adversaire blessé et affaibli: vaincu, il double le triomphe de
|
|
son antagoniste; vainqueur, il est accusé de forfaiture et de
|
|
facile audace.
|
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|
Au reste, ou nous avons mal exposé le caractère de notre chercheur
|
|
d'aventures, ou notre lecteur a déjà dû remarquer que d'Artagnan
|
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n'était point un homme ordinaire. Aussi, tout en se répétant à
|
|
lui-même que sa mort était inévitable, il ne se résigna point à
|
|
mourir tout doucettement, comme un autre moins courageux et moins
|
|
modéré que lui eût fait à sa place. Il réfléchit aux différents
|
|
caractères de ceux avec lesquels il allait se battre, et commença
|
|
à voir plus clair dans sa situation. Il espérait, grâce aux
|
|
excuses loyales qu'il lui réservait, se faire un ami d'Athos, dont
|
|
l'air grand seigneur et la mine austère lui agréaient fort. Il se
|
|
flattait de faire peur à Porthos avec l'aventure du baudrier,
|
|
qu'il pouvait, s'il n'était pas tué sur le coup, raconter à tout
|
|
le monde, récit qui, poussé adroitement à l'effet, devait couvrir
|
|
Porthos de ridicule; enfin, quant au sournois Aramis, il n'en
|
|
avait pas très grand-peur, et en supposant qu'il arrivât jusqu'à
|
|
lui, il se chargeait de l'expédier bel et bien, ou du moins en le
|
|
frappant au visage, comme César avait recommandé de faire aux
|
|
soldats de Pompée, d'endommager à tout jamais cette beauté dont il
|
|
était si fier.
|
|
|
|
Ensuite il y avait chez d'Artagnan ce fonds inébranlable de
|
|
résolution qu'avaient déposé dans son coeur les conseils de son
|
|
père, conseils dont la substance était: «Ne rien souffrir de
|
|
personne que du roi, du cardinal et de M. de Tréville.» Il vola
|
|
donc plutôt qu'il ne marcha vers le couvent des Carmes Déchaussés,
|
|
ou plutôt Deschaux, comme on disait à cette époque, sorte de
|
|
bâtiment sans fenêtres, bordé de prés arides, succursale du Pré-
|
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aux-Clercs, et qui servait d'ordinaire aux rencontres des gens qui
|
|
n'avaient pas de temps à perdre.
|
|
|
|
Lorsque d'Artagnan arriva en vue du petit terrain vague qui
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|
s'étendait au pied de ce monastère, Athos attendait depuis cinq
|
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minutes seulement, et midi sonnait. Il était donc ponctuel comme
|
|
la Samaritaine, et le plus rigoureux casuiste à l'égard des duels
|
|
n'avait rien a dire.
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Athos, qui souffrait toujours cruellement de sa blessure,
|
|
quoiqu'elle eût été pansée à neuf par le chirurgien de
|
|
M. de Tréville, s'était assis sur une borne et attendait son
|
|
adversaire avec cette contenance paisible et cet air digne qui ne
|
|
l'abandonnaient jamais. À l'aspect de d'Artagnan, il se leva et
|
|
fit poliment quelques pas au-devant de lui. Celui-ci, de son côté,
|
|
n'aborda son adversaire que le chapeau à la main et sa plume
|
|
traînant jusqu'à terre.
|
|
|
|
«Monsieur, dit Athos, j'ai fait prévenir deux de mes amis qui me
|
|
serviront de seconds, mais ces deux amis ne sont point encore
|
|
arrivés. Je m'étonne qu'ils tardent: ce n'est pas leur habitude.
|
|
|
|
-- Je n'ai pas de seconds, moi, monsieur, dit d'Artagnan, car
|
|
arrivé d'hier seulement à Paris, je n'y connais encore personne
|
|
que M. de Tréville, auquel j'ai été recommandé par mon père qui a
|
|
l'honneur d'être quelque peu de ses amis.»
|
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|
|
Athos réfléchit un instant.
|
|
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|
«Vous ne connaissez que M. de Tréville? demanda-t-il.
|
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|
-- Oui, monsieur, je ne connais que lui.
|
|
|
|
-- Ah çà, mais..., continua Athos parlant moitié à lui-même,
|
|
moitié à d'Artagnan, ah... çà, mais si je vous tue, j'aurai l'air
|
|
d'un mangeur d'enfants, moi!
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|
-- Pas trop, monsieur, répondit d'Artagnan avec un salut qui ne
|
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manquait pas de dignité; pas trop, puisque vous me faites
|
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l'honneur de tirer l'épée contre moi avec une blessure dont vous
|
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devez être fort incommodé.
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|
-- Très incommodé, sur ma parole, et vous m'avez fait un mal du
|
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diable, je dois le dire; mais je prendrai la main gauche, c'est
|
|
mon habitude en pareille circonstance. Ne croyez donc pas que je
|
|
vous fasse une grâce, je tire proprement des deux mains; et il y
|
|
aura même désavantage pour vous: un gaucher est très gênant pour
|
|
les gens qui ne sont pas prévenus. Je regrette de ne pas vous
|
|
avoir fait part plus tôt de cette circonstance.
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|
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|
-- Vous êtes vraiment, monsieur, dit d'Artagnan en s'inclinant de
|
|
nouveau, d'une courtoisie dont je vous suis on ne peut plus
|
|
reconnaissant.
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-- Vous me rendez confus, répondit Athos avec son air de
|
|
gentilhomme; causons donc d'autre chose, je vous prie, à moins que
|
|
cela ne vous soit désagréable. Ah! sangbleu! que vous m'avez fait
|
|
mal! l'épaule me brûle.
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|
-- Si vous vouliez permettre..., dit d'Artagnan avec timidité.
|
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|
-- Quoi, monsieur?
|
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|
-- J'ai un baume miraculeux pour les blessures, un baume qui me
|
|
vient de ma mère, et dont j'ai fait l'épreuve sur moi-même.
|
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|
|
-- Eh bien?
|
|
|
|
-- Eh bien, je suis sûr qu'en moins de trois jours ce baume vous
|
|
guérirait, et au bout de trois jours, quand vous seriez guéri: eh
|
|
bien, monsieur, ce me serait toujours un grand honneur d'être
|
|
votre homme.»
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|
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|
D'Artagnan dit ces mots avec une simplicité qui faisait honneur à
|
|
sa courtoisie, sans porter aucunement atteinte à son courage.
|
|
|
|
«Pardieu, monsieur, dit Athos, voici une proposition qui me plaît,
|
|
non pas que je l'accepte, mais elle sent son gentilhomme d'une
|
|
lieue. C'est ainsi que parlaient et faisaient ces preux du temps
|
|
de Charlemagne, sur lesquels tout cavalier doit chercher à se
|
|
modeler. Malheureusement, nous ne sommes plus au temps du grand
|
|
empereur. Nous sommes au temps de M. le cardinal, et d'ici à trois
|
|
jours on saurait, si bien gardé que soit le secret, on saurait,
|
|
dis-je, que nous devons nous battre, et l'on s'opposerait à notre
|
|
combat. Ah çà, mais! ces flâneurs ne viendront donc pas?
|
|
|
|
-- Si vous êtes pressé, monsieur, dit d'Artagnan à Athos avec la
|
|
même simplicité qu'un instant auparavant il lui avait proposé de
|
|
remettre le duel à trois jours, si vous êtes pressé et qu'il vous
|
|
plaise de m'expédier tout de suite, ne vous gênez pas, je vous en
|
|
prie.
|
|
|
|
-- Voilà encore un mot qui me plaît, dit Athos en faisant un
|
|
gracieux signe de tête à d'Artagnan, il n'est point d'un homme
|
|
sans cervelle, et il est à coup sûr d'un homme de coeur. Monsieur,
|
|
j'aime les hommes de votre trempe, et je vois que si nous ne nous
|
|
tuons pas l'un l'autre, j'aurai plus tard un vrai plaisir dans
|
|
votre conversation. Attendons ces messieurs, je vous prie, j'ai
|
|
tout le temps, et cela sera plus correct. Ah! en voici un, je
|
|
crois.»
|
|
|
|
En effet, au bout de la rue de Vaugirard commençait à apparaître
|
|
le gigantesque Porthos.
|
|
|
|
«Quoi! s'écria d'Artagnan, votre premier témoin est M. Porthos?
|
|
|
|
-- Oui, cela vous contrarie-t-il?
|
|
|
|
-- Non, aucunement.
|
|
|
|
-- Et voici le second.»
|
|
|
|
D'Artagnan se retourna du côté indiqué par Athos, et reconnut
|
|
Aramis.
|
|
|
|
«Quoi! s'écria-t-il d'un accent plus étonné que la première fois,
|
|
votre second témoin est M. Aramis?
|
|
|
|
-- Sans doute, ne savez-vous pas qu'on ne nous voit jamais l'un
|
|
sans l'autre, et qu'on nous appelle, dans les mousquetaires et
|
|
dans les gardes, à la cour et à la ville, Athos, Porthos et Aramis
|
|
ou les trois inséparables? Après cela, comme vous arrivez de Dax
|
|
ou de Pau...
|
|
|
|
-- De Tarbes, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
--... Il vous est permis d'ignorer ce détail, dit Athos.
|
|
|
|
-- Ma foi, dit d'Artagnan, vous êtes bien nommés, messieurs, et
|
|
mon aventure, si elle fait quelque bruit, prouvera du moins que
|
|
votre union n'est point fondée sur les contrastes.»
|
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|
|
Pendant ce temps, Porthos s'était rapproché, avait salué de la
|
|
main Athos; puis, se retournant vers d'Artagnan, il était resté
|
|
tout étonné.
|
|
|
|
Disons, en passant, qu'il avait changé de baudrier et quitté son
|
|
manteau.
|
|
|
|
«Ah! ah! fit-il, qu'est-ce que cela?
|
|
|
|
-- C'est avec monsieur que je me bats, dit Athos en montrant de la
|
|
main d'Artagnan, et en le saluant du même geste.
|
|
|
|
-- C'est avec lui que je me bats aussi, dit Porthos.
|
|
|
|
-- Mais à une heure seulement, répondit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Et moi aussi, c'est avec monsieur que je me bats, dit Aramis en
|
|
arrivant à son tour sur le terrain.
|
|
|
|
-- Mais à deux heures seulement, fit d'Artagnan avec le même
|
|
calme.
|
|
|
|
-- Mais à propos de quoi te bats-tu, toi, Athos? demanda Aramis.
|
|
|
|
-- Ma foi, je ne sais pas trop, il m'a fait mal à l'épaule; et
|
|
toi, Porthos?
|
|
|
|
-- Ma foi, je me bats parce que je me bats», répondit Porthos en
|
|
rougissant.
|
|
|
|
Athos, qui ne perdait rien, vit passer un fin sourire sur les
|
|
lèvres du Gascon.
|
|
|
|
«Nous avons eu une discussion sur la toilette, dit le jeune homme.
|
|
|
|
-- Et toi, Aramis? demanda Athos.
|
|
|
|
-- Moi, je me bats pour cause de théologie», répondit Aramis tout
|
|
en faisant signe à d'Artagnan qu'il le priait de tenir secrète la
|
|
cause de son duel.
|
|
|
|
Athos vit passer un second sourire sur les lèvres de d'Artagnan.
|
|
|
|
«Vraiment, dit Athos.
|
|
|
|
-- Oui, un point de saint Augustin sur lequel nous ne sommes pas
|
|
d'accord, dit le Gascon.
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|
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|
-- Décidément c'est un homme d'esprit, murmura Athos.
|
|
|
|
-- Et maintenant que vous êtes rassemblés, messieurs, dit
|
|
d'Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses.»
|
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|
À ce mot d'excuses, un nuage passa sur le front d'Athos, un
|
|
sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe
|
|
négatif fut la réponse d'Aramis.
|
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|
«Vous ne me comprenez pas, messieurs, dit d'Artagnan en relevant
|
|
sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil qui
|
|
en dorait les lignes fines et hardies: je vous demande excuse dans
|
|
le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car
|
|
M. Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de
|
|
sa valeur à votre créance, monsieur Porthos, et ce qui rend la
|
|
vôtre à peu près nulle, monsieur Aramis. Et maintenant, messieurs,
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je vous le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en
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garde!»
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À ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir,
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d'Artagnan tira son épée.
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Le sang était monté à la tête de d'Artagnan, et dans ce moment il
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eût tiré son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme
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il venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.
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Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith et
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l'emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait
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exposé à toute son ardeur.
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«Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et
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cependant je ne saurais ôter mon pourpoint; car, tout à l'heure
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encore, j'ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de
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gêner monsieur en lui montrant du sang qu'il ne m'aurait pas tiré
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lui-même.
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-- C'est vrai, monsieur, dit d'Artagnan, et tiré par un autre ou
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par moi, je vous assure que je verrai toujours avec bien du regret
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le sang d'un aussi brave gentilhomme; je me battrai donc en
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pourpoint comme vous.
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-- Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela,
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et songez que nous attendons notre tour.
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-- Parlez pour vous seul, Porthos, quand vous aurez à dire de
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pareilles incongruités, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve
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les choses que ces messieurs se disent fort bien dites et tout à
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fait dignes de deux gentilshommes.
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-- Quand vous voudrez, monsieur, dit Athos en se mettant en garde.
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-- J'attendais vos ordres», dit d'Artagnan en croisant le fer.
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Mais les deux rapières avaient à peine résonné en se touchant,
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qu'une escouade des gardes de Son Éminence, commandée par
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M. de Jussac, se montra à l'angle du couvent.
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«Les gardes du cardinal! s'écrièrent à la fois Porthos et Aramis.
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L'épée au fourreau, messieurs! l'épée au fourreau!
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Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans
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une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.
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«Holà! cria Jussac en s'avançant vers eux et en faisant signe à
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ses hommes d'en faire autant, holà! mousquetaires, on se bat donc
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ici? Et les édits, qu'en faisons-nous?
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-- Vous êtes bien généreux, messieurs les gardes, dit Athos plein
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de rancune, car Jussac était l'un des agresseurs de l'avant-
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veille. Si nous vous voyions battre, je vous réponds, moi, que
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nous nous garderions bien de vous en empêcher. Laissez-nous donc
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faire, et vous allez avoir du plaisir sans prendre aucune peine.
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-- Messieurs, dit Jussac, c'est avec grand regret que je vous
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déclare que la chose est impossible. Notre devoir avant tout.
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Rengainez donc, s'il vous plaît, et nous suivez.
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-- Monsieur, dit Aramis parodiant Jussac, ce serait avec un grand
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plaisir que nous obéirions à votre gracieuse invitation, si cela
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dépendait de nous; mais malheureusement la chose est impossible:
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M. de Tréville nous l'a défendu. Passez donc votre chemin, c'est
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ce que vous avez de mieux à faire.»
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Cette raillerie exaspéra Jussac.
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«Nous vous chargerons donc, dit-il, si vous désobéissez.
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-- Ils sont cinq, dit Athos à demi-voix, et nous ne sommes que
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trois; nous serons encore battus, et il nous faudra mourir ici,
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car je le déclare, je ne reparais pas vaincu devant le capitaine.»
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Alors Porthos et Aramis se rapprochèrent à l'instant les uns des
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autres, pendant que Jussac alignait ses soldats.
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Ce seul moment suffit à d'Artagnan pour prendre son parti: c'était
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là un de ces événements qui décident de la vie d'un homme, c'était
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un choix à faire entre le roi et le cardinal; ce choix fait, il
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allait y persévérer. Se battre, c'est-à-dire désobéir à la loi,
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c'est-à-dire risquer sa tête, c'est-à-dire se faire d'un seul coup
|
|
l'ennemi d'un ministre plus puissant que le roi lui-même: voilà ce
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qu'entrevit le jeune homme, et, disons-le à sa louange, il
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n'hésita point une seconde. Se tournant donc vers Athos et ses
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amis:
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«Messieurs, dit-il, je reprendrai, s'il vous plaît, quelque chose
|
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à vos paroles. Vous avez dit que vous n'étiez que trois, mais il
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me semble, à moi, que nous sommes quatre.
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-- Mais vous n'êtes pas des nôtres, dit Porthos.
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-- C'est vrai, répondit d'Artagnan; je n'ai pas l'habit, mais j'ai
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l'âme. Mon coeur est mousquetaire, je le sens bien, monsieur, et
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|
cela m'entraîne.
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-- Écartez-vous, jeune homme, cria Jussac, qui sans doute à ses
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gestes et à l'expression de son visage avait deviné le dessein de
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d'Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez
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votre peau; allez vite.»
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D'Artagnan ne bougea point.
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«Décidément vous êtes un joli garçon, dit Athos en serrant la main
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du jeune homme.
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-- Allons! allons! prenons un parti, reprit Jussac.
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-- Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose.
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-- Monsieur est plein de générosité», dit Athos.
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Mais tous trois pensaient à la jeunesse de d'Artagnan et
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redoutaient son inexpérience.
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«Nous ne serons que trois, dont un blessé, plus un enfant, reprit
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Athos, et l'on n'en dira pas moins que nous étions quatre hommes.
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-- Oui, mais reculer! dit Porthos.
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-- C'est difficile», reprit Athos.
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D'Artagnan comprit leur irrésolution.
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«Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur
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l'honneur que je ne veux pas m'en aller d'ici si nous sommes
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vaincus.
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-- Comment vous appelle-t-on, mon brave? dit Athos.
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-- D'Artagnan, monsieur.
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-- Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan, en avant! cria
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Athos.
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-- Eh bien, voyons, messieurs, vous décidez-vous à vous décider?
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cria pour la troisième fois Jussac.
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-- C'est fait, messieurs, dit Athos.
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-- Et quel parti prenez-vous? demanda Jussac.
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Nous allons avoir l'honneur de vous charger, répondit Aramis en
|
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levant son chapeau d'une main et tirant son épée de l'autre.
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-- Ah! vous résistez! s'écria Jussac.
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|
-- Sangdieu! cela vous étonne?»
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|
Et les neuf combattants se précipitèrent les uns sur les autres
|
|
avec une furie qui n'excluait pas une certaine méthode.
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|
Athos prit un certain Cahusac, favori du cardinal; Porthos eut
|
|
Biscarat, et Aramis se vit en face de deux adversaires.
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|
Quant à d'Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui-même.
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|
Le coeur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, non pas
|
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de peur, Dieu merci! il n'en avait pas l'ombre, mais d'émulation;
|
|
il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour
|
|
de son adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain.
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|
Jussac était, comme on le disait alors, friand de la lame, et
|
|
avait fort pratiqué; cependant il avait toutes les peines du monde
|
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à se défendre contre un adversaire qui, agile et bondissant,
|
|
s'écartait à tout moment des règles reçues, attaquant de tous
|
|
côtés à la fois, et tout cela en parant en homme qui a le plus
|
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grand respect pour son épiderme.
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Enfin cette lutte finit par faire perdre patience à Jussac.
|
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Furieux d'être tenu en échec par celui qu'il avait regardé comme
|
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un enfant, il s'échauffa et commença à faire des fautes.
|
|
D'Artagnan, qui, à défaut de la pratique, avait une profonde
|
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théorie, redoubla d'agilité. Jussac, voulant en finir, porta un
|
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coup terrible à son adversaire en se fendant à fond; mais celui-ci
|
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para prime, et tandis que Jussac se relevait, se glissant comme un
|
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serpent sous son fer, il lui passa son épée au travers du corps.
|
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Jussac tomba comme une masse.
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|
D'Artagnan jeta alors un coup d'oeil inquiet et rapide sur le
|
|
champ de bataille.
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Aramis avait déjà tué un de ses adversaires; mais l'autre le
|
|
pressait vivement. Cependant Aramis était en bonne situation et
|
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pouvait encore se défendre.
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Biscarat et Porthos venaient de faire coup fourré: Porthos avait
|
|
reçu un coup d'épée au travers du bras, et Biscarat au travers de
|
|
la cuisse. Mais comme ni l'une ni l'autre des deux blessures
|
|
n'était grave, ils ne s'en escrimaient qu'avec plus d'acharnement.
|
|
|
|
Athos, blessé de nouveau par Cahusac, pâlissait à vue d'oeil, mais
|
|
il ne reculait pas d'une semelle: il avait seulement changé son
|
|
épée de main, et se battait de la main gauche.
|
|
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|
D'Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait
|
|
secourir quelqu'un; pendant qu'il cherchait du regard celui de ses
|
|
compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d'oeil
|
|
d'Athos. Ce coup d'oeil était d'une éloquence sublime. Athos
|
|
serait mort plutôt que d'appeler au secours; mais il pouvait
|
|
regarder, et du regard demander un appui. D'Artagnan le devina,
|
|
fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahusac en criant:
|
|
|
|
«À moi, monsieur le garde, je vous tue!»
|
|
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Cahusac se retourna; il était temps. Athos, que son extrême
|
|
courage soutenait seul, tomba sur un genou.
|
|
|
|
«Sangdieu! criait-il à d'Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme, je
|
|
vous en prie; j'ai une vieille affaire à terminer avec lui, quand
|
|
je serai guéri et bien portant. Désarmez-le seulement, liez-lui
|
|
l'épée. C'est cela. Bien! très bien!»
|
|
|
|
Cette exclamation était arrachée à Athos par l'épée de Cahusac qui
|
|
sautait à vingt pas de lui. D'Artagnan et Cahusac s'élancèrent
|
|
ensemble, l'un pour la ressaisir, l'autre pour s'en emparer; mais
|
|
d'Artagnan, plus leste, arriva le premier et mit le pied dessus.
|
|
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|
Cahusac courut à celui des gardes qu'avait tué Aramis, s'empara de
|
|
sa rapière, et voulut revenir à d'Artagnan; mais sur son chemin il
|
|
rencontra Athos, qui, pendant cette pause d'un instant que lui
|
|
avait procurée d'Artagnan, avait repris haleine, et qui, de
|
|
crainte que d'Artagnan ne lui tuât son ennemi, voulait recommencer
|
|
le combat.
|
|
|
|
D'Artagnan comprit que ce serait désobliger Athos que de ne pas le
|
|
laisser faire. En effet, quelques secondes après, Cahusac tomba la
|
|
gorge traversée d'un coup d'épée.
|
|
|
|
Au même instant, Aramis appuyait son épée contre la poitrine de
|
|
son adversaire renversé, et le forçait à demander merci.
|
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|
Restaient Porthos et Biscarat. Porthos faisait mille
|
|
fanfaronnades, demandant à Biscarat quelle heure il pouvait bien
|
|
être, et lui faisait ses compliments sur la compagnie que venait
|
|
d'obtenir son frère dans le régiment de Navarre; mais tout en
|
|
raillant, il ne gagnait rien. Biscarat était un de ces hommes de
|
|
fer qui ne tombent que morts.
|
|
|
|
Cependant il fallait en finir. Le guet pouvait arriver et prendre
|
|
tous les combattants, blessés ou non, royalistes ou cardinalistes.
|
|
Athos, Aramis et d'Artagnan entourèrent Biscarat et le sommèrent
|
|
de se rendre. Quoique seul contre tous, et avec un coup d'épée qui
|
|
lui traversait la cuisse, Biscarat voulait tenir; mais Jussac, qui
|
|
s'était élevé sur son coude, lui cria de se rendre. Biscarat était
|
|
un Gascon comme d'Artagnan; il fit la sourde oreille et se
|
|
contenta de rire, et entre deux parades, trouvant le temps de
|
|
désigner, du bout de son épée, une place à terre:
|
|
|
|
«Ici, dit-il, parodiant un verset de la Bible, ici mourra
|
|
Biscarat, seul de ceux qui sont avec lui.
|
|
|
|
-- Mais ils sont quatre contre toi; finis-en, je te l'ordonne.
|
|
|
|
-- Ah! si tu l'ordonnes, c'est autre chose, dit Biscarat, comme tu
|
|
es mon brigadier, je dois obéir.»
|
|
|
|
Et, faisant un bond en arrière, il cassa son épée sur son genou
|
|
pour ne pas la rendre, en jeta les morceaux pardessus le mur du
|
|
couvent et se croisa les bras en sifflant un air cardinaliste.
|
|
|
|
La bravoure est toujours respectée, même dans un ennemi. Les
|
|
mousquetaires saluèrent Biscarat de leurs épées et les remirent au
|
|
fourreau. D'Artagnan en fit autant, puis, aidé de Biscarat, le
|
|
seul qui fut resté debout, il porta sous le porche du couvent
|
|
Jussac, Cahusac et celui des adversaires d'Aramis qui n'était que
|
|
blessé. Le quatrième, comme nous l'avons dit, était mort. Puis ils
|
|
sonnèrent la cloche, et, emportant quatre épées sur cinq, ils
|
|
s'acheminèrent ivres de joie vers l'hôtel de M. de Tréville. On
|
|
les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue, et
|
|
accostant chaque mousquetaire qu'ils rencontraient, si bien qu'à
|
|
la fin ce fut une marche triomphale. Le coeur de d'Artagnan
|
|
nageait dans l'ivresse, il marchait entre Athos et Porthos en les
|
|
étreignant tendrement.
|
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|
|
«Si je ne suis pas encore mousquetaire, dit-il à ses nouveaux amis
|
|
en franchissant la porte de l'hôtel de M. de Tréville, au moins me
|
|
voilà reçu apprenti, n'est-ce pas?»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE VI
|
|
SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS TREIZIÈME
|
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|
|
L'affaire fit grand bruit. M. de Tréville gronda beaucoup tout
|
|
haut contre ses mousquetaires, et les félicita tout bas; mais
|
|
comme il n'y avait pas de temps à perdre pour prévenir le roi,
|
|
M. de Tréville s'empressa de se rendre au Louvre. Il était déjà
|
|
trop tard, le roi était enfermé avec le cardinal, et l'on dit à
|
|
M. de Tréville que le roi travaillait et ne pouvait recevoir en ce
|
|
moment. Le soir, M. de Tréville vint au jeu du roi. Le roi
|
|
gagnait, et comme Sa Majesté était fort avare, elle était
|
|
d'excellente humeur; aussi, du plus loin que le roi aperçut
|
|
Tréville:
|
|
|
|
«Venez ici, monsieur le capitaine, dit-il, venez que je vous
|
|
gronde; savez-vous que Son Éminence est venue me faire des
|
|
plaintes sur vos mousquetaires, et cela avec une telle émotion,
|
|
que ce soir Son Éminence en est malade? Ah çà, mais ce sont des
|
|
diables à quatre, des gens à pendre, que vos mousquetaires!
|
|
|
|
-- Non, Sire, répondit Tréville, qui vit du premier coup d'oeil
|
|
comment la chose allait tourner; non, tout au contraire, ce sont
|
|
de bonnes créatures, douces comme des agneaux, et qui n'ont qu'un
|
|
désir, je m'en ferais garant: c'est que leur épée ne sorte du
|
|
fourreau que pour le service de Votre Majesté. Mais, que voulez-
|
|
vous, les gardes de M. le cardinal sont sans cesse à leur chercher
|
|
querelle, et, pour l'honneur même du corps, les pauvres jeunes
|
|
gens sont obligés de se défendre.
|
|
|
|
-- Écoutez M. de Tréville! dit le roi, écoutez-le! ne dirait-on
|
|
pas qu'il parle d'une communauté religieuse! En vérité, mon cher
|
|
capitaine, j'ai envie de vous ôter votre brevet et de le donner à
|
|
Mlle de Chémerault, à laquelle j'ai promis une abbaye. Mais ne
|
|
pensez pas que je vous croirai ainsi sur parole. On m'appelle
|
|
Louis le Juste, monsieur de Tréville, et tout à l'heure, tout à
|
|
l'heure nous verrons.
|
|
|
|
-- Ah! c'est parce que je me fie à cette justice, Sire, que
|
|
j'attendrai patiemment et tranquillement le bon plaisir de
|
|
Votre Majesté.
|
|
|
|
-- Attendez donc, monsieur, attendez donc, dit le roi, je ne vous
|
|
ferai pas longtemps attendre.»
|
|
|
|
En effet, la chance tournait, et comme le roi commençait à perdre
|
|
ce qu'il avait gagné, il n'était pas fâché de trouver un prétexte
|
|
pour faire -- qu'on nous passe cette expression de joueur, dont,
|
|
nous l'avouons, nous ne connaissons pas l'origine --, pour faire
|
|
charlemagne. Le roi se leva donc au bout d'un instant, et mettant
|
|
dans sa poche l'argent qui était devant lui et dont la majeure
|
|
partie venait de son gain:
|
|
|
|
«La Vieuville, dit-il, prenez ma place, il faut que je parle à
|
|
M. de Tréville pour affaire d'importance. Ah!... j'avais quatre-
|
|
vingts louis devant moi; mettez la même somme, afin que ceux qui
|
|
ont perdu n'aient point à se plaindre. La justice avant tout.»
|
|
|
|
Puis, se retournant vers M. de Tréville et marchant avec lui vers
|
|
l'embrasure d'une fenêtre:
|
|
|
|
«Eh bien, monsieur, continua-t-il, vous dites que ce sont les
|
|
gardes de l'Éminentissime qui ont été chercher querelle à vos
|
|
mousquetaires?
|
|
|
|
-- Oui, Sire, comme toujours.
|
|
|
|
-- Et comment la chose est-elle venue, voyons? car, vous le savez,
|
|
mon cher capitaine, il faut qu'un juge écoute les deux parties.
|
|
|
|
-- Ah! mon Dieu! de la façon la plus simple et la plus naturelle.
|
|
Trois de mes meilleurs soldats, que Votre Majesté connaît de nom
|
|
et dont elle a plus d'une fois apprécié le dévouement, et qui ont,
|
|
je puis l'affirmer au roi, son service fort à coeur; -- trois de
|
|
mes meilleurs soldats, dis-je, MM. Athos, Porthos et Aramis,
|
|
avaient fait une partie de plaisir avec un jeune cadet de Gascogne
|
|
que je leur avais recommandé le matin même. La partie allait avoir
|
|
lieu à Saint-Germain, je crois, et ils s'étaient donné rendez-vous
|
|
aux Carmes-Deschaux, lorsqu'elle fut troublée par M. de Jussac et
|
|
MM. Cahusac, Biscarat, et deux autres gardes qui ne venaient
|
|
certes pas là en si nombreuse compagnie sans mauvaise intention
|
|
contre les édits.
|
|
|
|
-- Ah! ah! vous m'y faites penser, dit le roi: sans doute, ils
|
|
venaient pour se battre eux-mêmes.
|
|
|
|
-- Je ne les accuse pas, Sire, mais je laisse Votre Majesté
|
|
apprécier ce que peuvent aller faire cinq hommes armés dans un
|
|
lieu aussi désert que le sont les environs du couvent des Carmes.
|
|
|
|
-- Oui, vous avez raison, Tréville, vous avez raison.
|
|
|
|
-- Alors, quand ils ont vu mes mousquetaires, ils ont changé
|
|
d'idée et ils ont oublié leur haine particulière pour la haine de
|
|
corps; car Votre Majesté n'ignore pas que les mousquetaires, qui
|
|
sont au roi et rien qu'au roi, sont les ennemis naturels des
|
|
gardes, qui sont à M. le cardinal.
|
|
|
|
-- Oui, Tréville, oui, dit le roi mélancoliquement, et c'est bien
|
|
triste, croyez-moi, de voir ainsi deux partis en France, deux
|
|
têtes à la royauté; mais tout cela finira, Tréville, tout cela
|
|
finira. Vous dites donc que les gardes ont cherché querelle aux
|
|
mousquetaires?
|
|
|
|
-- Je dis qu'il est probable que les choses se sont passées ainsi,
|
|
mais je n'en jure pas, Sire. Vous savez combien la vérité est
|
|
difficile à connaître, et à moins d'être doué de cet instinct
|
|
admirable qui a fait nommer Louis XIII le Juste...
|
|
|
|
-- Et vous avez raison, Tréville; mais ils n'étaient pas seuls,
|
|
vos mousquetaires, il y avait avec eux un enfant?
|
|
|
|
-- Oui, Sire, et un homme blessé, de sorte que trois mousquetaires
|
|
du roi, dont un blessé, et un enfant, non seulement ont tenu tête
|
|
à cinq des plus terribles gardes de M. le cardinal, mais encore en
|
|
ont porté quatre à terre.
|
|
|
|
-- Mais c'est une victoire, cela! s'écria le roi tout rayonnant;
|
|
une victoire complète!
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|
|
|
-- Oui, Sire, aussi complète que celle du pont de Cé.
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|
|
|
-- Quatre hommes, dont un blessé, et un enfant, dites-vous?
|
|
|
|
-- Un jeune homme à peine; lequel s'est même si parfaitement
|
|
conduit en cette occasion, que je prendrai la liberté de le
|
|
recommander à Votre Majesté.
|
|
|
|
-- Comment s'appelle-t-il?
|
|
|
|
-- D'Artagnan, Sire. C'est le fils d'un de mes plus anciens amis;
|
|
le fils d'un homme qui a fait avec le roi votre père, de glorieuse
|
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mémoire, la guerre de partisan.
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|
-- Et vous dites qu'il s'est bien conduit, ce jeune homme?
|
|
Racontez-moi cela, Tréville; vous savez que j'aime les récits de
|
|
guerre et de combat.»
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Et le roi Louis XIII releva fièrement sa moustache en se posant
|
|
sur la hanche.
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«Sire, reprit Tréville, comme je vous l'ai dit M. d'Artagnan est
|
|
presque un enfant, et comme il n'a pas l'honneur d'être
|
|
mousquetaire, il était en habit bourgeois; les gardes de M. le
|
|
cardinal, reconnaissant sa grande jeunesse et, de plus, qu'il
|
|
était étranger au corps, l'invitèrent donc à se retirer avant
|
|
qu'ils attaquassent.
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|
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-- Alors, vous voyez bien, Tréville, interrompit le roi, que ce
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sont eux qui ont attaqué.
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-- C'est juste, Sire: ainsi, plus de doute; ils le sommèrent donc
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de se retirer; mais il répondit qu'il était mousquetaire de coeur
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et tout à Sa Majesté, qu'ainsi donc il resterait avec messieurs
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les mousquetaires.
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-- Brave jeune homme! murmura le roi.
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-- En effet, il demeura avec eux; et Votre Majesté a là un si
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ferme champion, que ce fut lui qui donna à Jussac ce terrible coup
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d'épée qui met si fort en colère M. le cardinal.
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-- C'est lui qui a blessé Jussac? s'écria le roi; lui, un enfant!
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Ceci, Tréville, c'est impossible.
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-- C'est comme j'ai l'honneur de le dire à Votre Majesté.
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-- Jussac, une des premières lames du royaume!
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-- Eh bien, Sire! il a trouvé son maître.
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-- Je veux voir ce jeune homme, Tréville, je veux le voir, et si
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l'on peut faire quelque chose, eh bien, nous nous en occuperons.
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-- Quand Votre Majesté daignera-t-elle le recevoir?
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-- Demain à midi, Tréville.
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-- L'amènerai-je seul?
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-- Non, amenez-les-moi tous les quatre ensemble. Je veux les
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remercier tous à la fois; les hommes dévoués sont rares, Tréville,
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et il faut récompenser le dévouement.
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-- À midi, Sire, nous serons au Louvre.
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-- Ah! par le petit escalier, Tréville, par le petit escalier. Il
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est inutile que le cardinal sache...
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-- Oui, Sire.
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-- Vous comprenez, Tréville, un édit est toujours un édit; il est
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défendu de se battre, au bout du compte.
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-- Mais cette rencontre, Sire, sort tout à fait des conditions
|
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ordinaires d'un duel: c'est une rixe, et la preuve, c'est qu'ils
|
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étaient cinq gardes du cardinal contre mes trois mousquetaires et
|
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M. d'Artagnan.
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-- C'est juste, dit le roi; mais n'importe, Tréville, venez
|
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toujours par le petit escalier.»
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Tréville sourit. Mais comme c'était déjà beaucoup pour lui d'avoir
|
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obtenu de cet enfant qu'il se révoltât contre son maître, il salua
|
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respectueusement le roi, et avec son agrément prit congé de lui.
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Dès le soir même, les trois mousquetaires furent prévenus de
|
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l'honneur qui leur était accordé. Comme ils connaissaient depuis
|
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longtemps le roi, ils n'en furent pas trop échauffés: mais
|
|
d'Artagnan, avec son imagination gasconne, y vit sa fortune à
|
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venir, et passa la nuit à faire des rêves d'or. Aussi, dès huit
|
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heures du matin, était-il chez Athos.
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D'Artagnan trouva le mousquetaire tout habillé et prêt à sortir.
|
|
Comme on n'avait rendez-vous chez le roi qu'à midi, il avait formé
|
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le projet, avec Porthos et Aramis, d'aller faire une partie de
|
|
paume dans un tripot situé tout près des écuries du Luxembourg.
|
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Athos invita d'Artagnan à les suivre, et malgré son ignorance de
|
|
ce jeu, auquel il n'avait jamais joué, celui-ci accepta, ne
|
|
sachant que faire de son temps, depuis neuf heures du matin qu'il
|
|
était à peine jusqu'à midi.
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|
Les deux mousquetaires étaient déjà arrivés et pelotaient
|
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ensemble. Athos, qui était très fort à tous les exercices du
|
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corps, passa avec d'Artagnan du côté opposé, et leur fit défi.
|
|
Mais au premier mouvement qu'il essaya, quoiqu'il jouât de la main
|
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gauche, il comprit que sa blessure était encore trop récente pour
|
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lui permettre un pareil exercice. D'Artagnan resta donc seul, et
|
|
comme il déclara qu'il était trop maladroit pour soutenir une
|
|
partie en règle, on continua seulement à s'envoyer des balles sans
|
|
compter le jeu. Mais une de ces balles, lancée par le poignet
|
|
herculéen de Porthos, passa si près du visage de d'Artagnan, qu'il
|
|
pensa que si, au lieu de passer à côté, elle eût donné dedans, son
|
|
audience était probablement perdue, attendu qu'il lui eût été de
|
|
toute impossibilité de se présenter chez le roi. Or, comme
|
|
de cette audience, dans son imagination gasconne, dépendait tout
|
|
son avenir, il salua poliment Porthos et Aramis, déclarant qu'il
|
|
ne reprendrait la partie que lorsqu'il serait en état de leur
|
|
tenir tête, et il s'en revint prendre place près de la corde et
|
|
dans la galerie.
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Malheureusement pour d'Artagnan, parmi les spectateurs se trouvait
|
|
un garde de Son Éminence, lequel, tout échauffé encore de la
|
|
défaite de ses compagnons, arrivée la veille seulement, s'était
|
|
promis de saisir la première occasion de la venger. Il crut donc
|
|
que cette occasion était venue, et s'adressant à son voisin:
|
|
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|
«Il n'est pas étonnant, dit-il, que ce jeune homme ait eu peur
|
|
d'une balle, c'est sans doute un apprenti mousquetaire.»
|
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|
D'Artagnan se retourna comme si un serpent l'eût mordu, et regarda
|
|
fixement le garde qui venait de tenir cet insolent propos.
|
|
|
|
«Pardieu! reprit celui-ci en frisant insolemment, sa moustache,
|
|
regardez-moi tant que vous voudrez, mon petit monsieur, j'ai dit
|
|
ce que j'ai dit.
|
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|
|
-- Et comme ce que vous avez dit est trop clair pour que vos
|
|
paroles aient besoin d'explication, répondit d'Artagnan à voix
|
|
basse, je vous prierai de me suivre.
|
|
|
|
-- Et quand cela? demanda le garde avec le même air railleur.
|
|
|
|
-- Tout de suite, s'il vous plaît.
|
|
|
|
-- Et vous savez qui je suis, sans doute?
|
|
|
|
--Moi, je l'ignore complètement, et je ne m'en inquiète guère.
|
|
|
|
-- Et vous avez tort, car, si vous saviez mon nom, peut-être
|
|
seriez-vous moins pressé.
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|
-- Comment vous appelez-vous?
|
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|
-- Bernajoux, pour vous servir.
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|
-- Eh bien, monsieur Bernajoux, dit tranquillement d'Artagnan, je
|
|
vais vous attendre sur la porte.
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|
|
|
-- Allez, monsieur, je vous suis.
|
|
|
|
-- Ne vous pressez pas trop, monsieur, qu'on ne s'aperçoive pas
|
|
que nous sortons ensemble; vous comprenez que pour ce que nous
|
|
allons faire, trop de monde nous gênerait.
|
|
|
|
-- C'est bien», répondit le garde, étonné que son nom n'eût pas
|
|
produit plus d'effet sur le jeune homme.
|
|
|
|
En effet, le nom de Bernajoux était connu de tout le monde, de
|
|
d'Artagnan seul excepté, peut-être; car c'était un de ceux qui
|
|
figuraient le plus souvent dans les rixes journalières que tous
|
|
les édits du roi et du cardinal n'avaient pu réprimer.
|
|
|
|
Porthos et Aramis étaient si occupés de leur partie, et Athos les
|
|
regardait avec tant d'attention, qu'ils ne virent pas même sortir
|
|
leur jeune compagnon, lequel, ainsi qu'il l'avait dit au garde de
|
|
Son Éminence, s'arrêta sur la porte; un instant après, celui-ci
|
|
descendit à son tour. Comme d'Artagnan n'avait pas de temps à
|
|
perdre, vu l'audience du roi qui était fixée à midi, il jeta les
|
|
yeux autour de lui, et voyant que la rue était déserte:
|
|
|
|
«Ma foi, dit-il à son adversaire, il est bien heureux pour vous,
|
|
quoique vous vous appeliez Bernajoux, de n'avoir affaire qu'à un
|
|
apprenti mousquetaire; cependant, soyez tranquille, je ferai de
|
|
mon mieux. En garde!
|
|
|
|
-- Mais, dit celui que d'Artagnan provoquait ainsi, il me semble
|
|
que le lieu est assez mal choisi, et que nous serions mieux
|
|
derrière l'abbaye de Saint-Germain ou dans le Pré-aux-Clercs.
|
|
|
|
-- Ce que vous dites est plein de sens, répondit d'Artagnan;
|
|
malheureusement j'ai peu de temps à moi, ayant un rendez-vous à
|
|
midi juste. En garde donc, monsieur, en garde!»
|
|
|
|
Bernajoux n'était pas homme à se faire répéter deux fois un pareil
|
|
compliment. Au même instant son épée brilla à sa main, et il
|
|
fondit sur son adversaire que, grâce à sa grande jeunesse, il
|
|
espérait intimider.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan avait fait la veille son apprentissage, et tout
|
|
frais émoulu de sa victoire, tout gonflé de sa future faveur, il
|
|
était résolu à ne pas reculer d'un pas: aussi les deux fers se
|
|
trouvèrent-ils engagés jusqu'à la garde, et comme d'Artagnan
|
|
tenait ferme à sa place, ce fut son adversaire qui fit un pas de
|
|
retraite. Mais d'Artagnan saisit le moment où, dans ce mouvement,
|
|
le fer de Bernajoux déviait de la ligne, il dégagea, se fendit et
|
|
toucha son adversaire à l'épaule. Aussitôt d'Artagnan, à son tour,
|
|
fit un pas de retraite et releva son épée; mais Bernajoux lui cria
|
|
que ce n'était rien, et se fendant aveuglément sur lui, il
|
|
s'enferra de lui-même. Cependant, comme il ne tombait pas, comme
|
|
il ne se déclarait pas vaincu, mais que seulement il rompait du
|
|
côté de l'hôtel de M. de La Trémouille au service duquel il avait
|
|
un parent, d'Artagnan, ignorant lui-même la gravité de la dernière
|
|
blessure que son adversaire avait reçue, le pressait vivement, et
|
|
sans doute allait l'achever d'un troisième coup, lorsque la rumeur
|
|
qui s'élevait de la rue s'étant étendue jusqu'au jeu de paume,
|
|
deux des amis du garde, qui l'avaient entendu échanger quelques
|
|
paroles avec d'Artagnan et qui l'avaient vu sortir à la suite de
|
|
ces paroles, se précipitèrent l'épée à la main hors du tripot et
|
|
tombèrent sur le vainqueur. Mais aussitôt Athos, Porthos et Aramis
|
|
parurent à leur tour et au moment où les deux gardes attaquaient
|
|
leur jeune camarade, les forcèrent à se retourner. En ce moment
|
|
Bernajoux tomba; et comme les gardes étaient seulement deux contre
|
|
quatre, ils se mirent à crier: «À nous, l'hôtel de La Trémouille!»
|
|
À ces cris, tout ce qui était dans l'hôtel sortit, se ruant sur
|
|
les quatre compagnons, qui de leur côté se mirent à crier: «À
|
|
nous, mousquetaires!»
|
|
|
|
Ce cri était ordinairement entendu; car on savait les
|
|
mousquetaires ennemis de Son Éminence, et on les aimait pour la
|
|
haine qu'ils portaient au cardinal. Aussi les gardes des autres
|
|
compagnies que celles appartenant au duc Rouge, comme l'avait
|
|
appelé Aramis, prenaient-ils en général parti dans ces sortes de
|
|
querelles pour les mousquetaires du roi. De trois gardes de la
|
|
compagnie de M. des Essarts qui passaient, deux vinrent donc en
|
|
aide aux quatre compagnons, tandis que l'autre courait à l'hôtel
|
|
de M. de Tréville, criant: «À nous, mousquetaires, à nous!» Comme
|
|
d'habitude, l'hôtel de M. de Tréville était plein de soldats de
|
|
cette arme, qui accoururent au secours de leurs camarades; la
|
|
mêlée devint générale, mais la force était aux mousquetaires: les
|
|
gardes du cardinal et les gens de M. de La Trémouille se
|
|
retirèrent dans l'hôtel, dont ils fermèrent les portes assez à
|
|
temps pour empêcher que leurs ennemis n'y fissent irruption en
|
|
même temps qu'eux. Quant au blessé, il y avait été tout d'abord
|
|
transporté et, comme nous l'avons dit, en fort mauvais état.
|
|
|
|
L'agitation était à son comble parmi les mousquetaires et leurs
|
|
alliés, et l'on délibérait déjà si, pour punir l'insolence
|
|
qu'avaient eue les domestiques de M. de La Trémouille de faire une
|
|
sortie sur les mousquetaires du roi, on ne mettrait pas le feu à
|
|
son hôtel. La proposition en avait été faite et accueillie avec
|
|
enthousiasme, lorsque heureusement onze heures sonnèrent;
|
|
d'Artagnan et ses compagnons se souvinrent de leur audience, et
|
|
comme ils eussent regretté que l'on fît un si beau coup sans eux,
|
|
ils parvinrent à calmer les têtes. On se contenta donc de jeter
|
|
quelques pavés dans les portes, mais les portes résistèrent: alors
|
|
on se lassa; d'ailleurs ceux qui devaient être regardés comme les
|
|
chefs de l'entreprise avaient depuis un instant quitté le groupe
|
|
et s'acheminaient vers l'hôtel de M. de Tréville, qui les
|
|
attendait, déjà au courant de cette algarade.
|
|
|
|
«Vite, au Louvre, dit-il, au Louvre sans perdre un instant, et
|
|
tâchons de voir le roi avant qu'il soit prévenu par le cardinal;
|
|
nous lui raconterons la chose comme une suite de l'affaire d'hier,
|
|
et les deux passeront ensemble.»
|
|
|
|
M. de Tréville, accompagné des quatre jeunes gens, s'achemina donc
|
|
vers le Louvre; mais, au grand étonnement du capitaine des
|
|
mousquetaires, on lui annonça que le roi était allé courre le cerf
|
|
dans la forêt de Saint-Germain. M. de Tréville se fit répéter deux
|
|
fois cette nouvelle, et à chaque fois ses compagnons virent son
|
|
visage se rembrunir.
|
|
|
|
«Est-ce que Sa Majesté, demanda-t-il, avait dès hier le projet de
|
|
faire cette chasse?
|
|
|
|
-- Non, Votre Excellence, répondit le valet de chambre, c'est le
|
|
grand veneur qui est venu lui annoncer ce matin qu'on avait
|
|
détourné cette nuit un cerf à son intention. Il a d'abord répondu
|
|
qu'il n'irait pas, puis il n'a pas su résister au plaisir que lui
|
|
promettait cette chasse, et après le dîner il est parti.
|
|
|
|
-- Et le roi a-t-il vu le cardinal? demanda M. de Tréville.
|
|
|
|
-- Selon toute probabilité, répondit le valet de chambre, car j'ai
|
|
vu ce matin les chevaux au carrosse de Son Éminence, j'ai demandé
|
|
où elle allait, et l'on m'a répondu: "À Saint-Germain."
|
|
|
|
-- Nous sommes prévenus, dit M. de Tréville, messieurs, je verrai
|
|
le roi ce soir; mais quant à vous, je ne vous conseille pas de
|
|
vous y hasarder.»
|
|
|
|
L'avis était trop raisonnable et surtout venait d'un homme qui
|
|
connaissait trop bien le roi, pour que les quatre jeunes gens
|
|
essayassent de le combattre. M. de Tréville les invita donc à
|
|
rentrer chacun chez eux et à attendre de ses nouvelles.
|
|
|
|
En entrant à son hôtel, M. de Tréville songea qu'il fallait
|
|
prendre date en portant plainte le premier. Il envoya un de ses
|
|
domestiques chez M. de La Trémouille avec une lettre dans laquelle
|
|
il le priait de mettre hors de chez lui le garde de M. le
|
|
cardinal, et de réprimander ses gens de l'audace qu'ils avaient
|
|
eue de faire leur sortie contre les mousquetaires. Mais
|
|
M. de La Trémouille, déjà prévenu par son écuyer dont, comme on le
|
|
sait, Bernajoux était le parent, lui fit répondre que ce n'était
|
|
ni à M. de Tréville, ni à ses mousquetaires de se plaindre, mais
|
|
bien au contraire à lui dont les mousquetaires avaient chargé les
|
|
gens et voulu brûler l'hôtel. Or, comme le débat entre ces deux
|
|
seigneurs eût pu durer longtemps, chacun devant naturellement
|
|
s'entêter dans son opinion, M. de Tréville avisa un expédient qui
|
|
avait pour but de tout terminer: c'était d'aller trouver lui-même
|
|
M. de La Trémouille.
|
|
|
|
Il se rendit donc aussitôt à son hôtel et se fit annoncer.
|
|
|
|
Les deux seigneurs se saluèrent poliment, car, s'il n'y avait pas
|
|
amitié entre eux, il y avait du moins estime. Tous deux étaient
|
|
gens de coeur et d'honneur; et comme M. de La Trémouille,
|
|
protestant, et voyant rarement le roi, n'était d'aucun parti, il
|
|
n'apportait en général dans ses relations sociales aucune
|
|
prévention. Cette fois, néanmoins, son accueil quoique poli fut
|
|
plus froid que d'habitude.
|
|
|
|
«Monsieur, dit M. de Tréville, nous croyons avoir à nous plaindre
|
|
chacun l'un de l'autre, et je suis venu moi-même pour que nous
|
|
tirions de compagnie cette affaire au clair.
|
|
|
|
-- Volontiers, répondit M. de La Trémouille; mais je vous préviens
|
|
que je suis bien renseigné, et tout le tort est à vos
|
|
mousquetaires.
|
|
|
|
-- Vous êtes un homme trop juste et trop raisonnable, monsieur,
|
|
dit M. de Tréville, pour ne pas accepter la proposition que je
|
|
vais faire.
|
|
|
|
-- Faites, monsieur, j'écoute.
|
|
|
|
-- Comment se trouve M. Bernajoux, le parent de votre écuyer?
|
|
|
|
-- Mais, monsieur, fort mal. Outre le coup d'épée qu'il a reçu
|
|
dans le bras, et qui n'est pas autrement dangereux, il en a encore
|
|
ramassé un autre qui lui a traversé le poumon, de sorte que le
|
|
médecin en dit de pauvres choses.
|
|
|
|
-- Mais le blessé a-t-il conservé sa connaissance?
|
|
|
|
-- Parfaitement.
|
|
|
|
-- Parle-t-il?
|
|
|
|
-- Avec difficulté, mais il parle.
|
|
|
|
-- Eh bien, monsieur! rendons-nous près de lui; adjurons-le, au
|
|
nom du Dieu devant lequel il va être appelé peut-être, de dire la
|
|
vérité. Je le prends pour juge dans sa propre cause, monsieur, et
|
|
ce qu'il dira je le croirai.»
|
|
|
|
M. de La Trémouille réfléchit un instant, puis, comme il était
|
|
difficile de faire une proposition plus raisonnable, il accepta.
|
|
|
|
Tous deux descendirent dans la chambre où était le blessé. Celui-
|
|
ci, en voyant entrer ces deux nobles seigneurs qui venaient lui
|
|
faire visite, essaya de se relever sur son lit, mais il était trop
|
|
faible, et, épuisé par l'effort qu'il avait fait, il retomba
|
|
presque sans connaissance.
|
|
|
|
M. de La Trémouille s'approcha de lui et lui fit respirer des sels
|
|
qui le rappelèrent à la vie. Alors M. de Tréville, ne voulant pas
|
|
qu'on pût l'accuser d'avoir influencé le malade, invita
|
|
M. de La Trémouille à l'interroger lui-même.
|
|
|
|
Ce qu'avait prévu M. de Tréville arriva. Placé entre la vie et la
|
|
mort comme l'était Bernajoux, il n'eut pas même l'idée de taire un
|
|
instant la vérité, et il raconta aux deux seigneurs les choses
|
|
exactement, telles qu'elles s'étaient passées.
|
|
|
|
C'était tout ce que voulait M. de Tréville; il souhaita à
|
|
Bernajoux une prompte convalescence, prit congé de
|
|
M. de La Trémouille, rentra à son hôtel et fit aussitôt prévenir
|
|
les quatre amis qu'il les attendait à dîner.
|
|
|
|
M. de Tréville recevait fort bonne compagnie, toute
|
|
anticardinaliste d'ailleurs. On comprend donc que la conversation
|
|
roula pendant tout le dîner sur les deux échecs que venaient
|
|
d'éprouver les gardes de Son Éminence. Or, comme d'Artagnan avait
|
|
été le héros de ces deux journées, ce fut sur lui que tombèrent
|
|
toutes les félicitations, qu'Athos, Porthos et Aramis lui
|
|
abandonnèrent non seulement en bons camarades, mais en hommes qui
|
|
avaient eu assez souvent leur tour pour qu'ils lui laissassent le
|
|
sien.
|
|
|
|
Vers six heures, M. de Tréville annonça qu'il était tenu d'aller
|
|
au Louvre; mais comme l'heure de l'audience accordée par
|
|
Sa Majesté était passée, au lieu de réclamer l'entrée par le petit
|
|
escalier, il se plaça avec les quatre jeunes gens dans
|
|
l'antichambre. Le roi n'était pas encore revenu de la chasse. Nos
|
|
jeunes gens attendaient depuis une demi-heure à peine, mêlés à la
|
|
foule des courtisans, lorsque toutes les portes s'ouvrirent et
|
|
qu'on annonça Sa Majesté.
|
|
|
|
À cette annonce, d'Artagnan se sentit frémir jusqu'à la moelle des
|
|
os. L'instant qui allait suivre devait, selon toute probabilité,
|
|
décider du reste de sa vie. Aussi ses yeux se fixèrent-ils avec
|
|
angoisse sur la porte par laquelle devait entrer le roi.
|
|
|
|
Louis XIII parut, marchant le premier; il était en costume de
|
|
chasse, encore tout poudreux, ayant de grandes bottes et tenant un
|
|
fouet à la main. Au premier coup d'oeil, d'Artagnan jugea que
|
|
l'esprit du roi était à l'orage.
|
|
|
|
Cette disposition, toute visible qu'elle était chez Sa Majesté,
|
|
n'empêcha pas les courtisans de se ranger sur son passage: dans
|
|
les antichambres royales, mieux vaut encore être vu d'un oeil
|
|
irrité que de n'être pas vu du tout. Les trois mousquetaires
|
|
n'hésitèrent donc pas, et firent un pas en avant, tandis que
|
|
d'Artagnan au contraire restait caché derrière eux; mais quoique
|
|
le roi connût personnellement Athos, Porthos et Aramis, il passa
|
|
devant eux sans les regarder, sans leur parler et comme s'il ne
|
|
les avait jamais vus. Quant à M. de Tréville, lorsque les yeux du
|
|
roi s'arrêtèrent un instant sur lui, il soutint ce regard avec
|
|
tant de fermeté, que ce fut le roi qui détourna la vue; après
|
|
quoi, tout en grommelant, Sa Majesté rentra dans son appartement.
|
|
|
|
«Les affaires vont mal, dit Athos en souriant, et nous ne serons
|
|
pas encore fait chevaliers de l'ordre cette fois-ci.
|
|
|
|
-- Attendez ici dix minutes, dit M. de Tréville; et si au bout de
|
|
dix minutes vous ne me voyez pas sortir, retournez à mon hôtel:
|
|
car il sera inutile que vous m'attendiez plus longtemps.»
|
|
|
|
Les quatre jeunes gens attendirent dix minutes, un quart d'heure,
|
|
vingt minutes; et voyant que M. de Tréville ne reparaissait point,
|
|
ils sortirent fort inquiets de ce qui allait arriver.
|
|
|
|
M. de Tréville était entré hardiment dans le cabinet du roi, et
|
|
avait trouvé Sa Majesté de très méchante humeur, assise sur un
|
|
fauteuil et battant ses bottes du manche de son fouet, ce qui ne
|
|
l'avait pas empêché de lui demander avec le plus grand flegme des
|
|
nouvelles de sa santé.
|
|
|
|
«Mauvaise, monsieur, mauvaise, répondit le roi, je m'ennuie.»
|
|
|
|
C'était en effet la pire maladie de Louis XIII, qui souvent
|
|
prenait un de ses courtisans, l'attirait à une fenêtre et lui
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disait: «Monsieur un tel, ennuyons-nous ensemble.»
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«Comment! Votre Majesté s'ennuie! dit M. de Tréville. N'a-t-elle
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donc pas pris aujourd'hui le plaisir de la chasse?
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-- Beau plaisir, monsieur! Tout dégénère, sur mon âme, et je ne
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sais si c'est le gibier qui n'a plus de voie ou les chiens qui
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n'ont plus de nez. Nous lançons un cerf dix cors, nous le courons
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six heures, et quand il est prêt à tenir, quand Saint-Simon met
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déjà le cor à sa bouche pour sonner l'hallali, crac! toute la
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meute prend le change et s'emporte sur un daguet. Vous verrez que
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je serai obligé de renoncer à la chasse à courre comme j'ai
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renoncé à la chasse au vol. Ah! je suis un roi bien malheureux,
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monsieur de Tréville! je n'avais plus qu'un gerfaut, et il est
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mort avant-hier.
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-- En effet, Sire, je comprends votre désespoir, et le malheur est
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grand; mais il vous reste encore, ce me semble, bon nombre de
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faucons, d'éperviers et de tiercelets.
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-- Et pas un homme pour les instruire, les fauconniers s'en vont,
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il n'y a plus que moi qui connaisse l'art de la vénerie. Après moi
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tout sera dit, et l'on chassera avec des traquenards, des pièges,
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des trappes. Si j'avais le temps encore de former des élèves! mais
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oui, M. le cardinal est là qui ne me laisse pas un instant de
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repos, qui me parle de l'Espagne, qui me parle de l'Autriche, qui
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me parle de l'Angleterre! Ah! à propos de M. le cardinal, monsieur
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de Tréville, je suis mécontent de vous.»
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M. de Tréville attendait le roi à cette chute. Il connaissait le
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roi de longue main; il avait compris que toutes ses plaintes
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n'étaient qu'une préface, une espèce d'excitation pour
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s'encourager lui-même, et que c'était où il était arrivé enfin
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qu'il en voulait venir.
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«Et en quoi ai-je été assez malheureux pour déplaire à
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Votre Majesté? demanda M. de Tréville en feignant le plus profond
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étonnement.
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-- Est-ce ainsi que vous faites votre charge, monsieur? continua
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le roi sans répondre directement à la question de M. de Tréville;
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est-ce pour cela que je vous ai nommé capitaine de mes
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mousquetaires, que ceux-ci assassinent un homme, émeuvent tout un
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quartier et veulent brûler Paris sans que vous en disiez un mot?
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Mais, au reste, continua le roi, sans doute que je me hâte de vous
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accuser, sans doute que les perturbateurs sont en prison et que
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vous venez m'annoncer que justice est faite.
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-- Sire, répondit tranquillement M. de Tréville, je viens vous la
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demander au contraire.
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-- Et contre qui? s'écria le roi.
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-- Contre les calomniateurs, dit M. de Tréville.
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-- Ah! voilà qui est nouveau, reprit le roi. N'allez-vous pas dire
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que vos trois mousquetaires damnés, Athos, Porthos et Aramis et
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votre cadet de Béarn, ne se sont pas jetés comme des furieux sur
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le pauvre Bernajoux, et ne l'ont pas maltraité de telle façon
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qu'il est probable qu'il est en train de trépasser à cette heure!
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N'allez-vous pas dire qu'ensuite ils n'ont pas fait le siège de
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l'hôtel du duc de La Trémouille, et qu'ils n'ont point voulu le
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brûler! ce qui n'aurait peut-être pas été un très grand malheur en
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temps de guerre, vu que c'est un nid de huguenots, mais ce qui, en
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temps de paix, est un fâcheux exemple. Dites, n'allez-vous pas
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nier tout cela?
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-- Et qui vous a fait ce beau récit, Sire? demanda tranquillement
|
|
M. de Tréville.
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-- Qui m'a fait ce beau récit, monsieur! et qui voulez-vous que ce
|
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soit, si ce n'est celui qui veille quand je dors qui travaille
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quand je m'amuse, qui mène tout au-dedans et au-dehors du royaume,
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en France comme en Europe?
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-- Sa Majesté veut parler de Dieu, sans doute, dit M. de Tréville,
|
|
car je ne connais que Dieu qui soit si fort au-dessus de
|
|
Sa Majesté.
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-- Non monsieur; je veux parler du soutien de l'État, de mon seul
|
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serviteur, de mon seul ami, de M. le cardinal.
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-- Son Éminence n'est pas Sa Sainteté, Sire.
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-- Qu'entendez-vous par là, monsieur?
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-- Qu'il n'y a que le pape qui soit infaillible, et que cette
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infaillibilité ne s'étend pas aux cardinaux.
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-- Vous voulez dire qu'il me trompe, vous voulez dire qu'il me
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trahit. Vous l'accusez alors. Voyons, dites, avouez franchement
|
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que vous l'accusez.
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-- Non, Sire; mais je dis qu'il se trompe lui-même, je dis qu'il a
|
|
été mal renseigné; je dis qu'il a eu hâte d'accuser les
|
|
mousquetaires de Votre Majesté, pour lesquels il est injuste, et
|
|
qu'il n'a pas été puiser ses renseignements aux bonnes sources.
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-- L'accusation vient de M. de La Trémouille, du duc lui-même. Que
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répondrez-vous à cela?
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-- Je pourrais répondre, Sire, qu'il est trop intéressé dans la
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|
question pour être un témoin bien impartial; mais loin de là,
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Sire, je connais le duc pour un loyal gentilhomme, et je m'en
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rapporterai à lui, mais à une condition, Sire.
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-- Laquelle?
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-- C'est que Votre Majesté le fera venir, l'interrogera, mais
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elle-même, en tête-à-tête, sans témoins, et que je reverrai
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|
Votre Majesté aussitôt qu'elle aura reçu le duc.
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-- Oui-da! fit le roi, et vous vous en rapporterez à ce que dira
|
|
M. de La Trémouille?
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-- Oui, Sire.
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|
-- Vous accepterez son jugement?
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-- Sans doute.
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-- Et vous vous soumettrez aux réparations qu'il exigera?
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-- Parfaitement.
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-- La Chesnaye! fit le roi. La Chesnaye!»
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|
Le valet de chambre de confiance de Louis XIII, qui se tenait
|
|
toujours à la porte, entra.
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«La Chesnaye, dit le roi, qu'on aille à l'instant même me quérir
|
|
M. de La Trémouille; je veux lui parler ce soir.
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|
-- Votre Majesté me donne sa parole qu'elle ne verra personne
|
|
entre M. de La Trémouille et moi?
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-- Personne, foi de gentilhomme.
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-- À demain, Sire, alors.
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-- À demain, monsieur.
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|
-- À quelle heure, s'il plaît à Votre Majesté?
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|
-- À l'heure que vous voudrez.
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-- Mais, en venant par trop matin, je crains de réveiller votre
|
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Majesté.
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|
-- Me réveiller? Est-ce que je dors? Je ne dors plus, monsieur; je
|
|
rêve quelquefois, voilà tout. Venez donc d'aussi bon matin que
|
|
vous voudrez, à sept heures; mais gare à vous, si vos
|
|
mousquetaires sont coupables!
|
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-- Si mes mousquetaires sont coupables, Sire, les coupables seront
|
|
remis aux mains de Votre Majesté, qui ordonnera d'eux selon son
|
|
bon plaisir. Votre Majesté exige-t-elle quelque chose de plus?
|
|
qu'elle parle, je suis prêt à lui obéir.
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|
|
|
-- Non, monsieur, non, et ce n'est pas sans raison qu'on m'a
|
|
appelé Louis le Juste. À demain donc, monsieur, à demain.
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|
|
|
-- Dieu garde jusque-là Votre Majesté!»
|
|
|
|
Si peu que dormit le roi, M. de Tréville dormit plus mal encore;
|
|
il avait fait prévenir dès le soir même ses trois mousquetaires et
|
|
leur compagnon de se trouver chez lui à six heures et demie du
|
|
matin. Il les emmena avec lui sans rien leur affirmer, sans leur
|
|
rien promettre, et ne leur cachant pas que leur faveur et même la
|
|
sienne tenaient à un coup de dés.
|
|
|
|
Arrivé au bas du petit escalier, il les fit attendre. Si le roi
|
|
était toujours irrité contre eux, ils s'éloigneraient sans être
|
|
vus; si le roi consentait à les recevoir, on n'aurait qu'à les
|
|
faire appeler.
|
|
|
|
En arrivant dans l'antichambre particulière du roi, M. de Tréville
|
|
trouva La Chesnaye, qui lui apprit qu'on n'avait pas rencontré le
|
|
duc de La Trémouille la veille au soir à son hôtel, qu'il était
|
|
rentré trop tard pour se présenter au Louvre, qu'il venait
|
|
seulement d'arriver, et qu'il était à cette heure chez le roi.
|
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|
|
Cette circonstance plut beaucoup à M. de Tréville, qui, de cette
|
|
façon, fut certain qu'aucune suggestion étrangère ne se glisserait
|
|
entre la déposition de M. de La Trémouille et lui.
|
|
|
|
En effet, dix minutes s'étaient à peine écoulées, que la porte du
|
|
cabinet s'ouvrit et que M. de Tréville en vit sortir le duc de
|
|
La Trémouille, lequel vint à lui et lui dit:
|
|
|
|
«Monsieur de Tréville, Sa Majesté vient de m'envoyer quérir pour
|
|
savoir comment les choses s'étaient passées hier matin à mon
|
|
hôtel. Je lui ai dit la vérité, c'est-à-dire que la faute était à
|
|
mes gens, et que j'étais prêt à vous en faire mes excuses. Puisque
|
|
je vous rencontre, veuillez les recevoir, et me tenir toujours
|
|
pour un de vos amis.
|
|
|
|
-- Monsieur le duc, dit M. de Tréville, j'étais si plein de
|
|
confiance dans votre loyauté, que je n'avais pas voulu près de
|
|
Sa Majesté d'autre défenseur que vous-même. Je vois que je ne
|
|
m'étais pas abusé, et je vous remercie de ce qu'il y a encore en
|
|
France un homme de qui on puisse dire sans se tromper ce que j'ai
|
|
dit de vous.
|
|
|
|
-- C'est bien, c'est bien! dit le roi qui avait écouté tous ces
|
|
compliments entre les deux portes; seulement, dites-lui, Tréville,
|
|
puisqu'il se prétend un de vos amis, que moi aussi je voudrais
|
|
être des siens, mais qu'il me néglige; qu'il y a tantôt trois ans
|
|
que je ne l'ai vu, et que je ne le vois que quand je l'envoie
|
|
chercher. Dites-lui tout cela de ma part, car ce sont de ces
|
|
choses qu'un roi ne peut dire lui-même.
|
|
|
|
-- Merci, Sire, merci, dit le duc; mais que Votre Majesté croie
|
|
bien que ce ne sont pas ceux, je ne dis point cela pour
|
|
M. de Tréville, que ce ne sont point ceux qu'elle voit à toute
|
|
heure du jour qui lui sont le plus dévoués.
|
|
|
|
-- Ah! vous avez entendu ce que j'ai dit; tant mieux, duc, tant
|
|
mieux, dit le roi en s'avançant jusque sur la porte. Ah! c'est
|
|
vous, Tréville! où sont vos mousquetaires? Je vous avais dit
|
|
avant-hier de me les amener, pourquoi ne l'avez-vous pas fait?
|
|
|
|
-- Ils sont en bas, Sire, et avec votre congé La Chesnaye va leur
|
|
dire de monter.
|
|
|
|
-- Oui, oui, qu'ils viennent tout de suite; il va être huit
|
|
heures, et à neuf heures j'attends une visite. Allez, monsieur le
|
|
duc, et revenez surtout. Entrez, Tréville.»
|
|
|
|
Le duc salua et sortit. Au moment où il ouvrait la porte, les
|
|
trois mousquetaires et d'Artagnan, conduits par La Chesnaye,
|
|
apparaissaient au haut de l'escalier.
|
|
|
|
«Venez, mes braves, dit le roi, venez; j'ai à vous gronder.»
|
|
|
|
Les mousquetaires s'approchèrent en s'inclinant; d'Artagnan les
|
|
suivait par-derrière.
|
|
|
|
«Comment diable! continua le roi; à vous quatre, sept gardes de
|
|
Son Éminence mis hors de combat en deux jours! C'est trop,
|
|
messieurs, c'est trop. À ce compte-là, Son Éminence serait forcée
|
|
de renouveler sa compagnie dans trois semaines, et moi de faire
|
|
appliquer les édits dans toute leur rigueur. Un par hasard, je ne
|
|
dis pas; mais sept en deux jours, je le répète, c'est trop, c'est
|
|
beaucoup trop.
|
|
|
|
-- Aussi, Sire, Votre Majesté voit qu'ils viennent tout contrits
|
|
et tout repentants lui faire leurs excuses.
|
|
|
|
-- Tout contrits et tout repentants! Hum! fit le roi, je ne me fie
|
|
point à leurs faces hypocrites; il y a surtout là-bas une figure
|
|
de Gascon. Venez ici, monsieur.»
|
|
|
|
D'Artagnan, qui comprit que c'était à lui que le compliment
|
|
s'adressait, s'approcha en prenant son air le plus désespéré.
|
|
|
|
«Eh bien, que me disiez-vous donc que c'était un jeune homme?
|
|
c'est un enfant, monsieur de Tréville, un véritable enfant! Et
|
|
c'est celui-là qui a donné ce rude coup d'épée à Jussac?
|
|
|
|
-- Et ces deux beaux coups d'épée à Bernajoux.
|
|
|
|
-- Véritablement!
|
|
|
|
-- Sans compter, dit Athos, que s'il ne m'avait pas tiré des mains
|
|
de Biscarat, je n'aurais très certainement pas l'honneur de faire
|
|
en ce moment-ci ma très humble révérence à Votre Majesté.
|
|
|
|
-- Mais c'est donc un véritable démon que ce Béarnais, ventre-
|
|
saint-gris! monsieur de Tréville comme eût dit le roi mon père. À
|
|
ce métier-là, on doit trouer force pourpoints et briser force
|
|
épées. Or les Gascons sont toujours pauvres, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Sire, je dois dire qu'on n'a pas encore trouvé des mines d'or
|
|
dans leurs montagnes, quoique le Seigneur dût bien ce miracle en
|
|
récompense de la manière dont ils ont soutenu les prétentions du
|
|
roi votre père.
|
|
|
|
-- Ce qui veut dire que ce sont les Gascons qui m'ont fait roi
|
|
moi-même, n'est-ce pas, Tréville, puisque je suis le fils de mon
|
|
père? Eh bien, à la bonne heure, je ne dis pas non. La Chesnaye,
|
|
allez voir si, en fouillant dans toutes mes poches, vous trouverez
|
|
quarante pistoles; et si vous les trouvez, apportez-les-moi. Et
|
|
maintenant, voyons, jeune homme, la main sur la conscience,
|
|
comment cela s'est-il passé?»
|
|
|
|
D'Artagnan raconta l'aventure de la veille dans tous ses détails:
|
|
comment, n'ayant pas pu dormir de la joie qu'il éprouvait à voir
|
|
Sa Majesté, il était arrivé chez ses amis trois heures avant
|
|
l'heure de l'audience; comment ils étaient allés ensemble au
|
|
tripot, et comment, sur la crainte qu'il avait manifestée de
|
|
recevoir une balle au visage, il avait été raillé par Bernajoux,
|
|
lequel avait failli payer cette raillerie de la perte de la vie,
|
|
et M. de La Trémouille, qui n'y était pour rien, de la perte de
|
|
son hôtel.
|
|
|
|
«C'est bien cela, murmurait le roi; oui, c'est ainsi que le duc
|
|
m'a raconté la chose. Pauvre cardinal! sept hommes en deux jours,
|
|
et de ses plus chers; mais c'est assez comme cela, messieurs,
|
|
entendez-vous! c'est assez: vous avez pris votre revanche de la
|
|
rue Férou, et au-delà; vous devez être satisfaits.
|
|
|
|
-- Si Votre Majesté l'est, dit Tréville, nous le sommes.
|
|
|
|
-- Oui, je le suis, ajouta le roi en prenant une poignée d'or de
|
|
la main de La Chesnaye, et la mettant dans celle de d'Artagnan.
|
|
Voici, dit-il, une preuve de ma satisfaction.»
|
|
|
|
À cette époque, les idées de fierté qui sont de mise de nos jours
|
|
n'étaient point encore de mode. Un gentilhomme recevait de la main
|
|
à la main de l'argent du roi, et n'en était pas le moins du monde
|
|
humilié. D'Artagnan mit donc les quarante pistoles dans sa poche
|
|
sans faire aucune façon, et en remerciant tout au contraire
|
|
grandement Sa Majesté.
|
|
|
|
«Là, dit le roi en regardant sa pendule, là, et maintenant qu'il
|
|
est huit heures et demie, retirez-vous; car, je vous l'ai dit,
|
|
j'attends quelqu'un à neuf heures. Merci de votre dévouement,
|
|
messieurs. J'y puis compter, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Oh! Sire, s'écrièrent d'une même voix les quatre compagnons,
|
|
nous nous ferions couper en morceaux pour Votre Majesté.
|
|
|
|
-- Bien, bien; mais restez entiers: cela vaut mieux, et vous me
|
|
serez plus utiles. Tréville, ajouta le roi à demi-voix pendant que
|
|
les autres se retiraient, comme vous n'avez pas de place dans les
|
|
mousquetaires et que d'ailleurs pour entrer dans ce corps nous
|
|
avons décidé qu'il fallait faire un noviciat, placez ce jeune
|
|
homme dans la compagnie des gardes de M. des Essarts, votre beau-
|
|
frère. Ah! pardieu! Tréville, je me réjouis de la grimace que va
|
|
faire le cardinal: il sera furieux, mais cela m'est égal; je suis
|
|
dans mon droit.»
|
|
|
|
Et le roi salua de la main Tréville, qui sortit et s'en vint
|
|
rejoindre ses mousquetaires, qu'il trouva partageant avec
|
|
d'Artagnan les quarante pistoles.
|
|
|
|
Et le cardinal, comme l'avait dit Sa Majesté, fut effectivement
|
|
furieux, si furieux que pendant huit jours il abandonna le jeu du
|
|
roi, ce qui n'empêchait pas le roi de lui faire la plus charmante
|
|
mine du monde, et toutes les fois qu'il le rencontrait de lui
|
|
demander de sa voix la plus caressante:
|
|
|
|
«Eh bien, monsieur le cardinal, comment vont ce pauvre Bernajoux
|
|
et ce pauvre Jussac, qui sont à vous?»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE VII
|
|
L'INTÉRIEUR DES MOUSQUETAIRES
|
|
|
|
Lorsque d'Artagnan fut hors du Louvre, et qu'il consulta ses amis
|
|
sur l'emploi qu'il devait faire de sa part des quarante pistoles,
|
|
Athos lui conseilla de commander un bon repas à la Pomme de Pin,
|
|
Porthos de prendre un laquais, et Aramis de se faire une maîtresse
|
|
convenable.
|
|
|
|
Le repas fut exécuté le jour même, et le laquais y servit à table.
|
|
Le repas avait été commandé par Athos, et le laquais fourni par
|
|
Porthos. C'était un Picard que le glorieux mousquetaire avait
|
|
embauché le jour même et à cette occasion sur le pont de la
|
|
Tournelle, pendant qu'il faisait des ronds en crachant dans l'eau.
|
|
|
|
Porthos avait prétendu que cette occupation était la preuve d'une
|
|
organisation réfléchie et contemplative, et il l'avait emmené sans
|
|
autre recommandation. La grande mine de ce gentilhomme, pour le
|
|
compte duquel il se crut engagé, avait séduit Planchet -- c'était
|
|
le nom du Picard --; il y eut chez lui un léger désappointement
|
|
lorsqu'il vit que la place était déjà prise par un confrère nommé
|
|
Mousqueton, et lorsque Porthos lui eut signifié que son état de
|
|
maison, quoi que grand, ne comportait pas deux domestiques, et
|
|
qu'il lui fallait entrer au service de d'Artagnan. Cependant,
|
|
lorsqu'il assista au dîner que donnait son maître et qu'il vit
|
|
celui-ci tirer en payant une poignée d'or de sa poche, il crut sa
|
|
fortune faite et remercia le Ciel d'être tombé en la possession
|
|
d'un pareil Crésus; il persévéra dans cette opinion jusqu'après le
|
|
festin, des reliefs duquel il répara de longues abstinences. Mais
|
|
en faisant, le soir, le lit de son maître, les chimères de
|
|
Planchet s'évanouirent. Le lit était le seul de l'appartement, qui
|
|
se composait d'une antichambre et d'une chambre à coucher.
|
|
Planchet coucha dans l'antichambre sur une couverture tirée du lit
|
|
de d'Artagnan, et dont d'Artagnan se passa depuis.
|
|
|
|
Athos, de son côté, avait un valet qu'il avait dressé à son
|
|
service d'une façon toute particulière, et que l'on appelait
|
|
Grimaud. Il était fort silencieux, ce digne seigneur. Nous parlons
|
|
d'Athos, bien entendu. Depuis cinq ou six ans qu'il vivait dans la
|
|
plus profonde intimité avec ses compagnons Porthos et Aramis,
|
|
ceux-ci se rappelaient l'avoir vu sourire souvent, mais jamais ils
|
|
ne l'avaient entendu rire. Ses paroles étaient brèves et
|
|
expressives, disant toujours ce qu'elles voulaient dire, rien de
|
|
plus: pas d'enjolivements, pas de broderies, pas d'arabesques. Sa
|
|
conversation était un fait sans aucun épisode.
|
|
|
|
Quoique Athos eût à peine trente ans et fût d'une grande beauté de
|
|
corps et d'esprit, personne ne lui connaissait de maîtresse.
|
|
Jamais il ne parlait de femmes. Seulement il n'empêchait pas qu'on
|
|
en parlât devant lui, quoiqu'il fût facile de voir que ce genre de
|
|
conversation, auquel il ne se mêlait que par des mots amers et des
|
|
aperçus misanthropiques, lui était parfaitement désagréable. Sa
|
|
réserve, sa sauvagerie et son mutisme en faisaient presque un
|
|
vieillard; il avait donc, pour ne point déroger à ses habitudes,
|
|
habitué Grimaud à lui obéir sur un simple geste ou sur un simple
|
|
mouvement des lèvres. Il ne lui parlait que dans des circonstances
|
|
suprêmes.
|
|
|
|
Quelquefois Grimaud, qui craignait son maître comme le feu, tout
|
|
en ayant pour sa personne un grand attachement et pour son génie
|
|
une grande vénération, croyait avoir parfaitement compris ce qu'il
|
|
désirait, s'élançait pour exécuter l'ordre reçu, et faisait
|
|
précisément le contraire. Alors Athos haussait les épaules et,
|
|
sans se mettre en colère, rossait Grimaud. Ces jours-là, il
|
|
parlait un peu.
|
|
|
|
Porthos, comme on a pu le voir, avait un caractère tout opposé à
|
|
celui d'Athos: non seulement il parlait beaucoup, mais il parlait
|
|
haut; peu lui importait au reste, il faut lui rendre cette
|
|
justice, qu'on l'écoutât ou non; il parlait pour le plaisir de
|
|
parler et pour le plaisir de s'entendre; il parlait de toutes
|
|
choses excepté de sciences, excipant à cet endroit de la haine
|
|
invétérée que depuis son enfance il portait, disait-il, aux
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savants. Il avait moins grand air qu'Athos, et le sentiment de son
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infériorité à ce sujet l'avait, dans le commencement de leur
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liaison, rendu souvent injuste pour ce gentilhomme, qu'il s'était
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alors efforcé de dépasser par ses splendides toilettes. Mais, avec
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sa simple casaque de mousquetaire et rien que par la façon dont il
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rejetait la tête en arrière et avançait le pied, Athos prenait à
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l'instant même la place qui lui était due et reléguait le fastueux
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Porthos au second rang. Porthos s'en consolait en remplissant
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l'antichambre de M. de Tréville et les corps de garde du Louvre du
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bruit de ses bonnes fortunes, dont Athos ne parlait jamais, et
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pour le moment, après avoir passé de la noblesse de robe à la
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noblesse d'épée, de la robine à la baronne, il n'était question de
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rien de moins pour Porthos que d'une princesse étrangère qui lui
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voulait un bien énorme.
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Un vieux proverbe dit: «Tel maître, tel valet.» Passons donc du
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valet d'Athos au valet de Porthos, de Grimaud à Mousqueton.
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Mousqueton était un Normand dont son maître avait changé le nom
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pacifique de Boniface en celui infiniment plus sonore et plus
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belliqueux de Mousqueton. Il était entré au service de Porthos à
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la condition qu'il serait habillé et logé seulement, mais d'une
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façon magnifique; il ne réclamait que deux heures par jour pour
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les consacrer à une industrie qui devait suffire à pourvoir à ses
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autres besoins. Porthos avait accepté le marché; la chose lui
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allait à merveille. Il faisait tailler à Mousqueton des pourpoints
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dans ses vieux habits et dans ses manteaux de rechange, et, grâce
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à un tailleur fort intelligent qui lui remettait ses hardes à neuf
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en les retournant, et dont la femme était soupçonnée de vouloir
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faire descendre Porthos de ses habitudes aristocratiques,
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Mousqueton faisait à la suite de son maître fort bonne figure.
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Quant à Aramis, dont nous croyons avoir suffisamment exposé le
|
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caractère, caractère du reste que, comme celui de ses compagnons,
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nous pourrons suivre dans son développement, son laquais
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s'appelait Bazin. Grâce à l'espérance qu'avait son maître d'entrer
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un jour dans les ordres, il était toujours vêtu de noir, comme
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doit l'être le serviteur d'un homme d'Église. C'était un Berrichon
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de trente-cinq à quarante ans, doux, paisible, grassouillet,
|
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occupant à lire de pieux ouvrages les loisirs que lui laissait son
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maître, faisant à la rigueur pour deux un dîner de peu de plats,
|
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mais excellent. Au reste, muet, aveugle, sourd et d'une fidélité à
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toute épreuve.
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Maintenant que nous connaissons, superficiellement du moins, les
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maîtres et les valets, passons aux demeures occupées par chacun
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d'eux.
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Athos habitait rue Férou, à deux pas du Luxembourg; son
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appartement se composait de deux petites chambres, fort proprement
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meublées, dans une maison garnie dont l'hôtesse encore jeune et
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véritablement encore belle lui faisait inutilement les doux yeux.
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Quelques fragments d'une grande splendeur passée éclataient çà et
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là aux murailles de ce modeste logement: c'était une épée, par
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exemple, richement damasquinée, qui remontait pour la façon à
|
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l'époque de François Ier, et dont la poignée seule, incrustée de
|
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pierres précieuses, pouvait valoir deux cents pistoles, et que
|
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cependant, dans ses moments de plus grande détresse, Athos n'avait
|
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jamais consenti à engager ni à vendre. Cette épée avait longtemps
|
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fait l'ambition de Porthos. Porthos aurait donné dix années de sa
|
|
vie pour posséder cette épée.
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Un jour qu'il avait rendez-vous avec une duchesse, il essaya même
|
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de l'emprunter à Athos. Athos, sans rien dire, vida ses poches,
|
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ramassa tous ses bijoux: bourses, aiguillettes et chaînes d'or, il
|
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offrit tout à Porthos; mais quant à l'épée, lui dit-il, elle était
|
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scellée à sa place et ne devait la quitter que lorsque son maître
|
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quitterait lui-même son logement. Outre son épée, il y avait
|
|
encore un portrait représentant un seigneur du temps de Henri III
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vêtu avec la plus grande élégance, et qui portait l'ordre du
|
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Saint-Esprit, et ce portrait avait avec Athos certaines
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ressemblances de lignes, certaines similitudes de famille, qui
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indiquaient que ce grand seigneur, chevalier des ordres du roi,
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était son ancêtre.
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Enfin, un coffre de magnifique orfèvrerie, aux mêmes armes que
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l'épée et le portrait, faisait un milieu de cheminée qui jurait
|
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effroyablement avec le reste de la garniture. Athos portait
|
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toujours la clef de ce coffre sur lui. Mais un jour il l'avait
|
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ouvert devant Porthos, et Porthos avait pu s'assurer que ce coffre
|
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ne contenait que des lettres et des papiers: des lettres d'amour
|
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et des papiers de famille, sans doute.
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Porthos habitait un appartement très vaste et d'une très
|
|
somptueuse apparence, rue du Vieux-Colombier. Chaque fois qu'il
|
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passait avec quelque ami devant ses fenêtres, à l'une desquelles
|
|
Mousqueton se tenait toujours en grande livrée, Porthos levait la
|
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tête et la main, et disait: Voilà ma demeure! Mais jamais on ne le
|
|
trouvait chez lui, jamais il n'invitait personne à y monter, et
|
|
nul ne pouvait se faire une idée de ce que cette somptueuse
|
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apparence renfermait de richesses réelles.
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|
Quant à Aramis, il habitait un petit logement composé d'un
|
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boudoir, d'une salle à manger et d'une chambre à coucher, laquelle
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chambre, située comme le reste de l'appartement au rez-de-
|
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chaussée, donnait sur un petit jardin frais, vert, ombreux et
|
|
impénétrable aux yeux du voisinage.
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|
Quant à d'Artagnan, nous savons comment il était logé, et nous
|
|
avons déjà fait connaissance avec son laquais, maître Planchet.
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D'Artagnan, qui était fort curieux de sa nature, comme sont les
|
|
gens, du reste, qui ont le génie de l'intrigue, fit tous ses
|
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efforts pour savoir ce qu'étaient au juste Athos, Porthos et
|
|
Aramis; car, sous ces noms de guerre, chacun des jeunes gens
|
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cachait son nom de gentilhomme, Athos surtout, qui sentait son
|
|
grand seigneur d'une lieue. Il s'adressa donc à Porthos pour avoir
|
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des renseignements sur Athos et Aramis, et à Aramis pour connaître
|
|
Porthos.
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|
Malheureusement, Porthos lui-même ne savait de la vie de son
|
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silencieux camarade que ce qui en avait transpiré. On disait qu'il
|
|
avait eu de grands malheurs dans ses affaires amoureuses, et
|
|
qu'une affreuse trahison avait empoisonné à jamais la vie de ce
|
|
galant homme. Quelle était cette trahison? Tout le monde
|
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l'ignorait.
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|
|
Quant à Porthos, excepté son véritable nom, que M. de Tréville
|
|
savait seul, ainsi que celui de ses deux camarades, sa vie était
|
|
facile à connaître. Vaniteux et indiscret, on voyait à travers lui
|
|
comme à travers un cristal. La seule chose qui eût pu égarer
|
|
l'investigateur eût été que l'on eût cru tout le bien qu'il disait
|
|
de lui.
|
|
|
|
Quant à Aramis, tout en ayant l'air de n'avoir aucun secret,
|
|
c'était un garçon tout confit de mystères, répondant peu aux
|
|
questions qu'on lui faisait sur les autres, et éludant celles que
|
|
l'on faisait sur lui-même. Un jour, d'Artagnan, après l'avoir
|
|
longtemps interrogé sur Porthos et en avoir appris ce bruit qui
|
|
courait de la bonne fortune du mousquetaire avec une princesse,
|
|
voulut savoir aussi à quoi s'en tenir sur les aventures amoureuses
|
|
de son interlocuteur.
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|
«Et vous, mon cher compagnon, lui dit-il, vous qui parlez des
|
|
baronnes, des comtesses et des princesses des autres?
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|
|
|
-- Pardon, interrompit Aramis, j'ai parlé parce que Porthos en
|
|
parle lui-même, parce qu'il a crié toutes ces belles choses devant
|
|
moi. Mais croyez bien, mon cher monsieur d'Artagnan, que si je les
|
|
tenais d'une autre source ou qu'il me les eût confiées, il n'y
|
|
aurait pas eu de confesseur plus discret que moi.
|
|
|
|
-- Je n'en doute pas, reprit d'Artagnan; mais enfin, il me semble
|
|
que vous-même vous êtes assez familier avec les armoiries, témoin
|
|
certain mouchoir brodé auquel je dois l'honneur de votre
|
|
connaissance.»
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|
|
Aramis, cette fois, ne se fâcha point, mais il prit son air le
|
|
plus modeste et répondit affectueusement:
|
|
|
|
«Mon cher, n'oubliez pas que je veux être Église, et que je fuis
|
|
toutes les occasions mondaines. Ce mouchoir que vous avez vu ne
|
|
m'avait point été confié, mais il avait été oublié chez moi par un
|
|
de mes amis. J'ai dû le recueillir pour ne pas les compromettre,
|
|
lui et la dame qu'il aime. Quant à moi, je n'ai point et ne veux
|
|
point avoir de maîtresse, suivant en cela l'exemple très judicieux
|
|
d'Athos, qui n'en a pas plus que moi.
|
|
|
|
-- Mais, que diable! vous n'êtes pas abbé, puisque vous êtes
|
|
mousquetaire.
|
|
|
|
-- Mousquetaire par intérim, mon cher, comme dit le cardinal,
|
|
mousquetaire contre mon gré, mais homme Église dans le coeur,
|
|
croyez-moi. Athos et Porthos m'ont fourré là-dedans pour
|
|
m'occuper: j'ai eu, au moment d'être ordonné, une petite
|
|
difficulté avec... Mais cela ne vous intéresse guère, et je vous
|
|
prends un temps précieux.
|
|
|
|
-- Point du tout, cela m'intéresse fort, s'écria d'Artagnan, et je
|
|
n'ai pour le moment absolument rien à faire.
|
|
|
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-- Oui, mais moi j'ai mon bréviaire à dire, répondit Aramis, puis
|
|
quelques vers à composer que m'a demandés Mme d'Aiguillon; ensuite
|
|
je dois passer rue Saint-Honoré afin d'acheter du rouge pour
|
|
Mme de Chevreuse. Vous voyez, mon cher ami, que si rien ne vous
|
|
presse, je suis très pressé, moi.»
|
|
|
|
Et Aramis tendit affectueusement la main à son compagnon, et prit
|
|
congé de lui.
|
|
|
|
D'Artagnan ne put, quelque peine qu'il se donnât, en savoir
|
|
davantage sur ses trois nouveaux amis. Il prit donc son parti de
|
|
croire dans le présent tout ce qu'on disait de leur passé,
|
|
espérant des révélations plus sûres et plus étendues de l'avenir.
|
|
En attendant, il considéra Athos comme un Achille, Porthos comme
|
|
un Ajax, et Aramis comme un Joseph.
|
|
|
|
Au reste, la vie des quatre jeunes gens était joyeuse: Athos
|
|
jouait, et toujours malheureusement. Cependant il n'empruntait
|
|
jamais un sou à ses amis, quoique sa bourse fût sans cesse à leur
|
|
service, et lorsqu'il avait joué sur parole, il faisait toujours
|
|
réveiller son créancier à six heures du matin pour lui payer sa
|
|
dette de la veille.
|
|
|
|
Porthos avait des fougues: ces jours-là, s'il gagnait, on le
|
|
voyait insolent et splendide; s'il perdait, il disparaissait
|
|
complètement pendant quelques jours, après lesquels il
|
|
reparaissait le visage blême et la mine allongée, mais avec de
|
|
l'argent dans ses poches.
|
|
|
|
Quant à Aramis, il ne jouait jamais. C'était bien le plus mauvais
|
|
mousquetaire et le plus méchant convive qui se pût voir... Il
|
|
avait toujours besoin de travailler. Quelquefois au milieu d'un
|
|
dîner, quand chacun, dans l'entraînement du vin et dans la chaleur
|
|
de la conversation, croyait que l'on en avait encore pour deux ou
|
|
trois heures à rester à table, Aramis regardait sa montre, se
|
|
levait avec un gracieux sourire et prenait congé de la société,
|
|
pour aller, disait-il, consulter un casuiste avec lequel il avait
|
|
rendez-vous. D'autres fois, il retournait à son logis pour écrire
|
|
une thèse, et priait ses amis de ne pas le distraire.
|
|
|
|
Cependant Athos souriait de ce charmant sourire mélancolique, si
|
|
bien séant à sa noble figure, et Porthos buvait en jurant
|
|
qu'Aramis ne serait jamais qu'un curé de village.
|
|
|
|
Planchet, le valet de d'Artagnan, supporta noblement la bonne
|
|
fortune; il recevait trente sous par jour, et pendant un mois il
|
|
revenait au logis gai comme pinson et affable envers son maître.
|
|
Quand le vent de l'adversité commença à souffler sur le ménage de
|
|
la rue des Fossoyeurs, c'est-à-dire quand les quarante pistoles du
|
|
roi Louis XIII furent mangées ou à peu près, il commença des
|
|
plaintes qu'Athos trouva nauséabondes, Porthos indécentes, et
|
|
Aramis ridicules. Athos conseilla donc à d'Artagnan de congédier
|
|
le drôle, Porthos voulait qu'on le bâtonnât auparavant, et Aramis
|
|
prétendit qu'un maître ne devait entendre que les compliments
|
|
qu'on fait de lui.
|
|
|
|
«Cela vous est bien aisé à dire, reprit d'Artagnan: à vous, Athos,
|
|
qui vivez muet avec Grimaud, qui lui défendez de parler, et qui,
|
|
par conséquent, n'avez jamais de mauvaises paroles avec lui; à
|
|
vous, Porthos, qui menez un train magnifique et qui êtes un dieu
|
|
pour votre valet Mousqueton; à vous enfin, Aramis, qui, toujours
|
|
distrait par vos études théologiques, inspirez un profond respect
|
|
à votre serviteur Bazin, homme doux et religieux; mais moi qui
|
|
suis sans consistance et sans ressources, moi qui ne suis pas
|
|
mousquetaire ni même garde, moi, que ferai-je pour inspirer de
|
|
l'affection, de la terreur ou du respect à Planchet?
|
|
|
|
-- La chose est grave, répondirent les trois amis, c'est une
|
|
affaire d'intérieur; il en est des valets comme des femmes, il
|
|
faut les mettre tout de suite sur le pied où l'on désire qu'ils
|
|
restent. Réfléchissez donc.»
|
|
|
|
D'Artagnan réfléchit et se résolut à rouer Planchet par provision,
|
|
ce qui fut exécuté avec la conscience que d'Artagnan mettait en
|
|
toutes choses; puis, après l'avoir bien rossé, il lui défendit de
|
|
quitter son service sans sa permission. «Car, ajouta-t-il,
|
|
l'avenir ne peut me faire faute; j'attends inévitablement des
|
|
temps meilleurs. Ta fortune est donc faite si tu restes près de
|
|
moi, et je suis trop bon maître pour te faire manquer ta fortune
|
|
en t'accordant le congé que tu me demandes.»
|
|
|
|
Cette manière d'agir donna beaucoup de respect aux mousquetaires
|
|
pour la politique de d'Artagnan. Planchet fut également saisi
|
|
d'admiration et ne parla plus de s'en aller.
|
|
|
|
La vie des quatre jeunes gens était devenue commune; d'Artagnan,
|
|
qui n'avait aucune habitude, puisqu'il arrivait de sa province et
|
|
tombait au milieu d'un monde tout nouveau pour lui, prit aussitôt
|
|
les habitudes de ses amis.
|
|
|
|
On se levait vers huit heures en hiver, vers six heures en été, et
|
|
l'on allait prendre le mot d'ordre et l'air des affaires chez
|
|
M. de Tréville. D'Artagnan, bien qu'il ne fût pas mousquetaire, en
|
|
faisait le service avec une ponctualité touchante: il était
|
|
toujours de garde, parce qu'il tenait toujours compagnie à celui
|
|
de ses trois amis qui montait la sienne. On le connaissait à
|
|
l'hôtel des mousquetaires, et chacun le tenait pour un bon
|
|
camarade; M. de Tréville, qui l'avait apprécié du premier coup
|
|
d'oeil, et qui lui portait une véritable affection, ne cessait de
|
|
le recommander au roi.
|
|
|
|
De leur côté, les trois mousquetaires aimaient fort leur jeune
|
|
camarade. L'amitié qui unissait ces quatre hommes, et le besoin de
|
|
se voir trois ou quatre fois par jour, soit pour duel, soit pour
|
|
affaires, soit pour plaisir, les faisaient sans cesse courir l'un
|
|
après l'autre comme des ombres; et l'on rencontrait toujours les
|
|
inséparables se cherchant du Luxembourg à la place Saint-Sulpice,
|
|
ou de la rue du Vieux-Colombier au Luxembourg.
|
|
|
|
En attendant, les promesses de M. de Tréville allaient leur train.
|
|
Un beau jour, le roi commanda à M. le chevalier des Essarts de
|
|
prendre d'Artagnan comme cadet dans sa compagnie des gardes.
|
|
D'Artagnan endossa en soupirant cet habit, qu'il eût voulu, au
|
|
prix de dix années de son existence, troquer contre la casaque de
|
|
mousquetaire. Mais M. de Tréville promit cette faveur après un
|
|
noviciat de deux ans, noviciat qui pouvait être abrégé au reste,
|
|
si l'occasion se présentait pour d'Artagnan de rendre quelque
|
|
service au roi ou de faire quelque action d'éclat. D'Artagnan se
|
|
retira sur cette promesse et, dès le lendemain, commença son
|
|
service.
|
|
|
|
Alors ce fut le tour d'Athos, de Porthos et d'Aramis de monter la
|
|
garde avec d'Artagnan quand il était de garde. La compagnie de
|
|
M. le chevalier des Essarts prit ainsi quatre hommes au lieu d'un,
|
|
le jour où elle prit d'Artagnan.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE VIII
|
|
UNE INTRIGUE DE COEUR
|
|
|
|
Cependant les quarante pistoles du roi Louis XIII, ainsi que
|
|
toutes les choses de ce monde, après avoir eu un commencement
|
|
avaient eu une fin, et depuis cette fin nos quatre compagnons
|
|
étaient tombés dans la gêne. D'abord Athos avait soutenu pendant
|
|
quelque temps l'association de ses propres deniers. Porthos lui
|
|
avait succédé, et, grâce à une de ces disparitions auxquelles on
|
|
était habitué, il avait pendant près de quinze jours encore
|
|
subvenu aux besoins de tout le monde; enfin était arrivé le tour
|
|
d'Aramis, qui s'était exécuté de bonne grâce, et qui était
|
|
parvenu, disait-il, en vendant ses livres de théologie, à se
|
|
procurer quelques pistoles.
|
|
|
|
On eut alors, comme d'habitude, recours à M. de Tréville, qui fit
|
|
quelques avances sur la solde; mais ces avances ne pouvaient
|
|
conduire bien loin trois mousquetaires qui avaient déjà force
|
|
comptes arriérés, et un garde qui n'en avait pas encore.
|
|
|
|
Enfin, quand on vit qu'on allait manquer tout à fait, on rassembla
|
|
par un dernier effort huit ou dix pistoles que Porthos joua.
|
|
Malheureusement, il était dans une mauvaise veine: il perdit tout,
|
|
plus vingt-cinq pistoles sur parole.
|
|
|
|
Alors la gêne devint de la détresse, on vit les affamés suivis de
|
|
leurs laquais courir les quais et les corps de garde, ramassant
|
|
chez leurs amis du dehors tous les dîners qu'ils purent trouver;
|
|
car, suivant l'avis d'Aramis, on devait dans la prospérité semer
|
|
des repas à droite et à gauche pour en récolter quelques-uns dans
|
|
la disgrâce.
|
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|
|
Athos fut invité quatre fois et mena chaque fois ses amis avec
|
|
leurs laquais. Porthos eut six occasions et en fit également jouir
|
|
ses camarades; Aramis en eut huit. C'était un homme, comme on a
|
|
déjà pu s'en apercevoir, qui faisait peu de bruit et beaucoup de
|
|
besogne.
|
|
|
|
Quant à d'Artagnan, qui ne connaissait encore personne dans la
|
|
capitale, il ne trouva qu'un déjeuner de chocolat chez un prêtre
|
|
de son pays, et un dîner chez un cornette des gardes. Il mena son
|
|
armée chez le prêtre, auquel on dévora sa provision de deux mois,
|
|
et chez le cornette, qui fit des merveilles; mais, comme le disait
|
|
Planchet, on ne mange toujours qu'une fois, même quand on mange
|
|
beaucoup.
|
|
|
|
D'Artagnan se trouva donc assez humilié de n'avoir eu qu'un repas
|
|
et demi, car le déjeuner chez le prêtre ne pouvait compter que
|
|
pour un demi-repas, à offrir à ses compagnons en échange des
|
|
festins que s'étaient procurés Athos, Porthos et Aramis. Il se
|
|
croyait à charge à la société, oubliant dans sa bonne foi toute
|
|
juvénile qu'il avait nourri cette société pendant un mois, et son
|
|
esprit préoccupé se mit à travailler activement. Il réfléchit que
|
|
cette coalition de quatre hommes jeunes, braves, entreprenants et
|
|
actifs devait avoir un autre but que des promenades déhanchées,
|
|
des leçons d'escrime et des lazzi plus ou moins spirituels.
|
|
|
|
En effet, quatre hommes comme eux, quatre hommes dévoués les uns
|
|
aux autres depuis la bourse jusqu'à la vie, quatre hommes se
|
|
soutenant toujours, ne reculant jamais, exécutant isolément ou
|
|
ensemble les résolutions prises en commun; quatre bras menaçant
|
|
les quatre points cardinaux ou se tournant vers un seul point,
|
|
devaient inévitablement, soit souterrainement, soit au jour, soit
|
|
par la mine, soit par la tranchée, soit par la ruse, soit par la
|
|
force, s'ouvrir un chemin vers le but qu'ils voulaient atteindre,
|
|
si bien défendu ou si éloigné qu'il fût. La seule chose qui
|
|
étonnât d'Artagnan, c'est que ses compagnons n'eussent point songé
|
|
à cela.
|
|
|
|
Il y songeait, lui, et sérieusement même, se creusant la cervelle
|
|
pour trouver une direction à cette force unique quatre fois
|
|
multipliée avec laquelle il ne doutait pas que, comme avec le
|
|
levier que cherchait Archimède, on ne parvînt à soulever le monde,
|
|
-- lorsque l'on frappa doucement à la porte. D'Artagnan réveilla
|
|
Planchet et lui ordonna d'aller ouvrir.
|
|
|
|
Que de cette phrase: d'Artagnan réveilla Planchet, le lecteur
|
|
n'aille pas augurer qu'il faisait nuit ou que le jour n'était
|
|
point encore venu. Non! quatre heures venaient de sonner.
|
|
Planchet, deux heures auparavant, était venu demander à dîner à
|
|
son maître, lequel lui avait répondu par le proverbe: «Qui dort
|
|
dîne.» Et Planchet dînait en dormant.
|
|
|
|
Un homme fut introduit, de mine assez simple et qui avait l'air
|
|
d'un bourgeois.
|
|
|
|
Planchet, pour son dessert, eût bien voulu entendre la
|
|
conversation; mais le bourgeois déclara à d'Artagnan que ce qu'il
|
|
avait à lui dire étant important et confidentiel, il désirait
|
|
demeurer en tête-à-tête avec lui.
|
|
|
|
D'Artagnan congédia Planchet et fit asseoir son visiteur.
|
|
|
|
Il y eut un moment de silence pendant lequel les deux hommes se
|
|
regardèrent comme pour faire une connaissance préalable, après
|
|
quoi d'Artagnan s'inclina en signe qu'il écoutait.
|
|
|
|
«J'ai entendu parler de M. d'Artagnan comme d'un jeune homme fort
|
|
brave, dit le bourgeois, et cette réputation dont il jouit à juste
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titre m'a décidé à lui confier un secret.
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-- Parlez, monsieur, parlez», dit d'Artagnan, qui d'instinct
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flaira quelque chose d'avantageux.
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Le bourgeois fit une nouvelle pause et continua:
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«J'ai ma femme qui est lingère chez la reine, monsieur, et qui ne
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manque ni de sagesse, ni de beauté. On me l'a fait épouser voilà
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bientôt trois ans, quoiqu'elle n'eût qu'un petit avoir, parce que
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M. de La Porte, le portemanteau de la reine, est son parrain et la
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protège...
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-- Eh bien, monsieur? demanda d'Artagnan.
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-- Eh bien, reprit le bourgeois, eh bien, monsieur, ma femme a été
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enlevée hier matin, comme elle sortait de sa chambre de travail.
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-- Et par qui votre femme a-t-elle été enlevée?
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-- Je n'en sais rien sûrement, monsieur, mais je soupçonne
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quelqu'un.
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-- Et quelle est cette personne que vous soupçonnez?
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-- Un homme qui la poursuivait depuis longtemps.
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-- Diable!
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-- Mais voulez-vous que je vous dise, monsieur, continua le
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bourgeois, je suis convaincu, moi, qu'il y a moins d'amour que de
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politique dans tout cela.
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-- Moins d'amour que de politique, reprit d'Artagnan d'un air fort
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réfléchi, et que soupçonnez-vous?
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-- Je ne sais pas si je devrais vous dire ce que je soupçonne...
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-- Monsieur, je vous ferai observer que je ne vous demande
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absolument rien, moi. C'est vous qui êtes venu. C'est vous qui
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m'avez dit que vous aviez un secret à me confier. Faites donc à
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votre guise, il est encore temps de vous retirer.
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-- Non, monsieur, non; vous m'avez l'air d'un honnête jeune homme,
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et j'aurai confiance en vous. Je crois donc que ce n'est pas à
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cause de ses amours que ma femme a été arrêtée, mais à cause de
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celles d'une plus grande dame qu'elle.
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-- Ah! ah! serait-ce à cause des amours de Mme de Bois-Tracy? fit
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d'Artagnan, qui voulut avoir l'air, vis-à-vis de son bourgeois,
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d'être au courant des affaires de la cour.
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-- Plus haut, monsieur, plus haut.
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-- De Mme d'Aiguillon?
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-- Plus haut encore.
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-- De Mme de Chevreuse?
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-- Plus haut, beaucoup plus haut!
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-- De la... d'Artagnan s'arrêta.
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-- Oui, monsieur, répondit si bas, qu'à peine si on put
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l'entendre, le bourgeois épouvanté.
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-- Et avec qui?
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-- Avec qui cela peut-il être, si ce n'est avec le duc de...
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-- Le duc de...
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-- Oui, monsieur! répondit le bourgeois, en donnant à sa voix une
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intonation plus sourde encore.
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-- Mais comment savez-vous tout cela, vous?
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-- Ah! comment je le sais?
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-- Oui, comment le savez-vous? Pas de demi-confidence, ou... vous
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comprenez.
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-- Je le sais par ma femme, monsieur, par ma femme elle-même.
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-- Qui le sait, elle, par qui?
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-- Par M. de La Porte. Ne vous ai-je pas dit qu'elle était la
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filleule de M. de La Porte, l'homme de confiance de la reine? Eh
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bien, M. de La Porte l'avait mise près de Sa Majesté pour que
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notre pauvre reine au moins eût quelqu'un à qui se fier,
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abandonnée comme elle l'est par le roi, espionnée comme elle l'est
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par le cardinal, trahie comme elle l'est par tous.
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-- Ah! ah! voilà qui se dessine, dit d'Artagnan.
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-- Or ma femme est venue il y a quatre jours, monsieur; une de ses
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conditions était qu'elle devait me venir voir deux fois la
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semaine; car, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, ma
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femme m'aime beaucoup; ma femme est donc venue, et m'a confié que
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la reine, en ce moment-ci, avait de grandes craintes.
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-- Vraiment?
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-- Oui, M. le cardinal, à ce qu'il paraît, la poursuit et la
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persécute plus que jamais. Il ne peut pas lui pardonner l'histoire
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de la sarabande. Vous savez l'histoire de la sarabande?
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-- Pardieu, si je la sais! répondit d'Artagnan, qui ne savait rien
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du tout, mais qui voulait avoir l'air d'être au courant.
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-- De sorte que, maintenant, ce n'est plus de la haine, c'est de
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la vengeance.
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-- Vraiment?
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-- Et la reine croit...
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-- Eh bien, que croit la reine?
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-- Elle croit qu'on a écrit à M. le duc de Buckingham en son nom.
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-- Au nom de la reine?
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-- Oui, pour le faire venir à Paris, et une fois venu à Paris,
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pour l'attirer dans quelque piège.
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-- Diable! mais votre femme, mon cher monsieur, qu'a-t-elle à
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faire dans tout cela?
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-- On connaît son dévouement pour la reine, et l'on veut ou
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l'éloigner de sa maîtresse, ou l'intimider pour avoir les secrets
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de Sa Majesté, ou la séduire pour se servir d'elle comme d'un
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espion.
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-- C'est probable, dit d'Artagnan; mais l'homme qui l'a enlevée,
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le connaissez-vous?
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-- Je vous ai dit que je croyais le connaître.
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-- Son nom?
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-- Je ne le sais pas; ce que je sais seulement, c'est que c'est
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une créature du cardinal, son âme damnée.
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-- Mais vous l'avez vu?
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-- Oui, ma femme me l'a montré un jour.
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-- A-t-il un signalement auquel on puisse le reconnaître?
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-- Oh! certainement, c'est un seigneur de haute mine, poil noir,
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teint basané, oeil perçant, dents blanches et une cicatrice à la
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tempe.
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-- Une cicatrice à la tempe! s'écria d'Artagnan, et avec cela
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dents blanches, oeil perçant, teint basané, poil noir, et haute
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mine; c'est mon homme de Meung!
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-- C'est votre homme, dites-vous?
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-- Oui, oui; mais cela ne fait rien à la chose. Non, je me trompe,
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cela la simplifie beaucoup, au contraire: si votre homme est le
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mien, je ferai d'un coup deux vengeances, voilà tout; mais où
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|
rejoindre cet homme?
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-- Je n'en sais rien.
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-- Vous n'avez aucun renseignement sur sa demeure?
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-- Aucun; un jour que je reconduisais ma femme au Louvre, il en
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|
sortait comme elle allait y entrer, et elle me l'a fait voir.
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-- Diable! diable! murmura d'Artagnan, tout ceci est bien vague;
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par qui avez-vous su l'enlèvement de votre femme?
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-- Par M. de La Porte.
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-- Vous a-t-il donné quelque détail?
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-- Il n'en avait aucun.
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-- Et vous n'avez rien appris d'un autre côté?
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-- Si fait, j'ai reçu...
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-- Quoi?
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-- Mais je ne sais pas si je ne commets pas une grande imprudence?
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-- Vous revenez encore là-dessus; cependant je vous ferai observer
|
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que, cette fois, il est un peu tard pour reculer.
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-- Aussi je ne recule pas, mordieu! s'écria le bourgeois en jurant
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pour se monter la tête. D'ailleurs, foi de Bonacieux...
|
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-- Vous vous appelez Bonacieux? interrompit d'Artagnan.
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|
-- Oui, c'est mon nom.
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-- Vous disiez donc: foi de Bonacieux! pardon si je vous ai
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interrompu; mais il me semblait que ce nom ne m'était pas inconnu.
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|
-- C'est possible, monsieur. Je suis votre propriétaire.
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-- Ah! ah! fit d'Artagnan en se soulevant à demi et en saluant,
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|
vous êtes mon propriétaire?
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|
-- Oui, monsieur, oui. Et comme depuis trois mois que vous êtes
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chez moi, et que distrait sans doute par vos grandes occupations
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vous avez oublié de me payer mon loyer; comme, dis-je, je ne vous
|
|
ai pas tourmenté un seul instant, j'ai pensé que vous auriez égard
|
|
à ma délicatesse.
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|
-- Comment donc! mon cher monsieur Bonacieux, reprit d'Artagnan,
|
|
croyez que je suis plein de reconnaissance pour un pareil procédé,
|
|
et que, comme je vous l'ai dit, si je puis vous être bon à quelque
|
|
chose...
|
|
|
|
-- Je vous crois, monsieur, je vous crois, et comme j'allais vous
|
|
le dire, foi de Bonacieux, j'ai confiance en vous.
|
|
|
|
-- Achevez donc ce que vous avez commencé à me dire.»
|
|
|
|
Le bourgeois tira un papier de sa poche, et le présenta à
|
|
d'Artagnan.
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|
«Une lettre! fit le jeune homme.
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-- Que j'ai reçue ce matin.»
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D'Artagnan l'ouvrit, et comme le jour commençait à baisser, il
|
|
s'approcha de la fenêtre. Le bourgeois le suivit.
|
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|
«Ne cherchez pas votre femme, lut d'Artagnan, elle vous sera
|
|
rendue quand on n'aura plus besoin d'elle. Si vous faites une
|
|
seule démarche pour la retrouver, vous êtes perdu.»
|
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|
|
«Voilà qui est positif, continua d'Artagnan; mais après tout, ce
|
|
n'est qu'une menace.
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|
|
|
-- Oui, mais cette menace m'épouvante; moi, monsieur, je ne suis
|
|
pas homme d'épée du tout, et j'ai peur de la Bastille.
|
|
|
|
-- Hum! fit d'Artagnan; mais c'est que je ne me soucie pas plus de
|
|
la Bastille que vous, moi. S'il ne s'agissait que d'un coup
|
|
d'épée, passe encore.
|
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|
-- Cependant, monsieur, j'avais bien compté sur vous dans cette
|
|
occasion.
|
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|
-- Oui?
|
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-- Vous voyant sans cesse entouré de mousquetaires à l'air fort
|
|
superbe, et reconnaissant que ces mousquetaires étaient ceux de
|
|
M. de Tréville, et par conséquent des ennemis du cardinal, j'avais
|
|
pensé que vous et vos amis, tout en rendant justice à notre pauvre
|
|
reine, seriez enchantés de jouer un mauvais tour à Son Éminence.
|
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-- Sans doute.
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-- Et puis j'avais pensé que, me devant trois mois de loyer dont
|
|
je ne vous ai jamais parlé...
|
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|
|
-- Oui, oui, vous m'avez déjà donné cette raison, et je la trouve
|
|
excellente.
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-- Comptant de plus, tant que vous me ferez l'honneur de rester
|
|
chez moi, ne jamais vous parler de votre loyer à venir...
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|
|
-- Très bien.
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|
-- Et ajoutez à cela, si besoin est, comptant vous offrir une
|
|
cinquantaine de pistoles si, contre toute probabilité, vous vous
|
|
trouviez gêné en ce moment.
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|
-- À merveille; mais vous êtes donc riche, mon cher monsieur
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|
Bonacieux?
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|
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-- Je suis à mon aise, monsieur, c'est le mot; j'ai amassé quelque
|
|
chose comme deux ou trois mille écus de rente dans le commerce de
|
|
la mercerie, et surtout en plaçant quelques fonds sur le dernier
|
|
voyage du célèbre navigateur Jean Mocquet; de sorte que, vous
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|
comprenez, monsieur... Ah! mais... s'écria le bourgeois.
|
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|
-- Quoi? demanda d'Artagnan.
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|
-- Que vois-je là?
|
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|
-- Où?
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|
|
-- Dans la rue, en face de vos fenêtres, dans l'embrasure de cette
|
|
porte: un homme enveloppé dans un manteau.
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|
|
-- C'est lui! s'écrièrent à la fois d'Artagnan et le bourgeois,
|
|
chacun d'eux en même temps ayant reconnu son homme.
|
|
|
|
-- Ah! cette fois-ci, s'écria d'Artagnan en sautant sur son épée,
|
|
cette fois-ci, il ne m'échappera pas.»
|
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|
|
Et tirant son épée du fourreau, il se précipita hors de
|
|
l'appartement.
|
|
|
|
Sur l'escalier, il rencontra Athos et Porthos qui le venaient
|
|
voir. Ils s'écartèrent, d'Artagnan passa entre eux comme un trait.
|
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|
|
«Ah çà, où cours-tu ainsi? lui crièrent à la fois les deux
|
|
mousquetaires.
|
|
|
|
-- L'homme de Meung!» répondit d'Artagnan, et il disparut.
|
|
|
|
D'Artagnan avait plus d'une fois raconté à ses amis son aventure
|
|
avec l'inconnu, ainsi que l'apparition de la belle voyageuse à
|
|
laquelle cet homme avait paru confier une si importante missive.
|
|
|
|
L'avis d'Athos avait été que d'Artagnan avait perdu sa lettre dans
|
|
la bagarre. Un gentilhomme, selon lui -- et, au portrait que
|
|
d'Artagnan avait fait de l'inconnu, ce ne pouvait être qu'un
|
|
gentilhomme --, un gentilhomme devait être incapable de cette
|
|
bassesse, de voler une lettre.
|
|
|
|
Porthos n'avait vu dans tout cela qu'un rendez-vous amoureux donné
|
|
par une dame à un cavalier ou par un cavalier à une dame, et
|
|
qu'était venu troubler la présence de d'Artagnan et de son cheval
|
|
jaune.
|
|
|
|
Aramis avait dit que ces sortes de choses étant mystérieuses,
|
|
mieux valait ne les point approfondir.
|
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|
Ils comprirent donc, sur les quelques mots échappés à d'Artagnan,
|
|
de quelle affaire il était question, et comme ils pensèrent
|
|
qu'après avoir rejoint son homme ou l'avoir perdu de vue,
|
|
d'Artagnan finirait toujours par remonter chez lui, ils
|
|
continuèrent leur chemin.
|
|
|
|
Lorsqu'ils entrèrent dans la chambre de d'Artagnan, la chambre
|
|
était vide: le propriétaire, craignant les suites de la rencontre
|
|
qui allait sans doute avoir lieu entre le jeune homme et
|
|
l'inconnu, avait, par suite de l'exposition qu'il avait faite lui-
|
|
même de son caractère, jugé qu'il était prudent de décamper.
|
|
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|
CHAPITRE IX
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|
D'ARTAGNAN SE DESSINE
|
|
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|
Comme l'avaient prévu Athos et Porthos, au bout d'une demi-heure
|
|
d'Artagnan rentra. Cette fois encore il avait manqué son homme,
|
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qui avait disparu comme par enchantement. D'Artagnan avait couru,
|
|
l'épée à la main, toutes les rues environnantes, mais il n'avait
|
|
rien trouvé qui ressemblât à celui qu'il cherchait, puis enfin il
|
|
en était revenu à la chose par laquelle il aurait dû commencer
|
|
peut-être, et qui était de frapper à la porte contre laquelle
|
|
l'inconnu était appuyé; mais c'était inutilement qu'il avait dix
|
|
ou douze fois de suite fait résonner le marteau, personne n'avait
|
|
répondu, et des voisins qui, attirés par le bruit, étaient
|
|
accourus sur le seuil de leur porte ou avaient mis le nez à leurs
|
|
fenêtres, lui avaient assuré que cette maison, dont au reste
|
|
toutes les ouvertures étaient closes, était depuis six mois
|
|
complètement inhabitée.
|
|
|
|
Pendant que d'Artagnan courait les rues et frappait aux portes,
|
|
Aramis avait rejoint ses deux compagnons, de sorte qu'en revenant
|
|
chez lui, d'Artagnan trouva la réunion au grand complet.
|
|
|
|
«Eh bien? dirent ensemble les trois mousquetaires en voyant entrer
|
|
d'Artagnan, la sueur sur le front et la figure bouleversée par la
|
|
colère.
|
|
|
|
-- Eh bien, s'écria celui-ci en jetant son épée sur le lit, il
|
|
faut que cet homme soit le diable en personne; il a disparu comme
|
|
un fantôme, comme une ombre, comme un spectre.
|
|
|
|
-- Croyez-vous aux apparitions? demanda Athos à Porthos.
|
|
|
|
-- Moi, je ne crois que ce que j'ai vu, et comme je n'ai jamais vu
|
|
d'apparitions, je n'y crois pas.
|
|
|
|
-- La Bible, dit Aramis, nous fait une loi d'y croire: l'ombre de
|
|
Samuel apparut à Saül, et c'est un article de foi que je serais
|
|
fâché de voir mettre en doute, Porthos.
|
|
|
|
-- Dans tous les cas, homme ou diable, corps ou ombre, illusion ou
|
|
réalité, cet homme est né pour ma damnation, car sa fuite nous
|
|
fait manquer une affaire superbe, messieurs, une affaire dans
|
|
laquelle il y avait cent pistoles et peut-être plus à gagner.
|
|
|
|
-- Comment cela?» dirent à la fois Porthos et Aramis.
|
|
|
|
Quant à Athos, fidèle à son système de mutisme, il se contenta
|
|
d'interroger d'Artagnan du regard.
|
|
|
|
«Planchet, dit d'Artagnan à son domestique, qui passait en ce
|
|
moment la tête par la porte entrebâillée pour tâcher de surprendre
|
|
quelques bribes de la conversation, descendez chez mon
|
|
propriétaire, M. Bonacieux, et dites-lui de nous envoyer une demi-
|
|
douzaine de bouteilles de vin de Beaugency: c'est celui que je
|
|
préfère.
|
|
|
|
-- Ah çà, mais vous avez donc crédit ouvert chez votre
|
|
propriétaire? demanda Porthos.
|
|
|
|
-- Oui, répondit d'Artagnan, à compter d'aujourd'hui, et soyez
|
|
tranquilles, si son vin est mauvais, nous lui en enverrons quérir
|
|
d'autre.
|
|
|
|
-- Il faut user et non abuser, dit sentencieusement Aramis.
|
|
|
|
-- J'ai toujours dit que d'Artagnan était la forte tête de nous
|
|
quatre, fit Athos, qui, après avoir émis cette opinion à laquelle
|
|
d'Artagnan répondit par un salut, retomba aussitôt dans son
|
|
silence accoutumé.
|
|
|
|
-- Mais enfin, voyons, qu'y a-t-il? demanda Porthos.
|
|
|
|
-- Oui, dit Aramis, confiez-nous cela, mon cher ami, à moins que
|
|
l'honneur de quelque dame ne se trouve intéressé à cette
|
|
confidence, à ce quel cas vous feriez mieux de la garder pour
|
|
vous.
|
|
|
|
-- Soyez tranquilles, répondit d'Artagnan, l'honneur de personne
|
|
n'aura à se plaindre de ce que j'ai à vous dire.»
|
|
|
|
Et alors il raconta mot à mot à ses amis ce qui venait de se
|
|
passer entre lui et son hôte, et comment l'homme qui avait enlevé
|
|
la femme du digne propriétaire était le même avec lequel il avait
|
|
eu maille à partir à l'hôtellerie du Franc Meunier.
|
|
|
|
«Votre affaire n'est pas mauvaise, dit Athos après avoir goûté le
|
|
vin en connaisseur et indiqué d'un signe de tête qu'il le trouvait
|
|
bon, et l'on pourra tirer de ce brave homme cinquante à soixante
|
|
pistoles. Maintenant, reste à savoir si cinquante à soixante
|
|
pistoles valent la peine de risquer quatre têtes.
|
|
|
|
-- Mais faites attention, s'écria d'Artagnan qu'il y a une femme
|
|
dans cette affaire, une femme enlevée, une femme qu'on menace sans
|
|
doute, qu'on torture peut-être, et tout cela parce qu'elle est
|
|
fidèle à sa maîtresse!
|
|
|
|
-- Prenez garde, d'Artagnan, prenez garde, dit Aramis, vous vous
|
|
échauffez un peu trop, à mon avis, sur le sort de Mme Bonacieux.
|
|
La femme a été créée pour notre perte, et c'est d'elle que nous
|
|
viennent toutes nos misères.»
|
|
|
|
Athos, à cette sentence d'Aramis, fronça le sourcil et se mordit
|
|
les lèvres.
|
|
|
|
«Ce n'est point de Mme Bonacieux que je m'inquiète, s'écria
|
|
d'Artagnan, mais de la reine, que le roi abandonne, que le
|
|
cardinal persécute, et qui voit tomber, les unes après les autres,
|
|
les têtes de tous ses amis.
|
|
|
|
-- Pourquoi aime-t-elle ce que nous détestons le plus au monde,
|
|
les Espagnols et les Anglais?
|
|
|
|
-- L'Espagne est sa patrie, répondit d'Artagnan, et il est tout
|
|
simple qu'elle aime les Espagnols, qui sont enfants de la même
|
|
terre qu'elle. Quant au second reproche que vous lui faites, j'ai
|
|
entendu dire qu'elle aimait non pas les Anglais, mais un Anglais.
|
|
|
|
-- Eh! ma foi, dit Athos, il faut avouer que cet Anglais était
|
|
bien digne d'être aimé. Je n'ai jamais vu un plus grand air que le
|
|
sien.
|
|
|
|
-- Sans compter qu'il s'habille comme personne, dit Porthos.
|
|
J'étais au Louvre le jour où il a semé ses perles, et pardieu!
|
|
j'en ai ramassé deux que j'ai bien vendues dix pistoles pièce. Et
|
|
toi, Aramis, le connais-tu?
|
|
|
|
-- Aussi bien que vous, messieurs, car j'étais de ceux qui l'ont
|
|
arrêté dans le jardin d'Amiens, où m'avait introduit
|
|
M. de Putange, l'écuyer de la reine. J'étais au séminaire à cette
|
|
époque, et l'aventure me parut cruelle pour le roi.
|
|
|
|
-- Ce qui ne m'empêcherait pas, dit d'Artagnan, si je savais où
|
|
est le duc de Buckingham, de le prendre par la main et de le
|
|
conduire près de la reine, ne fût-ce que pour faire engager M. le
|
|
cardinal; car notre véritable, notre seul, notre éternel ennemi,
|
|
messieurs, c'est le cardinal, et si nous pouvions trouver moyen de
|
|
lui jouer quelque tour bien cruel, j'avoue que j'y engagerais
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volontiers ma tête.
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-- Et, reprit Athos, le mercier vous a dit, d'Artagnan, que la
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reine pensait qu'on avait fait venir Buckingham sur un faux avis?
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-- Elle en a peur.
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-- Attendez donc, dit Aramis.
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-- Quoi? demanda Porthos.
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-- Allez toujours, je cherche à me rappeler des circonstances.
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-- Et maintenant je suis convaincu, dit d'Artagnan, que
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l'enlèvement de cette femme de la reine se rattache aux événements
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dont nous parlons, et peut-être à la présence de M. de Buckingham
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à Paris.
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-- Le Gascon est plein d'idées, dit Porthos avec admiration.
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-- J'aime beaucoup l'entendre parler, dit Athos, son patois
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m'amuse.
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-- Messieurs, reprit Aramis, écoutez ceci.
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-- Écoutons Aramis, dirent les trois amis.
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-- Hier je me trouvais chez un savant docteur en théologie que je
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consulte quelquefois pour mes études...»
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Athos sourit.
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«Il habite un quartier désert, continua Aramis: ses goûts, sa
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profession l'exigent. Or, au moment où je sortais de chez lui...»
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Ici Aramis s'arrêta.
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«Eh bien? demandèrent ses auditeurs, au moment où vous sortiez de
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chez lui?»
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Aramis parut faire un effort sur lui-même, comme un homme qui, en
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plein courant de mensonge, se voit arrêter par quelque obstacle
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imprévu; mais les yeux de ses trois compagnons étaient fixés sur
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lui, leurs oreilles attendaient béantes, il n'y avait pas moyen de
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reculer.
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«Ce docteur a une nièce, continua Aramis.
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-- Ah! il a une nièce! interrompit Porthos.
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-- Dame fort respectable», dit Aramis.
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Les trois amis se mirent à rire.
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«Ah! si vous riez ou si vous doutez, reprit Aramis, vous ne saurez
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rien.
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-- Nous sommes croyants comme des mahométistes et muets comme des
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catafalques, dit Athos.
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-- Je continue donc, reprit Aramis. Cette nièce vient quelquefois
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voir son oncle; or elle s'y trouvait hier en même temps que moi,
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par hasard, et je dus m'offrir pour la conduire à son carrosse.
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-- Ah! elle a un carrosse, la nièce du docteur? interrompit
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Porthos, dont un des défauts était une grande incontinence de
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langue; belle connaissance, mon ami.
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-- Porthos, reprit Aramis, je vous ai déjà fait observer plus
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|
d'une fois que vous êtes fort indiscret, et que cela vous nuit
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près des femmes.
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-- Messieurs, messieurs, s'écria d'Artagnan, qui entrevoyait le
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|
fond de l'aventure, la chose est sérieuse; tâchons donc de ne pas
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plaisanter si nous pouvons. Allez, Aramis, allez.
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-- Tout à coup, un homme grand, brun, aux manières de
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|
gentilhomme..., tenez, dans le genre du vôtre, d'Artagnan.
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-- Le même peut-être, dit celui-ci.
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-- C'est possible, continua Aramis,... s'approcha de moi,
|
|
accompagné de cinq ou six hommes qui le suivaient à dix pas en
|
|
arrière, et du ton le plus poli: "Monsieur le duc, me dit-il, et
|
|
vous, madame", continua-t-il en s'adressant à la dame que j'avais
|
|
sous le bras...
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-- À la nièce du docteur?
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-- Silence donc, Porthos! dit Athos, vous êtes insupportable.
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-- Veuillez monter dans ce carrosse, et cela sans essayer la
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|
moindre résistance, sans faire le moindre bruit.»
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|
-- Il vous avait pris pour Buckingham! s'écria d'Artagnan.
|
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-- Je le crois, répondit Aramis.
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-- Mais cette dame? demanda Porthos.
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-- Il l'avait prise pour la reine! dit d'Artagnan.
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-- Justement, répondit Aramis.
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-- Le Gascon est le diable! s'écria Athos, rien ne lui échappe.
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-- Le fait est, dit Porthos, qu'Aramis est de la taille et a
|
|
quelque chose de la tournure du beau duc; mais cependant, il me
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|
semble que l'habit de mousquetaire...
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-- J'avais un manteau énorme, dit Aramis.
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|
-- Au mois de juillet, diable! fit Porthos, est-ce que le docteur
|
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craint que tu ne sois reconnu?
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-- Je comprends encore, dit Athos, que l'espion se soit laissé
|
|
prendre par la tournure; mais le visage...
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|
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|
-- J'avais un grand chapeau, dit Aramis.
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|
|
-- Oh! mon Dieu, s'écria Porthos, que de précautions pour étudier
|
|
la théologie!
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|
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-- Messieurs, messieurs, dit d'Artagnan, ne perdons pas notre
|
|
temps à badiner; éparpillons-nous et cherchons la femme du
|
|
mercier, c'est la clef de l'intrigue.
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|
|
-- Une femme de condition si inférieure! vous croyez, d'Artagnan?
|
|
fit Porthos en allongeant les lèvres avec mépris.
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|
-- C'est la filleule de La Porte, le valet de confiance de la
|
|
reine. Ne vous l'ai-je pas dit, messieurs? Et d'ailleurs, c'est
|
|
peut-être un calcul de Sa Majesté d'avoir été, cette fois,
|
|
chercher ses appuis si bas. Les hautes têtes se voient de loin, et
|
|
le cardinal a bonne vue.
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|
|
|
-- Eh bien, dit Porthos, faites d'abord prix avec le mercier, et
|
|
bon prix.
|
|
|
|
-- C'est inutile, dit d'Artagnan, car je crois que s'il ne nous
|
|
paie pas, nous serons assez payés d'un autre côté.»
|
|
|
|
En ce moment, un bruit précipité de pas retentit dans l'escalier,
|
|
la porte s'ouvrit avec fracas, et le malheureux mercier s'élança
|
|
dans la chambre où se tenait le conseil.
|
|
|
|
«Ah! messieurs, s'écria-t-il, sauvez-moi, au nom du Ciel, sauvez-
|
|
moi! Il y a quatre hommes qui viennent pour m'arrêter; sauvez-moi,
|
|
sauvez-moi!»
|
|
|
|
Porthos et Aramis se levèrent.
|
|
|
|
«Un moment, s'écria d'Artagnan en leur faisant signe de repousser
|
|
au fourreau leurs épées à demi tirées; un moment, ce n'est pas du
|
|
courage qu'il faut ici, c'est de la prudence.
|
|
|
|
-- Cependant, s'écria Porthos, nous ne laisserons pas...
|
|
|
|
-- Vous laisserez faire d'Artagnan, dit Athos, c'est, je le
|
|
répète, la forte tête de nous tous, et moi, pour mon compte, je
|
|
déclare que je lui obéis. Fais ce que tu voudras, d'Artagnan.»
|
|
|
|
En ce moment, les quatre gardes apparurent à la porte de
|
|
l'antichambre, et voyant quatre mousquetaires debout et l'épée au
|
|
côté, hésitèrent à aller plus loin.
|
|
|
|
«Entrez, messieurs, entrez, cria d'Artagnan; vous êtes ici chez
|
|
moi, et nous sommes tous de fidèles serviteurs du roi et de M. le
|
|
cardinal.
|
|
|
|
-- Alors, messieurs, vous ne vous opposerez pas à ce que nous
|
|
exécutions les ordres que nous avons reçus? demanda celui qui
|
|
paraissait le chef de l'escouade.
|
|
|
|
-- Au contraire, messieurs, et nous vous prêterions main-forte, si
|
|
besoin était.
|
|
|
|
-- Mais que dit-il donc? marmotta Porthos.
|
|
|
|
-- Tu es un niais, dit Athos, silence!
|
|
|
|
-- Mais vous m'avez promis..., dit tout bas le pauvre mercier.
|
|
|
|
-- Nous ne pouvons vous sauver qu'en restant libres, répondit
|
|
rapidement et tout bas d'Artagnan, et si nous faisons mine de vous
|
|
défendre, on nous arrête avec vous.
|
|
|
|
-- Il me semble, cependant...
|
|
|
|
-- Venez, messieurs, venez, dit tout haut d'Artagnan; je n'ai
|
|
aucun motif de défendre monsieur. Je l'ai vu aujourd'hui pour la
|
|
première fois, et encore à quelle occasion, il vous le dira lui-
|
|
même, pour me venir réclamer le prix de mon loyer. Est-ce vrai,
|
|
monsieur Bonacieux? Répondez!
|
|
|
|
-- C'est la vérité pure, s'écria le mercier, mais monsieur ne vous
|
|
dit pas...
|
|
|
|
-- Silence sur moi, silence sur mes amis, silence sur la reine
|
|
surtout, ou vous perdriez tout le monde sans vous sauver. Allez,
|
|
allez, messieurs, emmenez cet homme!»
|
|
|
|
Et d'Artagnan poussa le mercier tout étourdi aux mains des gardes,
|
|
en lui disant:
|
|
|
|
«Vous êtes un maraud, mon cher; vous venez me demander de
|
|
l'argent, à moi! à un mousquetaire! En prison, messieurs, encore
|
|
une fois, emmenez-le en prison et gardez-le sous clef le plus
|
|
longtemps possible, cela me donnera du temps pour payer.»
|
|
|
|
Les sbires se confondirent en remerciements et emmenèrent leur
|
|
proie.
|
|
|
|
Au moment où ils descendaient, d'Artagnan frappa sur l'épaule du
|
|
chef:
|
|
|
|
«Ne boirai-je pas à votre santé et vous à la mienne? dit-il, en
|
|
remplissant deux verres du vin de Beaugency qu'il tenait de la
|
|
libéralité de M. Bonacieux.
|
|
|
|
-- Ce sera bien de l'honneur pour moi, dit le chef des sbires, et
|
|
j'accepte avec reconnaissance.
|
|
|
|
-- Donc, à la vôtre, monsieur... comment vous nommez-vous?
|
|
|
|
-- Boisrenard.
|
|
|
|
-- Monsieur Boisrenard!
|
|
|
|
-- À la vôtre, mon gentilhomme: comment vous nommez-vous, à votre
|
|
tour, s'il vous plaît?
|
|
|
|
-- D'Artagnan.
|
|
|
|
-- À la vôtre, monsieur d'Artagnan!
|
|
|
|
-- Et par-dessus toutes celles-là, s'écria d'Artagnan comme
|
|
emporté par son enthousiasme, à celle du roi et du cardinal.»
|
|
|
|
Le chef des sbires eût peut-être douté de la sincérité de
|
|
d'Artagnan, si le vin eût été mauvais; mais le vin était bon, il
|
|
fut convaincu.
|
|
|
|
«Mais quelle diable de vilenie avez-vous donc faite là? dit
|
|
Porthos lorsque l'alguazil en chef eut rejoint ses compagnons, et
|
|
que les quatre amis se retrouvèrent seuls. Fi donc! quatre
|
|
mousquetaires laisser arrêter au milieu d'eux un malheureux qui
|
|
crie à l'aide! Un gentilhomme trinquer avec un recors!
|
|
|
|
-- Porthos, dit Aramis, Athos t'a déjà prévenu que tu étais un
|
|
niais, et je me range de son avis. D'Artagnan, tu es un grand
|
|
homme, et quand tu seras à la place de M. de Tréville, je te
|
|
demande ta protection pour me faire avoir une abbaye.
|
|
|
|
-- Ah çà, je m'y perds, dit Porthos, vous approuvez ce que
|
|
d'Artagnan vient de faire?
|
|
|
|
-- Je le crois parbleu bien, dit Athos; non seulement j'approuve
|
|
ce qu'il vient de faire, mais encore je l'en félicite.
|
|
|
|
-- Et maintenant, messieurs, dit d'Artagnan sans se donner la
|
|
peine d'expliquer sa conduite à Porthos, tous pour un, un pour
|
|
tous, c'est notre devise, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Cependant... dit Porthos.
|
|
|
|
-- Étends la main et jure!» s'écrièrent à la fois Athos et Aramis.
|
|
|
|
Vaincu par l'exemple, maugréant tout bas, Porthos étendit la main,
|
|
et les quatre amis répétèrent d'une seule voix la formule dictée
|
|
par d'Artagnan:
|
|
|
|
«Tous pour un, un pour tous.»
|
|
|
|
«C'est bien, que chacun se retire maintenant chez soi, dit
|
|
d'Artagnan comme s'il n'avait fait autre chose que de commander
|
|
toute sa vie, et attention, car à partir de ce moment, nous voilà
|
|
aux prises avec le cardinal.»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE X
|
|
UNE SOURICIÈRE AU XVIIe SIÈCLE
|
|
|
|
L'invention de la souricière ne date pas de nos jours; dès que les
|
|
sociétés, en se formant, eurent inventé une police quelconque,
|
|
cette police, à son tour, inventa les souricières.
|
|
|
|
Comme peut-être nos lecteurs ne sont pas familiarisés encore avec
|
|
l'argot de la rue de Jérusalem, et que c'est, depuis que nous
|
|
écrivons -- et il y a quelque quinze ans de cela --, la première
|
|
fois que nous employons ce mot appliqué à cette chose, expliquons-
|
|
leur ce que c'est qu'une souricière.
|
|
|
|
Quand, dans une maison quelle qu'elle soit, on a arrêté un
|
|
individu soupçonné d'un crime quelconque, on tient secrète
|
|
l'arrestation; on place quatre ou cinq hommes en embuscade dans la
|
|
première pièce, on ouvre la porte à tous ceux qui frappent, on la
|
|
referme sur eux et on les arrête; de cette façon, au bout de deux
|
|
ou trois jours, on tient à peu près tous les familiers de
|
|
l'établissement.
|
|
|
|
Voilà ce que c'est qu'une souricière.
|
|
|
|
On fit donc une souricière de l'appartement de maître Bonacieux,
|
|
et quiconque y apparut fut pris et interrogé par les gens de M. le
|
|
cardinal. Il va sans dire que, comme une allée particulière
|
|
conduisait au premier étage qu'habitait d'Artagnan, ceux qui
|
|
venaient chez lui étaient exemptés de toutes visites.
|
|
|
|
D'ailleurs les trois mousquetaires y venaient seuls; ils s'étaient
|
|
mis en quête chacun de son côté, et n'avaient rien trouvé, rien
|
|
découvert. Athos avait été même jusqu'à questionner
|
|
M. de Tréville, chose qui, vu le mutisme habituel du digne
|
|
mousquetaire, avait fort étonné son capitaine. Mais M. de Tréville
|
|
ne savait rien, sinon que, la dernière fois qu'il avait vu le
|
|
cardinal, le roi et la reine, le cardinal avait l'air fort
|
|
soucieux, que le roi était inquiet, et que les yeux rouges de la
|
|
reine indiquaient qu'elle avait veillé ou pleuré. Mais cette
|
|
dernière circonstance l'avait peu frappé, la reine, depuis son
|
|
mariage, veillant et pleurant beaucoup.
|
|
|
|
M. de Tréville recommanda en tout cas à Athos le service du roi et
|
|
surtout celui de la reine, le priant de faire la même
|
|
recommandation à ses camarades.
|
|
|
|
Quant à d'Artagnan, il ne bougeait pas de chez lui. Il avait
|
|
converti sa chambre en observatoire. Des fenêtres il voyait
|
|
arriver ceux qui venaient se faire prendre; puis, comme il avait
|
|
ôté les carreaux du plancher, qu'il avait creusé le parquet et
|
|
qu'un simple plafond le séparait de la chambre au-dessous, où se
|
|
faisaient les interrogatoires, il entendait tout ce qui se passait
|
|
entre les inquisiteurs et les accusés.
|
|
|
|
Les interrogatoires, précédés d'une perquisition minutieuse opérée
|
|
sur la personne arrêtée, étaient presque toujours ainsi conçus:
|
|
|
|
«Mme Bonacieux vous a-t-elle remis quelque chose pour son mari ou
|
|
pour quelque autre personne?
|
|
|
|
-- M. Bonacieux vous a-t-il remis quelque chose pour sa femme ou
|
|
pour quelque autre personne?
|
|
|
|
-- L'un et l'autre vous ont-ils fait quelque confidence de vive
|
|
voix?»
|
|
|
|
«S'ils savaient quelque chose, ils ne questionneraient pas ainsi,
|
|
se dit à lui-même d'Artagnan. Maintenant, que cherchent-ils à
|
|
savoir? Si le duc de Buckingham ne se trouve point à Paris et s'il
|
|
n'a pas eu ou s'il ne doit point avoir quelque entrevue avec la
|
|
reine.»
|
|
|
|
D'Artagnan s'arrêta à cette idée, qui, d'après tout ce qu'il avait
|
|
entendu, ne manquait pas de probabilité.
|
|
|
|
En attendant, la souricière était en permanence, et la vigilance
|
|
de d'Artagnan aussi.
|
|
|
|
Le soir du lendemain de l'arrestation du pauvre Bonacieux, comme
|
|
Athos venait de quitter d'Artagnan pour se rendre chez
|
|
M. de Tréville, comme neuf heures venaient de sonner, et comme
|
|
Planchet, qui n'avait pas encore fait le lit, commençait sa
|
|
besogne, on entendit frapper à la porte de la rue; aussitôt cette
|
|
porte s'ouvrit et se referma: quelqu'un venait de se prendre à la
|
|
souricière.
|
|
|
|
D'Artagnan s'élança vers l'endroit décarrelé, se coucha ventre à
|
|
terre et écouta.
|
|
|
|
Des cris retentirent bientôt, puis des gémissements qu'on
|
|
cherchait à étouffer. D'interrogatoire, il n'en était pas
|
|
question.
|
|
|
|
«Diable! se dit d'Artagnan, il me semble que c'est une femme: on
|
|
la fouille, elle résiste, -- on la violente, -- les misérables!»
|
|
|
|
Et d'Artagnan, malgré sa prudence, se tenait à quatre pour ne pas
|
|
se mêler à la scène qui se passait au-dessous de lui.
|
|
|
|
«Mais je vous dis que je suis la maîtresse de la maison,
|
|
messieurs; je vous dis que je suis Mme Bonacieux, je vous dis que
|
|
j'appartiens à la reine!» s'écriait la malheureuse femme.
|
|
|
|
«Mme Bonacieux! murmura d'Artagnan; serais-je assez heureux pour
|
|
avoir trouvé ce que tout le monde cherche?»
|
|
|
|
«C'est justement vous que nous attendions», reprirent les
|
|
interrogateurs.
|
|
|
|
La voix devint de plus en plus étouffée: un mouvement tumultueux
|
|
fit retentir les boiseries. La victime résistait autant qu'une
|
|
femme peut résister à quatre hommes.
|
|
|
|
«Pardon, messieurs, par...», murmura la voix, qui ne fit plus
|
|
entendre que des sons inarticulés.
|
|
|
|
«Ils la bâillonnent, ils vont l'entraîner, s'écria d'Artagnan en
|
|
se redressant comme par un ressort. Mon épée; bon, elle est à mon
|
|
côté. Planchet!
|
|
|
|
-- Monsieur?
|
|
|
|
-- Cours chercher Athos, Porthos et Aramis. L'un des trois sera
|
|
sûrement chez lui, peut-être tous les trois seront-ils rentrés.
|
|
Qu'ils prennent des armes, qu'ils viennent, qu'ils accourent. Ah!
|
|
je me souviens, Athos est chez M. de Tréville.
|
|
|
|
-- Mais où allez-vous, monsieur, où allez-vous?
|
|
|
|
-- Je descends par la fenêtre, s'écria d'Artagnan, afin d'être
|
|
plus tôt arrivé; toi, remets les carreaux, balaie le plancher,
|
|
sors par la porte et cours où je te dis.
|
|
|
|
-- Oh! monsieur, monsieur, vous allez vous tuer, s'écria Planchet.
|
|
|
|
-- Tais-toi, imbécile», dit d'Artagnan. Et s'accrochant de la main
|
|
au rebord de sa fenêtre, il se laissa tomber du premier étage, qui
|
|
heureusement n'était pas élevé, sans se faire une écorchure.
|
|
|
|
Puis il alla aussitôt frapper à la porte en murmurant:
|
|
|
|
«Je vais me faire prendre à mon tour dans la souricière, et
|
|
malheur aux chats qui se frotteront à pareille souris.»
|
|
|
|
À peine le marteau eut-il résonné sous la main du jeune homme, que
|
|
le tumulte cessa, que des pas s'approchèrent, que la porte
|
|
s'ouvrit, et que d'Artagnan, l'épée nue, s'élança dans
|
|
l'appartement de maître Bonacieux, dont la porte, sans doute mue
|
|
par un ressort, se referma d'elle-même sur lui.
|
|
|
|
Alors ceux qui habitaient encore la malheureuse maison de
|
|
Bonacieux et les voisins les plus proches entendirent de grands
|
|
cris, des trépignements, un cliquetis d'épées et un bruit prolongé
|
|
de meubles. Puis, un moment après, ceux qui, surpris par ce bruit,
|
|
s'étaient mis aux fenêtres pour en connaître la cause, purent voir
|
|
la porte se rouvrir et quatre hommes vêtus de noir non pas en
|
|
sortir, mais s'envoler comme des corbeaux effarouchés, laissant
|
|
par terre et aux angles des tables des plumes de leurs ailes,
|
|
c'est-à-dire des loques de leurs habits et des bribes de leurs
|
|
manteaux.
|
|
|
|
D'Artagnan était vainqueur sans beaucoup de peine, il faut le
|
|
dire, car un seul des alguazils était armé, encore se défendit-il
|
|
pour la forme. Il est vrai que les trois autres avaient essayé
|
|
d'assommer le jeune homme avec les chaises, les tabourets et les
|
|
poteries; mais deux ou trois égratignures faites par la flamberge
|
|
du Gascon les avaient épouvantés. Dix minutes avaient suffi à leur
|
|
défaite et d'Artagnan était resté maître du champ de bataille.
|
|
|
|
Les voisins, qui avaient ouvert leurs fenêtres avec le sang-froid
|
|
particulier aux habitants de Paris dans ces temps d'émeutes et de
|
|
rixes perpétuelles, les refermèrent dès qu'ils eurent vu s'enfuir
|
|
les quatre hommes noirs: leur instinct leur disait que, pour le
|
|
moment, tout était fini.
|
|
|
|
D'ailleurs il se faisait tard, et alors comme aujourd'hui on se
|
|
couchait de bonne heure dans le quartier du Luxembourg.
|
|
|
|
D'Artagnan, resté seul avec Mme Bonacieux, se retourna vers elle:
|
|
la pauvre femme était renversée sur un fauteuil et à demi
|
|
évanouie. D'Artagnan l'examina d'un coup d'oeil rapide.
|
|
|
|
C'était une charmante femme de vingt-cinq à vingt-six ans, brune
|
|
avec des yeux bleus, ayant un nez légèrement retroussé, des dents
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admirables, un teint marbré de rose et d'opale. Là cependant
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s'arrêtaient les signes qui pouvaient la faire confondre avec une
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grande dame. Les mains étaient blanches, mais sans finesse: les
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pieds n'annonçaient pas la femme de qualité. Heureusement
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d'Artagnan n'en était pas encore à se préoccuper de ces détails.
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Tandis que d'Artagnan examinait Mme Bonacieux, et en était aux
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pieds, comme nous l'avons dit, il vit à terre un fin mouchoir de
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batiste, qu'il ramassa selon son habitude, et au coin duquel il
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reconnut le même chiffre qu'il avait vu au mouchoir qui avait
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failli lui faire couper la gorge avec Aramis.
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Depuis ce temps, d'Artagnan se méfiait des mouchoirs armoriés; il
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remit donc sans rien dire celui qu'il avait ramassé dans la poche
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de Mme Bonacieux. En ce moment, Mme Bonacieux reprenait ses sens.
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Elle ouvrit les yeux, regarda avec terreur autour d'elle, vit que
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l'appartement était vide, et qu'elle était seule avec son
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libérateur. Elle lui tendit aussitôt les mains en souriant.
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Mme Bonacieux avait le plus charmant sourire du monde.
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«Ah! monsieur! dit-elle, c'est vous qui m'avez sauvée; permettez-
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moi que je vous remercie.
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-- Madame, dit d'Artagnan, je n'ai fait que ce que tout
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gentilhomme eût fait à ma place, vous ne me devez donc aucun
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remerciement.
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-- Si fait, monsieur, si fait, et j'espère vous prouver que vous
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n'avez pas rendu service à une ingrate. Mais que me voulaient donc
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ces hommes, que j'ai pris d'abord pour des voleurs, et pourquoi
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M. Bonacieux n'est-il point ici?
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-- Madame, ces hommes étaient bien autrement dangereux que ne
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pourraient être des voleurs, car ce sont des agents de M. le
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cardinal, et quant à votre mari, M. Bonacieux, il n'est point ici
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parce qu'hier on est venu le prendre pour le conduire à la
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Bastille.
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-- Mon mari à la Bastille! s'écria Mme Bonacieux, oh! mon Dieu!
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qu'a-t-il donc fait? pauvre cher homme! lui, l'innocence même!»
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Et quelque chose comme un sourire perçait sur la figure encore
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tout effrayée de la jeune femme.
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«Ce qu'il a fait, madame? dit d'Artagnan. Je crois que son seul
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crime est d'avoir à la fois le bonheur et le malheur d'être votre
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mari.
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-- Mais, monsieur, vous savez donc...
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-- Je sais que vous avez été enlevée, madame.
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-- Et par qui? Le savez-vous? Oh! si vous le savez, dites-le-moi.
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-- Par un homme de quarante à quarante-cinq ans, aux cheveux
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noirs, au teint basané, avec une cicatrice à la tempe gauche.
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-- C'est cela, c'est cela; mais son nom?
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-- Ah! son nom? c'est ce que j'ignore.
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-- Et mon mari savait-il que j'avais été enlevée?
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-- Il en avait été prévenu par une lettre que lui avait écrite le
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ravisseur lui-même.
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-- Et soupçonne-t-il, demanda Mme Bonacieux avec embarras, la
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cause de cet événement?
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-- Il l'attribuait, je crois, à une cause politique.
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-- J'en ai douté d'abord, et maintenant je le pense comme lui.
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Ainsi donc, ce cher M. Bonacieux ne m'a pas soupçonnée un seul
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instant...?
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-- Ah! loin de là, madame, il était trop fier de votre sagesse et
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surtout de votre amour.»
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Un second sourire presque imperceptible effleura les lèvres rosées
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de la belle jeune femme.
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«Mais, continua d'Artagnan, comment vous êtes-vous enfuie?
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-- J'ai profité d'un moment où l'on m'a laissée seule, et comme je
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savais depuis ce matin à quoi m'en tenir sur mon enlèvement, à
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l'aide de mes draps je suis descendue par la fenêtre; alors, comme
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je croyais mon mari ici, je suis accourue.
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-- Pour vous mettre sous sa protection?
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-- Oh! non, pauvre cher homme, je savais bien qu'il était
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incapable de me défendre; mais comme il pouvait nous servir à
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autre chose, je voulais le prévenir.
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-- De quoi?
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-- Oh! ceci n'est pas mon secret, je ne puis donc pas vous le
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dire.
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-- D'ailleurs, dit d'Artagnan (pardon, madame, si, tout garde que
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je suis, je vous rappelle à la prudence), d'ailleurs je crois que
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nous ne sommes pas ici en lieu opportun pour faire des
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confidences. Les hommes que j'ai mis en fuite vont revenir avec
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main-forte; s'ils nous retrouvent ici nous sommes perdus. J'ai
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bien fait prévenir trois de mes amis, mais qui sait si on les aura
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trouvés chez eux!
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-- Oui, oui, vous avez raison, s'écria Mme Bonacieux effrayée;
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fuyons, sauvons-nous.»
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À ces mots, elle passa son bras sous celui de d'Artagnan et
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l'entraîna vivement.
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«Mais où fuir? dit d'Artagnan, où nous sauver?
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-- Éloignons-nous d'abord de cette maison, puis après nous
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verrons.»
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Et la jeune femme et le jeune homme, sans se donner la peine de
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refermer la porte, descendirent rapidement la rue des Fossoyeurs,
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s'engagèrent dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince et ne
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s'arrêtèrent qu'à la place Saint-Sulpice.
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«Et maintenant, qu'allons-nous faire, demanda d'Artagnan, et où
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voulez-vous que je vous conduise?
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-- Je suis fort embarrassée de vous répondre, je vous l'avoue, dit
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Mme Bonacieux; mon intention était de faire prévenir M. de La
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Porte par mon mari, afin que M. de La Porte pût nous dire
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précisément ce qui s'était passé au Louvre depuis trois jours, et
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|
s'il n'y avait pas danger pour moi de m'y présenter.
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-- Mais moi, dit d'Artagnan, je puis aller prévenir M. de La
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Porte.
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-- Sans doute; seulement il n'y a qu'un malheur: c'est qu'on
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connaît M. Bonacieux au Louvre et qu'on le laisserait passer, lui,
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|
tandis qu'on ne vous connaît pas, vous, et que l'on vous fermera
|
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la porte.
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-- Ah! bah, dit d'Artagnan, vous avez bien à quelque guichet du
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Louvre un concierge qui vous est dévoué, et qui grâce à un mot
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d'ordre...»
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Mme Bonacieux regarda fixement le jeune homme.
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«Et si je vous donnais ce mot d'ordre, dit-elle, l'oublieriez-vous
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aussitôt que vous vous en seriez servi?
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-- Parole d'honneur, foi de gentilhomme! dit d'Artagnan avec un
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accent à la vérité duquel il n'y avait pas à se tromper.
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-- Tenez, je vous crois; vous avez l'air d'un brave jeune homme,
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|
d'ailleurs votre fortune est peut-être au bout de votre
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dévouement.
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-- Je ferai sans promesse et de conscience tout ce que je pourrai
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pour servir le roi et être agréable à la reine, dit d'Artagnan;
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|
disposez donc de moi comme d'un ami.
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-- Mais moi, où me mettrez-vous pendant ce temps-là?
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-- N'avez-vous pas une personne chez laquelle M. de La Porte
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|
puisse revenir vous prendre?
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-- Non, je ne veux me fier à personne.
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-- Attendez, dit d'Artagnan; nous sommes à la porte d'Athos. Oui,
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|
c'est cela.
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-- Qu'est-ce qu'Athos?
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-- Un de mes amis.
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-- Mais s'il est chez lui et qu'il me voie?
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-- Il n'y est pas, et j'emporterai la clef après vous avoir fait
|
|
entrer dans son appartement.
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-- Mais s'il revient?
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-- Il ne reviendra pas; d'ailleurs on lui dirait que j'ai amené
|
|
une femme, et que cette femme est chez lui.
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-- Mais cela me compromettra très fort, savez-vous!
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-- Que vous importe! on ne vous connaît pas; d'ailleurs nous
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|
sommes dans une situation à passer par-dessus quelques
|
|
convenances!
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-- Allons donc chez votre ami. Où demeure-t-il?
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-- Rue Férou, à deux pas d'ici.
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-- Allons.»
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Et tous deux reprirent leur course. Comme l'avait prévu
|
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d'Artagnan, Athos n'était pas chez lui: il prit la clef, qu'on
|
|
avait l'habitude de lui donner comme à un ami de la maison, monta
|
|
l'escalier et introduisit Mme Bonacieux dans le petit appartement
|
|
dont nous avons déjà fait la description.
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«Vous êtes chez vous, dit-il; attendez, fermez la porte en dedans
|
|
et n'ouvrez à personne, à moins que vous n'entendiez frapper trois
|
|
coups ainsi: tenez; et il frappa trois fois: deux coups rapprochés
|
|
l'un de l'autre et assez forts, un coup plus distant et plus
|
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léger.
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|
-- C'est bien, dit Mme Bonacieux; maintenant, à mon tour de vous
|
|
donner mes instructions.
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-- J'écoute.
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-- Présentez-vous au guichet du Louvre, du côté de la rue de
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|
l'Échelle, et demandez Germain.
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-- C'est bien. Après?
|
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-- Il vous demandera ce que vous voulez, et alors vous lui
|
|
répondrez par ces deux mots: Tours et Bruxelles. Aussitôt il se
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|
mettra à vos ordres.
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-- Et que lui ordonnerai-je?
|
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-- D'aller chercher M. de La Porte, le valet de chambre de la
|
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reine.
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-- Et quand il l'aura été chercher et que M. de La Porte sera
|
|
venu?
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-- Vous me l'enverrez.
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-- C'est bien, mais où et comment vous reverrai-je?
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-- Y tenez-vous beaucoup à me revoir?
|
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-- Certainement.
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-- Eh bien, reposez-vous sur moi de ce soin, et soyez tranquille.
|
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|
-- Je compte sur votre parole.
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|
-- Comptez-y.»
|
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|
|
D'Artagnan salua Mme Bonacieux en lui lançant le coup d'oeil le
|
|
plus amoureux qu'il lui fût possible de concentrer sur sa
|
|
charmante petite personne, et tandis qu'il descendait l'escalier,
|
|
il entendit la porte se fermer derrière lui à double tour. En deux
|
|
bonds il fut au Louvre: comme il entrait au guichet de Échelle,
|
|
dix heures sonnaient. Tous les événements que nous venons de
|
|
raconter s'étaient succédé en une demi-heure.
|
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Tout s'exécuta comme l'avait annoncé Mme Bonacieux. Au mot d'ordre
|
|
convenu, Germain s'inclina; dix minutes après, La Porte était dans
|
|
la loge; en deux mots, d'Artagnan le mit au fait et lui indiqua où
|
|
était Mme Bonacieux. La Porte s'assura par deux fois de
|
|
l'exactitude de l'adresse, et partit en courant. Cependant, à
|
|
peine eut-il fait dix pas, qu'il revint.
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|
«Jeune homme, dit-il à d'Artagnan, un conseil.
|
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-- Lequel?
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-- Vous pourriez être inquiété pour ce qui vient de se passer.
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-- Vous croyez?
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-- Oui. Avez-vous quelque ami dont la pendule retarde?
|
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-- Eh bien?
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-- Allez le voir pour qu'il puisse témoigner que vous étiez chez
|
|
lui à neuf heures et demie. En justice, cela s'appelle un alibi.»
|
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|
D'Artagnan trouva le conseil prudent; il prit ses jambes à son
|
|
cou, il arriva chez M. de Tréville, mais, au lieu de passer au
|
|
salon avec tout le monde, il demanda à entrer dans son cabinet.
|
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Comme d'Artagnan était un des habitués de l'hôtel, on ne fit
|
|
aucune difficulté d'accéder à sa demande; et l'on alla prévenir
|
|
M. de Tréville que son jeune compatriote, ayant quelque chose
|
|
d'important à lui dire, sollicitait une audience particulière.
|
|
Cinq minutes après, M. de Tréville demandait à d'Artagnan ce qu'il
|
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pouvait faire pour son service et ce qui lui valait sa visite à
|
|
une heure si avancée.
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«Pardon, monsieur! dit d'Artagnan, qui avait profité du moment où
|
|
il était resté seul pour retarder l'horloge de trois quarts
|
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d'heure; j'ai pensé que, comme il n'était que neuf heures vingt-
|
|
cinq minutes, il était encore temps de me présenter chez vous.
|
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|
-- Neuf heures vingt-cinq minutes! s'écria M. de Tréville en
|
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regardant sa pendule; mais c'est impossible!
|
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|
-- Voyez plutôt, monsieur, dit d'Artagnan, voilà qui fait foi.
|
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|
-- C'est juste, dit M. de Tréville, j'aurais cru qu'il était plus
|
|
tard. Mais voyons, que me voulez-vous?»
|
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|
Alors d'Artagnan fit à M. de Tréville une longue histoire sur la
|
|
reine. Il lui exposa les craintes qu'il avait conçues à l'égard de
|
|
Sa Majesté; il lui raconta ce qu'il avait entendu dire des projets
|
|
du cardinal à l'endroit de Buckingham, et tout cela avec une
|
|
tranquillité et un aplomb dont M. de Tréville fut d'autant mieux
|
|
la dupe, que lui-même, comme nous l'avons dit, avait remarqué
|
|
quelque chose de nouveau entre le cardinal, le roi et la reine.
|
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|
À dix heures sonnant, d'Artagnan quitta M. de Tréville, qui le
|
|
remercia de ses renseignements, lui recommanda d'avoir toujours à
|
|
coeur le service du roi et de la reine, et qui rentra dans le
|
|
salon. Mais, au bas de l'escalier, d'Artagnan se souvint qu'il
|
|
avait oublié sa canne: en conséquence, il remonta précipitamment,
|
|
rentra dans le cabinet, d'un tour de doigt remit la pendule à son
|
|
heure, pour qu'on ne pût pas s'apercevoir, le lendemain, qu'elle
|
|
avait été dérangée, et sûr désormais qu'il y avait un témoin pour
|
|
prouver son alibi, il descendit l'escalier et se trouva bientôt
|
|
dans la rue.
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|
CHAPITRE XI
|
|
L'INTRIGUE SE NOUE
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Sa visite faite à M. de Tréville, d'Artagnan prit, tout pensif, le
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|
plus long pour rentrer chez lui.
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À quoi pensait d'Artagnan, qu'il s'écartait ainsi de sa route,
|
|
regardant les étoiles du ciel, et tantôt soupirant tantôt
|
|
souriant?
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Il pensait à Mme Bonacieux. Pour un apprenti mousquetaire, la
|
|
jeune femme était presque une idéalité amoureuse. Jolie,
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mystérieuse, initiée à presque tous les secrets de cour, qui
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|
reflétaient tant de charmante gravité sur ses traits gracieux,
|
|
elle était soupçonnée de n'être pas insensible, ce qui est un
|
|
attrait irrésistible pour les amants novices; de plus, d'Artagnan
|
|
l'avait délivrée des mains de ces démons qui voulaient la fouiller
|
|
et la maltraiter, et cet important service avait établi entre elle
|
|
et lui un de ces sentiments de reconnaissance qui prennent si
|
|
facilement un plus tendre caractère.
|
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|
D'Artagnan se voyait déjà, tant les rêves marchent vite sur les
|
|
ailes de l'imagination, accosté par un messager de la jeune femme
|
|
qui lui remettait quelque billet de rendez-vous, une chaîne d'or
|
|
ou un diamant. Nous avons dit que les jeunes cavaliers recevaient
|
|
sans honte de leur roi; ajoutons qu'en ce temps de facile morale,
|
|
ils n'avaient pas plus de vergogne à l'endroit de leurs
|
|
maîtresses, et que celles-ci leur laissaient presque toujours de
|
|
précieux et durables souvenirs, comme si elles eussent essayé de
|
|
conquérir la fragilité de leurs sentiments par la solidité de
|
|
leurs dons.
|
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|
|
On faisait alors son chemin par les femmes, sans en rougir. Celles
|
|
qui n'étaient que belles donnaient leur beauté, et de là vient
|
|
sans doute le proverbe, que la plus belle fille du monde ne peut
|
|
donner que ce qu'elle a. Celles qui étaient riches donnaient en
|
|
outre une partie de leur argent, et l'on pourrait citer bon nombre
|
|
de héros de cette galante époque qui n'eussent gagné ni leurs
|
|
éperons d'abord, ni leurs batailles ensuite, sans la bourse plus
|
|
ou moins garnie que leur maîtresse attachait à l'arçon de leur
|
|
selle.
|
|
|
|
D'Artagnan ne possédait rien; l'hésitation du provincial, vernis
|
|
léger, fleur éphémère, duvet de la pêche, s'était évaporée au vent
|
|
des conseils peu orthodoxes que les trois mousquetaires donnaient
|
|
à leur ami. D'Artagnan, suivant l'étrange coutume du temps, se
|
|
regardait à Paris comme en campagne, et cela ni plus ni moins que
|
|
dans les Flandres: l'Espagnol là-bas, la femme ici. C'était
|
|
partout un ennemi à combattre, des contributions à frapper.
|
|
|
|
Mais, disons-le, pour le moment d'Artagnan était mû d'un sentiment
|
|
plus noble et plus désintéressé. Le mercier lui avait dit qu'il
|
|
était riche; le jeune homme avait pu deviner qu'avec un niais
|
|
comme l'était M. Bonacieux, ce devait être la femme qui tenait la
|
|
clef de la bourse. Mais tout cela n'avait influé en rien sur le
|
|
sentiment produit par la vue de Mme Bonacieux, et l'intérêt était
|
|
resté à peu près étranger à ce commencement d'amour qui en avait
|
|
été la suite. Nous disons: à peu près, car l'idée qu'une jeune
|
|
femme, belle, gracieuse, spirituelle, est riche en même temps,
|
|
n'ôte rien à ce commencement d'amour, et tout au contraire le
|
|
corrobore.
|
|
|
|
Il y a dans l'aisance une foule de soins et de caprices
|
|
aristocratiques qui vont bien à la beauté. Un bas fin et blanc,
|
|
une robe de soie, une guimpe de dentelle, un joli soulier au pied,
|
|
un frais ruban sur la tête, ne font point jolie une femme laide,
|
|
mais font belle une femme jolie, sans compter les mains qui
|
|
gagnent à tout cela; les mains, chez les femmes surtout, ont
|
|
besoin de rester oisives pour rester belles.
|
|
|
|
Puis d'Artagnan, comme le sait bien le lecteur, auquel nous
|
|
n'avons pas caché l'état de sa fortune, d'Artagnan n'était pas un
|
|
millionnaire; il espérait bien le devenir un jour, mais le temps
|
|
qu'il se fixait lui-même pour cet heureux changement était assez
|
|
éloigné. En attendant, quel désespoir que de voir une femme qu'on
|
|
aime désirer ces mille riens dont les femmes composent leur
|
|
bonheur, et de ne pouvoir lui donner ces mille riens! Au moins,
|
|
quand la femme est riche et que l'amant ne l'est pas, ce qu'il ne
|
|
peut lui offrir elle se l'offre elle-même; et quoique ce soit
|
|
ordinairement avec l'argent du mari qu'elle se passe cette
|
|
jouissance, il est rare que ce soit à lui qu'en revienne la
|
|
reconnaissance.
|
|
|
|
Puis d'Artagnan, disposé à être l'amant le plus tendre, était en
|
|
attendant un ami très dévoué. Au milieu de ses projets amoureux
|
|
sur la femme du mercier, il n'oubliait pas les siens. La jolie
|
|
Mme Bonacieux était femme à promener dans la plaine Saint-Denis ou
|
|
dans la foire Saint-Germain en compagnie d'Athos, de Porthos et
|
|
d'Aramis, auxquels d'Artagnan serait fier de montrer une telle
|
|
conquête. Puis, quand on a marché longtemps, la faim arrive;
|
|
d'Artagnan depuis quelque temps avait remarqué cela. On ferait de
|
|
ces petits dîners charmants où l'on touche d'un côté la main d'un
|
|
ami, et de l'autre le pied d'une maîtresse. Enfin, dans les
|
|
moments pressants, dans les positions extrêmes, d'Artagnan serait
|
|
le sauveur de ses amis.
|
|
|
|
Et M. Bonacieux, que d'Artagnan avait poussé dans les mains des
|
|
sbires en le reniant bien haut et à qui il avait promis tout bas
|
|
de le sauver? Nous devons avouer à nos lecteurs que d'Artagnan n'y
|
|
songeait en aucune façon, ou que, s'il y songeait, c'était pour se
|
|
dire qu'il était bien où il était, quelque part qu'il fût. L'amour
|
|
est la plus égoïste de toutes les passions.
|
|
|
|
Cependant, que nos lecteurs se rassurent: si d'Artagnan oublie son
|
|
hôte ou fait semblant de l'oublier, sous prétexte qu'il ne sait
|
|
pas où on l'a conduit, nous ne l'oublions pas, nous, et nous
|
|
savons où il est. Mais pour le moment faisons comme le Gascon
|
|
amoureux. Quant au digne mercier, nous reviendrons à lui plus
|
|
tard.
|
|
|
|
D'Artagnan, tout en réfléchissant à ses futures amours, tout en
|
|
parlant à la nuit, tout en souriant aux étoiles, remontait la rue
|
|
du Cherche-Midi ou Chasse-Midi, ainsi qu'on l'appelait alors.
|
|
Comme il se trouvait dans le quartier d'Aramis, l'idée lui était
|
|
venue d'aller faire une visite à son ami, pour lui donner quelques
|
|
explications sur les motifs qui lui avaient fait envoyer Planchet
|
|
avec invitation de se rendre immédiatement à la souricière. Or, si
|
|
Aramis s'était trouvé chez lui lorsque Planchet y était venu, il
|
|
avait sans aucun doute couru rue des Fossoyeurs, et n'y trouvant
|
|
personne que ses deux autres compagnons peut-être, ils n'avaient
|
|
dû savoir, ni les uns ni les autres, ce que cela voulait dire. Ce
|
|
dérangement méritait donc une explication, voilà ce que disait
|
|
tout haut d'Artagnan.
|
|
|
|
Puis, tout bas, il pensait que c'était pour lui une occasion de
|
|
parler de la jolie petite Mme Bonacieux, dont son esprit, sinon
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son coeur, était déjà tout plein. Ce n'est pas à propos d'un
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premier amour qu'il faut demander de la discrétion. Ce premier
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amour est accompagné d'une si grande joie, qu'il faut que cette
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joie déborde, sans cela elle vous étoufferait.
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Paris depuis deux heures était sombre et commençait à se faire
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désert. Onze heures sonnaient à toutes les horloges du faubourg
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Saint-Germain, il faisait un temps doux. D'Artagnan suivait une
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ruelle située sur l'emplacement où passe aujourd'hui la rue
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d'Assas, respirant les émanations embaumées qui venaient avec le
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vent de la rue de Vaugirard et qu'envoyaient les jardins
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rafraîchis par la rosée du soir et par la brise de la nuit. Au
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loin résonnaient, assourdis cependant par de bons volets, les
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chants des buveurs dans quelques cabarets perdus dans la plaine.
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Arrivé au bout de la ruelle, d'Artagnan tourna à gauche. La maison
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qu'habitait Aramis se trouvait située entre la rue Cassette et la
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rue Servandoni.
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D'Artagnan venait de dépasser la rue Cassette et reconnaissait
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déjà la porte de la maison de son ami, enfouie sous un massif de
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sycomores et de clématites qui formaient un vaste bourrelet au-
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dessus d'elle lorsqu'il aperçut quelque chose comme une ombre qui
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sortait de la rue Servandoni. Ce quelque chose était enveloppé
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d'un manteau, et d'Artagnan crut d'abord que c'était un homme;
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mais, à la petitesse de la taille, à l'incertitude de la démarche,
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à l'embarras du pas, il reconnut bientôt une femme. De plus, cette
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femme, comme si elle n'eût pas été bien sûre de la maison qu'elle
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cherchait, levait les yeux pour se reconnaître, s'arrêtait,
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retournait en arrière, puis revenait encore. D'Artagnan fut
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intrigué.
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«Si j'allais lui offrir mes services! pensa-t-il. À son allure, on
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voit qu'elle est jeune; peut-être jolie. Oh! oui. Mais une femme
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qui court les rues à cette heure ne sort guère que pour aller
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rejoindre son amant. Peste! si j'allais troubler les rendez-vous,
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ce serait une mauvaise porte pour entrer en relations.»
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Cependant, la jeune femme s'avançait toujours, comptant les
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maisons et les fenêtres. Ce n'était, au reste, chose ni longue, ni
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difficile. Il n'y avait que trois hôtels dans cette partie de la
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rue, et deux fenêtres ayant vue sur cette rue; l'une était celle
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d'un pavillon parallèle à celui qu'occupait Aramis, l'autre était
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celle d'Aramis lui-même.
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«Pardieu! se dit d'Artagnan, auquel la nièce du théologien
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revenait à l'esprit; pardieu! il serait drôle que cette colombe
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attardée cherchât la maison de notre ami. Mais sur mon âme, cela y
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ressemble fort. Ah! mon cher Aramis, pour cette fois, j'en veux
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avoir le coeur net.»
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Et d'Artagnan, se faisant le plus mince qu'il put, s'abrita dans
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le côté le plus obscur de la rue, près d'un banc de pierre situé
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au fond d'une niche.
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La jeune femme continua de s'avancer, car outre la légèreté de son
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allure, qui l'avait trahie, elle venait de faire entendre une
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petite toux qui dénonçait une voix des plus fraîches. D'Artagnan
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pensa que cette toux était un signal.
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Cependant, soit qu'on eût répondu à cette toux par un signe
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équivalent qui avait fixé les irrésolutions de la nocturne
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chercheuse, soit que sans secours étranger elle eût reconnu
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qu'elle était arrivée au bout de sa course, elle s'approcha
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résolument du volet d'Aramis et frappa à trois intervalles égaux
|
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avec son doigt recourbé.
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«C'est bien chez Aramis, murmura d'Artagnan. Ah! monsieur
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l'hypocrite! je vous y prends à faire de la théologie!»
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Les trois coups étaient à peine frappés, que la croisée intérieure
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s'ouvrit et qu'une lumière parut à travers les vitres du volet.
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«Ah! ah! fit l'écouteur non pas aux portes, mais aux fenêtres, ah!
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la visite était attendue. Allons, le volet va s'ouvrir et la dame
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entrera par escalade. Très bien!»
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Mais, au grand étonnement de d'Artagnan, le volet resta fermé. De
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plus, la lumière qui avait flamboyé un instant, disparut, et tout
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rentra dans l'obscurité.
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D'Artagnan pensa que cela ne pouvait durer ainsi, et continua de
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regarder de tous ses yeux et d'écouter de toutes ses oreilles.
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Il avait raison: au bout de quelques secondes, deux coups secs
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retentirent dans l'intérieur.
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La jeune femme de la rue répondit par un seul coup, et le volet
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s'entrouvrit.
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On juge si d'Artagnan regardait et écoutait avec avidité.
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Malheureusement, la lumière avait été transportée dans un autre
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appartement. Mais les yeux du jeune homme s'étaient habitués à la
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nuit. D'ailleurs les yeux des Gascons ont, à ce qu'on assure,
|
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comme ceux des chats, la propriété de voir pendant la nuit.
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D'Artagnan vit donc que la jeune femme tirait de sa poche un objet
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blanc qu'elle déploya vivement et qui prit la forme d'un mouchoir.
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Cet objet déployé, elle en fit remarquer le coin à son
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interlocuteur.
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Cela rappela à d'Artagnan ce mouchoir qu'il avait trouvé aux pieds
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de Mme Bonacieux, lequel lui avait rappelé celui qu'il avait
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trouvé aux pieds d'Aramis.
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«Que diable pouvait donc signifier ce mouchoir?»
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Placé où il était, d'Artagnan ne pouvait voir le visage d'Aramis,
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nous disons d'Aramis, parce que le jeune homme ne faisait aucun
|
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doute que ce fût son ami qui dialoguât de l'intérieur avec la dame
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de l'extérieur; la curiosité l'emporta donc sur la prudence, et,
|
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profitant de la préoccupation dans laquelle la vue du mouchoir
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paraissait plonger les deux personnages que nous avons mis en
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scène, il sortit de sa cachette, et prompt comme l'éclair, mais
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étouffant le bruit de ses pas, il alla se coller à un angle de la
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muraille, d'où son oeil pouvait parfaitement plonger dans
|
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l'intérieur de l'appartement d'Aramis.
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|
Arrivé là, d'Artagnan pensa jeter un cri de surprise: ce n'était
|
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pas Aramis qui causait avec la nocturne visiteuse, c'était une
|
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femme. Seulement, d'Artagnan y voyait assez pour reconnaître la
|
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forme de ses vêtements, mais pas assez pour distinguer ses traits.
|
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|
Au même instant, la femme de l'appartement tira un second mouchoir
|
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de sa poche, et l'échangea avec celui qu'on venait de lui montrer.
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Puis, quelques mots furent prononcés entre les deux femmes. Enfin
|
|
le volet se referma; la femme qui se trouvait à l'extérieur de la
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fenêtre se retourna, et vint passer à quatre pas de d'Artagnan en
|
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abaissant la coiffe de sa mante; mais la précaution avait été
|
|
prise trop tard, d'Artagnan avait déjà reconnu Mme Bonacieux.
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Mme Bonacieux! Le soupçon que c'était elle lui avait déjà traversé
|
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l'esprit quand elle avait tiré le mouchoir de sa poche; mais
|
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quelle probabilité que Mme Bonacieux qui avait envoyé chercher
|
|
M. de La Porte pour se faire reconduire par lui au Louvre, courût
|
|
les rues de Paris seule à onze heures et demie du soir, au risque
|
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de se faire enlever une seconde fois?
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Il fallait donc que ce fût pour une affaire bien importante; et
|
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quelle est l'affaire importante d'une femme de vingt-cinq ans?
|
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L'amour.
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Mais était-ce pour son compte ou pour le compte d'une autre
|
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personne qu'elle s'exposait à de semblables hasards? Voilà ce que
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se demandait à lui-même le jeune homme, que le démon de la
|
|
jalousie mordait au coeur ni plus ni moins qu'un amant en titre.
|
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|
Il y avait, au reste, un moyen bien simple de s'assurer où allait
|
|
Mme Bonacieux: c'était de la suivre. Ce moyen était si simple, que
|
|
d'Artagnan l'employa tout naturellement et d'instinct.
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|
Mais, à la vue du jeune homme qui se détachait de la muraille
|
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comme une statue de sa niche, et au bruit des pas qu'elle entendit
|
|
retentir derrière elle, Mme Bonacieux jeta un petit cri et
|
|
s'enfuit.
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D'Artagnan courut après elle. Ce n'était pas une chose difficile
|
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pour lui que de rejoindre une femme embarrassée dans son manteau.
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|
Il la rejoignit donc au tiers de la rue dans laquelle elle s'était
|
|
engagée. La malheureuse était épuisée, non pas de fatigue, mais de
|
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terreur, et quand d'Artagnan lui posa la main sur l'épaule, elle
|
|
tomba sur un genou en criant d'une voix étranglée:
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|
«Tuez-moi si vous voulez, mais vous ne saurez rien.»
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|
D'Artagnan la releva en lui passant le bras autour de la taille;
|
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mais comme il sentait à son poids qu'elle était sur le point de se
|
|
trouver mal, il s'empressa de la rassurer par des protestations de
|
|
dévouement. Ces protestations n'étaient rien pour Mme Bonacieux;
|
|
car de pareilles protestations peuvent se faire avec les plus
|
|
mauvaises intentions du monde; mais la voix était tout. La jeune
|
|
femme crut reconnaître le son de cette voix: elle rouvrit les
|
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yeux, jeta un regard sur l'homme qui lui avait fait si grand-peur,
|
|
et, reconnaissant d'Artagnan, elle poussa un cri de joie.
|
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|
|
«Oh! c'est vous, c'est vous! dit-elle; merci, mon Dieu!
|
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|
-- Oui, c'est moi, dit d'Artagnan, moi que Dieu a envoyé pour
|
|
veiller sur vous.
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|
|
|
-- Était-ce dans cette intention que vous me suiviez?» demanda
|
|
avec un sourire plein de coquetterie la jeune femme, dont le
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caractère un peu railleur reprenait le dessus, et chez laquelle
|
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toute crainte avait disparu du moment où elle avait reconnu un ami
|
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dans celui qu'elle avait pris pour un ennemi.
|
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|
|
«Non, dit d'Artagnan, non, je l'avoue; c'est le hasard qui m'a mis
|
|
sur votre route; j'ai vu une femme frapper à la fenêtre d'un de
|
|
mes amis...
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|
-- D'un de vos amis? interrompit Mme Bonacieux.
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-- Sans doute; Aramis est de mes meilleurs amis.
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-- Aramis! qu'est-ce que cela?
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-- Allons donc! allez-vous me dire que vous ne connaissez pas
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Aramis?
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-- C'est la première fois que j'entends prononcer ce nom.
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-- C'est donc la première fois que vous venez à cette maison?
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-- Sans doute.
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-- Et vous ne saviez pas qu'elle fût habitée par un jeune homme?
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-- Non.
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-- Par un mousquetaire?
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-- Nullement.
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-- Ce n'est donc pas lui que vous veniez chercher?
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-- Pas le moins du monde. D'ailleurs, vous l'avez bien vu, la
|
|
personne à qui j'ai parlé est une femme.
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-- C'est vrai; mais cette femme est des amies d'Aramis.
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-- Je n'en sais rien.
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-- Puisqu'elle loge chez lui.
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|
-- Cela ne me regarde pas.
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-- Mais qui est-elle?
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-- Oh! cela n'est point mon secret.
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|
|
-- Chère madame Bonacieux, vous êtes charmante; mais en même temps
|
|
vous êtes la femme la plus mystérieuse...
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-- Est-ce que je perds à cela?
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|
-- Non; vous êtes, au contraire, adorable. Alors, donnez-moi le
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bras.
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-- Bien volontiers. Et maintenant?
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-- Maintenant, conduisez-moi.
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-- Où cela?
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-- Où je vais.
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-- Mais où allez-vous?
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-- Vous le verrez, puisque vous me laisserez à la porte.
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-- Faudra-t-il vous attendre?
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|
-- Ce sera inutile.
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-- Vous reviendrez donc seule? Peut-être oui, peut-être non.
|
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|
-- Mais la personne qui vous accompagnera ensuite sera-t-elle un
|
|
homme, sera-t-elle une femme?
|
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|
-- Je n'en sais rien encore.
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-- Je le saurai bien, moi!
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-- Comment cela?
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-- Je vous attendrai pour vous voir sortir.
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-- En ce cas, adieu!
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|
-- Comment cela?
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-- Je n'ai pas besoin de vous.
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-- Mais vous aviez réclamé...
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-- L'aide d'un gentilhomme, et non la surveillance d'un espion.
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-- Le mot est un peu dur!
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-- Comment appelle-t-on ceux qui suivent les gens malgré eux?
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-- Des indiscrets.
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-- Le mot est trop doux.
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-- Allons, madame, je vois bien qu'il faut faire tout ce que vous
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voulez.
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-- Pourquoi vous être privé du mérite de le faire tout de suite?
|
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-- N'y en a-t-il donc aucun à se repentir?
|
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-- Et vous repentez-vous réellement?
|
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-- Je n'en sais rien moi-même. Mais ce que je sais, c'est que je
|
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vous promets de faire tout ce que vous voudrez si vous me laissez
|
|
vous accompagner jusqu'où vous allez.
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-- Et vous me quitterez après?
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|
-- Oui.
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-- Sans m'épier à ma sortie?
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-- Non.
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-- Parole d'honneur?
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-- Foi de gentilhomme!
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-- Prenez mon bras et marchons alors.»
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|
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|
D'Artagnan offrit son bras à Mme Bonacieux, qui s'y suspendit,
|
|
moitié rieuse, moitié tremblante, et tous deux gagnèrent le haut
|
|
de la rue de La Harpe. Arrivée là, la jeune femme parut hésiter,
|
|
comme elle avait déjà fait dans la rue de Vaugirard. Cependant, à
|
|
de certains signes, elle sembla reconnaître une porte; et
|
|
s'approchant de cette porte:
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|
«Et maintenant, monsieur, dit-elle, c'est ici que j'ai affaire;
|
|
mille fois merci de votre honorable compagnie, qui m'a sauvée de
|
|
tous les dangers auxquels, seule, j'eusse été exposée. Mais le
|
|
moment est venu de tenir votre parole: je suis arrivée à ma
|
|
destination.
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-- Et vous n'aurez plus rien à craindre en revenant?
|
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-- Je n'aurai à craindre que les voleurs.
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-- N'est-ce donc rien?
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-- Que pourraient-ils me prendre? je n'ai pas un denier sur moi.
|
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|
-- Vous oubliez ce beau mouchoir brodé, armorié.
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|
-- Lequel?
|
|
|
|
-- Celui que j'ai trouvé à vos pieds et que j'ai remis dans votre
|
|
poche.
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|
|
|
-- Taisez-vous, taisez-vous, malheureux! s'écria la jeune femme,
|
|
voulez-vous me perdre?
|
|
|
|
-- Vous voyez bien qu'il y a encore du danger pour vous, puisqu'un
|
|
seul mot vous fait trembler, et que vous avouez que, si on
|
|
entendait ce mot, vous seriez perdue. Ah! tenez, madame, s'écria
|
|
d'Artagnan en lui saisissant la main et la couvrant d'un ardent
|
|
regard, tenez! soyez plus généreuse, confiez-vous à moi; n'avez-
|
|
vous donc pas lu dans mes yeux qu'il n'y a que dévouement et
|
|
sympathie dans mon coeur?
|
|
|
|
-- Si fait, répondit Mme Bonacieux; aussi demandez-moi mes
|
|
secrets, et je vous les dirai; mais ceux des autres, c'est autre
|
|
chose.
|
|
|
|
-- C'est bien, dit d'Artagnan, je les découvrirai; puisque ces
|
|
secrets peuvent avoir une influence sur votre vie, il faut que ces
|
|
secrets deviennent les miens.
|
|
|
|
-- Gardez-vous-en bien, s'écria la jeune femme avec un sérieux qui
|
|
fit frissonner d'Artagnan malgré lui. Oh! ne vous mêlez en rien de
|
|
ce qui me regarde, ne cherchez point à m'aider dans ce que
|
|
j'accomplis; et cela, je vous le demande au nom de l'intérêt que
|
|
je vous inspire, au nom du service que vous m'avez rendu! et que
|
|
je n'oublierai de ma vie. Croyez bien plutôt à ce que je vous dis.
|
|
Ne vous occupez plus de moi, je n'existe plus pour vous, que ce
|
|
soit comme si vous ne m'aviez jamais vue.
|
|
|
|
-- Aramis doit-il en faire autant que moi, madame? dit d'Artagnan
|
|
piqué.
|
|
|
|
-- Voilà deux ou trois fois que vous avez prononcé ce nom,
|
|
monsieur, et cependant je vous ai dit que je ne le connaissais
|
|
pas.
|
|
|
|
-- Vous ne connaissez pas l'homme au volet duquel vous avez été
|
|
frapper. Allons donc, madame! vous me croyez par trop crédule,
|
|
aussi!
|
|
|
|
-- Avouez que c'est pour me faire parler que vous inventez cette
|
|
histoire, et que vous créez ce personnage.
|
|
|
|
-- Je n'invente rien, madame, je ne crée rien, je dis l'exacte
|
|
vérité.
|
|
|
|
-- Et vous dites qu'un de vos amis demeure dans cette maison?
|
|
|
|
-- Je le dis et je le répète pour la troisième fois, cette maison
|
|
est celle qu'habite mon ami, et cet ami est Aramis.
|
|
|
|
-- Tout cela s'éclaircira plus tard, murmura la jeune femme:
|
|
maintenant, monsieur, taisez-vous.
|
|
|
|
-- Si vous pouviez voir mon coeur tout à découvert, dit
|
|
d'Artagnan, vous y liriez tant de curiosité, que vous auriez pitié
|
|
de moi, et tant d'amour, que vous satisferiez à l'instant même ma
|
|
curiosité. On n'a rien à craindre de ceux qui vous aiment.
|
|
|
|
-- Vous parlez bien vite d'amour, monsieur! dit la jeune femme en
|
|
secouant la tête.
|
|
|
|
-- C'est que l'amour m'est venu vite et pour la première fois, et
|
|
que je n'ai pas vingt ans.»
|
|
|
|
La jeune femme le regarda à la dérobée.
|
|
|
|
«Écoutez, je suis déjà sur la trace, dit d'Artagnan. Il y a trois
|
|
mois, j'ai manqué avoir un duel avec Aramis pour un mouchoir
|
|
pareil à celui que vous avez montré à cette femme qui était chez
|
|
lui, pour un mouchoir marqué de la même manière, j'en suis sûr.
|
|
|
|
-- Monsieur, dit la jeune femme, vous me fatiguez fort, je vous le
|
|
jure, avec ces questions.
|
|
|
|
-- Mais vous, si prudente, madame, songez-y, si vous étiez arrêtée
|
|
avec ce mouchoir, et que ce mouchoir fût saisi, ne seriez-vous pas
|
|
compromise?
|
|
|
|
-- Pourquoi cela, les initiales ne sont-elles pas les miennes:
|
|
C.B., Constance Bonacieux?
|
|
|
|
-- Ou Camille de Bois-Tracy.
|
|
|
|
-- Silence, monsieur, encore une fois silence! Ah! puisque les
|
|
dangers que je cours pour moi-même ne vous arrêtent pas, songez à
|
|
ceux que vous pouvez courir, vous!
|
|
|
|
-- Moi?
|
|
|
|
-- Oui, vous. Il y a danger de la prison, il y a danger de la vie
|
|
à me connaître.
|
|
|
|
-- Alors, je ne vous quitte plus.
|
|
|
|
-- Monsieur, dit la jeune femme suppliant et joignant les mains,
|
|
monsieur, au nom du Ciel, au nom de l'honneur d'un militaire, au
|
|
nom de la courtoisie d'un gentilhomme, éloignez-vous; tenez, voilà
|
|
minuit qui sonne, c'est l'heure où l'on m'attend.
|
|
|
|
-- Madame, dit le jeune homme en s'inclinant, je ne sais rien
|
|
refuser à qui me demande ainsi; soyez contente, je m'éloigne.
|
|
|
|
-- Mais vous ne me suivrez pas, vous ne m'épierez pas?
|
|
|
|
-- Je rentre chez moi à l'instant.
|
|
|
|
-- Ah! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme!»
|
|
s'écria Mme Bonacieux en lui tendant une main et en posant l'autre
|
|
sur le marteau d'une petite porte presque perdue dans la muraille.
|
|
|
|
-- D'Artagnan saisit la main qu'on lui tendait et la baisa
|
|
ardemment.
|
|
|
|
«Ah! j'aimerais mieux ne vous avoir jamais vue, s'écria d'Artagnan
|
|
avec cette brutalité naïve que les femmes préfèrent souvent aux
|
|
afféteries de la politesse, parce qu'elle découvre le fond de la
|
|
pensée et qu'elle prouve que le sentiment l'emporte sur la raison.
|
|
|
|
-- Eh bien, reprit Mme Bonacieux d'une voix presque caressante, et
|
|
en serrant la main de d'Artagnan qui n'avait pas abandonné la
|
|
sienne; eh bien, je n'en dirai pas autant que vous: ce qui est
|
|
perdu pour aujourd'hui n'est pas perdu pour l'avenir. Qui sait, si
|
|
lorsque je serai déliée un jour, je ne satisferai pas votre
|
|
curiosité?
|
|
|
|
-- Et faites-vous la même promesse à mon amour? s'écria d'Artagnan
|
|
au comble de la joie.
|
|
|
|
-- Oh! de ce côté, je ne veux point m'engager, cela dépendra des
|
|
sentiments que vous saurez m'inspirer.
|
|
|
|
-- Ainsi, aujourd'hui, madame...
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-- Aujourd'hui, monsieur, je n'en suis encore qu'à la
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reconnaissance.
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-- Ah! vous êtes trop charmante, dit d'Artagnan avec tristesse, et
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vous abusez de mon amour.
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-- Non, j'use de votre générosité, voilà tout. Mais croyez-le
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bien, avec certaines gens tout se retrouve.
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-- Oh! vous me rendez le plus heureux des hommes. N'oubliez pas
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cette soirée, n'oubliez pas cette promesse.
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-- Soyez tranquille, en temps et lieu je me souviendrai de tout.
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Eh bien, partez donc, partez, au nom du Ciel! On m'attendait à
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minuit juste, et je suis en retard.
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-- De cinq minutes.
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-- Oui; mais dans certaines circonstances, cinq minutes sont cinq
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siècles.
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-- Quand on aime.
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-- Eh bien, qui vous dit que je n'ai pas affaire à un amoureux?
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-- C'est un homme qui vous attend? s'écria d'Artagnan, un homme!
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-- Allons, voilà la discussion qui va recommencer, fit
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Mme Bonacieux avec un demi-sourire qui n'était pas exempt d'une
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certaine teinte d'impatience.
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-- Non, non, je m'en vais, je pars; je crois en vous, je veux
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avoir tout le mérite de mon dévouement, ce dévouement dût-il être
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une stupidité. Adieu, madame, adieu!»
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Et comme s'il ne se fût senti la force de se détacher de la main
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qu'il tenait que par une secousse, il s'éloigna tout courant,
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tandis que Mme Bonacieux frappait, comme au volet, trois coups
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lents et réguliers; puis, arrivé à l'angle de la rue, il se
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retourna: la porte s'était ouverte et refermée, la jolie mercière
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avait disparu.
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D'Artagnan continua son chemin, il avait donné sa parole de ne pas
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épier Mme Bonacieux, et sa vie eût-elle dépendu de l'endroit où
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elle allait se rendre, ou de la personne qui devait l'accompagner,
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d'Artagnan serait rentré chez lui, puisqu'il avait dit qu'il y
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rentrait. Cinq minutes après, il était dans la rue des Fossoyeurs.
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«Pauvre Athos, disait-il, il ne saura pas ce que cela veut dire.
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Il se sera endormi en m'attendant, ou il sera retourné chez lui,
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et en rentrant il aura appris qu'une femme y était venue. Une
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femme chez Athos! Après tout, continua d'Artagnan, il y en avait
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bien une chez Aramis. Tout cela est fort étrange, et je serais
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bien curieux de savoir comment cela finira.
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-- Mal, monsieur, mal», répondit une voix que le jeune homme
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reconnut pour celle de Planchet; car tout en monologuant tout
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haut, à la manière des gens très préoccupés, il s'était engagé
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dans l'allée au fond de laquelle était l'escalier qui conduisait à
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sa chambre.
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«Comment, mal? que veux-tu dire, imbécile? demanda d'Artagnan,
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qu'est-il donc arrivé?
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-- Toutes sortes de malheurs.
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-- Lesquels?
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-- D'abord M. Athos est arrêté.
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-- Arrêté! Athos! arrêté! pourquoi?
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-- On l'a trouvé chez vous; on l'a pris pour vous.
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-- Et par qui a-t-il été arrêté?
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-- Par la garde qu'ont été chercher les hommes noirs que vous avez
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mis en fuite.
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-- Pourquoi ne s'est-il pas nommé? pourquoi n'a-t-il pas dit qu'il
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était étranger à cette affaire?
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-- Il s'en est bien gardé, monsieur; il s'est au contraire
|
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approché de moi et m'a dit: «C'est ton maître qui a besoin de sa
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liberté en ce moment, et non pas moi, puisqu'il sait tout et que
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je ne sais rien. On le croira arrêté, et cela lui donnera du
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temps; dans trois jours je dirai qui je suis, et il faudra bien
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qu'on me fasse sortir.»
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-- Bravo, Athos! noble coeur, murmura d'Artagnan, je le reconnais
|
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bien là! Et qu'ont fait les sbires?
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-- Quatre l'ont emmené je ne sais où, à la Bastille ou au For-
|
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l'Évêque; deux sont restés avec les hommes noirs, qui ont fouillé
|
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partout et qui ont pris tous les papiers. Enfin les deux derniers,
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pendant cette expédition, montaient la garde à la porte; puis,
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quand tout a été fini, ils sont partis, laissant la maison vide et
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tout ouvert.
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-- Et Porthos et Aramis?
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-- Je ne les avais pas trouvés, ils ne sont pas venus.
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-- Mais ils peuvent venir d'un moment à l'autre, car tu leur as
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fait dire que je les attendais?
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-- Oui, monsieur.
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-- Eh bien, ne bouge pas d'ici; s'ils viennent, préviens-les de ce
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qui m'est arrivé, qu'ils m'attendent au cabaret de la Pomme de
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Pin; ici il y aurait danger, la maison peut être espionnée. Je
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cours chez M. de Tréville pour lui annoncer tout cela, et je les y
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rejoins.
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-- C'est bien, monsieur, dit Planchet.
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-- Mais tu resteras, tu n'auras pas peur! dit d'Artagnan en
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revenant sur ses pas pour recommander le courage à son laquais.
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-- Soyez tranquille, monsieur, dit Planchet, vous ne me connaissez
|
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pas encore; je suis brave quand je m'y mets, allez; c'est le tout
|
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de m'y mettre; d'ailleurs je suis Picard.
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-- Alors, c'est convenu, dit d'Artagnan, tu te fais tuer plutôt
|
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que de quitter ton poste.
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-- Oui, monsieur, et il n'y a rien que je ne fasse pour prouver à
|
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monsieur que je lui suis attaché.»
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«Bon, dit en lui-même d'Artagnan, il paraît que la méthode que
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j'ai employée à l'égard de ce garçon est décidément la bonne: j'en
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userai dans l'occasion.»
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Et de toute la vitesse de ses jambes, déjà quelque peu fatiguées
|
|
cependant par les courses de la journée, d'Artagnan se dirigea
|
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vers la rue du Colombier.
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M. de Tréville n'était point à son hôtel; sa compagnie était de
|
|
garde au Louvre; il était au Louvre avec sa compagnie.
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Il fallait arriver jusqu'à M. de Tréville; il était important
|
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qu'il fût prévenu de ce qui se passait. D'Artagnan résolut
|
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d'essayer d'entrer au Louvre. Son costume de garde dans la
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compagnie de M. des Essarts lui devait être un passeport.
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Il descendit donc la rue des Petits-Augustins, et remonta le quai
|
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pour prendre le Pont-Neuf. Il avait eu un instant l'idée de passer
|
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le bac; mais en arrivant au bord de l'eau, il avait machinalement
|
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introduit sa main dans sa poche et s'était aperçu qu'il n'avait
|
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pas de quoi payer le passeur.
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Comme il arrivait à la hauteur de la rue Guénégaud, il vit
|
|
déboucher de la rue Dauphine un groupe composé de deux personnes
|
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et dont l'allure le frappa.
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Les deux personnes qui composaient le groupe étaient: l'un, un
|
|
homme; l'autre, une femme.
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La femme avait la tournure de Mme Bonacieux, et l'homme
|
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ressemblait à s'y méprendre à Aramis.
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En outre, la femme avait cette mante noire que d'Artagnan voyait
|
|
encore se dessiner sur le volet de la rue de Vaugirard et sur la
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|
porte de la rue de La Harpe.
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|
De plus, l'homme portait l'uniforme des mousquetaires.
|
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Le capuchon de la femme était rabattu, l'homme tenait son mouchoir
|
|
sur son visage; tous deux, cette double précaution l'indiquait,
|
|
tous deux avaient donc intérêt à n'être point reconnus.
|
|
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|
Ils prirent le pont: c'était le chemin de d'Artagnan, puisque
|
|
d'Artagnan se rendait au Louvre; d'Artagnan les suivit.
|
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|
D'Artagnan n'avait pas fait vingt pas, qu'il fut convaincu que
|
|
cette femme, c'était Mme Bonacieux, et que cet homme, c'était
|
|
Aramis.
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Il sentit à l'instant même tous les soupçons de la jalousie qui
|
|
s'agitaient dans son coeur.
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Il était doublement trahi et par son ami et par celle qu'il aimait
|
|
déjà comme une maîtresse. Mme Bonacieux lui avait juré ses grands
|
|
dieux qu'elle ne connaissait pas Aramis, et un quart d'heure après
|
|
qu'elle lui avait fait ce serment, il la retrouvait au bras
|
|
d'Aramis.
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D'Artagnan ne réfléchit pas seulement qu'il connaissait la jolie
|
|
mercière depuis trois heures seulement, qu'elle ne lui devait rien
|
|
qu'un peu de reconnaissance pour l'avoir délivrée des hommes noirs
|
|
qui voulaient l'enlever, et qu'elle ne lui avait rien promis. Il
|
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se regarda comme un amant outragé, trahi, bafoué; le sang et la
|
|
colère lui montèrent au visage, il résolut de tout éclaircir.
|
|
|
|
La jeune femme et le jeune homme s'étaient aperçus qu'ils étaient
|
|
suivis, et ils avaient doublé le pas. D'Artagnan prit sa course,
|
|
les dépassa, puis revint sur eux au moment où ils se trouvaient
|
|
devant la Samaritaine, éclairée par un réverbère qui projetait sa
|
|
lueur sur toute cette partie du pont.
|
|
|
|
D'Artagnan s'arrêta devant eux, et ils s'arrêtèrent devant lui.
|
|
|
|
«Que voulez-vous, monsieur? demanda le mousquetaire en reculant
|
|
d'un pas et avec un accent étranger qui prouvait à d'Artagnan
|
|
qu'il s'était trompé dans une partie de ses conjectures.
|
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|
-- Ce n'est pas Aramis! s'écria-t-il.
|
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|
-- Non, monsieur, ce n'est point Aramis, et à votre exclamation je
|
|
vois que vous m'avez pris pour un autre, et je vous pardonne.
|
|
|
|
-- Vous me pardonnez! s'écria d'Artagnan.
|
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|
|
-- Oui, répondit l'inconnu. Laissez-moi donc passer, puisque ce
|
|
n'est pas à moi que vous avez affaire.
|
|
|
|
-- Vous avez raison, monsieur, dit d'Artagnan, ce n'est pas à vous
|
|
que j'ai affaire, c'est à madame.
|
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|
-- À madame! vous ne la connaissez pas, dit l'étranger.
|
|
|
|
-- Vous vous trompez, monsieur, je la connais.
|
|
|
|
-- Ah! fit Mme Bonacieux d'un ton de reproche, ah monsieur!
|
|
j'avais votre parole de militaire et votre foi de gentilhomme;
|
|
j'espérais pouvoir compter dessus.
|
|
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|
-- Et moi, madame, dit d'Artagnan embarrassé, vous m'aviez
|
|
promis...
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-- Prenez mon bras, madame, dit l'étranger, et continuons notre
|
|
chemin.»
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|
Cependant d'Artagnan, étourdi, atterré, anéanti par tout ce qui
|
|
lui arrivait, restait debout et les bras croisés devant le
|
|
mousquetaire et Mme Bonacieux.
|
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|
Le mousquetaire fit deux pas en avant et écarta d'Artagnan avec la
|
|
main.
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|
D'Artagnan fit un bond en arrière et tira son épée.
|
|
|
|
En même temps et avec la rapidité de l'éclair, l'inconnu tira la
|
|
sienne.
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|
«Au nom du Ciel, Milord! s'écria Mme Bonacieux en se jetant entre
|
|
les combattants et prenant les épées à pleines mains.
|
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|
-- Milord! s'écria d'Artagnan illuminé d'une idée subite, Milord!
|
|
pardon, monsieur; mais est-ce que vous seriez...
|
|
|
|
-- Milord duc de Buckingham, dit Mme Bonacieux à demi-voix; et
|
|
maintenant vous pouvez nous perdre tous.
|
|
|
|
-- Milord, madame, pardon, cent fois pardon; mais je l'aimais,
|
|
Milord, et j'étais jaloux; vous savez ce que c'est que d'aimer,
|
|
Milord; pardonnez-moi, et dites-moi comment je puis me faire tuer
|
|
pour Votre Grâce.
|
|
|
|
-- Vous êtes un brave jeune homme, dit Buckingham en tendant à
|
|
d'Artagnan une main que celui-ci serra respectueusement; vous
|
|
m'offrez vos services, je les accepte; suivez-nous à vingt pas
|
|
jusqu'au Louvre; et si quelqu'un nous épie, tuez-le!»
|
|
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|
D'Artagnan mit son épée nue sous son bras, laissa prendre à
|
|
Mme Bonacieux et au duc vingt pas d'avance et les suivit, prêt à
|
|
exécuter à la lettre les instructions du noble et élégant ministre
|
|
de Charles Ier.
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Mais heureusement le jeune séide n'eut aucune occasion de donner
|
|
au duc cette preuve de son dévouement, et la jeune femme et le
|
|
beau mousquetaire rentrèrent au Louvre par le guichet de l'Échelle
|
|
sans avoir été inquiétés...
|
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|
Quant à d'Artagnan, il se rendit aussitôt au cabaret de la Pomme
|
|
de Pin, où il trouva Porthos et Aramis qui l'attendaient.
|
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|
Mais, sans leur donner d'autre explication sur le dérangement
|
|
qu'il leur avait causé, il leur dit qu'il avait terminé seul
|
|
l'affaire pour laquelle il avait cru un instant avoir besoin de
|
|
leur intervention. Et maintenant, emportés que nous sommes par
|
|
notre récit, laissons nos trois amis rentrer chacun chez soi, et
|
|
suivons, dans les détours du Louvre, le duc de Buckingham et son
|
|
guide.
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|
CHAPITRE XII
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|
GEORGES VILLIERS, DUC DE BUCKINGHAM
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|
Madame Bonacieux et le duc entrèrent au Louvre sans difficulté;
|
|
Mme Bonacieux était connue pour appartenir à la reine; le duc
|
|
portait l'uniforme des mousquetaires de M. de Tréville, qui, comme
|
|
nous l'avons dit, était de garde ce soir-là. D'ailleurs Germain
|
|
était dans les intérêts de la reine, et si quelque chose arrivait,
|
|
Mme Bonacieux serait accusée d'avoir introduit son amant au
|
|
Louvre, voilà tout; elle prenait sur elle le crime: sa réputation
|
|
était perdue, il est vrai, mais de quelle valeur était dans le
|
|
monde la réputation d'une petite mercière?
|
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|
|
Une fois entrés dans l'intérieur de la cour, le duc et la jeune
|
|
femme suivirent le pied de la muraille pendant l'espace d'environ
|
|
vingt-cinq pas; cet espace parcouru, Mme Bonacieux poussa une
|
|
petite porte de service, ouverte le jour, mais ordinairement
|
|
fermée la nuit; la porte céda; tous deux entrèrent et se
|
|
trouvèrent dans l'obscurité, mais Mme Bonacieux connaissait tous
|
|
les tours et détours de cette partie du Louvre, destinée aux gens
|
|
de la suite. Elle referma les portes derrière elle, prit le duc
|
|
par la main, fit quelques pas en tâtonnant, saisit une rampe,
|
|
toucha du pied un degré, et commença de monter un escalier: le duc
|
|
compta deux étages. Alors elle prit à droite, suivit un long
|
|
corridor, redescendit un étage, fit quelques pas encore,
|
|
introduisit une clef dans une serrure, ouvrit une porte et poussa
|
|
le duc dans un appartement éclairé seulement par une lampe de
|
|
nuit, en disant: «Restez ici, Milord duc, on va venir.» Puis elle
|
|
sortit par la même porte, qu'elle ferma à la clef, de sorte que le
|
|
duc se trouva littéralement prisonnier.
|
|
|
|
Cependant, tout isolé qu'il se trouvait, il faut le dire, le duc
|
|
de Buckingham n'éprouva pas un instant de crainte; un des côtés
|
|
saillants de son caractère était la recherche de l'aventure et
|
|
l'amour du romanesque. Brave, hardi, entreprenant, ce n'était pas
|
|
la première fois qu'il risquait sa vie dans de pareilles
|
|
tentatives; il avait appris que ce prétendu message d'Anne
|
|
d'Autriche, sur la foi duquel il était venu à Paris, était un
|
|
piège, et au lieu de regagner l'Angleterre, il avait, abusant de
|
|
la position qu'on lui avait faite, déclaré à la reine qu'il ne
|
|
partirait pas sans l'avoir vue. La reine avait positivement refusé
|
|
d'abord, puis enfin elle avait craint que le duc, exaspéré, ne fît
|
|
quelque folie. Déjà elle était décidée à le recevoir et à le
|
|
supplier de partir aussitôt, lorsque, le soir même de cette
|
|
décision, Mme Bonacieux, qui était chargée d'aller chercher le duc
|
|
et de le conduire au Louvre, fut enlevée. Pendant deux jours on
|
|
ignora complètement ce qu'elle était devenue, et tout resta en
|
|
suspens. Mais une fois libre, une fois remise en rapport avec La
|
|
Porte, les choses avaient repris leur cours, et elle venait
|
|
d'accomplir la périlleuse entreprise que, sans son arrestation,
|
|
elle eût exécutée trois jours plus tôt.
|
|
|
|
Buckingham, resté seul, s'approcha d'une glace. Cet habit de
|
|
mousquetaire lui allait à merveille.
|
|
|
|
À trente-cinq ans qu'il avait alors, il passait à juste titre pour
|
|
le plus beau gentilhomme et pour le plus élégant cavalier de
|
|
France et d'Angleterre.
|
|
|
|
Favori de deux rois, riche à millions, tout-puissant dans un
|
|
royaume qu'il bouleversait à sa fantaisie et calmait à son
|
|
caprice, Georges Villiers, duc de Buckingham, avait entrepris une
|
|
de ces existences fabuleuses qui restent dans le cours des siècles
|
|
comme un étonnement pour la postérité.
|
|
|
|
Aussi, sûr de lui-même, convaincu de sa puissance, certain que les
|
|
lois qui régissent les autres hommes ne pouvaient l'atteindre,
|
|
allait-il droit au but qu'il s'était fixé, ce but fût-il si élevé
|
|
et si éblouissant que c'eût été folie pour un autre que de
|
|
l'envisager seulement. C'est ainsi qu'il était arrivé à
|
|
s'approcher plusieurs fois de la belle et fière Anne d'Autriche et
|
|
à s'en faire aimer, à force d'éblouissement.
|
|
|
|
Georges Villiers se plaça donc devant une glace, comme nous
|
|
l'avons dit, rendit à sa belle chevelure blonde les ondulations
|
|
que le poids de son chapeau lui avait fait perdre, retroussa sa
|
|
moustache, et le coeur tout gonflé de joie, heureux et fier de
|
|
toucher au moment qu'il avait si longtemps désiré, se sourit à
|
|
lui-même d'orgueil et d'espoir.
|
|
|
|
En ce moment, une porte cachée dans la tapisserie s'ouvrit et une
|
|
femme apparut. Buckingham vit cette apparition dans la glace; il
|
|
jeta un cri, c'était la reine!
|
|
|
|
Anne d'Autriche avait alors vingt-six ou vingt-sept ans, c'est-à-
|
|
dire qu'elle se trouvait dans tout l'éclat de sa beauté.
|
|
|
|
Sa démarche était celle d'une reine ou d'une déesse; ses yeux, qui
|
|
jetaient des reflets d'émeraude, étaient parfaitement beaux, et
|
|
tout à la fois pleins de douceur et de majesté.
|
|
|
|
Sa bouche était petite et vermeille, et quoique sa lèvre
|
|
inférieure, comme celle des princes de la maison d'Autriche,
|
|
avançât légèrement sur l'autre, elle était éminemment gracieuse
|
|
dans le sourire, mais aussi profondément dédaigneuse dans le
|
|
mépris.
|
|
|
|
Sa peau était citée pour sa douceur et son velouté, sa main et ses
|
|
bras étaient d'une beauté surprenante, et tous les poètes du temps
|
|
les chantaient comme incomparables.
|
|
|
|
Enfin ses cheveux, qui, de blonds qu'ils étaient dans sa jeunesse,
|
|
étaient devenus châtains, et qu'elle portait frisés très clair et
|
|
avec beaucoup de poudre, encadraient admirablement son visage,
|
|
auquel le censeur le plus rigide n'eût pu souhaiter qu'un peu
|
|
moins de rouge, et le statuaire le plus exigeant qu'un peu plus de
|
|
finesse dans le nez.
|
|
|
|
Buckingham resta un instant ébloui; jamais Anne d'Autriche ne lui
|
|
était apparue aussi belle, au milieu des bals, des fêtes, des
|
|
carrousels, qu'elle lui apparut en ce moment, vêtue d'une simple
|
|
robe de satin blanc et accompagnée de doña Estefania, la seule de
|
|
ses femmes espagnoles qui n'eût pas été chassée par la jalousie du
|
|
roi et par les persécutions de Richelieu.
|
|
|
|
Anne d'Autriche fit deux pas en avant; Buckingham se précipita à
|
|
ses genoux, et avant que la reine eût pu l'en empêcher, il baisa
|
|
le bas de sa robe.
|
|
|
|
«Duc, vous savez déjà que ce n'est pas moi qui vous ai fait
|
|
écrire.
|
|
|
|
-- Oh! oui, madame, oui, Votre Majesté, s'écria le duc; je sais
|
|
que j'ai été un fou, un insensé de croire que la neige
|
|
s'animerait, que le marbre s'échaufferait; mais, que voulez-vous,
|
|
quand on aime, on croit facilement à l'amour; d'ailleurs je n'ai
|
|
pas tout perdu à ce voyage, puisque je vous vois.
|
|
|
|
-- Oui, répondit Anne, mais vous savez pourquoi et comment je vous
|
|
vois, Milord. Je vous vois par pitié pour vous-même; je vous vois
|
|
parce qu'insensible à toutes mes peines, vous vous êtes obstiné à
|
|
rester dans une ville où, en restant, vous courez risque de la vie
|
|
et me faites courir risque de mon honneur; je vous vois pour vous
|
|
dire que tout nous sépare, les profondeurs de la mer, l'inimitié
|
|
des royaumes, la sainteté des serments. Il est sacrilège de lutter
|
|
contre tant de choses, Milord. Je vous vois enfin pour vous dire
|
|
qu'il ne faut plus nous voir.
|
|
|
|
-- Parlez, madame; parlez, reine, dit Buckingham; la douceur de
|
|
votre voix couvre la dureté de vos paroles. Vous parlez de
|
|
sacrilège! mais le sacrilège est dans la séparation des coeurs que
|
|
Dieu avait formés l'un pour l'autre.
|
|
|
|
-- Milord, s'écria la reine, vous oubliez que je ne vous ai jamais
|
|
dit que je vous aimais.
|
|
|
|
-- Mais vous ne m'avez jamais dit non plus que vous ne m'aimiez
|
|
point; et vraiment, me dire de semblables paroles, ce serait de la
|
|
part de Votre Majesté une trop grande ingratitude. Car, dites-moi,
|
|
où trouvez-vous un amour pareil au mien, un amour que ni le temps,
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ni l'absence, ni le désespoir ne peuvent éteindre; un amour qui se
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contente d'un ruban égaré, d'un regard perdu, d'une parole
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échappée?
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«Il y a trois ans, madame, que je vous ai vue pour la première
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fois, et depuis trois ans je vous aime ainsi.
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«Voulez-vous que je vous dise comment vous étiez vêtue la première
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fois que je vous vis? voulez-vous que je détaille chacun des
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ornements de votre toilette? Tenez, je vous vois encore: vous
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étiez assise sur des carreaux, à la mode d'Espagne; vous aviez une
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robe de satin vert avec des broderies d'or et d'argent; des
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manches pendantes et renouées sur vos beaux bras, sur ces bras
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admirables, avec de gros diamants; vous aviez une fraise fermée,
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un petit bonnet sur votre tête, de la couleur de votre robe, et
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sur ce bonnet une plume de héron.
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«Oh! tenez, tenez, je ferme les yeux, et je vous vois telle que
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vous étiez alors; je les rouvre, et je vous vois telle que vous
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êtes maintenant, c'est-à-dire cent fois plus belle encore!
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-- Quelle folie! murmura Anne d'Autriche, qui n'avait pas le
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courage d'en vouloir au duc d'avoir si bien conservé son portrait
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dans son coeur; quelle folie de nourrir une passion inutile avec
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de pareils souvenirs!
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-- Et avec quoi voulez-vous donc que je vive? je n'ai que des
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souvenirs, moi. C'est mon bonheur, mon trésor, mon espérance.
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Chaque fois que je vous vois, c'est un diamant de plus que je
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renferme dans l'écrin de mon coeur. Celui-ci est le quatrième que
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vous laissez tomber et que je ramasse; car en trois ans, madame,
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je ne vous ai vue que quatre fois: cette première que je viens de
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vous dire, la seconde chez Mme de Chevreuse, la troisième dans les
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jardins d'Amiens.
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-- Duc, dit la reine en rougissant, ne parlez pas de cette soirée.
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-- Oh! parlons-en, au contraire, madame, parlons-en: c'est la
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soirée heureuse et rayonnante de ma vie. Vous rappelez-vous la
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belle nuit qu'il faisait? Comme l'air était doux et parfumé, comme
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le ciel était bleu et tout émaillé d'étoiles! Ah! cette fois,
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madame, j'avais pu être un instant seul avec vous; cette fois,
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vous étiez prête à tout me dire, l'isolement de votre vie, les
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chagrins de votre coeur. Vous étiez appuyée à mon bras, tenez, à
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celui-ci. Je sentais, en inclinant ma tête à votre côté, vos beaux
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cheveux effleurer mon visage, et chaque fois qu'ils l'effleuraient
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je frissonnais de la tête aux pieds. Oh! reine, reine! oh! vous ne
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savez pas tout ce qu'il y a de félicités du ciel, de joies du
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paradis enfermées dans un moment pareil. Tenez, mes biens, ma
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fortune, ma gloire, tout ce qu'il me reste de jours à vivre, pour
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un pareil instant et pour une semblable nuit! car cette nuit-là,
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madame, cette nuit-là vous m'aimiez, je vous le jure.
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-- Milord, il est possible, oui, que l'influence du lieu, que le
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charme de cette belle soirée, que la fascination de votre regard,
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que ces mille circonstances enfin qui se réunissent parfois pour
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perdre une femme se soient groupées autour de moi dans cette
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fatale soirée; mais vous l'avez vu, Milord, la reine est venue au
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secours de la femme qui faiblissait: au premier mot que vous avez
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osé dire, à la première hardiesse à laquelle j'ai eu à répondre,
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j'ai appelé.
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-- Oh! oui, oui, cela est vrai, et un autre amour que le mien
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aurait succombé à cette épreuve; mais mon amour, à moi, en est
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sorti plus ardent et plus éternel. Vous avez cru me fuir en
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revenant à Paris, vous avez cru que je n'oserais quitter le trésor
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sur lequel mon maître m'avait chargé de veiller. Ah! que
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m'importent à moi tous les trésors du monde et tous les rois de la
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terre! Huit jours après, j'étais de retour, madame. Cette fois,
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vous n'avez rien eu à me dire: j'avais risqué ma faveur, ma vie,
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pour vous voir une seconde, je n'ai pas même touché votre main, et
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vous m'avez pardonné en me voyant si soumis et si repentant.
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-- Oui, mais la calomnie s'est emparée de toutes ces folies dans
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|
lesquelles je n'étais pour rien, vous le savez bien, Milord. Le
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roi, excité par M. le cardinal, a fait un éclat terrible:
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Mme de Vernet a été chassée, Putange exilé, Mme de Chevreuse est
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tombée en défaveur, et lorsque vous avez voulu revenir comme
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ambassadeur en France, le roi lui-même, souvenez-vous-en, Milord,
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le roi lui-même s'y est opposé.
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-- Oui, et la France va payer d'une guerre le refus de son roi. Je
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ne puis plus vous voir, madame; eh bien, je veux chaque jour que
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vous entendiez parler de moi.
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«Quel but pensez-vous qu'aient eu cette expédition de Ré et cette
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ligue avec les protestants de La Rochelle que je projette? Le
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plaisir de vous voir!
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«Je n'ai pas l'espoir de pénétrer à main armée jusqu'à Paris, je
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le sais bien: mais cette guerre pourra amener une paix, cette paix
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nécessitera un négociateur, ce négociateur ce sera moi. On n'osera
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plus me refuser alors, et je reviendrai à Paris, et je vous
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reverrai, et je serai heureux un instant. Des milliers d'hommes,
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il est vrai, auront payé mon bonheur de leur vie; mais que
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m'importera, à moi, pourvu que je vous revoie! Tout cela est peut-
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être bien fou, peut-être bien insensé; mais, dites-moi, quelle
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femme a un amant plus amoureux? quelle reine a eu un serviteur
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plus ardent?
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-- Milord, Milord, vous invoquez pour votre défense des choses qui
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vous accusent encore; Milord, toutes ces preuves d'amour que vous
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voulez me donner sont presque des crimes.
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-- Parce que vous ne m'aimez pas, madame: si vous m'aimiez, vous
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verriez tout cela autrement, si vous m'aimiez, oh! mais, si vous
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m'aimiez, ce serait trop de bonheur et je deviendrais fou. Ah!
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Mme de Chevreuse dont vous parliez tout à l'heure,
|
|
Mme de Chevreuse a été moins cruelle que vous; Holland l'a aimée,
|
|
et elle a répondu à son amour.
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-- Mme de Chevreuse n'était pas reine, murmura Anne d'Autriche,
|
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vaincue malgré elle par l'expression d'un amour si profond.
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-- Vous m'aimeriez donc si vous ne l'étiez pas, vous, madame,
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dites, vous m'aimeriez donc? Je puis donc croire que c'est la
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dignité seule de votre rang qui vous fait cruelle pour moi; je
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puis donc croire que si vous eussiez été Mme de Chevreuse, le
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|
pauvre Buckingham aurait pu espérer? Merci de ces douces paroles,
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|
ô ma belle Majesté, cent fois merci.
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-- Ah! Milord, vous avez mal entendu, mal interprété; je n'ai pas
|
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voulu dire...
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-- Silence! Silence! dit le duc, si je suis heureux d'une erreur,
|
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n'ayez pas la cruauté de me l'enlever. Vous l'avez dit vous-même,
|
|
on m'a attiré dans un piège, j'y laisserai ma vie peut-être, car,
|
|
tenez, c'est étrange, depuis quelque temps j'ai des pressentiments
|
|
que je vais mourir.» Et le duc sourit d'un sourire triste et
|
|
charmant à la fois.
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«Oh! mon Dieu! s'écria Anne d'Autriche avec un accent d'effroi qui
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prouvait quel intérêt plus grand qu'elle ne le voulait dire elle
|
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prenait au duc.
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-- Je ne vous dis point cela pour vous effrayer, madame, non;
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|
c'est même ridicule ce que je vous dis, et croyez que je ne me
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|
préoccupe point de pareils rêves. Mais ce mot que vous venez de
|
|
dire, cette espérance que vous m'avez presque donnée, aura tout
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payé, fût-ce même ma vie.
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-- Eh bien, dit Anne d'Autriche, moi aussi, duc, moi, j'ai des
|
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pressentiments, moi aussi j'ai des rêves. J'ai songé que je vous
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voyais couché sanglant, frappé d'une blessure.
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-- Au côté gauche, n'est-ce pas, avec un couteau? interrompit
|
|
Buckingham.
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-- Oui, c'est cela, Milord, c'est cela, au côté gauche avec un
|
|
couteau. Qui a pu vous dire que j'avais fait ce rêve? Je ne l'ai
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confié qu'à Dieu, et encore dans mes prières.
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-- Je n'en veux pas davantage, et vous m'aimez, madame, c'est
|
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bien.
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-- Je vous aime, moi?
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-- Oui, vous. Dieu vous enverrait-il les mêmes rêves qu'à moi, si
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vous ne m'aimiez pas? Aurions-nous les mêmes pressentiments, si
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nos deux existences ne se touchaient pas par le coeur? Vous
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m'aimez, ô reine, et vous me pleurerez?
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-- Oh! mon Dieu! mon Dieu! s'écria Anne d'Autriche, c'est plus que
|
|
je n'en puis supporter. Tenez, duc, au nom du Ciel, partez,
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|
retirez-vous; je ne sais si je vous aime, ou si je ne vous aime
|
|
pas; mais ce que je sais, c'est que je ne serai point parjure.
|
|
Prenez donc pitié de moi, et partez. Oh! si vous êtes frappé en
|
|
France, si vous mourez en France, si je pouvais supposer que votre
|
|
amour pour moi fût cause de votre mort, je ne me consolerais
|
|
jamais, j'en deviendrais folle. Partez donc, partez, je vous en
|
|
supplie.
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-- Oh! que vous êtes belle ainsi! Oh! que je vous aime! dit
|
|
Buckingham.
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|
-- Partez! partez! je vous en supplie, et revenez plus tard;
|
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revenez comme ambassadeur, revenez comme ministre, revenez entouré
|
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de gardes qui vous défendront, de serviteurs qui veilleront sur
|
|
vous, et alors je ne craindrai plus pour vos jours, et j'aurai du
|
|
bonheur à vous revoir.
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-- Oh! est-ce bien vrai ce que vous me dites?
|
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|
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-- Oui...
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-- Eh bien, un gage de votre indulgence, un objet qui vienne de
|
|
vous et qui me rappelle que je n'ai point fait un rêve; quelque
|
|
chose que vous ayez porté et que je puisse porter à mon tour, une
|
|
bague, un collier, une chaîne.
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-- Et partirez-vous, partirez-vous, si je vous donne ce que vous
|
|
me demandez?
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-- Oui.
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-- À l'instant même?
|
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|
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-- Oui.
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-- Vous quitterez la France, vous retournerez en Angleterre?
|
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|
-- Oui, je vous le jure!
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|
-- Attendez, alors, attendez.»
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|
Et Anne d'Autriche rentra dans son appartement et en sortit
|
|
presque aussitôt, tenant à la main un petit coffret en bois de
|
|
rose à son chiffre, tout incrusté d'or.
|
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|
|
«Tenez, Milord duc, tenez, dit-elle, gardez cela en mémoire de
|
|
moi.»
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Buckingham prit le coffret et tomba une seconde fois à genoux.
|
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|
«Vous m'avez promis de partir, dit la reine.
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-- Et je tiens ma parole. Votre main, votre main, madame, et je
|
|
pars.»
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|
Anne d'Autriche tendit sa main en fermant les yeux et en
|
|
s'appuyant de l'autre sur Estefania, car elle sentait que les
|
|
forces allaient lui manquer.
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|
Buckingham appuya avec passion ses lèvres sur cette belle main,
|
|
puis se relevant:
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«Avant six mois, dit-il, si je ne suis pas mort, je vous aurai
|
|
revue, madame, dussé-je bouleverser le monde pour cela.»
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Et, fidèle à la promesse qu'il avait faite, il s'élança hors de
|
|
l'appartement.
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|
Dans le corridor, il rencontra Mme Bonacieux qui l'attendait, et
|
|
qui, avec les mêmes précautions et le même bonheur, le reconduisit
|
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hors du Louvre.
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|
CHAPITRE XIII
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|
MONSIEUR BONACIEUX
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Il y avait dans tout cela, comme on a pu le remarquer, un
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personnage dont, malgré sa position précaire, on n'avait paru
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|
s'inquiéter que fort médiocrement; ce personnage était
|
|
M. Bonacieux, respectable martyr des intrigues politiques et
|
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amoureuses qui s'enchevêtraient si bien les unes aux autres, dans
|
|
cette époque à la fois si chevaleresque et si galante.
|
|
|
|
Heureusement -- le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle
|
|
pas -- heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de
|
|
vue.
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Les estafiers qui l'avaient arrêté le conduisirent droit à la
|
|
Bastille, où on le fit passer tout tremblant devant un peloton de
|
|
soldats qui chargeaient leurs mousquets.
|
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|
De là, introduit dans une galerie demi-souterraine, il fut, de la
|
|
part de ceux qui l'avaient amené, l'objet des plus grossières
|
|
injures et des plus farouches traitements. Les sbires voyaient
|
|
qu'ils n'avaient pas affaire à un gentilhomme, et ils le
|
|
traitaient en véritable croquant.
|
|
|
|
Au bout d'une demi-heure à peu près, un greffier vint mettre fin à
|
|
ses tortures, mais non pas à ses inquiétudes, en donnant l'ordre
|
|
de conduire M. Bonacieux dans la chambre des interrogatoires.
|
|
Ordinairement on interrogeait les prisonniers chez eux, mais avec
|
|
M. Bonacieux on n'y faisait pas tant de façons.
|
|
|
|
Deux gardes s'emparèrent du mercier, lui firent traverser une
|
|
cour, le firent entrer dans un corridor où il y avait trois
|
|
sentinelles, ouvrirent une porte et le poussèrent dans une chambre
|
|
basse, où il n'y avait pour tous meubles qu'une table, une chaise
|
|
et un commissaire. Le commissaire était assis sur la chaise et
|
|
occupé à écrire sur la table.
|
|
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|
Les deux gardes conduisirent le prisonnier devant la table et, sur
|
|
un signe du commissaire, s'éloignèrent hors de la portée de la
|
|
voix.
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|
|
|
Le commissaire, qui jusque-là avait tenu sa tête baissée sur ses
|
|
papiers, la releva pour voir à qui il avait affaire. Ce
|
|
commissaire était un homme à la mine rébarbative, au nez pointu,
|
|
aux pommettes jaunes et saillantes, aux yeux petits mais
|
|
investigateurs et vifs, à la physionomie tenant à la fois de la
|
|
fouine et du renard. Sa tête, supportée par un cou long et mobile,
|
|
sortait de sa large robe noire en se balançant avec un mouvement à
|
|
peu près pareil à celui de la tortue tirant sa tête hors de sa
|
|
carapace.
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|
Il commença par demander à M. Bonacieux ses nom et prénoms, son
|
|
âge, son état et son domicile.
|
|
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L'accusé répondit qu'il s'appelait Jacques-Michel Bonacieux, qu'il
|
|
était âgé de cinquante et un ans, mercier retiré et qu'il
|
|
demeurait rue des Fossoyeurs, n° 11.
|
|
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|
Le commissaire alors, au lieu de continuer à l'interroger, lui fit
|
|
un grand discours sur le danger qu'il y a pour un bourgeois obscur
|
|
à se mêler des choses publiques.
|
|
|
|
Il compliqua cet exorde d'une exposition dans laquelle il raconta
|
|
la puissance et les actes de M. le cardinal, ce ministre
|
|
incomparable, ce vainqueur des ministres passés, cet exemple des
|
|
ministres à venir: actes et puissance que nul ne contrecarrait
|
|
impunément.
|
|
|
|
Après cette deuxième partie de son discours, fixant son regard
|
|
d'épervier sur le pauvre Bonacieux, il l'invita à réfléchir à la
|
|
gravité de sa situation.
|
|
|
|
Les réflexions du mercier étaient toutes faites: il donnait au
|
|
diable l'instant où M. de La Porte avait eu l'idée de le marier
|
|
avec sa filleule, et l'instant surtout où cette filleule avait été
|
|
reçue dame de la lingerie chez la reine.
|
|
|
|
Le fond du caractère de maître Bonacieux était un profond égoïsme
|
|
mêlé à une avarice sordide, le tout assaisonné d'une poltronnerie
|
|
extrême. L'amour que lui avait inspiré sa jeune femme, étant un
|
|
sentiment tout secondaire, ne pouvait lutter avec les sentiments
|
|
primitifs que nous venons d'énumérer.
|
|
|
|
Bonacieux réfléchit, en effet, sur ce qu'on venait de lui dire.
|
|
|
|
«Mais, monsieur le commissaire, dit-il timidement, croyez bien que
|
|
je connais et que j'apprécie plus que personne le mérite de
|
|
l'incomparable Éminence par laquelle nous avons l'honneur d'être
|
|
gouvernés.
|
|
|
|
-- Vraiment? demanda le commissaire d'un air de doute; mais s'il
|
|
en était véritablement ainsi, comment seriez-vous à la Bastille?
|
|
|
|
-- Comment j'y suis, ou plutôt pourquoi j'y suis, répliqua
|
|
M. Bonacieux, voilà ce qu'il m'est parfaitement impossible de vous
|
|
dire, vu que je l'ignore moi-même; mais, à coup sûr, ce n'est pas
|
|
pour avoir désobligé, sciemment du moins, M. le cardinal.
|
|
|
|
-- Il faut cependant que vous ayez commis un crime, puisque vous
|
|
êtes ici accusé de haute trahison.
|
|
|
|
-- De haute trahison! s'écria Bonacieux épouvanté, de haute
|
|
trahison! et comment voulez-vous qu'un pauvre mercier qui déteste
|
|
les huguenots et qui abhorre les Espagnols soit accusé de haute
|
|
trahison? Réfléchissez, monsieur, la chose est matériellement
|
|
impossible.
|
|
|
|
-- Monsieur Bonacieux, dit le commissaire en regardant l'accusé
|
|
comme si ses petits yeux avaient la faculté de lire jusqu'au plus
|
|
profond des coeurs, monsieur Bonacieux, vous avez une femme?
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, répondit le mercier tout tremblant, sentant que
|
|
c'était là où les affaires allaient s'embrouiller; c'est-à-dire,
|
|
j'en avais une.
|
|
|
|
-- Comment? vous en aviez une! qu'en avez-vous fait, si vous ne
|
|
l'avez plus?
|
|
|
|
-- On me l'a enlevée, monsieur.
|
|
|
|
-- On vous l'a enlevée? dit le commissaire. Ah!»
|
|
|
|
Bonacieux sentit à ce «ah!» que l'affaire s'embrouillait de plus
|
|
en plus.
|
|
|
|
«On vous l'a enlevée! reprit le commissaire, et savez-vous quel
|
|
est l'homme qui a commis ce rapt?
|
|
|
|
-- Je crois le connaître.
|
|
|
|
-- Quel est-il?
|
|
|
|
-- Songez que je n'affirme rien, monsieur le commissaire, et que
|
|
je soupçonne seulement.
|
|
|
|
-- Qui soupçonnez-vous? Voyons, répondez franchement.»
|
|
|
|
M. Bonacieux était dans la plus grande perplexité: devait-il tout
|
|
nier ou tout dire? En niant tout, on pouvait croire qu'il en
|
|
savait trop long pour avouer; en disant tout, il faisait preuve de
|
|
bonne volonté. Il se décida donc à tout dire.
|
|
|
|
«Je soupçonne, dit-il, un grand brun, de haute mine, lequel a tout
|
|
à fait l'air d'un grand seigneur; il nous a suivis plusieurs fois,
|
|
à ce qu'il m'a semblé, quand j'attendais ma femme devant le
|
|
guichet du Louvre pour la ramener chez moi.»
|
|
|
|
Le commissaire parut éprouver quelque inquiétude.
|
|
|
|
«Et son nom? dit-il.
|
|
|
|
-- Oh! quant à son nom, je n'en sais rien, mais si je le rencontre
|
|
jamais, je le reconnaîtrai à l'instant même, je vous en réponds,
|
|
fût-il entre mille personnes.»
|
|
|
|
Le front du commissaire se rembrunit.
|
|
|
|
«Vous le reconnaîtriez entre mille, dites-vous? continua-t-il...
|
|
|
|
-- C'est-à-dire, reprit Bonacieux, qui vit qu'il avait fait fausse
|
|
route, c'est-à-dire...
|
|
|
|
-- Vous avez répondu que vous le reconnaîtriez, dit le
|
|
commissaire; c'est bien, en voici assez pour aujourd'hui; il faut,
|
|
avant que nous allions plus loin, que quelqu'un soit prévenu que
|
|
vous connaissez le ravisseur de votre femme.
|
|
|
|
-- Mais je ne vous ai pas dit que je le connaissais! s'écria
|
|
Bonacieux au désespoir. Je vous ai dit au contraire...
|
|
|
|
-- Emmenez le prisonnier, dit le commissaire aux deux gardes.
|
|
|
|
-- Et où faut-il le conduire? demanda le greffier.
|
|
|
|
-- Dans un cachot.
|
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|
|
-- Dans lequel?
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|
|
-- Oh! mon Dieu, dans le premier venu, pourvu qu'il ferme bien»,
|
|
répondit le commissaire avec une indifférence qui pénétra
|
|
d'horreur le pauvre Bonacieux.
|
|
|
|
«Hélas! hélas! se dit-il, le malheur est sur ma tête; ma femme
|
|
aura commis quelque crime effroyable; on me croit son complice, et
|
|
l'on me punira avec elle: elle en aura parlé, elle aura avoué
|
|
qu'elle m'avait tout dit; une femme, c'est si faible! Un cachot,
|
|
le premier venu! c'est cela! une nuit est bientôt passée; et
|
|
demain, à la roue, à la potence! Oh! mon Dieu! mon Dieu! ayez
|
|
pitié de moi!»
|
|
|
|
Sans écouter le moins du monde les lamentations de maître
|
|
Bonacieux, lamentations auxquelles d'ailleurs ils devaient être
|
|
habitués, les deux gardes prirent le prisonnier par un bras, et
|
|
l'emmenèrent, tandis que le commissaire écrivait en hâte une
|
|
lettre que son greffier attendait.
|
|
|
|
Bonacieux ne ferma pas l'oeil, non pas que son cachot fût par trop
|
|
désagréable, mais parce que ses inquiétudes étaient trop grandes.
|
|
Il resta toute la nuit sur son escabeau, tressaillant au moindre
|
|
bruit; et quand les premiers rayons du jour se glissèrent dans sa
|
|
chambre, l'aurore lui parut avoir pris des teintes funèbres.
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Tout à coup, il entendit tirer les verrous, et il fit un
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soubresaut terrible. Il croyait qu'on venait le chercher pour le
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conduire à l'échafaud; aussi, lorsqu'il vit purement et simplement
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paraître, au lieu de l'exécuteur qu'il attendait, son commissaire
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et son greffier de la veille, il fut tout près de leur sauter au
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cou.
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«Votre affaire s'est fort compliquée depuis hier au soir, mon
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brave homme, lui dit le commissaire, et je vous conseille de dire
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toute la vérité; car votre repentir peut seul conjurer la colère
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du cardinal.
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-- Mais je suis prêt à tout dire, s'écria Bonacieux, du moins tout
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ce que je sais. Interrogez, je vous prie.
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-- Où est votre femme, d'abord?
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-- Mais puisque je vous ai dit qu'on me l'avait enlevée.
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-- Oui, mais depuis hier cinq heures de l'après-midi, grâce à
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vous, elle s'est échappée.
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-- Ma femme s'est échappée! s'écria Bonacieux. Oh! la malheureuse!
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monsieur, si elle s'est échappée, ce n'est pas ma faute, je vous
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le jure.
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-- Qu'alliez-vous donc alors faire chez M. d'Artagnan votre
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voisin, avec lequel vous avez eu une longue conférence dans la
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journée?
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-- Ah! oui, monsieur le commissaire, oui, cela est vrai, et
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j'avoue que j'ai eu tort. J'ai été chez M. d'Artagnan.
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-- Quel était le but de cette visite?
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-- De le prier de m'aider à retrouver ma femme. Je croyais que
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j'avais droit de la réclamer; je me trompais, à ce qu'il paraît,
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et je vous en demande bien pardon.
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-- Et qu'a répondu M. d'Artagnan?
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-- M. d'Artagnan m'a promis son aide; mais je me suis bientôt
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aperçu qu'il me trahissait.
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-- Vous en imposez à la justice! M. d'Artagnan a fait un pacte
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avec vous, et en vertu de ce pacte il a mis en fuite les hommes de
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police qui avaient arrêté votre femme, et l'a soustraite à toutes
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les recherches.
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-- M. d'Artagnan a enlevé ma femme! Ah çà, mais que me dites-vous
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là?
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-- Heureusement M. d'Artagnan est entre nos mains, et vous allez
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lui être confronté.
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-- Ah! ma foi, je ne demande pas mieux, s'écria Bonacieux; je ne
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serais pas fâché de voir une figure de connaissance.
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-- Faites entrer M. d'Artagnan», dit le commissaire aux deux
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gardes.
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Les deux gardes firent entrer Athos.
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«Monsieur d'Artagnan, dit le commissaire en s'adressant à Athos,
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déclarez ce qui s'est passé entre vous et monsieur.
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-- Mais! s'écria Bonacieux, ce n'est pas M. d'Artagnan que vous me
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montrez là!
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-- Comment! ce n'est pas M. d'Artagnan? s'écria le commissaire.
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-- Pas le moins du monde, répondit Bonacieux.
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-- Comment se nomme monsieur? demanda le commissaire.
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-- Je ne puis vous le dire, je ne le connais pas.
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-- Comment! vous ne le connaissez pas?
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-- Non.
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-- Vous ne l'avez jamais vu?
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-- Si fait; mais je ne sais comment il s'appelle.
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-- Votre nom? demanda le commissaire.
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-- Athos, répondit le mousquetaire.
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-- Mais ce n'est pas un nom d'homme, ça, c'est un nom de montagne!
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s'écria le pauvre interrogateur qui commençait à perdre la tête.
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-- C'est mon nom, dit tranquillement Athos.
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-- Mais vous avez dit que vous vous nommiez d'Artagnan.
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-- Moi?
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-- Oui, vous.
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-- C'est-à-dire que c'est à moi qu'on a dit: «Vous êtes
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|
M. d'Artagnan?» J'ai répondu: «Vous croyez?» Mes gardes se sont
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écriés qu'ils en étaient sûrs. Je n'ai pas voulu les contrarier.
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D'ailleurs je pouvais me tromper.
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-- Monsieur, vous insultez à la majesté de la justice.
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-- Aucunement, fit tranquillement Athos.
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-- Vous êtes M. d'Artagnan.
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-- Vous voyez bien que vous me le dites encore.
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-- Mais, s'écria à son tour M. Bonacieux, je vous dis, monsieur le
|
|
commissaire, qu'il n'y a pas un instant de doute à avoir.
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|
M. d'Artagnan est mon hôte, et par conséquent, quoiqu'il ne me
|
|
paie pas mes loyers, et justement même à cause de cela, je dois le
|
|
connaître. M. d'Artagnan est un jeune homme de dix-neuf à vingt
|
|
ans à peine, et monsieur en a trente au moins. M. d'Artagnan est
|
|
dans les gardes de M. des Essarts, et monsieur est dans la
|
|
compagnie des mousquetaires de M. de Tréville: regardez
|
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l'uniforme, monsieur le commissaire, regardez l'uniforme.
|
|
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|
-- C'est vrai, murmura le commissaire; c'est pardieu vrai.»
|
|
|
|
En ce moment la porte s'ouvrit vivement, et un messager, introduit
|
|
par un des guichetiers de la Bastille, remit une lettre au
|
|
commissaire.
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|
«Oh! la malheureuse! s'écria le commissaire.
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|
-- Comment? que dites-vous? de qui parlez-vous? Ce n'est pas de ma
|
|
femme, j'espère!
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-- Au contraire, c'est d'elle. Votre affaire est bonne, allez.
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-- Ah çà, s'écria le mercier exaspéré, faites-moi le plaisir de me
|
|
dire, monsieur, comment mon affaire à moi peut s'empirer de ce que
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|
fait ma femme pendant que je suis en prison!
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|
-- Parce que ce qu'elle fait est la suite d'un plan arrêté entre
|
|
vous, plan infernal!
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-- Je vous jure, monsieur le commissaire, que vous êtes dans la
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|
plus profonde erreur, que je ne sais rien au monde de ce que
|
|
devait faire ma femme, que je suis entièrement étranger à ce
|
|
qu'elle a fait, et que, si elle a fait des sottises, je la renie,
|
|
je la démens, je la maudis.
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|
|
-- Ah çà, dit Athos au commissaire, si vous n'avez plus besoin de
|
|
moi ici, renvoyez-moi quelque part, il est très ennuyeux, votre
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|
monsieur Bonacieux.
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|
|
|
-- Reconduisez les prisonniers dans leurs cachots, dit le
|
|
commissaire en désignant d'un même geste Athos et Bonacieux, et
|
|
qu'ils soient gardés plus sévèrement que jamais.
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|
|
|
-- Cependant, dit Athos avec son calme habituel, si c'est à
|
|
M. d'Artagnan que vous avez affaire, je ne vois pas trop en quoi
|
|
je puis le remplacer.
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|
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|
-- Faites ce que j'ai dit! s'écria le commissaire, et le secret le
|
|
plus absolu! Vous entendez!»
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|
|
Athos suivit ses gardes en levant les épaules, et M. Bonacieux en
|
|
poussant des lamentations à fendre le coeur d'un tigre.
|
|
|
|
On ramena le mercier dans le même cachot où il avait passé la
|
|
nuit, et l'on l'y laissa toute la journée. Toute la journée
|
|
Bonacieux pleura comme un véritable mercier, n'étant pas du tout
|
|
homme d'épée, il nous l'a dit lui-même.
|
|
|
|
Le soir, vers les neuf heures, au moment où il allait se décider à
|
|
se mettre au lit, il entendit des pas dans son corridor. Ces pas
|
|
se rapprochèrent de son cachot, sa porte s'ouvrit, des gardes
|
|
parurent.
|
|
|
|
«Suivez-moi, dit un exempt qui venait à la suite des gardes.
|
|
|
|
-- Vous suivre! s'écria Bonacieux; vous suivre à cette heure-ci!
|
|
et où cela, mon Dieu?
|
|
|
|
-- Où nous avons l'ordre de vous conduire.
|
|
|
|
-- Mais ce n'est pas une réponse, cela.
|
|
|
|
-- C'est cependant la seule que nous puissions vous faire.
|
|
|
|
-- Ah! mon Dieu, mon Dieu, murmura le pauvre mercier, pour cette
|
|
fois je suis perdu!»
|
|
|
|
Et il suivit machinalement et sans résistance les gardes qui
|
|
venaient le quérir.
|
|
|
|
Il prit le même corridor qu'il avait déjà pris, traversa une
|
|
première cour, puis un second corps de logis; enfin, à la porte de
|
|
la cour d'entrée, il trouva une voiture entourée de quatre gardes
|
|
à cheval. On le fit monter dans cette voiture, l'exempt se plaça
|
|
près de lui, on ferma la portière à clef, et tous deux se
|
|
trouvèrent dans une prison roulante.
|
|
|
|
La voiture se mit en mouvement, lente comme un char funèbre. À
|
|
travers la grille cadenassée, le prisonnier apercevait les maisons
|
|
et le pavé, voilà tout; mais, en véritable Parisien qu'il était,
|
|
Bonacieux reconnaissait chaque rue aux bornes, aux enseignes, aux
|
|
réverbères. Au moment d'arriver à Saint-Paul, lieu où l'on
|
|
exécutait les condamnés de la Bastille, il faillit s'évanouir et
|
|
se signa deux fois. Il avait cru que la voiture devait s'arrêter
|
|
là. La voiture passa cependant.
|
|
|
|
Plus loin, une grande terreur le prit encore, ce fut en côtoyant
|
|
le cimetière Saint-Jean où on enterrait les criminels d'État. Une
|
|
seule chose le rassura un peu, c'est qu'avant de les enterrer on
|
|
leur coupait généralement la tête, et que sa tête à lui était
|
|
encore sur ses épaules. Mais lorsqu'il vit que la voiture prenait
|
|
la route de la Grève, qu'il aperçut les toits aigus de l'hôtel de
|
|
ville, que la voiture s'engagea sous l'arcade, il crut que tout
|
|
était fini pour lui, voulut se confesser à l'exempt, et, sur son
|
|
refus, poussa des cris si pitoyables que l'exempt annonça que,
|
|
s'il continuait à l'assourdir ainsi, il lui mettrait un bâillon.
|
|
|
|
Cette menace rassura quelque peu Bonacieux: si l'on eût dû
|
|
l'exécuter en Grève, ce n'était pas la peine de le bâillonner,
|
|
puisqu'on était presque arrivé au lieu de l'exécution. En effet,
|
|
la voiture traversa la place fatale sans s'arrêter. Il ne restait
|
|
plus à craindre que la Croix-du-Trahoir: la voiture en prit
|
|
justement le chemin.
|
|
|
|
Cette fois, il n'y avait plus de doute, c'était à la Croix-du-
|
|
Trahoir qu'on exécutait les criminels subalternes. Bonacieux
|
|
s'était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de
|
|
Grève: c'était à la Croix-du-Trahoir qu'allaient finir son voyage
|
|
et sa destinée! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix,
|
|
mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui.
|
|
Lorsqu'il n'en fut plus qu'à une vingtaine de pas, il entendit une
|
|
rumeur, et la voiture s'arrêta. C'était plus que n'en pouvait
|
|
supporter le pauvre Bonacieux, déjà écrasé par les émotions
|
|
successives qu'il avait éprouvées; il poussa un faible
|
|
gémissement, qu'on eût pu prendre pour le dernier soupir d'un
|
|
moribond, et il s'évanouit.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XIV
|
|
L'HOMME DE MEUNG
|
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|
Ce rassemblement était produit non point par l'attente d'un homme
|
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qu'on devait pendre, mais par la contemplation d'un pendu.
|
|
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|
La voiture, arrêtée un instant, reprit donc sa marche, traversa la
|
|
foule, continua son chemin, enfila la rue Saint-Honoré, tourna la
|
|
rue des Bons-Enfants et s'arrêta devant une porte basse.
|
|
|
|
La porte s'ouvrit, deux gardes reçurent dans leurs bras Bonacieux,
|
|
soutenu par l'exempt; on le poussa dans une allée, on lui fit
|
|
monter un escalier, et on le déposa dans une antichambre.
|
|
|
|
Tous ces mouvements s'étaient opérés pour lui d'une façon
|
|
machinale.
|
|
|
|
Il avait marché comme on marche en rêve; il avait entrevu les
|
|
objets à travers un brouillard; ses oreilles avaient perçu des
|
|
sons sans les comprendre; on eût pu l'exécuter dans ce moment
|
|
qu'il n'eût pas fait un geste pour entreprendre sa défense, qu'il
|
|
n'eût pas poussé un cri pour implorer la pitié.
|
|
|
|
Il resta donc ainsi sur la banquette, le dos appuyé au mur et les
|
|
bras pendants, à l'endroit même où les gardes l'avaient déposé.
|
|
|
|
Cependant, comme, en regardant autour de lui, il ne voyait aucun
|
|
objet menaçant, comme rien n'indiquait qu'il courût un danger
|
|
réel, comme la banquette était convenablement rembourrée, comme la
|
|
muraille était recouverte d'un beau cuir de Cordoue, comme
|
|
de grands rideaux de damas rouge flottaient devant la fenêtre,
|
|
retenus par des embrasses d'or, il comprit peu à peu que sa
|
|
frayeur était exagérée, et il commença de remuer la tête à droite
|
|
et à gauche et de bas en haut.
|
|
|
|
À ce mouvement, auquel personne ne s'opposa, il reprit un peu de
|
|
courage et se risqua à ramener une jambe, puis l'autre; enfin, en
|
|
s'aidant de ses deux mains, il se souleva sur sa banquette et se
|
|
trouva sur ses pieds.
|
|
|
|
En ce moment, un officier de bonne mine ouvrit une portière,
|
|
continua d'échanger encore quelques paroles avec une personne qui
|
|
se trouvait dans la pièce voisine, et se retournant vers le
|
|
prisonnier:
|
|
|
|
«C'est vous qui vous nommez Bonacieux? dit-il.
|
|
|
|
-- Oui, monsieur l'officier, balbutia le mercier, plus mort que
|
|
vif, pour vous servir.
|
|
|
|
-- Entrez», dit l'officier.
|
|
|
|
Et il s'effaça pour que le mercier pût passer. Celui-ci obéit sans
|
|
réplique, et entra dans la chambre où il paraissait être attendu.
|
|
|
|
C'était un grand cabinet, aux murailles garnies d'armes offensives
|
|
et défensives, clos et étouffé, et dans lequel il y avait déjà du
|
|
feu, quoique l'on fût à peine à la fin du mois de septembre. Une
|
|
table carrée, couverte de livres et de papiers sur lesquels était
|
|
déroulé un plan immense de la ville de La Rochelle, tenait le
|
|
milieu de l'appartement.
|
|
|
|
Debout devant la cheminée était un homme de moyenne taille, à la
|
|
mine haute et fière, aux yeux perçants, au front large, à la
|
|
figure amaigrie qu'allongeait encore une royale surmontée d'une
|
|
paire de moustaches. Quoique cet homme eût trente-six à trente-
|
|
sept ans à peine, cheveux, moustache et royale s'en allaient
|
|
grisonnant. Cet homme, moins l'épée, avait toute la mine d'un
|
|
homme de guerre, et ses bottes de buffle encore légèrement
|
|
couvertes de poussière indiquaient qu'il avait monté à cheval dans
|
|
la journée.
|
|
|
|
Cet homme, c'était Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu,
|
|
non point tel qu'on nous le représente, cassé comme un vieillard,
|
|
souffrant comme un martyr, le corps brisé, la voix éteinte,
|
|
enterré dans un grand fauteuil comme dans une tombe anticipée, ne
|
|
vivant plus que par la force de son génie, et ne soutenant plus la
|
|
lutte avec l'Europe que par l'éternelle application de sa pensée,
|
|
mais tel qu'il était réellement à cette époque, c'est-à-dire
|
|
adroit et galant cavalier, faible de corps déjà, mais soutenu par
|
|
cette puissance morale qui a fait de lui un des hommes les plus
|
|
extraordinaires qui aient existé; se préparant enfin, après avoir
|
|
soutenu le duc de Nevers dans son duché de Mantoue, après avoir
|
|
pris Nîmes, Castres et Uzès, à chasser les Anglais de l'île de Ré
|
|
et à faire le siège de La Rochelle.
|
|
|
|
À la première vue, rien ne dénotait donc le cardinal, et il était
|
|
impossible à ceux-là qui ne connaissaient point son visage de
|
|
deviner devant qui ils se trouvaient.
|
|
|
|
Le pauvre mercier demeura debout à la porte, tandis que les yeux
|
|
du personnage que nous venons de décrire se fixaient sur lui, et
|
|
semblaient vouloir pénétrer jusqu'au fond du passé.
|
|
|
|
«C'est là ce Bonacieux? demanda-t-il après un moment de silence.
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur, reprit l'officier.
|
|
|
|
-- C'est bien, donnez-moi ces papiers et laissez-nous.»
|
|
|
|
L'officier prit sur la table les papiers désignés, les remit à
|
|
celui qui les demandait, s'inclina jusqu'à terre, et sortit.
|
|
|
|
Bonacieux reconnut dans ces papiers ses interrogatoires de la
|
|
Bastille. De temps en temps, l'homme de la cheminée levait les
|
|
yeux de dessus les écritures, et les plongeait comme deux
|
|
poignards jusqu'au fond du coeur du pauvre mercier.
|
|
|
|
Au bout de dix minutes de lecture et dix secondes d'examen, le
|
|
cardinal était fixé.
|
|
|
|
«Cette tête-là n'a jamais conspiré», murmura-t-il; mais n'importe,
|
|
voyons toujours.
|
|
|
|
-- Vous êtes accusé de haute trahison, dit lentement le cardinal.
|
|
|
|
-- C'est ce qu'on m'a déjà appris, Monseigneur, s'écria Bonacieux,
|
|
donnant à son interrogateur le titre qu'il avait entendu
|
|
l'officier lui donner; mais je vous jure que je n'en savais rien.»
|
|
|
|
Le cardinal réprima un sourire.
|
|
|
|
«Vous avez conspiré avec votre femme, avec Mme de Chevreuse et
|
|
avec Milord duc de Buckingham.
|
|
|
|
-- En effet, Monseigneur, répondit le mercier, je l'ai entendue
|
|
prononcer tous ces noms-là.
|
|
|
|
-- Et à quelle occasion?
|
|
|
|
-- Elle disait que le cardinal de Richelieu avait attiré le duc de
|
|
Buckingham à Paris pour le perdre et pour perdre la reine avec
|
|
lui.
|
|
|
|
-- Elle disait cela? s'écria le cardinal avec violence.
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur; mais moi je lui ai dit qu'elle avait tort de
|
|
tenir de pareils propos, et que Son Éminence était incapable...
|
|
|
|
-- Taisez-vous, vous êtes un imbécile, reprit le cardinal.
|
|
|
|
-- C'est justement ce que ma femme m'a répondu, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Savez-vous qui a enlevé votre femme?
|
|
|
|
-- Non, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Vous avez des soupçons, cependant?
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur; mais ces soupçons ont paru contrarier M. le
|
|
commissaire, et je ne les ai plus.
|
|
|
|
-- Votre femme s'est échappée, le saviez-vous?
|
|
|
|
-- Non, Monseigneur, je l'ai appris depuis que je suis en prison,
|
|
et toujours par l'entremise de M. le commissaire, un homme bien
|
|
aimable!»
|
|
|
|
Le cardinal réprima un second sourire.
|
|
|
|
«Alors vous ignorez ce que votre femme est devenue depuis sa
|
|
fuite?
|
|
|
|
-- Absolument, Monseigneur; mais elle a dû rentrer au Louvre.
|
|
|
|
-- À une heure du matin elle n'y était pas rentrée encore.
|
|
|
|
-- Ah! mon Dieu! mais qu'est-elle devenue alors?
|
|
|
|
-- On le saura, soyez tranquille; on ne cache rien au cardinal; le
|
|
cardinal sait tout.
|
|
|
|
-- En ce cas, Monseigneur, est-ce que vous croyez que le cardinal
|
|
consentira à me dire ce qu'est devenue ma femme?
|
|
|
|
-- Peut-être; mais il faut d'abord que vous avouiez tout ce que
|
|
vous savez relativement aux relations de votre femme avec
|
|
Mme de Chevreuse.
|
|
|
|
-- Mais, Monseigneur, je n'en sais rien; je ne l'ai jamais vue.
|
|
|
|
-- Quand vous alliez chercher votre femme au Louvre, revenait-elle
|
|
directement chez vous?
|
|
|
|
-- Presque jamais: elle avait affaire à des marchands de toile,
|
|
chez lesquels je la conduisais.
|
|
|
|
-- Et combien y en avait-il de marchands de toile?
|
|
|
|
-- Deux, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Où demeurent-ils?
|
|
|
|
-- Un, rue de Vaugirard; l'autre, rue de La Harpe.
|
|
|
|
-- Entriez-vous chez eux avec elle?
|
|
|
|
-- Jamais, Monseigneur; je l'attendais à la porte.
|
|
|
|
-- Et quel prétexte vous donnait-elle pour entrer ainsi toute
|
|
seule?
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|
|
|
-- Elle ne m'en donnait pas; elle me disait d'attendre, et
|
|
j'attendais.
|
|
|
|
-- Vous êtes un mari complaisant, mon cher monsieur Bonacieux!»
|
|
dit le cardinal
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|
«Il m'appelle son cher monsieur! dit en lui-même le mercier.
|
|
Peste! les affaires vont bien!»
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|
«Reconnaîtriez-vous ces portes?
|
|
|
|
-- Oui.
|
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|
-- Savez-vous les numéros?
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|
|
-- Oui.
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|
-- Quels sont-ils?
|
|
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|
-- N° 25, dans la rue de Vaugirard; n° 75, dans la rue de La
|
|
Harpe.
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|
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|
-- C'est bien», dit le cardinal.
|
|
|
|
À ces mots, il prit une sonnette d'argent, et sonna; l'officier
|
|
rentra.
|
|
|
|
«Allez, dit-il à demi-voix, me chercher Rochefort; et qu'il vienne
|
|
à l'instant même, s'il est rentré.
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-- Le comte est là, dit l'officier, il demande instamment à parler
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à Votre Éminence!»
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«À Votre Éminence! murmura Bonacieux, qui savait que tel était le
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titre qu'on donnait d'ordinaire à M. le cardinal;... à Votre
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Éminence!»
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«Qu'il vienne alors, qu'il vienne!» dit vivement Richelieu.
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L'officier s'élança hors de l'appartement, avec cette rapidité que
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mettaient d'ordinaire tous les serviteurs du cardinal à lui obéir.
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«À Votre Éminence!» murmurait Bonacieux en roulant des yeux
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égarés.
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Cinq secondes ne s'étaient pas écoulées depuis la disparition de
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l'officier, que la porte s'ouvrit et qu'un nouveau personnage
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entra.
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«C'est lui, s'écria Bonacieux.
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-- Qui lui? demanda le cardinal.
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-- Celui qui m'a enlevé ma femme.»
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Le cardinal sonna une seconde fois. L'officier reparut.
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«Remettez cet homme aux mains de ses deux gardes, et qu'il attende
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que je le rappelle devant moi.
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-- Non, Monseigneur! non, ce n'est pas lui! s'écria Bonacieux;
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non, je m'étais trompé: c'est un autre qui ne lui ressemble pas du
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tout! Monsieur est un honnête homme.
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-- Emmenez cet imbécile!» dit le cardinal.
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L'officier prit Bonacieux sous le bras, et le reconduisit dans
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l'antichambre où il trouva ses deux gardes.
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Le nouveau personnage qu'on venait d'introduire suivit des yeux
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avec impatience Bonacieux jusqu'à ce qu'il fût sorti, et dès que
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la porte se fut refermée sur lui:
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«Ils se sont vus, dit-il en s'approchant vivement du cardinal.
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-- Qui? demanda Son Éminence.
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-- Elle et lui.
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-- La reine et le duc? s'écria Richelieu.
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-- Oui.
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-- Et où cela?
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-- Au Louvre.
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-- Vous en êtes sûr?
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-- Parfaitement sûr.
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-- Qui vous l'a dit?
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-- Mme de Lannoy, qui est toute à Votre Éminence, comme vous le
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savez.
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-- Pourquoi ne l'a-t-elle pas dit plus tôt?
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-- Soit hasard, soit défiance, la reine a fait coucher
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Mme de Fargis dans sa chambre, et l'a gardée toute la journée.
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-- C'est bien, nous sommes battus. Tâchons de prendre notre
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revanche.
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-- Je vous y aiderai de toute mon âme, Monseigneur, soyez
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tranquille.
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-- Comment cela s'est-il passé?
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-- À minuit et demi, la reine était avec ses femmes...
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-- Où cela?
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-- Dans sa chambre à coucher...
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-- Bien.
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-- Lorsqu'on est venu lui remettre un mouchoir de la part de sa
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dame de lingerie...
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-- Après?
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-- Aussitôt la reine a manifesté une grande émotion, et, malgré le
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rouge dont elle avait le visage couvert, elle a pâli.
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-- Après! après!
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-- Cependant, elle s'est levée, et d'une voix altérée: «Mesdames,
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a-t-elle dit, attendez-moi dix minutes, puis je reviens.» Et elle
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a ouvert la porte de son alcôve, puis elle est sortie.
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-- Pourquoi Mme de Lannoy n'est-elle pas venue vous prévenir à
|
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l'instant même?
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-- Rien n'était bien certain encore; d'ailleurs, la reine avait
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|
dit: «Mesdames, attendez-moi»; et elle n'osait désobéir à la
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reine.
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-- Et combien de temps la reine est-elle restée hors de la
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chambre?
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-- Trois quarts d'heure.
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-- Aucune de ses femmes ne l'accompagnait?
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-- Doña Estefania seulement.
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-- Et elle est rentrée ensuite?
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-- Oui, mais pour prendre un petit coffret de bois de rose à son
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chiffre, et sortir aussitôt.
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-- Et quand elle est rentrée, plus tard, a-t-elle rapporté le
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|
coffret?
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-- Non.
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-- Mme de Lannoy savait-elle ce qu'il y avait dans ce coffret?
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-- Oui: les ferrets en diamants que Sa Majesté a donnés à la
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reine.
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-- Et elle est rentrée sans ce coffret?
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-- Oui.
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-- L'opinion de Mme de Lannoy est qu'elle les a remis alors à
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Buckingham?
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-- Elle en est sûre.
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-- Comment cela?
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-- Pendant la journée, Mme de Lannoy, en sa qualité de dame
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d'atour de la reine, a cherché ce coffret, a paru inquiète de ne
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|
pas le trouver et a fini par en demander des nouvelles à la reine.
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-- Et alors, la reine...?
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-- La reine est devenue fort rouge et a répondu qu'ayant brisé la
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|
veille un de ses ferrets, elle l'avait envoyé raccommoder chez son
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|
orfèvre.
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|
-- Il faut y passer et s'assurer si la chose est vraie ou non.
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|
-- J'y suis passé.
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-- Eh bien, l'orfèvre?
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-- L'orfèvre n'a entendu parler de rien.
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-- Bien! bien! Rochefort, tout n'est pas perdu, et peut-être...
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peut-être tout est-il pour le mieux!
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-- Le fait est que je ne doute pas que le génie de Votre
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|
Éminence...
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-- Ne répare les bêtises de mon agent, n'est-ce pas?
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|
-- C'est justement ce que j'allais dire, si Votre Éminence m'avait
|
|
laissé achever ma phrase.
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-- Maintenant, savez-vous où se cachaient la duchesse de Chevreuse
|
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et le duc de Buckingham?
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-- Non, Monseigneur, mes gens n'ont pu rien me dire de positif là-
|
|
dessus.
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-- Je le sais, moi.
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-- Vous, Monseigneur?
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-- Oui, ou du moins je m'en doute. Ils se tenaient, l'un rue de
|
|
Vaugirard, n° 25, et l'autre rue de La Harpe, n° 75.
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|
-- Votre Éminence veut-elle que je les fasse arrêter tous deux?
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-- Il sera trop tard, ils seront partis.
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-- N'importe, on peut s'en assurer.
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|
-- Prenez dix hommes de mes gardes, et fouillez les deux maisons.
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-- J'y vais, Monseigneur.»
|
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Et Rochefort s'élança hors de l'appartement.
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Le cardinal, resté seul, réfléchit un instant et sonna une
|
|
troisième fois.
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|
Le même officier reparut.
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«Faites entrer le prisonnier», dit le cardinal.
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|
Maître Bonacieux fut introduit de nouveau, et, sur un signe du
|
|
cardinal, l'officier se retira.
|
|
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|
«Vous m'avez trompé, dit sévèrement le cardinal.
|
|
|
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-- Moi, s'écria Bonacieux, moi, tromper Votre Éminence!
|
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-- Votre femme, en allant rue de Vaugirard et rue de La Harpe,
|
|
n'allait pas chez des marchands de toile.
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-- Et où allait-elle, juste Dieu?
|
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|
|
-- Elle allait chez la duchesse de Chevreuse et chez le duc de
|
|
Buckingham.
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-- Oui, dit Bonacieux rappelant tous ses souvenirs; oui, c'est
|
|
cela, Votre Éminence a raison. J'ai dit plusieurs fois à ma femme
|
|
qu'il était étonnant que des marchands de toile demeurassent dans
|
|
des maisons pareilles, dans des maisons qui n'avaient pas
|
|
d'enseignes, et chaque fois ma femme s'est mise à rire. Ah!
|
|
Monseigneur, continua Bonacieux en se jetant aux pieds de
|
|
l'Éminence, ah! que vous êtes bien le cardinal, le grand cardinal,
|
|
l'homme de génie que tout le monde révère.»
|
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|
Le cardinal, tout médiocre qu'était le triomphe remporté sur un
|
|
être aussi vulgaire que l'était Bonacieux, n'en jouit pas moins un
|
|
instant; puis, presque aussitôt, comme si une nouvelle pensée se
|
|
présentait à son esprit, un sourire plissa ses lèvres, et tendant
|
|
la main au mercier:
|
|
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|
«Relevez-vous, mon ami, lui dit-il, vous êtes un brave homme.
|
|
|
|
-- Le cardinal m'a touché la main! j'ai touché la main du grand
|
|
homme! s'écria Bonacieux; le grand homme m'a appelé son ami!
|
|
|
|
-- Oui, mon ami; oui! dit le cardinal avec ce ton paterne qu'il
|
|
savait prendre quelquefois, mais qui ne trompait que les gens qui
|
|
ne le connaissaient pas; et comme on vous a soupçonné injustement,
|
|
eh bien, il vous faut une indemnité: tenez! prenez ce sac de cent
|
|
pistoles, et pardonnez-moi.
|
|
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|
-- Que je vous pardonne, Monseigneur! dit Bonacieux hésitant à
|
|
prendre le sac, craignant sans doute que ce prétendu don ne fût
|
|
qu'une plaisanterie. Mais vous étiez bien libre de me faire
|
|
arrêter, vous êtes bien libre de me faire torturer, vous êtes bien
|
|
libre de me faire pendre: vous êtes le maître, et je n'aurais pas
|
|
eu le plus petit mot à dire. Vous pardonner, Monseigneur! Allons
|
|
donc, vous n'y pensez pas!
|
|
|
|
-- Ah! mon cher monsieur Bonacieux! vous y mettez de la
|
|
générosité, je le vois, et je vous en remercie. Ainsi donc, vous
|
|
prenez ce sac, et vous vous en allez sans être trop mécontent?
|
|
|
|
-- Je m'en vais enchanté, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Adieu donc, ou plutôt à revoir, car j'espère que nous nous
|
|
reverrons.
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|
|
|
-- Tant que Monseigneur voudra, et je suis bien aux ordres de Son
|
|
Éminence.
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|
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|
-- Ce sera souvent, soyez tranquille, car j'ai trouvé un charme
|
|
extrême à votre conversation.
|
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|
-- Oh! Monseigneur!
|
|
|
|
-- Au revoir, monsieur Bonacieux, au revoir.
|
|
|
|
Et le cardinal lui fit un signe de la main, auquel Bonacieux
|
|
répondit en s'inclinant jusqu'à terre; puis il sortit à reculons,
|
|
et quand il fut dans l'antichambre, le cardinal l'entendit qui,
|
|
dans son enthousiasme, criait à tue-tête: «Vive Monseigneur! vive
|
|
Son Éminence! vive le grand cardinal!» Le cardinal écouta en
|
|
souriant cette brillante manifestation des sentiments
|
|
enthousiastes de maître Bonacieux; puis, quand les cris de
|
|
Bonacieux se furent perdus dans l'éloignement:
|
|
|
|
«Bien, dit-il, voici désormais un homme qui se fera tuer pour
|
|
moi.»
|
|
|
|
Et le cardinal se mit à examiner avec la plus grande attention la
|
|
carte de La Rochelle qui, ainsi que nous l'avons dit, était
|
|
étendue sur son bureau, traçant avec un crayon la ligne où devait
|
|
passer la fameuse digue qui, dix-huit mois plus tard, fermait le
|
|
port de la cité assiégée.
|
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|
|
Comme il en était au plus profond de ses méditations stratégiques,
|
|
la porte se rouvrit, et Rochefort rentra.
|
|
|
|
«Eh bien? dit vivement le cardinal en se levant avec une
|
|
promptitude qui prouvait le degré d'importance qu'il attachait à
|
|
la commission dont il avait chargé le comte.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit celui-ci, une jeune femme de vingt-six à vingt-
|
|
huit ans et un homme de trente-cinq à quarante ans ont logé
|
|
effectivement, l'un quatre jours et l'autre cinq, dans les maisons
|
|
indiquées par Votre Éminence: mais la femme est partie cette nuit,
|
|
et l'homme ce matin.
|
|
|
|
-- C'étaient eux! s'écria le cardinal, qui regardait à la pendule;
|
|
et maintenant, continua-t-il, il est trop tard pour faire courir
|
|
après: la duchesse est à Tours, et le duc à Boulogne. C'est à
|
|
Londres qu'il faut les rejoindre.
|
|
|
|
-- Quels sont les ordres de Votre Éminence?
|
|
|
|
-- Pas un mot de ce qui s'est passé; que la reine reste dans une
|
|
sécurité parfaite; qu'elle ignore que nous savons son secret;
|
|
qu'elle croie que nous sommes à la recherche d'une conspiration
|
|
quelconque. Envoyez-moi le garde des sceaux Séguier.
|
|
|
|
-- Et cet homme, qu'en a fait Votre Éminence?
|
|
|
|
-- Quel homme? demanda le cardinal.
|
|
|
|
-- Ce Bonacieux?
|
|
|
|
-- J'en ai fait tout ce qu'on pouvait en faire. J'en ai fait
|
|
l'espion de sa femme.»
|
|
|
|
Le comte de Rochefort s'inclina en homme qui reconnaît la grande
|
|
supériorité du maître, et se retira.
|
|
|
|
Resté seul, le cardinal s'assit de nouveau, écrivit une lettre
|
|
qu'il cacheta de son sceau particulier, puis il sonna. L'officier
|
|
entra pour la quatrième fois.
|
|
|
|
«Faites-moi venir Vitray, dit-il, et dites-lui de s'apprêter pour
|
|
un voyage.»
|
|
|
|
Un instant après, l'homme qu'il avait demandé était debout devant
|
|
lui, tout botté et tout éperonné.
|
|
|
|
«Vitray, dit-il, vous allez partir tout courant pour Londres. Vous
|
|
ne vous arrêterez pas un instant en route. Vous remettrez cette
|
|
lettre à Milady. Voici un bon de deux cents pistoles, passez chez
|
|
mon trésorier et faites-vous payer. Il y en a autant à toucher si
|
|
vous êtes ici de retour dans six jours et si vous avez bien fait
|
|
ma commission.»
|
|
|
|
Le messager, sans répondre un seul mot, s'inclina, prit la lettre,
|
|
le bon de deux cents pistoles, et sortit.
|
|
|
|
Voici ce que contenait la lettre:
|
|
|
|
«Milady,
|
|
|
|
«Trouvez-vous au premier bal où se trouvera le duc de Buckingham.
|
|
Il aura à son pourpoint douze ferrets de diamants, approchez-vous
|
|
de lui et coupez-en deux.
|
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|
|
«Aussitôt que ces ferrets seront en votre possession, prévenez-
|
|
moi.»
|
|
|
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|
|
CHAPITRE XV
|
|
GENS DE ROBE ET GENS D'ÉPÉE
|
|
|
|
Le lendemain du jour où ces événements étaient arrivés, Athos
|
|
n'ayant point reparu, M. de Tréville avait été prévenu par
|
|
d'Artagnan et par Porthos de sa disparition.
|
|
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|
Quant à Aramis, il avait demandé un congé de cinq jours, et il
|
|
était à Rouen, disait-on, pour affaires de famille.
|
|
|
|
M. de Tréville était le père de ses soldats. Le moindre et le plus
|
|
inconnu d'entre eux, dès qu'il portait l'uniforme de la compagnie,
|
|
était aussi certain de son aide et de son appui qu'aurait pu
|
|
l'être son frère lui-même.
|
|
|
|
Il se rendit donc à l'instant chez le lieutenant criminel. On fit
|
|
venir l'officier qui commandait le poste de la Croix-Rouge, et les
|
|
renseignements successifs apprirent qu'Athos était momentanément
|
|
logé au For-l'Évêque.
|
|
|
|
Athos avait passé par toutes les épreuves que nous avons vu
|
|
Bonacieux subir.
|
|
|
|
Nous avons assisté à la scène de confrontation entre les deux
|
|
captifs. Athos, qui n'avait rien dit jusque-là de peur que
|
|
d'Artagnan, inquiété à son tour, n'eût point le temps qu'il lui
|
|
fallait, Athos déclara, à partir de ce moment, qu'il se nommait
|
|
Athos et non d'Artagnan.
|
|
|
|
Il ajouta qu'il ne connaissait ni monsieur, ni madame Bonacieux,
|
|
qu'il n'avait jamais parlé ni à l'un, ni à l'autre; qu'il était
|
|
venu vers les dix heures du soir pour faire visite à
|
|
M. d'Artagnan, son ami, mais que jusqu'à cette heure il était
|
|
resté chez M. de Tréville, où il avait dîné; vingt témoins,
|
|
ajouta-t-il, pouvaient attester le fait, et il nomma plusieurs
|
|
gentilshommes distingués, entre autres M. le duc de La Trémouille.
|
|
|
|
Le second commissaire fut aussi étourdi que le premier de la
|
|
déclaration simple et ferme de ce mousquetaire, sur lequel il
|
|
aurait bien voulu prendre la revanche que les gens de robe aiment
|
|
tant à gagner sur les gens d'épée; mais le nom de M. de Tréville
|
|
et celui de M. le duc de La Trémouille méritaient réflexion.
|
|
|
|
Athos fut aussi envoyé au cardinal, mais malheureusement le
|
|
cardinal était au Louvre chez le roi.
|
|
|
|
C'était précisément le moment où M. de Tréville, sortant de chez
|
|
le lieutenant criminel et de chez le gouverneur du For-l'Évêque,
|
|
sans avoir pu trouver Athos, arriva chez Sa Majesté.
|
|
|
|
Comme capitaine des mousquetaires, M. de Tréville avait à toute
|
|
heure ses entrées chez le roi.
|
|
|
|
On sait quelles étaient les préventions du roi contre la reine,
|
|
préventions habilement entretenues par le cardinal, qui, en fait
|
|
d'intrigues, se défiait infiniment plus des femmes que des hommes.
|
|
Une des grandes causes surtout de cette prévention était l'amitié
|
|
d'Anne d'Autriche pour Mme de Chevreuse. Ces deux femmes
|
|
l'inquiétaient plus que les guerres avec l'Espagne, les démêlés
|
|
avec l'Angleterre et l'embarras des finances. À ses yeux et dans
|
|
sa conviction, Mme de Chevreuse servait la reine non seulement
|
|
dans ses intrigues politiques, mais, ce qui le tourmentait bien
|
|
plus encore, dans ses intrigues amoureuses.
|
|
|
|
Au premier mot de ce qu'avait dit M. le cardinal, que
|
|
Mme de Chevreuse, exilée à Tours et qu'on croyait dans cette
|
|
ville, était venue à Paris et, pendant cinq jours qu'elle y était
|
|
restée, avait dépisté la police, le roi était entré dans une
|
|
furieuse colère. Capricieux et infidèle, le roi voulait être
|
|
appelé Louis le Juste et Louis le Chaste. La postérité comprendra
|
|
difficilement ce caractère, que l'histoire n'explique que par des
|
|
faits et jamais par des raisonnements.
|
|
|
|
Mais lorsque le cardinal ajouta que non seulement Mme de Chevreuse
|
|
était venue à Paris, mais encore que la reine avait renoué avec
|
|
elle à l'aide d'une de ces correspondances mystérieuses qu'à cette
|
|
époque on nommait une cabale; lorsqu'il affirma que lui, le
|
|
cardinal, allait démêler les fils les plus obscurs de cette
|
|
intrigue, quand, au moment d'arrêter sur le fait, en flagrant
|
|
délit, nanti de toutes les preuves, l'émissaire de la reine près
|
|
de l'exilée, un mousquetaire avait osé interrompre violemment le
|
|
cours de la justice en tombant, l'épée à la main, sur d'honnêtes
|
|
gens de loi chargés d'examiner avec impartialité toute l'affaire
|
|
pour la mettre sous les yeux du roi, -- Louis XIII ne se contint
|
|
plus, il fit un pas vers l'appartement de la reine avec cette pâle
|
|
et muette indignation qui, lorsqu'elle éclatait, conduisait ce
|
|
prince jusqu'à la plus froide cruauté.
|
|
|
|
Et cependant, dans tout cela, le cardinal n'avait pas encore dit
|
|
un mot du duc de Buckingham.
|
|
|
|
Ce fut alors que M. de Tréville entra, froid, poli et dans une
|
|
tenue irréprochable.
|
|
|
|
Averti de ce qui venait de se passer par la présence du cardinal
|
|
et par l'altération de la figure du roi, M. de Tréville se sentit
|
|
fort comme Samson devant les Philistins.
|
|
|
|
Louis XIII mettait déjà la main sur le bouton de la porte; au
|
|
bruit que fit M. de Tréville en entrant, il se retourna.
|
|
|
|
«Vous arrivez bien, monsieur, dit le roi, qui, lorsque ses
|
|
passions étaient montées à un certain point, ne savait pas
|
|
dissimuler, et j'en apprends de belles sur le compte de vos
|
|
mousquetaires.
|
|
|
|
-- Et moi, dit froidement M. de Tréville, j'en ai de belles à
|
|
apprendre à Votre Majesté sur ses gens de robe.
|
|
|
|
-- Plaît-il? dit le roi avec hauteur.
|
|
|
|
-- J'ai l'honneur d'apprendre à Votre Majesté, continua
|
|
M. de Tréville du même ton, qu'un parti de procureurs, de
|
|
commissaires et de gens de police, gens fort estimables mais fort
|
|
acharnés, à ce qu'il paraît, contre l'uniforme, s'est permis
|
|
d'arrêter dans une maison, d'emmener en pleine rue et de jeter au
|
|
For-l'Évêque, tout cela sur un ordre que l'on a refusé de me
|
|
représenter, un de mes mousquetaires, ou plutôt des vôtres, Sire,
|
|
d'une conduite irréprochable, d'une réputation presque illustre,
|
|
et que Votre Majesté connaît favorablement, M. Athos.
|
|
|
|
-- Athos, dit le roi machinalement; oui, au fait, je connais ce
|
|
nom.
|
|
|
|
-- Que Votre Majesté se le rappelle, dit M. de Tréville; M. Athos
|
|
est ce mousquetaire qui, dans le fâcheux duel que vous savez, a eu
|
|
le malheur de blesser grièvement M. de Cahusac. -- à propos,
|
|
Monseigneur, continua Tréville en s'adressant au cardinal,
|
|
M. de Cahusac est tout à fait rétabli, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Merci! dit le cardinal en se pinçant les lèvres de colère.
|
|
|
|
-- M. Athos était donc allé rendre visite à l'un de ses amis alors
|
|
absent, continua M. de Tréville, à un jeune Béarnais, cadet aux
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gardes de Sa Majesté, compagnie des Essarts; mais à peine venait-
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il de s'installer chez son ami et de prendre un livre en
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l'attendant, qu'une nuée de recors et de soldats mêlés ensemble
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vint faire le siège de la maison, enfonça plusieurs portes...»
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Le cardinal fit au roi un signe qui signifiait: «C'est pour
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l'affaire dont je vous ai parlé.»
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«Nous savons tout cela, répliqua le roi, car tout cela s'est fait
|
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pour notre service.
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-- Alors, dit Tréville, c'est aussi pour le service de
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Votre Majesté qu'on a saisi un de mes mousquetaires innocent,
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qu'on l'a placé entre deux gardes comme un malfaiteur, et qu'on a
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promené au milieu d'une populace insolente ce galant homme, qui a
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versé dix fois son sang pour le service de Votre Majesté et qui
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est prêt à le répandre encore.
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-- Bah! dit le roi ébranlé, les choses se sont passées ainsi?
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-- M. de Tréville ne dit pas, reprit le cardinal avec le plus
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grand flegme, que ce mousquetaire innocent, que ce galant homme
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venait, une heure auparavant, de frapper à coups d'épée quatre
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commissaires instructeurs délégués par moi afin d'instruire une
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affaire de la plus haute importance.
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-- Je défie Votre Éminence de le prouver, s'écria M. de Tréville
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avec sa franchise toute gasconne et sa rudesse toute militaire,
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car, une heure auparavant M. Athos, qui, je le confierai à
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Votre Majesté, est un homme de la plus haute qualité, me faisait
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l'honneur, après avoir dîné chez moi, de causer dans le salon de
|
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mon hôtel avec M. le duc de La Trémouille et M. le comte de
|
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Châlus, qui s'y trouvaient.»
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Le roi regarda le cardinal.
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«Un procès-verbal fait foi, dit le cardinal répondant tout haut à
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l'interrogation muette de Sa Majesté, et les gens maltraités ont
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dressé le suivant, que j'ai l'honneur de présenter à
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Votre Majesté.
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-- Procès-verbal de gens de robe vaut-il la parole d'honneur,
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répondit fièrement Tréville, d'homme d'épée?
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-- Allons, allons, Tréville, taisez-vous, dit le roi.
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-- Si Son Éminence a quelque soupçon contre un de mes
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mousquetaires, dit Tréville, la justice de M. le cardinal est
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assez connue pour que je demande moi-même une enquête.
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-- Dans la maison où cette descente de justice a été faite,
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continua le cardinal impassible, loge, je crois, un Béarnais ami
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du mousquetaire.
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-- Votre Éminence veut parler de M. d'Artagnan?
|
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-- Je veux parler d'un jeune homme que vous protégez, Monsieur de
|
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Tréville.
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-- Oui, Votre Éminence, c'est cela même.
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-- Ne soupçonnez-vous pas ce jeune homme d'avoir donné de mauvais
|
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conseils...
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-- À M. Athos, à un homme qui a le double de son âge? interrompit
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M. de Tréville; non, Monseigneur. D'ailleurs, M. d'Artagnan a
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|
passé la soirée chez moi.
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-- Ah çà, dit le cardinal, tout le monde a donc passé la soirée
|
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chez vous?
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-- Son Éminence douterait-elle de ma parole? dit Tréville, le
|
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rouge de la colère au front.
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-- Non, Dieu m'en garde! dit le cardinal; mais, seulement, à
|
|
quelle heure était-il chez vous?
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-- Oh! cela je puis le dire sciemment à Votre Éminence, car, comme
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il entrait, je remarquai qu'il était neuf heures et demie à la
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pendule, quoique j'eusse cru qu'il était plus tard.
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-- Et à quelle heure est-il sorti de votre hôtel?
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-- À dix heures et demie: une heure après l'événement.
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-- Mais, enfin, répondit le cardinal, qui ne soupçonnait pas un
|
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instant la loyauté de Tréville, et qui sentait que la victoire lui
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échappait, mais, enfin, Athos a été pris dans cette maison de la
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rue des Fossoyeurs.
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-- Est-il défendu à un ami de visiter un ami? à un mousquetaire de
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ma compagnie de fraterniser avec un garde de la compagnie de
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M. des Essarts?
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-- Oui, quand la maison où il fraternise avec cet ami est
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suspecte.
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-- C'est que cette maison est suspecte, Tréville, dit le roi;
|
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peut-être ne le saviez-vous pas?
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-- En effet, Sire, je l'ignorais. En tout cas, elle peut être
|
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suspecte partout; mais je nie qu'elle le soit dans la partie
|
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qu'habite M. d'Artagnan; car je puis vous affirmer, Sire, que, si
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|
j'en crois ce qu'il a dit, il n'existe pas un plus dévoué
|
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serviteur de Sa Majesté, un admirateur plus profond de M. le
|
|
cardinal.
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-- N'est-ce pas ce d'Artagnan qui a blessé un jour Jussac dans
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cette malheureuse rencontre qui a eu lieu près du couvent des
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Carmes-Déchaussés? demanda le roi en regardant le cardinal, qui
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rougit de dépit.
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-- Et le lendemain, Bernajoux. Oui Sire, oui, c'est bien cela, et
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|
Votre Majesté a bonne mémoire.
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-- Allons, que résolvons-nous? dit le roi.
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-- Cela regarde Votre Majesté plus que moi, dit le cardinal.
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|
J'affirmerais la culpabilité.
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-- Et moi je la nie, dit Tréville. Mais Sa Majesté a des juges, et
|
|
ses juges décideront.
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|
-- C'est cela, dit le roi, renvoyons la cause devant les juges:
|
|
c'est leur affaire de juger, et ils jugeront.
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|
-- Seulement, reprit Tréville, il est bien triste qu'en ce temps
|
|
malheureux où nous sommes, la vie la plus pure, la vertu la plus
|
|
incontestable n'exemptent pas un homme de l'infamie et de la
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|
persécution. Aussi l'armée sera-t-elle peu contente, je puis en
|
|
répondre, d'être en butte à des traitements rigoureux à propos
|
|
d'affaires de police.»
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|
Le mot était imprudent; mais M. de Tréville l'avait lancé avec
|
|
connaissance de cause. Il voulait une explosion, parce qu'en cela
|
|
la mine fait du feu, et que le feu éclaire.
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|
«Affaires de police! s'écria le roi, relevant les paroles de
|
|
M. de Tréville: affaires de police! et qu'en savez-vous, monsieur?
|
|
Mêlez-vous de vos mousquetaires, et ne me rompez pas la tête. Il
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|
semble, à vous entendre, que, si par malheur on arrête un
|
|
mousquetaire, la France est en danger. Eh! que de bruit pour un
|
|
mousquetaire! j'en ferai arrêter dix, ventrebleu! cent, même;
|
|
toute la compagnie! et je ne veux pas que l'on souffle mot.
|
|
|
|
-- Du moment où ils sont suspects à Votre Majesté, dit Tréville,
|
|
les mousquetaires sont coupables; aussi, me voyez-vous, Sire, prêt
|
|
à vous rendre mon épée; car après avoir accusé mes soldats, M. le
|
|
cardinal, je n'en doute pas, finira par m'accuser moi-même; ainsi
|
|
mieux vaut que je me constitue prisonnier avec M. Athos, qui est
|
|
arrêté déjà, et M. d'Artagnan, qu'on va arrêter sans doute.
|
|
|
|
-- Tête gasconne, en finirez-vous? dit le roi.
|
|
|
|
-- Sire, répondit Tréville sans baisser le moindrement la voix,
|
|
ordonnez qu'on me rende mon mousquetaire, ou qu'il soit jugé.
|
|
|
|
-- On le jugera, dit le cardinal.
|
|
|
|
-- Eh bien, tant mieux; car, dans ce cas, je demanderai à
|
|
Sa Majesté la permission de plaider pour lui.»
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|
|
|
Le roi craignit un éclat.
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|
|
|
«Si Son Éminence, dit-il, n'avait pas personnellement des
|
|
motifs...»
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|
Le cardinal vit venir le roi, et alla au-devant de lui:
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|
«Pardon, dit-il, mais du moment où Votre Majesté voit en moi un
|
|
juge prévenu, je me retire.
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|
|
-- Voyons, dit le roi, me jurez-vous, par mon père, que M. Athos
|
|
était chez vous pendant l'événement, et qu'il n'y a point pris
|
|
part?
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|
|
-- Par votre glorieux père et par vous-même, qui êtes ce que
|
|
j'aime et ce que je vénère le plus au monde, je le jure!
|
|
|
|
-- Veuillez réfléchir, Sire, dit le cardinal. Si nous relâchons
|
|
ainsi le prisonnier, on ne pourra plus connaître la vérité.
|
|
|
|
-- M. Athos sera toujours là, reprit M. de Tréville, prêt à
|
|
répondre quand il plaira aux gens de robe de l'interroger. Il ne
|
|
désertera pas, monsieur le cardinal; soyez tranquille, je réponds
|
|
de lui, moi.
|
|
|
|
-- Au fait, il ne désertera pas, dit le roi; on le retrouvera
|
|
toujours, comme dit M. de Tréville. D'ailleurs, ajouta-t-il en
|
|
baissant la voix et en regardant d'un air suppliant Son Éminence,
|
|
donnons-leur de la sécurité: cela est politique.»
|
|
|
|
Cette politique de Louis XIII fit sourire Richelieu.
|
|
|
|
«Ordonnez, Sire, dit-il, vous avez le droit de grâce.
|
|
|
|
-- Le droit de grâce ne s'applique qu'aux coupables, dit Tréville,
|
|
qui voulait avoir le dernier mot, et mon mousquetaire est
|
|
innocent. Ce n'est donc pas grâce que vous allez faire, Sire,
|
|
c'est justice.
|
|
|
|
-- Et il est au For-l'Évêque? dit le roi.
|
|
|
|
-- Oui, Sire, et au secret, dans un cachot, comme le dernier des
|
|
criminels.
|
|
|
|
-- Diable! diable! murmura le roi, que faut-il faire?
|
|
|
|
-- Signer l'ordre de mise en liberté, et tout sera dit, reprit le
|
|
cardinal; je crois, comme Votre Majesté, que la garantie de
|
|
M. de Tréville est plus que suffisante.»
|
|
|
|
Tréville s'inclina respectueusement avec une joie qui n'était pas
|
|
sans mélange de crainte; il eût préféré une résistance opiniâtre
|
|
du cardinal à cette soudaine facilité.
|
|
|
|
Le roi signa l'ordre d'élargissement, et Tréville l'emporta sans
|
|
retard.
|
|
|
|
Au moment où il allait sortir, le cardinal lui fit un sourire
|
|
amical, et dit au roi:
|
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|
|
«Une bonne harmonie règne entre les chefs et les soldats, dans vos
|
|
mousquetaires, Sire; voilà qui est bien profitable au service et
|
|
bien honorable pour tous.»
|
|
|
|
«Il me jouera quelque mauvais tour incessamment, se disait
|
|
Tréville; on n'a jamais le dernier mot avec un pareil homme. Mais
|
|
hâtons-nous, car le roi peut changer d'avis tout à l'heure; et au
|
|
bout du compte, il est plus difficile de remettre à la Bastille ou
|
|
au For-l'Évêque un homme qui en est sorti, que d'y garder un
|
|
prisonnier qu'on y tient.»
|
|
|
|
M. de Tréville fit triomphalement son entrée au For-l'Évêque, où
|
|
il délivra le mousquetaire, que sa paisible indifférence n'avait
|
|
pas abandonné.
|
|
|
|
Puis, la première fois qu'il revit d'Artagnan:
|
|
|
|
«Vous l'échappez belle, lui dit-il; voilà votre coup d'épée à
|
|
Jussac payé. Reste bien encore celui de Bernajoux, mais il ne
|
|
faudrait pas trop vous y fier.»
|
|
|
|
Au reste, M. de Tréville avait raison de se défier du cardinal et
|
|
de penser que tout n'était pas fini, car à peine le capitaine des
|
|
mousquetaires eut-il fermé la porte derrière lui, que Son Éminence
|
|
dit au roi:
|
|
|
|
«Maintenant que nous ne sommes plus que nous deux, nous allons
|
|
causer sérieusement, s'il plaît à Votre Majesté. Sire,
|
|
M. de Buckingham était à Paris depuis cinq jours et n'en est parti
|
|
que ce matin.»
|
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|
|
|
|
CHAPITRE XVI
|
|
OÙ M. LE GARDE DES SCEAUX SÉGUIER CHERCHA PLUS D'UNE FOIS LA
|
|
CLOCHE POUR LA SONNER, COMME IL LE FAISAIT AUTREFOIS
|
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|
Il est impossible de se faire une idée de l'impression que ces
|
|
quelques mots produisirent sur Louis XIII. Il rougit et pâlit
|
|
successivement; et le cardinal vit tout d'abord qu'il venait de
|
|
conquérir d'un seul coup tout le terrain qu'il avait perdu.
|
|
|
|
«M. de Buckingham à Paris! s'écria-t-il, et qu'y vient-il faire?
|
|
|
|
-- Sans doute conspirer avec nos ennemis les huguenots et les
|
|
Espagnols.
|
|
|
|
-- Non, pardieu, non! conspirer contre mon honneur avec
|
|
Mme de Chevreuse, Mme de Longueville et les Condé!
|
|
|
|
-- Oh! Sire, quelle idée! La reine est trop sage, et surtout aime
|
|
trop Votre Majesté.
|
|
|
|
-- La femme est faible, monsieur le cardinal, dit le roi; et quant
|
|
à m'aimer beaucoup, j'ai mon opinion faite sur cet amour.
|
|
|
|
-- Je n'en maintiens pas moins, dit le cardinal, que le duc de
|
|
Buckingham est venu à Paris pour un projet tout politique.
|
|
|
|
-- Et moi je suis sûr qu'il est venu pour autre chose, monsieur le
|
|
cardinal; mais si la reine est coupable, qu'elle tremble!
|
|
|
|
-- Au fait, dit le cardinal, quelque répugnance que j'aie à
|
|
arrêter mon esprit sur une pareille trahison, Votre Majesté m'y
|
|
fait penser: Mme de Lannoy, que, d'après l'ordre de Votre Majesté,
|
|
j'ai interrogée plusieurs fois, m'a dit ce matin que la nuit avant
|
|
celle-ci Sa Majesté avait veillé fort tard, que ce matin elle
|
|
avait beaucoup pleuré et que toute la journée elle avait écrit.
|
|
|
|
-- C'est cela, dit le roi; à lui sans doute, Cardinal, il me faut
|
|
les papiers de la reine.
|
|
|
|
-- Mais comment les prendre, Sire? Il me semble que ce n'est ni
|
|
moi, ni Votre Majesté qui pouvons nous charger d'une pareille
|
|
mission.
|
|
|
|
-- Comment s'y est-on pris pour la maréchale d'Ancre? s'écria le
|
|
roi au plus haut degré de la colère; on a fouillé ses armoires, et
|
|
enfin on l'a fouillée elle-même.
|
|
|
|
-- La maréchale d'Ancre n'était que la maréchale d'Ancre, une
|
|
aventurière florentine, Sire, voilà tout; tandis que l'auguste
|
|
épouse de Votre Majesté est Anne d'Autriche, reine de France,
|
|
c'est-à-dire une des plus grandes princesses du monde.
|
|
|
|
-- Elle n'en est que plus coupable, monsieur le duc! Plus elle a
|
|
oublié la haute position où elle était placée, plus elle est bas
|
|
descendue. Il y a longtemps d'ailleurs que je suis décidé à en
|
|
finir avec toutes ces petites intrigues de politique et d'amour.
|
|
Elle a aussi près d'elle un certain La Porte...
|
|
|
|
-- Que je crois la cheville ouvrière de tout cela, je l'avoue, dit
|
|
le cardinal.
|
|
|
|
-- Vous pensez donc, comme moi, qu'elle me trompe? dit le roi.
|
|
|
|
-- Je crois, et je le répète à Votre Majesté, que la reine
|
|
conspire contre la puissance de son roi, mais je n'ai point dit
|
|
contre son honneur.
|
|
|
|
-- Et moi je vous dis contre tous deux; moi je vous dis que la
|
|
reine ne m'aime pas; je vous dis qu'elle en aime un autre; je vous
|
|
dis qu'elle aime cet infâme duc de Buckingham! Pourquoi ne l'avez-
|
|
vous pas fait arrêter pendant qu'il était à Paris?
|
|
|
|
-- Arrêter le duc! arrêter le premier ministre du roi Charles Ier!
|
|
Y pensez-vous, Sire? Quel éclat! et si alors les soupçons de
|
|
Votre Majesté, ce dont je continue à douter, avaient quelque
|
|
consistance, quel éclat terrible! quel scandale désespérant!
|
|
|
|
-- Mais puisqu'il s'exposait comme un vagabond et un larronneur,
|
|
il fallait...»
|
|
|
|
Louis XIII s'arrêta lui-même, effrayé de ce qu'il allait dire,
|
|
tandis que Richelieu, allongeant le cou, attendait inutilement la
|
|
parole qui était restée sur les lèvres du roi.
|
|
|
|
«Il fallait?
|
|
|
|
-- Rien, dit le roi, rien. Mais, pendant tout le temps qu'il a été
|
|
à Paris, vous ne l'avez pas perdu de vue?
|
|
|
|
-- Non, Sire.
|
|
|
|
-- Où logeait-il?
|
|
|
|
-- Rue de La Harpe, n° 75.
|
|
|
|
-- Où est-ce, cela?
|
|
|
|
-- Du côté du Luxembourg.
|
|
|
|
-- Et vous êtes sûr que la reine et lui ne se sont pas vus?
|
|
|
|
-- Je crois la reine trop attachée à ses devoirs, Sire.
|
|
|
|
-- Mais ils ont correspondu, c'est à lui que la reine a écrit
|
|
toute la journée; monsieur le duc, il me faut ces lettres!
|
|
|
|
-- Sire, cependant...
|
|
|
|
-- Monsieur le duc, à quelque prix que ce soit, je les veux.
|
|
|
|
-- Je ferai pourtant observer à Votre Majesté...
|
|
|
|
-- Me trahissez-vous donc aussi, monsieur le cardinal, pour vous
|
|
opposer toujours ainsi à mes volontés? êtes-vous aussi d'accord
|
|
avec l'Espagnol et avec l'Anglais, avec Mme de Chevreuse et avec
|
|
la reine?
|
|
|
|
-- Sire, répondit en soupirant le cardinal, je croyais être à
|
|
l'abri d'un pareil soupçon.
|
|
|
|
-- Monsieur le cardinal, vous m'avez entendu; je veux ces lettres.
|
|
|
|
-- Il n'y aurait qu'un moyen.
|
|
|
|
-- Lequel?
|
|
|
|
-- Ce serait de charger de cette mission M. le garde des sceaux
|
|
Séguier. La chose rentre complètement dans les devoirs de sa
|
|
charge.
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|
|
|
-- Qu'on l'envoie chercher à l'instant même!
|
|
|
|
-- Il doit être chez moi, Sire; je l'avais fait prier de passer,
|
|
et lorsque je suis venu au Louvre, j'ai laissé l'ordre, s'il se
|
|
présentait, de le faire attendre.
|
|
|
|
-- Qu'on aille le chercher à l'instant même!
|
|
|
|
-- Les ordres de Votre Majesté seront exécutés; mais...
|
|
|
|
-- Mais quoi?
|
|
|
|
-- Mais la reine se refusera peut-être à obéir.
|
|
|
|
-- À mes ordres?
|
|
|
|
-- Oui, si elle ignore que ces ordres viennent du roi.
|
|
|
|
-- Eh bien, pour qu'elle n'en doute pas, je vais la prévenir moi-
|
|
même.
|
|
|
|
-- Votre Majesté n'oubliera pas que j'ai fait tout ce que j'ai pu
|
|
pour prévenir une rupture.
|
|
|
|
-- Oui, duc, je sais que vous êtes fort indulgent pour la reine,
|
|
trop indulgent peut-être; et nous aurons, je vous en préviens, à
|
|
parler plus tard de cela.
|
|
|
|
-- Quand il plaira à Votre Majesté; mais je serai toujours heureux
|
|
et fier, Sire, de me sacrifier à la bonne harmonie que je désire
|
|
voir régner entre vous et la reine de France.
|
|
|
|
-- Bien, cardinal, bien; mais en attendant envoyez chercher M. le
|
|
garde des sceaux; moi, j'entre chez la reine.
|
|
|
|
Et Louis XIII, ouvrant la porte de communication, s'engagea dans
|
|
le corridor qui conduisait de chez lui chez Anne d'Autriche.
|
|
|
|
La reine était au milieu de ses femmes, Mme de Guitaut,
|
|
Mme de Sablé, Mme de Montbazon et Mme de Guéménée. Dans un coin
|
|
était cette camériste espagnole doña Estefania, qui l'avait suivie
|
|
de Madrid. Mme de Guéménée faisait la lecture, et tout le monde
|
|
écoutait avec attention la lectrice, à l'exception de la reine,
|
|
qui, au contraire, avait provoqué cette lecture afin de pouvoir,
|
|
tout en feignant d'écouter, suivre le fil de ses propres pensées.
|
|
|
|
Ces pensées, toutes dorées qu'elles étaient par un dernier reflet
|
|
d'amour, n'en étaient pas moins tristes. Anne d'Autriche, privée
|
|
de la confiance de son mari, poursuivie par la haine du cardinal,
|
|
qui ne pouvait lui pardonner d'avoir repoussé un sentiment plus
|
|
doux, ayant sous les yeux l'exemple de la reine mère, que cette
|
|
haine avait tourmentée toute sa vie -- quoique Marie de Médicis,
|
|
s'il faut en croire les mémoires du temps, eût commencé par
|
|
accorder au cardinal le sentiment qu'Anne d'Autriche finit
|
|
toujours par lui refuser --, Anne d'Autriche avait vu tomber
|
|
autour d'elle ses serviteurs les plus dévoués, ses confidents les
|
|
plus intimes, ses favoris les plus chers. Comme ces malheureux
|
|
doués d'un don funeste, elle portait malheur à tout ce qu'elle
|
|
touchait, son amitié était un signe fatal qui appelait la
|
|
persécution. Mme de Chevreuse et Mme de Vernel étaient exilées;
|
|
enfin La Porte ne cachait pas à sa maîtresse qu'il s'attendait à
|
|
être arrêté d'un instant à l'autre.
|
|
|
|
C'est au moment où elle était plongée au plus profond et au plus
|
|
sombre de ces réflexions, que la porte de la chambre s'ouvrit et
|
|
que le roi entra.
|
|
|
|
La lectrice se tut à l'instant même, toutes les dames se levèrent,
|
|
et il se fit un profond silence.
|
|
|
|
Quant au roi, il ne fit aucune démonstration de politesse;
|
|
seulement, s'arrêtant devant la reine:
|
|
|
|
«Madame, dit-il d'une voix altérée, vous allez recevoir la visite
|
|
de M. le chancelier, qui vous communiquera certaines affaires dont
|
|
je l'ai chargé.»
|
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La malheureuse reine, qu'on menaçait sans cesse de divorce, d'exil
|
|
et de jugement même, pâlit sous son rouge et ne put s'empêcher de
|
|
dire:
|
|
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«Mais pourquoi cette visite, Sire? Que me dira M. le chancelier
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que Votre Majesté ne puisse me dire elle-même?»
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Le roi tourna sur ses talons sans répondre, et presque au même
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instant le capitaine des gardes, M. de Guitaut, annonça la visite
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de M. le chancelier.
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Lorsque le chancelier parut, le roi était déjà sorti par une autre
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porte.
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Le chancelier entra demi-souriant, demi-rougissant. Comme nous le
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retrouverons probablement dans le cours de cette histoire, il n'y
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a pas de mal à ce que nos lecteurs fassent dès à présent
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connaissance avec lui.
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Ce chancelier était un plaisant homme. Ce fut Des Roches le Masle,
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chanoine à Notre-Dame, et qui avait été autrefois valet de chambre
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du cardinal, qui le proposa à Son Éminence comme un homme tout
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dévoué. Le cardinal s'y fia et s'en trouva bien.
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On racontait de lui certaines histoires, entre autres celle-ci:
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Après une jeunesse orageuse, il s'était retiré dans un couvent
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pour y expier au moins pendant quelque temps les folies de
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l'adolescence.
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Mais, en entrant dans ce saint lieu, le pauvre pénitent n'avait pu
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refermer si vite la porte, que les passions qu'il fuyait n'y
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entrassent avec lui. Il en était obsédé sans relâche, et le
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supérieur, auquel il avait confié cette disgrâce, voulant autant
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qu'il était en lui l'en garantir, lui avait recommandé pour
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conjurer le démon tentateur de recourir à la corde de la cloche et
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de sonner à toute volée. Au bruit dénonciateur, les moines
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seraient prévenus que la tentation assiégeait un frère, et toute
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la communauté se mettrait en prières.
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Le conseil parut bon au futur chancelier. Il conjura l'esprit
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malin à grand renfort de prières faites par les moines; mais le
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diable ne se laisse pas déposséder facilement d'une place où il a
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mis garnison; à mesure qu'on redoublait les exorcismes, il
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redoublait les tentations, de sorte que jour et nuit la cloche
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sonnait à toute volée, annonçant l'extrême désir de mortification
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qu'éprouvait le pénitent.
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Les moines n'avaient plus un instant de repos. Le jour, ils ne
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faisaient que monter et descendre les escaliers qui conduisaient à
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la chapelle; la nuit, outre complies et matines, ils étaient
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encore obligés de sauter vingt fois à bas de leurs lits et de se
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prosterner sur le carreau de leurs cellules.
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On ignore si ce fut le diable qui lâcha prise ou les moines qui se
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lassèrent; mais, au bout de trois mois, le pénitent reparut dans
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le monde avec la réputation du plus terrible possédé qui eût
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jamais existé.
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En sortant du couvent, il entra dans la magistrature, devint
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président à mortier à la place de son oncle, embrassa le parti du
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cardinal, ce qui ne prouvait pas peu de sagacité; devint
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chancelier, servit Son Éminence avec zèle dans sa haine contre la
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reine mère et sa vengeance contre Anne d'Autriche; stimula les
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juges dans l'affaire de Chalais, encouragea les essais de
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M. de Laffemas, grand gibecier de France; puis enfin, investi de
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toute la confiance du cardinal, confiance qu'il avait si bien
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gagnée, il en vint à recevoir la singulière commission pour
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l'exécution de laquelle il se présentait chez la reine.
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La reine était encore debout quand il entra, mais à peine l'eut-
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elle aperçu, qu'elle se rassit sur son fauteuil et fit signe à ses
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femmes de se rasseoir sur leurs coussins et leurs tabourets, et,
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d'un ton de suprême hauteur:
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«Que désirez-vous, monsieur, demanda Anne d'Autriche, et dans quel
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but vous présentez-vous ici?
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-- Pour y faire au nom du roi, madame, et sauf tout le respect que
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j'ai l'honneur de devoir à Votre Majesté, une perquisition exacte
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dans vos papiers.
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-- Comment, monsieur! une perquisition dans mes papiers... à moi!
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mais voilà une chose indigne!
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-- Veuillez me le pardonner, madame, mais, dans cette
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circonstance, je ne suis que l'instrument dont le roi se sert.
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Sa Majesté ne sort-elle pas d'ici, et ne vous a-t-elle pas invitée
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elle-même à vous préparer à cette visite?
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-- Fouillez donc, monsieur; je suis une criminelle, à ce qu'il
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paraît: Estefania, donnez les clefs de mes tables et de mes
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secrétaires.»
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Le chancelier fit pour la forme une visite dans les meubles, mais
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il savait bien que ce n'était pas dans un meuble que la reine
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avait dû serrer la lettre importante qu'elle avait écrite dans la
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journée.
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Quand le chancelier eut rouvert et refermé vingt fois les tiroirs
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du secrétaire, il fallut bien, quelque hésitation qu'il éprouvât,
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il fallut bien, dis-je, en venir à la conclusion de l'affaire,
|
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c'est-à-dire à fouiller la reine elle-même. Le chancelier s'avança
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donc vers Anne d'Autriche, et d'un ton très perplexe et d'un air
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fort embarrassé:
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«Et maintenant, dit-il, il me reste à faire la perquisition
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principale.
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-- Laquelle? demanda la reine, qui ne comprenait pas ou plutôt qui
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ne voulait pas comprendre.
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-- Sa Majesté est certaine qu'une lettre a été écrite par vous
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dans la journée; elle sait qu'elle n'a pas encore été envoyée à
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son adresse. Cette lettre ne se trouve ni dans votre table, ni
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dans votre secrétaire, et cependant cette lettre est quelque part.
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-- Oserez-vous porter la main sur votre reine? dit Anne d'Autriche
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en se dressant de toute sa hauteur et en fixant sur le chancelier
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ses yeux, dont l'expression était devenue presque menaçante.
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-- Je suis un fidèle sujet du roi, madame; et tout ce que
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Sa Majesté ordonnera, je le ferai.
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-- Eh bien, c'est vrai, dit Anne d'Autriche, et les espions de
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M. le cardinal l'ont bien servi. J'ai écrit aujourd'hui une
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lettre, cette lettre n'est point partie. La lettre est là.»
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Et la reine ramena sa belle main à son corsage.
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«Alors donnez-moi cette lettre, madame, dit le chancelier.
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-- Je ne la donnerai qu'au roi, monsieur, dit Anne.
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-- Si le roi eût voulu que cette lettre lui fût remise, madame, il
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vous l'eût demandée lui-même. Mais, je vous le répète, c'est moi
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qu'il a chargé de vous la réclamer, et si vous ne la rendiez
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pas...
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-- Eh bien?
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-- C'est encore moi qu'il a chargé de vous la prendre.
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-- Comment, que voulez-vous dire?
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-- Que mes ordres vont loin, madame, et que je suis autorisé à
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chercher le papier suspect sur la personne même de Votre Majesté.
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-- Quelle horreur! s'écria la reine.
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-- Veuillez donc, madame, agir plus facilement.
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-- Cette conduite est d'une violence infâme; savez-vous cela,
|
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monsieur?
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-- Le roi commande, madame, excusez-moi.
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-- Je ne le souffrirai pas; non, non, plutôt mourir!» s'écria la
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reine, chez laquelle se révoltait le sang impérieux de l'Espagnole
|
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et de l'Autrichienne.
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Le chancelier fit une profonde révérence, puis avec l'intention
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bien patente de ne pas reculer d'une semelle dans
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l'accomplissement de la commission dont il s'était chargé, et
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comme eût pu le faire un valet de bourreau dans la chambre de la
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question, il s'approcha d'Anne d'Autriche des yeux de laquelle on
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vit à l'instant même jaillir des pleurs de rage.
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La reine était, comme nous l'avons dit, d'une grande beauté.
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La commission pouvait donc passer pour délicate, et le roi en
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était arrivé, à force de jalousie contre Buckingham, à n'être plus
|
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jaloux de personne.
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Sans doute le chancelier Séguier chercha des yeux à ce moment le
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cordon de la fameuse cloche; mais, ne le trouvant pas, il en prit
|
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son parti et tendit la main vers l'endroit où la reine avait avoué
|
|
que se trouvait le papier.
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Anne d'Autriche fit un pas en arrière, si pâle qu'on eût dit
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qu'elle allait mourir; et, s'appuyant de la main gauche, pour ne
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pas tomber, à une table qui se trouvait derrière elle, elle tira
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de la droite un papier de sa poitrine et le tendit au garde des
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sceaux.
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«Tenez, monsieur, la voilà, cette lettre, s'écria la reine d'une
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voix entrecoupée et frémissante, prenez-la, et me délivrez de
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votre odieuse présence.»
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Le chancelier, qui de son côté tremblait d'une émotion facile à
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concevoir, prit la lettre, salua jusqu'à terre et se retira.
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À peine la porte se fut-elle refermée sur lui, que la reine tomba
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à demi évanouie dans les bras de ses femmes.
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Le chancelier alla porter la lettre au roi sans en avoir lu un
|
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seul mot. Le roi la prit d'une main tremblante, chercha l'adresse,
|
|
qui manquait, devint très pâle, l'ouvrit lentement, puis, voyant
|
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par les premiers mots qu'elle était adressée au roi d'Espagne, il
|
|
lut très rapidement.
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C'était tout un plan d'attaque contre le cardinal. La reine
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|
invitait son frère et l'empereur d'Autriche à faire semblant,
|
|
blessés qu'ils étaient par la politique de Richelieu, dont
|
|
l'éternelle préoccupation fut l'abaissement de la maison
|
|
d'Autriche, de déclarer la guerre à la France et d'imposer comme
|
|
condition de la paix le renvoi du cardinal: mais d'amour, il n'y
|
|
en avait pas un seul mot dans toute cette lettre.
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|
|
Le roi, tout joyeux, s'informa si le cardinal était encore au
|
|
Louvre. On lui dit que Son Éminence attendait, dans le cabinet de
|
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travail, les ordres de Sa Majesté.
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|
Le roi se rendit aussitôt près de lui.
|
|
|
|
«Tenez, duc, lui dit-il, vous aviez raison, et c'est moi qui avais
|
|
tort; toute l'intrigue est politique, et il n'était aucunement
|
|
question d'amour dans cette lettre, que voici. En échange, il y
|
|
est fort question de vous.»
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|
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Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande
|
|
attention; puis, lorsqu'il fut arrivé au bout, il la relut une
|
|
seconde fois.
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|
«Eh bien, Votre Majesté, dit-il, vous voyez jusqu'où vont mes
|
|
ennemis: on vous menace de deux guerres, si vous ne me renvoyez
|
|
pas. À votre place, en vérité, Sire, je céderais à de si
|
|
puissantes instances, et ce serait de mon côté avec un véritable
|
|
bonheur que je me retirerais des affaires.
|
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|
-- Que dites-vous là, duc?
|
|
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|
-- Je dis, Sire, que ma santé se perd dans ces luttes excessives
|
|
et dans ces travaux éternels. Je dis que, selon toute probabilité,
|
|
je ne pourrai pas soutenir les fatigues du siège de La Rochelle,
|
|
et que mieux vaut que vous nommiez là ou M. de Condé, ou
|
|
M. de Bassompierre, ou enfin quelque vaillant homme dont c'est
|
|
l'état de mener la guerre, et non pas moi qui suis homme d'Église
|
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et qu'on détourne sans cesse de ma vocation pour m'appliquer à des
|
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choses auxquelles je n'ai aucune aptitude. Vous en serez plus
|
|
heureux à l'intérieur, Sire, et je ne doute pas que vous n'en
|
|
soyez plus grand à l'étranger.
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-- Monsieur le duc, dit le roi, je comprends, soyez tranquille;
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|
tous ceux qui sont nommés dans cette lettre seront punis comme ils
|
|
le méritent, et la reine elle-même.
|
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|
-- Que dites-vous là, Sire? Dieu me garde que, pour moi, la reine
|
|
éprouve la moindre contrariété! elle m'a toujours cru son ennemi,
|
|
Sire, quoique Votre Majesté puisse attester que j'ai toujours pris
|
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chaudement son parti, même contre vous. Oh! si elle trahissait
|
|
Votre Majesté à l'endroit de son honneur, ce serait autre chose,
|
|
et je serais le premier à dire: «Pas de grâce, Sire, pas de grâce
|
|
pour la coupable!» Heureusement il n'en est rien, et Votre Majesté
|
|
vient d'en acquérir une nouvelle preuve.
|
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|
-- C'est vrai, monsieur le cardinal, dit le roi, et vous aviez
|
|
raison, comme toujours; mais la reine n'en mérite pas moins toute
|
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ma colère.
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|
-- C'est vous, Sire, qui avez encouru la sienne; et véritablement,
|
|
quand elle bouderait sérieusement Votre Majesté, je le
|
|
comprendrais; Votre Majesté l'a traitée avec une sévérité!...
|
|
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|
-- C'est ainsi que je traiterai toujours mes ennemis et les
|
|
vôtres, duc, si haut placés qu'ils soient et quelque péril que je
|
|
coure à agir sévèrement avec eux.
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|
-- La reine est mon ennemie, mais n'est pas la vôtre, Sire; au
|
|
contraire, elle est épouse dévouée, soumise et irréprochable;
|
|
laissez-moi donc, Sire, intercéder pour elle près de
|
|
Votre Majesté.
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|
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-- Qu'elle s'humilie alors, et qu'elle revienne à moi la première!
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|
-- Au contraire, Sire, donnez l'exemple; vous avez eu le premier
|
|
tort, puisque c'est vous qui avez soupçonné la reine.
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-- Moi, revenir le premier? dit le roi; jamais!
|
|
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|
-- Sire, je vous en supplie.
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|
-- D'ailleurs, comment reviendrais-je le premier?
|
|
|
|
-- En faisant une chose que vous sauriez lui être agréable.
|
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|
|
-- Laquelle?
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-- Donnez un bal; vous savez combien la reine aime la danse; je
|
|
vous réponds que sa rancune ne tiendra point à une pareille
|
|
attention.
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|
-- Monsieur le cardinal, vous savez que je n'aime pas tous les
|
|
plaisirs mondains.
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|
-- La reine ne vous en sera que plus reconnaissante, puisqu'elle
|
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sait votre antipathie pour ce plaisir; d'ailleurs ce sera une
|
|
occasion pour elle de mettre ces beaux ferrets de diamants que
|
|
vous lui avez donnés l'autre jour à sa fête, et dont elle n'a pas
|
|
encore eu le temps de se parer.
|
|
|
|
-- Nous verrons, monsieur le cardinal, nous verrons, dit le roi,
|
|
qui, dans sa joie de trouver la reine coupable d'un crime dont il
|
|
se souciait peu, et innocente d'une faute qu'il redoutait fort,
|
|
était tout prêt à se raccommoder avec elle; nous verrons, mais,
|
|
sur mon honneur, vous êtes trop indulgent.
|
|
|
|
-- Sire, dit le cardinal, laissez la sévérité aux ministres,
|
|
l'indulgence est la vertu royale; usez-en, et vous verrez que vous
|
|
vous en trouverez bien.»
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|
Sur quoi le cardinal, entendant la pendule sonner onze heures,
|
|
s'inclina profondément, demandant congé au roi pour se retirer, et
|
|
le suppliant de se raccommoder avec la reine.
|
|
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|
Anne d'Autriche, qui, à la suite de la saisie de sa lettre,
|
|
s'attendait à quelque reproche, fut fort étonnée de voir le
|
|
lendemain le roi faire près d'elle des tentatives de
|
|
rapprochement. Son premier mouvement fut répulsif, son orgueil de
|
|
femme et sa dignité de reine avaient été tous deux si cruellement
|
|
offensés, qu'elle ne pouvait revenir ainsi du premier coup; mais,
|
|
vaincue par le conseil de ses femmes, elle eut enfin l'air de
|
|
commencer à oublier. Le roi profita de ce premier moment de retour
|
|
pour lui dire qu'incessamment il comptait donner une fête.
|
|
|
|
C'était une chose si rare qu'une fête pour la pauvre Anne
|
|
d'Autriche, qu'à cette annonce, ainsi que l'avait pensé le
|
|
cardinal, la dernière trace de ses ressentiments disparut sinon
|
|
dans son coeur, du moins sur son visage. Elle demanda quel jour
|
|
cette fête devait avoir lieu, mais le roi répondit qu'il fallait
|
|
qu'il s'entendît sur ce point avec le cardinal.
|
|
|
|
En effet, chaque jour le roi demandait au cardinal à quelle époque
|
|
cette fête aurait lieu, et chaque jour le cardinal, sous un
|
|
prétexte quelconque, différait de la fixer.
|
|
|
|
Dix jours s'écoulèrent ainsi.
|
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|
Le huitième jour après la scène que nous avons racontée, le
|
|
cardinal reçut une lettre, au timbre de Londres, qui contenait
|
|
seulement ces quelques lignes:
|
|
|
|
«Je les ai; mais je ne puis quitter Londres, attendu que je manque
|
|
d'argent; envoyez-moi cinq cents pistoles, et quatre ou cinq jours
|
|
après les avoir reçues, je serai à Paris.»
|
|
|
|
Le jour même où le cardinal avait reçu cette lettre, le roi lui
|
|
adressa sa question habituelle.
|
|
|
|
Richelieu compta sur ses doigts et se dit tout bas:
|
|
|
|
«Elle arrivera, dit-elle, quatre ou cinq jours après avoir reçu
|
|
l'argent; il faut quatre ou cinq jours à l'argent pour aller,
|
|
quatre ou cinq jours à elle pour revenir, cela fait dix jours;
|
|
maintenant faisons la part des vents contraires, des mauvais
|
|
hasards, des faiblesses de femme, et mettons cela à douze jours.
|
|
|
|
-- Eh bien, monsieur le duc, dit le roi, vous avez calculé?
|
|
|
|
-- Oui, Sire: nous sommes aujourd'hui le 20 septembre; les
|
|
échevins de la ville donnent une fête le 3 octobre. Cela
|
|
s'arrangera à merveille, car vous n'aurez pas l'air de faire un
|
|
retour vers la reine.»
|
|
|
|
Puis le cardinal ajouta:
|
|
|
|
«À propos, Sire, n'oubliez pas de dire à Sa Majesté, la veille de
|
|
cette fête, que vous désirez voir comment lui vont ses ferrets de
|
|
diamants.»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XVII
|
|
LE MÉNAGE BONACIEUX
|
|
|
|
C'était la seconde fois que le cardinal revenait sur ce point des
|
|
ferrets de diamants avec le roi. Louis XIII fut donc frappé de
|
|
cette insistance, et pensa que cette recommandation cachait un
|
|
mystère.
|
|
|
|
Plus d'une fois le roi avait été humilié que le cardinal, dont la
|
|
police, sans avoir atteint encore la perfection de la police
|
|
moderne, était excellente, fût mieux instruit que lui-même de ce
|
|
qui se passait dans son propre ménage. Il espéra donc, dans une
|
|
conversation avec Anne d'Autriche, tirer quelque lumière de cette
|
|
conversation et revenir ensuite près de Son Éminence avec quelque
|
|
secret que le cardinal sût ou ne sût pas, ce qui, dans l'un ou
|
|
l'autre cas, le rehaussait infiniment aux yeux de son ministre.
|
|
|
|
Il alla donc trouver la reine, et, selon son habitude, l'aborda
|
|
avec de nouvelles menaces contre ceux qui l'entouraient. Anne
|
|
d'Autriche baissa la tête, laissa s'écouler le torrent sans
|
|
répondre et espérant qu'il finirait par s'arrêter; mais ce n'était
|
|
pas cela que voulait Louis XIII; Louis XIII voulait une discussion
|
|
de laquelle jaillît une lumière quelconque, convaincu qu'il était
|
|
que le cardinal avait quelque arrière-pensée et lui machinait une
|
|
surprise terrible comme en savait faire Son Éminence. Il arriva à
|
|
ce but par sa persistance à accuser.
|
|
|
|
«Mais, s'écria Anne d'Autriche, lassée de ces vagues attaques;
|
|
mais, Sire, vous ne me dites pas tout ce que vous avez dans le
|
|
coeur. Qu'ai-je donc fait? Voyons, quel crime aide donc commis? Il
|
|
est impossible que Votre Majesté fasse tout ce bruit pour une
|
|
lettre écrite à mon frère.»
|
|
|
|
Le roi, attaqué à son tour d'une manière si directe, ne sut que
|
|
répondre; il pensa que c'était là le moment de placer la
|
|
recommandation qu'il ne devait faire que la veille de la fête.
|
|
|
|
«Madame, dit-il avec majesté, il y aura incessamment bal à l'hôtel
|
|
de ville; j'entends que, pour faire honneur à nos braves échevins,
|
|
vous y paraissiez en habit de cérémonie, et surtout parée des
|
|
ferrets de diamants que je vous ai donnés pour votre fête. Voici
|
|
ma réponse.»
|
|
|
|
La réponse était terrible. Anne d'Autriche crut que Louis XIII
|
|
savait tout, et que le cardinal avait obtenu de lui cette longue
|
|
dissimulation de sept ou huit jours, qui était au reste dans son
|
|
caractère. Elle devint excessivement pâle, appuya sur une console
|
|
sa main d'une admirable beauté, et qui semblait alors une main de
|
|
cire, et regardant le roi avec des yeux épouvantés, elle ne
|
|
répondit pas une seule syllabe.
|
|
|
|
«Vous entendez, madame, dit le roi, qui jouissait de cet embarras
|
|
dans toute son étendue, mais sans en deviner la cause, vous
|
|
entendez?
|
|
|
|
-- Oui, Sire, j'entends, balbutia la reine.
|
|
|
|
-- Vous paraîtrez à ce bal?
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Avec vos ferrets?
|
|
|
|
-- Oui.»
|
|
|
|
La pâleur de la reine augmenta encore, s'il était possible; le roi
|
|
s'en aperçut, et en jouit avec cette froide cruauté qui était un
|
|
des mauvais côtés de son caractère.
|
|
|
|
«Alors, c'est convenu, dit le roi, et voilà tout ce que j'avais à
|
|
vous dire.
|
|
|
|
-- Mais quel jour ce bal aura-t-il lieu?» demanda Anne d'Autriche.
|
|
|
|
Louis XIII sentit instinctivement qu'il ne devait pas répondre à
|
|
cette question, la reine l'ayant faite d'une voix presque
|
|
mourante.
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|
|
|
«Mais très incessamment, madame, dit-il; mais je ne me rappelle
|
|
plus précisément la date du jour, je la demanderai au cardinal.
|
|
|
|
-- C'est donc le cardinal qui vous a annoncé cette fête? s'écria
|
|
la reine.
|
|
|
|
-- Oui, madame, répondit le roi étonné; mais pourquoi cela?
|
|
|
|
-- C'est lui, qui vous a dit de m'inviter à y paraître avec ces
|
|
ferrets?
|
|
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-- C'est-à-dire, madame...
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-- C'est lui, Sire, c'est lui!
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-- Eh bien qu'importe que ce soit lui ou moi? y a-t-il un crime à
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cette invitation?
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-- Non, Sire.
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-- Alors vous paraîtrez?
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-- Oui, Sire.
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-- C'est bien, dit le roi en se retirant, c'est bien, j'y compte.»
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La reine fit une révérence, moins par étiquette que parce que ses
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genoux se dérobaient sous elle.
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Le roi partit enchanté.
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«Je suis perdue, murmura la reine, perdue, car le cardinal sait
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tout, et c'est lui qui pousse le roi, qui ne sait rien encore,
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mais qui saura tout bientôt. Je suis perdue! Mon Dieu! mon Dieu!
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mon Dieu!»
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Elle s'agenouilla sur un coussin et pria, la tête enfoncée entre
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ses bras palpitants.
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En effet, la position était terrible. Buckingham était retourné à
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Londres, Mme de Chevreuse était à Tours. Plus surveillée que
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jamais, la reine sentait sourdement qu'une de ses femmes la
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trahissait, sans savoir dire laquelle. La Porte ne pouvait pas
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quitter le Louvre. Elle n'avait pas une âme au monde à qui se
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fier.
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Aussi, en présence du malheur qui la menaçait et de l'abandon qui
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était le sien, éclata-t-elle en sanglots.
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«Ne puis-je donc être bonne à rien à Votre Majesté?» dit tout à
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coup une voix pleine de douceur et de pitié.
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La reine se retourna vivement, car il n'y avait pas à se tromper à
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l'expression de cette voix: c'était une amie qui parlait ainsi.
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En effet, à l'une des portes qui donnaient dans l'appartement de
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la reine apparut la jolie Mme Bonacieux; elle était occupée à
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ranger les robes et le linge dans un cabinet, lorsque le roi était
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entré; elle n'avait pas pu sortir, et avait tout entendu.
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La reine poussa un cri perçant en se voyant surprise, car dans son
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trouble elle ne reconnut pas d'abord la jeune femme qui lui avait
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été donnée par La Porte.
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«Oh! ne craignez rien, madame, dit la jeune femme en joignant les
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mains et en pleurant elle-même des angoisses de la reine; je suis
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à Votre Majesté corps et âme, et si loin que je sois d'elle, si
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inférieure que soit ma position, je crois que j'ai trouvé un moyen
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de tirer Votre Majesté de peine.
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-- Vous! ô Ciel! vous! s'écria la reine; mais voyons regardez-moi
|
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en face. Je suis trahie de tous côtés, puis-je me fier à vous?
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-- Oh! madame! s'écria la jeune femme en tombant à genoux: sur mon
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âme, je suis prête à mourir pour Votre Majesté!»
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Ce cri était sorti du plus profond du coeur, et, comme le premier,
|
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il n'y avait pas à se tromper.
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«Oui, continua Mme Bonacieux, oui, il y a des traîtres ici; mais,
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|
par le saint nom de la Vierge, je vous jure que personne n'est
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plus dévoué que moi à Votre Majesté. Ces ferrets que le roi
|
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redemande, vous les avez donnés au duc de Buckingham, n'est-ce
|
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pas? Ces ferrets étaient enfermés dans une petite boîte en bois de
|
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rose qu'il tenait sous son bras? Est-ce que je me trompe? Est-ce
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que ce n'est pas cela?
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-- Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura la reine dont les dents
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claquaient d'effroi.
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-- Eh bien, ces ferrets, continua Mme Bonacieux, il faut les
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ravoir.
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-- Oui, sans doute, il le faut, s'écria la reine; mais comment
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faire, comment y arriver?
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-- Il faut envoyer quelqu'un au duc.
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-- Mais qui?... qui?... à qui me fier?
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-- Ayez confiance en moi, madame; faites-moi cet honneur, ma
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reine, et je trouverai le messager, moi!
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-- Mais il faudra écrire!
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-- Oh! oui. C'est indispensable. Deux mots de la main de
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|
Votre Majesté et votre cachet particulier.
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-- Mais ces deux mots, c'est ma condamnation. C'est le divorce,
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|
l'exil!
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-- Oui, s'ils tombent entre des mains infâmes! Mais je réponds que
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|
ces deux mots seront remis à leur adresse.
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-- Oh! mon Dieu! il faut donc que je remette ma vie, mon honneur,
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ma réputation entre vos mains!
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-- Oui! oui, madame, il le faut, et je sauverai tout cela, moi!
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-- Mais comment? dites-le-moi au moins.
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-- Mon mari a été remis en liberté il y a deux ou trois jours; je
|
|
n'ai pas encore eu le temps de le revoir. C'est un brave et
|
|
honnête homme qui n'a ni haine, ni amour pour personne. Il fera ce
|
|
que je voudrai: il partira sur un ordre de moi, sans savoir ce
|
|
qu'il porte, et il remettra la lettre de Votre Majesté, sans même
|
|
savoir qu'elle est de Votre Majesté, à l'adresse qu'elle
|
|
indiquera.»
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La reine prit les deux mains de la jeune femme avec un élan
|
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passionné, la regarda comme pour lire au fond de son coeur, et ne
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voyant que sincérité dans ses beaux yeux, elle l'embrassa
|
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tendrement.
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«Fais cela, s'écria-t-elle, et tu m'auras sauvé la vie, tu m'auras
|
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sauvé l'honneur!
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-- Oh! n'exagérez pas le service que j'ai le bonheur de vous
|
|
rendre; je n'ai rien à sauver à Votre Majesté, qui est seulement
|
|
victime de perfides complots.
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|
-- C'est vrai, c'est vrai, mon enfant, dit la reine, et tu as
|
|
raison.
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-- Donnez-moi donc cette lettre, madame, le temps presse.»
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|
La reine courut à une petite table sur laquelle se trouvaient
|
|
encre, papier et plumes: elle écrivit deux lignes, cacheta la
|
|
lettre de son cachet et la remit à Mme Bonacieux.
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|
«Et maintenant, dit la reine, nous oublions une chose nécessaire.
|
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|
-- Laquelle?
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|
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-- L'argent.»
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Mme Bonacieux rougit.
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|
«Oui, c'est vrai, dit-elle, et j'avouerai à Votre Majesté que mon
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|
mari...
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|
-- Ton mari n'en a pas, c'est cela que tu veux dire.
|
|
|
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-- Si fait, il en a, mais il est fort avare, c'est là son défaut.
|
|
Cependant, que Votre Majesté ne s'inquiète pas, nous trouverons
|
|
moyen...
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|
|
|
-- C'est que je n'en ai pas non plus, dit la reine (ceux qui
|
|
liront les Mémoires de Mme de Motteville ne s'étonneront pas de
|
|
cette réponse); mais, attends.»
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|
Anne d'Autriche courut à son écrin.
|
|
|
|
«Tiens, dit-elle, voici une bague d'un grand prix à ce qu'on
|
|
assure; elle vient de mon frère le roi d'Espagne, elle est à moi
|
|
et j'en puis disposer. Prends cette bague et fais-en de l'argent,
|
|
et que ton mari parte.
|
|
|
|
-- Dans une heure vous serez obéie.
|
|
|
|
-- Tu vois l'adresse, ajouta la reine, parlant si bas qu'à peine
|
|
pouvait-on entendre ce qu'elle disait: à Milord duc de Buckingham,
|
|
à Londres.
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|
|
-- La lettre sera remise à lui-même.
|
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|
-- Généreuse enfant!» s'écria Anne d'Autriche.
|
|
|
|
Mme Bonacieux baisa les mains de la reine, cacha le papier dans
|
|
son corsage et disparut avec la légèreté d'un oiseau.
|
|
|
|
Dix minutes après, elle était chez elle; comme elle l'avait dit à
|
|
la reine, elle n'avait pas revu son mari depuis sa mise en
|
|
liberté; elle ignorait donc le changement qui s'était fait en lui
|
|
à l'endroit du cardinal, changement qu'avaient opéré la flatterie
|
|
et l'argent de Son Éminence et qu'avaient corroboré, depuis, deux
|
|
ou trois visites du comte de Rochefort, devenu le meilleur ami de
|
|
Bonacieux, auquel il avait fait croire sans beaucoup de peine
|
|
qu'aucun sentiment coupable n'avait amené l'enlèvement de sa
|
|
femme, mais que c'était seulement une précaution politique.
|
|
|
|
Elle trouva M. Bonacieux seul: le pauvre homme remettait à grand-
|
|
peine de l'ordre dans la maison, dont il avait trouvé les meubles
|
|
à peu près brisés et les armoires à peu près vides, la justice
|
|
n'étant pas une des trois choses que le roi Salomon indique comme
|
|
ne laissant point de traces de leur passage. Quant à la servante,
|
|
elle s'était enfuie lors de l'arrestation de son maître. La
|
|
terreur avait gagné la pauvre fille au point qu'elle n'avait cessé
|
|
de marcher de Paris jusqu'en Bourgogne, son pays natal.
|
|
|
|
Le digne mercier avait, aussitôt sa rentrée dans sa maison, fait
|
|
part à sa femme de son heureux retour, et sa femme lui avait
|
|
répondu pour le féliciter et pour lui dire que le premier moment
|
|
qu'elle pourrait dérober à ses devoirs serait consacré tout entier
|
|
à lui rendre visite.
|
|
|
|
Ce premier moment s'était fait attendre cinq jours, ce qui, dans
|
|
toute autre circonstance, eût paru un peu bien long à maître
|
|
Bonacieux; mais il avait, dans la visite qu'il avait faite au
|
|
cardinal et dans les visites que lui faisait Rochefort, ample
|
|
sujet à réflexion, et, comme on sait, rien ne fait passer le temps
|
|
comme de réfléchir.
|
|
|
|
D'autant plus que les réflexions de Bonacieux étaient toutes
|
|
couleur de rose. Rochefort l'appelait son ami, son cher Bonacieux,
|
|
et ne cessait de lui dire que le cardinal faisait le plus grand
|
|
cas de lui. Le mercier se voyait déjà sur le chemin des honneurs
|
|
et de la fortune.
|
|
|
|
De son côté, Mme Bonacieux avait réfléchi, mais, il faut le dire,
|
|
à tout autre chose que l'ambition; malgré elle, ses pensées
|
|
avaient eu pour mobile constant ce beau jeune homme si brave et
|
|
qui paraissait si amoureux. Mariée à dix-huit ans à M. Bonacieux,
|
|
ayant toujours vécu au milieu des amis de son mari, peu
|
|
susceptibles d'inspirer un sentiment quelconque à une jeune femme
|
|
dont le coeur était plus élevé que sa position, Mme Bonacieux
|
|
était restée insensible aux séductions vulgaires; mais, à cette
|
|
époque surtout, le titre de gentilhomme avait une grande influence
|
|
sur la bourgeoisie, et d'Artagnan était gentilhomme; de plus, il
|
|
portait l'uniforme des gardes, qui, après l'uniforme des
|
|
mousquetaires, était le plus apprécié des dames. Il était, nous le
|
|
répétons, beau, jeune, aventureux; il parlait d'amour en homme qui
|
|
aime et qui a soif d'être aimé; il y en avait là plus qu'il n'en
|
|
fallait pour tourner une tête de vingt-trois ans, et Mme Bonacieux
|
|
en était arrivée juste à cet âge heureux de la vie.
|
|
|
|
Les deux époux, quoiqu'ils ne se fussent pas vus depuis plus de
|
|
huit jours, et que pendant cette semaine de graves événements
|
|
eussent passé entre eux, s'abordèrent donc avec une certaine
|
|
préoccupation; néanmoins, M. Bonacieux manifesta une joie réelle
|
|
et s'avança vers sa femme à bras ouverts.
|
|
|
|
Mme Bonacieux lui présenta le front.
|
|
|
|
«Causons un peu, dit-elle.
|
|
|
|
-- Comment? dit Bonacieux étonné.
|
|
|
|
-- Oui, sans doute, j'ai une chose de la plus haute importance à
|
|
vous dire.
|
|
|
|
-- Au fait, et moi aussi, j'ai quelques questions assez sérieuses
|
|
à vous adresser. Expliquez-moi un peu votre enlèvement, je vous
|
|
prie.
|
|
|
|
-- Il ne s'agit point de cela pour le moment, dit Mme Bonacieux.
|
|
|
|
-- Et de quoi s'agit-il donc? de ma captivité?
|
|
|
|
-- Je l'ai apprise le jour même; mais comme vous n'étiez coupable
|
|
d'aucun crime, comme vous n'étiez complice d'aucune intrigue,
|
|
comme vous ne saviez rien enfin qui pût vous compromettre, ni
|
|
vous, ni personne, je n'ai attaché à cet événement que
|
|
l'importance qu'il méritait.
|
|
|
|
-- Vous en parlez bien à votre aise, madame! reprit Bonacieux
|
|
blessé du peu d'intérêt que lui témoignait sa femme; savez-vous
|
|
que j'ai été plongé un jour et une nuit dans un cachot de la
|
|
Bastille?
|
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|
-- Un jour et une nuit sont bientôt passés; laissons donc votre
|
|
captivité, et revenons à ce qui m'amène près de vous.
|
|
|
|
-- Comment? ce qui vous amène près de moi! N'est-ce donc pas le
|
|
désir de revoir un mari dont vous êtes séparée depuis huit jours?
|
|
demanda le mercier piqué au vif.
|
|
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|
-- C'est cela d'abord, et autre chose ensuite.
|
|
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|
-- Parlez!
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-- Une chose du plus haut intérêt et de laquelle dépend notre
|
|
fortune à venir peut-être.
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-- Notre fortune a fort changé de face depuis que je vous ai vue,
|
|
madame Bonacieux, et je ne serais pas étonné que d'ici à quelques
|
|
mois elle ne fît envie à beaucoup de gens.
|
|
|
|
-- Oui, surtout si vous voulez suivre les instructions que je vais
|
|
vous donner.
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|
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|
-- À moi?
|
|
|
|
-- Oui, à vous. Il y a une bonne et sainte action à faire,
|
|
monsieur, et beaucoup d'argent à gagner en même temps.»
|
|
|
|
Mme Bonacieux savait qu'en parlant d'argent à son mari, elle le
|
|
prenait par son faible.
|
|
|
|
Mais un homme, fût-ce un mercier, lorsqu'il a causé dix minutes
|
|
avec le cardinal de Richelieu, n'est plus le même homme.
|
|
|
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«Beaucoup d'argent à gagner! dit Bonacieux en allongeant les
|
|
lèvres.
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|
-- Oui, beaucoup.
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-- Combien, à peu près?
|
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|
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-- Mille pistoles peut-être.
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-- Ce que vous avez à me demander est donc bien grave?
|
|
|
|
-- Oui.
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-- Que faut-il faire?
|
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-- Vous partirez sur-le-champ, je vous remettrai un papier dont
|
|
vous ne vous dessaisirez sous aucun prétexte, et que vous
|
|
remettrez en main propre.
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-- Et pour où partirai-je?
|
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|
-- Pour Londres.
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|
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|
-- Moi, pour Londres! Allons donc, vous raillez, je n'ai pas
|
|
affaire à Londres.
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-- Mais d'autres ont besoin que vous y alliez.
|
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|
|
-- Quels sont ces autres? Je vous avertis, je ne fais plus rien en
|
|
aveugle, et je veux savoir non seulement à quoi je m'expose, mais
|
|
encore pour qui je m'expose.
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|
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|
-- Une personne illustre vous envoie, une personne illustre vous
|
|
attend: la récompense dépassera vos désirs, voilà tout ce que je
|
|
puis vous promettre.
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|
-- Des intrigues encore, toujours des intrigues! merci, je m'en
|
|
défie maintenant, et M. le cardinal m'a éclairé là-dessus.
|
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|
|
-- Le cardinal! s'écria Mme Bonacieux, vous avez vu le cardinal?
|
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|
|
-- Il m'a fait appeler, répondit fièrement le mercier.
|
|
|
|
-- Et vous vous êtes rendu à son invitation, imprudent que vous
|
|
êtes.
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|
|
|
-- Je dois dire que je n'avais pas le choix de m'y rendre ou de ne
|
|
pas m'y rendre, car j'étais entre deux gardes. Il est vrai encore
|
|
de dire que, comme alors je ne connaissais pas Son Éminence, si
|
|
j'avais pu me dispenser de cette visite, j'en eusse été fort
|
|
enchanté.
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|
|
|
-- Il vous a donc maltraité? il vous a donc fait des menaces?
|
|
|
|
-- Il m'a tendu la main et m'a appelé son ami, -- son ami!
|
|
entendez-vous, madame? -- je suis l'ami du grand cardinal!
|
|
|
|
-- Du grand cardinal!
|
|
|
|
-- Lui contesteriez-vous ce titre, par hasard, madame?
|
|
|
|
-- Je ne lui conteste rien, mais je vous dis que la faveur d'un
|
|
ministre est éphémère, et qu'il faut être fou pour s'attacher à un
|
|
ministre; il est des pouvoirs au-dessus du sien, qui ne reposent
|
|
pas sur le caprice d'un homme ou l'issue d'un événement; c'est à
|
|
ces pouvoirs qu'il faut se rallier.
|
|
|
|
-- J'en suis fâché, madame, mais je ne connais pas d'autre pouvoir
|
|
que celui du grand homme que j'ai l'honneur de servir.
|
|
|
|
-- Vous servez le cardinal?
|
|
|
|
-- Oui, madame, et comme son serviteur je ne permettrai pas que
|
|
vous vous livriez à des complots contre la sûreté de l'État, et
|
|
que vous serviez, vous, les intrigues d'une femme qui n'est pas
|
|
française et qui a le coeur espagnol. Heureusement, le grand
|
|
cardinal est là, son regard vigilant surveille et pénètre jusqu'au
|
|
fond du coeur.»
|
|
|
|
Bonacieux répétait mot pour mot une phrase qu'il avait entendu
|
|
dire au comte de Rochefort; mais la pauvre femme, qui avait compté
|
|
sur son mari et qui, dans cet espoir, avait répondu de lui à la
|
|
reine, n'en frémit pas moins, et du danger dans lequel elle avait
|
|
failli se jeter, et de l'impuissance dans laquelle elle se
|
|
trouvait. Cependant connaissant la faiblesse et surtout la
|
|
cupidité de son mari elle ne désespérait pas de l'amener à ses
|
|
fins.
|
|
|
|
«Ah! vous êtes cardinaliste, monsieur, s'écria-t-elle ah! vous
|
|
servez le parti de ceux qui maltraitent votre femme et qui
|
|
insultent votre reine!
|
|
|
|
-- Les intérêts particuliers ne sont rien devant les intérêts de
|
|
tous. Je suis pour ceux qui sauvent État», dit avec emphase
|
|
Bonacieux.
|
|
|
|
C'était une autre phrase du comte de Rochefort, qu'il avait
|
|
retenue et qu'il trouvait l'occasion de placer.
|
|
|
|
«Et savez-vous ce que c'est que État dont vous parlez? dit
|
|
Mme Bonacieux en haussant les épaules. Contentez-vous d'être un
|
|
bourgeois sans finesse aucune, et tournez-vous du côté qui vous
|
|
offre le plus d'avantages.
|
|
|
|
-- Eh! eh! dit Bonacieux en frappant sur un sac à la panse
|
|
arrondie et qui rendit un son argentin; que dites-vous de ceci,
|
|
madame la prêcheuse?
|
|
|
|
-- D'où vient cet argent?
|
|
|
|
-- Vous ne devinez pas?
|
|
|
|
-- Du cardinal?
|
|
|
|
-- De lui et de mon ami le comte de Rochefort.
|
|
|
|
-- Le comte de Rochefort! mais c'est lui qui m'a enlevée!
|
|
|
|
-- Cela se peut, madame.
|
|
|
|
-- Et vous recevez de l'argent de cet homme?
|
|
|
|
-- Ne m'avez-vous pas dit que cet enlèvement était tout politique?
|
|
|
|
-- Oui; mais cet enlèvement avait pour but de me faire trahir ma
|
|
maîtresse, de m'arracher par des tortures des aveux qui pussent
|
|
compromettre l'honneur et peut-être la vie de mon auguste
|
|
maîtresse.
|
|
|
|
-- Madame, reprit Bonacieux, votre auguste maîtresse est une
|
|
perfide Espagnole, et ce que le cardinal fait est bien fait.
|
|
|
|
-- Monsieur, dit la jeune femme, je vous savais lâche, avare et
|
|
imbécile, mais je ne vous savais pas infâme!
|
|
|
|
-- Madame, dit Bonacieux, qui n'avait jamais vu sa femme en
|
|
colère, et qui reculait devant le courroux conjugal; madame, que
|
|
dites-vous donc?
|
|
|
|
-- Je dis que vous êtes un misérable! continua Mme Bonacieux, qui
|
|
vit qu'elle reprenait quelque influence sur son mari. Ah! vous
|
|
faites de la politique, vous! et de la politique cardinaliste
|
|
encore! Ah! vous vous vendez, corps et âme, au démon pour de
|
|
l'argent.
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|
|
|
-- Non, mais au cardinal.
|
|
|
|
-- C'est la même chose! s'écria la jeune femme. Qui dit Richelieu,
|
|
dit Satan.
|
|
|
|
-- Taisez-vous, madame, taisez-vous, on pourrait vous entendre!
|
|
|
|
-- Oui, vous avez raison, et je serais honteuse pour vous de votre
|
|
lâcheté.
|
|
|
|
-- Mais qu'exigez-vous donc de moi? voyons!
|
|
|
|
-- Je vous l'ai dit: que vous partiez à l'instant même, monsieur,
|
|
que vous accomplissiez loyalement la commission dont je daigne
|
|
vous charger, et à cette condition j'oublie tout, je pardonne, et
|
|
il y a plus-elle lui tendit la main -- je vous rends mon amitié.»
|
|
|
|
Bonacieux était poltron et avare; mais il aimait sa femme: il fut
|
|
attendri. Un homme de cinquante ans ne tient pas longtemps rancune
|
|
à une femme de vingt-trois. Mme Bonacieux vit qu'il hésitait:
|
|
|
|
«Allons, êtes-vous décidé? dit-elle.
|
|
|
|
-- Mais, ma chère amie, réfléchissez donc un peu à ce que vous
|
|
exigez de moi; Londres est loin de Paris, fort loin, et peut-être
|
|
la commission dont vous me chargez n'est-elle pas sans dangers.
|
|
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-- Qu'importe, si vous les évitez!
|
|
|
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-- Tenez, madame Bonacieux, dit le mercier, tenez, décidément, je
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refuse: les intrigues me font peur. J'ai vu la Bastille, moi.
|
|
Brrrrou! c'est affreux, la Bastille! Rien que d'y penser, j'en ai
|
|
la chair de poule. On m'a menacé de la torture. Savez-vous ce que
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c'est que la torture? Des coins de bois qu'on vous enfonce entre
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les jambes jusqu'à ce que les os éclatent! Non, décidément, je
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n'irai pas. Et morbleu! que n'y allez-vous vous-même? car, en
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vérité, je crois que je me suis trompé sur votre compte jusqu'à
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présent: je crois que vous êtes un homme, et des plus enragés
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encore!
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-- Et vous, vous êtes une femme, une misérable femme, stupide et
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abrutie. Ah! vous avez peur! Eh bien, si vous ne partez pas à
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l'instant même, je vous fais arrêter par l'ordre de la reine, et
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je vous fais mettre à cette Bastille que vous craignez tant.»
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Bonacieux tomba dans une réflexion profonde, il pesa mûrement les
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deux colères dans son cerveau, celle du cardinal et celle de la
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reine: celle du cardinal l'emporta énormément.
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«Faites-moi arrêter de la part de la reine, dit-il, et moi je me
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réclamerai de Son Éminence.»
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Pour le coup, Mme Bonacieux vit qu'elle avait été trop loin, et
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elle fut épouvantée de s'être si fort avancée. Elle contempla un
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instant avec effroi cette figure stupide, d'une résolution
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invincible, comme celle des sots qui ont peur.
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«Eh bien, soit! dit-elle. Peut-être, au bout du compte, avez-vous
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raison: un homme en sait plus long que les femmes en politique, et
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vous surtout, monsieur Bonacieux, qui avez causé avec le cardinal.
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Et cependant, il est bien dur, ajouta-t-elle, que mon mari, un
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homme sur l'affection duquel je croyais pouvoir compter, me traite
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aussi disgracieusement et ne satisfasse point à ma fantaisie.
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-- C'est que vos fantaisies peuvent mener trop loin, reprit
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Bonacieux triomphant, et je m'en défie.
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-- J'y renoncerai donc, dit la jeune femme en soupirant; c'est
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bien, n'en parlons plus.
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-- Si, au moins, vous me disiez quelle chose je vais faire à
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Londres, reprit Bonacieux, qui se rappelait un peu tard que
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Rochefort lui avait recommandé d'essayer de surprendre les secrets
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de sa femme.
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-- Il est inutile que vous le sachiez, dit la jeune femme, qu'une
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défiance instinctive repoussait maintenant en arrière: il
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s'agissait d'une bagatelle comme en désirent les femmes, d'une
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emplette sur laquelle il y avait beaucoup à gagner.»
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Mais plus la jeune femme se défendait, plus au contraire Bonacieux
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pensa que le secret qu'elle refusait de lui confier était
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important. Il résolut donc de courir à l'instant même chez le
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comte de Rochefort, et de lui dire que la reine cherchait un
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messager pour l'envoyer à Londres.
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«Pardon, si je vous quitte, ma chère madame Bonacieux, dit-il;
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mais, ne sachant pas que vous me viendriez voir, j'avais pris
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rendez-vous avec un de mes amis, je reviens à l'instant même, et
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si vous voulez m'attendre seulement une demi-minute, aussitôt que
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j'en aurai fini avec cet ami, je reviens vous prendre, et, comme
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il commence à se faire tard, je vous reconduis au Louvre.
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-- Merci, monsieur, répondit Mme Bonacieux: vous n'êtes point
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assez brave pour m'être d'une utilité quelconque, et je m'en
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retournerai bien au Louvre toute seule.
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-- Comme il vous plaira, madame Bonacieux, reprit l'ex-mercier.
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Vous reverrai-je bientôt?
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-- Sans doute; la semaine prochaine, je l'espère, mon service me
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laissera quelque liberté, et j'en profiterai pour revenir mettre
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de l'ordre dans nos affaires, qui doivent être quelque peu
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dérangées.
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-- C'est bien; je vous attendrai. Vous ne m'en voulez pas?
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-- Moi! pas le moins du monde.
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-- À bientôt, alors?
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-- À bientôt.»
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Bonacieux baisa la main de sa femme, et s'éloigna rapidement.
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«Allons, dit Mme Bonacieux, lorsque son mari eut refermé la porte
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de la rue, et qu'elle se trouva seule, il ne manquait plus à cet
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imbécile que d'être cardinaliste! Et moi qui avais répondu à la
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reine, moi qui avais promis à ma pauvre maîtresse... Ah! mon Dieu,
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mon Dieu! elle va me prendre pour quelqu'une de ces misérables
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dont fourmille le palais, et qu'on a placées près d'elle pour
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l'espionner! Ah! monsieur Bonacieux! je ne vous ai jamais beaucoup
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aimé; maintenant, c'est bien pis: je vous hais! et, sur ma parole,
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vous me le paierez!»
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Au moment où elle disait ces mots, un coup frappé au plafond lui
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fit lever la tête, et une voix, qui parvint à elle à travers le
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plancher, lui cria:
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«Chère madame Bonacieux, ouvrez-moi la petite porte de l'allée, et
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je vais descendre près de vous.»
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CHAPITRE XVIII
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L'AMANT ET LE MARI
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«Ah! madame, dit d'Artagnan en entrant par la porte que lui
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ouvrait la jeune femme, permettez-moi de vous le dire, vous avez
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là un triste mari.
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-- Vous avez donc entendu notre conversation? demanda vivement
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Mme Bonacieux en regardant d'Artagnan avec inquiétude.
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-- Tout entière.
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-- Mais comment cela? mon Dieu!
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-- Par un procédé à moi connu, et par lequel j'ai entendu aussi la
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conversation plus animée que vous avez eue avec les sbires du
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cardinal.
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-- Et qu'avez-vous compris dans ce que nous disions?
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-- Mille choses: d'abord, que votre mari est un niais et un sot,
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|
heureusement; puis, que vous étiez embarrassée, ce dont j'ai été
|
|
fort aise, et que cela me donne une occasion de me mettre à votre
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|
service, et Dieu sait si je suis prêt à me jeter dans le feu pour
|
|
vous; enfin que la reine a besoin qu'un homme brave, intelligent
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et dévoué fasse pour elle un voyage à Londres. J'ai au moins deux
|
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des trois qualités qu'il vous faut, et me voilà.»
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Mme Bonacieux ne répondit pas, mais son coeur battait de joie, et
|
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une secrète espérance brilla à ses yeux.
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|
«Et quelle garantie me donnerez-vous, demanda-t-elle, si je
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consens à vous confier cette mission?
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-- Mon amour pour vous. Voyons, dites, ordonnez: que faut-il
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faire?
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-- Mon Dieu! mon Dieu! murmura la jeune femme, dois-je vous
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confier un pareil secret, monsieur? Vous êtes presque un enfant!
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-- Allons, je vois qu'il vous faut quelqu'un qui vous réponde de
|
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moi.
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-- J'avoue que cela me rassurerait fort.
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-- Connaissez-vous Athos?
|
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|
-- Non.
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|
-- Porthos?
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|
|
-- Non.
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-- Aramis?
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|
|
-- Non. Quels sont ces messieurs?
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|
-- Des mousquetaires du roi. Connaissez-vous M. de Tréville, leur
|
|
capitaine?
|
|
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|
-- Oh! oui, celui-là, je le connais, non pas personnellement, mais
|
|
pour en avoir entendu plus d'une fois parler à la reine comme d'un
|
|
brave et loyal gentilhomme.
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-- Vous ne craignez pas que lui vous trahisse pour le cardinal,
|
|
n'est-ce pas?
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-- Oh! non, certainement.
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-- Eh bien, révélez-lui votre secret, et demandez-lui, si
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|
important, si précieux, si terrible qu'il soit, si vous pouvez me
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|
le confier.
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-- Mais ce secret ne m'appartient pas, et je ne puis le révéler
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|
ainsi.
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-- Vous l'alliez bien confier à M. Bonacieux, dit d'Artagnan avec
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dépit.
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-- Comme on confie une lettre au creux d'un arbre, à l'aile d'un
|
|
pigeon, au collier d'un chien.
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-- Et cependant, moi, vous voyez bien que je vous aime.
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-- Vous le dites.
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-- Je suis un galant homme!
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|
-- Je le crois.
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-- Je suis brave!
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|
-- Oh! cela, j'en suis sûre.
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|
-- Alors, mettez-moi donc à l'épreuve.»
|
|
|
|
Mme Bonacieux regarda le jeune homme, retenue par une dernière
|
|
hésitation. Mais il y avait une telle ardeur dans ses yeux, une
|
|
telle persuasion dans sa voix, qu'elle se sentit entraînée à se
|
|
fier à lui. D'ailleurs elle se trouvait dans une de ces
|
|
circonstances où il faut risquer le tout pour le tout. La reine
|
|
était aussi bien perdue par une trop grande retenue que par une
|
|
trop grande confiance. Puis, avouons-le, le sentiment involontaire
|
|
qu'elle éprouvait pour ce jeune protecteur la décida à parler.
|
|
|
|
«Écoutez, lui dit-elle, je me rends à vos protestations et je cède
|
|
à vos assurances. Mais je vous jure devant Dieu qui nous entend,
|
|
que si vous me trahissez et que mes ennemis me pardonnent, je me
|
|
tuerai en vous accusant de ma mort.
|
|
|
|
-- Et moi, je vous jure devant Dieu, madame, dit d'Artagnan, que
|
|
si je suis pris en accomplissant les ordres que vous me donnez, je
|
|
mourrai avant de rien faire ou dire qui compromette quelqu'un.»
|
|
|
|
Alors la jeune femme lui confia le terrible secret dont le hasard
|
|
lui avait déjà révélé une partie en face de la Samaritaine. Ce fut
|
|
leur mutuelle déclaration d'amour.
|
|
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|
D'Artagnan rayonnait de joie et d'orgueil. Ce secret qu'il
|
|
possédait, cette femme qu'il aimait, la confiance et l'amour,
|
|
faisaient de lui un géant.
|
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|
|
«Je pars, dit-il, je pars sur-le-champ.
|
|
|
|
-- Comment! vous partez! s'écria Mme Bonacieux, et votre régiment,
|
|
votre capitaine?
|
|
|
|
-- Sur mon âme, vous m'aviez fait oublier tout cela, chère
|
|
Constance! oui, vous avez raison, il me faut un congé.
|
|
|
|
-- Encore un obstacle, murmura Mme Bonacieux avec douleur.
|
|
|
|
-- Oh! celui-là, s'écria d'Artagnan après un moment de réflexion,
|
|
je le surmonterai, soyez tranquille.
|
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|
-- Comment cela?
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-- J'irai trouver ce soir même M. de Tréville, que je chargerai de
|
|
demander pour moi cette faveur à son beau-frère, M. des Essarts.
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|
|
-- Maintenant, autre chose.
|
|
|
|
-- Quoi? demanda d'Artagnan, voyant que Mme Bonacieux hésitait à
|
|
continuer.
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-- Vous n'avez peut-être pas d'argent?
|
|
|
|
-- Peut-être est de trop, dit d'Artagnan en souriant.
|
|
|
|
-- Alors, reprit Mme Bonacieux en ouvrant une armoire et en tirant
|
|
de cette armoire le sac qu'une demi-heure auparavant caressait si
|
|
amoureusement son mari, prenez ce sac.
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|
|
-- Celui du cardinal! s'écria en éclatant de rire d'Artagnan qui,
|
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comme on s'en souvient, grâce à ses carreaux enlevés, n'avait pas
|
|
perdu une syllabe de la conversation du mercier et de sa femme.
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|
|
|
-- Celui du cardinal, répondit Mme Bonacieux; vous voyez qu'il se
|
|
présente sous un aspect assez respectable.
|
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|
-- Pardieu! s'écria d'Artagnan, ce sera une chose doublement
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|
divertissante que de sauver la reine avec l'argent de Son
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|
Éminence!
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|
-- Vous êtes un aimable et charmant jeune homme, dit
|
|
Mme Bonacieux. Croyez que Sa Majesté ne sera point ingrate.
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|
-- Oh! je suis déjà grandement récompensé! s'écria d'Artagnan. Je
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|
vous aime, vous me permettez de vous le dire; c'est déjà plus de
|
|
bonheur que je n'en osais espérer.
|
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|
-- Silence! dit Mme Bonacieux en tressaillant.
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|
-- Quoi?
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-- On parle dans la rue.
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-- C'est la voix...
|
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|
-- De mon mari. Oui, je l'ai reconnue!»
|
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|
D'Artagnan courut à la porte et poussa le verrou.
|
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«Il n'entrera pas que je ne sois parti, dit-il, et quand je serai
|
|
parti, vous lui ouvrirez.
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|
-- Mais je devrais être partie aussi, moi. Et la disparition de
|
|
cet argent, comment la justifier si je suis là?
|
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-- Vous avez raison, il faut sortir.
|
|
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-- Sortir, comment? On nous verra si nous sortons.
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|
-- Alors il faut monter chez moi.
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|
|
|
-- Ah! s'écria Mme Bonacieux, vous me dites cela d'un ton qui me
|
|
fait peur.»
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|
Mme Bonacieux prononça ces paroles avec une larme dans les yeux.
|
|
D'Artagnan vit cette larme, et, troublé, attendri, il se jeta à
|
|
ses genoux.
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«Chez moi, dit-il, vous serez en sûreté comme dans un temple, je
|
|
vous en donne ma parole de gentilhomme.
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|
-- Partons, dit-elle, je me fie à vous, mon ami.»
|
|
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|
D'Artagnan rouvrit avec précaution le verrou, et tous deux, légers
|
|
comme des ombres, se glissèrent par la porte intérieure dans
|
|
l'allée, montèrent sans bruit l'escalier et rentrèrent dans la
|
|
chambre de d'Artagnan.
|
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|
Une fois chez lui, pour plus de sûreté, le jeune homme barricada
|
|
la porte; ils s'approchèrent tous deux de la fenêtre, et par une
|
|
fente du volet ils virent M. Bonacieux qui causait avec un homme
|
|
en manteau.
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|
|
À la vue de l'homme en manteau, d'Artagnan bondit, et, tirant son
|
|
épée à demi, s'élança vers la porte.
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C'était l'homme de Meung.
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|
«Qu'allez-vous faire? s'écria Mme Bonacieux; vous nous perdez.
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-- Mais j'ai juré de tuer cet homme! dit d'Artagnan.
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|
|
|
-- Votre vie est vouée en ce moment et ne vous appartient pas. Au
|
|
nom de la reine, je vous défends de vous jeter dans aucun péril
|
|
étranger à celui du voyage.
|
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|
-- Et en votre nom, n'ordonnez-vous rien?
|
|
|
|
-- En mon nom, dit Mme Bonacieux avec une vive émotion; en mon
|
|
nom, je vous en prie. Mais écoutons, il me semble qu'ils parlent
|
|
de moi.»
|
|
|
|
D'Artagnan se rapprocha de la fenêtre et prêta l'oreille.
|
|
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|
M. Bonacieux avait rouvert sa porte, et voyant l'appartement vide,
|
|
il était revenu à l'homme au manteau qu'un instant il avait laissé
|
|
seul.
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|
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|
«Elle est partie, dit-il, elle sera retournée au Louvre.
|
|
|
|
-- Vous êtes sûr, répondit l'étranger, qu'elle ne s'est pas doutée
|
|
dans quelles intentions vous êtes sorti?
|
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|
|
-- Non, répondit Bonacieux avec suffisance; c'est une femme trop
|
|
superficielle.
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|
|
|
-- Le cadet aux gardes est-il chez lui?
|
|
|
|
-- Je ne le crois pas; comme vous le voyez, son volet est fermé,
|
|
et l'on ne voit aucune lumière briller à travers les fentes.
|
|
|
|
-- C'est égal, il faudrait s'en assurer.
|
|
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|
-- Comment cela?
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-- En allant frapper à sa porte.
|
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|
-- Je demanderai à son valet.
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|
|
-- Allez.»
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|
Bonacieux rentra chez lui, passa par la même porte qui venait de
|
|
donner passage aux deux fugitifs, monta jusqu'au palier de
|
|
d'Artagnan et frappa.
|
|
|
|
Personne ne répondit. Porthos, pour faire plus grande figure,
|
|
avait emprunté ce soir-là Planchet. Quant à d'Artagnan, il n'avait
|
|
garde de donner signe d'existence.
|
|
|
|
Au moment où le doigt de Bonacieux résonna sur la porte, les deux
|
|
jeunes gens sentirent bondir leurs coeurs.
|
|
|
|
«Il n'y a personne chez lui, dit Bonacieux.
|
|
|
|
-- N'importe, rentrons toujours chez vous, nous serons plus en
|
|
sûreté que sur le seuil d'une porte.
|
|
|
|
-- Ah! mon Dieu! murmura Mme Bonacieux, nous n'allons plus rien
|
|
entendre.
|
|
|
|
-- Au contraire, dit d'Artagnan, nous n'entendrons que mieux.»
|
|
|
|
D'Artagnan enleva les trois ou quatre carreaux qui faisaient de sa
|
|
chambre une autre oreille de Denys, étendit un tapis à terre, se
|
|
mit à genoux, et fit signe à Mme Bonacieux de se pencher, comme il
|
|
le faisait vers l'ouverture.
|
|
|
|
«Vous êtes sûr qu'il n'y a personne? dit l'inconnu.
|
|
|
|
-- J'en réponds, dit Bonacieux.
|
|
|
|
-- Et vous pensez que votre femme?...
|
|
|
|
-- Est retournée au Louvre.
|
|
|
|
-- Sans parler à aucune personne qu'à vous?
|
|
|
|
-- J'en suis sûr.
|
|
|
|
-- C'est un point important, comprenez-vous?
|
|
|
|
-- Ainsi, la nouvelle que je vous ai apportée a donc une
|
|
valeur...?
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|
|
|
-- Très grande, mon cher Bonacieux, je ne vous le cache pas.
|
|
|
|
-- Alors le cardinal sera content de moi?
|
|
|
|
-- Je n'en doute pas.
|
|
|
|
-- Le grand cardinal!
|
|
|
|
-- Vous êtes sûr que, dans sa conversation avec vous, votre femme
|
|
n'a pas prononcé de noms propres?
|
|
|
|
-- Je ne crois pas.
|
|
|
|
-- Elle n'a nommé ni Mme de Chevreuse, ni M. de Buckingham, ni
|
|
Mme de Vernet?
|
|
|
|
-- Non, elle m'a dit seulement qu'elle voulait m'envoyer à Londres
|
|
pour servir les intérêts d'une personne illustre.»
|
|
|
|
«Le traître! murmura Mme Bonacieux.
|
|
|
|
-- Silence!» dit d'Artagnan en lui prenant une main qu'elle lui
|
|
abandonna sans y penser.
|
|
|
|
«N'importe, continua l'homme au manteau, vous êtes un niais de
|
|
n'avoir pas feint d'accepter la commission, vous auriez la lettre
|
|
à présent; État qu'on menace était sauvé, et vous...
|
|
|
|
-- Et moi?
|
|
|
|
-- Eh bien, vous! le cardinal vous donnait des lettres de
|
|
noblesse...
|
|
|
|
-- Il vous l'a dit?
|
|
|
|
-- Oui, je sais qu'il voulait vous faire cette surprise.
|
|
|
|
-- Soyez tranquille, reprit Bonacieux; ma femme m'adore, et il est
|
|
encore temps.»
|
|
|
|
«Le niais! murmura Mme Bonacieux.
|
|
|
|
-- Silence!» dit d'Artagnan en lui serrant plus fortement la main.
|
|
|
|
«Comment est-il encore temps? reprit l'homme au manteau.
|
|
|
|
-- Je retourne au Louvre, je demande Mme Bonacieux, je dis que
|
|
j'ai réfléchi, je renoue l'affaire, j'obtiens la lettre, et je
|
|
cours chez le cardinal.
|
|
|
|
-- Eh bien, allez vite; je reviendrai bientôt savoir le résultat
|
|
de votre démarche.»
|
|
|
|
L'inconnu sortit.
|
|
|
|
«L'infâme! dit Mme Bonacieux en adressant encore cette épithète à
|
|
son mari.
|
|
|
|
-- Silence!» répéta d'Artagnan en lui serrant la main plus
|
|
fortement encore.
|
|
|
|
Un hurlement terrible interrompit alors les réflexions de
|
|
d'Artagnan et de Mme Bonacieux. C'était son mari, qui s'était
|
|
aperçu de la disparition de son sac et qui criait au voleur.
|
|
|
|
«Oh! mon Dieu! s'écria Mme Bonacieux, il va ameuter tout le
|
|
quartier.»
|
|
|
|
Bonacieux cria longtemps; mais comme de pareils cris, attendu leur
|
|
fréquence, n'attiraient personne dans la rue des Fossoyeurs, et
|
|
que d'ailleurs la maison du mercier était depuis quelque temps
|
|
assez mal famée, voyant que personne ne venait, il sortit en
|
|
continuant de crier, et l'on entendit sa voix qui s'éloignait dans
|
|
la direction de la rue du Bac.
|
|
|
|
«Et maintenant qu'il est parti, à votre tour de vous éloigner, dit
|
|
Mme Bonacieux; du courage, mais surtout de la prudence, et songez
|
|
que vous vous devez à la reine.
|
|
|
|
-- À elle et à vous! s'écria d'Artagnan. Soyez tranquille, belle
|
|
Constance, je reviendrai digne de sa reconnaissance; mais
|
|
reviendrai-je aussi digne de votre amour?»
|
|
|
|
La jeune femme ne répondit que par la vive rougeur qui colora ses
|
|
joues. Quelques instants après, d'Artagnan sortit à son tour,
|
|
enveloppé, lui aussi, d'un grand manteau que retroussait
|
|
cavalièrement le fourreau d'une longue épée.
|
|
|
|
Mme Bonacieux le suivit des yeux avec ce long regard d'amour dont
|
|
la femme accompagne l'homme qu'elle se sent aimer; mais lorsqu'il
|
|
eut disparu à l'angle de la rue, elle tomba à genoux, et joignant
|
|
les mains:
|
|
|
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«O mon Dieu! s'écria-t-elle, protégez la reine, protégez-moi!»
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CHAPITRE XIX
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PLAN DE CAMPAGNE
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D'Artagnan se rendit droit chez M. de Tréville. Il avait réfléchi
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que, dans quelques minutes, le cardinal serait averti par ce damné
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inconnu, qui paraissait être son agent, et il pensait avec raison
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qu'il n'y avait pas un instant à perdre.
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Le coeur du jeune homme débordait de joie. Une occasion où il y
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avait à la fois gloire à acquérir et argent à gagner se présentait
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à lui, et, comme premier encouragement, venait de le rapprocher
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d'une femme qu'il adorait. Ce hasard faisait donc presque du
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premier coup, pour lui, plus qu'il n'eût osé demander à la
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Providence.
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M. de Tréville était dans son salon avec sa cour habituelle de
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gentilshommes. D'Artagnan, que l'on connaissait comme un familier
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de la maison, alla droit à son cabinet et le fit prévenir qu'il
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l'attendait pour chose d'importance.
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D'Artagnan était là depuis cinq minutes à peine, lorsque
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M. de Tréville entra. Au premier coup d'oeil et à la joie qui se
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peignait sur son visage, le digne capitaine comprit qu'il se
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passait effectivement quelque chose de nouveau.
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Tout le long de la route, d'Artagnan s'était demandé s'il se
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confierait à M. de Tréville, ou si seulement il lui demanderait de
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lui accorder carte blanche pour une affaire secrète. Mais
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M. de Tréville avait toujours été si parfait pour lui, il était si
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fort dévoué au roi et à la reine, il haïssait si cordialement le
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cardinal, que le jeune homme résolut de tout lui dire.
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«Vous m'avez fait demander, mon jeune ami? dit M. de Tréville.
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-- Oui, monsieur, dit d'Artagnan, et vous me pardonnerez, je
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l'espère, de vous avoir dérangé, quand vous saurez de quelle chose
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importante il est question.
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-- Dites alors, je vous écoute.
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-- Il ne s'agit de rien de moins, dit d'Artagnan, en baissant la
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voix, que de l'honneur et peut-être de la vie de la reine.
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-- Que dites-vous là? demanda M. de Tréville en regardant tout
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autour de lui s'ils étaient bien seuls, et en ramenant son regard
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interrogateur sur d'Artagnan.
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-- Je dis, monsieur, que le hasard m'a rendu maître d'un secret...
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-- Que vous garderez, j'espère, jeune homme, sur votre vie.
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-- Mais que je dois vous confier, à vous, Monsieur, car vous seul
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pouvez m'aider dans la mission que je viens de recevoir de
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Sa Majesté.
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-- Ce secret est-il à vous?
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-- Non, monsieur, c'est celui de la reine.
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-- Êtes-vous autorisé par Sa Majesté à me le confier?
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-- Non, monsieur, car au contraire le plus profond mystère m'est
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recommandé.
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-- Et pourquoi donc allez-vous le trahir vis-à-vis de moi?
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-- Parce que, je vous le dis, sans vous je ne puis rien, et que
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j'ai peur que vous ne me refusiez la grâce que je viens vous
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demander, si vous ne savez pas dans quel but je vous la demande.
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-- Gardez votre secret, jeune homme, et dites-moi ce que vous
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désirez.
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-- Je désire que vous obteniez pour moi, de M. des Essarts, un
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congé de quinze jours.
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-- Quand cela?
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-- Cette nuit même.
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-- Vous quittez Paris?
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-- Je vais en mission.
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-- Pouvez-vous me dire où?
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-- À Londres.
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-- Quelqu'un a-t-il intérêt à ce que vous n'arriviez pas à votre
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but?
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-- Le cardinal, je le crois, donnerait tout au monde pour
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m'empêcher de réussir.
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-- Et vous partez seul?
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-- Je pars seul.
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-- En ce cas, vous ne passerez pas Bondy; c'est moi qui vous le
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dis, foi de Tréville.
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-- Comment cela?
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-- On vous fera assassiner.
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-- Je serai mort en faisant mon devoir.
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-- Mais votre mission ne sera pas remplie.
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-- C'est vrai, dit d'Artagnan.
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-- Croyez-moi, continua Tréville, dans les entreprises de ce
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genre, il faut être quatre pour arriver un.
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-- Ah! vous avez raison, Monsieur, dit d'Artagnan; mais vous
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connaissez Athos, Porthos et Aramis, et vous savez si je puis
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disposer d'eux.
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-- Sans leur confier le secret que je n'ai pas voulu savoir?
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-- Nous nous sommes juré, une fois pour toutes, confiance aveugle
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et dévouement à toute épreuve; d'ailleurs vous pouvez leur dire
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que vous avez toute confiance en moi, et ils ne seront pas plus
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incrédules que vous.
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-- Je puis leur envoyer à chacun un congé de quinze jours, voilà
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tout: à Athos, que sa blessure fait toujours souffrir, pour aller
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aux eaux de Forges! à Porthos et à Aramis, pour suivre leur ami,
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qu'ils ne veulent pas abandonner dans une si douloureuse position.
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L'envoi de leur congé sera la preuve que j'autorise leur voyage.
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-- Merci, monsieur, et vous êtes cent fois bon.
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-- Allez donc les trouver à l'instant même, et que tout s'exécute
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cette nuit. Ah! et d'abord écrivez-moi votre requête à M. des
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Essarts. Peut-être aviez-vous un espion à vos trousses, et votre
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visite, qui dans ce cas est déjà connue du cardinal, sera
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légitimée ainsi.»
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D'Artagnan formula cette demande, et M. de Tréville, en la
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recevant de ses mains, assura qu'avant deux heures du matin les
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quatre congés seraient au domicile respectif des voyageurs.
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«Ayez la bonté d'envoyer le mien chez Athos, dit d'Artagnan. Je
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craindrais, en rentrant chez moi, d'y faire quelque mauvaise
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rencontre.
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-- Soyez tranquille. Adieu et bon voyage! À propos!» dit
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M. de Tréville en le rappelant.
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D'Artagnan revint sur ses pas.
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«Avez-vous de l'argent?»
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D'Artagnan fit sonner le sac qu'il avait dans sa poche.
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«Assez? demanda M. de Tréville.
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-- Trois cents pistoles.
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-- C'est bien, on va au bout du monde avec cela; allez donc.»
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D'Artagnan salua M. de Tréville, qui lui tendit la main;
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d'Artagnan la lui serra avec un respect mêlé de reconnaissance.
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Depuis qu'il était arrivé à Paris, il n'avait eu qu'à se louer de
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cet excellent homme, qu'il avait toujours trouvé digne, loyal et
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grand.
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Sa première visite fut pour Aramis; il n'était pas revenu chez son
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ami depuis la fameuse soirée où il avait suivi Mme Bonacieux. Il y
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a plus: à peine avait-il vu le jeune mousquetaire, et à chaque
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fois qu'il l'avait revu, il avait cru remarquer une profonde
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tristesse empreinte sur son visage.
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Ce soir encore, Aramis veillait sombre et rêveur; d'Artagnan lui
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fit quelques questions sur cette mélancolie profonde; Aramis
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s'excusa sur un commentaire du dix-huitième chapitre de saint
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Augustin qu'il était forcé d'écrire en latin pour la semaine
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suivante, et qui le préoccupait beaucoup.
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Comme les deux amis causaient depuis quelques instants, un
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serviteur de M. de Tréville entra porteur d'un paquet cacheté.
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«Qu'est-ce là? demanda Aramis.
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-- Le congé que monsieur a demandé, répondit le laquais.
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-- Moi, je n'ai pas demandé de congé.
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-- Taisez-vous et prenez, dit d'Artagnan. Et vous, mon ami, voici
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une demi-pistole pour votre peine; vous direz à M. de Tréville que
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M. Aramis le remercie bien sincèrement. Allez.»
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Le laquais salua jusqu'à terre et sortit.
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«Que signifie cela? demanda Aramis.
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-- Prenez ce qu'il vous faut pour un voyage de quinze jours, et
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suivez-moi.
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-- Mais je ne puis quitter Paris en ce moment, sans savoir...»
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Aramis s'arrêta.
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«Ce qu'elle est devenue, n'est-ce pas? continua d'Artagnan.
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-- Qui? reprit Aramis.
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-- La femme qui était ici, la femme au mouchoir brodé.
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-- Qui vous a dit qu'il y avait une femme ici? répliqua Aramis en
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devenant pâle comme la mort.
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-- Je l'ai vue.
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-- Et vous savez qui elle est?
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-- Je crois m'en douter, du moins.
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-- Écoutez, dit Aramis, puisque vous savez tant de choses, savez-
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vous ce qu'est devenue cette femme?
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-- Je présume qu'elle est retournée à Tours.
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-- À Tours? oui, c'est bien cela, vous la connaissez. Mais comment
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est-elle retournée à Tours sans me rien dire?
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-- Parce qu'elle a craint d'être arrêtée.
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-- Comment ne m'a-t-elle pas écrit?
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-- Parce qu'elle craint de vous compromettre.
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-- D'Artagnan, vous me rendez la vie! s'écria Aramis. Je me
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croyais méprisé, trahi. J'étais si heureux de la revoir! Je ne
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pouvais croire qu'elle risquât sa liberté pour moi, et cependant
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pour quelle cause serait-elle revenue à Paris?
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-- Pour la cause qui aujourd'hui nous fait aller en Angleterre.
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-- Et quelle est cette cause? demanda Aramis.
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-- Vous le saurez un jour, Aramis; mais, pour le moment,
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j'imiterai la retenue de la nièce du docteur.»
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Aramis sourit, car il se rappelait le conte qu'il avait fait
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certain soir à ses amis.
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«Eh bien, donc, puisqu'elle a quitté Paris et que vous en êtes
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sûr, d'Artagnan, rien ne m'y arrête plus, et je suis prêt à vous
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suivre. Vous dites que nous allons?...
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-- Chez Athos, pour le moment, et si vous voulez venir, je vous
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invite même à vous hâter, car nous avons déjà perdu beaucoup de
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temps. À propos, prévenez Bazin.
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-- Bazin vient avec nous? demanda Aramis.
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-- Peut-être. En tout cas, il est bon qu'il nous suive pour le
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moment chez Athos.»
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Aramis appela Bazin, et après lui avoir ordonné de le venir
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joindre chez Athos:
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«Partons donc», dit-il en prenant son manteau, son épée et ses
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trois pistolets, et en ouvrant inutilement trois ou quatre tiroirs
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pour voir s'il n'y trouverait pas quelque pistole égarée. Puis,
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quand il se fut bien assuré que cette recherche était superflue,
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il suivit d'Artagnan en se demandant comment il se faisait que le
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jeune cadet aux gardes sût aussi bien que lui quelle était la
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femme à laquelle il avait donné l'hospitalité, et sût mieux que
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lui ce qu'elle était devenue.
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Seulement, en sortant, Aramis posa sa main sur le bras de
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d'Artagnan, et le regardant fixement:
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«Vous n'avez parlé de cette femme à personne? dit-il.
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-- À personne au monde.
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-- Pas même à Athos et à Porthos?
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-- Je ne leur en ai pas soufflé le moindre mot.
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-- À la bonne heure.»
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Et, tranquille sur ce point important, Aramis continua son chemin
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avec d'Artagnan, et tous deux arrivèrent bien tôt chez Athos.
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Ils le trouvèrent tenant son congé d'une main et la lettre de
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M. de Tréville de l'autre.
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«Pouvez-vous m'expliquer ce que signifient ce congé et cette
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lettre que je viens de recevoir?» dit Athos étonné.
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«Mon cher Athos, je veux bien, puisque votre santé l'exige
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absolument, que vous vous reposiez quinze jours. Allez donc
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prendre les eaux de Forges ou telles autres qui vous conviendront,
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et rétablissez-vous promptement.
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«Votre affectionné
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«Tréville»
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«Eh bien, ce congé et cette lettre signifient qu'il faut me
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suivre, Athos.
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-- Aux eaux de Forges?
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-- Là ou ailleurs.
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-- Pour le service du roi?
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-- Du roi ou de la reine: ne sommes-nous pas serviteurs de Leurs
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Majestés?»
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En ce moment, Porthos entra.
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«Pardieu, dit-il, voici une chose étrange: depuis quand, dans les
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mousquetaires, accorde-t-on aux gens des congés sans qu'ils les
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demandent?
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-- Depuis, dit d'Artagnan, qu'ils ont des amis qui les demandent
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pour eux.
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-- Ah! ah! dit Porthos, il paraît qu'il y a du nouveau ici?
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-- Oui, nous partons, dit Aramis.
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-- Pour quel pays? demanda Porthos.
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-- Ma foi, je n'en sais trop rien, dit Athos; demande cela à
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d'Artagnan.
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-- Pour Londres, messieurs, dit d'Artagnan.
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-- Pour Londres! s'écria Porthos; et qu'allons-nous faire à
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Londres?
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-- Voilà ce que je ne puis vous dire, messieurs, et il faut vous
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fier à moi.
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-- Mais pour aller à Londres, ajouta Porthos, il faut de l'argent,
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et je n'en ai pas.
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-- Ni moi, dit Aramis.
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-- Ni moi, dit Athos.
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-- J'en ai, moi, reprit d'Artagnan en tirant son trésor de sa
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poche et en le posant sur la table. Il y a dans ce sac trois cents
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pistoles; prenons-en chacun soixante-quinze; c'est autant qu'il en
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faut pour aller à Londres et pour en revenir. D'ailleurs, soyez
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tranquilles, nous n'y arriverons pas tous, à Londres.
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-- Et pourquoi cela?
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-- Parce que, selon toute probabilité, il y en aura quelques-uns
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d'entre nous qui resteront en route.
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-- Mais est-ce donc une campagne que nous entreprenons?
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-- Et des plus dangereuses, je vous en avertis.
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-- Ah çà, mais, puisque nous risquons de nous faire tuer, dit
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Porthos, je voudrais bien savoir pourquoi, au moins?
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-- Tu en seras bien plus avancé! dit Athos.
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-- Cependant, dit Aramis, je suis de l'avis de Porthos.
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-- Le roi a-t-il l'habitude de vous rendre des comptes? Non; il
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vous dit tout bonnement: "Messieurs, on se bat en Gascogne ou dans
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les Flandres; allez vous battre", et vous y allez. Pourquoi? vous
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ne vous en inquiétez même pas.
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-- D'Artagnan a raison, dit Athos, voilà nos trois congés qui
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viennent de M. de Tréville, et voilà trois cents pistoles qui
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viennent je ne sais d'où. Allons nous faire tuer où l'on nous dit
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d'aller. La vie vaut-elle la peine de faire autant de questions?
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D'Artagnan, je suis prêt à te suivre.
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-- Et moi aussi, dit Porthos.
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-- Et moi aussi, dit Aramis. Aussi bien, je ne suis pas fâché de
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|
quitter Paris. J'ai besoin de distractions.
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-- Eh bien, vous en aurez, des distractions, messieurs, soyez
|
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tranquilles, dit d'Artagnan.
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-- Et maintenant, quand partons-nous? dit Athos.
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-- Tout de suite, répondit d'Artagnan, il n'y a pas une minute à
|
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perdre.
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|
-- Holà! Grimaud, Planchet, Mousqueton, Bazin! crièrent les quatre
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jeunes gens appelant leurs laquais, graissez nos bottes et ramenez
|
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les chevaux de l'hôtel.»
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|
En effet, chaque mousquetaire laissait à l'hôtel général comme à
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une caserne son cheval et celui de son laquais.
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Planchet, Grimaud, Mousqueton et Bazin partirent en toute hâte.
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«Maintenant, dressons le plan de campagne, dit Porthos. Où allons-
|
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nous d'abord?
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-- À Calais, dit d'Artagnan; c'est la ligne la plus directe pour
|
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arriver à Londres.
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-- Eh bien, dit Porthos, voici mon avis.
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|
-- Parle.
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-- Quatre hommes voyageant ensemble seraient suspects: d'Artagnan
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nous donnera à chacun ses instructions, je partirai en avant par
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|
la route de Boulogne pour éclairer le chemin; Athos partira deux
|
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heures après par celle d'Amiens; Aramis nous suivra par celle de
|
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Noyon; quant à d'Artagnan, il partira par celle qu'il voudra, avec
|
|
les habits de Planchet, tandis que Planchet nous suivra en
|
|
d'Artagnan et avec l'uniforme des gardes.
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-- Messieurs, dit Athos, mon avis est qu'il ne convient pas de
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|
mettre en rien des laquais dans une pareille affaire: un secret
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peut par hasard être trahi par des gentilshommes, mais il est
|
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presque toujours vendu par des laquais.
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-- Le plan de Porthos me semble impraticable, dit d'Artagnan, en
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|
ce que j'ignore moi-même quelles instructions je puis vous donner.
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Je suis porteur d'une lettre, voilà tout. Je n'ai pas et ne puis
|
|
faire trois copies de cette lettre, puisqu'elle est scellée; il
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|
faut donc, à mon avis, voyager de compagnie. Cette lettre est là,
|
|
dans cette poche. Et il montra la poche où était la lettre. Si je
|
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suis tué, l'un de vous la prendra et vous continuerez la route;
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s'il est tué, ce sera le tour d'un autre, et ainsi de suite;
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|
pourvu qu'un seul arrive, c'est tout ce qu'il faut.
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|
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-- Bravo, d'Artagnan! ton avis est le mien, dit Athos. Il faut
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être conséquent, d'ailleurs: je vais prendre les eaux, vous
|
|
m'accompagnerez; au lieu des eaux de Forges, je vais prendre les
|
|
eaux de mer; je suis libre. On veut nous arrêter, je montre la
|
|
lettre de M. de Tréville, et vous montrez vos congés; on nous
|
|
attaque, nous nous défendons; on nous juge, nous soutenons
|
|
mordicus que nous n'avions d'autre intention que de nous tremper
|
|
un certain nombre de fois dans la mer; on aurait trop bon marché
|
|
de quatre hommes isolés, tandis que quatre hommes réunis font une
|
|
troupe. Nous armerons les quatre laquais de pistolets et de
|
|
mousquetons; si l'on envoie une armée contre nous, nous livrerons
|
|
bataille, et le survivant, comme l'a dit d'Artagnan, portera la
|
|
lettre.
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|
-- Bien dit, s'écria Aramis; tu ne parles pas souvent, Athos, mais
|
|
quand tu parles, c'est comme saint Jean Bouche d'or. J'adopte le
|
|
plan d'Athos. Et toi, Porthos?
|
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-- Moi aussi, dit Porthos, s'il convient à d'Artagnan. D'Artagnan,
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|
porteur de la lettre, est naturellement le chef de l'entreprise;
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|
qu'il décide, et nous exécuterons.
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-- Eh bien, dit d'Artagnan, je décide que nous adoptions le plan
|
|
d'Athos et que nous partions dans une demi-heure.
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-- Adopté!» reprirent en choeur les trois mousquetaires.
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Et chacun, allongeant la main vers le sac, prit soixante-quinze
|
|
pistoles et fit ses préparatifs pour partir à l'heure convenue.
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|
CHAPITRE XX
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|
VOYAGE
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À deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris
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|
par la barrière Saint-Denis; tant qu'il fit nuit, ils restèrent
|
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muets; malgré eux, ils subissaient l'influence de l'obscurité et
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voyaient des embûches partout.
|
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|
Aux premiers rayons du jour, leurs langues se délièrent; avec le
|
|
soleil, la gaieté revint: c'était comme à la veille d'un combat,
|
|
le coeur battait, les yeux riaient; on sentait que la vie qu'on
|
|
allait peut-être quitter était, au bout du compte, une bonne
|
|
chose.
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L'aspect de la caravane, au reste, était des plus formidables: les
|
|
chevaux noirs des mousquetaires, leur tournure martiale, cette
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|
habitude de l'escadron qui fait marcher régulièrement ces nobles
|
|
compagnons du soldat, eussent trahi le plus strict incognito.
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|
Les valets suivaient, armés jusqu'aux dents.
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|
|
Tout alla bien jusqu'à Chantilly, où l'on arriva vers les huit
|
|
heures du matin. Il fallait déjeuner. On descendit devant une
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auberge que recommandait une enseigne représentant saint Martin
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donnant la moitié de son manteau à un pauvre. On enjoignit aux
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laquais de ne pas desseller les chevaux et de se tenir prêts à
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repartir immédiatement.
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On entra dans la salle commune, et l'on se mit à table. Un
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gentilhomme, qui venait d'arriver par la route de Dammartin, était
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assis à cette même table et déjeunait. Il entama la conversation
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sur la pluie et le beau temps; les voyageurs répondirent: il but à
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leur santé; les voyageurs lui rendirent sa politesse.
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Mais au moment où Mousqueton venait annoncer que les chevaux
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étaient prêts et où l'on se levait de table l'étranger proposa à
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Porthos la santé du cardinal. Porthos répondit qu'il ne demandait
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pas mieux, si l'étranger à son tour voulait boire à la santé du
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roi. L'étranger s'écria qu'il ne connaissait d'autre roi que Son
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Éminence. Porthos l'appela ivrogne; l'étranger tira son épée.
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«Vous avez fait une sottise, dit Athos; n'importe, il n'y a plus à
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reculer maintenant: tuez cet homme et venez nous rejoindre le plus
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vite que vous pourrez.»
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Et tous trois remontèrent à cheval et repartirent à toute bride,
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tandis que Porthos promettait à son adversaire de le perforer de
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tous les coups connus dans l'escrime.
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«Et d'un! dit Athos au bout de cinq cents pas.
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-- Mais pourquoi cet homme s'est-il attaqué à Porthos plutôt qu'à
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tout autre? demanda Aramis.
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-- Parce que, Porthos parlant plus haut que nous tous il l'a pris
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pour le chef, dit d'Artagnan.
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-- J'ai toujours dit que ce cadet de Gascogne était un puits de
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sagesse», murmura Athos.
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Et les voyageurs continuèrent leur route.
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À Beauvais, on s'arrêta deux heures, tant pour faire souffler les
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chevaux que pour attendre Porthos. Au bout de deux heures, comme
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Porthos n'arrivait pas, ni aucune nouvelle de lui, on se remit en
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chemin.
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À une lieue de Beauvais, à un endroit où le chemin se trouvait
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resserré entre deux talus, on rencontra huit ou dix hommes qui,
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profitant de ce que la route était dépavée en cet endroit, avaient
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l'air d'y travailler en y creusant des trous et en pratiquant des
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ornières boueuses.
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Aramis, craignant de salir ses bottes dans ce mortier artificiel,
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les apostropha durement. Athos voulut le retenir, il était trop
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tard. Les ouvriers se mirent à railler les voyageurs, et firent
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perdre par leur insolence la tête même au froid Athos qui poussa
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son cheval contre l'un d'eux.
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Alors chacun de ces hommes recula jusqu'au fossé et y prit un
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mousquet caché; il en résulta que nos sept voyageurs furent
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littéralement passés par les armes. Aramis reçut une balle qui lui
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traversa l'épaule, et Mousqueton une autre balle qui se logea dans
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les parties charnues qui prolongent le bas des reins. Cependant
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Mousqueton seul tomba de cheval, non pas qu'il fût grièvement
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blessé, mais, comme il ne pouvait voir sa blessure, sans doute il
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crut être plus dangereusement blessé qu'il ne l'était.
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«C'est une embuscade, dit d'Artagnan, ne brûlons pas une amorce,
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et en route.»
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Aramis, tout blessé qu'il était, saisit la crinière de son cheval,
|
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qui l'emporta avec les autres. Celui de Mousqueton les avait
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rejoints, et galopait tout seul à son rang.
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«Cela nous fera un cheval de rechange, dit Athos.
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-- J'aimerais mieux un chapeau, dit d'Artagnan, le mien a été
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emporté par une balle. C'est bien heureux, ma foi, que la lettre
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que je porte n'ait pas été dedans.
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-- Ah çà, mais ils vont tuer le pauvre Porthos quand il passera,
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dit Aramis.
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-- Si Porthos était sur ses jambes, il nous aurait rejoints
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maintenant, dit Athos. M'est avis que, sur le terrain, l'ivrogne
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se sera dégrisé.»
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Et l'on galopa encore pendant deux heures, quoique les chevaux
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fussent si fatigués, qu'il était à craindre qu'ils ne refusassent
|
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bientôt le service.
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Les voyageurs avaient pris la traverse, espérant de cette façon
|
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être moins inquiétés, mais, à Crève-coeur, Aramis déclara qu'il ne
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pouvait aller plus loin. En effet, il avait fallu tout le courage
|
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qu'il cachait sous sa forme élégante et sous ses façons polies
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pour arriver jusque-là. À tout moment il pâlissait, et l'on était
|
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obligé de le soutenir sur son cheval; on le descendit à la porte
|
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d'un cabaret, on lui laissa Bazin qui, au reste, dans une
|
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escarmouche, était plus embarrassant qu'utile, et l'on repartit
|
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dans l'espérance d'aller coucher à Amiens.
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«Morbleu! dit Athos, quand ils se retrouvèrent en route, réduits à
|
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deux maîtres et à Grimaud et Planchet, morbleu! je ne serai plus
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leur dupe, et je vous réponds qu'ils ne me feront pas ouvrir la
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bouche ni tirer l'épée d'ici à Calais. J'en jure...
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-- Ne jurons pas, dit d'Artagnan, galopons, si toutefois nos
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chevaux y consentent.»
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Et les voyageurs enfoncèrent leurs éperons dans le ventre de leurs
|
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chevaux, qui, vigoureusement stimulés, retrouvèrent des forces. On
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arriva à Amiens à minuit, et l'on descendit à l'auberge du Lis
|
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d'Or.
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L'hôtelier avait l'air du plus honnête homme de la terre, il reçut
|
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les voyageurs son bougeoir d'une main et son bonnet de coton de
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l'autre; il voulut loger les deux voyageurs chacun dans une
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charmante chambre, malheureusement chacune de ces chambres était à
|
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l'extrémité de l'hôtel. D'Artagnan et Athos refusèrent; l'hôte
|
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répondit qu'il n'y en avait cependant pas d'autres dignes de Leurs
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Excellences; mais les voyageurs déclarèrent qu'ils coucheraient
|
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dans la chambre commune, chacun sur un matelas qu'on leur
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jetterait à terre. L'hôte insista, les voyageurs tinrent bon; il
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fallut faire ce qu'ils voulurent.
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Ils venaient de disposer leur lit et de barricader leur porte en
|
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dedans, lorsqu'on frappa au volet de la cour; ils demandèrent qui
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était là, reconnurent la voix de leurs valets et ouvrirent.
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En effet, c'étaient Planchet et Grimaud.
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«Grimaud suffira pour garder les chevaux, dit Planchet; si ces
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|
messieurs veulent, je coucherai en travers de leur porte; de cette
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|
façon-là, ils seront sûrs qu'on n'arrivera pas jusqu'à eux.
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-- Et sur quoi coucheras-tu? dit d'Artagnan.
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-- Voici mon lit», répondit Planchet.
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Et il montra une botte de paille.
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«Viens donc, dit d'Artagnan, tu as raison: la figure de l'hôte ne
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me convient pas, elle est trop gracieuse.
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-- Ni à moi non plus», dit Athos.
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Planchet monta par la fenêtre, s'installa en travers de la porte,
|
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tandis que Grimaud allait s'enfermer dans l'écurie, répondant qu'à
|
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cinq heures du matin lui et les quatre chevaux seraient prêts.
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La nuit fut assez tranquille, on essaya bien vers les deux heures
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du matin d'ouvrir la porte, mais comme Planchet se réveilla en
|
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sursaut et cria: Qui va là? on répondit qu'on se trompait, et on
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s'éloigna.
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À quatre heures du matin, on entendit un grand bruit dans les
|
|
écuries. Grimaud avait voulu réveiller les garçons d'écurie, et
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les garçons d'écurie le battaient. Quand on ouvrit la fenêtre, on
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vit le pauvre garçon sans connaissance, la tête fendue d'un coup
|
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de manche à fourche.
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Planchet descendit dans la cour et voulut seller les chevaux; les
|
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chevaux étaient fourbus. Celui de Mousqueton seul, qui avait
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voyagé sans maître pendant cinq ou six heures la veille, aurait pu
|
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continuer la route; mais, par une erreur inconcevable, le
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|
chirurgien vétérinaire qu'on avait envoyé chercher, à ce qu'il
|
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paraît, pour saigner le cheval de l'hôte, avait saigné celui de
|
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Mousqueton.
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Cela commençait à devenir inquiétant: tous ces accidents
|
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successifs étaient peut-être le résultat du hasard, mais ils
|
|
pouvaient tout aussi bien être le fruit d'un complot. Athos et
|
|
d'Artagnan sortirent, tandis que Planchet allait s'informer s'il
|
|
n'y avait pas trois chevaux à vendre dans les environs. À la porte
|
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étaient deux chevaux tout équipés, frais et vigoureux. Cela
|
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faisait bien l'affaire. Il demanda où étaient les maîtres; on lui
|
|
dit que les maîtres avaient passé la nuit dans l'auberge et
|
|
réglaient leur compte à cette heure avec le maître.
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|
|
Athos descendit pour payer la dépense, tandis que d'Artagnan et
|
|
Planchet se tenaient sur la porte de la rue; l'hôtelier était dans
|
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une chambre basse et reculée, on pria Athos d'y passer.
|
|
|
|
Athos entra sans défiance et tira deux pistoles pour payer: l'hôte
|
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était seul et assis devant son bureau, dont un des tiroirs était
|
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entrouvert. Il prit l'argent que lui présenta Athos, le tourna et
|
|
le retourna dans ses mains, et tout à coup, s'écriant que la pièce
|
|
était fausse, il déclara qu'il allait le faire arrêter, lui et son
|
|
compagnon, comme faux-monnayeurs.
|
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|
«Drôle! dit Athos, en marchant sur lui, je vais te couper les
|
|
oreilles!»
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|
Au même moment, quatre hommes armés jusqu'aux dents entrèrent par
|
|
les portes latérales et se jetèrent sur Athos.
|
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|
«Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons; au
|
|
large, d'Artagnan! pique, pique!» et il lâcha deux coups de
|
|
pistolet.
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|
|
|
D'Artagnan et Planchet ne se le firent pas répéter à deux fois,
|
|
ils détachèrent les deux chevaux qui attendaient à la porte,
|
|
sautèrent dessus, leur enfoncèrent leurs éperons dans le ventre et
|
|
partirent au triple galop.
|
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|
«Sais-tu ce qu'est devenu Athos? demanda d'Artagnan à Planchet en
|
|
courant.
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|
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|
-- Ah! monsieur, dit Planchet, j'en ai vu tomber deux à ses deux
|
|
coups, et il m'a semblé, à travers la porte vitrée, qu'il
|
|
ferraillait avec les autres.
|
|
|
|
-- Brave Athos! murmura d'Artagnan. Et quand on pense qu'il faut
|
|
l'abandonner! Au reste, autant nous attend peut-être à deux pas
|
|
d'ici. En avant, Planchet, en avant! tu es un brave homme.
|
|
|
|
-- Je vous l'ai dit, monsieur, répondit Planchet, les Picards, ça
|
|
se reconnaît à l'user; d'ailleurs je suis ici dans mon pays, ça
|
|
m'excite.»
|
|
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Et tous deux, piquant de plus belle, arrivèrent à Saint-Omer d'une
|
|
seule traite. À Saint-Omer, ils firent souffler les chevaux la
|
|
bride passée à leurs bras, de peur d'accident, et mangèrent un
|
|
morceau sur le pouce tout debout dans la rue; après quoi ils
|
|
repartirent.
|
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|
|
À cent pas des portes de Calais, le cheval de d'Artagnan
|
|
s'abattit, et il n'y eut pas moyen de le faire se relever: le sang
|
|
lui sortait par le nez et par les yeux, restait celui de Planchet,
|
|
mais celui-là s'était arrêté, et il n'y eut plus moyen de le faire
|
|
repartir.
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|
|
|
Heureusement, comme nous l'avons dit, ils étaient à cent pas de la
|
|
ville; ils laissèrent les deux montures sur le grand chemin et
|
|
coururent au port. Planchet fit remarquer à son maître un
|
|
gentilhomme qui arrivait avec son valet et qui ne les précédait
|
|
que d'une cinquantaine de pas.
|
|
|
|
Ils s'approchèrent vivement de ce gentilhomme, qui paraissait fort
|
|
affairé. Il avait ses bottes couvertes de poussière, et
|
|
s'informait s'il ne pourrait point passer à l'instant même en
|
|
Angleterre.
|
|
|
|
«Rien ne serait plus facile, répondit le patron d'un bâtiment prêt
|
|
à mettre à la voile; mais, ce matin, est arrivé l'ordre de ne
|
|
laisser partir personne sans une permission expresse de M. le
|
|
cardinal.
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|
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|
-- J'ai cette permission, dit le gentilhomme en tirant un papier
|
|
de sa poche; la voici.
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|
-- Faites-la viser par le gouverneur du port, dit le patron, et
|
|
donnez-moi la préférence.
|
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|
-- Où trouverai-je le gouverneur?
|
|
|
|
-- À sa campagne.
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|
-- Et cette campagne est située?
|
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À un quart de lieue de la ville; tenez, vous la voyez d'ici, au
|
|
pied de cette petite Éminence, ce toit en ardoises.
|
|
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-- Très bien!» dit le gentilhomme.
|
|
|
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Et, suivi de son laquais, il prit le chemin de la maison de
|
|
campagne du gouverneur.
|
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|
|
D'Artagnan et Planchet suivirent le gentilhomme à cinq cents pas
|
|
de distance.
|
|
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|
Une fois hors de la ville, d'Artagnan pressa le pas et rejoignit
|
|
le gentilhomme comme il entrait dans un petit bois.
|
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|
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«Monsieur, lui dit d'Artagnan, vous me paraissez fort pressé?
|
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|
-- On ne peut plus pressé, monsieur.
|
|
|
|
-- J'en suis désespéré, dit d'Artagnan, car, comme je suis très
|
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pressé aussi, je voulais vous prier de me rendre un service.
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|
-- Lequel?
|
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|
-- De me laisser passer le premier.
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-- Impossible, dit le gentilhomme, j'ai fait soixante lieues en
|
|
quarante-quatre heures, et il faut que demain à midi je sois à
|
|
Londres.
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|
|
|
-- J'ai fait le même chemin en quarante heures, et il faut que
|
|
demain à dix heures du matin je sois à Londres.
|
|
|
|
-- Désespéré, monsieur; mais je suis arrivé le premier et je ne
|
|
passerai pas le second.
|
|
|
|
-- Désespéré, monsieur; mais je suis arrivé le second et je
|
|
passerai le premier.
|
|
|
|
-- Service du roi! dit le gentilhomme.
|
|
|
|
-- Service de moi! dit d'Artagnan.
|
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|
|
-- Mais c'est une mauvaise querelle que vous me cherchez là, ce me
|
|
semble.
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-- Parbleu! que voulez-vous que ce soit?
|
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|
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-- Que désirez-vous?
|
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-- Vous voulez le savoir?
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|
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|
-- Certainement.
|
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|
-- Eh bien, je veux l'ordre dont vous êtes porteur, attendu que je
|
|
n'en ai pas, moi, et qu'il m'en faut un.
|
|
|
|
-- Vous plaisantez, je présume.
|
|
|
|
-- Je ne plaisante jamais.
|
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|
-- Laissez-moi passer!
|
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-- Vous ne passerez pas.
|
|
|
|
-- Mon brave jeune homme, je vais vous casser la tête. Holà,
|
|
Lubin! mes pistolets.
|
|
|
|
-- Planchet, dit d'Artagnan, charge-toi du valet, je me charge du
|
|
maître.»
|
|
|
|
Planchet, enhardi par le premier exploit, sauta sur Lubin, et
|
|
comme il était fort et vigoureux, il le renversa les reins contre
|
|
terre et lui mit le genou sur la poitrine.
|
|
|
|
«Faites votre affaire, monsieur, dit Planchet; moi, j'ai fait la
|
|
mienne.»
|
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|
|
Voyant cela, le gentilhomme tira son épée et fondit sur
|
|
d'Artagnan; mais il avait affaire à forte partie.
|
|
|
|
En trois secondes d'Artagnan lui fournit trois coups d'épée en
|
|
disant à chaque coup:
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|
|
|
«Un pour Athos, un pour Porthos, un pour Aramis.»
|
|
|
|
Au troisième coup, le gentilhomme tomba comme une masse.
|
|
|
|
D'Artagnan le crut mort, ou tout au moins évanoui, et s'approcha
|
|
pour lui prendre l'ordre; mais au moment où il étendait le bras
|
|
afin de le fouiller, le blessé qui n'avait pas lâché son épée, lui
|
|
porta un coup de pointe dans la poitrine en disant:
|
|
|
|
«Un pour vous.
|
|
|
|
-- Et un pour moi! au dernier les bons!» s'écria d'Artagnan
|
|
furieux, en le clouant par terre d'un quatrième coup d'épée dans
|
|
le ventre.
|
|
|
|
Cette fois, le gentilhomme ferma les yeux et s'évanouit.
|
|
|
|
D'Artagnan fouilla dans la poche où il l'avait vu remettre l'ordre
|
|
de passage, et le prit. Il était au nom du comte de Wardes.
|
|
|
|
Puis, jetant un dernier coup d'oeil sur le beau jeune homme, qui
|
|
avait vingt-cinq ans à peine et qu'il laissait là, gisant, privé
|
|
de sentiment et peut-être mort, il poussa un soupir sur cette
|
|
étrange destinée qui porte les hommes à se détruire les uns les
|
|
autres pour les intérêts de gens qui leur sont étrangers et qui
|
|
souvent ne savent pas même qu'ils existent.
|
|
|
|
Mais il fut bientôt tiré de ces réflexions par Lubin, qui poussait
|
|
des hurlements et criait de toutes ses forces au secours.
|
|
|
|
Planchet lui appliqua la main sur la gorge et serra de toutes ses
|
|
forces.
|
|
|
|
«Monsieur, dit-il, tant que je le tiendrai ainsi, il ne criera
|
|
pas, j'en suis bien sûr; mais aussitôt que je le lâcherai, il va
|
|
se remettre à crier. Je le reconnais pour un Normand et les
|
|
Normands sont entêtés.»
|
|
|
|
En effet, tout comprimé qu'il était, Lubin essayait encore de
|
|
filer des sons.
|
|
|
|
«Attends!» dit d'Artagnan.
|
|
|
|
Et prenant son mouchoir, il le bâillonna.
|
|
|
|
«Maintenant, dit Planchet, lions-le à un arbre.»
|
|
|
|
La chose fut faite en conscience, puis on tira le comte de Wardes
|
|
près de son domestique; et comme la nuit commençait à tomber et
|
|
que le garrotté et le blessé étaient tous deux à quelques pas dans
|
|
le bois, il était évident qu'ils devaient rester jusqu'au
|
|
lendemain.
|
|
|
|
«Et maintenant, dit d'Artagnan, chez le gouverneur!
|
|
|
|
-- Mais vous êtes blessé, ce me semble? dit Planchet.
|
|
|
|
-- Ce n'est rien, occupons-nous du plus pressé; puis nous
|
|
reviendrons à ma blessure, qui, au reste, ne me paraît pas très
|
|
dangereuse.»
|
|
|
|
Et tous deux s'acheminèrent à grands pas vers la campagne du digne
|
|
fonctionnaire.
|
|
|
|
On annonça M. le comte de Wardes.
|
|
|
|
D'Artagnan fut introduit.
|
|
|
|
«Vous avez un ordre signé du cardinal? dit le gouverneur.
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, répondit d'Artagnan, le voici.
|
|
|
|
-- Ah! ah! il est en règle et bien recommandé, dit le gouverneur.
|
|
|
|
-- C'est tout simple, répondit d'Artagnan, je suis de ses plus
|
|
fidèles.
|
|
|
|
-- Il paraît que Son Éminence veut empêcher quelqu'un de parvenir
|
|
en Angleterre.
|
|
|
|
-- Oui, un certain d'Artagnan, un gentilhomme béarnais qui est
|
|
parti de Paris avec trois de ses amis dans l'intention de gagner
|
|
Londres.
|
|
|
|
-- Le connaissez-vous personnellement? demanda le gouverneur.
|
|
|
|
-- Qui cela?
|
|
|
|
-- Ce d'Artagnan?
|
|
|
|
-- À merveille.
|
|
|
|
-- Donnez-moi son signalement alors.
|
|
|
|
-- Rien de plus facile.»
|
|
|
|
Et d'Artagnan donna trait pour trait le signalement du comte
|
|
de Wardes.
|
|
|
|
«Est-il accompagné? demanda le gouverneur.
|
|
|
|
-- Oui, d'un valet nommé Lubin.
|
|
|
|
-- On veillera sur eux, et si on leur met la main dessus, Son
|
|
Éminence peut être tranquille, ils seront reconduits à Paris sous
|
|
bonne escorte.
|
|
|
|
-- Et ce faisant, monsieur le gouverneur, dit d'Artagnan, vous
|
|
aurez bien mérité du cardinal.
|
|
|
|
-- Vous le reverrez à votre retour, monsieur le comte?
|
|
|
|
-- Sans aucun doute.
|
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|
-- Dites-lui, je vous prie, que je suis bien son serviteur.
|
|
|
|
-- Je n'y manquerai pas.»
|
|
|
|
Et joyeux de cette assurance, le gouverneur visa le laissez-passer
|
|
et le remit à d'Artagnan.
|
|
|
|
D'Artagnan ne perdit pas son temps en compliments inutiles, il
|
|
salua le gouverneur, le remercia et partit.
|
|
|
|
Une fois dehors, lui et Planchet prirent leur course, et faisant
|
|
un long détour, ils évitèrent le bois et rentrèrent par une autre
|
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porte.
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|
Le bâtiment était toujours prêt à partir, le patron attendait sur
|
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le port.
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«Eh bien? dit-il en apercevant d'Artagnan.
|
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|
-- Voici ma passe visée, dit celui-ci.
|
|
|
|
-- Et cet autre gentilhomme?
|
|
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-- Il ne partira pas aujourd'hui, dit d'Artagnan, mais soyez
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|
tranquille, je paierai le passage pour nous deux.
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|
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|
-- En ce cas, partons, dit le patron.
|
|
|
|
-- Partons!» répéta d'Artagnan.
|
|
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Et il sauta avec Planchet dans le canot; cinq minutes après, ils
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étaient à bord.
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Il était temps: à une demi-lieue en mer, d'Artagnan vit briller
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une lumière et entendit une détonation.
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C'était le coup de canon qui annonçait la fermeture du port.
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Il était temps de s'occuper de sa blessure; heureusement, comme
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l'avait pensé d'Artagnan, elle n'était pas des plus dangereuses:
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la pointe de l'épée avait rencontré une côte et avait glissé le
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long de l'os; de plus, la chemise s'était collée aussitôt à la
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plaie, et à peine avait-elle répandu quelques gouttes de sang.
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D'Artagnan était brisé de fatigue: on lui étendit un matelas sur
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le pont, il se jeta dessus et s'endormit.
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Le lendemain, au point du jour, il se trouva à trois ou quatre
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lieues seulement des côtes d'Angleterre; la brise avait été faible
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toute la nuit, et l'on avait peu marché.
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À dix heures, le bâtiment jetait l'ancre dans le port de Douvres.
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À dix heures et demie, d'Artagnan mettait le pied sur la terre
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d'Angleterre, en s'écriant:
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«Enfin, m'y voilà!»
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Mais ce n'était pas tout: il fallait gagner Londres. En
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Angleterre, la poste était assez bien servie. D'Artagnan et
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Planchet prirent chacun un bidet, un postillon courut devant eux;
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en quatre heures ils arrivèrent aux portes de la capitale.
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D'Artagnan ne connaissait pas Londres, d'Artagnan ne savait pas un
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mot d'anglais; mais il écrivit le nom de Buckingham sur un papier,
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et chacun lui indiqua l'hôtel du duc.
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Le duc était à la chasse à Windsor, avec le roi.
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D'Artagnan demanda le valet de chambre de confiance du duc, qui,
|
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l'ayant accompagné dans tous ses voyages, parlait parfaitement
|
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français; il lui dit qu'il arrivait de Paris pour affaire de vie
|
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et de mort, et qu'il fallait qu'il parlât à son maître à l'instant
|
|
même.
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La confiance avec laquelle parlait d'Artagnan convainquit Patrice;
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c'était le nom de ce ministre du ministre. Il fit seller deux
|
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chevaux et se chargea de conduire le jeune garde. Quant à
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Planchet, on l'avait descendu de sa monture, raide comme un jonc:
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le pauvre garçon était au bout de ses forces; d'Artagnan semblait
|
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de fer.
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On arriva au château; là on se renseigna: le roi et Buckingham
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chassaient à l'oiseau dans des marais situés à deux ou trois
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lieues de là.
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En vingt minutes on fut au lieu indiqué. Bientôt Patrice entendit
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la voix de son maître, qui appelait son faucon.
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«Qui faut-il que j'annonce à Milord duc? demanda Patrice.
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-- Le jeune homme qui, un soir, lui a cherché une querelle sur le
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Pont-Neuf, en face de la Samaritaine.
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-- Singulière recommandation!
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-- Vous verrez qu'elle en vaut bien une autre.»
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Patrice mit son cheval au galop, atteignit le duc et lui annonça
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dans les termes que nous avons dits qu'un messager l'attendait.
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Buckingham reconnut d'Artagnan à l'instant même, et se doutant que
|
|
quelque chose se passait en France dont on lui faisait parvenir la
|
|
nouvelle, il ne prit que le temps de demander où était celui qui
|
|
la lui apportait; et ayant reconnu de loin l'uniforme des gardes,
|
|
il mit son cheval au galop et vint droit à d'Artagnan. Patrice,
|
|
par discrétion, se tint à l'écart.
|
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|
«Il n'est point arrivé malheur à la reine? s'écria Buckingham,
|
|
répandant toute sa pensée et tout son amour dans cette
|
|
interrogation.
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-- Je ne crois pas; cependant je crois qu'elle court quelque grand
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péril dont Votre Grâce seule peut la tirer.
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-- Moi? s'écria Buckingham. Eh quoi! je serais assez heureux pour
|
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lui être bon à quelque chose! Parlez! parlez!
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|
-- Prenez cette lettre, dit d'Artagnan.
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|
-- Cette lettre! de qui vient cette lettre?
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-- De Sa Majesté, à ce que je pense.
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|
-- De Sa Majesté!» dit Buckingham, pâlissant si fort que
|
|
d'Artagnan crut qu'il allait se trouver mal.
|
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Et il brisa le cachet.
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|
«Quelle est cette déchirure? dit-il en montrant à d'Artagnan un
|
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endroit où elle était percée à jour.
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-- Ah! ah! dit d'Artagnan, je n'avais pas vu cela; c'est l'épée du
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|
comte de Wardes qui aura fait ce beau coup en me trouant la
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poitrine.
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|
-- Vous êtes blessé? demanda Buckingham en rompant le cachet.
|
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|
-- Oh! rien! dit d'Artagnan, une égratignure.
|
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|
-- Juste Ciel! qu'ai-je lu! s'écria le duc. Patrice, reste ici, ou
|
|
plutôt rejoins le roi partout où il sera, et dis à Sa Majesté que
|
|
je la supplie bien humblement de m'excuser, mais qu'une affaire de
|
|
la plus haute importance me rappelle à Londres. Venez, monsieur,
|
|
venez.»
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|
Et tous deux reprirent au galop le chemin de la capitale.
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|
CHAPITRE XXI
|
|
LA COMTESSE DE WINTER
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|
Tout le long de la route, le duc se fit mettre au courant par
|
|
d'Artagnan non pas de tout ce qui s'était passé, mais de ce que
|
|
d'Artagnan savait. En rapprochant ce qu'il avait entendu sortir de
|
|
la bouche du jeune homme de ses souvenirs à lui, il put donc se
|
|
faire une idée assez exacte d'une position de la gravité de
|
|
laquelle, au reste, la lettre de la reine, si courte et si peu
|
|
explicite qu'elle fût, lui donnait la mesure. Mais ce qui
|
|
l'étonnait surtout, c'est que le cardinal, intéressé comme il
|
|
l'était à ce que le jeune homme ne mît pas le pied en Angleterre,
|
|
ne fût point parvenu à l'arrêter en route. Ce fut alors, et sur la
|
|
manifestation de cet étonnement, que d'Artagnan lui raconta les
|
|
précautions prises, et comment, grâce au dévouement de ses trois
|
|
amis qu'il avait éparpillés tout sanglants sur la route, il était
|
|
arrivé à en être quitte pour le coup d'épée qui avait traversé le
|
|
billet de la reine, et qu'il avait rendu à M. de Wardes en si
|
|
terrible monnaie. Tout en écoutant ce récit, fait avec la plus
|
|
grande simplicité, le duc regardait de temps en temps le jeune
|
|
homme d'un air étonné, comme s'il n'eût pas pu comprendre que tant
|
|
de prudence, de courage et de dévouement s'alliât avec un visage
|
|
qui n'indiquait pas encore vingt ans.
|
|
|
|
Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils
|
|
furent aux portes de Londres. D'Artagnan avait cru qu'en arrivant
|
|
dans la ville le duc allait ralentir l'allure du sien, mais il
|
|
n'en fut pas ainsi: il continua sa route à fond de train,
|
|
s'inquiétant peu de renverser ceux qui étaient sur son chemin. En
|
|
effet, en traversant la Cité deux ou trois accidents de ce genre
|
|
arrivèrent; mais Buckingham ne détourna pas même la tête pour
|
|
regarder ce qu'étaient devenus ceux qu'il avait culbutés.
|
|
D'Artagnan le suivait au milieu de cris qui ressemblaient fort à
|
|
des malédictions.
|
|
|
|
En entrant dans la cour de l'hôtel, Buckingham sauta à bas de son
|
|
cheval, et, sans s'inquiéter de ce qu'il deviendrait, il lui jeta
|
|
la bride sur le cou et s'élança vers le perron. D'Artagnan en fit
|
|
autant, avec un peu plus d'inquiétude, cependant, pour ces nobles
|
|
animaux dont il avait pu apprécier le mérite; mais il eut la
|
|
consolation de voir que trois ou quatre valets s'étaient déjà
|
|
élancés des cuisines et des écuries, et s'emparaient aussitôt de
|
|
leurs montures.
|
|
|
|
Le duc marchait si rapidement, que d'Artagnan avait peine à le
|
|
suivre. Il traversa successivement plusieurs salons d'une élégance
|
|
dont les plus grands seigneurs de France n'avaient pas même
|
|
l'idée, et il parvint enfin dans une chambre à coucher qui était à
|
|
la fois un miracle de goût et de richesse. Dans l'alcôve de cette
|
|
chambre était une porte, prise dans la tapisserie, que le duc
|
|
ouvrit avec une petite clef d'or qu'il portait suspendue à son cou
|
|
par une chaîne du même métal. Par discrétion, d'Artagnan était
|
|
resté en arrière; mais au moment où Buckingham franchissait le
|
|
seuil de cette porte, il se retourna, et voyant l'hésitation du
|
|
jeune homme:
|
|
|
|
«Venez, lui dit-il, et si vous avez le bonheur d'être admis en la
|
|
présence de Sa Majesté, dites-lui ce que vous avez vu.»
|
|
|
|
Encouragé par cette invitation, d'Artagnan suivit le duc, qui
|
|
referma la porte derrière lui.
|
|
|
|
Tous deux se trouvèrent alors dans une petite chapelle toute
|
|
tapissée de soie de Perse et brochée d'or, ardemment éclairée par
|
|
un grand nombre de bougies. Au-dessus d'une espèce d'autel, et au-
|
|
dessous d'un dais de velours bleu surmonté de plumes blanches et
|
|
rouges, était un portrait de grandeur naturelle représentant Anne
|
|
d'Autriche, si parfaitement ressemblant, que d'Artagnan poussa un
|
|
cri de surprise: on eût cru que la reine allait parler.
|
|
|
|
Sur l'autel, et au-dessous du portrait, était le coffret qui
|
|
renfermait les ferrets de diamants.
|
|
|
|
Le duc s'approcha de l'autel, s'agenouilla comme eût pu faire un
|
|
prêtre devant le Christ; puis il ouvrit le coffret.
|
|
|
|
«Tenez, lui dit-il en tirant du coffre un gros noeud de ruban bleu
|
|
tout étincelant de diamants; tenez, voici ces précieux ferrets
|
|
avec lesquels j'avais fait le serment d'être enterré. La reine me
|
|
les avait donnés, la reine me les reprend: sa volonté, comme celle
|
|
de Dieu, soit faite en toutes choses.»
|
|
|
|
Puis il se mit à baiser les uns après les autres ces ferrets dont
|
|
il fallait se séparer. Tout à coup, il poussa un cri terrible.
|
|
|
|
«Qu'y a-t-il? demanda d'Artagnan avec inquiétude, et que vous
|
|
arrive-t-il, Milord?
|
|
|
|
-- Il y a que tout est perdu, s'écria Buckingham en devenant pâle
|
|
comme un trépassé; deux de ces ferrets manquent, il n'y en a plus
|
|
que dix.
|
|
|
|
-- Milord les a-t-il perdus, ou croit-il qu'on les lui ait volés?
|
|
|
|
-- On me les a volés, reprit le duc, et c'est le cardinal qui a
|
|
fait le coup. Tenez, voyez, les rubans qui les soutenaient ont été
|
|
coupés avec des ciseaux.
|
|
|
|
-- Si Milord pouvait se douter qui a commis le vol... Peut-être la
|
|
personne les a-t-elle encore entre les mains.
|
|
|
|
-- Attendez, attendez! s'écria le duc. La seule fois que j'ai mis
|
|
ces ferrets, c'était au bal du roi, il y a huit jours, à Windsor.
|
|
La comtesse de Winter, avec laquelle j'étais brouillé, s'est
|
|
rapprochée de moi à ce bal. Ce raccommodement, c'était une
|
|
vengeance de femme jalouse. Depuis ce jour, je ne l'ai pas revue.
|
|
Cette femme est un agent du cardinal.
|
|
|
|
-- Mais il en a donc dans le monde entier! s'écria d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Oh! oui, oui, dit Buckingham en serrant les dents de colère;
|
|
oui, c'est un terrible lutteur. Mais cependant, quand doit avoir
|
|
lieu ce bal?
|
|
|
|
-- Lundi prochain.
|
|
|
|
-- Lundi prochain! cinq jours encore, c'est plus de temps qu'il ne
|
|
nous en faut. Patrice! s'écria le duc en ouvrant la porte de la
|
|
chapelle, Patrice!»
|
|
|
|
Son valet de chambre de confiance parut.
|
|
|
|
«Mon joaillier et mon secrétaire!»
|
|
|
|
Le valet de chambre sortit avec une promptitude et un mutisme qui
|
|
prouvaient l'habitude qu'il avait contractée d'obéir aveuglément
|
|
et sans réplique.
|
|
|
|
Mais, quoique ce fût le joaillier qui eût été appelé le premier,
|
|
ce fut le secrétaire qui parut d'abord. C'était tout simple, il
|
|
habitait l'hôtel. Il trouva Buckingham assis devant une table dans
|
|
sa chambre à coucher, et écrivant quelques ordres de sa propre
|
|
main.
|
|
|
|
«Monsieur Jackson, lui dit-il, vous allez vous rendre de ce pas
|
|
chez le lord-chancelier, et lui dire que je le charge de
|
|
l'exécution de ces ordres. Je désire qu'ils soient promulgués à
|
|
l'instant même.
|
|
|
|
-- Mais, Monseigneur, si le lord-chancelier m'interroge sur les
|
|
motifs qui ont pu porter Votre Grâce à une mesure si
|
|
extraordinaire, que répondrai-je?
|
|
|
|
-- Que tel a été mon bon plaisir, et que je n'ai de compte à
|
|
rendre à personne de ma volonté.
|
|
|
|
-- Sera-ce la réponse qu'il devra transmettre à Sa Majesté, reprit
|
|
en souriant le secrétaire, si par hasard Sa Majesté avait la
|
|
curiosité de savoir pourquoi aucun vaisseau ne peut sortir des
|
|
ports de la Grande-Bretagne?
|
|
|
|
-- Vous avez raison, monsieur, répondit Buckingham; il dirait en
|
|
ce cas au roi que j'ai décidé la guerre, et que cette mesure est
|
|
mon premier acte d'hostilité contre la France.»
|
|
|
|
Le secrétaire s'inclina et sortit.
|
|
|
|
«Nous voilà tranquilles de ce côté, dit Buckingham en se
|
|
retournant vers d'Artagnan. Si les ferrets ne sont point déjà
|
|
partis pour la France, ils n'y arriveront qu'après vous.
|
|
|
|
-- Comment cela?
|
|
|
|
-- Je viens de mettre un embargo sur tous les bâtiments qui se
|
|
trouvent à cette heure dans les ports de Sa Majesté, et, à moins
|
|
de permission particulière, pas un seul n'osera lever l'ancre.»
|
|
|
|
D'Artagnan regarda avec stupéfaction cet homme qui mettait le
|
|
pouvoir illimité dont il était revêtu par la confiance d'un roi au
|
|
service de ses amours. Buckingham vit, à l'expression du visage du
|
|
jeune homme, ce qui se passait dans sa pensée, et il sourit.
|
|
|
|
«Oui, dit-il, oui, c'est qu'Anne d'Autriche est ma véritable
|
|
reine; sur un mot d'elle, je trahirais mon pays, je trahirais mon
|
|
roi, je trahirais mon Dieu. Elle m'a demandé de ne point envoyer
|
|
aux protestants de La Rochelle le secours que je leur avais
|
|
promis, et je l'ai fait. Je manquais à ma parole, mais qu'importe!
|
|
j'obéissais à son désir; n'ai-je point été grandement payé de mon
|
|
obéissance, dites? car c'est à cette obéissance que je dois son
|
|
portrait.»
|
|
|
|
D'Artagnan admira à quels fils fragiles et inconnus sont parfois
|
|
suspendues les destinées d'un peuple et la vie des hommes.
|
|
|
|
Il en était au plus profond de ses réflexions, lorsque l'orfèvre
|
|
entra: c'était un Irlandais des plus habiles dans son art, et qui
|
|
avouait lui-même qu'il gagnait cent mille livres par an avec le
|
|
duc de Buckingham.
|
|
|
|
«Monsieur O'Reilly, lui dit le duc en le conduisant dans la
|
|
chapelle, voyez ces ferrets de diamants, et dites-moi ce qu'ils
|
|
valent la pièce.»
|
|
|
|
L'orfèvre jeta un seul coup d'oeil sur la façon élégante dont ils
|
|
étaient montés, calcula l'un dans l'autre la valeur des diamants,
|
|
et sans hésitation aucune:
|
|
|
|
«Quinze cents pistoles la pièce, Milord, répondit-il.
|
|
|
|
-- Combien faudrait-il de jours pour faire deux ferrets comme
|
|
ceux-là? Vous voyez qu'il en manque deux.
|
|
|
|
-- Huit jours, Milord.
|
|
|
|
-- Je les paierai trois mille pistoles la pièce, il me les faut
|
|
après-demain.
|
|
|
|
-- Milord les aura.
|
|
|
|
-- Vous êtes un homme précieux, monsieur O'Reilly, mais ce n'est
|
|
pas le tout: ces ferrets ne peuvent être confiés à personne, il
|
|
faut qu'ils soient faits dans ce palais.
|
|
|
|
-- Impossible, Milord, il n'y a que moi qui puisse les exécuter
|
|
pour qu'on ne voie pas la différence entre les nouveaux et les
|
|
anciens.
|
|
|
|
-- Aussi, mon cher monsieur O'Reilly, vous êtes mon prisonnier, et
|
|
vous voudriez sortir à cette heure de mon palais que vous ne le
|
|
pourriez pas; prenez-en donc votre parti. Nommez-moi ceux de vos
|
|
garçons dont vous aurez besoin, et désignez-moi les ustensiles
|
|
qu'ils doivent apporter.»
|
|
|
|
L'orfèvre connaissait le duc, il savait que toute observation
|
|
était inutile, il en prit donc à l'instant même son parti.
|
|
|
|
«Il me sera permis de prévenir ma femme? demanda-t-il.
|
|
|
|
-- Oh! il vous sera même permis de la voir, mon cher monsieur
|
|
O'Reilly: votre captivité sera douce, soyez tranquille; et comme
|
|
tout dérangement vaut un dédommagement, voici, en dehors du prix
|
|
des deux ferrets, un bon de mille pistoles pour vous faire oublier
|
|
l'ennui que je vous cause.»
|
|
|
|
D'Artagnan ne revenait pas de la surprise que lui causait ce
|
|
ministre, qui remuait à pleines mains les hommes et les millions.
|
|
|
|
Quant à l'orfèvre, il écrivit à sa femme en lui envoyant le bon de
|
|
mille pistoles, et en la chargeant de lui retourner en échange son
|
|
plus habile apprenti, un assortiment de diamants dont il lui
|
|
donnait le poids et le titre, et une liste des outils qui lui
|
|
étaient nécessaires.
|
|
|
|
Buckingham conduisit l'orfèvre dans la chambre qui lui était
|
|
destinée, et qui, au bout d'une demi-heure, fut transformée en
|
|
atelier. Puis il mit une sentinelle à chaque porte, avec défense
|
|
de laisser entrer qui que ce fût, à l'exception de son valet de
|
|
chambre Patrice. Il est inutile d'ajouter qu'il était absolument
|
|
défendu à l'orfèvre O'Reilly et à son aide de sortir sous quelque
|
|
prétexte que ce fût. Ce point réglé, le duc revint à d'Artagnan.
|
|
|
|
«Maintenant, mon jeune ami, dit-il, l'Angleterre est à nous deux;
|
|
que voulez-vous, que désirez-vous?
|
|
|
|
-- Un lit, répondit d'Artagnan; c'est, pour le moment, je l'avoue,
|
|
la chose dont j'ai le plus besoin.»
|
|
|
|
Buckingham donna à d'Artagnan une chambre qui touchait à la
|
|
sienne. Il voulait garder le jeune homme sous sa main, non pas
|
|
qu'il se défiât de lui, mais pour avoir quelqu'un à qui parler
|
|
constamment de la reine.
|
|
|
|
Une heure après fut promulguée dans Londres l'ordonnance de ne
|
|
laisser sortir des ports aucun bâtiment chargé pour la France, pas
|
|
même le paquebot des lettres. Aux yeux de tous, c'était une
|
|
déclaration de guerre entre les deux royaumes.
|
|
|
|
Le surlendemain, à onze heures, les deux ferrets en diamants
|
|
étaient achevés, mais si exactement imités, mais si parfaitement
|
|
pareils, que Buckingham ne put reconnaître les nouveaux des
|
|
anciens, et que les plus exercés en pareille matière y auraient
|
|
été trompés comme lui.
|
|
|
|
Aussitôt il fit appeler d'Artagnan.
|
|
|
|
«Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous êtes
|
|
venu chercher, et soyez mon témoin que tout ce que la puissance
|
|
humaine pouvait faire, je l'ai fait.
|
|
|
|
-- Soyez tranquille, Milord: je dirai ce que j'ai vu; mais Votre
|
|
Grâce me remet les ferrets sans la boîte?
|
|
|
|
-- La boîte vous embarrasserait. D'ailleurs la boîte m'est
|
|
d'autant plus précieuse, qu'elle me reste seule. Vous direz que je
|
|
la garde.
|
|
|
|
-- Je ferai votre commission mot à mot, Milord.
|
|
|
|
-- Et maintenant, reprit Buckingham en regardant fixement le jeune
|
|
homme, comment m'acquitterai-je jamais envers vous?»
|
|
|
|
D'Artagnan rougit jusqu'au blanc des yeux. Il vit que le duc
|
|
cherchait un moyen de lui faire accepter quelque chose, et cette
|
|
idée que le sang de ses compagnons et le sien lui allait être payé
|
|
par de l'or anglais lui répugnait étrangement.
|
|
|
|
«Entendons-nous, Milord, répondit d'Artagnan, et pesons bien les
|
|
faits d'avance, afin qu'il n'y ait point de méprise. Je suis au
|
|
service du roi et de la reine de France, et fais partie de la
|
|
compagnie des gardes de M. des Essarts, lequel, ainsi que son
|
|
beau-frère M. de Tréville, est tout particulièrement attaché à
|
|
Leurs Majestés. J'ai donc tout fait pour la reine et rien pour
|
|
Votre Grâce. Il y a plus, c'est que peut-être n'eussé-je rien fait
|
|
de tout cela, s'il ne se fût agi d'être agréable à quelqu'un qui
|
|
est ma dame à moi, comme la reine est la vôtre.
|
|
|
|
-- Oui, dit le duc en souriant, et je crois même connaître cette
|
|
autre personne, c'est...
|
|
|
|
-- Milord, je ne l'ai point nommée, interrompit vivement le jeune
|
|
homme.
|
|
|
|
-- C'est juste, dit le duc; c'est donc à cette personne que je
|
|
dois être reconnaissant de votre dévouement.
|
|
|
|
-- Vous l'avez dit, Milord, car justement à cette heure qu'il est
|
|
question de guerre, je vous avoue que je ne vois dans votre Grâce
|
|
qu'un Anglais, et par conséquent qu'un ennemi que je serais encore
|
|
plus enchanté de rencontrer sur le champ de bataille que dans le
|
|
parc de Windsor ou dans les corridors du Louvre; ce qui, au reste,
|
|
ne m'empêchera pas d'exécuter de point en point ma mission et de
|
|
me faire tuer, si besoin est, pour l'accomplir; mais, je le répète
|
|
à Votre Grâce, sans qu'elle ait personnellement pour cela plus à
|
|
me remercier de ce que je fais pour moi dans cette seconde
|
|
entrevue, que de ce que j'ai déjà fait pour elle dans la première.
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-- Nous disons, nous: "Fier comme un Écossais", murmura
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Buckingham.
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-- Et nous disons, nous: "Fier comme un Gascon", répondit
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d'Artagnan. Les Gascons sont les Écossais de la France.»
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D'Artagnan salua le duc et s'apprêta à partir.
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«Eh bien, vous vous en allez comme cela? Par où? Comment?
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-- C'est vrai.
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-- Dieu me damne! les Français ne doutent de rien!
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-- J'avais oublié que l'Angleterre était une île, et que vous en
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étiez le roi.
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-- Allez au port, demandez le brick le _Sund_, remettez cette
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lettre au capitaine; il vous conduira à un petit port où certes on
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ne vous attend pas, et où n'abordent ordinairement que des
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bâtiments pêcheurs.
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-- Ce port s'appelle?
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-- Saint-Valery; mais, attendez donc: arrivé là, vous entrerez
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dans une mauvaise auberge sans nom et sans enseigne, un véritable
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bouge à matelots; il n'y a pas à vous tromper, il n'y en a qu'une.
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-- Après?
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-- Vous demanderez l'hôte, et vous lui direz: _Forward_.
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-- Ce qui veut dire?
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-- En avant: c'est le mot d'ordre. Il vous donnera un cheval tout
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sellé et vous indiquera le chemin que vous devez suivre; vous
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trouverez ainsi quatre relais sur votre route. Si vous voulez, à
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chacun d'eux, donner votre adresse à Paris, les quatre chevaux
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vous y suivront; vous en connaissez déjà deux, et vous m'avez paru
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les apprécier en amateur: ce sont ceux que nous montions;
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rapportez-vous en à moi, les autres ne leur sont point inférieurs.
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Ces quatre chevaux sont équipés pour la campagne. Si fier que vous
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soyez, vous ne refuserez pas d'en accepter un et de faire accepter
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les trois autres à vos compagnons: c'est pour nous faire la
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guerre, d'ailleurs. La fin excuse les moyens, comme vous dites,
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vous autres Français, n'est-ce pas?
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-- Oui, Milord, j'accepte, dit d'Artagnan; et s'il plaît à Dieu,
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nous ferons bon usage de vos présents.
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-- Maintenant, votre main, jeune homme; peut-être nous
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rencontrerons-nous bientôt sur le champ de bataille; mais, en
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attendant, nous nous quitterons bons amis, je l'espère.
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-- Oui, Milord, mais avec l'espérance de devenir ennemis bientôt.
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-- Soyez tranquille, je vous le promets.
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-- Je compte sur votre parole, Milord.»
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D'Artagnan salua le duc et s'avança vivement vers le port.
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En face la Tour de Londres, il trouva le bâtiment désigné, remit
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sa lettre au capitaine, qui la fit viser par le gouverneur du
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port, et appareilla aussitôt.
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Cinquante bâtiments étaient en partance et attendaient.
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En passant bord à bord de l'un d'eux, d'Artagnan crut reconnaître
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la femme de Meung, la même que le gentilhomme inconnu avait
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appelée «Milady», et que lui, d'Artagnan, avait trouvée si belle;
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mais grâce au courant du fleuve et au bon vent qui soufflait, son
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navire allait si vite qu'au bout d'un instant on fut hors de vue.
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Le lendemain, vers neuf heures du matin, on aborda à Saint-Valery.
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D'Artagnan se dirigea à l'instant même vers l'auberge indiquée, et
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la reconnut aux cris qui s'en échappaient: on parlait de guerre
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entre l'Angleterre et la France comme de chose prochaine et
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indubitable, et les matelots joyeux faisaient bombance.
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D'Artagnan fendit la foule, s'avança vers l'hôte, et prononça le
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mot _Forward_. À l'instant même, l'hôte lui fit signe de le
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suivre, sortit avec lui par une porte qui donnait dans la cour, le
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conduisit à l'écurie où l'attendait un cheval tout sellé, et lui
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demanda s'il avait besoin de quelque autre chose.
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«J'ai besoin de connaître la route que je dois suivre, dit
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d'Artagnan.
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-- Allez d'ici à Blangy, et de Blangy à Neufchâtel. À Neufchâtel,
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entrez à l'auberge de la Herse d'Or, donnez le mot d'ordre à
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l'hôtelier, et vous trouverez comme ici un cheval tout sellé.
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-- Dois-je quelque chose? demanda d'Artagnan.
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-- Tout est payé, dit l'hôte, et largement. Allez donc, et que
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Dieu vous conduise!
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-- Amen!» répondit le jeune homme en partant au galop.
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Quatre heures après, il était à Neufchâtel.
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Il suivit strictement les instructions reçues; à Neufchâtel, comme
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à Saint-Valery, il trouva une monture toute sellée et qui
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l'attendait; il voulut transporter les pistolets de la selle qu'il
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venait de quitter à la selle qu'il allait prendre: les fontes
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étaient garnies de pistolets pareils.
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«Votre adresse à Paris?
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-- Hôtel des Gardes, compagnie des Essarts.
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-- Bien, répondit celui-ci.
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-- Quelle route faut-il prendre? demanda à son tour d'Artagnan.
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-- Celle de Rouen; mais vous laisserez la ville à votre droite. Au
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petit village d'Écouis, vous vous arrêterez, il n'y a qu'une
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auberge, l'Écu de France. Ne la jugez pas d'après son apparence;
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elle aura dans ses écuries un cheval qui vaudra celui-ci.
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-- Même mot d'ordre?
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-- Exactement.
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-- Adieu, maître!
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-- Bon voyage, gentilhomme! avez-vous besoin de quelque chose?»
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D'Artagnan fit signe de la tête que non, et repartit à fond de
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train. À Écouis, la même scène se répéta: il trouva un hôte aussi
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prévenant, un cheval frais et reposé; il laissa son adresse comme
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il l'avait fait, et repartit du même train pour Pontoise. À
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Pontoise, il changea une dernière fois de monture, et à neuf
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heures il entrait au grand galop dans la cour de l'hôtel de
|
|
M. de Tréville.
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Il avait fait près de soixante lieues en douze heures.
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M. de Tréville le reçut comme s'il l'avait vu le matin même;
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seulement, en lui serrant la main un peu plus vivement que de
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|
coutume, il lui annonça que la compagnie de M. des Essarts était
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de garde au Louvre et qu'il pouvait se rendre à son poste.
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CHAPITRE XXII
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LE BALLET DE LA MERLAISON
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Le lendemain, il n'était bruit dans tout Paris que du bal que
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MM. les échevins de la ville donnaient au roi et à la reine, et
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dans lequel Leurs Majestés devaient danser le fameux ballet de la
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Merlaison, qui était le ballet favori du roi.
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Depuis huit jours on préparait, en effet, toutes choses à l'Hôtel
|
|
de Ville pour cette solennelle soirée. Le menuisier de la ville
|
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avait dressé des échafauds sur lesquels devaient se tenir les
|
|
dames invitées; l'épicier de la ville avait garni les salles de
|
|
deux cents flambeaux de cire blanche, ce qui était un luxe inouï
|
|
pour cette époque; enfin vingt violons avaient été prévenus, et le
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|
prix qu'on leur accordait avait été fixé au double du prix
|
|
ordinaire, attendu, dit ce rapport, qu'ils devaient sonner toute
|
|
la nuit.
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|
À dix heures du matin, le sieur de La Coste, enseigne des gardes
|
|
du roi, suivi de deux exempts et de plusieurs archers du corps,
|
|
vint demander au greffier de la ville, nommé Clément, toutes les
|
|
clefs des portes, des chambres et bureaux de l'Hôtel. Ces clefs
|
|
lui furent remises à l'instant même; chacune d'elles portait un
|
|
billet qui devait servir à la faire reconnaître, et à partir de ce
|
|
moment le sieur de La Coste fut chargé de la garde de toutes les
|
|
portes et de toutes les avenues.
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|
À onze heures vint à son tour Duhallier, capitaine des gardes,
|
|
amenant avec lui cinquante archers qui se répartirent aussitôt
|
|
dans l'Hôtel de Ville, aux portes qui leur avaient été assignées.
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À trois heures arrivèrent deux compagnies des gardes, l'une
|
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française l'autre suisse. La compagnie des gardes françaises était
|
|
composée moitié des hommes de M. Duhallier, moitié des hommes de
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|
M. des Essarts.
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|
À six heures du soir les invités commencèrent à entrer. À mesure
|
|
qu'ils entraient, ils étaient placés dans la grande salle, sur les
|
|
échafauds préparés.
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|
À neuf heures arriva Mme la Première présidente. Comme c'était,
|
|
après la reine, la personne la plus considérable de la fête, elle
|
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fut reçue par messieurs de la ville et placée dans la loge en face
|
|
de celle que devait occuper la reine.
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|
À dix heures on dressa la collation des confitures pour le roi,
|
|
dans la petite salle du côté de l'église Saint-Jean, et cela en
|
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face du buffet d'argent de la ville, qui était gardé par quatre
|
|
archers.
|
|
|
|
À minuit on entendit de grands cris et de nombreuses acclamations:
|
|
c'était le roi qui s'avançait à travers les rues qui conduisent du
|
|
Louvre à l'Hôtel de Ville, et qui étaient toutes illuminées avec
|
|
des lanternes de couleur.
|
|
|
|
Aussitôt MM. les échevins, vêtus de leurs robes de drap et
|
|
précédés de six sergents tenant chacun un flambeau à la main,
|
|
allèrent au-devant du roi, qu'ils rencontrèrent sur les degrés, où
|
|
le prévôt des marchands lui fit compliment sur sa bienvenue,
|
|
compliment auquel Sa Majesté répondit en s'excusant d'être venue
|
|
si tard, mais en rejetant la faute sur M. le cardinal, lequel
|
|
l'avait retenue jusqu'à onze heures pour parler des affaires de
|
|
l'État.
|
|
|
|
Sa Majesté, en habit de cérémonie, était accompagnée de S.A.R.
|
|
Monsieur, du comte de Soissons, du grand prieur, du duc de
|
|
Longueville, du duc d'Elbeuf, du comte d'Harcourt, du comte de La
|
|
Roche-Guyon, de M. de Liancourt, de M. de Baradas, du comte de
|
|
Cramail et du chevalier de Souveray.
|
|
|
|
Chacun remarqua que le roi avait l'air triste et préoccupé.
|
|
|
|
Un cabinet avait été préparé pour le roi, et un autre pour
|
|
Monsieur. Dans chacun de ces cabinets étaient déposés des habits
|
|
de masques. Autant avait été fait pour la reine et pour Mme la
|
|
présidente. Les seigneurs et les dames de la suite de Leurs
|
|
Majestés devaient s'habiller deux par deux dans des chambres
|
|
préparées à cet effet.
|
|
|
|
Avant d'entrer dans le cabinet, le roi recommanda qu'on le vînt
|
|
prévenir aussitôt que paraîtrait le cardinal.
|
|
|
|
Une demi-heure après l'entrée du roi, de nouvelles acclamations
|
|
retentirent: celles-là annonçaient l'arrivée de la reine: les
|
|
échevins firent ainsi qu'ils avaient fait déjà et, précédés des
|
|
sergents, ils s'avancèrent au devant de leur illustre convive.
|
|
|
|
La reine entra dans la salle: on remarqua que, comme le roi, elle
|
|
avait l'air triste et surtout fatigué.
|
|
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|
Au moment où elle entrait, le rideau d'une petite tribune qui
|
|
jusque-là était resté fermé s'ouvrit, et l'on vit apparaître la
|
|
tête pâle du cardinal vêtu en cavalier espagnol. Ses yeux se
|
|
fixèrent sur ceux de la reine, et un sourire de joie terrible
|
|
passa sur ses lèvres: la reine n'avait pas ses ferrets de
|
|
diamants.
|
|
|
|
La reine resta quelque temps à recevoir les compliments de
|
|
messieurs de la ville et à répondre aux saluts des dames.
|
|
|
|
Tout à coup, le roi apparut avec le cardinal à l'une des portes de
|
|
la salle. Le cardinal lui parlait tout bas, et le roi était très
|
|
pâle.
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|
|
|
Le roi fendit la foule et, sans masque, les rubans de son
|
|
pourpoint à peine noués, il s'approcha de la reine, et d'une voix
|
|
altérée:
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|
|
«Madame, lui dit-il, pourquoi donc, s'il vous plaît, n'avez-vous
|
|
point vos ferrets de diamants, quand vous savez qu'il m'eût été
|
|
agréable de les voir?»
|
|
|
|
La reine étendit son regard autour d'elle, et vit derrière le roi
|
|
le cardinal qui souriait d'un sourire diabolique.
|
|
|
|
«Sire, répondit la reine d'une voix altérée, parce qu'au milieu de
|
|
cette grande foule j'ai craint qu'il ne leur arrivât malheur.
|
|
|
|
-- Et vous avez eu tort, madame! Si je vous ai fait ce cadeau,
|
|
c'était pour que vous vous en pariez. Je vous dis que vous avez eu
|
|
tort.»
|
|
|
|
Et la voix du roi était tremblante de colère; chacun regardait et
|
|
écoutait avec étonnement, ne comprenant rien à ce qui se passait.
|
|
|
|
«Sire, dit la reine, je puis les envoyer chercher au Louvre, où
|
|
ils sont, et ainsi les désirs de Votre Majesté seront accomplis.
|
|
|
|
-- Faites, madame, faites, et cela au plus tôt: car dans une heure
|
|
le ballet va commencer.»
|
|
|
|
La reine salua en signe de soumission et suivit les dames qui
|
|
devaient la conduire à son cabinet.
|
|
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|
De son côté, le roi regagna le sien.
|
|
|
|
Il y eut dans la salle un moment de trouble et de confusion.
|
|
|
|
Tout le monde avait pu remarquer qu'il s'était passé quelque chose
|
|
entre le roi et la reine; mais tous deux avaient parlé si bas,
|
|
que, chacun par respect s'étant éloigné de quelques pas, personne
|
|
n'avait rien entendu. Les violons sonnaient de toutes leurs
|
|
forces, mais on ne les écoutait pas.
|
|
|
|
Le roi sortit le premier de son cabinet; il était en costume de
|
|
chasse des plus élégants, et Monsieur et les autres seigneurs
|
|
étaient habillés comme lui. C'était le costume que le roi portait
|
|
le mieux, et vêtu ainsi il semblait véritablement le premier
|
|
gentilhomme de son royaume.
|
|
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|
Le cardinal s'approcha du roi et lui remit une boîte. Le roi
|
|
l'ouvrit et y trouva deux ferrets de diamants.
|
|
|
|
«Que veut dire cela? demanda-t-il au cardinal.
|
|
|
|
-- Rien, répondit celui-ci; seulement si la reine a les ferrets,
|
|
ce dont je doute, comptez-les, Sire, et si vous n'en trouvez que
|
|
dix, demandez à Sa Majesté qui peut lui avoir dérobé les deux
|
|
ferrets que voici.»
|
|
|
|
Le roi regarda le cardinal comme pour l'interroger; mais il n'eut
|
|
le temps de lui adresser aucune question: un cri d'admiration
|
|
sortit de toutes les bouches. Si le roi semblait le premier
|
|
gentilhomme de son royaume, la reine était à coup sûr la plus
|
|
belle femme de France.
|
|
|
|
Il est vrai que sa toilette de chasseresse lui allait à merveille;
|
|
elle avait un chapeau de feutre avec des plumes bleues, un surtout
|
|
en velours gris perle rattaché avec des agrafes de diamants, et
|
|
une jupe de satin bleu toute brodée d'argent. Sur son épaule
|
|
gauche étincelaient les ferrets soutenus par un noeud de même
|
|
couleur que les plumes et la jupe.
|
|
|
|
Le roi tressaillit de joie et le cardinal de colère; cependant,
|
|
distants comme ils l'étaient de la reine, ils ne pouvaient compter
|
|
les ferrets; la reine les avait, seulement en avait-elle dix ou en
|
|
avait-elle douze?
|
|
|
|
En ce moment, les violons sonnèrent le signal du ballet. Le roi
|
|
s'avança vers Mme la présidente, avec laquelle il devait danser,
|
|
et S.A.R. Monsieur avec la reine. On se mit en place, et le ballet
|
|
commença.
|
|
|
|
Le roi figurait en face de la reine, et chaque fois qu'il passait
|
|
près d'elle, il dévorait du regard ces ferrets, dont il ne pouvait
|
|
savoir le compte. Une sueur froide couvrait le front du cardinal.
|
|
|
|
Le ballet dura une heure; il avait seize entrées.
|
|
|
|
Le ballet finit au milieu des applaudissements de toute la salle,
|
|
chacun reconduisit sa dame à sa place; mais le roi profita du
|
|
privilège qu'il avait de laisser la sienne où il se trouvait, pour
|
|
s'avancer vivement vers la reine.
|
|
|
|
«Je vous remercie, madame, lui dit-il, de la déférence que vous
|
|
avez montrée pour mes désirs, mais je crois qu'il vous manque deux
|
|
ferrets, et je vous les rapporte.»
|
|
|
|
À ces mots, il tendit à la reine les deux ferrets que lui avait
|
|
remis le cardinal.
|
|
|
|
«Comment, Sire! s'écria la jeune reine jouant la surprise, vous
|
|
m'en donnez encore deux autres; mais alors cela m'en fera donc
|
|
quatorze?»
|
|
|
|
En effet, le roi compta, et les douze ferrets se trouvèrent sur
|
|
l'épaule de Sa Majesté.
|
|
|
|
Le roi appela le cardinal:
|
|
|
|
«Eh bien, que signifie cela, monsieur le cardinal? demanda le roi
|
|
d'un ton sévère.
|
|
|
|
-- Cela signifie, Sire, répondit le cardinal, que je désirais
|
|
faire accepter ces deux ferrets à Sa Majesté, et que n'osant les
|
|
lui offrir moi-même, j'ai adopté ce moyen.
|
|
|
|
-- Et j'en suis d'autant plus reconnaissante à Votre Éminence,
|
|
répondit Anne d'Autriche avec un sourire qui prouvait qu'elle
|
|
n'était pas dupe de cette ingénieuse galanterie, que je suis
|
|
certaine que ces deux ferrets vous coûtent aussi cher à eux seuls
|
|
que les douze autres ont coûté à Sa Majesté.»
|
|
|
|
Puis, ayant salué le roi et le cardinal, la reine reprit le chemin
|
|
de la chambre où elle s'était habillée et où elle devait se
|
|
dévêtir.
|
|
|
|
L'attention que nous avons été obligés de donner pendant le
|
|
commencement de ce chapitre aux personnages illustres que nous y
|
|
avons introduits nous a écartés un instant de celui à qui Anne
|
|
d'Autriche devait le triomphe inouï qu'elle venait de remporter
|
|
sur le cardinal, et qui, confondu, ignoré, perdu dans la foule
|
|
entassée à l'une des portes, regardait de là cette scène
|
|
compréhensible seulement pour quatre personnes: le roi, la reine,
|
|
Son Éminence et lui.
|
|
|
|
La reine venait de regagner sa chambre, et d'Artagnan s'apprêtait
|
|
à se retirer, lorsqu'il sentit qu'on lui touchait légèrement
|
|
l'épaule; il se retourna, et vit une jeune femme qui lui faisait
|
|
signe de la suivre. Cette jeune femme avait le visage couvert d'un
|
|
loup de velours noir, mais malgré cette précaution, qui, au reste,
|
|
était bien plutôt prise pour les autres que pour lui, il reconnut
|
|
à l'instant même son guide ordinaire, la légère et spirituelle
|
|
Mme Bonacieux.
|
|
|
|
La veille ils s'étaient vus à peine chez le suisse Germain, où
|
|
d'Artagnan l'avait fait demander. La hâte qu'avait la jeune femme
|
|
de porter à la reine cette excellente nouvelle de l'heureux retour
|
|
de son messager fit que les deux amants échangèrent à peine
|
|
quelques paroles. D'Artagnan suivit donc Mme Bonacieux, mû par un
|
|
double sentiment, l'amour et la curiosité. Pendant toute la route,
|
|
et à mesure que les corridors devenaient plus déserts, d'Artagnan
|
|
voulait arrêter la jeune femme, la saisir, la contempler, ne fût-
|
|
ce qu'un instant; mais, vive comme un oiseau, elle glissait
|
|
toujours entre ses mains, et lorsqu'il voulait parler, son doigt
|
|
ramené sur sa bouche avec un petit geste impératif plein de charme
|
|
lui rappelait qu'il était sous l'empire d'une puissance à laquelle
|
|
il devait aveuglément obéir, et qui lui interdisait jusqu'à la
|
|
plus légère plainte; enfin, après une minute ou deux de tours et
|
|
de détours, Mme Bonacieux ouvrit une porte et introduisit le jeune
|
|
homme dans un cabinet tout à fait obscur. Là elle lui fit un
|
|
nouveau signe de mutisme, et ouvrant une seconde porte cachée par
|
|
une tapisserie dont les ouvertures répandirent tout à coup une
|
|
vive lumière, elle disparut.
|
|
|
|
D'Artagnan demeura un instant immobile et se demandant où il
|
|
était, mais bientôt un rayon de lumière qui pénétrait par cette
|
|
chambre, l'air chaud et parfumé qui arrivait jusqu'à lui, la
|
|
conversation de deux ou trois femmes, au langage à la fois
|
|
respectueux et élégant, le mot de Majesté plusieurs fois répété,
|
|
lui indiquèrent clairement qu'il était dans un cabinet attenant à
|
|
la chambre de la reine.
|
|
|
|
Le jeune homme se tint dans l'ombre et attendit.
|
|
|
|
La reine paraissait gaie et heureuse, ce qui semblait fort étonner
|
|
les personnes qui l'entouraient, et qui avaient au contraire
|
|
l'habitude de la voir presque toujours soucieuse. La reine
|
|
rejetait ce sentiment joyeux sur la beauté de la fête, sur le
|
|
plaisir que lui avait fait éprouver le ballet, et comme il n'est
|
|
pas permis de contredire une reine, qu'elle sourie ou qu'elle
|
|
pleure, chacun renchérissait sur la galanterie de MM. les échevins
|
|
de la ville de Paris.
|
|
|
|
Quoique d'Artagnan ne connût point la reine, il distingua sa voix
|
|
des autres voix, d'abord à un léger accent étranger, puis à ce
|
|
sentiment de domination naturellement empreint dans toutes les
|
|
paroles souveraines. Il l'entendait s'approcher et s'éloigner de
|
|
cette porte ouverte, et deux ou trois fois il vit même l'ombre
|
|
d'un corps intercepter la lumière.
|
|
|
|
Enfin, tout à coup une main et un bras adorables de forme et de
|
|
blancheur passèrent à travers la tapisserie; d'Artagnan comprit
|
|
que c'était sa récompense: il se jeta à genoux, saisit cette main
|
|
et appuya respectueusement ses lèvres; puis cette main se retira
|
|
laissant dans les siennes un objet qu'il reconnut pour être une
|
|
bague; aussitôt la porte se referma, et d'Artagnan se retrouva
|
|
dans la plus complète obscurité.
|
|
|
|
D'Artagnan mit la bague à son doigt et attendit de nouveau; il
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était évident que tout n'était pas fini encore.
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Après la récompense de son dévouement venait la récompense de son
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amour. D'ailleurs, le ballet était dansé, mais la soirée était à
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peine commencée: on soupait à trois heures, et l'horloge Saint-
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Jean, depuis quelque temps déjà, avait sonné deux heures trois
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quarts.
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En effet, peu à peu le bruit des voix diminua dans la chambre
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voisine; puis on l'entendit s'éloigner; puis la porte du cabinet
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où était d'Artagnan se rouvrit, et Mme Bonacieux s'y élança.
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«Vous, enfin! s'écria d'Artagnan.
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-- Silence! dit la jeune femme en appuyant sa main sur les lèvres
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du jeune homme: silence! et allez-vous-en par où vous êtes venu.
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-- Mais où et quand vous reverrai-je? s'écria d'Artagnan.
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-- Un billet que vous trouverez en rentrant vous le dira. Partez,
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partez!»
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Et à ces mots elle ouvrit la porte du corridor et poussa
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d'Artagnan hors du cabinet.
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D'Artagnan obéit comme un enfant, sans résistance et sans
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objection aucune, ce qui prouve qu'il était bien réellement
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amoureux.
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CHAPITRE XXIII
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LE RENDEZ-VOUS
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D'Artagnan revint chez lui tout courant, et quoiqu'il fût plus de
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trois heures du matin, et qu'il eût les plus méchants quartiers de
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Paris à traverser, il ne fit aucune mauvaise rencontre. On sait
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qu'il y a un dieu pour les ivrognes et les amoureux.
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Il trouva la porte de son allée entrouverte, monta son escalier,
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et frappa doucement et d'une façon convenue entre lui et son
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laquais. Planchet, qu'il avait renvoyé deux heures auparavant de
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l'Hôtel de Ville en lui recommandant de l'attendre, vint lui
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ouvrir la porte.
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«Quelqu'un a-t-il apporté une lettre pour moi? demanda vivement
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d'Artagnan.
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-- Personne n'a apporté de lettre, monsieur, répondit Planchet;
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mais il y en a une qui est venue toute seule.
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-- Que veux-tu dire, imbécile?
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-- Je veux dire qu'en rentrant, quoique j'eusse la clef de votre
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appartement dans ma poche et que cette clef ne m'eût point quitté,
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j'ai trouvé une lettre sur le tapis vert de la table, dans votre
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chambre à coucher.
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-- Et où est cette lettre?
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-- Je l'ai laissée où elle était, monsieur. Il n'est pas naturel
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que les lettres entrent ainsi chez les gens. Si la fenêtre était
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ouverte encore, ou seulement entrebâillée je ne dis pas; mais non,
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tout était hermétiquement fermé. Monsieur, prenez garde, car il y
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a très certainement quelque magie là-dessous.»
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Pendant ce temps, le jeune homme s'élançait dans la chambre et
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ouvrait la lettre; elle était de Mme Bonacieux, et conçue en ces
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termes:
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«On a de vifs remerciements à vous faire et à vous transmettre.
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Trouvez-vous ce soir vers dix heures à Saint-Cloud, en face du
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pavillon qui s'élève à l'angle de la maison de M. d'Estrées.
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«C. B.»
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En lisant cette lettre, d'Artagnan sentait son coeur se dilater et
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s'étreindre de ce doux spasme qui torture et caresse le coeur des
|
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amants.
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C'était le premier billet qu'il recevait, c'était le premier
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rendez-vous qui lui était accordé. Son coeur, gonflé par l'ivresse
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de la joie, se sentait prêt à défaillir sur le seuil de ce paradis
|
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terrestre qu'on appelait l'amour.
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«Eh bien! monsieur, dit Planchet, qui avait vu son maître rougir
|
|
et pâlir successivement; eh bien! n'est-ce pas que j'avais deviné
|
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juste et que c'est quelque méchante affaire?
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-- Tu te trompes, Planchet, répondit d'Artagnan, et la preuve,
|
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c'est que voici un écu pour que tu boives à ma santé.
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-- Je remercie monsieur de l'écu qu'il me donne, et je lui promets
|
|
de suivre exactement ses instructions; mais il n'en est pas moins
|
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vrai que les lettres qui entrent ainsi dans les maisons fermées...
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-- Tombent du ciel, mon ami, tombent du ciel.
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-- Alors, monsieur est content? demanda Planchet.
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-- Mon cher Planchet, je suis le plus heureux des hommes!
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-- Et je puis profiter du bonheur de monsieur pour aller me
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coucher?
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-- Oui, va.
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-- Que toutes les bénédictions du Ciel tombent sur monsieur, mais
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|
il n'en est pas moins vrai que cette lettre...»
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Et Planchet se retira en secouant la tête avec un air de doute que
|
|
n'était point parvenu à effacer entièrement la libéralité de
|
|
d'Artagnan.
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Resté seul, d'Artagnan lut et relut son billet, puis il baisa et
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|
rebaisa vingt fois ces lignes tracées par la main de sa belle
|
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maîtresse. Enfin il se coucha, s'endormit et fit des rêves d'or.
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|
À sept heures du matin, il se leva et appela Planchet, qui, au
|
|
second appel, ouvrit la porte, le visage encore mal nettoyé des
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inquiétudes de la veille.
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«Planchet, lui dit d'Artagnan, je sors pour toute la journée peut-
|
|
être; tu es donc libre jusqu'à sept heures du soir; mais, à sept
|
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heures du soir, tiens-toi prêt avec deux chevaux.
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-- Allons! dit Planchet, il paraît que nous allons encore nous
|
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faire traverser la peau en plusieurs endroits.
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-- Tu prendras ton mousqueton et tes pistolets.
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|
-- Eh bien, que disais-je? s'écria Planchet. Là, j'en étais sûr,
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|
maudite lettre!
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-- Mais rassure-toi donc, imbécile, il s'agit tout simplement
|
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d'une partie de plaisir.
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-- Oui! comme les voyages d'agrément de l'autre jour, où il
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|
pleuvait des balles et où il poussait des chausse-trapes.
|
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|
-- Au reste, si vous avez peur, monsieur Planchet, reprit
|
|
d'Artagnan, j'irai sans vous; j'aime mieux voyager seul que
|
|
d'avoir un compagnon qui tremble.
|
|
|
|
-- Monsieur me fait injure, dit Planchet; il me semblait cependant
|
|
qu'il m'avait vu à l'oeuvre.
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|
|
|
-- Oui, mais j'ai cru que tu avais usé tout ton courage d'une
|
|
seule fois.
|
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|
|
-- Monsieur verra que dans l'occasion il m'en reste encore;
|
|
seulement je prie monsieur de ne pas trop le prodiguer, s'il veut
|
|
qu'il m'en reste longtemps.
|
|
|
|
-- Crois-tu en avoir encore une certaine somme à dépenser ce soir?
|
|
|
|
-- Je l'espère.
|
|
|
|
-- Eh bien, je compte sur toi.
|
|
|
|
-- À l'heure dite, je serai prêt; seulement je croyais que
|
|
monsieur n'avait qu'un cheval à l'écurie des gardes.
|
|
|
|
-- Peut-être n'y en a-t-il qu'un encore dans ce moment-ci, mais ce
|
|
soir il y en aura quatre.
|
|
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|
-- Il paraît que notre voyage était un voyage de remonte?
|
|
|
|
-- Justement», dit d'Artagnan.
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|
|
Et ayant fait à Planchet un dernier geste de recommandation, il
|
|
sortit.
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|
|
|
M. Bonacieux était sur sa porte. L'intention de d'Artagnan était
|
|
de passer outre, sans parler au digne mercier; mais celui-ci fit
|
|
un salut si doux et si bénin, que force fut à son locataire non
|
|
seulement de le lui rendre, mais encore de lier conversation avec
|
|
lui.
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|
Comment d'ailleurs ne pas avoir un peu de condescendance pour un
|
|
mari dont la femme vous a donné un rendez-vous le soir même à
|
|
Saint-Cloud, en face du pavillon de M. d'Estrées! D'Artagnan
|
|
s'approcha de l'air le plus aimable qu'il put prendre.
|
|
|
|
La conversation tomba tout naturellement sur l'incarcération du
|
|
pauvre homme. M. Bonacieux, qui ignorait que d'Artagnan eût
|
|
entendu sa conversation avec l'inconnu de Meung, raconta à son
|
|
jeune locataire les persécutions de ce monstre de M. de Laffemas,
|
|
qu'il ne cessa de qualifier pendant tout son récit du titre de
|
|
bourreau du cardinal et s'étendit longuement sur la Bastille, les
|
|
verrous, les guichets, les soupiraux, les grilles et les
|
|
instruments de torture.
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|
|
|
D'Artagnan l'écouta avec une complaisance exemplaire puis,
|
|
lorsqu'il eut fini:
|
|
|
|
«Et Mme Bonacieux, dit-il enfin, savez-vous qui l'avait enlevée?
|
|
car je n'oublie pas que c'est à cette circonstance fâcheuse que je
|
|
dois le bonheur d'avoir fait votre connaissance.
|
|
|
|
-- Ah! dit M. Bonacieux, ils se sont bien gardés de me le dire, et
|
|
ma femme de son côté m'a juré ses grands dieux qu'elle ne le
|
|
savait pas. Mais vous-même, continua M. Bonacieux d'un ton de
|
|
bonhomie parfaite, qu'êtes-vous devenu tous ces jours passés? je
|
|
ne vous ai vu, ni vous ni vos amis, et ce n'est pas sur le pavé de
|
|
Paris, je pense, que vous avez ramassé toute la poussière que
|
|
Planchet époussetait hier sur vos bottes.
|
|
|
|
-- Vous avez raison, mon cher monsieur Bonacieux, mes amis et moi
|
|
nous avons fait un petit voyage.
|
|
|
|
-- Loin d'ici?
|
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|
|
-- Oh! mon Dieu non, à une quarantaine de lieues seulement; nous
|
|
avons été conduire M. Athos aux eaux de Forges, où mes amis sont
|
|
restés.
|
|
|
|
-- Et vous êtes revenu, vous, n'est-ce pas? reprit M. Bonacieux en
|
|
donnant à sa physionomie son air le plus malin. Un beau garçon
|
|
comme vous n'obtient pas de longs congés de sa maîtresse, et nous
|
|
étions impatiemment attendu à Paris, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Ma foi, dit en riant le jeune homme, je vous l'avoue, d'autant
|
|
mieux, mon cher monsieur Bonacieux, que je vois qu'on ne peut rien
|
|
vous cacher. Oui, j'étais attendu, et bien impatiemment, je vous
|
|
en réponds.»
|
|
|
|
Un léger nuage passa sur le front de Bonacieux, mais si léger, que
|
|
d'Artagnan ne s'en aperçut pas.
|
|
|
|
«Et nous allons être récompensé de notre diligence? continua le
|
|
mercier avec une légère altération dans la voix, altération que
|
|
d'Artagnan ne remarqua pas plus qu'il n'avait fait du nuage
|
|
momentané qui, un instant auparavant, avait assombri la figure du
|
|
digne homme.
|
|
|
|
-- Ah! faites donc le bon apôtre! dit en riant d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Non, ce que je vous en dis, reprit Bonacieux, c'est seulement
|
|
pour savoir si nous rentrons tard.
|
|
|
|
-- Pourquoi cette question, mon cher hôte? demanda d'Artagnan;
|
|
est-ce que vous comptez m'attendre?
|
|
|
|
-- Non, c'est que depuis mon arrestation et le vol qui a été
|
|
commis chez moi, je m'effraie chaque fois que j'entends ouvrir une
|
|
porte, et surtout la nuit. Dame, que voulez-vous! je ne suis point
|
|
homme d'épée, moi!
|
|
|
|
-- Eh bien, ne vous effrayez pas si je rentre à une heure, à deux
|
|
ou trois heures du matin; si je ne rentre pas du tout, ne vous
|
|
effrayez pas encore.»
|
|
|
|
Cette fois, Bonacieux devint si pâle, que d'Artagnan ne put faire
|
|
autrement que de s'en apercevoir, et lui demanda ce qu'il avait.
|
|
|
|
«Rien, répondit Bonacieux, rien. Depuis mes malheurs seulement, je
|
|
suis sujet à des faiblesses qui me prennent tout à coup, et je
|
|
viens de me sentir passer un frisson. Ne faites pas attention à
|
|
cela, vous qui n'avez à vous occuper que d'être heureux.
|
|
|
|
-- Alors j'ai de l'occupation, car je le suis.
|
|
|
|
-- Pas encore, attendez donc, vous avez dit: à ce soir.
|
|
|
|
-- Eh bien, ce soir arrivera, Dieu merci! et peut-être l'attendez-
|
|
vous avec autant d'impatience que moi. Peut-être, ce soir,
|
|
Mme Bonacieux visitera-t-elle le domicile conjugal.
|
|
|
|
-- Mme Bonacieux n'est pas libre ce soir, répondit gravement le
|
|
mari; elle est retenue au Louvre par son service.
|
|
|
|
-- Tant pis pour vous, mon cher hôte, tant pis; quand je suis
|
|
heureux, moi, je voudrais que tout le monde le fût; mais il paraît
|
|
que ce n'est pas possible.»
|
|
|
|
Et le jeune homme s'éloigna en riant aux éclats de la plaisanterie
|
|
que lui seul, pensait-il, pouvait comprendre.
|
|
|
|
«Amusez-vous bien!» répondit Bonacieux d'un air sépulcral.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan était déjà trop loin pour l'entendre, et l'eut-il
|
|
entendu, dans la disposition d'esprit où il était, il ne l'eût
|
|
certes pas remarqué.
|
|
|
|
Il se dirigea vers l'hôtel de M. de Tréville; sa visite de la
|
|
veille avait été, on se le rappelle, très courte et très peu
|
|
explicative.
|
|
|
|
Il trouva M. de Tréville dans la joie de son âme. Le roi et la
|
|
reine avaient été charmants pour lui au bal. Il est vrai que le
|
|
cardinal avait été parfaitement maussade.
|
|
|
|
À une heure du matin, il s'était retiré sous prétexte qu'il était
|
|
indisposé. Quant à Leurs Majestés, elles n'étaient rentrées au
|
|
Louvre qu'à six heures du matin.
|
|
|
|
«Maintenant, dit M. de Tréville en baissant la voix et en
|
|
interrogeant du regard tous les angles de l'appartement pour voir
|
|
s'ils étaient bien seuls, maintenant parlons de vous, mon jeune
|
|
ami, car il est évident que votre heureux retour est pour quelque
|
|
chose dans la joie du roi, dans le triomphe de la reine et dans
|
|
l'humiliation de Son Éminence. Il s'agit de bien vous tenir.
|
|
|
|
-- Qu'ai-je à craindre, répondit d'Artagnan, tant que j'aurai le
|
|
bonheur de jouir de la faveur de Leurs Majestés?
|
|
|
|
-- Tout, croyez-moi. Le cardinal n'est point homme à oublier une
|
|
mystification tant qu'il n'aura pas réglé ses comptes avec le
|
|
mystificateur, et le mystificateur m'a bien l'air d'être certain
|
|
Gascon de ma connaissance.
|
|
|
|
-- Croyez-vous que le cardinal soit aussi avancé que vous et sache
|
|
que c'est moi qui ai été à Londres?
|
|
|
|
-- Diable! vous avez été à Londres. Est-ce de Londres que vous
|
|
avez rapporté ce beau diamant qui brille à votre doigt? Prenez
|
|
garde, mon cher d'Artagnan, ce n'est pas une bonne chose que le
|
|
présent d'un ennemi; n'y a-t-il pas là-dessus certain vers
|
|
latin... Attendez donc...
|
|
|
|
-- Oui, sans doute, reprit d'Artagnan, qui n'avait jamais pu se
|
|
fourrer la première règle du rudiment dans la tête, et qui, par
|
|
ignorance, avait fait le désespoir de son précepteur; oui, sans
|
|
doute, il doit y en avoir un.
|
|
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|
-- Il y en a un certainement, dit M. de Tréville, qui avait une
|
|
teinte de lettres, et M. de Benserade me le citait l'autre jour...
|
|
Attendez donc... Ah! m'y voici:
|
|
|
|
_... timeo Danaos et donaña ferentes_
|
|
|
|
«Ce qui veut dire: "Défiez-vous de l'ennemi qui vous fait des
|
|
présents."
|
|
|
|
-- Ce diamant ne vient pas d'un ennemi, monsieur, reprit
|
|
d'Artagnan, il vient de la reine.
|
|
|
|
-- De la reine! oh! oh! dit M. de Tréville. Effectivement, c'est
|
|
un véritable bijou royal, qui vaut mille pistoles comme un denier.
|
|
Par qui la reine vous a-t-elle fait remettre ce cadeau?
|
|
|
|
-- Elle me l'a remis elle-même.
|
|
|
|
-- Où cela?
|
|
|
|
-- Dans le cabinet attenant à la chambre où elle a changé de
|
|
toilette.
|
|
|
|
-- Comment?
|
|
|
|
-- En me donnant sa main à baiser.
|
|
|
|
-- Vous avez baisé la main de la reine! s'écria M. de Tréville en
|
|
regardant d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Sa Majesté m'a fait l'honneur de m'accorder cette grâce!
|
|
|
|
-- Et cela en présence de témoins? Imprudente, trois fois
|
|
imprudente!
|
|
|
|
-- Non, monsieur, rassurez-vous, personne ne l'a vue», reprit
|
|
d'Artagnan. Et il raconta à M. de Tréville comment les choses
|
|
s'étaient passées.
|
|
|
|
«Oh! les femmes, les femmes! s'écria le vieux soldat, je les
|
|
reconnais bien à leur imagination romanesque; tout ce qui sent le
|
|
mystérieux les charme; ainsi vous avez vu le bras, voilà tout;
|
|
vous rencontreriez la reine, que vous ne la reconnaîtriez pas;
|
|
elle vous rencontrerait, qu'elle ne saurait pas qui vous êtes.
|
|
|
|
-- Non, mais grâce à ce diamant..., reprit le jeune homme.
|
|
|
|
-- Écoutez, dit M. de Tréville, voulez-vous que je vous donne un
|
|
conseil, un bon conseil, un conseil d'ami?
|
|
|
|
-- Vous me ferez honneur, monsieur, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Eh bien, allez chez le premier orfèvre venu et vendez-lui ce
|
|
diamant pour le prix qu'il vous en donnera; si juif qu'il soit,
|
|
vous en trouverez toujours bien huit cents pistoles. Les pistoles
|
|
n'ont pas de nom, jeune homme, et cette bague en a un terrible, ce
|
|
qui peut trahir celui qui la porte.
|
|
|
|
-- Vendre cette bague! une bague qui vient de ma souveraine!
|
|
jamais, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Alors tournez-en le chaton en dedans, pauvre fou, car on sait
|
|
qu'un cadet de Gascogne ne trouve pas de pareils bijoux dans
|
|
l'écrin de sa mère.
|
|
|
|
-- Vous croyez donc que j'ai quelque chose à craindre? demanda
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- C'est-à-dire, jeune homme, que celui qui s'endort sur une mine
|
|
dont la mèche est allumée doit se regarder comme en sûreté en
|
|
comparaison de vous.
|
|
|
|
-- Diable! dit d'Artagnan, que le ton d'assurance de
|
|
M. de Tréville commençait à inquiéter: diable, que faut-il faire?
|
|
|
|
-- Vous tenir sur vos gardes toujours et avant toute chose. Le
|
|
cardinal a la mémoire tenace et la main longue; croyez-moi, il
|
|
vous jouera quelque tour.
|
|
|
|
-- Mais lequel?
|
|
|
|
-- Eh! le sais-je, moi! est-ce qu'il n'a pas à son service toutes
|
|
les ruses du démon? Le moins qui puisse vous arriver est qu'on
|
|
vous arrête.
|
|
|
|
-- Comment! on oserait arrêter un homme au service de Sa Majesté?
|
|
|
|
-- Pardieu! on s'est bien gêné pour Athos! En tout cas, jeune
|
|
homme, croyez-en un homme qui est depuis trente ans à la cour: ne
|
|
vous endormez pas dans votre sécurité, ou vous êtes perdu. Bien au
|
|
contraire, et c'est moi qui vous le dis, voyez des ennemis
|
|
partout. Si l'on vous cherche querelle, évitez-la, fût-ce un
|
|
enfant de dix ans qui vous la cherche; si l'on vous attaque de
|
|
nuit ou de jour, battez en retraite et sans honte; si vous
|
|
traversez un pont, tâtez les planches, de peur qu'une planche ne
|
|
vous manque sous le pied; si vous passez devant une maison qu'on
|
|
bâtit, regardez en l'air de peur qu'une pierre ne vous tombe sur
|
|
la tête; si vous rentrez tard, faites-vous suivre par votre
|
|
laquais, et que votre laquais soit armé, si toutefois vous êtes
|
|
sûr de votre laquais. Défiez-vous de tout le monde, de votre ami,
|
|
de votre frère, de votre maîtresse, de votre maîtresse surtout.»
|
|
|
|
D'Artagnan rougit.
|
|
|
|
«De ma maîtresse, répéta-t-il machinalement; et pourquoi plutôt
|
|
d'elle que d'un autre?
|
|
|
|
-- C'est que la maîtresse est un des moyens favoris du cardinal,
|
|
il n'en a pas de plus expéditif: une femme vous vend pour dix
|
|
pistoles, témoin Dalila. Vous savez les Écritures, hein?»
|
|
|
|
D'Artagnan pensa au rendez-vous que lui avait donné Mme Bonacieux
|
|
pour le soir même; mais nous devons dire, à la louange de notre
|
|
héros, que la mauvaise opinion que M. de Tréville avait des femmes
|
|
en général ne lui inspira pas le moindre petit soupçon contre sa
|
|
jolie hôtesse.
|
|
|
|
«Mais, à propos, reprit M. de Tréville, que sont devenus vos trois
|
|
compagnons?
|
|
|
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-- J'allais vous demander si vous n'en aviez pas appris quelques
|
|
nouvelles.
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|
-- Aucune, monsieur.
|
|
|
|
-- Eh bien, je les ai laissés sur ma route: Porthos à Chantilly,
|
|
avec un duel sur les bras; Aramis à Crèvecoeur, avec une balle
|
|
dans l'épaule; et Athos à Amiens, avec une accusation de faux-
|
|
monnayeur sur le corps.
|
|
|
|
-- Voyez-vous! dit M. de Tréville; et comment vous êtes-vous
|
|
échappé, vous?
|
|
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|
-- Par miracle, monsieur, je dois le dire, avec un coup d'épée
|
|
dans la poitrine, et en clouant M. le comte de Wardes sur le
|
|
revers de la route de Calais, comme un papillon à une tapisserie.
|
|
|
|
-- Voyez-vous encore! de Wardes, un homme au cardinal, un cousin
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de Rochefort. Tenez, mon cher ami, il me vient une idée.
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-- Dites, monsieur.
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-- À votre place, je ferais une chose.
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-- Laquelle?
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-- Tandis que Son Éminence me ferait chercher à Paris, je
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reprendrais, moi, sans tambour ni trompette, la route de Picardie,
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et je m'en irais savoir des nouvelles de mes trois compagnons. Que
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diable! ils méritent bien cette petite attention de votre part.
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-- Le conseil est bon, monsieur, et demain je partirai.
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-- Demain! et pourquoi pas ce soir?
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-- Ce soir, monsieur, je suis retenu à Paris par une affaire
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indispensable.
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-- Ah! jeune homme! jeune homme! quelque amourette? Prenez garde,
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je vous le répète: c'est la femme qui nous a perdus, tous tant que
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nous sommes. Croyez-moi, partez ce soir.
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-- Impossible! monsieur.
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-- Vous avez donc donné votre parole?
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-- Oui, monsieur.
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-- Alors c'est autre chose; mais promettez-moi que si vous n'êtes
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pas tué cette nuit, vous partirez demain.
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-- Je vous le promets.
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-- Avez-vous besoin d'argent?
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-- J'ai encore cinquante pistoles. C'est autant qu'il m'en faut,
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je le pense.
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-- Mais vos compagnons?
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-- Je pense qu'ils ne doivent pas en manquer. Nous sommes sortis
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de Paris chacun avec soixante-quinze pistoles dans nos poches.
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-- Vous reverrai-je avant votre départ?
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-- Non, pas que je pense, monsieur, à moins qu'il n'y ait du
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nouveau.
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-- Allons, bon voyage!
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-- Merci, monsieur.»
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Et d'Artagnan prit congé de M. de Tréville, touché plus que jamais
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de sa sollicitude toute paternelle pour ses mousquetaires.
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Il passa successivement chez Athos, chez Porthos et chez Aramis.
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Aucun d'eux n'était rentré. Leurs laquais aussi étaient absents,
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et l'on n'avait des nouvelles ni des uns, ni des autres.
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Il se serait bien informé d'eux à leurs maîtresses, mais il ne
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connaissait ni celle de Porthos, ni celle d'Aramis; quant à Athos,
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il n'en avait pas.
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En passant devant l'hôtel des Gardes, il jeta un coup d'oeil dans
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l'écurie: trois chevaux étaient déjà rentrés sur quatre. Planchet,
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tout ébahi, était en train de les étriller, et avait déjà fini
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avec deux d'entre eux.
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«Ah! monsieur, dit Planchet en apercevant d'Artagnan, que je suis
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aise de vous voir!
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-- Et pourquoi cela, Planchet? demanda le jeune homme.
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-- Auriez-vous confiance en M. Bonacieux, notre hôte?
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-- Moi? pas le moins du monde.
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-- Oh! que vous faites bien, monsieur.
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-- Mais d'où vient cette question?
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-- De ce que, tandis que vous causiez avec lui, je vous observais
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sans vous écouter; monsieur, sa figure a changé deux ou trois fois
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de couleur.
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-- Bah!
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-- Monsieur n'a pas remarqué cela, préoccupé qu'il était de la
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|
lettre qu'il venait de recevoir; mais moi, au contraire, que
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l'étrange façon dont cette lettre était parvenue à la maison avait
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mis sur mes gardes, je n'ai pas perdu un mouvement de sa
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physionomie.
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-- Et tu l'as trouvée...?
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-- Traîtreuse, monsieur.
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-- Vraiment!
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-- De plus, aussitôt que monsieur l'a eu quitté et qu'il a disparu
|
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au coin de la rue, M. Bonacieux a pris son chapeau, a fermé sa
|
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porte et s'est mis à courir par la rue opposée.
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|
|
-- En effet, tu as raison, Planchet tout cela me paraît fort
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|
louche, et, sois tranquille, nous ne lui paierons pas notre loyer
|
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que la chose ne nous ait été catégoriquement expliquée.
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-- Monsieur plaisante, mais monsieur verra.
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-- Que veux-tu, Planchet, ce qui doit arriver est écrit!
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-- Monsieur ne renonce donc pas à sa promenade de ce soir?
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-- Bien au contraire, Planchet, plus j'en voudrai à M. Bonacieux,
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et plus j'irai au rendez-vous que m'a donné cette lettre qui
|
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t'inquiète tant.
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-- Alors, si c'est la résolution de monsieur...
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-- Inébranlable, mon ami; ainsi donc, à neuf heures tiens-toi prêt
|
|
ici, à l'hôtel; je viendrai te prendre.»
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Planchet, voyant qu'il n'y avait plus aucun espoir de faire
|
|
renoncer son maître à son projet, poussa un profond soupir, et se
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|
mit à étriller le troisième cheval.
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Quant à d'Artagnan, comme c'était au fond un garçon plein de
|
|
prudence, au lieu de rentrer chez lui, il s'en alla dîner chez ce
|
|
prêtre gascon qui, au moment de la détresse des quatre amis, leur
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avait donné un déjeuner de chocolat.
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CHAPITRE XXIV
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LE PAVILLON
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À neuf heures, d'Artagnan était à l'hôtel des Gardes; il trouva
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Planchet sous les armes. Le quatrième cheval était arrivé.
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Planchet était armé de son mousqueton et d'un pistolet. D'Artagnan
|
|
avait son épée et passa deux pistolets à sa ceinture, puis tous
|
|
deux enfourchèrent chacun un cheval et s'éloignèrent sans bruit.
|
|
Il faisait nuit close, et personne ne les vit sortir. Planchet se
|
|
mit à la suite de son maître, et marcha par-derrière à dix pas.
|
|
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|
D'Artagnan traversa les quais, sortit par la porte de la
|
|
Conférence et suivit alors le chemin, bien plus beau alors
|
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qu'aujourd'hui, qui mène à Saint-Cloud.
|
|
|
|
Tant qu'on fut dans la ville, Planchet garda respectueusement la
|
|
distance qu'il s'était imposée; mais dès que le chemin commença à
|
|
devenir plus désert et plus obscurs il se rapprocha tout
|
|
doucement: si bien que, lorsqu'on entra dans le bois de Boulogne,
|
|
il se trouva tout naturellement marcher côte à côte avec son
|
|
maître. En effet, nous ne devons pas dissimuler que l'oscillation
|
|
des grands arbres et le reflet de la lune dans les taillis sombres
|
|
lui causaient une vive inquiétude. D'Artagnan s'aperçut qu'il se
|
|
passait chez son laquais quelque chose d'extraordinaire.
|
|
|
|
«Eh bien, monsieur Planchet, lui demanda-t-il, qu'avons-nous donc?
|
|
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|
-- Ne trouvez-vous pas, monsieur, que les bois sont comme les
|
|
églises?
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|
-- Pourquoi cela, Planchet?
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|
-- Parce qu'on n'ose point parler haut dans ceux-ci comme dans
|
|
celles-là.
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|
|
-- Pourquoi n'oses-tu parler haut, Planchet? parce que tu as peur?
|
|
|
|
-- Peur d'être entendu, oui, monsieur.
|
|
|
|
-- Peur d'être entendu! Notre conversation est cependant morale,
|
|
mon cher Planchet, et nul n'y trouverait à redire.
|
|
|
|
-- Ah! monsieur! reprit Planchet en revenant à son idée mère, que
|
|
ce M. Bonacieux a quelque chose de sournois dans ses sourcils et
|
|
de déplaisant dans le jeu de ses lèvres!
|
|
|
|
-- Qui diable te fait penser à Bonacieux?
|
|
|
|
-- Monsieur, l'on pense à ce que l'on peut et non pas à ce que
|
|
l'on veut.
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|
|
|
-- Parce que tu es un poltron, Planchet.
|
|
|
|
-- Monsieur, ne confondons pas la prudence avec la poltronnerie;
|
|
la prudence est une vertu.
|
|
|
|
-- Et tu es vertueux, n'est-ce pas, Planchet?
|
|
|
|
-- Monsieur, n'est-ce point le canon d'un mousquet qui brille là-
|
|
bas? Si nous baissions la tête?
|
|
|
|
-- En vérité, murmura d'Artagnan, à qui les recommandations de
|
|
M. de Tréville revenaient en mémoire; en vérité, cet animal
|
|
finirait par me faire peur.»
|
|
|
|
Et il mit son cheval au trot.
|
|
|
|
Planchet suivit le mouvement de son maître, exactement comme s'il
|
|
eût été son ombre, et se retrouva trottant près de lui.
|
|
|
|
«Est-ce que nous allons marcher comme cela toute la nuit,
|
|
monsieur? demanda-t-il.
|
|
|
|
-- Non, Planchet, car tu es arrivé, toi.
|
|
|
|
-- Comment, je suis arrivé? et monsieur?
|
|
|
|
-- Moi, je vais encore à quelques pas.
|
|
|
|
-- Et monsieur me laisse seul ici?
|
|
|
|
-- Tu as peur, Planchet?
|
|
|
|
-- Non, mais je fais seulement observer à monsieur que la nuit
|
|
sera très froide, que les fraîcheurs donnent des rhumatismes, et
|
|
qu'un laquais qui a des rhumatismes est un triste serviteur,
|
|
surtout pour un maître alerte comme monsieur.
|
|
|
|
-- Eh bien, si tu as froid, Planchet, tu entreras dans un de ces
|
|
cabarets que tu vois là-bas, et tu m'attendras demain matin à six
|
|
heures devant la porte.
|
|
|
|
-- Monsieur, j'ai bu et mangé respectueusement l'écu que vous
|
|
m'avez donné ce matin; de sorte qu'il ne me reste pas un traître
|
|
sou dans le cas où j'aurais froid.
|
|
|
|
-- Voici une demi-pistole. À demain.»
|
|
|
|
D'Artagnan descendit de son cheval, jeta la bride au bras de
|
|
Planchet et s'éloigna rapidement en s'enveloppant dans son
|
|
manteau.
|
|
|
|
«Dieu que j'ai froid!» s'écria Planchet dès qu'il eut perdu son
|
|
maître de vue; -- et pressé qu'il était de se réchauffer, il se
|
|
hâta d'aller frapper à la porte d'une maison parée de tous les
|
|
attributs d'un cabaret de banlieue.
|
|
|
|
Cependant d'Artagnan, qui s'était jeté dans un petit chemin de
|
|
traverse, continuait sa route et atteignait Saint-Cloud; mais, au
|
|
lieu de suivre la grande rue, il tourna derrière le château, gagna
|
|
une espèce de ruelle fort écartée, et se trouva bientôt en face du
|
|
pavillon indiqué. Il était situé dans un lieu tout à fait désert.
|
|
Un grand mur, à l'angle duquel était ce pavillon, régnait d'un
|
|
côté de cette ruelle, et de l'autre une haie défendait contre les
|
|
passants un petit jardin au fond duquel s'élevait une maigre
|
|
cabane.
|
|
|
|
Il était arrivé au rendez-vous, et comme on ne lui avait pas dit
|
|
d'annoncer sa présence par aucun signal, il attendit.
|
|
|
|
Nul bruit ne se faisait entendre, on eût dit qu'on était à cent
|
|
lieues de la capitale. D'Artagnan s'adossa à la haie après avoir
|
|
jeté un coup d'oeil derrière lui. Par-delà cette haie, ce jardin
|
|
et cette cabane, un brouillard sombre enveloppait de ses plis
|
|
cette immensité où dort Paris, vide, béant, immensité où
|
|
brillaient quelques points lumineux, étoiles funèbres de cet
|
|
enfer.
|
|
|
|
Mais pour d'Artagnan tous les aspects revêtaient une forme
|
|
heureuse, toutes les idées avaient un sourire, toutes les ténèbres
|
|
étaient diaphanes. L'heure du rendez-vous allait sonner.
|
|
|
|
En effet, au bout de quelques instants, le beffroi de Saint-Cloud
|
|
laissa lentement tomber dix coups de sa large gueule mugissante.
|
|
|
|
Il y avait quelque chose de lugubre à cette voix de bronze qui se
|
|
lamentait ainsi au milieu de la nuit.
|
|
|
|
Mais chacune de ces heures qui composaient l'heure attendue
|
|
vibrait harmonieusement au coeur du jeune homme.
|
|
|
|
Ses yeux étaient fixés sur le petit pavillon situé à l'angle de la
|
|
rue et dont toutes les fenêtres étaient fermées par des volets,
|
|
excepté une seule du premier étage.
|
|
|
|
À travers cette fenêtre brillait une lumière douce qui argentait
|
|
le feuillage tremblant de deux ou trois tilleuls qui s'élevaient
|
|
formant groupe en dehors du parc. Évidemment derrière cette petite
|
|
fenêtre, si gracieusement éclairée, la jolie Mme Bonacieux
|
|
l'attendait.
|
|
|
|
Bercé par cette douce idée, d'Artagnan attendit de son côté une
|
|
demi-heure sans impatience aucune, les yeux fixés sur ce charmant
|
|
petit séjour dont d'Artagnan apercevait une partie de plafond aux
|
|
moulures dorées, attestant l'élégance du reste de l'appartement.
|
|
|
|
Le beffroi de Saint-Cloud sonna dix heures et demie.
|
|
|
|
Cette fois-ci, sans que d'Artagnan comprît pourquoi, un frisson
|
|
courut dans ses veines. Peut-être aussi le froid commençait-il à
|
|
le gagner et prenait-il pour une impression morale une sensation
|
|
tout à fait physique.
|
|
|
|
Puis l'idée lui vint qu'il avait mal lu et que le rendez-vous
|
|
était pour onze heures seulement.
|
|
|
|
Il s'approcha de la fenêtre, se plaça dans un rayon de lumière,
|
|
tira sa lettre de sa poche et la relut; il ne s'était point
|
|
trompé: le rendez-vous était bien pour dix heures.
|
|
|
|
Il alla reprendre son poste, commençant à être assez inquiet de ce
|
|
silence et de cette solitude.
|
|
|
|
Onze heures sonnèrent.
|
|
|
|
D'Artagnan commença à craindre véritablement qu'il ne fût arrivé
|
|
quelque chose à Mme Bonacieux.
|
|
|
|
Il frappa trois coups dans ses mains, signal ordinaire des
|
|
amoureux; mais personne ne lui répondit: pas même l'écho.
|
|
|
|
Alors il pensa avec un certain dépit que peut-être la jeune femme
|
|
s'était endormie en l'attendant.
|
|
|
|
Il s'approcha du mur et essaya d'y monter; mais le mur était
|
|
nouvellement crépi, et d'Artagnan se retourna inutilement les
|
|
ongles.
|
|
|
|
En ce moment il avisa les arbres, dont la lumière continuait
|
|
d'argenter les feuilles, et comme l'un d'eux faisait saillie sur
|
|
le chemin, il pensa que du milieu de ses branches son regard
|
|
pourrait pénétrer dans le pavillon.
|
|
|
|
L'arbre était facile. D'ailleurs d'Artagnan avait vingt ans à
|
|
peine, et par conséquent se souvenait de son métier d'écolier. En
|
|
un instant il fut au milieu des branches, et par les vitres
|
|
transparentes ses yeux plongèrent dans l'intérieur du pavillon.
|
|
|
|
Chose étrange et qui fit frissonner d'Artagnan de la plante des
|
|
pieds à la racine des cheveux, cette douce lumière, cette calme
|
|
lampe éclairait une scène de désordre épouvantable; une des vitres
|
|
de la fenêtre était cassée, la porte de la chambre avait été
|
|
enfoncée et, à demi brisée pendait à ses gonds; une table qui
|
|
avait dû être couverte d'un élégant souper gisait à terre; les
|
|
flacons en éclats, les fruits écrasés jonchaient le parquet; tout
|
|
témoignait dans cette chambre d'une lutte violente et désespérée;
|
|
d'Artagnan crut même reconnaître au milieu de ce pêle-mêle étrange
|
|
des lambeaux de vêtements et quelques taches sanglantes maculant
|
|
la nappe et les rideaux.
|
|
|
|
Il se hâta de redescendre dans la rue avec un horrible battement
|
|
de coeur, il voulait voir s'il ne trouverait pas d'autres traces
|
|
de violence.
|
|
|
|
La petite lueur suave brillait toujours dans le calme de la nuit.
|
|
D'Artagnan s'aperçut alors, chose qu'il n'avait pas remarquée
|
|
d'abord, car rien ne le poussait à cet examen, que le sol, battu
|
|
ici, troué là, présentait des traces confuses de pas d'hommes, et
|
|
de pieds de chevaux. En outre, les roues d'une voiture, qui
|
|
paraissait venir de Paris, avaient creusé dans la terre molle une
|
|
profonde empreinte qui ne dépassait pas la hauteur du pavillon et
|
|
qui retournait vers Paris.
|
|
|
|
Enfin d'Artagnan, en poursuivant ses recherches, trouva près du
|
|
mur un gant de femme déchiré. Cependant ce gant, par tous les
|
|
points où il n'avait pas touché la terre boueuse, était d'une
|
|
fraîcheur irréprochable. C'était un de ces gants parfumés comme
|
|
les amants aiment à les arracher d'une jolie main.
|
|
|
|
À mesure que d'Artagnan poursuivait ses investigations, une sueur
|
|
plus abondante et plus glacée perlait sur son front, son coeur
|
|
était serré par une horrible angoisse, sa respiration était
|
|
haletante; et cependant il se disait, pour se rassurer, que ce
|
|
pavillon n'avait peut-être rien de commun avec Mme Bonacieux; que
|
|
la jeune femme lui avait donné rendez-vous devant ce pavillon, et
|
|
non dans ce pavillon; qu'elle avait pu être retenue à Paris par
|
|
son service, par la jalousie de son mari peut-être.
|
|
|
|
Mais tous ces raisonnements étaient battus en brèche, détruits,
|
|
renversés par ce sentiment de douleur intime, qui dans certaines
|
|
occasions, s'empare de tout notre être et nous crie, par tout ce
|
|
qui est destiné chez nous à entendre, qu'un grand malheur plane
|
|
sur nous.
|
|
|
|
Alors d'Artagnan devint presque insensé: il courut sur la grande
|
|
route, prit le même chemin qu'il avait déjà fait, s'avança
|
|
jusqu'au bac, et interrogea le passeur.
|
|
|
|
Vers les sept heures du soir, le passeur avait fait traverser la
|
|
rivière à une femme enveloppée d'une mante noire, qui paraissait
|
|
avoir le plus grand intérêt à ne pas être reconnue; mais,
|
|
justement à cause des précautions qu'elle prenait, le passeur
|
|
avait prêté une attention plus grande, et il avait reconnu que la
|
|
femme était jeune et jolie.
|
|
|
|
Il y avait alors, comme aujourd'hui, une foule de jeunes et jolies
|
|
femmes qui venaient à Saint-Cloud et qui avaient intérêt à ne pas
|
|
être vues, et cependant d'Artagnan ne douta point un instant que
|
|
ce ne fût Mme Bonacieux qu'avait remarquée le passeur.
|
|
|
|
D'Artagnan profita de la lampe qui brillait dans la cabane du
|
|
passeur pour relire encore une fois le billet de Mme Bonacieux et
|
|
s'assurer qu'il ne s'était pas trompé, que le rendez-vous était
|
|
bien à Saint-Cloud et non ailleurs, devant le pavillon de
|
|
M. d'Estrées et non dans une autre rue.
|
|
|
|
Tout concourait à prouver à d'Artagnan que ses pressentiments ne
|
|
le trompaient point et qu'un grand malheur était arrivé.
|
|
|
|
Il reprit le chemin du château tout courant; il lui semblait qu'en
|
|
son absence quelque chose de nouveau s'était peut-être passé au
|
|
pavillon et que des renseignements l'attendaient là.
|
|
|
|
La ruelle était toujours déserte, et la même lueur calme et douce
|
|
s'épanchait de la fenêtre.
|
|
|
|
D'Artagnan songea alors à cette masure muette et aveugle mais qui
|
|
sans doute avait vu et qui peut-être pouvait parler.
|
|
|
|
La porte de clôture était fermée, mais il sauta par-dessus la
|
|
haie, et malgré les aboiements du chien à la chaîne, il s'approcha
|
|
de la cabane.
|
|
|
|
Aux premiers coups qu'il frappa, rien ne répondit.
|
|
|
|
Un silence de mort régnait dans la cabane comme dans le pavillon;
|
|
cependant, comme cette cabane était sa dernière ressource, il
|
|
s'obstina.
|
|
|
|
Bientôt il lui sembla entendre un léger bruit intérieur, bruit
|
|
craintif, et qui semblait trembler lui-même d'être entendu.
|
|
|
|
Alors d'Artagnan cessa de frapper et pria, avec un accent si plein
|
|
d'inquiétude et de promesses, d'effroi et de cajolerie, que sa
|
|
voix était de nature à rassurer de plus peureux. Enfin un vieux
|
|
volet vermoulu s'ouvrit, ou plutôt s'entrebâilla, et se referma
|
|
dès que la lueur d'une misérable lampe qui brûlait dans un coin
|
|
eut éclairé le baudrier, la poignée de l'épée et le pommeau des
|
|
pistolets de d'Artagnan. Cependant, si rapide qu'eût été le
|
|
mouvement, d'Artagnan avait eu le temps d'entrevoir une tête de
|
|
vieillard.
|
|
|
|
«Au nom du Ciel! dit-il, écoutez-moi: j'attendais quelqu'un qui ne
|
|
vient pas, je meurs d'inquiétude. Serait-il arrivé quelque malheur
|
|
aux environs? Parlez.»
|
|
|
|
La fenêtre se rouvrit lentement, et la même figure apparut de
|
|
nouveau: seulement elle était plus pâle encore que la première
|
|
fois.
|
|
|
|
D'Artagnan raconta naïvement son histoire, aux noms près; il dit
|
|
comment il avait rendez-vous avec une jeune femme devant ce
|
|
pavillon, et comment, ne la voyant pas venir, il était monté sur
|
|
le tilleul et, à la lueur de la lampe, il avait vu le désordre de
|
|
la chambre.
|
|
|
|
Le vieillard l'écouta attentivement, tout en faisant signe que
|
|
c'était bien cela: puis, lorsque d'Artagnan eut fini, il hocha la
|
|
tête d'un air qui n'annonçait rien de bon.
|
|
|
|
«Que voulez-vous dire? s'écria d'Artagnan. Au nom du Ciel! voyons,
|
|
expliquez-vous.
|
|
|
|
-- Oh! monsieur, dit le vieillard, ne me demandez rien; car si je
|
|
vous disais ce que j'ai vu, bien certainement il ne m'arriverait
|
|
rien de bon.
|
|
|
|
-- Vous avez donc vu quelque chose? reprit d'Artagnan. En ce cas,
|
|
au nom du Ciel! continua-t-il en lui jetant une pistole, dites,
|
|
dites ce que vous avez vu, et je vous donne ma foi de gentilhomme
|
|
que pas une de vos paroles ne sortira de mon coeur.»
|
|
|
|
Le vieillard lut tant de franchise et de douleur sur le visage de
|
|
d'Artagnan, qu'il lui fit signe d'écouter et qu'il lui dit à voix
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basse:
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«Il était neuf heures à peu près, j'avais entendu quelque bruit
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dans la rue et je désirais savoir ce que ce pouvait être,
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lorsqu'en m'approchant de ma porte je m'aperçus qu'on cherchait à
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entrer. Comme je suis pauvre et que je n'ai pas peur qu'on me
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vole, j'allai ouvrir et je vis trois hommes à quelques pas de là.
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Dans l'ombre était un carrosse avec des chevaux attelés et des
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chevaux de main. Ces chevaux de main appartenaient évidemment aux
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trois hommes qui étaient vêtus en cavaliers.
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«-- Ah, mes bons messieurs! m'écriai-je, que demandez-vous?
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«-- Tu dois avoir une échelle? me dit celui qui paraissait le chef
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de l'escorte.
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«-- Oui, monsieur; celle avec laquelle je cueille mes fruits.
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«-- Donne-nous la, et rentre chez toi, voilà un écu pour le
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dérangement que nous te causons. Souviens-toi seulement que si tu
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dis un mot de ce que tu vas voir et de ce que tu vas entendre (car
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tu regarderas et tu écouteras, quelque menace que nous te
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fassions, j'en suis sûr), tu es perdu.
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«À ces mots, il me jeta un écu, que je ramassai, et il prit mon
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échelle.
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«Effectivement, après avoir refermé la porte de la haie derrière
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eux, je fis semblant de rentrer à la maison; mais j'en sortis
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aussitôt par la porte de derrière, et, me glissant dans l'ombre,
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je parvins jusqu'à cette touffe de sureau, du milieu de laquelle
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je pouvais tout voir sans être vu.
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«Les trois hommes avaient fait avancer la voiture sans aucun
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bruit, ils en tirèrent un petit homme, gros, court, grisonnant,
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mesquinement vêtu de couleur sombre, lequel monta avec précaution
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à l'échelle, regarda sournoisement dans l'intérieur de la chambre,
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redescendit à pas de loup et murmura à voix basse:
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«-- C'est elle!
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«Aussitôt celui qui m'avait parlé s'approcha de la porte du
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pavillon, l'ouvrit avec une clef qu'il portait sur lui, referma la
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porte et disparut, en même temps les deux autres hommes montèrent
|
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à l'échelle. Le petit vieux demeurait à la portière, le cocher
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maintenait les chevaux de la voiture, et un laquais les chevaux de
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selle.
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Tout à coup de grands cris retentirent dans le pavillon, une femme
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accourut à la fenêtre et l'ouvrit comme pour se précipiter. Mais
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aussitôt qu'elle aperçut les deux hommes, elle se rejeta en
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arrière; les deux hommes s'élancèrent après elle dans la chambre.
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Alors je ne vis plus rien; mais j'entendis le bruit des meubles
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que l'on brise. La femme criait et appelait au secours. Mais
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bientôt ses cris furent étouffés; les trois hommes se
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rapprochèrent de la fenêtre, emportant la femme dans leurs bras;
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deux descendirent par l'échelle et la transportèrent dans la
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voiture, où le petit vieux entra après elle. Celui qui était resté
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dans le pavillon referma la croisée, sortit un instant après par
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la porte et s'assura que la femme était bien dans la voiture: ses
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deux compagnons l'attendaient déjà à cheval, il sauta à son tour
|
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en selle, le laquais reprit sa place près du cocher; le carrosse
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s'éloigna au galop escorté par les trois cavaliers, et tout fut
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fini. À partir de ce moment-là, je n'ai plus rien vu, rien
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entendu.»
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D'Artagnan, écrasé par une si terrible nouvelle, resta immobile et
|
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muet, tandis que tous les démons de la colère et de la jalousie
|
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hurlaient dans son coeur.
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«Mais, mon gentilhomme, reprit le vieillard, sur lequel ce muet
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désespoir causait certes plus d'effet que n'en eussent produit des
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cris et des larmes; allons, ne vous désolez pas, ils ne vous l'ont
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pas tuée, voilà l'essentiel.
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-- Savez-vous à peu près, dit d'Artagnan, quel est l'homme qui
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conduisait cette infernale expédition?
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-- Je ne le connais pas.
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-- Mais puisqu'il vous a parlé, vous avez pu le voir.
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-- Ah! c'est son signalement que vous me demandez?
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-- Oui.
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-- Un grand sec, basané, moustaches noires, oeil noir, l'air d'un
|
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gentilhomme.
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-- C'est cela, s'écria d'Artagnan; encore lui! toujours lui! C'est
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mon démon, à ce qu'il paraît! Et l'autre?
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-- Lequel?
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-- Le petit.
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-- Oh! celui-là n'est pas un seigneur, j'en réponds: d'ailleurs il
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ne portait pas l'épée, et les autres le traitaient sans aucune
|
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considération.
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-- Quelque laquais, murmura d'Artagnan. Ah! pauvre femme! pauvre
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femme! qu'en ont-ils fait?
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-- Vous m'avez promis le secret, dit le vieillard.
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-- Et je vous renouvelle ma promesse, soyez tranquille, je suis
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gentilhomme. Un gentilhomme n'a que sa parole, et je vous ai donné
|
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la mienne.»
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D'Artagnan reprit, l'âme navrée, le chemin du bac. Tantôt il ne
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pouvait croire que ce fût Mme Bonacieux, et il espérait le
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|
lendemain la retrouver au Louvre; tantôt il craignait qu'elle
|
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n'eût eu une intrigue avec quelque autre et qu'un jaloux ne l'eût
|
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surprise et fait enlever. Il flottait, il se désolait, il se
|
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désespérait.
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«Oh! si j'avais là mes amis! s'écriait-il, j'aurais au moins
|
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quelque espérance de la retrouver; mais qui sait ce qu'ils sont
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devenus eux-mêmes!»
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Il était minuit à peu près; il s'agissait de retrouver Planchet.
|
|
D'Artagnan se fit ouvrir successivement tous les cabarets dans
|
|
lesquels il aperçut un peu de lumière; dans aucun d'eux il ne
|
|
retrouva Planchet.
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|
Au sixième, il commença de réfléchir que la recherche était un peu
|
|
hasardée. D'Artagnan n'avait donné rendez-vous à son laquais qu'à
|
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six heures du matin, et quelque part qu'il fût, il était dans son
|
|
droit.
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D'ailleurs, il vint au jeune homme cette idée, qu'en restant aux
|
|
environs du lieu où l'événement s'était passé, il obtiendrait
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|
peut-être quelque éclaircissement sur cette mystérieuse affaire.
|
|
Au sixième cabaret, comme nous l'avons dit, d'Artagnan s'arrêta
|
|
donc, demanda une bouteille de vin de première qualité, s'accouda
|
|
dans l'angle le plus obscur et se décida à attendre ainsi le jour;
|
|
mais cette fois encore son espérance fut trompée, et quoiqu'il
|
|
écoutât de toutes ses oreilles, il n'entendit, au milieu des
|
|
jurons, des lazzi et des injures qu'échangeaient entre eux les
|
|
ouvriers, les laquais et les rouliers qui composaient l'honorable
|
|
société dont il faisait partie, rien qui pût le mettre sur la
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|
trace de la pauvre femme enlevée. Force lui fut donc, après avoir
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|
avalé sa bouteille par désoeuvrement et pour ne pas éveiller des
|
|
soupçons, de chercher dans son coin la posture la plus
|
|
satisfaisante possible et de s'endormir tant bien que mal.
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|
D'Artagnan avait vingt ans, on se le rappelle, et à cet âge le
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|
sommeil a des droits imprescriptibles qu'il réclame
|
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impérieusement, même sur les coeurs les plus désespérés.
|
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|
Vers six heures du matin, d'Artagnan se réveilla avec ce malaise
|
|
qui accompagne ordinairement le point du jour après une mauvaise
|
|
nuit. Sa toilette n'était pas longue à faire; il se tâta pour
|
|
savoir si on n'avait pas profité de son sommeil pour le voler, et
|
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ayant retrouvé son diamant à son doigt, sa bourse dans sa poche et
|
|
ses pistolets à sa ceinture, il se leva, paya sa bouteille et
|
|
sortit pour voir s'il n'aurait pas plus de bonheur dans la
|
|
recherche de son laquais le matin que la nuit. En effet, la
|
|
première chose qu'il aperçut à travers le brouillard humide et
|
|
grisâtre fut l'honnête Planchet qui, les deux chevaux en main,
|
|
l'attendait à la porte d'un petit cabaret borgne devant lequel
|
|
d'Artagnan était passé sans même soupçonner son existence.
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|
CHAPITRE XXV
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|
PORTHOS
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Au lieu de rentrer chez lui directement, d'Artagnan mit pied à
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terre à la porte de M. de Tréville, et monta rapidement
|
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l'escalier. Cette fois, il était décidé à lui raconter tout ce qui
|
|
venait de se passer. Sans doute il lui donnerait de bons conseils
|
|
dans toute cette affaire; puis, comme M. de Tréville voyait
|
|
presque journellement la reine, il pourrait peut-être tirer de
|
|
Sa Majesté quelque renseignement sur la pauvre femme à qui l'on
|
|
faisait sans doute payer son dévouement à sa maîtresse.
|
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|
M. de Tréville écouta le récit du jeune homme avec une gravité qui
|
|
prouvait qu'il voyait autre chose, dans toute cette aventure,
|
|
qu'une intrigue d'amour; puis, quand d'Artagnan eut achevé:
|
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|
«Hum! dit-il, tout ceci sent Son Éminence d'une lieue.
|
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|
-- Mais, que faire? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Rien, absolument rien, à cette heure, que quitter Paris, comme
|
|
je vous l'ai dit, le plus tôt possible. Je verrai la reine, je lui
|
|
raconterai les détails de la disparition de cette pauvre femme,
|
|
qu'elle ignore sans doute; ces détails la guideront de son côté,
|
|
et, à votre retour, peut-être aurai-je quelque bonne nouvelle à
|
|
vous dire. Reposez vous en sur moi.»
|
|
|
|
D'Artagnan savait que, quoique Gascon, M. de Tréville n'avait pas
|
|
l'habitude de promettre, et que lorsque par hasard il promettait,
|
|
il tenait plus qu'il n'avait promis. Il le salua donc, plein de
|
|
reconnaissance pour le passé et pour l'avenir, et le digne
|
|
capitaine, qui de son côté éprouvait un vif intérêt pour ce jeune
|
|
homme si brave et si résolu, lui serra affectueusement la main en
|
|
lui souhaitant un bon voyage.
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|
|
Décidé à mettre les conseils de M. de Tréville en pratique à
|
|
l'instant même, d'Artagnan s'achemina vers la rue des Fossoyeurs,
|
|
afin de veiller à la confection de son portemanteau. En
|
|
s'approchant de sa maison, il reconnut M. Bonacieux en costume du
|
|
matin, debout sur le seuil de sa porte. Tout ce que lui avait dit,
|
|
la veille, le prudent Planchet sur le caractère sinistre de son
|
|
hôte revint alors à l'esprit de d'Artagnan, qui le regarda plus
|
|
attentivement qu'il n'avait fait encore. En effet, outre cette
|
|
pâleur jaunâtre et maladive qui indique l'infiltration de la bile
|
|
dans le sang et qui pouvait d'ailleurs n'être qu'accidentelle,
|
|
d'Artagnan remarqua quelque chose de sournoisement perfide dans
|
|
l'habitude des rides de sa face. Un fripon ne rit pas de la même
|
|
façon qu'un honnête homme, un hypocrite ne pleure pas les mêmes
|
|
larmes qu'un homme de bonne foi. Toute fausseté est un masque, et
|
|
si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu
|
|
d'attention, à le distinguer du visage.
|
|
|
|
Il sembla donc à d'Artagnan que M. Bonacieux portait un masque, et
|
|
même que ce masque était des plus désagréables à voir.
|
|
|
|
En conséquence il allait, vaincu par sa répugnance pour cet homme,
|
|
passer devant lui sans lui parler, quand, ainsi que la veille,
|
|
M. Bonacieux l'interpella.
|
|
|
|
«Eh bien, jeune homme, lui dit-il, il paraît que nous faisons de
|
|
grasses nuits? Sept heures du matin, peste! Il me semble que vous
|
|
retournez tant soit peu les habitudes reçues, et que vous rentrez
|
|
à l'heure où les autres sortent.
|
|
|
|
-- On ne vous fera pas le même reproche, maître Bonacieux, dit le
|
|
jeune homme, et vous êtes le modèle des gens rangés. Il est vrai
|
|
que lorsque l'on possède une jeune et jolie femme, on n'a pas
|
|
besoin de courir après le bonheur: c'est le bonheur qui vient vous
|
|
trouver; n'est-ce pas, monsieur Bonacieux?»
|
|
|
|
Bonacieux devint pâle comme la mort et grimaça un sourire.
|
|
|
|
«Ah! ah! dit Bonacieux, vous êtes un plaisant compagnon. Mais où
|
|
diable avez-vous été courir cette nuit, mon jeune maître? Il
|
|
paraît qu'il ne faisait pas bon dans les chemins de traverse.»
|
|
|
|
D'Artagnan baissa les yeux vers ses bottes toutes couvertes de
|
|
boue; mais dans ce mouvement ses regards se portèrent en même
|
|
temps sur les souliers et les bas du mercier; on eût dit qu'on les
|
|
avait trempés dans le même bourbier; les uns et les autres étaient
|
|
maculés de taches absolument pareilles.
|
|
|
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Alors une idée subite traversa l'esprit de d'Artagnan. Ce petit
|
|
homme gros, court, grisonnant, cette espèce de laquais vêtu d'un
|
|
habit sombre, traité sans considération par les gens d'épée qui
|
|
composaient l'escorte, c'était Bonacieux lui-même. Le mari avait
|
|
présidé à l'enlèvement de sa femme.
|
|
|
|
Il prit à d'Artagnan une terrible envie de sauter à la gorge du
|
|
mercier et de l'étrangler; mais, nous l'avons dit, c'était un
|
|
garçon fort prudent, et il se contint. Cependant la révolution qui
|
|
s'était faite sur son visage était si visible, que Bonacieux en
|
|
fut effrayé et essaya de reculer d'un pas; mais justement il se
|
|
trouvait devant le battant de la porte, qui était fermée, et
|
|
l'obstacle qu'il rencontra le força de se tenir à la même place.
|
|
|
|
«Ah çà! mais vous qui plaisantez, mon brave homme, dit d'Artagnan,
|
|
il me semble que si mes bottes ont besoin d'un coup d'éponge, vos
|
|
bas et vos souliers réclament aussi un coup de brosse. Est-ce que
|
|
de votre côté vous auriez couru la prétantaine, maître Bonacieux?
|
|
Ah! diable, ceci ne serait point pardonnable à un homme de votre
|
|
âge et qui, de plus, a une jeune et jolie femme comme la vôtre.
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu, non, dit Bonacieux; mais hier j'ai été à Saint-
|
|
Mandé pour prendre des renseignements sur une servante dont je ne
|
|
puis absolument me passer, et comme les chemins étaient mauvais,
|
|
j'en ai rapporté toute cette fange, que je n'ai pas encore eu le
|
|
temps de faire disparaître.»
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|
|
|
Le lieu que désignait Bonacieux comme celui qui avait été le but
|
|
de sa course fut une nouvelle preuve à l'appui des soupçons
|
|
qu'avait conçus d'Artagnan. Bonacieux avait dit Saint-Mandé, parce
|
|
que Saint-Mandé est le point absolument opposé à Saint-Cloud.
|
|
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|
Cette probabilité lui fut une première consolation. Si Bonacieux
|
|
savait où était sa femme, on pourrait toujours, en employant des
|
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moyens extrêmes, forcer le mercier à desserrer les dents et à
|
|
laisser échapper son secret. Il s'agissait seulement de changer
|
|
cette probabilité en certitude.
|
|
|
|
«Pardon, mon cher monsieur Bonacieux, si j'en use avec vous sans
|
|
façon, dit d'Artagnan; mais rien n'altère comme de ne pas dormir,
|
|
j'ai donc une soif d'enragé; permettez-moi de prendre un verre
|
|
d'eau chez vous; vous le savez, cela ne se refuse pas entre
|
|
voisins.»
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|
|
Et sans attendre la permission de son hôte, d'Artagnan entra
|
|
vivement dans la maison, et jeta un coup d'oeil rapide sur le lit.
|
|
Le lit n'était pas défait. Bonacieux ne s'était pas couché. Il
|
|
rentrait donc seulement il y avait une heure ou deux; il avait
|
|
accompagné sa femme jusqu'à l'endroit où on l'avait conduite, ou
|
|
tout au moins jusqu'au premier relais.
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|
|
|
«Merci, maître Bonacieux, dit d'Artagnan en vidant son verre,
|
|
voilà tout ce que je voulais de vous. Maintenant je rentre chez
|
|
moi, je vais faire brosser mes bottes par Planchet, et quand il
|
|
aura fini, je vous l'enverrai si vous voulez pour brosser vos
|
|
souliers.»
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|
|
|
Et il quitta le mercier tout ébahi de ce singulier adieu et se
|
|
demandant s'il ne s'était pas enferré lui-même.
|
|
|
|
Sur le haut de l'escalier il trouva Planchet tout effaré.
|
|
|
|
«Ah! monsieur, s'écria Planchet dès qu'il eut aperçu son maître,
|
|
en voilà bien d'une autre, et il me tardait bien que vous
|
|
rentrassiez.
|
|
|
|
-- Qu'y a-t-il donc? demanda d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Oh! je vous le donne en cent, monsieur, je vous le donne en
|
|
mille de deviner la visite que j'ai reçue pour vous en votre
|
|
absence.
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|
-- Quand cela?
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|
-- Il y a une demi-heure, tandis que vous étiez chez
|
|
M. de Tréville.
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|
-- Et qui donc est venu? Voyons, parle.
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|
-- M. de Cavois.
|
|
|
|
-- M. de Cavois?
|
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|
-- En personne.
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|
-- Le capitaine des gardes de Son Éminence?
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|
-- Lui-même.
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|
-- Il venait m'arrêter?
|
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|
-- Je m'en suis douté, monsieur, et cela malgré son air patelin.
|
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|
-- Il avait l'air patelin, dis-tu?
|
|
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|
-- C'est-à-dire qu'il était tout miel, monsieur.
|
|
|
|
-- Vraiment?
|
|
|
|
-- Il venait, disait-il, de la part de Son Éminence, qui vous
|
|
voulait beaucoup de bien, vous prier de le suivre au Palais-Royal.
|
|
|
|
-- Et tu lui as répondu?
|
|
|
|
-- Que la chose était impossible, attendu que vous étiez hors de
|
|
la maison, comme il le pouvait voir.
|
|
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|
-- Alors qu'a-t-il dit?
|
|
|
|
-- Que vous ne manquiez pas de passer chez lui dans la journée;
|
|
puis il a ajouté tout bas: «Dis à ton maître que Son Éminence est
|
|
parfaitement disposée pour lui, et que sa fortune dépend peut-être
|
|
de cette entrevue.»
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|
|
-- Le piège est assez maladroit pour le cardinal, reprit en
|
|
souriant le jeune homme.
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|
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|
-- Aussi, je l'ai vu, le piège, et j'ai répondu que vous seriez
|
|
désespéré à votre retour.
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|
-- Où est-il allé? a demandé M. de Cavois. À Troyes en Champagne,
|
|
ai-je répondu. Et quand est-il parti?
|
|
|
|
-- Hier soir.»
|
|
|
|
-- Planchet, mon ami, interrompit d'Artagnan, tu es véritablement
|
|
un homme précieux.
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|
|
-- Vous comprenez, monsieur, j'ai pensé qu'il serait toujours
|
|
temps, si vous désirez voir M. de Cavois, de me démentir en disant
|
|
que vous n'étiez point parti; ce serait moi, dans ce cas, qui
|
|
aurais fait le mensonge, et comme je ne suis pas gentilhomme, moi,
|
|
je puis mentir.
|
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|
-- Rassure-toi, Planchet, tu conserveras ta réputation d'homme
|
|
véridique: dans un quart d'heure nous partons.
|
|
|
|
-- C'est le conseil que j'allais donner à monsieur; et où allons-
|
|
nous, sans être trop curieux?
|
|
|
|
-- Pardieu! du côté opposé à celui vers lequel tu as dit que
|
|
j'étais allé. D'ailleurs, n'as-tu pas autant de hâte d'avoir des
|
|
nouvelles de Grimaud, de Mousqueton et de Bazin que j'en ai, moi,
|
|
de savoir ce que sont devenus Athos, Porthos et Aramis?
|
|
|
|
-- Si fait, monsieur, dit Planchet, et je partirai quand vous
|
|
voudrez; l'air de la province vaut mieux pour nous, à ce que je
|
|
crois, en ce moment, que l'air de Paris. Ainsi donc...
|
|
|
|
-- Ainsi donc, fais notre paquet, Planchet, et partons; moi, je
|
|
m'en vais devant, les mains dans mes poches, pour qu'on ne se
|
|
doute de rien. Tu me rejoindras à l'hôtel des Gardes. À propos,
|
|
Planchet, je crois que tu as raison à l'endroit de notre hôte, et
|
|
que c'est décidément une affreuse canaille.
|
|
|
|
-- Ah! croyez-moi, monsieur, quand je vous dis quelque chose; je
|
|
suis physionomiste, moi, allez!»
|
|
|
|
D'Artagnan descendit le premier, comme la chose avait été
|
|
convenue; puis, pour n'avoir rien à se reprocher, il se dirigea
|
|
une dernière fois vers la demeure de ses trois amis: on n'avait
|
|
reçu aucune nouvelle d'eux, seulement une lettre toute parfumée et
|
|
d'une écriture élégante et menue était arrivée pour Aramis.
|
|
D'Artagnan s'en chargea. Dix minutes après, Planchet le rejoignait
|
|
dans les écuries de l'hôtel des Gardes. D'Artagnan, pour qu'il n'y
|
|
eût pas de temps perdu, avait déjà sellé son cheval lui-même.
|
|
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|
«C'est bien, dit-il à Planchet, lorsque celui-ci eut joint le
|
|
portemanteau à l'équipement; maintenant selle les trois autres, et
|
|
partons.
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|
-- Croyez-vous que nous irons plus vite avec chacun deux chevaux?
|
|
demanda Planchet avec son air narquois.
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|
-- Non, monsieur le mauvais plaisant, répondit d'Artagnan, mais
|
|
avec nos quatre chevaux nous pourrons ramener nos trois amis, si
|
|
toutefois nous les retrouvons vivants.
|
|
|
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-- Ce qui serait une grande chance, répondit Planchet, mais enfin
|
|
il ne faut pas désespérer de la miséricorde de Dieu.
|
|
|
|
-- Amen», dit d'Artagnan en enfourchant son cheval.
|
|
|
|
Et tous deux sortirent de l'hôtel des Gardes, s'éloignèrent chacun
|
|
par un bout de la rue, l'un devant quitter Paris par la barrière
|
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de la Villette et l'autre par la barrière de Montmartre, pour se
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rejoindre au-delà de Saint-Denis, manoeuvre stratégique qui, ayant
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été exécutée avec une égale ponctualité, fut couronnée des plus
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heureux résultats. D'Artagnan et Planchet entrèrent ensemble à
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Pierrefitte.
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Planchet était plus courageux, il faut le dire, le jour que la
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nuit.
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Cependant sa prudence naturelle ne l'abandonnait pas un seul
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instant; il n'avait oublié aucun des incidents du premier voyage,
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et il tenait pour ennemis tous ceux qu'il rencontrait sur la
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route. Il en résultait qu'il avait sans cesse le chapeau à la
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main, ce qui lui valait de sévères mercuriales de la part de
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d'Artagnan, qui craignait que, grâce à cet excès de politesse, on
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ne le prît pour le valet d'un homme de peu.
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Cependant, soit qu'effectivement les passants fussent touchés de
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l'urbanité de Planchet, soit que cette fois personne ne fût aposté
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sur la route du jeune homme, nos deux voyageurs arrivèrent à
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Chantilly sans accident aucun et descendirent à l'hôtel du Grand
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Saint Martin, le même dans lequel ils s'étaient arrêtés lors de
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leur premier voyage.
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L'hôte, en voyant un jeune homme suivi d'un laquais et de deux
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chevaux de main, s'avança respectueusement sur le seuil de la
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porte. Or, comme il avait déjà fait onze lieues, d'Artagnan jugea
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à propos de s'arrêter, que Porthos fût ou ne fût pas dans l'hôtel.
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Puis peut-être n'était-il pas prudent de s'informer du premier
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coup de ce qu'était devenu le mousquetaire. Il résulta de ces
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réflexions que d'Artagnan, sans demander aucune nouvelle de qui
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que ce fût, descendit, recommanda les chevaux à son laquais, entra
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dans une petite chambre destinée à recevoir ceux qui désiraient
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être seuls, et demanda à son hôte une bouteille de son meilleur
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vin et un déjeuner aussi bon que possible, demande qui corrobora
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encore la bonne opinion que l'aubergiste avait prise de son
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voyageur à la première vue.
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Aussi d'Artagnan fut-il servi avec une célérité miraculeuse.
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Le régiment des gardes se recrutait parmi les premiers
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gentilshommes du royaume, et d'Artagnan, suivi d'un laquais et
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voyageant avec quatre chevaux magnifiques, ne pouvait, malgré la
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simplicité de son uniforme, manquer de faire sensation. L'hôte
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voulut le servir lui-même; ce que voyant, d'Artagnan fit apporter
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deux verres et entama la conversation suivante:
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«Ma foi, mon cher hôte, dit d'Artagnan en remplissant les deux
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verres, je vous ai demandé de votre meilleur vin et si vous m'avez
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trompé, vous allez être puni par où vous avez péché, attendu que,
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comme je déteste boire seul, vous allez boire avec moi. Prenez
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donc ce verre, et buvons. À quoi boirons-nous, voyons, pour ne
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blesser aucune susceptibilité? Buvons à la prospérité de votre
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établissement!
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-- Votre Seigneurie me fait honneur, dit l'hôte, et je la remercie
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bien sincèrement de son bon souhait.
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-- Mais ne vous y trompez pas, dit d'Artagnan, il y a plus
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d'égoïsme peut-être que vous ne le pensez dans mon toast: il n'y a
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que les établissements qui prospèrent dans lesquels on soit bien
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reçu; dans les hôtels qui périclitent, tout va à la débandade, et
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le voyageur est victime des embarras de son hôte; or, moi qui
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voyage beaucoup et surtout sur cette route, je voudrais voir tous
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les aubergistes faire fortune.
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-- En effet, dit l'hôte, il me semble que ce n'est pas la première
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fois que j'ai l'honneur de voir monsieur.
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-- Bah? je suis passé dix fois peut-être à Chantilly, et sur les
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dix fois je me suis arrêté au moins trois ou quatre fois chez
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vous. Tenez, j'y étais encore il y a dix ou douze jours à peu
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près; je faisais la conduite à des amis, à des mousquetaires, à
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telle enseigne que l'un d'eux s'est pris de dispute avec un
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étranger, un inconnu, un homme qui lui a cherché je ne sais quelle
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querelle.
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-- Ah! oui vraiment! dit l'hôte, et je me le rappelle
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parfaitement. N'est-ce pas de M. Porthos que Votre Seigneurie veut
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me parler?
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-- C'est justement le nom de mon compagnon de voyage.
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«Mon Dieu! mon cher hôte, dites-moi, lui serait-il arrivé malheur?
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-- Mais Votre Seigneurie a dû remarquer qu'il n'a pas pu continuer
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sa route.
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-- En effet, il nous avait promis de nous rejoindre, et nous ne
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l'avons pas revu.
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-- Il nous a fait l'honneur de rester ici.
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-- Comment! il vous a fait l'honneur de rester ici?
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-- Oui, monsieur, dans cet hôtel; nous sommes même bien inquiets.
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-- Et de quoi?
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-- De certaines dépenses qu'il a faites.
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-- Eh bien, mais les dépenses qu'il a faites, il les paiera.
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-- Ah! monsieur, vous me mettez véritablement du baume dans le
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sang! Nous avons fait de fort grandes avances, et ce matin encore
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le chirurgien nous déclarait que si M. Porthos ne le payait pas,
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c'était à moi qu'il s'en prendrait, attendu que c'était moi qui
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l'avais envoyé chercher.
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-- Mais Porthos est donc blessé?
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-- Je ne saurais vous le dire, monsieur.
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-- Comment, vous ne sauriez me le dire? vous devriez cependant
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être mieux informé que personne.
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-- Oui, mais dans notre état nous ne disons pas tout ce que nous
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savons, monsieur, surtout quand on nous a prévenus que nos
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oreilles répondraient pour notre langue.
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-- Eh bien, puis-je voir Porthos?
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-- Certainement, monsieur. Prenez l'escalier, montez au premier et
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frappez au n° 1. Seulement, prévenez que c'est vous.
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-- Comment! que je prévienne que c'est moi?
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-- Oui, car il pourrait vous arriver malheur.
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-- Et quel malheur voulez-vous qu'il m'arrive?
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-- M. Porthos peut vous prendre pour quelqu'un de la maison et,
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dans un mouvement de colère, vous passer son épée à travers le
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corps ou vous brûler la cervelle.
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-- Que lui avez-vous donc fait?
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-- Nous lui avons demandé de l'argent.
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-- Ah! diable, je comprends cela; c'est une demande que Porthos
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reçoit très mal quand il n'est pas en fonds; mais je sais qu'il
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devait y être.
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-- C'est ce que nous avions pensé aussi, monsieur; comme la maison
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est fort régulière et que nous faisons nos comptes toutes les
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semaines, au bout de huit jours nous lui avons présenté notre
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note; mais il paraît que nous sommes tombés dans un mauvais
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moment, car, au premier mot que nous avons prononcé sur la chose,
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il nous a envoyés à tous les diables; il est vrai qu'il avait joué
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la veille.
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-- Comment, il avait joué la veille! et avec qui?
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-- Oh! mon Dieu, qui sait cela? avec un seigneur qui passait et
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auquel il avait fait proposer une partie de lansquenet.
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-- C'est cela, le malheureux aura tout perdu.
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-- Jusqu'à son cheval, monsieur, car lorsque l'étranger a été pour
|
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partir, nous nous sommes aperçus que son laquais sellait le cheval
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de M. Porthos. Alors nous lui en avons fait l'observation, mais il
|
|
nous a répondu que nous nous mêlions de ce qui ne nous regardait
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pas et que ce cheval était à lui. Nous avons aussitôt fait
|
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prévenir M. Porthos de ce qui se passait, mais il nous à fait dire
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que nous étions des faquins de douter de la parole d'un
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gentilhomme, et que, puisque celui-là avait dit que le cheval
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était à lui, il fallait bien que cela fût.
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-- Je le reconnais bien là, murmura d'Artagnan.
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-- Alors, continua l'hôte, je lui fis répondre que du moment où
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nous paraissions destinés à ne pas nous entendre à l'endroit du
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paiement, j'espérais qu'il aurait au moins la bonté d'accorder la
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faveur de sa pratique à mon confrère le maître de l'Aigle d'Or;
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|
mais M. Porthos me répondit que mon hôtel étant le meilleur, il
|
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désirait y rester.
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«Cette réponse était trop flatteuse pour que j'insistasse sur son
|
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départ. Je me bornai donc à le prier de me rendre sa chambre, qui
|
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est la plus belle de l'hôtel, et de se contenter d'un joli petit
|
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cabinet au troisième. Mais à ceci M. Porthos répondit que, comme
|
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il attendait d'un moment à l'autre sa maîtresse, qui était une des
|
|
plus grandes dames de la cour, je devais comprendre que la chambre
|
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qu'il me faisait l'honneur d'habiter chez moi était encore bien
|
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médiocre pour une pareille personne.
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«Cependant, tout en reconnaissant la vérité de ce qu'il disait, je
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|
crus devoir insister; mais, sans même se donner la peine d'entrer
|
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en discussion avec moi, il prit son pistolet, le mit sur sa table
|
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de nuit et déclara qu'au premier mot qu'on lui dirait d'un
|
|
déménagement quelconque à l'extérieur ou à l'intérieur, il
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brûlerait la cervelle à celui qui serait assez imprudent pour se
|
|
mêler d'une chose qui ne regardait que lui. Aussi, depuis ce
|
|
temps-là, monsieur, personne n'entre plus dans sa chambre, si ce
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|
n'est son domestique.
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-- Mousqueton est donc ici?
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-- Oui, monsieur; cinq jours après son départ, il est revenu de
|
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fort mauvaise humeur de son côté; il paraît que lui aussi a eu du
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|
désagrément dans son voyage. Malheureusement, il est plus ingambe
|
|
que son maître, ce qui fait que pour son maître il met tout sens
|
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dessus dessous, attendu que, comme il pense qu'on pourrait lui
|
|
refuser ce qu'il demande, il prend tout ce dont il a besoin sans
|
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demander.
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-- Le fait est, répondit d'Artagnan, que j'ai toujours remarqué
|
|
dans Mousqueton un dévouement et une intelligence très supérieurs.
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|
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-- Cela est possible, monsieur; mais supposez qu'il m'arrive
|
|
seulement quatre fois par an de me trouver en contact avec une
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intelligence et un dévouement semblables, et je suis un homme
|
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ruiné.
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-- Non, car Porthos vous paiera.
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-- Hum! fit l'hôtelier d'un ton de doute.
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-- C'est le favori d'une très grande dame qui ne le laissera pas
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dans l'embarras pour une misère comme celle qu'il vous doit.
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-- Si j'ose dire ce que je crois là-dessus...
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-- Ce que vous croyez?
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-- Je dirai plus: ce que je sais.
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-- Ce que vous savez?
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-- Et même ce dont je suis sûr.
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|
-- Et de quoi êtes-vous sûr, voyons?
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-- Je dirai que je connais cette grande dame.
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-- Vous?
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-- Oui, moi.
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-- Et comment la connaissez-vous?
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|
-- Oh! monsieur, si je croyais pouvoir me fier à votre
|
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discrétion...
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-- Parlez, et foi de gentilhomme, vous n'aurez pas à vous repentir
|
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de votre confiance.
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-- Eh bien, monsieur, vous concevez, l'inquiétude fait faire bien
|
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des choses.
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-- Qu'avez-vous fait?
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-- Oh! d'ailleurs, rien qui ne soit dans le droit d'un créancier.
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-- Enfin?
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-- M. Porthos nous a remis un billet pour cette duchesse, en nous
|
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recommandant de le jeter à la poste. Son domestique n'était pas
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encore arrivé. Comme il ne pouvait pas quitter sa chambre, il
|
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fallait bien qu'il nous chargeât de ses commissions.
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-- Ensuite?
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-- Au lieu de mettre la lettre à la poste, ce qui n'est jamais
|
|
bien sûr, j'ai profité de l'occasion de l'un de mes garçons qui
|
|
allait à Paris, et je lui ai ordonné de la remettre à cette
|
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duchesse elle-même. C'était remplir les intentions de M. Porthos,
|
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qui nous avait si fort recommandé cette lettre, n'est-ce pas?
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-- À peu près.
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-- Eh bien, monsieur, savez-vous ce que c'est que cette grande
|
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dame?
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|
-- Non; j'en ai entendu parler à Porthos, voilà tout.
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-- Savez-vous ce que c'est que cette prétendue duchesse?
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-- Je vous le répète, je ne la connais pas.
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-- C'est une vieille procureuse au Châtelet, monsieur, nommée
|
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Mme Coquenard, laquelle a au moins cinquante ans, et se donne
|
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encore des airs d'être jalouse. Cela me paraissait aussi fort
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singulier, une princesse qui demeure rue aux Ours.
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-- Comment savez-vous cela?
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-- Parce qu'elle s'est mise dans une grande colère en recevant la
|
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lettre, disant que M. Porthos était un volage, et que c'était
|
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encore pour quelque femme qu'il avait reçu ce coup d'épée.
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-- Mais il a donc reçu un coup d'épée?
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|
-- Ah! mon Dieu! qu'ai-je dit là?
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-- Vous avez dit que Porthos avait reçu un coup d'épée.
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|
-- Oui; mais il m'avait si fort défendu de le dire!
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|
-- Pourquoi cela?
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-- Dame! monsieur, parce qu'il s'était vanté de perforer cet
|
|
étranger avec lequel vous l'avez laisse en dispute, et que c'est
|
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cet étranger, au contraire, qui, malgré toutes ses rodomontades,
|
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l'a couché sur le carreau. Or, comme M. Porthos est un homme fort
|
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glorieux, excepté envers la duchesse, qu'il avait cru intéresser
|
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en lui faisant le récit de son aventure, il ne veut avouer à
|
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personne que c'est un coup d'épée qu'il a reçu.
|
|
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|
-- Ainsi c'est donc un coup d'épée qui le retient dans son lit?
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-- Et un maître coup d'épée, je vous l'assure. Il faut que votre
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ami ait l'âme chevillée dans le corps.
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|
-- Vous étiez donc là?
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-- Monsieur, je les avais suivis par curiosité, de sorte que j'ai
|
|
vu le combat sans que les combattants me vissent.
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-- Et comment cela s'est-il passé?
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|
-- Oh! la chose n'a pas été longue, je vous en réponds. Ils se
|
|
sont mis en garde; l'étranger a fait une feinte et s'est fendu;
|
|
tout cela si rapidement, que lorsque M. Porthos est arrivé à la
|
|
parade, il avait déjà trois pouces de fer dans la poitrine. Il est
|
|
tombé en arrière. L'étranger lui a mis aussitôt la pointe de son
|
|
épée à la gorge; et M. Porthos, se voyant à la merci de son
|
|
adversaire, s'est avoué vaincu. Sur quoi, l'étranger lui a demandé
|
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son nom et apprenant qu'il s'appelait M. Porthos, et non
|
|
M. d'Artagnan, lui a offert son bras, l'a ramené à l'hôtel, est
|
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monté à cheval et a disparu.
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-- Ainsi c'est à M. d'Artagnan qu'en voulait cet étranger?
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-- Il paraît que oui.
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-- Et savez-vous ce qu'il est devenu?
|
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|
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-- Non; je ne l'avais jamais vu jusqu'à ce moment et nous ne
|
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l'avons pas revu depuis.
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|
-- Très bien; je sais ce que je voulais savoir. Maintenant, vous
|
|
dites que la chambre de Porthos est au premier, n° 1?
|
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|
-- Oui, monsieur, la plus belle de l'auberge; une chambre que
|
|
j'aurais déjà eu dix fois l'occasion de louer.
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-- Bah! tranquillisez vous, dit d'Artagnan en riant; Porthos vous
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|
paiera avec l'argent de la duchesse Coquenard.
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|
|
|
-- Oh! monsieur, procureuse ou duchesse, si elle lâchait les
|
|
cordons de sa bourse, ce ne serait rien; mais elle a positivement
|
|
répondu qu'elle était lasse des exigences et des infidélités de
|
|
M. Porthos, et qu'elle ne lui enverrait pas un denier.
|
|
|
|
-- Et avez-vous rendu cette réponse à votre hôte?
|
|
|
|
-- Nous nous en sommes bien gardés: il aurait vu de quelle manière
|
|
nous avions fait la commission.
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|
|
|
-- Si bien qu'il attend toujours son argent?
|
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|
|
-- Oh! mon Dieu, oui! Hier encore, il a écrit; mais, cette fois,
|
|
c'est son domestique qui a mis la lettre à la poste.
|
|
|
|
-- Et vous dites que la procureuse est vieille et laide.
|
|
|
|
-- Cinquante ans au moins, monsieur, et pas belle du tout, à ce
|
|
qu'a dit Pathaud.
|
|
|
|
-- En ce cas, soyez tranquille, elle se laissera attendrir;
|
|
d'ailleurs Porthos ne peut pas vous devoir grand-chose.
|
|
|
|
-- Comment, pas grand-chose! Une vingtaine de pistoles déjà, sans
|
|
compter le médecin. Oh! il ne se refuse rien, allez! on voit qu'il
|
|
est habitué à bien vivre.
|
|
|
|
-- Eh bien, si sa maîtresse l'abandonne, il trouvera des amis, je
|
|
vous le certifie. Ainsi, mon cher hôte, n'ayez aucune inquiétude,
|
|
et continuez d'avoir pour lui tous les soins qu'exige son état.
|
|
|
|
-- Monsieur m'a promis de ne pas parler de la procureuse et de ne
|
|
pas dire un mot de la blessure.
|
|
|
|
-- C'est chose convenue; vous avez ma parole.
|
|
|
|
-- Oh! c'est qu'il me tuerait, voyez-vous!
|
|
|
|
-- N'ayez pas peur; il n'est pas si diable qu'il en a l'air.
|
|
|
|
En disant ces mots, d'Artagnan monta l'escalier, laissant son hôte
|
|
un peu plus rassuré à l'endroit de deux choses auxquelles il
|
|
paraissait beaucoup tenir: sa créance et sa vie.
|
|
|
|
Au haut de l'escalier, sur la porte la plus apparente du corridor
|
|
était tracé, à l'encre noire, un n° 1 gigantesque; d'Artagnan
|
|
frappa un coup, et, sur l'invitation de passer outre qui lui vint
|
|
de l'intérieur, il entra.
|
|
|
|
Porthos était couché, et faisait une partie de lansquenet avec
|
|
Mousqueton, pour s'entretenir la main, tandis qu'une broche
|
|
chargée de perdrix tournait devant le feu, et qu'à chaque coin
|
|
d'une grande cheminée bouillaient sur deux réchauds deux
|
|
casseroles, d'où s'exhalait une double odeur de gibelotte et de
|
|
matelote qui réjouissait l'odorat. En outre, le haut d'un
|
|
secrétaire et le marbre d'une commode étaient couverts de
|
|
bouteilles vides.
|
|
|
|
À la vue de son ami, Porthos jeta un grand cri de joie; et
|
|
Mousqueton, se levant respectueusement, lui céda la place et s'en
|
|
alla donner un coup d'oeil aux deux casseroles, dont il paraissait
|
|
avoir l'inspection particulière.
|
|
|
|
«Ah! pardieu! c'est vous, dit Porthos à d'Artagnan, soyez le
|
|
bienvenu, et excusez-moi si je ne vais pas au-devant de vous.
|
|
Mais, ajouta-t-il en regardant d'Artagnan avec une certaine
|
|
inquiétude, vous savez ce qui m'est arrivé?
|
|
|
|
-- Non.
|
|
|
|
-- L'hôte ne vous a rien dit?
|
|
|
|
-- J'ai demandé après vous, et je suis monté tout droit.»
|
|
|
|
-- Porthos parut respirer plus librement.
|
|
|
|
«Et que vous est-il donc arrivé, mon cher Porthos? continua
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Il m'est arrivé qu'en me fendant sur mon adversaire, à qui
|
|
j'avais déjà allongé trois coups d'épée, et avec lequel je voulais
|
|
en finir d'un quatrième, mon pied a porté sur une pierre, et je me
|
|
suis foulé le genou.
|
|
|
|
-- Vraiment?
|
|
|
|
-- D'honneur! Heureusement pour le maraud, car je ne l'aurais
|
|
laissé que mort sur la place, je vous en réponds.
|
|
|
|
-- Et qu'est-il devenu?
|
|
|
|
-- Oh! je n'en sais rien; il en a eu assez, et il est parti sans
|
|
demander son reste; mais vous, mon cher d'Artagnan, que vous est-
|
|
il arrivé?
|
|
|
|
-- De sorte, continua d'Artagnan, que cette foulure, mon cher
|
|
Porthos, vous retient au lit?
|
|
|
|
-- Ah! mon Dieu, oui, voilà tout; du reste, dans quelques jours je
|
|
serai sur pied.
|
|
|
|
-- Pourquoi alors ne vous êtes-vous pas fait transporter à Paris?
|
|
Vous devez vous ennuyer cruellement ici.
|
|
|
|
-- C'était mon intention; mais, mon cher ami, il faut que je vous
|
|
avoue une chose.
|
|
|
|
-- Laquelle?
|
|
|
|
-- C'est que, comme je m'ennuyais cruellement, ainsi que vous le
|
|
dites, et que j'avais dans ma poche les soixante-quinze pistoles
|
|
que vous m'aviez distribuées j'ai, pour me distraire, fait monter
|
|
près de moi un gentilhomme qui était de passage, et auquel j'ai
|
|
proposé de faire une partie de dés. Il a accepté, et, ma foi, mes
|
|
soixante-quinze pistoles sont passées de ma poche dans la sienne,
|
|
sans compter mon cheval, qu'il a encore emporté par dessus le
|
|
marché. Mais vous, mon cher d'Artagnan?
|
|
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-- Que voulez-vous, mon cher Porthos, on ne peut pas être
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privilégié de toutes façons, dit d'Artagnan; vous savez le
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proverbe: "Malheureux au jeu, heureux en amour." Vous êtes trop
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heureux en amour pour que le jeu ne se venge pas; mais que vous
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importent, à vous, les revers de la fortune! n'avez-vous pas,
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heureux coquin que vous êtes, n'avez-vous pas votre duchesse, qui
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ne peut manquer de vous venir en aide?
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-- Eh bien, voyez, mon cher d'Artagnan, comme je joue de guignon,
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répondit Porthos de l'air le plus dégagé du monde! je lui ai écrit
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de m'envoyer quelque cinquante louis dont j'avais absolument
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besoin, vu la position où je me trouvais...
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-- Eh bien?
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-- Eh bien, il faut qu'elle soit dans ses terres, car elle ne m a
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pas répondu.
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-- Vraiment?
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-- Non. Aussi je lui ai adressé hier une seconde épître plus
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pressante encore que la première; mais vous voilà, mon très cher,
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parlons de vous. Je commençais, je vous l'avoue, à être dans une
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certaine inquiétude sur votre compte.
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-- Mais votre hôte se conduit bien envers vous, à ce qu'il paraît,
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mon cher Porthos, dit d'Artagnan, montrant au malade les
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casseroles pleines et les bouteilles vides.
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-- Couci-couci! répondit Porthos. Il y a déjà trois ou quatre
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jours que l'impertinent m'a monté son compte, et que je les ai mis
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à la porte, son compte et lui; de sorte que je suis ici comme une
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façon de vainqueur, comme une manière de conquérant. Aussi, vous
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le voyez, craignant toujours d'être forcé dans la position, je
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suis armé jusqu'aux dents.
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-- Cependant, dit en riant d'Artagnan, il me semble que de temps
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en temps vous faites des sorties.»
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Et il montrait du doigt les bouteilles et les casseroles.
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«Non, pas moi, malheureusement! dit Porthos. Cette misérable
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foulure me retient au lit, mais Mousqueton bat la campagne, et il
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rapporte des vivres. Mousqueton, mon ami, continua Porthos, vous
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voyez qu'il nous arrive du renfort, il nous faudra un supplément
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de victuailles.
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-- Mousqueton, dit d'Artagnan, il faudra que vous me rendiez un
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service.
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-- Lequel, monsieur?
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-- C'est de donner votre recette à Planchet; je pourrais me
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trouver assiégé à mon tour, et je ne serais pas fâché qu'il me fît
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jouir des mêmes avantages dont vous gratifiez votre maître.
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-- Eh! mon Dieu! monsieur, dit Mousqueton d'un air modeste, rien
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de plus facile. Il s'agit d'être adroit, voilà tout. J'ai été
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élevé à la campagne, et mon père, dans ses moments perdus, était
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quelque peu braconnier.
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-- Et le reste du temps, que faisait-il?
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-- Monsieur, il pratiquait une industrie que j'ai toujours trouvée
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assez heureuse.
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-- Laquelle?
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-- Comme c'était au temps des guerres des catholiques et des
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huguenots, et qu'il voyait les catholiques exterminer les
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huguenots, et les huguenots exterminer les catholiques, le tout au
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nom de la religion, il s'était fait une croyance mixte, ce qui lui
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permettait d'être tantôt catholique, tantôt huguenot. Or il se
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promenait habituellement, son escopette sur l'épaule, derrière les
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haies qui bordent les chemins, et quand il voyait venir un
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catholique seul, la religion protestante l'emportait aussitôt dans
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son esprit. Il abaissait son escopette dans la direction du
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voyageur; puis, lorsqu'il était à dix pas de lui, il entamait un
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dialogue qui finissait presque toujours par l'abandon que le
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voyageur faisait de sa bourse pour sauver sa vie. Il va sans dire
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que lorsqu'il voyait venir un huguenot, il se sentait pris d'un
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zèle catholique si ardent, qu'il ne comprenait pas comment, un
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quart d'heure auparavant, il avait pu avoir des doutes sur la
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supériorité de notre sainte religion. Car, moi, monsieur, je suis
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catholique, mon père, fidèle à ses principes, ayant fait mon frère
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aîné huguenot.
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-- Et comment a fini ce digne homme? demanda d'Artagnan.
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-- Oh! de la façon la plus malheureuse, monsieur. Un jour, il
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s'était trouvé pris dans un chemin creux entre un huguenot et un
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catholique à qui il avait déjà eu affaire, et qui le reconnurent
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tous deux; de sorte qu'ils se réunirent contre lui et le pendirent
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à un arbre; puis ils vinrent se vanter de la belle équipée qu'ils
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avaient faite dans le cabaret du premier village, où nous étions à
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boire, mon frère et moi.
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-- Et que fîtes-vous? dit d'Artagnan.
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-- Nous les laissâmes dire, reprit Mousqueton. Puis comme, en
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sortant de ce cabaret, ils prenaient chacun une route opposée, mon
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frère alla s'embusquer sur le chemin du catholique, et moi sur
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celui du protestant. Deux heures après, tout était fini, nous leur
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avions fait à chacun son affaire, tout en admirant la prévoyance
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de notre pauvre père qui avait pris la précaution de nous élever
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chacun dans une religion différente.
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-- En effet, comme vous le dites, Mousqueton, votre père me paraît
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avoir été un gaillard fort intelligent. Et vous dites donc que,
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dans ses moments perdus, le brave homme était braconnier?
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-- Oui, monsieur, et c'est lui qui m'a appris à nouer un collet et
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à placer une ligne de fond. Il en résulte que lorsque j'ai vu que
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notre gredin d'hôte nous nourrissait d'un tas de grosses viandes
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bonnes pour des manants, et qui n'allaient point à deux estomacs
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aussi débilités que les nôtres, je me suis remis quelque peu à mon
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ancien métier. Tout en me promenant dans le bois de M. le Prince,
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j'ai tendu des collets dans les passées; tout en me couchant au
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bord des pièces d'eau de Son Altesse, j'ai glissé des lignes dans
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les étangs. De sorte que maintenant, grâce à Dieu, nous ne
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manquons pas, comme monsieur peut s'en assurer, de perdrix et de
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lapins, de carpes et d'anguilles, tous aliments légers et sains,
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convenables pour des malades.
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-- Mais le vin, dit d'Artagnan, qui fournit le vin? c'est votre
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hôte?
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-- C'est-à-dire, oui et non.
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-- Comment, oui et non?
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-- Il le fournit, il est vrai, mais il ignore qu'il a cet honneur.
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-- Expliquez-vous, Mousqueton, votre conversation est pleine de
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choses instructives.
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-- Voici, monsieur. Le hasard a fait que j'ai rencontré dans mes
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pérégrinations un Espagnol qui avait vu beaucoup de pays, et entre
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autres le Nouveau Monde.
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-- Quel rapport le Nouveau Monde peut-il avoir avec les bouteilles
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qui sont sur ce secrétaire et sur cette commode?
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-- Patience, monsieur, chaque chose viendra à son tour.
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-- C'est juste, Mousqueton; je m'en rapporte à vous, et j'écoute.
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-- Cet Espagnol avait à son service un laquais qui l'avait
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|
accompagné dans son voyage au Mexique. Ce laquais était mon
|
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compatriote, de sorte que nous nous liâmes d'autant plus
|
|
rapidement qu'il y avait entre nous de grands rapports de
|
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caractère. Nous aimions tous deux la chasse par-dessus tout, de
|
|
sorte qu'il me racontait comment, dans les plaines de pampas, les
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|
naturels du pays chassent le tigre et les taureaux avec de simples
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noeuds coulants qu'ils jettent au cou de ces terribles animaux.
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|
D'abord, je ne voulais pas croire qu'on pût en arriver à ce degré
|
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d'adresse, de jeter à vingt ou trente pas l'extrémité d'une corde
|
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où l'on veut; mais devant la preuve il fallait bien reconnaître la
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vérité du récit. Mon ami plaçait une bouteille à trente pas, et à
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chaque coup il lui prenait le goulot dans un noeud coulant. Je me
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|
livrai à cet exercice, et comme la nature m'a doué de quelques
|
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facultés, aujourd'hui je jette le lasso aussi bien qu'aucun homme
|
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du monde. Eh bien, comprenez-vous? Notre hôte a une cave très bien
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garnie, mais dont la clef ne le quitte pas; seulement, cette cave
|
|
a un soupirail. Or, par ce soupirail, je jette le lasso; et comme
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je sais maintenant où est le bon coin, j'y puise. Voici, monsieur,
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comment le Nouveau Monde se trouve être en rapport avec les
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bouteilles qui sont sur cette commode et sur ce secrétaire.
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Maintenant, voulez-vous goûter notre vin, et, sans prévention,
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vous nous direz ce que vous en pensez.
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|
-- Merci, mon ami, merci; malheureusement, je viens de déjeuner.
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-- Eh bien, dit Porthos, mets la table, Mousqueton, et tandis que
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|
nous déjeunerons, nous, d'Artagnan nous racontera ce qu'il est
|
|
devenu lui-même, depuis dix jours qu'il nous a quittés.
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-- Volontiers», dit d'Artagnan.
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|
Tandis que Porthos et Mousqueton déjeunaient avec des appétits de
|
|
convalescents et cette cordialité de frères qui rapproche les
|
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hommes dans le malheur, d'Artagnan raconta comment Aramis blessé
|
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avait été forcé de s'arrêter à Crèvecoeur, comment il avait laissé
|
|
Athos se débattre à Amiens entre les mains de quatre hommes qui
|
|
l'accusaient d'être un faux-monnayeur, et comment, lui,
|
|
d'Artagnan, avait été forcé de passer sur le ventre du comte
|
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de Wardes pour arriver jusqu'en Angleterre.
|
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|
Mais là s'arrêta la confidence de d'Artagnan; il annonça seulement
|
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qu'à son retour de la Grande-Bretagne il avait ramené quatre
|
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chevaux magnifiques, dont un pour lui et un autre pour chacun de
|
|
ses compagnons, puis il termina en annonçant à Porthos que celui
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|
qui lui était destiné était déjà installé dans l'écurie de
|
|
l'hôtel.
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En ce moment Planchet entra; il prévenait son maître que les
|
|
chevaux étaient suffisamment reposés, et qu'il serait possible
|
|
d'aller coucher à Clermont.
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Comme d'Artagnan était à peu près rassuré sur Porthos, et qu'il lui
|
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tardait d'avoir des nouvelles de ses deux autres amis, il tendit la
|
|
main au malade, et le prévint qu'il allait se mettre en route pour
|
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continuer ses recherches. Au reste, comme il comptait revenir par la
|
|
même route, si, dans sept à huit jours, Porthos était encore à l'hôtel
|
|
du Grand Saint Martin, il le reprendrait en passant.
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|
Porthos répondit que, selon toute probabilité, sa foulure ne lui
|
|
permettrait pas de s'éloigner d'ici là. D'ailleurs il fallait qu'il
|
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restât à Chantilly pour attendre une réponse de sa duchesse.
|
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|
D'Artagnan lui souhaita cette réponse prompte et bonne; et après avoir
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recommandé de nouveau Porthos à Mousqueton, et payé sa dépense à
|
|
l'hôte, il se remit en route avec Planchet, déjà débarrassé d'un de ses
|
|
chevaux de main.
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CHAPITRE XXVI
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|
LA THÈSE D'ARAMIS
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D'Artagnan n'avait rien dit à Porthos de sa blessure ni de sa
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procureuse. C'était un garçon fort sage que notre Béarnais, si
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jeune qu'il fût. En conséquence, il avait fait semblant de croire
|
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tout ce que lui avait raconté le glorieux mousquetaire, convaincu
|
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qu'il n'y a pas d'amitié qui tienne à un secret surpris, surtout
|
|
quand ce secret intéresse l'orgueil; puis on a toujours une
|
|
certaine supériorité morale sur ceux dont on sait la vie.
|
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|
Or d'Artagnan, dans ses projets d'intrigue à venir, et décidé
|
|
qu'il était à faire de ses trois compagnons les instruments de sa
|
|
fortune, d'Artagnan n'était pas fâché de réunir d'avance dans sa
|
|
main les fils invisibles à l'aide desquels il comptait les mener.
|
|
|
|
Cependant, tout le long de la route, une profonde tristesse lui
|
|
serrait le coeur: il pensait à cette jeune et jolie Mme Bonacieux
|
|
qui devait lui donner le prix de son dévouement; mais, hâtons-nous
|
|
de le dire, cette tristesse venait moins chez le jeune homme du
|
|
regret de son bonheur perdu que de la crainte qu'il éprouvait
|
|
qu'il n'arrivât malheur à cette pauvre femme. Pour lui, il n'y
|
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avait pas de doute, elle était victime d'une vengeance du cardinal
|
|
et comme on le sait, les vengeances de Son Éminence étaient
|
|
terribles. Comment avait-il trouvé grâce devant les yeux du
|
|
ministre, c'est ce qu'il ignorait lui-même et sans doute ce que
|
|
lui eût révélé M. de Cavois, si le capitaine des gardes l'eût
|
|
trouvé chez lui.
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|
Rien ne fait marcher le temps et n'abrège la route comme une
|
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pensée qui absorbe en elle-même toutes les facultés de
|
|
l'organisation de celui qui pense. L'existence extérieure
|
|
ressemble alors à un sommeil dont cette pensée est le rêve. Par
|
|
son influence, le temps n'a plus de mesure, l'espace n'a plus de
|
|
distance. On part d'un lieu, et l'on arrive à un autre, voilà
|
|
tout. De l'intervalle parcouru, rien ne reste présent à votre
|
|
souvenir qu'un brouillard vague dans lequel s'effacent mille
|
|
images confuses d'arbres, de montagnes et de paysages. Ce fut en
|
|
proie à cette hallucination que d'Artagnan franchit, à l'allure
|
|
que voulut prendre son cheval, les six ou huit lieues qui séparent
|
|
Chantilly de Crèvecoeur, sans qu'en arrivant dans ce village il se
|
|
souvînt d'aucune des choses qu'il avait rencontrées sur sa route.
|
|
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|
Là seulement la mémoire lui revint, il secoua la tête aperçut le
|
|
cabaret où il avait laissé Aramis, et, mettant son cheval au trot,
|
|
il s'arrêta à la porte.
|
|
|
|
Cette fois ce ne fut pas un hôte, mais une hôtesse qui le reçut;
|
|
d'Artagnan était physionomiste, il enveloppa d'un coup d'oeil la
|
|
grosse figure réjouie de la maîtresse du lieu, et comprit qu'il
|
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n'avait pas besoin de dissimuler avec elle et qu'il n'avait rien à
|
|
craindre de la part d'une si joyeuse physionomie.
|
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|
«Ma bonne dame, lui demanda d'Artagnan, pourriez-vous me dire ce
|
|
qu'est devenu un de mes amis, que nous avons été forcés de laisser
|
|
ici il y a une douzaine de jours?
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|
-- Un beau jeune homme de vingt-trois à vingt-quatre ans, doux,
|
|
aimable, bien fait?
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-- De plus, blessé à l'épaule.
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|
-- C'est cela!
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|
|
-- Justement.
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|
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|
-- Eh bien, monsieur, il est toujours ici.
|
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|
-- Ah! pardieu, ma chère dame, dit d'Artagnan en mettant pied à
|
|
terre et en jetant la bride de son cheval au bras de Planchet,
|
|
vous me rendez la vie; où est-il, ce cher Aramis, que je
|
|
l'embrasse? car, je l'avoue, j'ai hâte de le revoir.
|
|
|
|
-- Pardon, monsieur, mais je doute qu'il puisse vous recevoir en
|
|
ce moment.
|
|
|
|
-- Pourquoi cela? est-ce qu'il est avec une femme?
|
|
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|
-- Jésus! que dites-vous là! le pauvre garçon! Non, monsieur, il
|
|
n'est pas avec une femme.
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-- Et avec qui est-il donc?
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|
|
-- Avec le curé de Montdidier et le supérieur des jésuites
|
|
d'Amiens.
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-- Mon Dieu! s'écria d'Artagnan, le pauvre garçon irait-il plus
|
|
mal?
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|
|
|
-- Non, monsieur, au contraire; mais, à la suite de sa maladie, la
|
|
grâce l'a touché et il s'est décidé à entrer dans les ordres.
|
|
|
|
-- C'est juste, dit d'Artagnan, j'avais oublié qu'il n'était
|
|
mousquetaire que par intérim.
|
|
|
|
-- Monsieur insiste-t-il toujours pour le voir?
|
|
|
|
-- Plus que jamais.
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|
|
|
-- Eh bien, monsieur n'a qu'à prendre l'escalier à droite dans la
|
|
cour, au second, n° 5.»
|
|
|
|
D'Artagnan s'élança dans la direction indiquée et trouva un de ces
|
|
escaliers extérieurs comme nous en voyons encore aujourd'hui dans
|
|
les cours des anciennes auberges. Mais on n'arrivait pas ainsi
|
|
chez le futur abbé; les défilés de la chambre d'Aramis étaient
|
|
gardés ni plus ni moins que les jardins d'Aramis; Bazin
|
|
stationnait dans le corridor et lui barra le passage avec d'autant
|
|
plus d'intrépidité qu'après bien des années d'épreuve, Bazin se
|
|
voyait enfin près d'arriver au résultat qu'il avait éternellement
|
|
ambitionné.
|
|
|
|
En effet, le rêve du pauvre Bazin avait toujours été de servir un
|
|
homme d'Église, et il attendait avec impatience le moment sans
|
|
cesse entrevu dans l'avenir où Aramis jetterait enfin la casaque
|
|
aux orties pour prendre la soutane. La promesse renouvelée chaque
|
|
jour par le jeune homme que le moment ne pouvait tarder l'avait
|
|
seule retenu au service d'un mousquetaire, service dans lequel,
|
|
disait-il, il ne pouvait manquer de perdre son âme.
|
|
|
|
Bazin était donc au comble de la joie. Selon toute probabilité,
|
|
cette fois son maître ne se dédirait pas. La réunion de la douleur
|
|
physique à la douleur morale avait produit l'effet si longtemps
|
|
désiré: Aramis, souffrant à la fois du corps et de l'âme, avait
|
|
enfin arrêté sur la religion ses yeux et sa pensée, et il avait
|
|
regardé comme un avertissement du Ciel le double accident qui lui
|
|
était arrivé, c'est-à-dire la disparition subite de sa maîtresse
|
|
et sa blessure à l'épaule.
|
|
|
|
On comprend que rien ne pouvait, dans la disposition où il se
|
|
trouvait, être plus désagréable à Bazin que l'arrivée de
|
|
d'Artagnan, laquelle pouvait rejeter son maître dans le tourbillon
|
|
des idées mondaines qui l'avaient si longtemps entraîné. Il
|
|
résolut donc de défendre bravement la porte; et comme, trahi par
|
|
la maîtresse de l'auberge, il ne pouvait dire qu'Aramis était
|
|
absent, il essaya de prouver au nouvel arrivant que ce serait le
|
|
comble de l'indiscrétion que de déranger son maître dans la pieuse
|
|
conférence qu'il avait entamée depuis le matin, et qui, au dire de
|
|
Bazin, ne pouvait être terminée avant le soir.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan ne tint aucun compte de l'éloquent discours de
|
|
maître Bazin, et comme il ne se souciait pas d'entamer une
|
|
polémique avec le valet de son ami, il l'écarta tout simplement
|
|
d'une main, et de l'autre il tourna le bouton de la porte n° 5.
|
|
|
|
La porte s'ouvrit, et d'Artagnan pénétra dans la chambre.
|
|
|
|
Aramis, en surtout noir, le chef accommodé d'une espèce de
|
|
coiffure ronde et plate qui ne ressemblait pas mal à une calotte,
|
|
était assis devant une table oblongue couverte de rouleaux de
|
|
papier et d'énormes in-folio; à sa droite était assis le supérieur
|
|
des jésuites, et à sa gauche le curé de Montdidier. Les rideaux
|
|
étaient à demi clos et ne laissaient pénétrer qu'un jour
|
|
mystérieux, ménagé pour une béate rêverie. Tous les objets
|
|
mondains qui peuvent frapper l'oeil quand on entre dans la chambre
|
|
d'un jeune homme, et surtout lorsque ce jeune homme est
|
|
mousquetaire, avaient disparu comme par enchantement; et, de peur
|
|
sans doute que leur vue ne ramenât son maître aux idées de ce
|
|
monde, Bazin avait fait main basse sur l'épée, les pistolets, le
|
|
chapeau à plume, les broderies et les dentelles de tout genre et
|
|
de toute espèce.
|
|
|
|
Mais, en leur lieu et place, d'Artagnan crut apercevoir dans un
|
|
coin obscur comme une forme de discipline suspendue par un clou à
|
|
la muraille.
|
|
|
|
Au bruit que fit d'Artagnan en ouvrant la porte, Aramis leva la
|
|
tête et reconnut son ami. Mais, au grand étonnement du jeune
|
|
homme, sa vue ne parut pas produire une grande impression sur le
|
|
mousquetaire, tant son esprit était détaché des choses de la
|
|
terre.
|
|
|
|
«Bonjour, cher d'Artagnan, dit Aramis; croyez que je suis heureux
|
|
de vous voir.
|
|
|
|
-- Et moi aussi, dit d'Artagnan, quoique je ne sois pas encore
|
|
bien sûr que ce soit à Aramis que je parle.
|
|
|
|
-- À lui-même, mon ami, à lui-même; mais qui a pu vous faire
|
|
douter?
|
|
|
|
-- J'avais peur de me tromper de chambre, et j'ai cru d'abord
|
|
entrer dans l'appartement de quelque homme Église; puis une autre
|
|
erreur m'a pris en vous trouvant en compagnie de ces messieurs:
|
|
c'est que vous ne fussiez gravement malade.»
|
|
|
|
Les deux hommes noirs lancèrent sur d'Artagnan, dont ils
|
|
comprirent l'intention, un regard presque menaçant; mais
|
|
d'Artagnan ne s'en inquiéta pas.
|
|
|
|
«Je vous trouble peut-être, mon cher Aramis, continua d'Artagnan;
|
|
car, d'après ce que je vois, je suis porté à croire que vous vous
|
|
confessez à ces messieurs.»
|
|
|
|
Aramis rougit imperceptiblement.
|
|
|
|
«Vous, me troubler? oh! bien au contraire, cher ami, je vous le
|
|
jure; et comme preuve de ce que je dis, permettez-moi de me
|
|
réjouir en vous voyant sain et sauf.
|
|
|
|
-- Ah! il y vient enfin! pensa d'Artagnan, ce n'est pas
|
|
malheureux.
|
|
|
|
-- Car, monsieur, qui est mon ami, vient d'échapper à un rude
|
|
danger, continua Aramis avec onction, en montrant de la main
|
|
d'Artagnan aux deux ecclésiastiques.
|
|
|
|
-- Louez Dieu, monsieur, répondirent ceux-ci en s'inclinant à
|
|
l'unisson.
|
|
|
|
-- Je n'y ai pas manqué, mes révérends, répondit le jeune homme en
|
|
leur rendant leur salut à son tour.
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-- Vous arrivez à propos, cher d'Artagnan, dit Aramis, et vous
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allez, en prenant part à la discussion, l'éclairer de vos
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lumières. M. le principal d'Amiens, M. le curé de Montdidier et
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moi, nous argumentons sur certaines questions théologiques dont
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l'intérêt nous captive depuis longtemps; je serais charmé d'avoir
|
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votre avis.
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-- L'avis d'un homme d'épée est bien dénué de poids, répondit
|
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d'Artagnan, qui commençait à s'inquiéter de la tournure que
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prenaient les choses, et vous pouvez vous en tenir, croyez-moi, à
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la science de ces messieurs.»
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Les deux hommes noirs saluèrent à leur tour.
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«Au contraire, reprit Aramis, et votre avis nous sera précieux;
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voici de quoi il s'agit: M. le principal croit que ma thèse doit
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être surtout dogmatique et didactique.
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-- Votre thèse! vous faites donc une thèse?
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-- Sans doute, répondit le jésuite; pour l'examen qui précède
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l'ordination, une thèse est de rigueur.
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-- L'ordination! s'écria d'Artagnan, qui ne pouvait croire à ce
|
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que lui avaient dit successivement l'hôtesse et
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Bazin,... l'ordination!»
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Et il promenait ses yeux stupéfaits sur les trois personnages
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qu'il avait devant lui.
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«Or», continua Aramis en prenant sur son fauteuil la même pose
|
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gracieuse que s'il eût été dans une ruelle et en examinant avec
|
|
complaisance sa main blanche et potelée comme une main de femme,
|
|
qu'il tenait en l'air pour en faire descendre le sang: «or, comme
|
|
vous l'avez entendu, d'Artagnan, M. le principal voudrait que ma
|
|
thèse fût dogmatique, tandis que je voudrais, moi, qu'elle fût
|
|
idéale. C'est donc pourquoi M. le principal me proposait ce sujet
|
|
qui n'a point encore été traité, dans lequel je reconnais qu'il y
|
|
a matière à de magnifiques développements.
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_«Utraque manus in benedicendo clericis inferioribus necessaria
|
|
est.»_
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D'Artagnan, dont nous connaissons l'érudition, ne sourcilla pas
|
|
plus à cette citation qu'à celle que lui avait faite
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M. de Tréville à propos des présents qu'il prétendait que
|
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d'Artagnan avait reçus de M. de Buckingham.
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|
«Ce qui veut dire, reprit Aramis pour lui donner toute facilité:
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|
les deux mains sont indispensables aux prêtres des ordres
|
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inférieurs, quand ils donnent la bénédiction.
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-- Admirable sujet! s'écria le jésuite.
|
|
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|
-- Admirable et dogmatique!» répéta le curé qui, de la force de
|
|
d'Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le
|
|
jésuite pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme
|
|
un écho.
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|
Quant à d'Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à
|
|
l'enthousiasme des deux hommes noirs.
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«Oui, admirable! _prorsus admirabile_! continua Aramis, mais qui
|
|
exige une étude approfondie des Pères et des Écritures. Or j'ai
|
|
avoué à ces savants ecclésiastiques, et cela en toute humilité,
|
|
que les veilles des corps de garde et le service du roi m'avaient
|
|
fait un peu négliger l'étude. Je me trouverai donc plus à mon
|
|
aise, _facilius natans_, dans un sujet de mon choix, qui serait à
|
|
ces rudes questions théologiques ce que la morale est à la
|
|
métaphysique en philosophie.»
|
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|
D'Artagnan s'ennuyait profondément, le curé aussi.
|
|
|
|
«Voyez quel exorde! s'écria le jésuite.
|
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-- _Exordium_, répéta le curé pour dire quelque chose.
|
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-- _Quemadmodum minter coelorum immensitatem._»
|
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|
Aramis jeta un coup d'oeil de côté sur d'Artagnan, et il vit que
|
|
son ami bâillait à se démonter la mâchoire.
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|
«Parlons français, mon père, dit-il au jésuite, M. d'Artagnan
|
|
goûtera plus vivement nos paroles.
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|
-- Oui, je suis fatigué de la route, dit d'Artagnan, et tout ce
|
|
latin m'échappe.
|
|
|
|
-- D'accord, dit le jésuite un peu dépité, tandis que le curé,
|
|
transporté d'aise, tournait sur d'Artagnan un regard plein de
|
|
reconnaissance; eh bien, voyez le parti qu'on tirerait de cette
|
|
glose.
|
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|
-- Moïse, serviteur de Dieu... il n'est que serviteur, entendez-
|
|
vous bien! Moïse bénit avec les mains; il se fait tenir les deux
|
|
bras, tandis que les Hébreux battent leurs ennemis; donc il bénit
|
|
avec les deux mains. D'ailleurs, que dit l'Évangile: _imponite
|
|
manus_, et non pas _manum_. Imposez les mains, et non pas la main.
|
|
|
|
-- Imposez les mains, répéta le curé en faisant un geste. -- À
|
|
saint Pierre, au contraire, de qui les papes sont successeurs,
|
|
continua le jésuite: _Ponite digitos_. Présentez les doigts; y
|
|
êtes-vous maintenant?
|
|
|
|
-- Certes, répondit Aramis en se délectant, mais la chose est
|
|
subtile.
|
|
|
|
-- Les doigts! reprit le jésuite; saint Pierre bénit avec les
|
|
doigts. Le pape bénit donc aussi avec les doigts. Et avec combien
|
|
de doigts bénit-il? Avec trois doigts, un pour le Père, un pour le
|
|
Fils, et un pour le Saint-Esprit.»
|
|
|
|
Tout le monde se signa; d'Artagnan crut devoir imiter cet exemple.
|
|
|
|
«Le pape est successeur de saint Pierre et représente les trois
|
|
pouvoirs divins; le reste, _ordines inferiores_ de la hiérarchie
|
|
ecclésiastique, bénit par le nom des saints archanges et des
|
|
anges. Les plus humbles clercs, tels que nos diacres et
|
|
sacristains, bénissent avec les goupillons, qui simulent un nombre
|
|
indéfini de doigts bénissants. Voilà le sujet simplifié,
|
|
_argumentum omni denudatum ornamento_. Je ferais avec cela,
|
|
continua le jésuite, deux volumes de la taille de celui-ci.»
|
|
|
|
Et, dans son enthousiasme, il frappait sur le saint Chrysostome
|
|
in-folio qui faisait plier la table sous son poids.
|
|
|
|
D'Artagnan frémit.
|
|
|
|
«Certes, dit Aramis, je rends justice aux beautés de cette thèse,
|
|
mais en même temps je la reconnais écrasante pour moi. J'avais
|
|
choisi ce texte; dites-moi, cher d'Artagnan, s'il n'est point de
|
|
votre goût: _Non inutile est desiderium in oblatione_, ou mieux
|
|
encore: un peu de regret ne messied pas dans une offrande au
|
|
Seigneur.
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|
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|
-- Halte-là! s'écria le jésuite, car cette thèse frise l'hérésie;
|
|
il y a une proposition presque semblable dans l'Augustinus de
|
|
l'hérésiarque Jansénius, dont tôt ou tard le livre sera brûlé par
|
|
les mains du bourreau. Prenez garde! mon jeune ami; vous penchez
|
|
vers les fausses doctrines, mon jeune ami; vous vous perdrez!
|
|
|
|
-- Vous vous perdrez, dit le curé en secouant douloureusement la
|
|
tête.
|
|
|
|
-- Vous touchez à ce fameux point du libre arbitre, qui est un
|
|
écueil mortel. Vous abordez de front les insinuations des
|
|
pélagiens et des demi-pélagiens.
|
|
|
|
-- Mais, mon révérend..., reprit Aramis quelque peu abasourdi de
|
|
la grêle d'arguments qui lui tombait sur la tête.
|
|
|
|
-- Comment prouverez-vous, continua le jésuite sans lui donner le
|
|
temps de parler, que l'on doit regretter le monde lorsqu'on
|
|
s'offre à Dieu? écoutez ce dilemme: Dieu est Dieu, et le monde est
|
|
le diable. Regretter le monde, c'est regretter le diable: voilà ma
|
|
conclusion.
|
|
|
|
-- C'est la mienne aussi, dit le curé.
|
|
|
|
-- Mais de grâce!... dit Aramis.
|
|
|
|
-- _Desideras diabolum_, infortuné! s'écria le jésuite.
|
|
|
|
-- Il regrette le diable! Ah! mon jeune ami, reprit le curé en
|
|
gémissant, ne regrettez pas le diable, c'est moi qui vous en
|
|
supplie.»
|
|
|
|
D'Artagnan tournait à l'idiotisme; il lui semblait être dans une
|
|
maison de fous, et qu'il allait devenir fou comme ceux qu'il
|
|
voyait. Seulement il était forcé de se taire, ne comprenant point
|
|
la langue qui se parlait devant lui.
|
|
|
|
«Mais écoutez-moi donc, reprit Aramis avec une politesse sous
|
|
laquelle commençait à percer un peu d'impatience, je ne dis pas
|
|
que je regrette; non, je ne prononcerai jamais cette phrase qui ne
|
|
serait pas orthodoxe...»
|
|
|
|
Le jésuite leva les bras au ciel, et le curé en fit autant.
|
|
|
|
«Non, mais convenez au moins qu'on a mauvaise grâce de n'offrir au
|
|
Seigneur que ce dont on est parfaitement dégoûté. Ai-je raison,
|
|
d'Artagnan?
|
|
|
|
-- Je le crois pardieu bien!» s'écria celui-ci.
|
|
|
|
Le curé et le jésuite firent un bond sur leur chaise.
|
|
|
|
«Voici mon point de départ, c'est un syllogisme: le monde ne
|
|
manque pas d'attraits, je quitte le monde, donc je fais un
|
|
sacrifice; or l'Écriture dit positivement: Faites un sacrifice au
|
|
Seigneur.
|
|
|
|
-- Cela est vrai, dirent les antagonistes.
|
|
|
|
-- Et puis, continua Aramis en se pinçant l'oreille pour la rendre
|
|
rouge, comme il se secouait les mains pour les rendre blanches, et
|
|
puis j'ai fait certain rondeau là-dessus que je communiquai à
|
|
M. Voiture l'an passé, et duquel ce grand homme m'a fait mille
|
|
compliments.
|
|
|
|
-- Un rondeau! fit dédaigneusement le jésuite.
|
|
|
|
-- Un rondeau! dit machinalement le curé.
|
|
|
|
-- Dites, dites, s'écria d'Artagnan, cela nous changera quelque
|
|
peu.
|
|
|
|
-- Non, car il est religieux, répondit Aramis, et c'est de la
|
|
théologie en vers.
|
|
|
|
-- Diable! fit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Le voici, dit Aramis d'un petit air modeste qui n'était pas
|
|
exempt d'une certaine teinte d'hypocrisie:
|
|
|
|
_Vous qui pleurez un passé plein de charmes,_
|
|
_Et qui traînez des jours infortunés,_
|
|
_Tous vos malheurs se verront terminés,_
|
|
_Quand à Dieu seul vous offrirez vos larmes,_
|
|
_Vous qui pleurez._
|
|
|
|
D'Artagnan et le curé parurent flattés. Le jésuite persista dans
|
|
son opinion.
|
|
|
|
«Gardez-vous du goût profane dans le style théologique. Que dit en
|
|
effet saint Augustin? _Severus sit clericorum sermo_.
|
|
|
|
-- Oui, que le sermon soit clair! dit le curé.
|
|
|
|
-- Or, se hâta d'interrompre le jésuite en voyant que son acolyte
|
|
se fourvoyait, or votre thèse plaira aux dames, voilà tout; elle
|
|
aura le succès d'une plaidoirie de maître Patru.
|
|
|
|
-- Plaise à Dieu! s'écria Aramis transporté.
|
|
|
|
-- Vous le voyez, s'écria le jésuite, le monde parle encore en
|
|
vous à haute voix, _altissima voce_. Vous suivez le monde, mon
|
|
jeune ami, et je tremble que la grâce ne soit point efficace.
|
|
|
|
-- Rassurez-vous, mon révérend, je réponds de moi.
|
|
|
|
-- Présomption mondaine!
|
|
|
|
-- Je me connais, mon père, ma résolution est irrévocable.
|
|
|
|
-- Alors vous vous obstinez à poursuivre cette thèse?
|
|
|
|
-- Je me sens appelé à traiter celle-là, et non pas une autre; je
|
|
vais donc la continuer, et demain j'espère que vous serez
|
|
satisfait des corrections que j'y aurai faites d'après vos avis.
|
|
|
|
-- Travaillez lentement, dit le curé, nous vous laissons dans des
|
|
dispositions excellentes.
|
|
|
|
-- Oui, le terrain est tout ensemencé, dit le jésuite, et nous
|
|
n'avons pas à craindre qu'une partie du grain soit tombée sur la
|
|
pierre, l'autre le long du chemin, et que les oiseaux du ciel
|
|
aient mangé le reste, _aves coeli coznederunt illam_.
|
|
|
|
-- Que la peste t'étouffe avec ton latin! dit d'Artagnan, qui se
|
|
sentait au bout de ses forces.
|
|
|
|
-- Adieu, mon fils, dit le curé, à demain.
|
|
|
|
-- À demain, jeune téméraire, dit le jésuite; vous promettez
|
|
d'être une des lumières de l'Église; veuille le Ciel que cette
|
|
lumière ne soit pas un feu dévorant.»
|
|
|
|
D'Artagnan, qui pendant une heure s'était rongé les ongles
|
|
d'impatience, commençait à attaquer la chair.
|
|
|
|
Les deux hommes noirs se levèrent, saluèrent Aramis et d'Artagnan,
|
|
et s'avancèrent vers la porte. Bazin, qui s'était tenu debout et
|
|
qui avait écouté toute cette controverse avec une pieuse
|
|
jubilation, s'élança vers eux, prit le bréviaire du curé, le
|
|
missel du jésuite, et marcha respectueusement devant eux pour leur
|
|
frayer le chemin.
|
|
|
|
Aramis les conduisit jusqu'au bas de l'escalier et remonta
|
|
aussitôt près de d'Artagnan qui rêvait encore.
|
|
|
|
Restés seuls, les deux amis gardèrent d'abord un silence
|
|
embarrassé; cependant il fallait que l'un des deux le rompît le
|
|
premier, et comme d'Artagnan paraissait décidé à laisser cet
|
|
honneur à son ami:
|
|
|
|
«Vous le voyez, dit Aramis, vous me trouvez revenu à mes idées
|
|
fondamentales.
|
|
|
|
-- Oui, la grâce efficace vous a touché, comme disait ce monsieur
|
|
tout à l'heure.
|
|
|
|
-- Oh! ces plans de retraite sont formés depuis longtemps; et vous
|
|
m'en avez déjà ouï parler, n'est-ce pas, mon ami?
|
|
|
|
-- Sans doute, mais je vous avoue que j'ai cru que vous
|
|
plaisantiez.
|
|
|
|
-- Avec ces sortes de choses! Oh! d'Artagnan!
|
|
|
|
-- Dame! on plaisante bien avec la mort.
|
|
|
|
-- Et l'on a tort, d'Artagnan: car la mort, c'est la porte qui
|
|
conduit à la perdition ou au salut.
|
|
|
|
-- D'accord; mais, s'il vous plaît, ne théologisons pas, Aramis;
|
|
vous devez en avoir assez pour le reste de la journée: quant à
|
|
moi, j'ai à peu près oublié le peu de latin que je n'ai jamais su;
|
|
puis, je vous l'avouerai, je n'ai rien mangé depuis ce matin dix
|
|
heures, et j'ai une faim de tous les diables.
|
|
|
|
-- Nous dînerons tout à l'heure, cher ami; seulement, vous vous
|
|
rappellerez que c'est aujourd'hui vendredi; or, dans un pareil
|
|
jour, je ne puis ni voir, ni manger de la chair. Si vous voulez
|
|
vous contenter de mon dîner, il se compose de tétragones cuits et
|
|
de fruits.
|
|
|
|
-- Qu'entendez-vous par tétragones? demanda d'Artagnan avec
|
|
inquiétude.
|
|
|
|
-- J'entends des épinards, reprit Aramis, mais pour vous
|
|
j'ajouterai des oeufs, et c'est une grave infraction à la règle,
|
|
car les oeufs sont viande, puisqu'ils engendrent le poulet.
|
|
|
|
-- Ce festin n'est pas succulent, mais n'importe; pour rester avec
|
|
vous, je le subirai.
|
|
|
|
-- Je vous suis reconnaissant du sacrifice, dit Aramis; mais s'il
|
|
ne profite pas à votre corps, il profitera, soyez-en certain, à
|
|
votre âme.
|
|
|
|
-- Ainsi, décidément, Aramis, vous entrez en religion. Que vont
|
|
dire nos amis, que va dire M. de Tréville? Ils vous traiteront de
|
|
déserteur, je vous en préviens.
|
|
|
|
-- Je n'entre pas en religion, j'y rentre. C'est Église que
|
|
j'avais désertée pour le monde, car vous savez que je me suis fait
|
|
violence pour prendre la casaque de mousquetaire.
|
|
|
|
-- Moi, je n'en sais rien.
|
|
|
|
-- Vous ignorez comment j'ai quitté le séminaire?
|
|
|
|
-- Tout à fait.
|
|
|
|
-- Voici mon histoire; d'ailleurs les Écritures disent:
|
|
«Confessez-vous les uns aux autres», et je me confesse à vous,
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Et moi, je vous donne l'absolution d'avance, vous voyez que je
|
|
suis bon homme.
|
|
|
|
-- Ne plaisantez pas avec les choses saintes, mon ami.
|
|
|
|
-- Alors, dites, je vous écoute.
|
|
|
|
-- J'étais donc au séminaire depuis l'âge de neuf ans, j'en avais
|
|
vingt dans trois jours, j'allais être abbé, et tout était dit. Un
|
|
soir que je me rendais, selon mon habitude, dans une maison que je
|
|
fréquentais avec plaisir -- on est jeune que voulez-vous! on est
|
|
faible -- un officier qui me voyait d'un oeil jaloux lire les vies
|
|
des saints à la maîtresse de la maison, entra tout à coup et sans
|
|
être annoncé. Justement, ce soir-là, j'avais traduit un épisode de
|
|
Judith, et je venais de communiquer mes vers à la dame qui me
|
|
faisait toutes sortes de compliments, et, penchée sur mon épaule,
|
|
les relisait avec moi. La pose, qui était quelque peu abandonnée,
|
|
je l'avoue, blessa cet officier; il ne dit rien, mais lorsque je
|
|
sortis, il sortit derrière moi, et me rejoignant:
|
|
|
|
«-- Monsieur l'abbé, dit-il, aimez-vous les coups de canne?
|
|
|
|
«-- Je ne puis le dire, monsieur, répondis-je, personne n'ayant
|
|
jamais osé m'en donner.
|
|
|
|
«-- Eh bien, écoutez-moi, monsieur l'abbé, si vous retournez dans
|
|
la maison où je vous ai rencontré ce soir, j'oserai, moi.»
|
|
|
|
«Je crois que j'eus peur, je devins fort pâle, je sentis les
|
|
jambes qui me manquaient, je cherchai une réponse que je ne
|
|
trouvai pas, je me tus.
|
|
|
|
«L'officier attendait cette réponse, et voyant qu'elle tardait, il
|
|
se mit à rire, me tourna le dos et rentra dans la maison. Je
|
|
rentrai au séminaire.
|
|
|
|
«Je suis bon gentilhomme et j'ai le sang vif, comme vous avez pu
|
|
le remarquer, mon cher d'Artagnan; l'insulte était terrible, et,
|
|
tout inconnue qu'elle était restée au monde, je la sentais vivre
|
|
et remuer au fond de mon coeur. Je déclarai à mes supérieurs que
|
|
je ne me sentais pas suffisamment préparé pour l'ordination, et,
|
|
sur ma demande, on remit la cérémonie à un an.
|
|
|
|
«J'allai trouver le meilleur maître d'armes de Paris, je fis
|
|
condition avec lui pour prendre une leçon d'escrime chaque jour,
|
|
et chaque jour, pendant une année, je pris cette leçon. Puis, le
|
|
jour anniversaire de celui où j'avais été insulté, j'accrochai ma
|
|
soutane à un clou, je pris un costume complet de cavalier, et je
|
|
me rendis à un bal que donnait une dame de mes amies, et où je
|
|
savais que devait se trouver mon homme. C'était rue des Francs-
|
|
Bourgeois, tout près de la Force.
|
|
|
|
«En effet, mon officier y était; je m'approchai de lui, comme il
|
|
chantait un lai d'amour en regardant tendrement une femme, et je
|
|
l'interrompis au beau milieu du second couplet.
|
|
|
|
«-- Monsieur, lui dis-je, vous déplaît-il toujours que je retourne
|
|
dans certaine maison de la rue Payenne, et me donnerez-vous encore
|
|
des coups de carme, s'il me prend fantaisie de vous désobéir?»
|
|
|
|
«L'officier me regarda avec étonnement, puis il dit:
|
|
|
|
«-- Que me voulez-vous, monsieur? Je ne vous connais pas.
|
|
|
|
«-- Je suis, répondis-je, le petit abbé qui lit les vies des
|
|
saints et qui traduit Judith en vers.
|
|
|
|
«-- Ah! ah! je me rappelle, dit l'officier en goguenardant; que me
|
|
voulez-vous?
|
|
|
|
«-- Je voudrais que vous eussiez le loisir de venir faire un tour
|
|
de promenade avec moi.
|
|
|
|
«-- Demain matin, si vous le voulez bien, et ce sera avec le plus
|
|
grand plaisir.
|
|
|
|
«-- Non, pas demain matin, s'il vous plaît, tout de suite.
|
|
|
|
«-- Si vous l'exigez absolument...
|
|
|
|
«-- Mais oui, je l'exige.
|
|
|
|
«-- Alors, sortons. Mesdames, dit l'officier, ne vous dérangez
|
|
pas. Le temps de tuer monsieur seulement, et je reviens vous
|
|
achever le dernier couplet.»
|
|
|
|
«Nous sortîmes.
|
|
|
|
«Je le menai rue Payenne, juste à l'endroit où un an auparavant,
|
|
heure pour heure, il m'avait fait le compliment que je vous ai
|
|
rapporté. Il faisait un clair de lune superbe. Nous mîmes l'épée à
|
|
la main, et à la première passe, je le tuai roide.
|
|
|
|
-- Diable! fit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Or, continua Aramis, comme les dames ne virent pas revenir leur
|
|
chanteur, et qu'on le trouva rue Payenne avec un grand coup d'épée
|
|
au travers du corps, on pensa que c'était moi qui l'avait
|
|
accommodé ainsi, et la chose fit scandale. Je fus donc pour
|
|
quelque temps forcé de renoncer à la soutane. Athos, dont je fis
|
|
la connaissance à cette époque, et Porthos, qui m'avait, en dehors
|
|
de mes leçons d'escrime, appris quelques bottes gaillardes, me
|
|
décidèrent à demander une casaque de mousquetaire. Le roi avait
|
|
fort aimé mon père, tué au siège d'Arras, et l'on m'accorda cette
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casaque. Vous comprenez donc qu'aujourd'hui le moment est venu
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pour moi de rentrer dans le sein de Église
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-- Et pourquoi aujourd'hui plutôt qu'hier et que demain? Que vous
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est-il donc arrivé aujourd'hui, qui vous donne de si méchantes
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idées?
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-- Cette blessure, mon cher d'Artagnan, m'a été un avertissement
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du Ciel.
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-- Cette blessure? bah! elle est à peu près guérie, et je suis sûr
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qu'aujourd'hui ce n'est pas celle-là qui vous fait le plus
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souffrir.
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-- Et laquelle? demanda Aramis en rougissant.
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-- Vous en avez une au coeur, Aramis, une plus vive et plus
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sanglante, une blessure faite par une femme.»
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L'oeil d'Aramis étincela malgré lui.
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«Ah! dit-il en dissimulant son émotion sous une feinte négligence,
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ne parlez pas de ces choses-là; moi, penser à ces choses-là! avoir
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des chagrins d'amour? _Vanitas vanitatum_! Me serais-je donc, à
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votre avis, retourné la cervelle, et pour qui? pour quelque
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grisette, pour quelque fille de chambre, à qui j'aurais fait la
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cour dans une garnison, fi!
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-- Pardon, mon cher Aramis, mais je croyais que vous portiez vos
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visées plus haut.
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-- Plus haut? et que suis-je pour avoir tant d'ambition? un pauvre
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mousquetaire fort gueux et fort obscur, qui hait les servitudes et
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se trouve grandement déplacé dans le monde!
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-- Aramis, Aramis! s'écria d'Artagnan en regardant son ami avec un
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air de doute.
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-- Poussière, je rentre dans la poussière. La vie est pleine
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d'humiliations et de douleurs, continua-t-il en s'assombrissant;
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tous les fils qui la rattachent au bonheur se rompent tour à tour
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dans la main de l'homme, surtout les fils d'or. O mon cher
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d'Artagnan! reprit Aramis en donnant à sa voix une légère teinte
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d'amertume, croyez-moi, cachez bien vos plaies quand vous en
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aurez. Le silence est la dernière joie des malheureux; gardez-vous
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de mettre qui que ce soit sur la trace de vos douleurs, les
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curieux pompent nos larmes comme les mouches font du sang d'un
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daim blessé.
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-- Hélas, mon cher Aramis, dit d'Artagnan en poussant à son tour
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un profond soupir, c'est mon histoire à moi-même que vous faites
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là.
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-- Comment?
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-- Oui, une femme que j'aimais, que j'adorais, vient de m'être
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enlevée de force. Je ne sais pas où elle est, où on l'a conduite;
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elle est peut-être prisonnière, elle est peut-être morte.
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-- Mais vous avez au moins la consolation de vous dire qu'elle ne
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vous a pas quitté volontairement; que si vous n'avez point de ses
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nouvelles, c'est que toute communication avec vous lui est
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interdite, tandis que...
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-- Tandis que...
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-- Rien, reprit Aramis, rien.
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-- Ainsi, vous renoncez à jamais au monde, c'est un parti pris,
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une résolution arrêtée?
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-- À tout jamais. Vous êtes mon ami aujourd'hui demain vous ne
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serez plus pour moi qu'une ombre; où plutôt même, vous n'existerez
|
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plus. Quant au monde, c'est un sépulcre et pas autre chose.
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-- Diable! c'est fort triste ce que vous me dites là.
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-- Que voulez-vous! ma vocation m'attire, elle m'enlève.
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D'Artagnan sourit et ne répondit point. Aramis continua:
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«Et cependant, tandis que je tiens encore à la terre j'eusse voulu
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vous parler de vous, de nos amis.
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-- Et moi, dit d'Artagnan, j'eusse voulu vous parler de vous-même,
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mais je vous vois si détaché de tout; les amours, vous en faites
|
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fi; les amis sont des ombres, le monde est un sépulcre.
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-- Hélas! vous le verrez par vous-même, dit Aramis avec un soupir.
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-- N'en parlons donc plus, dit d'Artagnan, et brûlons cette lettre
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qui, sans doute, vous annonçait quelque nouvelle infidélité de
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votre grisette ou de votre fille de chambre.
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-- Quelle lettre? s'écria vivement Aramis.
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-- Une lettre qui était venue chez vous en votre absence et qu'on
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m'a remise pour vous.
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-- Mais de qui cette lettre?
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-- Ah! de quelque suivante éplorée, de quelque grisette au
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désespoir; la fille de chambre de Mme de Chevreuse peut-être, qui
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aura été obligée de retourner à Tours avec sa maîtresse, et qui,
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pour se faire pimpante, aura pris du papier parfumé et aura
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|
cacheté sa lettre avec une couronne de duchesse.
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-- Que dites-vous là?
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-- Tiens, je l'aurai perdue! dit sournoisement le jeune homme en
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faisant semblant de chercher. Heureusement que le monde est un
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sépulcre, que les hommes et par conséquent les femmes sont des
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ombres, que l'amour est un sentiment dont vous faites fi!
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-- Ah! d'Artagnan, d'Artagnan! s'écria Aramis, tu me fais mourir!
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-- Enfin, la voici!» dit d'Artagnan.
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Et il tira la lettre de sa poche.
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Aramis fit un bond, saisit la lettre, la lut ou plutôt la dévora,
|
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son visage rayonnait.
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«Il paraît que la suivante à un beau style, dit nonchalamment le
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|
messager.
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-- Merci, d'Artagnan! s'écria Aramis presque en délire. Elle a été
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forcée de retourner à Tours; elle ne m'est pas infidèle, elle
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m'aime toujours. Viens, mon ami, viens que je t'embrasse, le
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bonheur m'étouffe!»
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Et les deux amis se mirent à danser autour du vénérable saint
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Chrysostome, piétinant bravement les feuillets de la thèse qui
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avaient roulé sur le parquet.
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|
En ce moment, Bazin entrait avec les épinards et l'omelette.
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«Fuis, malheureux! s'écria Aramis en lui jetant sa calotte au
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visage; retourne d'où tu viens, remporte ces horribles légumes et
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cet affreux entremets! demande un lièvre piqué, un chapon gras, un
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gigot à l'ail et quatre bouteilles de vieux bourgogne.»
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Bazin, qui regardait son maître et qui ne comprenait rien à ce
|
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changement, laissa mélancoliquement glisser l'omelette dans les
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épinards, et les épinards sur le parquet.
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«Voilà le moment de consacrer votre existence au Roi des Rois, dit
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|
d'Artagnan, si vous tenez à lui faire une politesse: _Non inutile
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desiderium in oblatione_.
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-- Allez-vous-en au diable avec votre latin! Mon cher d'Artagnan,
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buvons, morbleu, buvons frais, buvons beaucoup, et racontez-moi un
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peu ce qu'on fait là-bas.»
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CHAPITRE XXVII
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|
LA FEMME D'ATHOS
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«Il reste maintenant à savoir des nouvelles d'Athos, dit
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d'Artagnan au fringant Aramis, quand il l'eut mis au courant de ce
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qui s'était passé dans la capitale depuis leur départ, et qu'un
|
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excellent dîner leur eut fait oublier à l'un sa thèse, à l'autre
|
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sa fatigue.
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|
-- Croyez-vous donc qu'il lui soit arrivé malheur? demanda Aramis.
|
|
Athos est si froid, si brave et manie si habilement son épée.
|
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-- Oui, sans doute, et personne ne reconnaît mieux que moi le
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|
courage et l'adresse d'Athos, mais j'aime mieux sur mon épée le
|
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choc des lances que celui des bâtons, je crains qu'Athos n'ait été
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étrillé par de la valetaille, les valets sont gens qui frappent
|
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fort et ne finissent pas tôt. Voilà pourquoi, je vous l'avoue, je
|
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voudrais repartir le plus tôt possible.
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|
-- Je tâcherai de vous accompagner, dit Aramis, quoique je ne me
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|
sente guère en état de monter à cheval. Hier, j'essayai de la
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|
discipline que vous voyez sur ce mur et la douleur m'empêcha de
|
|
continuer ce pieux exercice.
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|
-- C'est qu'aussi, mon cher ami, on n'a jamais vu essayer de
|
|
guérir un coup d'escopette avec des coups de martinet; mais vous
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étiez malade, et la maladie rend la tête faible, ce qui fait que
|
|
je vous excuse.
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-- Et quand partez-vous?
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-- Demain, au point du jour; reposez-vous de votre mieux cette
|
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nuit, et demain, si vous le pouvez, nous partirons ensemble.
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|
-- À demain donc, dit Aramis; car tout de fer que vous êtes, vous
|
|
devez avoir besoin de repos.»
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|
Le lendemain, lorsque d'Artagnan entra chez Aramis, il le trouva à
|
|
sa fenêtre.
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|
«Que regardez-vous donc là? demanda d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Ma foi! J'admire ces trois magnifiques chevaux que les garçons
|
|
d'écurie tiennent en bride; c'est un plaisir de prince que de
|
|
voyager sur de pareilles montures.
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|
|
|
-- Eh bien, mon cher Aramis, vous vous donnerez ce plaisir-là, car
|
|
l'un de ces chevaux est à vous.
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|
|
-- Ah! bah, et lequel?
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|
-- Celui des trois que vous voudrez: je n'ai pas de préférence.
|
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|
-- Et le riche caparaçon qui le couvre est à moi aussi?
|
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|
|
-- Sans doute.
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|
-- Vous voulez rire, d'Artagnan.
|
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|
-- Je ne ris plus depuis que vous parlez français.
|
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|
|
-- C'est pour moi, ces fontes dorées, cette housse de velours,
|
|
cette selle chevillée d'argent?
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|
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|
-- À vous-même, comme le cheval qui piaffe est à moi, comme cet
|
|
autre cheval qui caracole est à Athos.
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|
|
-- Peste! ce sont trois bêtes superbes.
|
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|
-- Je suis flatté qu'elles soient de votre goût.
|
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|
|
-- C'est donc le roi qui vous a fait ce cadeau-là?
|
|
|
|
-- À coup sûr, ce n'est point le cardinal, mais ne vous inquiétez
|
|
pas d'où ils viennent, et songez seulement qu'un des trois est
|
|
votre propriété.
|
|
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|
-- Je prends celui que tient le valet roux.
|
|
|
|
-- À merveille!
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|
-- Vive Dieu! s'écria Aramis, voilà qui me fait passer le reste de
|
|
ma douleur; je monterais là-dessus avec trente balles dans le
|
|
corps. Ah! sur mon âme, les beaux étriers! Holà! Bazin, venez çà,
|
|
et à l'instant même.»
|
|
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|
Bazin apparut, morne et languissant, sur le seuil de la porte.
|
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|
«Fourbissez mon épée, redressez mon feutre, brossez mon manteau,
|
|
et chargez mes pistolets! dit Aramis.
|
|
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|
-- Cette dernière recommandation est inutile, interrompit
|
|
d'Artagnan: il y a des pistolets chargés dans vos fontes.»
|
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|
|
Bazin soupira.
|
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|
|
«Allons, maître Bazin, tranquillisez-vous, dit d'Artagnan; on
|
|
gagne le royaume des cieux dans toutes les conditions.
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|
-- Monsieur était déjà si bon théologien! dit Bazin presque
|
|
larmoyant; il fût devenu évêque et peut-être cardinal.
|
|
|
|
-- Eh bien, mon pauvre Bazin, voyons, réfléchis un peu; à quoi
|
|
sert d'être homme d'Église, je te prie? on n'évite pas pour cela
|
|
d'aller faire la guerre; tu vois bien que le cardinal va faire la
|
|
première campagne avec le pot en tête et la pertuisane au poing;
|
|
et M. de Nogaret de La Valette, qu'en dis-tu? il est cardinal
|
|
aussi, demande à son laquais combien de fois il lui a fait de la
|
|
charpie.
|
|
|
|
-- Hélas! soupira Bazin, je le sais, monsieur, tout est bouleversé
|
|
dans le monde aujourd'hui.»
|
|
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|
Pendant ce temps, les deux jeunes gens et le pauvre laquais
|
|
étaient descendus.
|
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|
«Tiens-moi l'étrier, Bazin», dit Aramis.
|
|
|
|
Et Aramis s'élança en selle avec sa grâce et sa légèreté
|
|
ordinaire; mais après quelques voltes et quelques courbettes du
|
|
noble animal, son cavalier ressentit des douleurs tellement
|
|
insupportables, qu'il pâlit et chancela. D'Artagnan qui, dans la
|
|
prévision de cet accident, ne l'avait pas perdu des yeux, s'élança
|
|
vers lui, le retint dans ses bras et le conduisit à sa chambre.
|
|
|
|
«C'est bien, mon cher Aramis, soignez-vous, dit-il, j'irai seul à
|
|
la recherche d'Athos.
|
|
|
|
-- Vous êtes un homme d'airain, lui dit Aramis.
|
|
|
|
-- Non, j'ai du bonheur, voilà tout, mais comment allez-vous vivre
|
|
en m'attendant? plus de thèse, plus de glose sur les doigts et les
|
|
bénédictions, hein?»
|
|
|
|
Aramis sourit.
|
|
|
|
«Je ferai des vers, dit-il.
|
|
|
|
-- Oui, des vers parfumés à l'odeur du billet de la suivante de
|
|
Mme de Chevreuse. Enseignez donc la prosodie à Bazin, cela le
|
|
consolera. Quant au cheval, montez-le tous les jours un peu, et
|
|
cela vous habituera aux manoeuvres.
|
|
|
|
-- Oh! pour cela, soyez tranquille, dit Aramis, vous me
|
|
retrouverez prêt à vous suivre.»
|
|
|
|
Ils se dirent adieu et, dix minutes après, d'Artagnan, après avoir
|
|
recommandé son ami à Bazin et à l'hôtesse, trottait dans la
|
|
direction d'Amiens.
|
|
|
|
Comment allait-il retrouver Athos, et même le retrouverait-il?
|
|
|
|
La position dans laquelle il l'avait laissé était critique; il
|
|
pouvait bien avoir succombé. Cette idée, en assombrissant son
|
|
front, lui arracha quelques soupirs et lui fit formuler tout bas
|
|
quelques serments de vengeance. De tous ses amis, Athos était le
|
|
plus âgé, et partant le moins rapproché en apparence de ses goûts
|
|
et de ses sympathies.
|
|
|
|
Cependant il avait pour ce gentilhomme une préférence marquée.
|
|
L'air noble et distingué d'Athos, ces éclairs de grandeur qui
|
|
jaillissaient de temps en temps de l'ombre où il se tenait
|
|
volontairement enfermé, cette inaltérable égalité d'humeur qui en
|
|
faisait le plus facile compagnon de la terre, cette gaieté forcée
|
|
et mordante, cette bravoure qu'on eût appelée aveugle si elle
|
|
n'eût été le résultat du plus rare sang-froid, tant de qualités
|
|
attiraient plus que l'estime, plus que l'amitié de d'Artagnan,
|
|
elles attiraient son admiration.
|
|
|
|
En effet, considéré même auprès de M. de Tréville, l'élégant et
|
|
noble courtisan, Athos, dans ses jours de belle humeur, pouvait
|
|
soutenir avantageusement la comparaison; il était de taille
|
|
moyenne, mais cette taille était si admirablement prise et si bien
|
|
proportionnée, que, plus d'une fois, dans ses luttes avec Porthos,
|
|
il avait fait plier le géant dont la force physique était devenue
|
|
proverbiale parmi les mousquetaires; sa tête, aux yeux perçants,
|
|
au nez droit, au menton dessiné comme celui de Brutus, avait un
|
|
caractère indéfinissable de grandeur et de grâce; ses mains, dont
|
|
il ne prenait aucun soin, faisaient le désespoir d'Aramis, qui
|
|
cultivait les siennes à grand renfort de pâte d'amandes et d'huile
|
|
parfumée; le son de sa voix était pénétrant et mélodieux tout à la
|
|
fois, et puis, ce qu'il y avait d'indéfinissable dans Athos, qui
|
|
se faisait toujours obscur et petit, c'était cette science
|
|
délicate du monde et des usages de la plus brillante société,
|
|
cette habitude de bonne maison qui perçait comme à son insu dans
|
|
ses moindres actions.
|
|
|
|
S'agissait-il d'un repas, Athos l'ordonnait mieux qu'aucun homme
|
|
du monde, plaçant chaque convive à la place et au rang que lui
|
|
avaient faits ses ancêtres ou qu'il s'était faits lui-même.
|
|
S'agissait-il de science héraldique, Athos connaissait toutes les
|
|
familles nobles du royaume, leur généalogie, leurs alliances,
|
|
leurs armes et l'origine de leurs armes. L'étiquette n'avait pas
|
|
de minuties qui lui fussent étrangères, il savait quels étaient
|
|
les droits des grands propriétaires, il connaissait à fond la
|
|
vénerie et la fauconnerie, et un jour il avait, en causant de ce
|
|
grand art, étonné le roi Louis XIII lui-même, qui cependant y
|
|
était passé maître.
|
|
|
|
Comme tous les grands seigneurs de cette époque, il montait à
|
|
cheval et faisait des armes dans la perfection. Il y a plus: son
|
|
éducation avait été si peu négligée, même sous le rapport des
|
|
études scolastiques, si rares à cette époque chez les
|
|
gentilshommes, qu'il souriait aux bribes de latin que détachait
|
|
Aramis, et qu'avait l'air de comprendre Porthos; deux ou trois
|
|
fois même, au grand étonnement de ses amis, il lui était arrivé,
|
|
lorsque Aramis laissait échapper quelque erreur de rudiment, de
|
|
remettre un verbe à son temps et un nom à son cas. En outre, sa
|
|
probité était inattaquable, dans ce siècle où les hommes de guerre
|
|
transigeaient si facilement avec leur religion et leur conscience,
|
|
les amants avec la délicatesse rigoureuse de nos jours, et les
|
|
pauvres avec le septième commandement de Dieu. C'était donc un
|
|
homme fort extraordinaire qu'Athos.
|
|
|
|
Et cependant, on voyait cette nature si distinguée, cette créature
|
|
si belle, cette essence si fine, tourner insensiblement vers la
|
|
vie matérielle, comme les vieillards tournent vers l'imbécillité
|
|
physique et morale. Athos, dans ses heures de privation, et ces
|
|
heures étaient fréquentes, s'éteignait dans toute sa partie
|
|
lumineuse, et son côté brillant disparaissait comme dans une
|
|
profonde nuit.
|
|
|
|
Alors, le demi-dieu évanoui, il restait à peine un homme. La tête
|
|
basse, l'oeil terne, la parole lourde et pénible, Athos regardait
|
|
pendant de longues heures soit sa bouteille et son verre, soit
|
|
Grimaud, qui, habitué à lui obéir par signes, lisait dans le
|
|
regard atone de son maître jusqu'à son moindre désir, qu'il
|
|
satisfaisait aussitôt. La réunion des quatre amis avait-elle lieu
|
|
dans un de ces moments-là, un mot, échappé avec un violent effort,
|
|
était tout le contingent qu'Athos fournissait à la conversation.
|
|
En échange, Athos à lui seul buvait comme quatre, et cela sans
|
|
qu'il y parût autrement que par un froncement de sourcil plus
|
|
indiqué et par une tristesse plus profonde.
|
|
|
|
D'Artagnan, dont nous connaissons l'esprit investigateur et
|
|
pénétrant, n'avait, quelque intérêt qu'il eût à satisfaire sa
|
|
curiosité sur ce sujet, pu encore assigner aucune cause à ce
|
|
marasme, ni en noter les occurrences. Jamais Athos ne recevait de
|
|
lettres, jamais Athos ne faisait aucune démarche qui ne fût connue
|
|
de tous ses amis.
|
|
|
|
On ne pouvait dire que ce fût le vin qui lui donnât cette
|
|
tristesse, car au contraire il ne buvait que pour combattre cette
|
|
tristesse, que ce remède, comme nous l'avons dit, rendait plus
|
|
sombre encore. On ne pouvait attribuer cet excès d'humeur noire au
|
|
jeu, car, au contraire de Porthos, qui accompagnait de ses chants
|
|
ou de ses jurons toutes les variations de la chance, Athos,
|
|
lorsqu'il avait gagné, demeurait aussi impassible que lorsqu'il
|
|
avait perdu. On l'avait vu, au cercle des mousquetaires, gagner un
|
|
soir trois mille pistoles, les perdre jusqu'au ceinturon brodé
|
|
d'or des jours de gala; regagner tout cela, plus cent louis, sans
|
|
que son beau sourcil noir eût haussé ou baissé d'une demi-ligne,
|
|
sans que ses mains eussent perdu leur nuance nacrée, sans que sa
|
|
conversation, qui était agréable ce soir-là, eût cessé d'être
|
|
calme et agréable.
|
|
|
|
Ce n'était pas non plus, comme chez nos voisins les Anglais, une
|
|
influence atmosphérique qui assombrissait son visage, car cette
|
|
tristesse devenait plus intense en général vers les beaux jours de
|
|
l'année; juin et juillet étaient les mois terribles d'Athos.
|
|
|
|
Pour le présent, il n'avait pas de chagrin, il haussait les
|
|
épaules quand on lui parlait de l'avenir; son secret était donc
|
|
dans le passé, comme on l'avait dit vaguement à d'Artagnan.
|
|
|
|
Cette teinte mystérieuse répandue sur toute sa personne rendait
|
|
encore plus intéressant l'homme dont jamais les yeux ni la bouche,
|
|
dans l'ivresse la plus complète, n'avaient rien révélé, quelle que
|
|
fût l'adresse des questions dirigées contre lui.
|
|
|
|
«Eh bien, pensait d'Artagnan, le pauvre Athos est peut-être mort à
|
|
cette heure, et mort par ma faute, car c'est moi qui l'ai entraîné
|
|
dans cette affaire, dont il ignorait l'origine, dont il ignorera
|
|
le résultat et dont il ne devait tirer aucun profit.
|
|
|
|
-- Sans compter, monsieur, répondait Planchet, que nous lui devons
|
|
probablement la vie. Vous rappelez-vous comme il a crié: "Au
|
|
large, d'Artagnan! je suis pris." Et après avoir déchargé ses deux
|
|
pistolets, quel bruit terrible il faisait avec son épée! On eût
|
|
dit vingt hommes, ou plutôt vingt diables enragés!»
|
|
|
|
Et ces mots redoublaient l'ardeur de d'Artagnan, qui excitait son
|
|
cheval, lequel n'ayant pas besoin d'être excité emportait son
|
|
cavalier au galop.
|
|
|
|
Vers onze heures du matin, on aperçut Amiens; à onze heures et
|
|
demie, on était à la porte de l'auberge maudite.
|
|
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D'Artagnan avait souvent médité contre l'hôte perfide une de ces
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bonnes vengeances qui consolent, rien qu'en espérance. Il entra
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donc dans l'hôtellerie, le feutre sur les yeux, la main gauche sur
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le pommeau de l'épée et faisant siffler sa cravache de la main
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droite.
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«Me reconnaissez-vous? dit-il à l'hôte, qui s'avançait pour le
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saluer.
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-- Je n'ai pas cet honneur, Monseigneur, répondit celui-ci les
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yeux encore éblouis du brillant équipage avec lequel d'Artagnan se
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présentait.
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-- Ah! vous ne me connaissez pas!
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-- Non, Monseigneur.
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-- Eh bien, deux mots vont vous rendre la mémoire. Qu'avez-vous
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fait de ce gentilhomme à qui vous eûtes l'audace, voici quinze
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jours passés à peu près, d'intenter une accusation de fausse
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monnaie?»
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L'hôte pâlit, car d'Artagnan avait pris l'attitude la plus
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menaçante, et Planchet se modelait sur son maître.
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«Ah! Monseigneur, ne m'en parlez pas, s'écria l'hôte de son ton de
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voix le plus larmoyant; ah! Seigneur, combien j'ai payé cette
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faute! Ah! malheureux que je suis!
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-- Ce gentilhomme, vous dis-je, qu'est-il devenu?
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-- Daignez m'écouter, Monseigneur, et soyez clément. Voyons,
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asseyez-vous, par grâce!»
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D'Artagnan, muet de colère et d'inquiétude, s'assit, menaçant
|
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comme un juge. Planchet s'adossa fièrement à son fauteuil.
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«Voici l'histoire, Monseigneur, reprit l'hôte tout tremblant, car
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je vous reconnais à cette heure; c'est vous qui êtes parti quand
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j'eus ce malheureux démêlé avec ce gentilhomme dont vous parlez.
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-- Oui, c'est moi; ainsi vous voyez bien que vous n'avez pas de
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grâce à attendre si vous ne dites pas toute la vérité.
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-- Aussi veuillez m'écouter, et vous la saurez tout entière.
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-- J'écoute.
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-- J'avais été prévenu par les autorités qu'un faux-monnayeur
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célèbre arriverait à mon auberge avec plusieurs de ses compagnons,
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tous déguisés sous le costume de gardes ou de mousquetaires. Vos
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chevaux, vos laquais, votre figure, Messeigneurs, tout m'avait été
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dépeint.
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-- Après, après? dit d'Artagnan, qui reconnut bien vite d'où
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venait le signalement si exactement donné.
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-- Je pris donc, d'après les ordres de l'autorité, qui m'envoya un
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renfort de six hommes, telles mesures que je crus urgentes afin de
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m'assurer de la personne des prétendus faux-monnayeurs.
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-- Encore! dit d'Artagnan, à qui ce mot de faux-monnayeur
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échauffait terriblement les oreilles.
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-- Pardonnez-moi, Monseigneur, de dire de telles choses, mais
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elles sont justement mon excuse. L'autorité m'avait fait peur, et
|
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vous savez qu'un aubergiste doit ménager l'autorité.
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-- Mais encore une fois, ce gentilhomme, où est-il? qu'est-il
|
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devenu? Est-il mort? est-il vivant?
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-- Patience, Monseigneur, nous y voici. Il arriva donc ce que vous
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savez, et dont votre départ précipité, ajouta l'hôte avec une
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finesse qui n'échappa point à d'Artagnan, semblait autoriser
|
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l'issue. Ce gentilhomme votre ami se défendit en désespéré. Son
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valet, qui, par un malheur imprévu, avait cherché querelle aux
|
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gens de l'autorité, déguisés en garçons d'écurie...
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-- Ah! misérable! s'écria d'Artagnan, vous étiez tous d'accord, et
|
|
je ne sais à quoi tient que je ne vous extermine tous!
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-- Hélas! non, Monseigneur, nous n'étions pas tous d'accord, et
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|
vous l'allez bien voir. Monsieur votre ami (pardon de ne point
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l'appeler par le nom honorable qu'il porte sans doute, mais nous
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ignorons ce nom), monsieur votre ami, après avoir mis hors de
|
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combat deux hommes de ses deux coups de pistolet, battit en
|
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retraite en se défendant avec son épée dont il estropia encore un
|
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de mes hommes, et d'un coup du plat de laquelle il m'étourdit.
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-- Mais, bourreau, finiras-tu? dit d'Artagnan. Athos, que devient
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|
Athos?
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-- En battant en retraite, comme j'ai dit à Monseigneur, il trouva
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derrière lui l'escalier de la cave, et comme la porte était
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ouverte, il tira la clef à lui et se barricada en dedans. Comme on
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était sûr de le retrouver là, on le laissa libre.
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-- Oui, dit d'Artagnan, on ne tenait pas tout à fait à le tuer, on
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ne cherchait qu'à l'emprisonner.
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-- Juste Dieu! à l'emprisonner, Monseigneur? il s'emprisonna bien
|
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lui-même, je vous le jure. D'abord il avait fait de rude besogne,
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|
un homme était tué sur le coup et deux autres étaient blessés
|
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grièvement. Le mort et les deux blessés furent emportés par leurs
|
|
camarades, et jamais je n'ai plus entendu parler ni des uns, ni
|
|
des autres. Moi-même, quand je repris mes sens, j'allai trouver
|
|
M. le gouverneur, auquel je racontai tout ce qui s'était passé, et
|
|
auquel je demandai ce que je devais faire du prisonnier. Mais
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|
M. le gouverneur eut l'air de tomber des nues; il me dit qu'il
|
|
ignorait complètement ce que je voulais dire, que les ordres qui
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|
m'étaient parvenus n'émanaient pas de lui et que si j'avais le
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|
malheur de dire à qui que ce fût qu'il était pour quelque chose
|
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dans toute cette échauffourée, il me ferait pendre. Il paraît que
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je m'étais trompé, monsieur, que j'avais arrêté l'un pour l'autre,
|
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et que celui qu'on devait arrêter était sauvé.
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-- Mais Athos? s'écria d'Artagnan, dont l'impatience se doublait
|
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de l'abandon où l'autorité laissait la chose; Athos, qu'est-il
|
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devenu?
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-- Comme j'avais hâte de réparer mes torts envers le prisonnier,
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|
reprit l'aubergiste, je m'acheminai vers la cave afin de lui
|
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rendre sa liberté. Ah! monsieur, ce n'était plus un homme, c'était
|
|
un diable. À cette proposition de liberté, il déclara que c'était
|
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un piège qu'on lui tendait et qu'avant de sortir il entendait
|
|
imposer ses conditions. Je lui dis bien humblement, car je ne me
|
|
dissimulais pas la mauvaise position où je m'étais mis en portant
|
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la main sur un mousquetaire de Sa Majesté, je lui dis que j'étais
|
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prêt à me soumettre à ses conditions.
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|
«-- D'abord, dit-il, je veux qu'on me rende mon valet tout armé.»
|
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|
«On s'empressa d'obéir à cet ordre; car vous comprenez bien,
|
|
monsieur, que nous étions disposés à faire tout ce que voudrait
|
|
votre ami. M. Grimaud (il a dit ce nom, celui-là, quoiqu'il ne
|
|
parle pas beaucoup), M. Grimaud fut donc descendu à la cave, tout
|
|
blessé qu'il était; alors, son maître l'ayant reçu, rebarricada la
|
|
porte et nous ordonna de rester dans notre boutique.
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|
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|
-- Mais enfin, s'écria d'Artagnan, où est-il? où est Athos?
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|
-- Dans la cave, monsieur.
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|
-- Comment, malheureux, vous le retenez dans la cave depuis ce
|
|
temps-là?
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-- Bonté divine! Non, monsieur. Nous, le retenir dans la cave!
|
|
vous ne savez donc pas ce qu'il y fait, dans la cave! Ah! si vous
|
|
pouviez l'en faire sortir, monsieur, je vous en serais
|
|
reconnaissant toute ma vie, vous adorerais comme mon patron.
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-- Alors il est là, je le retrouverai là?
|
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|
-- Sans doute, monsieur, il s'est obstiné à y rester. Tous les
|
|
jours, on lui passe par le soupirail du pain au bout d'une
|
|
fourche, et de la viande quand il en demande; mais, hélas! ce
|
|
n'est pas de pain et de viande qu'il fait la plus grande
|
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consommation. Une fois, j'ai essayé de descendre avec deux de mes
|
|
garçons, mais il est entré dans une terrible fureur. J'ai entendu
|
|
le bruit de ses pistolets qu'il armait et de son mousqueton
|
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qu'armait son domestique. Puis, comme nous leur demandions quelles
|
|
étaient leurs intentions, le maître a répondu qu'ils avaient
|
|
quarante coups à tirer lui et son laquais, et qu'ils les
|
|
tireraient jusqu'au dernier plutôt que de permettre qu'un seul de
|
|
nous mît le pied dans la cave. Alors, monsieur, j'ai été me
|
|
plaindre au gouverneur, lequel m'a répondu que je n'avais que ce
|
|
que je méritais, et que cela m'apprendrait à insulter les
|
|
honorables seigneurs qui prenaient gîte chez moi.
|
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|
|
-- De sorte que, depuis ce temps?... reprit d'Artagnan ne pouvant
|
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s'empêcher de rire de la figure piteuse de son hôte.
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|
|
-- De sorte que, depuis ce temps, monsieur, continua celui-ci,
|
|
nous menons la vie la plus triste qui se puisse voir; car,
|
|
monsieur, il faut que vous sachiez que toutes nos provisions sont
|
|
dans la cave; il y a notre vin en bouteilles et notre vin en
|
|
pièce, la bière, l'huile et les épices, le lard et les saucissons;
|
|
et comme il nous est défendu d'y descendre, nous sommes forcés de
|
|
refuser le boire et le manger aux voyageurs qui nous arrivent, de
|
|
sorte que tous les jours notre hôtellerie se perd. Encore une
|
|
semaine avec votre ami dans ma cave, et nous sommes ruinés.
|
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|
-- Et ce sera justice, drôle. Ne voyait-on pas bien, à notre mine,
|
|
que nous étions gens de qualité et non faussaires, dites?
|
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-- Oui, monsieur, oui, vous avez raison, dit l'hôte. Mais tenez,
|
|
tenez, le voilà qui s'emporte.
|
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-- Sans doute qu'on l'aura troublé, dit d'Artagnan.
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|
-- Mais il faut bien qu'on le trouble, s'écria l'hôte; il vient de
|
|
nous arriver deux gentilshommes anglais.
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-- Eh bien?
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|
|
|
-- Eh bien, les Anglais aiment le bon vin, comme vous savez,
|
|
monsieur; ceux-ci ont demandé du meilleur. Ma femme alors aura
|
|
sollicité de M. Athos la permission d'entrer pour satisfaire ces
|
|
messieurs; et il aura refusé comme de coutume. Ah! bonté divine!
|
|
voilà le sabbat qui redouble!»
|
|
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|
D'Artagnan, en effet, entendit mener un grand bruit du côté de la
|
|
cave; il se leva et, précédé de l'hôte qui se tordait les mains,
|
|
et suivi de Planchet qui tenait son mousqueton tout armé, il
|
|
s'approcha du lieu de la scène.
|
|
|
|
Les deux gentilshommes étaient exaspérés, ils avaient fait une
|
|
longue course et mouraient de faim et de soif.
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|
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«Mais c'est une tyrannie, s'écriaient-ils en très bon français,
|
|
quoique avec un accent étranger, que ce maître fou ne veuille pas
|
|
laisser à ces bonnes gens l'usage de leur vin. Ça, nous allons
|
|
enfoncer la porte, et s'il est trop enragé, eh bien! nous le
|
|
tuerons.
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|
-- Tout beau, messieurs! dit d'Artagnan en tirant ses pistolets de
|
|
sa ceinture; vous ne tuerez personne, s'il vous plaît.
|
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|
-- Bon, bon, disait derrière la porte la voix calme d'Athos, qu'on
|
|
les laisse un peu entrer, ces mangeurs de petits enfants, et nous
|
|
allons voir.»
|
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|
|
Tout braves qu'ils paraissaient être, les deux gentilshommes
|
|
anglais se regardèrent en hésitant; on eût dit qu'il y avait dans
|
|
cette cave un de ces ogres faméliques, gigantesques héros des
|
|
légendes populaires, et dont nul ne force impunément la caverne.
|
|
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|
Il y eut un moment de silence; mais enfin les deux Anglais eurent
|
|
honte de reculer, et le plus hargneux des deux descendit les cinq
|
|
ou six marches dont se composait l'escalier et donna dans la porte
|
|
un coup de pied à fendre une muraille.
|
|
|
|
«Planchet, dit d'Artagnan en armant ses pistolets, je me charge de
|
|
celui qui est en haut, charge-toi de celui qui est en bas. Ah!
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|
messieurs! vous voulez de la bataille! eh bien! on va vous en
|
|
donner!
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-- Mon Dieu, s'écria la voix creuse d'Athos, j'entends d'Artagnan,
|
|
ce me semble.
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-- En effet, dit d'Artagnan en haussant la voix à son tour, c'est
|
|
moi-même, mon ami.
|
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-- Ah! bon! alors, dit Athos, nous allons les travailler, ces
|
|
enfonceurs de portes.»
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|
|
|
Les gentilshommes avaient mis l'épée à la main, mais ils se
|
|
trouvaient pris entre deux feux; ils hésitèrent un instant encore;
|
|
mais, comme la première fois, l'orgueil l'emporta, et un second
|
|
coup de pied fit craquer la porte dans toute sa hauteur.
|
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|
«Range-toi, d'Artagnan, range-toi, cria Athos, range-toi, je vais
|
|
tirer.
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-- Messieurs, dit d'Artagnan, que la réflexion n'abandonnait
|
|
jamais, messieurs, songez-y! De la patience, Athos. Vous vous
|
|
engagez là dans une mauvaise affaire, et vous allez être criblés.
|
|
Voici mon valet et moi qui vous lâcherons trois coups de feu,
|
|
autant vous arriveront de la cave; puis nous aurons encore nos
|
|
épées, dont, je vous assure, mon ami et moi nous jouons
|
|
passablement. Laissez-moi faire vos affaires et les miennes. Tout
|
|
à l'heure vous aurez à boire, je vous en donne ma parole.
|
|
|
|
-- S'il en reste», grogna la voix railleuse d'Athos.
|
|
|
|
L'hôtelier sentit une sueur froide couler le long de son échine.
|
|
|
|
«Comment, s'il en reste! murmura-t-il.
|
|
|
|
-- Que diable! il en restera, reprit d'Artagnan; soyez donc
|
|
tranquille, à eux deux ils n'auront pas bu toute la cave.
|
|
Messieurs, remettez vos épées au fourreau.
|
|
|
|
-- Eh bien, vous, remettez vos pistolets à votre ceinture.
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|
-- Volontiers.»
|
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|
Et d'Artagnan donna l'exemple. Puis, se retournant vers Planchet,
|
|
il lui fit signe de désarmer son mousqueton.
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Les Anglais, convaincus, remirent en grommelant leurs épées au
|
|
fourreau. On leur raconta l'histoire de l'emprisonnement d'Athos.
|
|
Et comme ils étaient bons gentilshommes, ils donnèrent tort à
|
|
l'hôtelier.
|
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|
|
«Maintenant, messieurs, dit d'Artagnan, remontez chez vous, et,
|
|
dans dix minutes, je vous réponds qu'on vous y portera tout ce que
|
|
vous pourrez désirer.»
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|
Les Anglais saluèrent et sortirent.
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|
|
«Maintenant que je suis seul, mon cher Athos, dit d'Artagnan,
|
|
ouvrez-moi la porte, je vous en prie.
|
|
|
|
-- À l'instant même», dit Athos.
|
|
|
|
Alors on entendit un grand bruit de fagots entrechoqués et de
|
|
poutres gémissantes: c'étaient les contrescarpes et les bastions
|
|
d'Athos, que l'assiégé démolissait lui-même.
|
|
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|
Un instant après, la porte s'ébranla, et l'on vit paraître la tête
|
|
pâle d'Athos qui, d'un coup d'oeil rapide, explorait les environs.
|
|
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|
D'Artagnan se jeta à son cou et l'embrassa tendrement puis il
|
|
voulut l'entraîner hors de ce séjour humide, alors il s'aperçut
|
|
qu'Athos chancelait.
|
|
|
|
«Vous êtes blessé? lui dit-il.
|
|
|
|
-- Moi! pas le moins du monde; je suis ivre mort, voilà tout, et
|
|
jamais homme n'a mieux fait ce qu'il fallait pour cela. Vive Dieu!
|
|
mon hôte, il faut que j'en aie bu au moins pour ma part cent
|
|
cinquante bouteilles.
|
|
|
|
-- Miséricorde! s'écria l'hôte, si le valet en a bu la moitié du
|
|
maître seulement, je suis ruiné.
|
|
|
|
-- Grimaud est un laquais de bonne maison, qui ne se serait pas
|
|
permis le même ordinaire que moi; il a bu à la pièce seulement;
|
|
tenez, je crois qu'il a oublié de remettre le fosset. Entendez-
|
|
vous? cela coule.»
|
|
|
|
D'Artagnan partit d'un éclat de rire qui changea le frisson de
|
|
l'hôte en fièvre chaude.
|
|
|
|
En même temps, Grimaud parut à son tour derrière son maître, le
|
|
mousqueton sur l'épaule, la tête tremblante, comme ces satyres
|
|
ivres des tableaux de Rubens. Il était arrosé par-devant et par-
|
|
derrière d'une liqueur grasse que l'hôte reconnut pour être sa
|
|
meilleure huile d'olive.
|
|
|
|
Le cortège traversa la grande salle et alla s'installer dans la
|
|
meilleure chambre de l'auberge, que d'Artagnan occupa d'autorité.
|
|
|
|
Pendant ce temps, l'hôte et sa femme se précipitèrent avec des
|
|
lampes dans la cave, qui leur avait été si longtemps interdite et
|
|
où un affreux spectacle les attendait.
|
|
|
|
Au-delà des fortifications auxquelles Athos avait fait brèche pour
|
|
sortir et qui se composaient de fagots, de planches et de
|
|
futailles vides entassées selon toutes les règles de l'art
|
|
stratégique, on voyait çà et là, nageant dans les mares d'huile et
|
|
de vin, les ossements de tous les jambons mangés, tandis qu'un
|
|
amas de bouteilles cassées jonchait tout l'angle gauche de la cave
|
|
et qu'un tonneau, dont le robinet était resté ouvert, perdait par
|
|
cette ouverture les dernières gouttes de son sang. L'image de la
|
|
dévastation et de la mort, comme dit le poète de l'Antiquité,
|
|
régnait là comme sur un champ de bataille.
|
|
|
|
Sur cinquante saucissons, pendus aux solives, dix restaient à
|
|
peine.
|
|
|
|
Alors les hurlements de l'hôte et de l'hôtesse percèrent la voûte
|
|
de la cave, d'Artagnan lui-même en fut ému. Athos ne tourna pas
|
|
même la tête.
|
|
|
|
Mais à la douleur succéda la rage. L'hôte s'arma d'une broche et,
|
|
dans son désespoir, s'élança dans la chambre où les deux amis
|
|
s'étaient retirés.
|
|
|
|
«Du vin! dit Athos en apercevant l'hôte.
|
|
|
|
-- Du vin! s'écria l'hôte stupéfait, du vin! mais vous m'en avez
|
|
bu pour plus de cent pistoles; mais je suis un homme ruiné, perdu,
|
|
anéanti!
|
|
|
|
-- Bah! dit Athos, nous sommes constamment restés sur notre soif.
|
|
|
|
-- Si vous vous étiez contentés de boire, encore; mais vous avez
|
|
cassé toutes les bouteilles.
|
|
|
|
-- Vous m'avez poussé sur un tas qui a dégringolé. C'est votre
|
|
faute.
|
|
|
|
-- Toute mon huile est perdue!
|
|
|
|
-- L'huile est un baume souverain pour les blessures, et il
|
|
fallait bien que ce pauvre Grimaud pansât celles que vous lui avez
|
|
faites.
|
|
|
|
-- Tous mes saucissons rongés!
|
|
|
|
-- Il y a énormément de rats dans cette cave.
|
|
|
|
-- Vous allez me payer tout cela, cria l'hôte exaspéré.
|
|
|
|
-- Triple drôle!» dit Athos en se soulevant. Mais il retomba
|
|
aussitôt; il venait de donner la mesure de ses forces. D'Artagnan
|
|
vint à son secours en levant sa cravache.
|
|
|
|
L'hôte recula d'un pas et se mit à fondre en larmes.
|
|
|
|
«Cela vous apprendra, dit d'Artagnan, à traiter d'une façon plus
|
|
courtoise les hôtes que Dieu vous envoie.
|
|
|
|
-- Dieu..., dites le diable!
|
|
|
|
-- Mon cher ami, dit d'Artagnan, si vous nous rompez encore les
|
|
oreilles, nous allons nous renfermer tous les quatre dans votre
|
|
cave, et nous verrons si véritablement le dégât est aussi grand
|
|
que vous le dites.
|
|
|
|
-- Eh bien, oui, messieurs, dit l'hôte, j'ai tort, je l'avoue;
|
|
mais à tout péché miséricorde; vous êtes des seigneurs et je suis
|
|
un pauvre aubergiste, vous aurez pitié de moi.
|
|
|
|
-- Ah! si tu parles comme cela, dit Athos, tu vas me fendre le
|
|
coeur, et les larmes vont couler de mes yeux comme le vin coulait
|
|
de tes futailles. On n'est pas si diable qu'on en a l'air. Voyons,
|
|
viens ici et causons.»
|
|
|
|
L'hôte s'approcha avec inquiétude.
|
|
|
|
«Viens, te dis-je, et n'aie pas peur, continua Athos. Au moment où
|
|
j'allais te payer, j'avais posé ma bourse sur la table.
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Cette bourse contenait soixante pistoles, où est-elle?
|
|
|
|
-- Déposée au greffe, Monseigneur: on avait dit que c'était de la
|
|
fausse monnaie.
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|
|
|
-- Eh bien, fais-toi rendre ma bourse, et garde les soixante
|
|
pistoles.
|
|
|
|
-- Mais Monseigneur sait bien que le greffe ne lâche pas ce qu'il
|
|
tient. Si c'était de la fausse monnaie, il y aurait encore de
|
|
l'espoir; mais malheureusement ce sont de bonnes pièces.
|
|
|
|
-- Arrange-toi avec lui, mon brave homme, cela ne me regarde pas,
|
|
d'autant plus qu'il ne me reste pas une livre.
|
|
|
|
-- Voyons, dit d'Artagnan, l'ancien cheval d'Athos, où est-il?
|
|
|
|
-- À l'écurie.
|
|
|
|
-- Combien vaut-il?
|
|
|
|
-- Cinquante pistoles tout au plus.
|
|
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-- Il en vaut quatre-vingts; prends-le, et que tout soit dit.
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-- Comment! tu vends mon cheval, dit Athos, tu vends mon Bajazet?
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et sur quoi ferai-je la campagne? sur Grimaud?
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-- Je t'en amène un autre, dit d'Artagnan.
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-- Un autre?
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-- Et magnifique! s'écria l'hôte.
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-- Alors, s'il y en a un autre plus beau et plus jeune, prends le
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vieux, et à boire!
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-- Duquel? demanda l'hôte tout à fait rasséréné.
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-- De celui qui est au fond, près des lattes; il en reste encore
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vingt-cinq bouteilles, toutes les autres ont été cassées dans ma
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chute. Montez-en six.
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-- Mais c'est un foudre que cet homme! dit l'hôte à part lui; s'il
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reste seulement quinze jours ici, et qu'il paie ce qu'il boira, je
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rétablirai mes affaires.
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-- Et n'oublie pas, continua d'Artagnan, de monter quatre
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bouteilles du pareil aux deux seigneurs anglais.
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-- Maintenant, dit Athos, en attendant qu'on nous apporte du vin,
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conte-moi, d'Artagnan, ce que sont devenus les autres; voyons.»
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D'Artagnan lui raconta comment il avait trouvé Porthos dans son
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lit avec une foulure, et Aramis à une table entre les deux
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théologiens. Comme il achevait, l'hôte rentra avec les bouteilles
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demandées et un jambon qui, heureusement pour lui, était resté
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hors de la cave.
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«C'est bien, dit Athos en remplissant son verre et celui de
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d'Artagnan, voilà pour Porthos et pour Aramis; mais vous, mon ami,
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qu'avez-vous et que vous est-il arrivé personnellement? Je vous
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trouve un air sinistre.
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-- Hélas! dit d'Artagnan, c'est que je suis le plus malheureux de
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nous tous, moi!
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-- Toi malheureux, d'Artagnan! dit Athos. Voyons, comment es-tu
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malheureux? Dis-moi cela.
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-- Plus tard, dit d'Artagnan.
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-- Plus tard! et pourquoi plus tard? parce que tu crois que je
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suis ivre, d'Artagnan? Retiens bien ceci: je n'ai jamais les idées
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plus nettes que dans le vin. Parle donc, je suis tout oreilles.»
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D'Artagnan raconta son aventure avec Mme Bonacieux.
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Athos l'écouta sans sourciller; puis, lorsqu'il eut fini:
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«Misères que tout cela, dit Athos, misères!»
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C'était le mot d'Athos.
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«Vous dites toujours misères! mon cher Athos, dit d'Artagnan; cela
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vous sied bien mal, à vous qui n'avez jamais aimé.»
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L'oeil mort d'Athos s'enflamma soudain, mais ce ne fut qu'un
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éclair, il redevint terne et vague comme auparavant.
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«C'est vrai, dit-il tranquillement, je n'ai jamais aimé, moi.
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-- Vous voyez bien alors, coeur de pierre, dit d'Artagnan, que
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vous avez tort d'être dur pour nous autres coeurs tendres.
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-- Coeurs tendres, coeurs percés, dit Athos.
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-- Que dites-vous?
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-- Je dis que l'amour est une loterie où celui qui gagne, gagne la
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mort! Vous êtes bien heureux d'avoir perdu, croyez-moi, mon cher
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d'Artagnan. Et si j'ai un conseil à vous donner, c'est de perdre
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toujours.
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-- Elle avait l'air de si bien m'aimer!
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-- Elle en avait l'air.
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-- Oh! elle m'aimait.
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-- Enfant! il n'y a pas un homme qui n'ait cru comme vous que sa
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maîtresse l'aimait, et il n'y a pas un homme qui n'ait été trompé
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par sa maîtresse.
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-- Excepté vous, Athos, qui n'en avez jamais eu.
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-- C'est vrai, dit Athos après un moment de silence, je n'en ai
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jamais eu, moi. Buvons!
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-- Mais alors, philosophe que vous êtes, dit d'Artagnan,
|
|
instruisez-moi, soutenez-moi; j'ai besoin de savoir et d'être
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consolé.
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-- Consolé de quoi?
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-- De mon malheur.
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-- Votre malheur fait rire, dit Athos en haussant les épaules; je
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serais curieux de savoir ce que vous diriez si je vous racontais
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une histoire d'amour.
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-- Arrivée à vous?
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-- Ou à un de mes amis, qu'importe!
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-- Dites, Athos, dites.
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-- Buvons, nous ferons mieux.
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-- Buvez et racontez.
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-- Au fait, cela se peut, dit Athos en vidant et remplissant son
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verre, les deux choses vont à merveille ensemble.
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-- J'écoute», dit d'Artagnan.
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Athos se recueillit, et, à mesure qu'il se recueillait, d'Artagnan
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le voyait pâlir; il en était à cette période de l'ivresse où les
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|
buveurs vulgaires tombent et dorment. Lui, il rêvait tout haut
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sans dormir. Ce somnambulisme de l'ivresse avait quelque chose
|
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d'effrayant.
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«Vous le voulez absolument? demanda-t-il.
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-- Je vous en prie, dit d'Artagnan.
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-- Qu'il soit fait donc comme vous le désirez. Un de mes amis, un
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de mes amis, entendez-vous bien! pas moi, dit Athos en
|
|
s'interrompant avec un sourire sombre; un des comtes de ma
|
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province, c'est-à-dire du Berry, noble comme un Dandolo ou un
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|
Montmorency, devint amoureux à vingt-cinq ans d'une jeune fille de
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seize, belle comme les amours. À travers la naïveté de son âge
|
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perçait un esprit ardent, un esprit non pas de femme, mais de
|
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poète; elle ne plaisait pas, elle enivrait; elle vivait dans un
|
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petit bourg, près de son frère qui était curé. Tous deux étaient
|
|
arrivés dans le pays: ils venaient on ne savait d'où; mais en la
|
|
voyant si belle et en voyant son frère si pieux, on ne songeait
|
|
pas à leur demander d'où ils venaient. Du reste, on les disait de
|
|
bonne extraction. Mon ami, qui était le seigneur du pays, aurait
|
|
pu la séduire ou la prendre de force, à son gré, il était le
|
|
maître; qui serait venu à l'aide de deux étrangers, de deux
|
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inconnus? Malheureusement il était honnête homme, il l'épousa. Le
|
|
sot, le niais, l'imbécile!
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-- Mais pourquoi cela, puisqu'il l'aimait? demanda d'Artagnan.
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|
-- Attendez donc, dit Athos. Il l'emmena dans son château, et en
|
|
fit la première dame de sa province; et il faut lui rendre
|
|
justice, elle tenait parfaitement son rang.
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-- Eh bien? demanda d'Artagnan.
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|
-- Eh bien, un jour qu'elle était à la chasse avec son mari,
|
|
continua Athos à voix basse et en parlant fort vite, elle tomba de
|
|
cheval et s'évanouit; le comte s'élança à son secours, et comme
|
|
elle étouffait dans ses habits, il les fendit avec son poignard et
|
|
lui découvrit l'épaule. Devinez ce qu'elle avait sur l'épaule,
|
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d'Artagnan? dit Athos avec un grand éclat de rire.
|
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-- Puis-je le savoir? demanda d'Artagnan.
|
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-- Une fleur de lis, dit Athos. Elle était marquée!»
|
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|
Et Athos vida d'un seul trait le verre qu'il tenait à la main.
|
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«Horreur! s'écria d'Artagnan, que me dites-vous là?
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-- La vérité. Mon cher, l'ange était un démon. La pauvre fille
|
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avait volé.
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-- Et que fit le comte?
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-- Le comte était un grand seigneur, il avait sur ses terres droit
|
|
de justice basse et haute: il acheva de déchirer les habits de la
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|
comtesse, il lui lia les mains derrière le dos et la pendit à un
|
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arbre.
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-- Ciel! Athos! un meurtre! s'écria d'Artagnan.
|
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-- Oui, un meurtre, pas davantage, dit Athos pâle comme la mort.
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|
Mais on me laisse manquer de vin, ce me semble.»
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|
Et Athos saisit au goulot la dernière bouteille qui restait,
|
|
l'approcha de sa bouche et la vida d'un seul trait, comme il eût
|
|
fait d'un verre ordinaire.
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|
Puis il laissa tomber sa tête sur ses deux mains; d'Artagnan
|
|
demeura devant lui, saisi d'épouvante.
|
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|
|
«Cela m'a guéri des femmes belles, poétiques et amoureuses, dit
|
|
Athos en se relevant et sans songer à continuer l'apologue du
|
|
comte. Dieu vous en accorde autant! Buvons!
|
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|
-- Ainsi elle est morte? balbutia d'Artagnan.
|
|
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-- Parbleu! dit Athos. Mais tendez votre verre. Du jambon, drôle,
|
|
cria Athos, nous ne pouvons plus boire!
|
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|
-- Et son frère? ajouta timidement d'Artagnan.
|
|
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-- Son frère? reprit Athos.
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|
-- Oui, le prêtre?
|
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-- Ah! je m'en informai pour le faire pendre à son tour; mais il
|
|
avait pris les devants, il avait quitté sa cure depuis la veille.
|
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-- A-t-on su au moins ce que c'était que ce misérable?
|
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-- C'était sans doute le premier amant et le complice de la belle,
|
|
un digne homme qui avait fait semblant d'être curé peut-être pour
|
|
marier sa maîtresse et lui assurer un sort. Il aura été écartelé,
|
|
je l'espère.
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-- Oh! mon Dieu! mon Dieu! fit d'Artagnan, tout étourdi de cette
|
|
horrible aventure.
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|
-- Mangez donc de ce jambon, d'Artagnan, il est exquis, dit Athos
|
|
en coupant une tranche qu'il mit sur l'assiette du jeune homme.
|
|
Quel malheur qu'il n'y en ait pas eu seulement quatre comme celui-
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|
là dans la cave! j'aurais bu cinquante bouteilles de plus.»
|
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|
D'Artagnan ne pouvait plus supporter cette conversation, qui l'eût
|
|
rendu fou; il laissa tomber sa tête sur ses deux mains et fit
|
|
semblant de s'endormir.
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|
«Les jeunes gens ne savent plus boire, dit Athos en le regardant
|
|
en pitié, et pourtant celui-là est des meilleurs!...»
|
|
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|
CHAPITRE XXVIII
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RETOUR
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D'Artagnan était resté étourdi de la terrible confidence d'Athos;
|
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cependant bien des choses lui paraissaient encore obscures dans
|
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cette demi-révélation; d'abord elle avait été faite par un homme
|
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tout à fait ivre à un homme qui l'était à moitié, et cependant,
|
|
malgré ce vague que fait monter au cerveau la fumée de deux ou
|
|
trois bouteilles de bourgogne, d'Artagnan, en se réveillant le
|
|
lendemain matin, avait chaque parole d'Athos aussi présente à son
|
|
esprit que si, à mesure qu'elles étaient tombées de sa bouche,
|
|
elles s'étaient imprimées dans son esprit. Tout ce doute ne lui
|
|
donna qu'un plus vif désir d'arriver à une certitude, et il passa
|
|
chez son ami avec l'intention bien arrêtée de renouer sa
|
|
conversation de la veille mais il trouva Athos de sens tout à fait
|
|
rassis, c'est-à-dire le plus fin et le plus impénétrable des
|
|
hommes.
|
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|
Au reste, le mousquetaire, après avoir échangé avec lui une
|
|
poignée de main, alla le premier au-devant de sa pensée.
|
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|
«J'étais bien ivre hier, mon cher d'Artagnan, dit-il, j'ai senti
|
|
cela ce matin à ma langue, qui était encore fort épaisse, et à mon
|
|
pouls qui était encore fort agité; je parie que j'ai dit mille
|
|
extravagances.»
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|
|
Et, en disant ces mots, il regarda son ami avec une fixité qui
|
|
l'embarrassa.
|
|
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«Mais non pas, répliqua d'Artagnan, et, si je me le rappelle bien,
|
|
vous n'avez rien dit que de fort ordinaire.
|
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|
|
-- Ah! vous m'étonnez! Je croyais vous avoir raconté une histoire
|
|
des plus lamentables.»
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|
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|
Et il regardait le jeune homme comme s'il eût voulu lire au plus
|
|
profond de son coeur.
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|
|
|
«Ma foi! dit d'Artagnan, il paraît que j'étais encore plus ivre
|
|
que vous, puisque je ne me souviens de rien.»
|
|
|
|
Athos ne se paya point de cette parole, et il reprit:
|
|
|
|
«Vous n'êtes pas sans avoir remarqué, mon cher ami, que chacun a
|
|
son genre d'ivresse, triste ou gaie, moi j'ai l'ivresse triste,
|
|
et, quand une fois je suis gris, ma manière est de raconter toutes
|
|
les histoires lugubres que ma sotte nourrice m'a inculquées dans
|
|
le cerveau. C'est mon défaut; défaut capital, j'en conviens; mais,
|
|
à cela près, je suis bon buveur.»
|
|
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|
Athos disait cela d'une façon si naturelle, que d'Artagnan fut
|
|
ébranlé dans sa conviction.
|
|
|
|
«Oh! c'est donc cela, en effet, reprit le jeune homme en essayant
|
|
de ressaisir la vérité, c'est donc cela que je me souviens, comme,
|
|
au reste, on se souvient d'un rêve, que nous avons parlé de
|
|
pendus.
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|
|
-- Ah! vous voyez bien, dit Athos en pâlissant et cependant en
|
|
essayant de rire, j'en étais sûr, les pendus sont mon cauchemar, à
|
|
moi.
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|
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|
-- Oui, oui, reprit d'Artagnan, et voilà la mémoire qui me
|
|
revient; oui, il s'agissait... attendez donc... il s'agissait
|
|
d'une femme.
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|
-- Voyez, répondit Athos en devenant presque livide, c'est ma
|
|
grande histoire de la femme blonde, et quand je raconte celle-là,
|
|
c'est que je suis ivre mort.
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|
|
|
-- Oui, c'est cela, dit d'Artagnan, l'histoire de la femme blonde,
|
|
grande et belle, aux yeux bleus.
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|
-- Oui, et pendue.
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|
|
|
-- Par son mari, qui était un seigneur de votre connaissance,
|
|
continua d'Artagnan en regardant fixement Athos.
|
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|
|
-- Eh bien, voyez cependant comme on compromettrait un homme quand
|
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on ne sait plus ce que l'on dit, reprit Athos en haussant les
|
|
épaules, comme s'il se fût pris lui-même en pitié. Décidément, je
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ne veux plus me griser, d'Artagnan, c'est une trop mauvaise
|
|
habitude.»
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|
D'Artagnan garda le silence.
|
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|
Puis Athos, changeant tout à coup de conversation:
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|
«À propos, dit-il, je vous remercie du cheval que vous m'avez
|
|
amené.
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|
-- Est-il de votre goût? demanda d'Artagnan.
|
|
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|
-- Oui, mais ce n'était pas un cheval de fatigue.
|
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-- Vous vous trompez; j'ai fait avec lui dix lieues en moins d'une
|
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heure et demie, et il n'y paraissait pas plus que s'il eût fait le
|
|
tour de la place Saint-Sulpice.
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-- Ah çà, vous allez me donner des regrets.
|
|
|
|
-- Des regrets?
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-- Oui, je m'en suis défait.
|
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|
|
-- Comment cela?
|
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|
-- Voici le fait: ce matin, je me suis réveillé à six heures, vous
|
|
dormiez comme un sourd, et je ne savais que faire; j'étais encore
|
|
tout hébété de notre débauche d'hier; je descendis dans la grande
|
|
salle, et j'avisai un de nos Anglais qui marchandait un cheval à
|
|
un maquignon, le sien étant mort hier d'un coup de sang. Je
|
|
m'approchai de lui, et comme je vis qu'il offrait cent pistoles
|
|
d'un alezan brûlé: «Par Dieu, lui dis-je, mon gentilhomme, moi
|
|
aussi j'ai un cheval à vendre.
|
|
|
|
«-- Et très beau même, dit-il, je l'ai vu hier, le valet de votre
|
|
ami le tenait en main.
|
|
|
|
«-- Trouvez-vous qu'il vaille cent pistoles?
|
|
|
|
«-- Oui, et voulez-vous me le donner pour ce prix-là?
|
|
|
|
«-- Non, mais je vous le joue.
|
|
|
|
«-- Vous me le jouez?
|
|
|
|
«-- Oui.
|
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|
|
«-- À quoi?
|
|
|
|
«-- Aux dés.»
|
|
|
|
«Ce qui fut dit fut fait; et j'ai perdu le cheval. Ah! mais par
|
|
exemple, continua Athos, j'ai regagné le caparaçon.»
|
|
|
|
D'Artagnan fit une mine assez maussade.
|
|
|
|
«Cela vous contrarie? dit Athos.
|
|
|
|
-- Mais oui, je vous l'avoue, reprit d'Artagnan; ce cheval devait
|
|
servir à nous faire reconnaître un jour de bataille; c'était un
|
|
gage, un souvenir. Athos, vous avez eu tort.
|
|
|
|
-- Eh! mon cher ami, mettez-vous à ma place, reprit le
|
|
mousquetaire; je m'ennuyais à périr, moi, et puis, d'honneur, je
|
|
n'aime pas les chevaux anglais. Voyons, s'il ne s'agit que d'être
|
|
reconnu par quelqu'un, eh bien, la selle suffira; elle est assez
|
|
remarquable. Quant au cheval, nous trouverons quelque excuse pour
|
|
motiver sa disparition. Que diable! un cheval est mortel; mettons
|
|
que le mien a eu la morve ou le farcin.»
|
|
|
|
D'Artagnan ne se déridait pas.
|
|
|
|
«Cela me contrarie, continua Athos, que vous paraissiez tant tenir
|
|
à ces animaux, car je ne suis pas au bout de mon histoire.
|
|
|
|
-- Qu'avez-vous donc fait encore?
|
|
|
|
-- Après avoir perdu mon cheval, neuf contre dix, voyez le coup,
|
|
l'idée me vint de jouer le vôtre.
|
|
|
|
-- Oui, mais vous vous en tîntes, j'espère, à l'idée?
|
|
|
|
-- Non pas, je la mis à exécution à l'instant même.
|
|
|
|
-- Ah! par exemple! s'écria d'Artagnan inquiet.
|
|
|
|
-- Je jouai, et je perdis.
|
|
|
|
-- Mon cheval?
|
|
|
|
-- Votre cheval; sept contre huit; faute d'un point..., vous
|
|
connaissez le proverbe.
|
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|
-- Athos, vous n'êtes pas dans votre bon sens, je vous jure!
|
|
|
|
-- Mon cher, c'était hier, quand je vous contais mes sottes
|
|
histoires, qu'il fallait me dire cela, et non pas ce matin. Je le
|
|
perdis donc avec tous les équipages et harnais possibles.
|
|
|
|
-- Mais c'est affreux!
|
|
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|
-- Attendez donc, vous n'y êtes point, je ferais un joueur
|
|
excellent, si je ne m'entêtais pas; mais je m'entête, c'est comme
|
|
quand je bois; je m'entêtai donc...
|
|
|
|
-- Mais que pûtes-vous jouer, il ne vous restait plus rien?
|
|
|
|
-- Si fait, si fait, mon ami; il nous restait ce diamant qui
|
|
brille à votre doigt, et que j'avais remarqué hier.
|
|
|
|
-- Ce diamant! s'écria d'Artagnan, en portant vivement la main à
|
|
sa bague.
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|
|
|
-- Et comme je suis connaisseur, en ayant eu quelques-uns pour mon
|
|
propre compte, je l'avais estimé mille pistoles.
|
|
|
|
-- J'espère, dit sérieusement d'Artagnan à demi mort de frayeur,
|
|
que vous n'avez aucunement fait mention de mon diamant?
|
|
|
|
-- Au contraire, cher ami; vous comprenez, ce diamant devenait
|
|
notre seule ressource; avec lui, je pouvais regagner nos harnais
|
|
et nos chevaux, et, de plus, l'argent pour faire la route.
|
|
|
|
-- Athos, vous me faites frémir! s'écria d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Je parlai donc de votre diamant à mon partenaire, lequel
|
|
l'avait aussi remarqué. Que diable aussi, mon cher, vous portez à
|
|
votre doigt une étoile du ciel, et vous ne voulez pas qu'on y
|
|
fasse attention! Impossible!
|
|
|
|
-- Achevez, mon cher; achevez! dit d'Artagnan, car, d'honneur!
|
|
avec votre sang-froid, vous me faites mourir!
|
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|
|
-- Nous divisâmes donc ce diamant en dix parties de cent pistoles
|
|
chacune.
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-- Ah! vous voulez rire et m'éprouver? dit d'Artagnan que la
|
|
colère commençait à prendre aux cheveux comme Minerve prend
|
|
Achille, dans l'Iliade.
|
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|
-- Non, je ne plaisante pas, mordieu! j'aurais bien voulu vous y
|
|
voir, vous! il y avait quinze jours que je n'avais envisagé face
|
|
humaine et que j'étais là à m'abrutir en m'abouchant avec des
|
|
bouteilles.
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|
|
-- Ce n'est point une raison pour jouer mon diamant, cela?
|
|
répondit d'Artagnan en serrant sa main avec une crispation
|
|
nerveuse.
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|
|
-- Écoutez donc la fin; dix parties de cent pistoles chacune en
|
|
dix coups sans revanche. En treize coups je perdis tout. En treize
|
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coups! Le nombre 13 m'a toujours été fatal, c'était le 13 du mois
|
|
de juillet que...
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|
-- Ventrebleu! s'écria d'Artagnan en se levant de table,
|
|
l'histoire du jour lui faisant oublier celle de la veille.
|
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-- Patience, dit Athos, j'avais un plan. L'Anglais était un
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original, je l'avais vu le matin causer avec Grimaud, et Grimaud
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m'avait averti qu'il lui avait fait des propositions pour entrer à
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son service. Je lui joue Grimaud, le silencieux Grimaud, divisé en
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dix portions.
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-- Ah! pour le coup! dit d'Artagnan éclatant de rire malgré lui.
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-- Grimaud lui-même, entendez-vous cela! et avec les dix parts de
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Grimaud, qui ne vaut pas en tout un ducaton, je regagne le
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diamant. Dites maintenant que la persistance n'est pas une vertu.
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-- Ma foi, c'est très drôle! s'écria d'Artagnan consolé et se
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tenant les côtes de rire.
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-- Vous comprenez que, me sentant en veine, je me remis aussitôt à
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jouer sur le diamant.
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-- Ah! diable, dit d'Artagnan assombri de nouveau.
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-- J'ai regagné vos harnais, puis votre cheval, puis mes harnais,
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puis mon cheval, puis reperdu. Bref, j'ai rattrapé votre harnais,
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puis le mien. Voilà où nous en sommes. C'est un coup superbe;
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aussi je m'en suis tenu là.»
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D'Artagnan respira comme si on lui eût enlevé l'hôtellerie de
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dessus la poitrine.
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«Enfin, le diamant me reste? dit-il timidement.
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-- Intact! cher ami; plus les harnais de votre Bucéphale et du
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mien.
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-- Mais que ferons-nous de nos harnais sans chevaux?
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-- J'ai une idée sur eux.
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-- Athos, vous me faites frémir.
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-- Écoutez, vous n'avez pas joué depuis longtemps, vous,
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d'Artagnan?
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-- Et je n'ai point l'envie de jouer.
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-- Ne jurons de rien. Vous n'avez pas joué depuis longtemps,
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disais-je, vous devez donc avoir la main bonne.
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-- Eh bien, après?
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-- Eh bien, l'Anglais et son compagnon sont encore là. J'ai
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remarqué qu'ils regrettaient beaucoup les harnais. Vous, vous
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paraissez tenir à votre cheval. A votre place, je jouerais vos
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harnais contre votre cheval.
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-- Mais il ne voudra pas un seul harnais.
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-- Jouez les deux, pardieu! je ne suis point un égoïste comme
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vous, moi.
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-- Vous feriez cela? dit d'Artagnan indécis, tant la confiance
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d'Athos commençait à le gagner à son insu.
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-- Parole d'honneur, en un seul coup.
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-- Mais c'est qu'ayant perdu les chevaux, je tenais énormément à
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conserver les harnais.
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-- Jouez votre diamant, alors.
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-- Oh! ceci, c'est autre chose; jamais, jamais.
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-- Diable! dit Athos, je vous proposerais bien de jouer Planchet;
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mais comme cela a déjà été fait, l'Anglais ne voudrait peut-être
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plus.
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-- Décidément, mon cher Athos, dit d'Artagnan, j'aime mieux ne
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rien risquer.
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-- C'est dommage, dit froidement Athos, l'Anglais est cousu de
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pistoles. Eh! mon Dieu, essayez un coup, un coup est bientôt joué.
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-- Et si je perds?
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-- Vous gagnerez.
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-- Mais si je perds?
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-- Eh bien, vous donnerez les harnais.
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-- Va pour un coup», dit d'Artagnan.
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Athos se mit en quête de l'Anglais et le trouva dans l'écurie, où
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il examinait les harnais d'un oeil de convoitise. L'occasion était
|
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bonne. Il fit ses conditions: les deux harnais contre un cheval ou
|
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cent pistoles, à choisir. L'Anglais calcula vite: les deux harnais
|
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valaient trois cents pistoles à eux deux; il topa.
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D'Artagnan jeta les dés en tremblant et amena le nombre trois; sa
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pâleur effraya Athos, qui se contenta de dire:
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«Voilà un triste coup, compagnon; vous aurez les chevaux tout
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harnachés, monsieur.»
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L'Anglais, triomphant, ne se donna même la peine de rouler les
|
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dés, il les jeta sur la table sans regarder, tant il était sûr de
|
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la victoire; d'Artagnan s'était détourné pour cacher sa mauvaise
|
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humeur.
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«Tiens, tiens, tiens, dit Athos avec sa voix tranquille, ce coup
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de dés est extraordinaire, et je ne l'ai vu que quatre fois dans
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ma vie: deux as!»
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L'Anglais regarda et fut saisi d'étonnement, d'Artagnan regarda et
|
|
fut saisi de plaisir.
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«Oui, continua Athos, quatre fois seulement: une fois chez
|
|
M. de Créquy; une autre fois chez moi, à la campagne, dans mon
|
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château de... quand j'avais un château; une troisième fois chez
|
|
M. de Tréville, où il nous surprit tous; enfin une quatrième fois
|
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au cabaret, où il échut à moi et où je perdis sur lui cent louis
|
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et un souper.
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-- Alors, monsieur reprend son cheval, dit l'Anglais.
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-- Certes, dit d'Artagnan.
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-- Alors il n'y a pas de revanche?
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-- Nos conditions disaient: pas de revanche, vous vous le
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rappelez?
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-- C'est vrai; le cheval va être rendu à votre valet, monsieur.
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-- Un moment, dit Athos; avec votre permission, monsieur, je
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demande à dire un mot à mon ami.
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-- Dites.»
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Athos tira d'Artagnan à part.
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«Eh bien, lui dit d'Artagnan, que me veux-tu encore, tentateur, tu
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veux que je joue, n'est-ce pas?
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-- Non, je veux que vous réfléchissiez.
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-- À quoi?
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-- Vous allez reprendre le cheval, n'est-ce pas?
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|
|
-- Sans doute.
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-- Vous avez tort, je prendrais les cent pistoles; vous savez que
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|
vous avez joué les harnais contre le cheval ou cent pistoles, à
|
|
votre choix.
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-- Oui.
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-- Je prendrais les cent pistoles.
|
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-- Eh bien, moi, je prends le cheval.
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|
-- Et vous avez tort, je vous le répète; que ferons-nous d'un
|
|
cheval pour nous deux, je ne puis pas monter en croupe nous
|
|
aurions l'air des deux fils Aymon qui ont perdu leurs frères; vous
|
|
ne pouvez pas m'humilier en chevauchant près de moi, en
|
|
chevauchant sur ce magnifique destrier. Moi, sans balancer un seul
|
|
instant, je prendrais les cent pistoles, nous avons besoin
|
|
d'argent pour revenir à Paris.
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|
-- Je tiens à ce cheval, Athos.
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|
-- Et vous avez tort, mon ami; un cheval prend un écart, un cheval
|
|
bute et se couronne, un cheval mange dans un râtelier où a mangé
|
|
un cheval morveux: voilà un cheval ou plutôt cent pistoles
|
|
perdues; il faut que le maître nourrisse son cheval, tandis qu'au
|
|
contraire cent pistoles nourrissent leur maître.
|
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|
-- Mais comment reviendrons-nous?
|
|
|
|
-- Sur les chevaux de nos laquais, pardieu! on verra toujours bien
|
|
à l'air de nos figures que nous sommes gens de condition.
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|
|
|
-- La belle mine que nous aurons sur des bidets, tandis qu'Aramis
|
|
et Porthos caracoleront sur leurs chevaux!
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|
|
-- Aramis! Porthos! s'écria Athos, et il se mit à rire.
|
|
|
|
-- Quoi? demanda d'Artagnan, qui ne comprenait rien à l'hilarité
|
|
de son ami.
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|
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-- Bien, bien, continuons, dit Athos.
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|
|
|
-- Ainsi, votre avis...?
|
|
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|
-- Est de prendre les cent pistoles, d'Artagnan; avec les cent
|
|
pistoles nous allons festiner jusqu'à la fin du mois; nous avons
|
|
essuyé des fatigues, voyez-vous, et il sera bon de nous reposer un
|
|
peu.
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|
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|
-- Me reposer! oh! non, Athos, aussitôt à Paris je me mets à la
|
|
recherche de cette pauvre femme.
|
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|
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-- Eh bien, croyez-vous que votre cheval vous sera aussi utile
|
|
pour cela que de bons louis d'or? Prenez les cent pistoles, mon
|
|
ami, prenez les cent pistoles.»
|
|
|
|
D'Artagnan n'avait besoin que d'une raison pour se rendre. Celle-
|
|
là lui parut excellente. D'ailleurs, en résistant plus longtemps,
|
|
il craignait de paraître égoïste aux yeux d'Athos; il acquiesça
|
|
donc et choisit les cent pistoles, que l'Anglais lui compta sur-
|
|
le-champ.
|
|
|
|
Puis l'on ne songea plus qu'à partir. La paix signée avec
|
|
l'aubergiste, outre le vieux cheval d'Athos, coûta six pistoles;
|
|
d'Artagnan et Athos prirent les chevaux de Planchet et de Grimaud,
|
|
les deux valets se mirent en route à pied, portant les selles sur
|
|
leurs têtes.
|
|
|
|
Si mal montés que fussent les deux amis, ils prirent bientôt les
|
|
devants sur leurs valets et arrivèrent à Crèvecoeur. De loin ils
|
|
aperçurent Aramis mélancoliquement appuyé sur sa fenêtre et
|
|
regardant, comme ma soeur Anne, poudroyer l'horizon.
|
|
|
|
«Holà, eh! Aramis! que diable faites-vous donc là? crièrent les
|
|
deux amis.
|
|
|
|
-- Ah! c'est vous, d'Artagnan, c'est vous Athos, dit le jeune
|
|
homme; je songeais avec quelle rapidité s'en vont les biens de ce
|
|
monde, et mon cheval anglais, qui s'éloignait et qui vient de
|
|
disparaître au milieu d'un tourbillon de poussière, m'était une
|
|
vivante image de la fragilité des choses de la terre. La vie elle-
|
|
même peut se résoudre en trois mots: Erat, est, fuit.
|
|
|
|
-- Cela veut dire au fond? demanda d'Artagnan, qui commençait à se
|
|
douter de la vérité.
|
|
|
|
-- Cela veut dire que je viens de faire un marché de dupe:
|
|
soixante louis, un cheval qui, à la manière dont il file, peut
|
|
faire au trot cinq lieues à l'heure.»
|
|
|
|
D'Artagnan et Athos éclatèrent de rire.
|
|
|
|
«Mon cher d'Artagnan, dit Aramis, ne m'en veuillez pas trop, je
|
|
vous prie: nécessité n'a pas de loi; d'ailleurs je suis le premier
|
|
puni, puisque cet infâme maquignon m'a volé cinquante louis au
|
|
moins. Ah! vous êtes bons ménagers, vous autres! vous venez sur
|
|
les chevaux de vos laquais et vous faites mener vos chevaux de
|
|
luxe en main, doucement et à petites journées.»
|
|
|
|
Au même instant un fourgon, qui depuis quelques instants pointait
|
|
sur la route d'Amiens, s'arrêta, et l'on vit sortir Grimaud et
|
|
Planchet leurs selles sur la tête. Le fourgon retournait à vide
|
|
vers Paris, et les deux laquais s'étaient engagés, moyennant leur
|
|
transport, à désaltérer le voiturier tout le long de la route.
|
|
|
|
«Qu'est-ce que cela? dit Aramis en voyant ce qui se passait; rien
|
|
que les selles?
|
|
|
|
-- Comprenez-vous maintenant? dit Athos.
|
|
|
|
-- Mes amis, c'est exactement comme moi. J'ai conservé le harnais,
|
|
par instinct. Holà, Bazin! portez mon harnais neuf auprès de celui
|
|
de ces messieurs.
|
|
|
|
-- Et qu'avez-vous fait de vos curés? demanda d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Mon cher, je les ai invités à dîner le lendemain, dit Aramis:
|
|
il y a ici du vin exquis, cela soit dit en passant; je les ai
|
|
grisés de mon mieux; alors le curé m'a défendu de quitter la
|
|
casaque, et le jésuite m'a prié de le faire recevoir mousquetaire.
|
|
|
|
-- Sans thèse! cria d'Artagnan, sans thèse! je demande la
|
|
suppression de la thèse, moi!
|
|
|
|
-- Depuis lors, continua Aramis, je vis agréablement. J'ai
|
|
commencé un poème en vers d'une syllabe; c'est assez difficile,
|
|
mais le mérite en toutes choses est dans la difficulté. La matière
|
|
est galante, je vous lirai le premier chant, il a quatre cents
|
|
vers et dure une minute.
|
|
|
|
-- Ma foi, mon cher Aramis, dit d'Artagnan, qui détestait presque
|
|
autant les vers que le latin, ajoutez au mérite de la difficulté
|
|
celui de la brièveté, et vous êtes sûr au moins que votre poème
|
|
aura deux mérites.
|
|
|
|
-- Puis, continua Aramis, il respire des passions honnêtes, vous
|
|
verrez. Ah çà, mes amis, nous retournons donc à Paris? Bravo, je
|
|
suis prêt; nous allons donc revoir ce bon Porthos, tant mieux.
|
|
Vous ne croyez pas qu'il me manquait, ce grand niais-là? Ce n'est
|
|
pas lui qui aurait vendu son cheval, fût-ce contre un royaume. Je
|
|
voudrais déjà le voir sur sa bête et sur sa selle. Il aura, j'en
|
|
suis sûr, l'air du grand mogol.»
|
|
|
|
On fit une halte d'une heure pour faire souffler les chevaux;
|
|
Aramis solda son compte, plaça Bazin dans le fourgon avec ses
|
|
camarades, et l'on se mit en route pour aller retrouver Porthos.
|
|
|
|
On le trouva debout, moins pâle que ne l'avait vu d'Artagnan à sa
|
|
première visite, et assis à une table où, quoiqu'il fût seul,
|
|
figurait un dîner de quatre personnes; ce dîner se composait de
|
|
viandes galamment troussées, de vins choisis et de fruits
|
|
superbes.
|
|
|
|
«Ah! pardieu! dit-il en se levant, vous arrivez à merveille,
|
|
messieurs, j'en étais justement au potage, et vous allez dîner
|
|
avec moi.
|
|
|
|
-- Oh! oh! fit d'Artagnan, ce n'est pas Mousqueton qui a pris au
|
|
lasso de pareilles bouteilles, puis voilà un fricandeau piqué et
|
|
un filet de boeuf...
|
|
|
|
-- Je me refais, dit Porthos, je me refais, rien n'affaiblit comme
|
|
ces diables de foulures; avez-vous eu des foulures, Athos?
|
|
|
|
-- Jamais; seulement je me rappelle que dans notre échauffourée de
|
|
la rue Férou je reçus un coup d'épée qui, au bout de quinze ou
|
|
dix-huit jours, m'avait produit exactement le même effet.
|
|
|
|
-- Mais ce dîner n'était pas pour vous seul, mon cher Porthos? dit
|
|
Aramis.
|
|
|
|
-- Non, dit Porthos; j'attendais quelques gentilshommes du
|
|
voisinage qui viennent de me faire dire qu'ils ne viendraient pas;
|
|
vous les remplacerez et je ne perdrai pas au change. Holà,
|
|
Mousqueton! des sièges, et que l'on double les bouteilles!
|
|
|
|
-- Savez-vous ce que nous mangeons ici? dit Athos au bout de dix
|
|
minutes.
|
|
|
|
-- Pardieu! répondit d'Artagnan, moi je mange du veau piqué aux
|
|
cardons et à la moelle.
|
|
|
|
-- Et moi des filets d'agneau, dit Porthos.
|
|
|
|
-- Et moi un blanc de volaille, dit Aramis.
|
|
|
|
-- Vous vous trompez tous, messieurs, répondit Athos, vous mangez
|
|
du cheval.
|
|
|
|
-- Allons donc! dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Du cheval!» fit Aramis avec une grimace de dégoût.
|
|
|
|
Porthos seul ne répondit pas.
|
|
|
|
«Oui, du cheval; n'est-ce pas, Porthos, que nous mangeons du
|
|
cheval? Peut-être même les caparaçons avec!
|
|
|
|
-- Non, messieurs, j'ai gardé le harnais, dit Porthos.
|
|
|
|
-- Ma foi, nous nous valons tous, dit Aramis: on dirait que nous
|
|
nous sommes donné le mot.
|
|
|
|
-- Que voulez-vous, dit Porthos, ce cheval faisait honte à mes
|
|
visiteurs, et je n'ai pas voulu les humilier!
|
|
|
|
-- Puis, votre duchesse est toujours aux eaux, n'est-ce pas?
|
|
reprit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Toujours, répondit Porthos. Or, ma foi, le gouverneur de la
|
|
province, un des gentilshommes que j'attendais aujourd'hui à
|
|
dîner, m'a paru le désirer si fort que je le lui ai donné.
|
|
|
|
-- Donné! s'écria d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu! oui, donné! c'est le mot, dit Porthos; car il
|
|
valait certainement cent cinquante louis, et le ladre n'a voulu me
|
|
le payer que quatre-vingts.
|
|
|
|
-- Sans la selle? dit Aramis.
|
|
|
|
-- Oui, sans la selle.
|
|
|
|
-- Vous remarquerez, messieurs, dit Athos, que c'est encore
|
|
Porthos qui a fait le meilleur marché de nous tous.»
|
|
|
|
Ce fut alors un hourra de rires dont le pauvre Porthos fut tout
|
|
saisi; mais on lui expliqua bientôt la raison de cette hilarité,
|
|
qu'il partagea bruyamment selon sa coutume.
|
|
|
|
«De sorte que nous sommes tous en fonds? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Mais pas pour mon compte, dit Athos; j'ai trouvé le vin
|
|
d'Espagne d'Aramis si bon, que j'en ai fait charger une
|
|
soixantaine de bouteilles dans le fourgon des laquais: ce qui m'a
|
|
fort désargenté.
|
|
|
|
-- Et moi, dit Aramis, imaginez donc que j'avais donné jusqu'à mon
|
|
dernier sou à l'église de Montdidier et aux jésuites d'Amiens; que
|
|
j'avais pris en outre des engagements qu'il m'a fallu tenir, des
|
|
messes commandées pour moi et pour vous, messieurs, que l'on dira,
|
|
messieurs, et dont je ne doute pas que nous ne nous trouvions à
|
|
merveille.
|
|
|
|
-- Et moi, dit Porthos, ma foulure, croyez-vous qu'elle ne m'a
|
|
rien coûté? sans compter la blessure de Mousqueton, pour laquelle
|
|
j'ai été obligé de faire venir le chirurgien deux fois par jour,
|
|
lequel m'a fait payer ses visites double sous prétexte que cet
|
|
imbécile de Mousqueton avait été se faire donner une balle dans un
|
|
endroit qu'on ne montre ordinairement qu'aux apothicaires; aussi
|
|
je lui ai bien recommandé de ne plus se faire blesser là.
|
|
|
|
-- Allons, allons, dit Athos, en échangeant un sourire avec
|
|
d'Artagnan et Aramis, je vois que vous vous êtes conduit
|
|
grandement à l'égard du pauvre garçon: c'est d'un bon maître.
|
|
|
|
-- Bref, continua Porthos, ma dépense payée, il me restera bien
|
|
une trentaine d'écus.
|
|
|
|
-- Et à moi une dizaine de pistoles, dit Aramis.
|
|
|
|
-- Allons, allons, dit Athos, il paraît que nous sommes les Crésus
|
|
de la société. Combien vous reste-t-il sur vos cent pistoles,
|
|
d'Artagnan?
|
|
|
|
-- Sur mes cent pistoles? D'abord, je vous en ai donné cinquante.
|
|
|
|
-- Vous croyez?
|
|
|
|
-- Pardieu! -- Ah! c'est vrai, je me rappelle.
|
|
|
|
-- Puis, j'en ai payé six à l'hôte.
|
|
|
|
-- Quel animal que cet hôte! pourquoi lui avez-vous donné six
|
|
pistoles?
|
|
|
|
-- C'est vous qui m'avez dit de les lui donner.
|
|
|
|
-- C'est vrai que je suis trop bon. Bref, en reliquat?
|
|
|
|
-- Vingt-cinq pistoles, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Et moi, dit Athos en tirant quelque menue monnaie de sa poche,
|
|
moi...
|
|
|
|
-- Vous, rien.
|
|
|
|
-- Ma foi, ou si peu de chose, que ce n'est pas la peine de
|
|
rapporter à la masse.
|
|
|
|
-- Maintenant, calculons combien nous possédons en tout: Porthos?
|
|
|
|
-- Trente écus.
|
|
|
|
-- Aramis?
|
|
|
|
-- Dix pistoles.
|
|
|
|
-- Et vous, d'Artagnan?
|
|
|
|
-- Vingt-cinq.
|
|
|
|
-- Cela fait en tout? dit Athos.
|
|
|
|
-- Quatre cent soixante-quinze livres! dit d'Artagnan, qui
|
|
comptait comme Archimède.
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|
|
|
-- Arrivés à Paris, nous en aurons bien encore quatre cents, dit
|
|
Porthos, plus les harnais.
|
|
|
|
-- Mais nos chevaux d'escadron? dit Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien, des quatre chevaux des laquais nous en ferons deux de
|
|
maître que nous tirerons au sort; avec les quatre cents livres, on
|
|
en fera un demi pour un des démontés, puis nous donnerons les
|
|
grattures de nos poches à d'Artagnan, qui a la main bonne, et qui
|
|
ira les jouer dans le premier tripot venu, voilà.
|
|
|
|
-- Dînons donc, dit Porthos, cela refroidit.»
|
|
|
|
Les quatre amis, plus tranquilles désormais sur leur avenir,
|
|
firent honneur au repas, dont les restes furent abandonnés à
|
|
MM. Mousqueton, Bazin, Planchet et Grimaud.
|
|
|
|
En arrivant à Paris, d'Artagnan trouva une lettre de
|
|
M. de Tréville qui le prévenait que, sur sa demande, le roi venait
|
|
de lui accorder la faveur d'entrer dans les mousquetaires.
|
|
|
|
Comme c'était tout ce que d'Artagnan ambitionnait au monde, à part
|
|
bien entendu le désir de retrouver Mme Bonacieux, il courut tout
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joyeux chez ses camarades, qu'il venait de quitter il y avait une
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demi-heure, et qu'il trouva fort tristes et fort préoccupés. Ils
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étaient réunis en conseil chez Athos: ce qui indiquait toujours
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des circonstances d'une certaine gravité.
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M. de Tréville venait de les faire prévenir que l'intention bien
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arrêtée de Sa Majesté étant d'ouvrir la campagne le 1ermai, ils
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eussent à préparer incontinent leurs équipages.
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Les quatre philosophes se regardèrent tout ébahis: M. de Tréville
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ne plaisantait pas sous le rapport de la discipline.
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«Et à combien estimez-vous ces équipages? dit d'Artagnan.
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-- Oh! il n'y a pas à dire, reprit Aramis, nous venons de faire
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nos comptes avec une lésinerie de Spartiates, et il nous faut à
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chacun quinze cents livres.
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-- Quatre fois quinze font soixante, soit six mille livres, dit
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Athos.
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-- Moi, dit d'Artagnan, il me semble qu'avec mille livres chacun,
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il est vrai que je ne parle pas en Spartiate, mais en
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procureur...»
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Ce mot de procureur réveilla Porthos.
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«Tiens, j'ai une idée! dit-il.
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-- C'est déjà quelque chose: moi, je n'en ai pas même l'ombre, fit
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froidement Athos, mais quant à d'Artagnan, messieurs, le bonheur
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d'être désormais des nôtres l'a rendu fou; mille livres! je
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déclare que pour moi seul il m'en faut deux mille.
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-- Quatre fois deux font huit, dit alors Aramis: c'est donc huit
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mille livres qu'il nous faut pour nos équipages, sur lesquels
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équipages, il est vrai, nous avons déjà les selles.
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-- Plus, dit Athos, en attendant que d'Artagnan qui allait
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remercier M. de Tréville eût fermé la porte, plus ce beau diamant
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qui brille au doigt de notre ami. Que diable! d'Artagnan est trop
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bon camarade pour laisser des frères dans l'embarras, quand il
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porte à son médius la rançon d'un roi.»
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CHAPITRE XXIX
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LA CHASSE À L'ÉQUIPEMENT
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Le plus préoccupé des quatre amis était bien certainement
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d'Artagnan, quoique d'Artagnan, en sa qualité de garde, fût bien
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plus facile à équiper que messieurs les mousquetaires, qui étaient
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des seigneurs; mais notre cadet de Gascogne était, comme on a pu
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le voir, d'un caractère prévoyant et presque avare, et avec cela
|
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(expliquez les contraires) glorieux presque à rendre des points à
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Porthos. À cette préoccupation de sa vanité, d'Artagnan joignait
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en ce moment une inquiétude moins égoïste. Quelques informations
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qu'il eût pu prendre sur Mme Bonacieux, il ne lui en était venu
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aucune nouvelle. M. de Tréville en avait parlé à la reine; la
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reine ignorait où était la jeune mercière et avait promis de la
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faire chercher.
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Mais cette promesse était bien vague et ne rassurait guère
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d'Artagnan.
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Athos ne sortait pas de sa chambre; il était résolu à ne pas
|
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risquer une enjambée pour s'équiper.
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«Il nous reste quinze jours, disait-il à ses amis; eh bien, si au
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|
bout de ces quinze jours je n'ai rien trouvé, ou plutôt si rien
|
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n'est venu me trouver, comme je suis trop bon catholique pour me
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|
casser la tête d'un coup de pistolet, je chercherai une bonne
|
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querelle à quatre gardes de Son Éminence ou à huit Anglais, et je
|
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me battrai jusqu'à ce qu'il y en ait un qui me tue, ce qui, sur la
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|
quantité, ne peut manquer de m'arriver. On dira alors que je suis
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mort pour le roi, de sorte que j'aurai fait mon service sans avoir
|
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eu besoin de m'équiper.»
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Porthos continuait à se promener, les mains derrière le dos, en
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hochant la tête de haut en bas et disant:
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«Je poursuivrai mon idée.»
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Aramis, soucieux et mal frisé, ne disait rien.
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On peut voir par ces détails désastreux que la désolation régnait
|
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dans la communauté.
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Les laquais, de leur côté, comme les coursiers d'Hippolyte,
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partageaient la triste peine de leurs maîtres. Mousqueton faisait
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des provisions de croûtes; Bazin, qui avait toujours donné dans la
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dévotion, ne quittait plus les églises; Planchet regardait voler
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les mouches; et Grimaud, que la détresse générale ne pouvait
|
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déterminer à rompre le silence imposé par son maître, poussait des
|
|
soupirs à attendrir des pierres.
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|
Les trois amis -- car, ainsi que nous l'avons dit, Athos avait
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juré de ne pas faire un pas pour s'équiper -- les trois amis
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sortaient donc de grand matin et rentraient fort tard. Ils
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|
erraient par les rues, regardant sur chaque pavé pour savoir si
|
|
les personnes qui y étaient passées avant eux n'y avaient pas
|
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laissé quelque bourse. On eût dit qu'ils suivaient des pistes,
|
|
tant ils étaient attentifs partout où ils allaient. Quand ils se
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|
rencontraient, ils avaient des regards désolés qui voulaient dire:
|
|
As-tu trouvé quelque chose?
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Cependant, comme Porthos avait trouvé le premier son idée, et
|
|
comme il l'avait poursuivie avec persistance, il fut le premier à
|
|
agir. C'était un homme d'exécution que ce digne Porthos.
|
|
D'Artagnan l'aperçut un jour qu'il s'acheminait vers l'église
|
|
Saint-Leu, et le suivit instinctivement: il entra au lieu saint
|
|
après avoir relevé sa moustache et allongé sa royale, ce qui
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|
annonçait toujours de sa part les intentions les plus
|
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conquérantes. Comme d'Artagnan prenait quelques précautions pour
|
|
se dissimuler, Porthos crut n'avoir pas été vu. D'Artagnan entra
|
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derrière lui. Porthos alla s'adosser au côté d'un pilier;
|
|
d'Artagnan, toujours inaperçu, s'appuya de l'autre.
|
|
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|
Justement il y avait un sermon, ce qui faisait que l'église était
|
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fort peuplée. Porthos profita de la circonstance pour lorgner les
|
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femmes: grâce aux bons soins de Mousqueton l'extérieur était loin
|
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d'annoncer la détresse de l'intérieur; son feutre était bien un
|
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peu râpé, sa plume était bien un peu déteinte, ses broderies
|
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étaient bien un peu ternies, ses dentelles étaient bien éraillées;
|
|
mais dans la demi-teinte toutes ces bagatelles disparaissaient, et
|
|
Porthos était toujours le beau Porthos.
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|
|
D'Artagnan remarqua, sur le banc le plus rapproché du pilier où
|
|
Porthos et lui étaient adossés, une espèce de beauté mûre, un peu
|
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jaune, un peu sèche, mais raide et hautaine sous ses coiffes
|
|
noires. Les yeux de Porthos s'abaissaient furtivement sur cette
|
|
dame, puis papillonnaient au loin dans la nef.
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|
De son côté, la dame, qui de temps en temps rougissait, lançait
|
|
avec la rapidité de l'éclair un coup d'oeil sur le volage Porthos,
|
|
et aussitôt les yeux de Porthos de papillonner avec fureur. Il
|
|
était clair que c'était un manège qui piquait au vif la dame aux
|
|
coiffes noires, car elle se mordait les lèvres jusqu'au sang, se
|
|
grattait le bout du nez, et se démenait désespérément sur son
|
|
siège.
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|
|
|
Ce que voyant, Porthos retroussa de nouveau sa moustache, allongea
|
|
une seconde fois sa royale, et se mit à faire des signaux à une
|
|
belle dame qui était près du choeur, et qui non seulement était
|
|
une belle dame, mais encore une grande dame sans doute, car elle
|
|
avait derrière elle un négrillon qui avait apporté le coussin sur
|
|
lequel elle était agenouillée, et une suivante qui tenait le sac
|
|
armorié dans lequel on renfermait le livre où elle lisait sa
|
|
messe.
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|
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|
La dame aux coiffes noires suivit à travers tous ses détours le
|
|
regard de Porthos, et reconnut qu'il s'arrêtait sur la dame au
|
|
coussin de velours, au négrillon et à la suivante.
|
|
|
|
Pendant ce temps, Porthos jouait serré: c'était des clignements
|
|
d'yeux, des doigts posés sur les lèvres, de petits sourires
|
|
assassins qui réellement assassinaient la belle dédaignée.
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|
Aussi poussa-t-elle, en forme de mea culpa et en se frappant la
|
|
poitrine, un hum! tellement vigoureux que tout le monde, même la
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|
dame au coussin rouge, se retourna de son côté; Porthos tint bon:
|
|
pourtant il avait bien compris, mais il fit le sourd.
|
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|
La dame au coussin rouge fit un grand effet, car elle était fort
|
|
belle, sur la dame aux coiffes noires, qui vit en elle une rivale
|
|
véritablement à craindre; un grand effet sur Porthos, qui la
|
|
trouva plus jolie que la dame aux coiffes noires; un grand effet
|
|
sur d'Artagnan, qui reconnut la dame de Meung, de Calais et de
|
|
Douvres, que son persécuteur, l'homme à la cicatrice, avait saluée
|
|
du nom de Milady.
|
|
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|
D'Artagnan, sans perdre de vue la dame au coussin rouge, continua
|
|
de suivre le manège de Porthos, qui l'amusait fort; il crut
|
|
deviner que la dame aux coiffes noires était la procureuse de la
|
|
rue aux Ours, d'autant mieux que l'église Saint-Leu n'était pas
|
|
très éloignée de ladite rue.
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|
|
|
Il devina alors par induction que Porthos cherchait à prendre sa
|
|
revanche de sa défaite de Chantilly, alors que la procureuse
|
|
s'était montrée si récalcitrante à l'endroit de la bourse.
|
|
|
|
Mais, au milieu de tout cela, d'Artagnan remarqua aussi que pas
|
|
une figure ne correspondait aux galanteries de Porthos. Ce
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|
n'étaient que chimères et illusions; mais pour un amour réel, pour
|
|
une jalousie véritable, y a-t-il d'autre réalité que les illusions
|
|
et les chimères?
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|
|
|
Le sermon finit: la procureuse s'avança vers le bénitier; Porthos
|
|
l'y devança, et, au lieu d'un doigt, y mit toute la main. La
|
|
procureuse sourit, croyant que c'était pour elle que Porthos se
|
|
mettait en frais: mais elle fut promptement et cruellement
|
|
détrompée: lorsqu'elle ne fut plus qu'à trois pas de lui, il
|
|
détourna la tête, fixant invariablement les yeux sur la dame au
|
|
coussin rouge, qui s'était levée et qui s'approchait suivie de son
|
|
négrillon et de sa fille de chambre.
|
|
|
|
Lorsque la dame au coussin rouge fut près de Porthos, Porthos tira
|
|
sa main toute ruisselante du bénitier; la belle dévote toucha de
|
|
sa main effilée la grosse main de Porthos, fit en souriant le
|
|
signe de la croix et sortit de l'église.
|
|
|
|
C'en fut trop pour la procureuse: elle ne douta plus que cette
|
|
dame et Porthos fussent en galanterie. Si elle eût été une grande
|
|
dame, elle se serait évanouie, mais comme elle n'était qu'une
|
|
procureuse, elle se contenta de dire au mousquetaire avec une
|
|
fureur concentrée:
|
|
|
|
«Eh! monsieur Porthos, vous ne m'en offrez pas à moi, d'eau
|
|
bénite?»
|
|
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|
Porthos fit, au son de cette voix, un soubresaut comme ferait un
|
|
homme qui se réveillerait après un somme de cent ans.
|
|
|
|
«Ma... madame! s'écria-t-il, est-ce bien vous? Comment se porte
|
|
votre mari, ce cher monsieur Coquenard? Est-il toujours aussi
|
|
ladre qu'il était? Où avais-je donc les yeux, que je ne vous ai
|
|
pas même aperçue pendant les deux heures qu'a duré ce sermon?
|
|
|
|
-- J'étais à deux pas de vous, monsieur, répondit la procureuse;
|
|
mais vous ne m'avez pas aperçue parce que vous n'aviez d'yeux que
|
|
pour la belle dame à qui vous venez de donner de l'eau bénite.»
|
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|
|
Porthos feignit d'être embarrassé.
|
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|
|
«Ah! dit-il, vous avez remarqué...
|
|
|
|
-- Il eût fallu être aveugle pour ne pas le voir.
|
|
|
|
-- Oui, dit négligemment Porthos, c'est une duchesse de mes amies
|
|
avec laquelle j'ai grand-peine à me rencontrer à cause de la
|
|
jalousie de son mari, et qui m'avait fait prévenir qu'elle
|
|
viendrait aujourd'hui, rien que pour me voir, dans cette chétive
|
|
église, au fond de ce quartier perdu.
|
|
|
|
-- Monsieur Porthos, dit la procureuse, auriez-vous la bonté de
|
|
m'offrir le bras pendant cinq minutes, je causerais volontiers
|
|
avec vous?
|
|
|
|
-- Comment donc, madame», dit Porthos en se clignant de l'oeil à
|
|
lui-même comme un joueur qui rit de la dupe qu'il va faire.
|
|
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|
Dans ce moment, d'Artagnan passait poursuivant Milady; il jeta un
|
|
regard de côté sur Porthos, et vit ce coup d'oeil triomphant.
|
|
|
|
«Eh! eh! se dit-il à lui même en raisonnant dans le sens de la
|
|
morale étrangement facile de cette époque galante, en voici un qui
|
|
pourrait bien être équipé pour le terme voulu.»
|
|
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|
Porthos, cédant à la pression du bras de sa procureuse comme une
|
|
barque cède au gouvernail, arriva au cloître Saint-Magloire,
|
|
passage peu fréquenté, enfermé d'un tourniquet à ses deux bouts.
|
|
On n'y voyait, le jour, que mendiants qui mangeaient ou enfants
|
|
qui jouaient.
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|
|
|
«Ah! monsieur Porthos! s'écria la procureuse, quand elle se fut
|
|
assurée qu'aucune personne étrangère à la population habituelle de
|
|
la localité ne pouvait les voir ni les entendre; ah! monsieur
|
|
Porthos! vous êtes un grand vainqueur, à ce qu'il paraît!
|
|
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|
-- Moi, madame! dit Porthos en se rengorgeant, et pourquoi cela?
|
|
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|
-- Et les signes de tantôt, et l'eau bénite? Mais c'est une
|
|
princesse pour le moins, que cette dame avec son négrillon et sa
|
|
fille de chambre!
|
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|
|
-- Vous vous trompez; mon Dieu, non, répondit Porthos, c'est tout
|
|
bonnement une duchesse.
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|
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-- Et ce coureur qui attendait à la porte, et ce carrosse avec un
|
|
cocher à grande livrée qui attendait sur son siège?»
|
|
|
|
Porthos n'avait vu ni le coureur, ni le carrosse; mais, de son
|
|
regard de femme jalouse, Mme Coquenard avait tout vu.
|
|
|
|
Porthos regretta de n'avoir pas, du premier coup, fait la dame au
|
|
coussin rouge princesse.
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|
|
|
«Ah! vous êtes l'enfant chéri des belles, monsieur Porthos! reprit
|
|
en soupirant la procureuse.
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|
|
-- Mais, répondit Porthos, vous comprenez qu'avec un physique
|
|
comme celui dont la nature m'a doué, je ne manque pas de bonnes
|
|
fortunes.
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|
-- Mon Dieu! comme les hommes oublient vite! s'écria la procureuse
|
|
en levant les yeux au ciel.
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-- Moins vite encore que les femmes, ce me semble, répondit
|
|
Porthos; car enfin, moi, madame, je puis dire que j'ai été votre
|
|
victime, lorsque blessé, mourant, je me suis vu abandonné des
|
|
chirurgiens; moi, le rejeton d'une famille illustre, qui m'étais
|
|
fié à votre amitié, j'ai manqué mourir de mes blessures d'abord,
|
|
et de faim ensuite dans une mauvaise auberge de Chantilly, et cela
|
|
sans que vous ayez daigné répondre une seule fois aux lettres
|
|
brûlantes que je vous ai écrites.
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|
-- Mais, monsieur Porthos..., murmura la procureuse, qui sentait
|
|
qu'à en juger par la conduite des plus grandes dames de ce temps-
|
|
là, elle était dans son tort.
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|
-- Moi qui avais sacrifié pour vous la comtesse de Penaflor...
|
|
|
|
-- Je le sais bien.
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-- La baronne de...
|
|
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|
-- Monsieur Porthos, ne m'accablez pas.
|
|
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|
-- La duchesse de...
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|
-- Monsieur Porthos, soyez généreux!
|
|
|
|
-- Vous avez raison, madame, et je n'achèverai pas.
|
|
|
|
-- Mais c'est mon mari qui ne veut pas entendre parler de prêter.
|
|
|
|
-- Madame Coquenard, dit Porthos, rappelez-vous la première lettre
|
|
que vous m'avez écrite et que je conserve gravée dans ma mémoire.»
|
|
|
|
La procureuse poussa un gémissement.
|
|
|
|
«Mais c'est qu'aussi, dit-elle, la somme que vous demandiez à
|
|
emprunter était un peu bien forte.
|
|
|
|
-- Madame Coquenard, je vous donnais la préférence. Je n'ai eu
|
|
qu'à écrire à la duchesse de... Je ne veux pas dire son nom, car
|
|
je ne sais pas ce que c'est que de compromettre une femme; mais ce
|
|
que je sais, c'est que je n'ai eu qu'à lui écrire pour qu'elle
|
|
m'en envoyât quinze cents.»
|
|
|
|
La procureuse versa une larme.
|
|
|
|
«Monsieur Porthos, dit-elle, je vous jure que vous m'avez
|
|
grandement punie, et que si dans l'avenir vous vous retrouviez en
|
|
pareille passe, vous n'auriez qu'à vous adresser à moi.
|
|
|
|
-- Fi donc, madame! dit Porthos comme révolté, ne parlons pas
|
|
argent, s'il vous plaît, c'est humiliant.
|
|
|
|
-- Ainsi, vous ne m'aimez plus!» dit lentement et tristement la
|
|
procureuse.
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|
|
Porthos garda un majestueux silence.
|
|
|
|
«C'est ainsi que vous me répondez? Hélas! je comprends.
|
|
|
|
-- Songez à l'offense que vous m'avez faite, madame: elle est
|
|
restée là, dit Porthos, en posant la main à son coeur et en l'y
|
|
appuyant avec force.
|
|
|
|
-- Je la réparerai; voyons, mon cher Porthos!
|
|
|
|
-- D'ailleurs, que vous demandais-je, moi? reprit Porthos avec un
|
|
mouvement d'épaules plein de bonhomie; un prêt, pas autre chose.
|
|
Après tout, je ne suis pas un homme déraisonnable. Je sais que
|
|
vous n'êtes pas riche, madame Coquenard, et que votre mari est
|
|
obligé de sangsurer les pauvres plaideurs pour en tirer quelques
|
|
pauvres écus. Oh! si vous étiez comtesse, marquise ou duchesse, ce
|
|
serait autre chose, et vous seriez impardonnable.»
|
|
|
|
La procureuse fut piquée.
|
|
|
|
«Apprenez, monsieur Porthos, dit-elle, que mon coffre-fort, tout
|
|
coffre-fort de procureuse qu'il est, est peut-être mieux garni que
|
|
celui de toutes vos mijaurées ruinées.
|
|
|
|
-- Double offense que vous m'avez faite alors, dit Porthos en
|
|
dégageant le bras de la procureuse de dessous le sien; car si vous
|
|
êtes riche, madame Coquenard, alors votre refus n'a plus d'excuse.
|
|
|
|
-- Quand je dis riche, reprit la procureuse, qui vit qu'elle
|
|
s'était laissé entraîner trop loin, il ne faut pas prendre le mot
|
|
au pied de la lettre. Je ne suis pas précisément riche, je suis à
|
|
mon aise.
|
|
|
|
-- Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je
|
|
vous en prie. Vous m'avez méconnu; toute sympathie est éteinte
|
|
entre nous.
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|
-- Ingrat que vous êtes!
|
|
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|
-- Ah! je vous conseille de vous plaindre! dit Porthos.
|
|
|
|
-- Allez donc avec votre belle duchesse! je ne vous retiens plus.
|
|
|
|
-- Eh! elle n'est déjà point si décharnée, que je crois!
|
|
|
|
-- Voyons, monsieur Porthos, encore une fois, c'est la dernière:
|
|
m'aimez-vous encore?
|
|
|
|
-- Hélas! madame, dit Porthos du ton le plus mélancolique qu'il
|
|
put prendre, quand nous allons entrer en campagne, dans une
|
|
campagne où mes pressentiments me disent que je serai tué...
|
|
|
|
-- Oh! ne dites pas de pareilles choses! s'écria la procureuse en
|
|
éclatant en sanglots.
|
|
|
|
-- Quelque chose me le dit, continua Porthos en mélancolisant de
|
|
plus en plus.
|
|
|
|
-- Dites plutôt que vous avez un nouvel amour.
|
|
|
|
-- Non pas, je vous parle franc. Nul objet nouveau ne me touche,
|
|
et même je sens là, au fond de mon coeur, quelque chose qui parle
|
|
pour vous. Mais, dans quinze jours, comme vous le savez ou comme
|
|
vous ne le savez pas, cette fatale campagne s'ouvre; je vais être
|
|
affreusement préoccupé de mon équipement. Puis je vais faire un
|
|
voyage dans ma famille, au fond de la Bretagne, pour réaliser la
|
|
somme nécessaire à mon départ.»
|
|
|
|
Porthos remarqua un dernier combat entre l'amour et l'avarice.
|
|
|
|
«Et comme, continua-t-il, la duchesse que vous venez de voir à
|
|
l'église a ses terres près des miennes, nous ferons le voyage
|
|
ensemble. Les voyages, vous le savez, paraissent beaucoup moins
|
|
longs quand on les fait à deux.
|
|
|
|
-- Vous n'avez donc point d'amis à Paris, monsieur Porthos? dit la
|
|
procureuse.
|
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|
|
-- J'ai cru en avoir, dit Porthos en prenant son air mélancolique,
|
|
mais j'ai bien vu que je me trompais.
|
|
|
|
-- Vous en avez, monsieur Porthos, vous en avez, reprit la
|
|
procureuse dans un transport qui la surprit elle-même; revenez
|
|
demain à la maison. Vous êtes le fils de ma tante, mon cousin par
|
|
conséquent; vous venez de Noyon en Picardie, vous avez plusieurs
|
|
procès à Paris, et pas de procureur. Retiendrez-vous bien tout
|
|
cela?
|
|
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|
-- Parfaitement, madame.
|
|
|
|
-- Venez à l'heure du dîner.
|
|
|
|
-- Fort bien.
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|
-- Et tenez ferme devant mon mari, qui est retors, malgré ses
|
|
soixante-seize ans.
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|
|
|
-- Soixante-seize ans! peste! le bel âge! reprit Porthos.
|
|
|
|
-- Le grand âge, vous voulez dire, monsieur Porthos. Aussi le
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pauvre cher homme peut me laisser veuve d'un moment à l'autre,
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continua la procureuse en jetant un regard significatif à Porthos.
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Heureusement que, par contrat de mariage, nous nous sommes tout
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passé au dernier vivant.
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-- Tout? dit Porthos.
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-- Tout.
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-- Vous êtes femme de précaution, je le vois, ma chère madame
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Coquenard, dit Porthos en serrant tendrement la main de la
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procureuse.
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-- Nous sommes donc réconciliés, cher monsieur Porthos? dit-elle
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en minaudant.
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-- Pour la vie, répliqua Porthos sur le même air.
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-- Au revoir donc, mon traître.
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-- Au revoir, mon oublieuse.
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-- À demain, mon ange!
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-- À demain, flamme de ma vie!»
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CHAPITRE XXX
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MILADY
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D'Artagnan avait suivi Milady sans être aperçu par elle: il la vit
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monter dans son carrosse, et il l'entendit donner à son cocher
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l'ordre d'aller à Saint-Germain.
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Il était inutile d'essayer de suivre à pied une voiture emportée
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au trot de deux vigoureux chevaux. D'Artagnan revint donc rue
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Férou.
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Dans la rue de Seine, il rencontra Planchet, qui était arrêté
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devant la boutique d'un pâtissier, et qui semblait en extase
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devant une brioche de la forme la plus appétissante.
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Il lui donna l'ordre d'aller seller deux chevaux dans les écuries
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de M. de Tréville, un pour lui d'Artagnan, l'autre pour lui
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Planchet, et de venir le joindre chez Athos, -- M. de Tréville,
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une fois pour toutes, ayant mis ses écuries au service de
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d'Artagnan.
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Planchet s'achemina vers la rue du Colombier, et d'Artagnan vers
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la rue Férou. Athos était chez lui, vidant tristement une des
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bouteilles de ce fameux vin d'Espagne qu'il avait rapporté de son
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voyage en Picardie. Il fit signe à Grimaud d'apporter un verre
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pour d'Artagnan, et Grimaud obéit comme d'habitude.
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D'Artagnan raconta alors à Athos tout ce qui s'était passé à
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l'église entre Porthos et la procureuse, et comment leur camarade
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était probablement, à cette heure, en voie de s'équiper.
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«Quant à moi, répondit Athos à tout ce récit, je suis bien
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tranquille, ce ne seront pas les femmes qui feront les frais de
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mon harnais.
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-- Et cependant, beau, poli, grand seigneur comme vous l'êtes, mon
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cher Athos, il n'y aurait ni princesses, ni reines à l'abri de vos
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traits amoureux.
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-- Que ce d'Artagnan est jeune!» dit Athos en haussant les
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épaules.
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Et il fit signe à Grimaud d'apporter une seconde bouteille.
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En ce moment, Planchet passa modestement la tête par la porte
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entrebâillée, et annonça à son maître que les deux chevaux étaient
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là.
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«Quels chevaux? demanda Athos.
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-- Deux que M. de Tréville me prête pour la promenade, et avec
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lesquels je vais aller faire un tour à Saint-Germain.
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-- Et qu'allez-vous faire à Saint-Germain?» demanda encore Athos.
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Alors d'Artagnan lui raconta la rencontre qu'il avait faite dans
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l'église, et comment il avait retrouvé cette femme qui, avec le
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seigneur au manteau noir et à la cicatrice près de la tempe, était
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sa préoccupation éternelle.
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«C'est-à-dire que vous êtes amoureux de celle-là, comme vous
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l'étiez de Mme Bonacieux, dit Athos en haussant dédaigneusement
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les épaules, comme s'il eût pris en pitié la faiblesse humaine.
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-- Moi, point du tout! s'écria d'Artagnan. Je suis seulement
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curieux d'éclaircir le mystère auquel elle se rattache. Je ne sais
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pourquoi, je me figure que cette femme, tout inconnue qu'elle
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m'est et tout inconnu que je lui suis, a une action sur ma vie.
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-- Au fait, vous avez raison, dit Athos, je ne connais pas une
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femme qui vaille la peine qu'on la cherche quand elle est perdue.
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Mme Bonacieux est perdue, tant pis pour elle! qu'elle se retrouve!
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-- Non, Athos, non, vous vous trompez, dit d'Artagnan; j'aime ma
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pauvre Constance plus que jamais, et si je savais le lieu où elle
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est, fût-elle au bout du monde, je partirais pour la tirer des
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mains de ses ennemis; mais je l'ignore, toutes mes recherches ont
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été inutiles. Que voulez-vous, il faut bien se distraire.
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-- Distrayez-vous donc avec Milady, mon cher d'Artagnan; je le
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souhaite de tout mon coeur, si cela peut vous amuser.
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-- Écoutez, Athos, dit d'Artagnan, au lieu de vous tenir enfermé
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ici comme si vous étiez aux arrêts, montez à cheval et venez vous
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promener avec moi à Saint-Germain.
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-- Mon cher, répliqua Athos, je monte mes chevaux quand j'en ai,
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sinon je vais à pied.
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-- Eh bien, moi, répondit d'Artagnan en souriant de la
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misanthropie d'Athos, qui dans un autre l'eût certainement blessé,
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moi, je suis moins fier que vous, je monte ce que je trouve.
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Ainsi, au revoir, mon cher Athos.
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-- Au revoir», dit le mousquetaire en faisant signe à Grimaud de
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déboucher la bouteille qu'il venait d'apporter.
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D'Artagnan et Planchet se mirent en selle et prirent le chemin de
|
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Saint-Germain.
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Tout le long de la route, ce qu'Athos avait dit au jeune homme
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de Mme Bonacieux lui revenait à l'esprit. Quoique d'Artagnan ne
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fût pas d'un caractère fort sentimental, la jolie mercière avait
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fait une impression réelle sur son coeur: comme il le disait, il
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était prêt à aller au bout du monde pour la chercher. Mais le
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monde a bien des bouts, par cela même qu'il est rond; de sorte
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qu'il ne savait de quel côté se tourner.
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|
En attendant, il allait tâcher de savoir ce que c'était que
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Milady. Milady avait parlé à l'homme au manteau noir, donc elle le
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connaissait. Or, dans l'esprit de d'Artagnan, c'était l'homme au
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|
manteau noir qui avait enlevé Mme Bonacieux une seconde fois,
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comme il l'avait enlevée une première. D'Artagnan ne mentait donc
|
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qu'à moitié, ce qui est bien peu mentir, quand il disait qu'en se
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mettant à la recherche de Milady, il se mettait en même temps à la
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recherche de Constance.
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Tout en songeant ainsi et en donnant de temps en temps un coup
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d'éperon à son cheval, d'Artagnan avait fait la route et était
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arrivé à Saint-Germain. Il venait de longer le pavillon où, dix
|
|
ans plus tard, devait naître Louis XIV. Il traversait une rue fort
|
|
déserte, regardant à droite et à gauche s'il ne reconnaîtrait pas
|
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quelque vestige de sa belle Anglaise, lorsque au rez-de-chaussée
|
|
d'une jolie maison qui, selon l'usage du temps, n'avait aucune
|
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fenêtre sur la rue, il vit apparaître une figure de connaissance.
|
|
Cette figure se promenait sur une sorte de terrasse garnie de
|
|
fleurs. Planchet la reconnut le premier. «Eh! monsieur dit-il
|
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s'adressant à d'Artagnan, ne vous remettez-vous pas ce visage qui
|
|
baye aux corneilles?
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-- Non, dit d'Artagnan; et cependant je suis certain que ce n'est
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point la première fois que je le vois, ce visage.
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-- Je le crois pardieu bien, dit Planchet: c'est ce pauvre Lubin,
|
|
le laquais du comte de Wardes, celui que vous avez si bien
|
|
accommodé il y a un mois, à Calais, sur la route de la maison de
|
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campagne du gouverneur.
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-- Ah! oui bien, dit d'Artagnan, et je le reconnais à cette heure.
|
|
Crois-tu qu'il te reconnaisse, toi?
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-- Ma foi, monsieur, il était si fort troublé que je doute qu'il
|
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ait gardé de moi une mémoire bien nette.
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-- Eh bien, va donc causer avec ce garçon, dit d'Artagnan, et
|
|
informe-toi dans la conversation si son maître est mort.»
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Planchet descendit de cheval, marcha droit à Lubin, qui en effet
|
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ne le reconnut pas, et les deux laquais se mirent à causer dans la
|
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meilleure intelligence du monde, tandis que d'Artagnan poussait
|
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les deux chevaux dans une ruelle et, faisant le tour d'une maison,
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s'en revenait assister à la conférence derrière une haie de
|
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coudriers.
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Au bout d'un instant d'observation derrière la haie, il entendit
|
|
le bruit d'une voiture, et il vit s'arrêter en face de lui le
|
|
carrosse de Milady. Il n'y avait pas à s'y tromper. Milady était
|
|
dedans. D'Artagnan se coucha sur le cou de son cheval, afin de
|
|
tout voir sans être vu.
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Milady sortit sa charmante tête blonde par la portière, et donna
|
|
des ordres à sa femme de chambre.
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|
Cette dernière, jolie fille de vingt à vingt-deux ans, alerte et
|
|
vive, véritable soubrette de grande dame, sauta en bas du
|
|
marchepied, sur lequel elle était assise selon l'usage du temps,
|
|
et se dirigea vers la terrasse où d'Artagnan avait aperçu Lubin.
|
|
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|
D'Artagnan suivit la soubrette des yeux, et la vit s'acheminer
|
|
vers la terrasse. Mais, par hasard, un ordre de l'intérieur avait
|
|
appelé Lubin, de sorte que Planchet était resté seul, regardant de
|
|
tous côtés par quel chemin avait disparu d'Artagnan.
|
|
|
|
La femme de chambre s'approcha de Planchet, qu'elle prit pour
|
|
Lubin, et lui tendant un petit billet:
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|
«Pour votre maître, dit-elle.
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|
|
-- Pour mon maître? reprit Planchet étonné.
|
|
|
|
-- Oui, et très pressé. Prenez donc vite.»
|
|
|
|
Là-dessus elle s'enfuit vers le carrosse, retourné à l'avance du
|
|
côté par lequel il était venu; elle s'élança sur le marchepied, et
|
|
le carrosse repartit.
|
|
|
|
Planchet tourna et retourna le billet, puis, accoutumé à
|
|
l'obéissance passive, il sauta à bas de la terrasse, enfila la
|
|
ruelle et rencontra au bout de vingt pas d'Artagnan qui, ayant
|
|
tout vu, allait au-devant de lui.
|
|
|
|
«Pour vous, monsieur, dit Planchet, présentant le billet au jeune
|
|
homme.
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|
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-- Pour moi? dit d'Artagnan; en es-tu bien sûr?
|
|
|
|
-- Pardieu! si j'en suis sûr; la soubrette a dit: "Pour ton
|
|
maître." Je n'ai d'autre maître que vous; ainsi... Un joli brin de
|
|
fille, ma foi, que cette soubrette!»
|
|
|
|
D'Artagnan ouvrit la lettre, et lut ces mots:
|
|
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|
«Une personne qui s'intéresse à vous plus qu'elle ne peut le dire
|
|
voudrait savoir quel jour vous serez en état de vous promener dans
|
|
la forêt. Demain, à l'hôtel du Champ du Drap d'Or, un laquais noir
|
|
et rouge attendra votre réponse.»
|
|
|
|
«Oh! oh! se dit d'Artagnan, voilà qui est un peu vif. Il paraît
|
|
que Milady et moi nous sommes en peine de la santé de la même
|
|
personne. Eh bien, Planchet, comment se porte ce bon M. de Wardes?
|
|
il n'est donc pas mort?
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|
-- Non, monsieur, il va aussi bien qu'on peut aller avec quatre
|
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coups d'épée dans le corps, car vous lui en avez, sans reproche,
|
|
allongé quatre, à ce cher gentilhomme, et il est encore bien
|
|
faible, ayant perdu presque tout son sang. Comme je l'avais dit à
|
|
monsieur, Lubin ne m'a pas reconnu, et m'a raconté d'un bout à
|
|
l'autre notre aventure.
|
|
|
|
-- Fort bien, Planchet, tu es le roi des laquais; maintenant,
|
|
remonte à cheval et rattrapons le carrosse.»
|
|
|
|
Ce ne fut pas long; au bout de cinq minutes on aperçut le carrosse
|
|
arrêté sur le revers de la route, un cavalier richement vêtu se
|
|
tenait à la portière.
|
|
|
|
La conversation entre Milady et le cavalier était tellement
|
|
animée, que d'Artagnan s'arrêta de l'autre côté du carrosse sans
|
|
que personne autre que la jolie soubrette s'aperçût de sa
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présence.
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|
La conversation avait lieu en anglais, langue que d'Artagnan ne
|
|
comprenait pas; mais, à l'accent, le jeune homme crut deviner que
|
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la belle Anglaise était fort en colère; elle termina par un geste
|
|
qui ne lui laissa point de doute sur la nature de cette
|
|
conversation: c'était un coup d'éventail appliqué de telle force,
|
|
que le petit meuble féminin vola en mille morceaux.
|
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|
|
Le cavalier poussa un éclat de rire qui parut exaspérer Milady.
|
|
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|
D'Artagnan pensa que c'était le moment d'intervenir; il s'approcha
|
|
de l'autre portière, et se découvrant respectueusement:
|
|
|
|
«Madame, dit-il, me permettez-vous de vous offrir mes services? Il
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|
me semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot,
|
|
madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie.»
|
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|
|
Aux premières paroles, Milady s'était retournée, regardant le
|
|
jeune homme avec étonnement, et lorsqu'il eut fini:
|
|
|
|
«Monsieur, dit-elle en très bon français, ce serait de grand coeur
|
|
que je me mettrais sous votre protection si la personne qui me
|
|
querelle n'était point mon frère.
|
|
|
|
-- Ah! excusez-moi, alors, dit d'Artagnan, vous comprenez que
|
|
j'ignorais cela, madame.
|
|
|
|
-- De quoi donc se mêle cet étourneau, s'écria en s'abaissant à la
|
|
hauteur de la portière le cavalier que Milady avait désigné comme
|
|
son parent, et pourquoi ne passe-t-il pas son chemin?
|
|
|
|
-- Étourneau vous-même, dit d'Artagnan en se baissant à son tour
|
|
sur le cou de son cheval, et en répondant de son côté par la
|
|
portière; je ne passe pas mon chemin parce qu'il me plaît de
|
|
m'arrêter ici.»
|
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|
|
Le cavalier adressa quelques mots en anglais à sa soeur.
|
|
|
|
«Je vous parle français, moi, dit d'Artagnan; faites-moi donc, je
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|
vous prie, le plaisir de me répondre dans la même langue. Vous
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|
êtes le frère de madame, soit, mais vous n'êtes pas le mien,
|
|
heureusement.»
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On eût pu croire que Milady, craintive comme l'est ordinairement
|
|
une femme, allait s'interposer dans ce commencement de
|
|
provocation, afin d'empêcher que la querelle n'allât plus loin;
|
|
mais, tout au contraire, elle se rejeta au fond de son carrosse,
|
|
et cria froidement au cocher:
|
|
|
|
«Touche à l'hôtel!»
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|
La jolie soubrette jeta un regard d'inquiétude sur d'Artagnan,
|
|
dont la bonne mine paraissait avoir produit son effet sur elle.
|
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Le carrosse partit et laissa les deux hommes en face l'un de
|
|
l'autre, aucun obstacle matériel ne les séparant plus.
|
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|
|
Le cavalier fit un mouvement pour suivre la voiture; mais
|
|
d'Artagnan, dont la colère déjà bouillante s'était encore
|
|
augmentée en reconnaissant en lui l'Anglais qui, à Amiens, lui
|
|
avait gagné son cheval et avait failli gagner à Athos son diamant,
|
|
sauta à la bride et l'arrêta.
|
|
|
|
«Eh! Monsieur, dit-il, vous me semblez encore plus étourneau que
|
|
moi, car vous me faites l'effet d'oublier qu'il y a entre nous une
|
|
petite querelle engagée.
|
|
|
|
-- Ah! ah! dit l'Anglais, c'est vous, mon maître. Il faut donc
|
|
toujours que vous jouiez un jeu ou un autre?
|
|
|
|
-- Oui, et cela me rappelle que j'ai une revanche à prendre. Nous
|
|
verrons, mon cher monsieur, si vous maniez aussi adroitement la
|
|
rapière que le cornet.
|
|
|
|
-- Vous voyez bien que je n'ai pas d'épée, dit l'Anglais; voulez-
|
|
vous faire le brave contre un homme sans armes?
|
|
|
|
-- J'espère bien que vous en avez chez vous, répondit d'Artagnan.
|
|
En tout cas, j'en ai deux, et si vous le voulez, je vous en
|
|
jouerai une.
|
|
|
|
-- Inutile, dit l'Anglais, je suis muni suffisamment de ces sortes
|
|
d'ustensiles.
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|
|
-- Eh bien, mon digne gentilhomme, reprit d'Artagnan choisissez la
|
|
plus longue et venez me la montrer ce soir.
|
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|
|
-- Où cela, s'il vous plaît?
|
|
|
|
-- Derrière le Luxembourg, c'est un charmant quartier pour les
|
|
promenades dans le genre de celle que je vous propose.
|
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|
-- C'est bien, on y sera.
|
|
|
|
-- Votre heure?
|
|
|
|
-- Six heures.
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|
|
-- À propos, vous avez aussi probablement un ou deux amis?
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|
|
-- Mais j'en ai trois qui seront fort honorés de jouer la même
|
|
partie que moi.
|
|
|
|
-- Trois? à merveille! comme cela se rencontre! dit d'Artagnan,
|
|
c'est juste mon compte.
|
|
|
|
-- Maintenant, qui êtes-vous? demanda l'Anglais.
|
|
|
|
-- Je suis M. d'Artagnan, gentilhomme gascon, servant aux gardes,
|
|
compagnie de M. des Essarts. Et vous?
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|
|
|
-- Moi, je suis Lord de Winter, baron de Sheffield.
|
|
|
|
-- Eh bien, je suis votre serviteur, monsieur le baron, dit
|
|
d'Artagnan, quoique vous ayez des noms bien difficiles à retenir.»
|
|
|
|
Et piquant son cheval, il le mit au galop, et reprit le chemin de
|
|
Paris.
|
|
|
|
Comme il avait l'habitude de le faire en pareille occasion,
|
|
d'Artagnan descendit droit chez Athos.
|
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|
|
Il trouva Athos couché sur un grand canapé, où il attendait, comme
|
|
il l'avait dit, que son équipement le vînt trouver.
|
|
|
|
Il raconta à Athos tout ce qui venait de se passer, moins la
|
|
lettre de M. de Wardes.
|
|
|
|
Athos fut enchanté lorsqu'il sut qu'il allait se battre contre un
|
|
Anglais. Nous avons dit que c'était son rêve.
|
|
|
|
On envoya chercher à l'instant même Porthos et Aramis par les
|
|
laquais, et on les mit au courant de la situation.
|
|
|
|
Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner
|
|
contre le mur en se reculant de temps en temps et en faisant des
|
|
pliés comme un danseur. Aramis, qui travaillait toujours à son
|
|
poème, s'enferma dans le cabinet d'Athos et pria qu'on ne le
|
|
dérangeât plus qu'au moment de dégainer.
|
|
|
|
Athos demanda par signe à Grimaud une bouteille.
|
|
|
|
Quant à d'Artagnan, il arrangea en lui-même un petit plan dont
|
|
nous verrons plus tard l'exécution, et qui lui promettait quelque
|
|
gracieuse aventure, comme on pouvait le voir aux sourires qui, de
|
|
temps en temps, passaient sur son visage dont ils éclairaient la
|
|
rêverie.
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|
|
|
|
CHAPITRE XXXI
|
|
ANGLAIS ET FRANÇAIS
|
|
|
|
L'heure venue, on se rendit avec les quatre laquais, derrière le
|
|
Luxembourg, dans un enclos abandonné aux chèvres. Athos donna une
|
|
pièce de monnaie au chevrier pour qu'il s'écartât. Les laquais
|
|
furent chargés de faire sentinelle.
|
|
|
|
Bientôt une troupe silencieuse s'approcha du même enclos, y
|
|
pénétra et joignit les mousquetaires; puis, selon les habitudes
|
|
d'outre-mer, les présentations eurent lieu.
|
|
|
|
Les Anglais étaient tous gens de la plus haute qualité, les noms
|
|
bizarres de leurs adversaires furent donc pour eux un sujet non
|
|
seulement de surprise, mais encore d'inquiétude.
|
|
|
|
«Mais, avec tout cela, dit Lord de Winter quand les trois amis
|
|
eurent été nommés, nous ne savons pas qui vous êtes, et nous ne
|
|
nous battrons pas avec des noms pareils; ce sont des noms de
|
|
bergers, cela.
|
|
|
|
-- Aussi, comme vous le supposez bien, Milord, ce sont de faux
|
|
noms, dit Athos.
|
|
|
|
-- Ce qui ne nous donne qu'un plus grand désir de connaître les
|
|
noms véritables, répondit l'Anglais.
|
|
|
|
-- Vous avez bien joué contre nous sans les connaître, dit Athos,
|
|
à telles enseignes que vous nous avez gagné nos deux chevaux?
|
|
|
|
-- C'est vrai, mais nous ne risquions que nos pistoles; cette fois
|
|
nous risquons notre sang: on joue avec tout le monde, on ne se bat
|
|
qu'avec ses égaux.
|
|
|
|
-- C'est juste», dit Athos. Et il prit à l'écart celui des quatre
|
|
Anglais avec lequel il devait se battre, et lui dit son nom tout
|
|
bas.
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|
|
|
Porthos et Aramis en firent autant de leur côté.
|
|
|
|
«Cela vous suffit-il, dit Athos à son adversaire, et me trouvez-
|
|
vous assez grand seigneur pour me faire la grâce de croiser l'épée
|
|
avec moi?
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, dit l'Anglais en s'inclinant.
|
|
|
|
-- Eh bien, maintenant, voulez-vous que je vous dise une chose?
|
|
reprit froidement Athos.
|
|
|
|
-- Laquelle? demanda l'Anglais.
|
|
|
|
-- C'est que vous auriez aussi bien fait de ne pas exiger que je
|
|
me fisse connaître.
|
|
|
|
-- Pourquoi cela?
|
|
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-- Parce qu'on me croit mort, que j'ai des raisons pour désirer
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qu'on ne sache pas que je vis, et que je vais être obligé de vous
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tuer, pour que mon secret ne coure pas les champs.»
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L'Anglais regarda Athos, croyant que celui-ci plaisantait; mais
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Athos ne plaisantait pas le moins du monde.
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«Messieurs, dit-il en s'adressant à la fois à ses compagnons et à
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leurs adversaires, y sommes-nous?
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-- Oui, répondirent tout d'une voix Anglais et Français.
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-- Alors, en garde», dit Athos.
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Et aussitôt huit épées brillèrent aux rayons du soleil couchant,
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et le combat commença avec un acharnement bien naturel entre gens
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deux fois ennemis.
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Athos s'escrimait avec autant de calme et de méthode que s'il eût
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été dans une salle d'armes.
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Porthos, corrigé sans doute de sa trop grande confiance par son
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aventure de Chantilly, jouait un jeu plein de finesse et de
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prudence.
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Aramis, qui avait le troisième chant de son poème à finir, se
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dépêchait en homme très pressé.
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Athos, le premier, tua son adversaire: il ne lui avait porté qu'un
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coup, mais, comme il l'en avait prévenu, le coup avait été mortel.
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L'épée lui traversa le coeur.
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Porthos, le second, étendit le sien sur l'herbe: il lui avait
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percé la cuisse. Alors, comme l'Anglais, sans faire plus longue
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résistance, lui avait rendu son épée, Porthos le prit dans ses
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bras et le porta dans son carrosse.
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Aramis poussa le sien si vigoureusement, qu'après avoir rompu une
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cinquantaine de pas, il finit par prendre la fuite à toutes jambes
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et disparut aux huées des laquais.
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Quant à d'Artagnan, il avait joué purement et simplement un jeu
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défensif; puis, lorsqu'il avait vu son adversaire bien fatigué, il
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lui avait, d'une vigoureuse flanconade, fait sauter son épée. Le
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baron, se voyant désarmé, fit deux ou trois pas en arrière; mais,
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dans ce mouvement, son pied glissa, et il tomba à la renverse.
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D'Artagnan fut sur lui d'un seul bond, et lui portant l'épée à la
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gorge:
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«Je pourrais vous tuer, monsieur, dit-il à l'Anglais, et vous êtes
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bien entre mes mains, mais je vous donne la vie pour l'amour de
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votre soeur.»
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D'Artagnan était au comble de la joie; il venait de réaliser le
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plan qu'il avait arrêté d'avance, et dont le développement avait
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fait éclore sur son visage les sourires dont nous avons parlé.
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L'Anglais, enchanté d'avoir affaire à un gentilhomme d'aussi bonne
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composition, serra d'Artagnan entre ses bras, fit mille caresses
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aux trois mousquetaires, et, comme l'adversaire de Porthos était
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déjà installé dans la voiture et que celui d'Aramis avait pis la
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poudre d'escampette, on ne songea plus qu'au défunt.
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Comme Porthos et Aramis le déshabillaient dans l'espérance que sa
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blessure n'était pas mortelle, une grosse bourse s'échappa de sa
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ceinture. D'Artagnan la ramassa et la tendit à Lord de Winter.
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«Et que diable voulez-vous que je fasse de cela? dit l'Anglais.
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-- Vous la rendrez à sa famille, dit d'Artagnan.
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-- Sa famille se soucie bien de cette misère: elle hérite de
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quinze mille louis de rente: gardez cette bourse pour vos
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laquais.»
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D'Artagnan mit la bourse dans sa poche.
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«Et maintenant. mon jeune ami, car vous me permettrez, je
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l'espère, de vous donner ce nom, dit Lord de Winter, dès ce soir,
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si vous le voulez bien, je vous présenterai à ma soeur, Lady
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Clarick; car je veux qu'elle vous prenne à son tour dans ses
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bonnes grâces, et, comme elle n'est point tout à fait mal en cour,
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|
peut-être dans l'avenir un mot dit par elle ne vous serait-il
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point inutile.»
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D'Artagnan rougit de plaisir, et s'inclina en signe d'assentiment.
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Pendant ce temps, Athos s'était approché de d'Artagnan.
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«Que voulez-vous faire de cette bourse? lui dit-il tout bas à
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l'oreille.
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-- Mais je comptais vous la remettre, mon cher Athos.
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-- À moi? et pourquoi cela?
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-- Dame, vous l'avez tué: ce sont les dépouilles opimes.
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-- Moi, héritier d'un ennemi! dit Athos, pour qui donc me prenez-
|
|
vous?
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-- C'est l'habitude à la guerre, dit d'Artagnan; pourquoi ne
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serait-ce pas l'habitude dans un duel?
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-- Même sur le champ de bataille, dit Athos, je n'ai jamais fait
|
|
cela.»
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Porthos leva les épaules. Aramis, d'un mouvement de lèvres,
|
|
approuva Athos.
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«Alors, dit d'Artagnan, donnons cet argent aux laquais, comme Lord
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de Winter nous a dit de le faire.
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-- Oui, dit Athos, donnons cette bourse, non à nos laquais, mais
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|
aux laquais anglais.»
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Athos prit la bourse, et la jeta dans la main du cocher:
|
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«Pour vous et vos camarades.»
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Cette grandeur de manières dans un homme entièrement dénué frappa
|
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Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par Lord
|
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de Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès
|
|
de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.
|
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|
Lord de Winter, en quittant d'Artagnan, lui donna l'adresse de sa
|
|
soeur; elle demeurait place Royale, qui était alors le quartier à
|
|
la mode, au n° 6. D'ailleurs, il s'engageait à le venir prendre
|
|
pour le présenter. D'Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures,
|
|
chez Athos.
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|
Cette présentation à Milady occupait fort la tête de notre Gascon.
|
|
Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été
|
|
mêlée jusque-là dans sa destinée. Selon sa conviction, c'était
|
|
quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait
|
|
invinciblement entraîné vers elle, par un de ces sentiments dont
|
|
on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que Milady ne
|
|
reconnût en lui l'homme de Meung et de Douvres. Alors, elle
|
|
saurait qu'il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent
|
|
qu'il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui
|
|
ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de
|
|
Milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal.
|
|
Quant à ce commencement d'intrigue entre elle et le comte
|
|
de Wardes, notre présomptueux ne s'en préoccupait que
|
|
médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort
|
|
avant dans la faveur du cardinal. Ce n'est pas pour rien que l'on
|
|
a vingt ans, et surtout que l'on est né à Tarbes.
|
|
|
|
D'Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette
|
|
flamboyante; puis, il s'en revint chez Athos, et, selon son
|
|
habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets; puis il
|
|
secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte
|
|
d'amertume.
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|
|
«Quoi! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez
|
|
bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après
|
|
une autre!»
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|
|
|
D'Artagnan sentit la vérité de ce reproche.
|
|
|
|
«J'aimais Mme Bonacieux avec le coeur, tandis que j'aime Milady
|
|
avec la tête, dit-il; en me faisant conduire chez elle, je cherche
|
|
surtout à m'éclairer sur le rôle qu'elle joue à la cour.
|
|
|
|
-- Le rôle qu'elle joue, pardieu! il n'est pas difficile à deviner
|
|
d'après tout ce que vous m'avez dit. C'est quelque émissaire du
|
|
cardinal: une femme qui vous attirera dans un piège, où vous
|
|
laisserez votre tête tout bonnement.
|
|
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|
-- Diable! mon cher Athos, vous voyez les choses bien en noir, ce
|
|
me semble.
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|
|
|
-- Mon cher, je me défie des femmes; que voulez-vous! je suis payé
|
|
pour cela, et surtout des femmes blondes. Milady est blonde,
|
|
m'avez-vous dit?
|
|
|
|
-- Elle a les cheveux du plus beau blond qui se puisse voir.
|
|
|
|
-- Ah! mon pauvre d'Artagnan, fit Athos.
|
|
|
|
-- Écoutez, je veux m'éclairer; puis, quand je saurai ce que je
|
|
désire savoir, je m'éloignerai.
|
|
|
|
-- Éclairez-vous», dit flegmatiquement Athos.
|
|
|
|
Lord de Winter arriva à l'heure dite, mais Athos, prévenu à temps,
|
|
passa dans la seconde pièce. Il trouva donc d'Artagnan seul, et,
|
|
comme il était près de huit heures, il emmena le jeune homme.
|
|
|
|
Un élégant carrosse attendait en bas, et comme il était attelé de
|
|
deux excellents chevaux, en un instant on fut place Royale.
|
|
|
|
Milady Clarick reçut gracieusement d'Artagnan. Son hôtel était
|
|
d'une somptuosité remarquable; et, bien que la plupart des
|
|
Anglais, chassés par la guerre, quittassent la France, ou fussent
|
|
sur le point de la quitter, Milady venait de faire faire chez elle
|
|
de nouvelles dépenses: ce qui prouvait que la mesure générale qui
|
|
renvoyait les Anglais ne la regardait pas.
|
|
|
|
«Vous voyez, dit Lord de Winter en présentant d'Artagnan à sa
|
|
soeur, un jeune gentilhomme qui a tenu ma vie entre ses mains, et
|
|
qui n'a point voulu abuser de ses avantages, quoique nous fussions
|
|
deux fois ennemis, puisque c'est moi qui l'ai insulté, et que je
|
|
suis anglais. Remerciez-le donc, madame, si vous avez quelque
|
|
amitié pour moi.»
|
|
|
|
Milady fronça légèrement le sourcil; un nuage à peine visible
|
|
passa sur son front, et un sourire tellement étrange apparut sur
|
|
ses lèvres, que le jeune homme, qui vit cette triple nuance, en
|
|
eut comme un frisson.
|
|
|
|
Le frère ne vit rien; il s'était retourné pour jouer avec le singe
|
|
favori de Milady, qui l'avait tiré par son pourpoint.
|
|
|
|
«Soyez le bienvenu, monsieur, dit Milady d'une voix dont la
|
|
douceur singulière contrastait avec les symptômes de mauvaise
|
|
humeur que venait de remarquer d'Artagnan, vous avez acquis
|
|
aujourd'hui des droits éternels à ma reconnaissance.»
|
|
|
|
L'Anglais alors se retourna et raconta le combat sans omettre un
|
|
détail. Milady l'écouta avec la plus grande attention; cependant
|
|
on voyait facilement, quelque effort qu'elle fît pour cacher ses
|
|
impressions, que ce récit ne lui était point agréable. Le sang lui
|
|
montait à la tête, et son petit pied s'agitait impatiemment sous
|
|
sa robe.
|
|
|
|
Lord de Winter ne s'aperçut de rien. Puis, lorsqu'il eut fini, il
|
|
s'approcha d'une table où étaient servis sur un plateau une
|
|
bouteille de vin d'Espagne et des verres. Il emplit deux verres et
|
|
d'un signe invita d'Artagnan à boire.
|
|
|
|
D'Artagnan savait que c'était fort désobliger un Anglais que de
|
|
refuser de toaster avec lui. Il s'approcha donc de la table, et
|
|
prit le second verre. Cependant il n'avait point perdu de vue
|
|
Milady, et dans la glace il s'aperçut du changement qui venait de
|
|
s'opérer sur son visage. Maintenant qu'elle croyait n'être plus
|
|
regardée, un sentiment qui ressemblait à de la férocité animait sa
|
|
physionomie. Elle mordait son mouchoir à belles dents.
|
|
|
|
Cette jolie petite soubrette, que d'Artagnan avait déjà remarquée,
|
|
entra alors; elle dit en anglais quelques mots à Lord de Winter,
|
|
qui demanda aussitôt à d'Artagnan la permission de se retirer,
|
|
s'excusant sur l'urgence de l'affaire qui l'appelait, et chargeant
|
|
sa soeur d'obtenir son pardon.
|
|
|
|
D'Artagnan échangea une poignée de main avec Lord de Winter et
|
|
revint près de Milady. Le visage de cette femme, avec une mobilité
|
|
surprenante, avait repris son expression gracieuse, seulement
|
|
quelques petites taches rouges disséminées sur son mouchoir
|
|
indiquaient qu'elle s'était mordu les lèvres jusqu'au sang.
|
|
|
|
Ses lèvres étaient magnifiques, on eût dit du corail.
|
|
|
|
La conversation prit une tournure enjouée. Milady paraissait
|
|
s'être entièrement remise. Elle raconta que Lord de Winter n'était
|
|
que son beau-frère et non son frère: elle avait épousé un cadet de
|
|
famille qui l'avait laissée veuve avec un enfant. Cet enfant était
|
|
le seul héritier de Lord de Winter, si Lord de Winter ne se
|
|
mariait point. Tout cela laissait voir à d'Artagnan un voile qui
|
|
enveloppait quelque chose, mais il ne distinguait pas encore sous
|
|
ce voile.
|
|
|
|
Au reste, au bout d'une demi-heure de conversation, d'Artagnan
|
|
était convaincu que Milady était sa compatriote: elle parlait le
|
|
français avec une pureté et une élégance qui ne laissaient aucun
|
|
doute à cet égard.
|
|
|
|
D'Artagnan se répandit en propos galants et en protestations de
|
|
dévouement. À toutes les fadaises qui échappèrent à notre Gascon,
|
|
Milady sourit avec bienveillance. L'heure de se retirer arriva.
|
|
D'Artagnan prit congé de Milady et sortit du salon le plus heureux
|
|
des hommes.
|
|
|
|
Sur l'escalier il rencontra la jolie soubrette, laquelle le frôla
|
|
doucement en passant, et, tout en rougissant jusqu'aux yeux, lui
|
|
demanda pardon de l'avoir touché, d'une voix si douce, que le
|
|
pardon lui fut accordé à l'instant même.
|
|
|
|
D'Artagnan revint le lendemain et fut reçu encore mieux que la
|
|
veille. Lord de Winter n'y était point, et ce fut Milady qui lui
|
|
fit cette fois tous les honneurs de la soirée. Elle parut prendre
|
|
un grand intérêt à lui, lui demanda d'où il était, quels étaient
|
|
ses amis, et s'il n'avait pas pensé quelquefois à s'attacher au
|
|
service de M. le cardinal.
|
|
|
|
D'Artagnan, qui, comme on le sait, était fort prudent pour un
|
|
garçon de vingt ans, se souvint alors de ses soupçons sur Milady;
|
|
il lui fit un grand éloge de Son Éminence, lui dit qu'il n'eût
|
|
point manqué d'entrer dans les gardes du cardinal au lieu d'entrer
|
|
dans les gardes du roi, s'il eût connu par exemple M. de Cavois au
|
|
lieu de connaître M. de Tréville.
|
|
|
|
Milady changea de conversation sans affectation aucune, et demanda
|
|
à d'Artagnan de la façon la plus négligée du monde s'il n'avait
|
|
jamais été en Angleterre.
|
|
|
|
D'Artagnan répondit qu'il y avait été envoyé par M. de Tréville
|
|
pour traiter d'une remonte de chevaux et qu'il en avait même
|
|
ramené quatre comme échantillon.
|
|
|
|
Milady, dans le cours de la conversation, se pinça deux ou trois
|
|
fois les lèvres: elle avait affaire a un Gascon qui jouait serré.
|
|
|
|
À la même heure que la veille d'Artagnan se retira. Dans le
|
|
corridor il rencontra encore la jolie Ketty; c'était le nom de la
|
|
soubrette. Celle-ci le regarda avec une expression de mystérieuse
|
|
bienveillance à laquelle il n'y avait point à se tromper. Mais
|
|
d'Artagnan était si préoccupé de la maîtresse, qu'il ne remarquait
|
|
absolument que ce qui venait d'elle.
|
|
|
|
D'Artagnan revint chez Milady le lendemain et le surlendemain, et
|
|
chaque fois Milady lui fit un accueil plus gracieux.
|
|
|
|
Chaque fois aussi, soit dans l'antichambre, soit dans le corridor,
|
|
soit sur l'escalier, il rencontrait la jolie soubrette.
|
|
|
|
Mais, comme nous l'avons dit, d'Artagnan ne faisait aucune
|
|
attention à cette persistance de la pauvre Ketty.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XXXII
|
|
UN DÎNER DE PROCUREUR
|
|
|
|
Cependant le duel dans lequel Porthos avait joué un rôle si
|
|
brillant ne lui avait pas fait oublier le dîner auquel l'avait
|
|
invité la femme du procureur. Le lendemain, vers une heure, il se
|
|
fit donner le dernier coup de brosse par Mousqueton, et s'achemina
|
|
vers la rue aux Ours, du pas d'un homme qui est en double bonne
|
|
fortune.
|
|
|
|
Son coeur battait, mais ce n'était pas, comme celui de d'Artagnan,
|
|
d'un jeune et impatient amour. Non, un intérêt plus matériel lui
|
|
fouettait le sang, il allait enfin franchir ce seuil mystérieux,
|
|
gravir cet escalier inconnu qu'avaient monté, un à un, les vieux
|
|
écus de maître Coquenard.
|
|
|
|
Il allait voir en réalité certain bahut dont vingt fois il avait
|
|
vu l'image dans ses rêves; bahut de forme longue et profonde,
|
|
cadenassé, verrouillé, scellé au sol; bahut dont il avait si
|
|
souvent entendu parler, et que les mains un peu sèches, il est
|
|
vrai, mais non pas sans élégance de la procureuse, allaient ouvrir
|
|
à ses regards admirateurs.
|
|
|
|
Et puis lui, l'homme errant sur la terre, l'homme sans fortune,
|
|
l'homme sans famille, le soldat habitué aux auberges, aux
|
|
cabarets, aux tavernes, aux posadas, le gourmet forcé pour la
|
|
plupart du temps de s'en tenir aux lippées de rencontre, il allait
|
|
tâter des repas de ménage, savourer un intérieur confortable, et
|
|
se laisser faire à ces petits soins, qui, plus on est dur, plus
|
|
ils plaisent, comme disent les vieux soudards.
|
|
|
|
Venir en qualité de cousin s'asseoir tous les jours à une bonne
|
|
table, dérider le front jaune et plissé du vieux procureur, plumer
|
|
quelque peu les jeunes clercs en leur apprenant la bassette, le
|
|
passe-dix et le lansquenet dans leurs plus fines pratiques, et en
|
|
leur gagnant par manière d'honoraires, pour la leçon qu'il leur
|
|
donnerait en une heure, leurs économies d'un mois, tout cela
|
|
souriait énormément à Porthos.
|
|
|
|
Le mousquetaire se retraçait bien, de-ci, de-là, les mauvais
|
|
propos qui couraient dès ce temps-là sur les procureurs et qui
|
|
leur ont survécu: la lésine, la rognure, les jours de jeûne, mais
|
|
comme, après tout, sauf quelques accès d'économie que Porthos
|
|
avait toujours trouvés fort intempestifs, il avait vu la
|
|
procureuse assez libérale, pour une procureuse, bien entendu, il
|
|
espéra rencontrer une maison montée sur un pied flatteur.
|
|
|
|
Cependant, à la porte, le mousquetaire eut quelques doutes,
|
|
l'abord n'était point fait pour engager les gens: allée puante et
|
|
noire, escalier mal éclairé par des barreaux au travers desquels
|
|
filtrait le jour gris d'une cour voisine; au premier une porte
|
|
basse et ferrée d'énorme clous comme la porte principale du Grand-
|
|
Châtelet.
|
|
|
|
Porthos heurta du doigt; un grand clerc pâle et enfoui sous une
|
|
forêt de cheveux vierges vint ouvrir et salua de l'air d'un homme
|
|
forcé de respecter à la fois dans un autre la haute taille qui
|
|
indique la force, l'habit militaire qui indique l'état, et la mine
|
|
vermeille qui indique l'habitude de bien vivre.
|
|
|
|
Autre clerc plus petit derrière le premier, autre clerc plus grand
|
|
derrière le second, saute-ruisseau de douze ans derrière le
|
|
troisième.
|
|
|
|
En tout, trois clercs et demi; ce qui, pour le temps, annonçait
|
|
une étude des plus achalandées.
|
|
|
|
Quoique le mousquetaire ne dût arriver qu'à une heure, depuis midi
|
|
la procureuse avait l'oeil au guet et comptait sur le coeur et
|
|
peut-être aussi sur l'estomac de son adorateur pour lui faire
|
|
devancer l'heure.
|
|
|
|
Mme Coquenard arriva donc par la porte de l'appartement, presque
|
|
en même temps que son convive arrivait par la porte de l'escalier,
|
|
et l'apparition de la digne dame le tira d'un grand embarras. Les
|
|
clercs avaient l'oeil curieux, et lui, ne sachant trop que dire à
|
|
cette gamme ascendante et descendante, demeurait la langue muette.
|
|
|
|
«C'est mon cousin, s'écria la procureuse; entrez donc, entrez
|
|
donc, monsieur Porthos.»
|
|
|
|
Le nom de Porthos fit son effet sur les clercs, qui se mirent à
|
|
rire; mais Porthos se retourna, et tous les visages rentrèrent
|
|
dans leur gravité.
|
|
|
|
On arriva dans le cabinet du procureur après avoir traversé
|
|
l'antichambre où étaient les clercs, et l'étude où ils auraient dû
|
|
être: cette dernière chambre était une sorte de salle noire et
|
|
meublée de paperasses. En sortant de l'étude on laissa la cuisine
|
|
à droite, et l'on entra dans la salle de réception.
|
|
|
|
Toutes ces pièces qui se commandaient n'inspirèrent point à
|
|
Porthos de bonnes idées. Les paroles devaient s'entendre de loin
|
|
par toutes ces portes ouvertes; puis, en passant, il avait jeté un
|
|
regard rapide et investigateur sur la cuisine, et il s'avouait à
|
|
lui-même, à la honte de la procureuse et à son grand regret, à
|
|
lui, qu'il n'y avait pas vu ce feu, cette animation, ce mouvement
|
|
qui, au moment d'un bon repas, règnent ordinairement dans ce
|
|
sanctuaire de la gourmandise.
|
|
|
|
Le procureur avait sans doute été prévenu de cette visite, car il
|
|
ne témoigna aucune surprise à la vue de Porthos, qui s'avança
|
|
jusqu'à lui d'un air assez dégagé et le salua courtoisement.
|
|
|
|
«Nous sommes cousins, à ce qu'il paraît, monsieur Porthos?» dit le
|
|
procureur en se soulevant à la force des bras sur son fauteuil de
|
|
canne.
|
|
|
|
Le vieillard, enveloppé dans un grand pourpoint noir où se perdait
|
|
son corps fluet, était vert et sec; ses petits yeux gris
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brillaient comme des escarboucles, et semblaient, avec sa bouche
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grimaçante, la seule partie de son visage où la vie fût demeurée.
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Malheureusement les jambes commençaient à refuser le service à
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toute cette machine osseuse; depuis cinq ou six mois que cet
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affaiblissement s'était fait sentir, le digne procureur était à
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peu près devenu l'esclave de sa femme.
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Le cousin fut accepté avec résignation, voilà tout. Maître
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Coquenard ingambe eût décliné toute parenté avec M. Porthos.
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«Oui, monsieur, nous sommes cousins, dit sans se déconcerter
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Porthos, qui, d'ailleurs, n'avait jamais compté être reçu par le
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mari avec enthousiasme.
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-- Par les femmes, je crois?» dit malicieusement le procureur.
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Porthos ne sentit point cette raillerie et la prit pour une
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naïveté dont il rit dans sa grosse moustache. Mme Coquenard, qui
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savait que le procureur naïf était une variété for rare dans
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l'espèce, sourit un peu et rougit beaucoup.
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Maître Coquenard avait, dès l'arrivée de Porthos, jeté les yeux
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avec inquiétude sur une grande armoire placée en face de son
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bureau de chêne. Porthos comprit que cette armoire, quoiqu'elle ne
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répondît point par la forme à celle qu'il avait vue dans ses
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songes, devait être le bienheureux bahut, et il s'applaudit de ce
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que la réalité avait six pieds de plus en hauteur que le rêve.
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Maître Coquenard ne poussa pas plus loin ses investigations
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généalogiques, mais en ramenant son regard inquiet de l'armoire
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sur Porthos, il se contenta de dire:
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«Monsieur notre cousin, avant son départ pour la campagne, nous
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fera bien la grâce de dîner une fois avec nous, n'est-ce pas,
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madame Coquenard!»
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Cette fois, Porthos reçut le coup en plein estomac et le sentit;
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il paraît que de son côté Mme Coquenard non plus n'y fut pas
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insensible, car elle ajouta:
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«Mon cousin ne reviendra pas s'il trouve que nous le traitons mal;
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mais, dans le cas contraire, il a trop peu de temps à passer à
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Paris, et par conséquent à nous voir, pour que nous ne lui
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demandions pas presque tous les instants dont il peut disposer
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jusqu'à son départ.
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-- Oh! mes jambes, mes pauvres jambes! où êtes-vous?» murmura
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Coquenard. Et il essaya de sourire.
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Ce secours qui était arrivé à Porthos au moment où il était
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attaqué dans ses espérances gastronomiques inspira au mousquetaire
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beaucoup de reconnaissance pour sa procureuse.
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Bientôt l'heure du dîner arriva. On passa dans la salle à manger,
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grande pièce noire qui était située en face de la cuisine.
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Les clercs, qui, à ce qu'il paraît, avaient senti dans la maison
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des parfums inaccoutumés, étaient d'une exactitude militaire, et
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tenaient en main leurs tabourets, tout prêts qu'ils étaient à
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s'asseoir. On les voyait d'avance remuer les mâchoires avec des
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dispositions effrayantes.
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«Tudieu! pensa Porthos en jetant un regard sur les trois affamés,
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car le saute-ruisseau n'était pas, comme on le pense bien, admis
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aux honneurs de la table magistrale; tudieu! à la place de mon
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cousin, je ne garderais pas de pareils gourmands. On dirait des
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naufragés qui n'ont pas mangé depuis six semaines.»
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Maître Coquenard entra, poussé sur son fauteuil à roulettes par
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Mme Coquenard, à qui Porthos, à son tour, vint en aide pour rouler
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son mari jusqu'à la table.
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À peine entré, il remua le nez et les mâchoires à l'exemple de ses
|
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clercs.
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«Oh! oh! dit-il, voici un potage qui est engageant!»
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«Que diable sentent-ils donc d'extraordinaire dans ce potage?» dit
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Porthos à l'aspect d'un bouillon pâle, abondant, mais parfaitement
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aveugle, et sur lequel quelques croûtes nageaient rares comme les
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îles d'un archipel.
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Mme Coquenard sourit, et, sur un signe d'elle, tout le monde
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s'assit avec empressement.
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Maître Coquenard fut le premier servi, puis Porthos; ensuite
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Mme Coquenard emplit son assiette, et distribua les croûtes sans
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bouillon aux clercs impatients.
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En ce moment la porte de la salle à manger s'ouvrit d'elle-même en
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criant, et Porthos, à travers les battants entrebâillés, aperçut
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le petit clerc, qui, ne pouvant prendre part au festin, mangeait
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son pain à la double odeur de la cuisine et de la salle à manger.
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Après le potage la servante apporta une poule bouillie;
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magnificence qui fit dilater les paupières des convives, de telle
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façon qu'elles semblaient prêtes à se fendre.
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«On voit que vous aimez votre famille, madame Coquenard, dit le
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procureur avec un sourire presque tragique; voilà certes une
|
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galanterie que vous faites à votre cousin.»
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La pauvre poule était maigre et revêtue d'une de ces grosses peaux
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hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts; il
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fallait qu'on l'eût cherchée bien longtemps avant de la trouver
|
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sur le perchoir où elle s'était retirée pour mourir de vieillesse.
|
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«Diable! pensa Porthos, voilà qui est fort triste; je respecte la
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vieillesse, mais j'en fais peu de cas bouillie ou rôtie.»
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Et il regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée;
|
|
mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants,
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qui dévoraient d'avance cette sublime poule, objet de ses mépris.
|
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Mme Coquenard tira le plat à elle, détacha adroitement les deux
|
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grandes pattes noires, qu'elle plaça sur l'assiette de son mari;
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trancha le cou, qu'elle mit avec la tête à part pour elle-même;
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leva l'aile pour Porthos, et remit à la servante, qui venait de
|
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l'apporter, l'animal qui s'en retourna presque intact, et qui
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avait disparu avant que le mousquetaire eût eu le temps d'examiner
|
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les variations que le désappointement amène sur les visages, selon
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les caractères et les tempéraments de ceux qui l'éprouvent.
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|
Au lieu de poulet, un plat de fèves fit son entrée, plat énorme,
|
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dans lequel quelques os de mouton, qu'on eût pu, au premier abord,
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croire accompagnés de viande, faisaient semblant de se montrer.
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Mais les clercs ne furent pas dupes de cette supercherie, et les
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mines lugubres devinrent des visages résignés.
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Mme Coquenard distribua ce mets aux jeunes gens avec la modération
|
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d'une bonne ménagère.
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Le tour du vin était venu. Maître Coquenard versa d'une bouteille
|
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de grès fort exiguë le tiers d'un verre à chacun des jeunes gens,
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s'en versa à lui-même dans des proportions à peu près égales, et
|
|
la bouteille passa aussitôt du côté de Porthos et de
|
|
Mme Coquenard.
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|
Les jeunes gens remplissaient d'eau ce tiers de vin, puis,
|
|
lorsqu'ils avaient bu la moitié du verre, ils le remplissaient
|
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encore, et ils faisaient toujours ainsi; ce qui les amenait à la
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|
fin du repas à avaler une boisson qui de la couleur du rubis était
|
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passée à celle de la topaze brûlée.
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Porthos mangea timidement son aile de poule, et frémit lorsqu'il
|
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sentit sous la table le genou de la procureuse qui venait trouver
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le sien. Il but aussi un demi-verre de ce vin fort ménagé, et
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|
qu'il reconnut pour cet horrible cru de Montreuil, la terreur des
|
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palais exercés.
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|
Maître Coquenard le regarda engloutir ce vin pur et soupira.
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«Mangerez-vous bien de ces fèves, mon cousin Porthos?» dit
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|
Mme Coquenard de ce ton qui veut dire: croyez-moi, n'en mangez
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pas.
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«Du diable si j'en goûte!» murmura tout bas Porthos...
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Puis tout haut:
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|
«Merci, ma cousine, dit-il, je n'ai plus faim.»
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|
Il se fit un silence: Porthos ne savait quelle contenance tenir.
|
|
Le procureur répéta plusieurs fois:
|
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|
«Ah! madame Coquenard! je vous en fais mon compliment, votre dîner
|
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était un véritable festin; Dieu! ai-je mangé!»
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|
Maître Coquenard avait mangé son potage, les pattes noires de la
|
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poule et le seul os de mouton où il y eût un peu de viande.
|
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Porthos crut qu'on le mystifiait, et commença à relever sa
|
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moustache et à froncer le sourcil; mais le genou de Mme Coquenard
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vint tout doucement lui conseiller la patience.
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Ce silence et cette interruption de service, qui étaient restés
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inintelligibles pour Porthos, avaient au contraire une
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signification terrible pour les clercs: sur un regard du
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procureur, accompagné d'un sourire de Mme Coquenard, ils se
|
|
levèrent lentement de table, plièrent leurs serviettes plus
|
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lentement encore, puis ils saluèrent et partirent.
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«Allez, jeunes gens, allez faire la digestion en travaillant», dit
|
|
gravement le procureur.
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Les clercs partis, Mme Coquenard se leva et tira d'un buffet un
|
|
morceau de fromage, des confitures de coings et un gâteau qu'elle
|
|
avait fait elle-même avec des amandes et du miel.
|
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Maître Coquenard fronça le sourcil, parce qu'il voyait trop de
|
|
mets; Porthos se pinça les lèvres, parce qu'il voyait qu'il n'y
|
|
avait pas de quoi dîner.
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|
|
|
Il regarda si le plat de fèves était encore là, le plat de fèves
|
|
avait disparu.
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«Festin décidément, s'écria maître Coquenard en s'agitant sur sa
|
|
chaise, véritable festin, _epulae epularum_; Lucullus dîne chez
|
|
Lucullus.»
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|
Porthos regarda la bouteille qui était près de lui, et il espéra
|
|
qu'avec du vin, du pain et du fromage il dînerait; mais le vin
|
|
manquait, la bouteille était vide; M. et Mme Coquenard n'eurent
|
|
point l'air de s'en apercevoir.
|
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|
«C'est bien, se dit Porthos à lui-même, me voilà prévenu.»
|
|
|
|
Il passa la langue sur une petite cuillerée de confitures, et
|
|
s'englua les dents dans la pâte collante de Mme Coquenard.
|
|
|
|
«Maintenant, se dit-il, le sacrifice est consommé. Ah! si je
|
|
n'avais pas l'espoir de regarder avec Mme Coquenard dans l'armoire
|
|
de son mari!»
|
|
|
|
Maître Coquenard, après les délices d'un pareil repas, qu'il
|
|
appelait un excès, éprouva le besoin de faire sa sieste. Porthos
|
|
espérait que la chose aurait lieu séance tenante et dans la
|
|
localité même; mais le procureur maudit ne voulut entendre à rien:
|
|
il fallut le conduire dans sa chambre et il cria tant qu'il ne fut
|
|
pas devant son armoire, sur le rebord de laquelle, pour plus de
|
|
précaution encore, il posa ses pieds.
|
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|
La procureuse emmena Porthos dans une chambre voisine et l'on
|
|
commença de poser les bases de la réconciliation.
|
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|
«Vous pourrez venir dîner trois fois la semaine, dit
|
|
Mme Coquenard.
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|
-- Merci, dit Porthos, je n'aime pas à abuser; d'ailleurs, il faut
|
|
que je songe à mon équipement.
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|
-- C'est vrai, dit la procureuse en gémissant... c'est ce
|
|
malheureux équipement.
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|
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|
-- Hélas! oui, dit Porthos, c'est lui.
|
|
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|
-- Mais de quoi donc se compose l'équipement de votre corps,
|
|
monsieur Porthos?
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-- Oh! de bien des choses, dit Porthos; les mousquetaires, comme
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|
vous savez, sont soldats d'élite, et il leur faut beaucoup
|
|
d'objets inutiles aux gardes ou aux Suisses.
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|
-- Mais encore, détaillez-le-moi.
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-- Mais cela peut aller à...», dit Porthos, qui aimait mieux
|
|
discuter le total que le menu.
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La procureuse attendait frémissante.
|
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|
«À combien? dit-elle, j'espère bien que cela ne passe point...»
|
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Elle s'arrêta, la parole lui manquait.
|
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«Oh! non, dit Porthos, cela ne passe point deux mille cinq cents
|
|
livres; je crois même qu'en y mettant de l'économie, avec deux
|
|
mille livres je m'en tirerai.
|
|
|
|
-- Bon Dieu, deux mille livres! s'écria-t-elle, mais c'est une
|
|
fortune.»
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Porthos fit une grimace des plus significatives, Mme Coquenard la
|
|
comprit.
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|
«Je demandais le détail, dit-elle, parce qu'ayant beaucoup de
|
|
parents et de pratiques dans le commerce, j'étais presque sûre
|
|
d'obtenir les choses à cent pour cent au-dessous du prix où vous
|
|
les payeriez vous-même.
|
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-- Ah! ah! fit Porthos, si c'est cela que vous avez voulu dire!
|
|
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|
-- Oui, cher monsieur Porthos! ainsi ne vous faut-il pas d'abord
|
|
un cheval?
|
|
|
|
-- Oui, un cheval.
|
|
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|
-- Eh bien, justement j'ai votre affaire.
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|
-- Ah! dit Porthos rayonnant, voilà donc qui va bien quant à mon
|
|
cheval; ensuite il me faut le harnachement complet, qui se compose
|
|
d'objets qu'un mousquetaire seul peut acheter, et qui ne montera
|
|
pas, d'ailleurs, à plus de trois cents livres.
|
|
|
|
-- Trois cents livres: alors mettons trois cents livres» dit la
|
|
procureuse avec un soupir.
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|
Porthos sourit: on se souvient qu'il avait la selle qui lui venait
|
|
de Buckingham, c'était donc trois cents livres qu'il comptait
|
|
mettre sournoisement dans sa poche.
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|
«Puis, continua-t-il, il y a le cheval de mon laquais et ma
|
|
valise; quant aux armes, il est inutile que vous vous en
|
|
préoccupiez, je les ai.
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|
-- Un cheval pour votre laquais? reprit en hésitant la procureuse;
|
|
mais c'est bien grand seigneur, mon ami.
|
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|
-- Eh! madame! dit fièrement Porthos, est-ce que je suis un
|
|
croquant, par hasard?
|
|
|
|
-- Non; je vous disais seulement qu'un joli mulet avait
|
|
quelquefois aussi bon air qu'un cheval, et qu'il me semble qu'en
|
|
vous procurant un joli mulet pour Mousqueton...
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|
|
-- Va pour un joli mulet, dit Porthos; vous avez raison, j'ai vu
|
|
de très grands seigneurs espagnols dont toute la suite était à
|
|
mulets. Mais alors, vous comprenez, madame Coquenard, un mulet
|
|
avec des panaches et des grelots?
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|
|
-- Soyez tranquille, dit la procureuse.
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|
|
|
-- Reste la valise, reprit Porthos.
|
|
|
|
-- Oh! que cela ne vous inquiète point, s'écria Mme Coquenard: mon
|
|
mari a cinq ou six valises, vous choisirez la meilleure; il y en a
|
|
une surtout qu'il affectionnait dans ses voyages, et qui est
|
|
grande à tenir un monde.
|
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|
-- Elle est donc vide, votre valise? demanda naïvement Porthos.
|
|
|
|
-- Assurément qu'elle est vide, répondit naïvement de son côté la
|
|
procureuse.
|
|
|
|
-- Ah! mais la valise dont j'ai besoin est une valise bien garnie,
|
|
ma chère.»
|
|
|
|
Mme Coquenard poussa de nouveaux soupirs. Molière n'avait pas
|
|
encore écrit sa scène de l'Avare. Mme Coquenard a donc le pas sur
|
|
Harpagon.
|
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|
|
Enfin le reste de l'équipement fut successivement débattu de la
|
|
même manière; et le résultat de la scène fut que la procureuse
|
|
demanderait à son mari un prêt de huit cents livres en argent, et
|
|
fournirait le cheval et le mulet qui auraient l'honneur de porter
|
|
à la gloire Porthos et Mousqueton.
|
|
|
|
Ces conditions arrêtées, et les intérêts stipulés ainsi que
|
|
l'époque du remboursement, Porthos prit congé de Mme Coquenard.
|
|
Celle-ci voulait bien le retenir en lui faisant les yeux doux;
|
|
mais Porthos prétexta les exigences du service, et il fallut que
|
|
la procureuse cédât le pas au roi.
|
|
|
|
Le mousquetaire rentra chez lui avec une faim de fort mauvaise
|
|
humeur.
|
|
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|
CHAPITRE XXXIII
|
|
SOUBRETTE ET MAÎTRESSE
|
|
|
|
Cependant, comme nous l'avons dit, malgré les cris de sa
|
|
conscience et les sages conseils d'Athos, d'Artagnan devenait
|
|
d'heure en heure plus amoureux de Milady; aussi ne manquait-il pas
|
|
tous les jours d'aller lui faire une cour à laquelle l'aventureux
|
|
Gascon était convaincu qu'elle ne pouvait, tôt ou tard, manquer de
|
|
répondre.
|
|
|
|
Un soir qu'il arrivait le nez au vent, léger comme un homme qui
|
|
attend une pluie d'or, il rencontra la soubrette sous la porte
|
|
cochère; mais cette fois la jolie Ketty ne se contenta point de
|
|
lui sourire en passant, elle lui prit doucement la main.
|
|
|
|
«Bon! fit d'Artagnan, elle est chargée de quelque message pour moi
|
|
de la part de sa maîtresse; elle va m'assigner quelque rendez-vous
|
|
qu'on n'aura pas osé me donner de vive voix.»
|
|
|
|
Et il regarda la belle enfant de l'air le plus vainqueur qu'il put
|
|
prendre.
|
|
|
|
«Je voudrais bien vous dire deux mots, monsieur le chevalier...,
|
|
balbutia la soubrette.
|
|
|
|
-- Parle, mon enfant, parle, dit d'Artagnan, j'écoute.
|
|
|
|
-- Ici, impossible: ce que j'ai à vous dire est trop long et
|
|
surtout trop secret.
|
|
|
|
-- Eh bien, mais comment faire alors?
|
|
|
|
-- Si monsieur le chevalier voulait me suivre, dit timidement
|
|
Ketty.
|
|
|
|
-- Où tu voudras, ma belle enfant.
|
|
|
|
-- Alors, venez.»
|
|
|
|
Et Ketty, qui n'avait point lâché la main de d'Artagnan,
|
|
l'entraîna par un petit escalier sombre et tournant, et, après lui
|
|
avoir fait monter une quinzaine de marches, ouvrit une porte.
|
|
|
|
«Entrez, monsieur le chevalier, dit-elle, ici nous serons seuls et
|
|
nous pourrons causer.
|
|
|
|
-- Et quelle est donc cette chambre, ma belle enfant? demanda
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- C'est la mienne, monsieur le chevalier; elle communique avec
|
|
celle de ma maîtresse par cette porte. Mais soyez tranquille, elle
|
|
ne pourra entendre ce que nous dirons, jamais elle ne se couche
|
|
qu'à minuit.»
|
|
|
|
D'Artagnan jeta un coup d'oeil autour de lui. La petite chambre
|
|
était charmante de goût et de propreté; mais, malgré lui, ses yeux
|
|
se fixèrent sur cette porte que Ketty lui avait dit conduire à la
|
|
chambre de Milady.
|
|
|
|
Ketty devina ce qui se passait dans l'âme du jeune homme et poussa
|
|
un soupir.
|
|
|
|
«Vous aimez donc bien ma maîtresse, monsieur le chevalier, dit-
|
|
elle.
|
|
|
|
-- Oh! plus que je ne puis dire! j'en suis fou!»
|
|
|
|
Ketty poussa un second soupir.
|
|
|
|
«Hélas! monsieur, dit-elle, c'est bien dommage!
|
|
|
|
-- Et que diable vois-tu donc là de si fâcheux? demanda
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- C'est que, monsieur, reprit Ketty, ma maîtresse ne vous aime
|
|
pas du tout.
|
|
|
|
-- Hein! fit d'Artagnan, t'aurait-elle chargée de me le dire?
|
|
|
|
-- Oh! non pas, monsieur! mais c'est moi qui, par intérêt pour
|
|
vous, ai pris la résolution de vous en prévenir.
|
|
|
|
-- Merci, ma bonne Ketty, mais de l'intention seulement, car la
|
|
confidence, tu en conviendras, n'est point agréable.
|
|
|
|
-- C'est-à-dire que vous ne croyez point à ce que je vous ai dit,
|
|
n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- On a toujours peine à croire de pareilles choses, ma belle
|
|
enfant, ne fût-ce que par amour-propre.
|
|
|
|
-- Donc vous ne me croyez pas?
|
|
|
|
-- J'avoue que jusqu'à ce que tu daignes me donner quelques
|
|
preuves de ce que tu avances...
|
|
|
|
-- Que dites-vous de celle-ci?»
|
|
|
|
Et Ketty tira de sa poitrine un petit billet.
|
|
|
|
«Pour moi? dit d'Artagnan en s'emparant vivement de la lettre.
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|
-- Non, pour un autre.
|
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|
|
-- Pour un autre?
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|
-- Oui.
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-- Son nom, son nom! s'écria d'Artagnan.
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|
-- Voyez l'adresse.
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|
-- M. le comte de Wardes.»
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|
|
Le souvenir de la scène de Saint-Germain se présenta aussitôt à
|
|
l'esprit du présomptueux Gascon; par un mouvement rapide comme la
|
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pensée, il déchira l'enveloppe malgré le cri que poussa Ketty en
|
|
voyant ce qu'il allait faire, ou plutôt ce qu'il faisait.
|
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|
«Oh! mon Dieu! monsieur le chevalier, dit-elle, que faites-vous?
|
|
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-- Moi, rien!» dit d'Artagnan, et il lut:
|
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«Vous n'avez pas répondu à mon premier billet; êtes-vous donc
|
|
souffrant, ou bien auriez-vous oublié quels yeux vous me fîtes au
|
|
bal de Mme de Guise? Voici l'occasion, comte! ne la laissez pas
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échapper.»
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D'Artagnan pâlit; il était blessé dans son amour-propre, il se
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crut blessé dans son amour.
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«Pauvre cher monsieur d'Artagnan! dit Ketty d'une voix pleine de
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compassion et en serrant de nouveau la main du jeune homme.
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-- Tu me plains, bonne petite! dit d'Artagnan.
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-- Oh! oui, de tout mon coeur! car je sais ce que c'est que
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l'amour, moi!
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-- Tu sais ce que c'est que l'amour? dit d'Artagnan la regardant
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pour la première fois avec une certaine attention.
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-- Hélas! oui.
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-- Eh bien, au lieu de me plaindre, alors, tu ferais bien mieux de
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m'aider à me venger de ta maîtresse.
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-- Et quelle sorte de vengeance voudriez-vous en tirer? Je
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voudrais triompher d'elle, supplanter mon rival.
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-- Je ne vous aiderai jamais à cela, monsieur le chevalier! dit
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vivement Ketty.
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-- Et pourquoi cela? demanda d'Artagnan.
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-- Pour deux raisons.
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-- Lesquelles?
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-- La première, c'est que jamais ma maîtresse ne vous a aimé.
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-- Qu'en sais-tu?
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-- Vous l'avez blessée au coeur.
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-- Moi! en quoi puis-je l'avoir blessée, moi qui, depuis que je la
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connais, vis à ses pieds comme un esclave! parle, je t'en prie.
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-- Je n'avouerais jamais cela qu'à l'homme... qui lirait jusqu'au
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fond de mon âme!»
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D'Artagnan regarda Ketty pour la seconde fois. La jeune fille
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était d'une fraîcheur et d'une beauté que bien des duchesses
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eussent achetées de leur couronne.
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«Ketty, dit-il, je lirai jusqu'au fond de ton âme quand tu
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voudras; qu'à cela ne tienne, ma chère enfant.»
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Et il lui donna un baiser sous lequel la pauvre enfant devint
|
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rouge comme une cerise.
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«Oh! non, s'écria Ketty, vous ne m'aimez pas! C'est ma maîtresse
|
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que vous aimez, vous me l'avez dit tout à l'heure.
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-- Et cela t'empêche-t-il de me faire connaître la seconde raison?
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-- La seconde raison, monsieur le chevalier, reprit Ketty enhardie
|
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par le baiser d'abord et ensuite par l'expression des yeux du
|
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jeune homme, c'est qu'en amour chacun pour soi.»
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Alors seulement d'Artagnan se rappela les coups d'oeil
|
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languissants de Ketty, ses rencontres dans l'antichambre, sur
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l'escalier, dans le corridor, ses frôlements de main chaque fois
|
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qu'elle le rencontrait, et ses soupirs étouffés; mais, absorbé par
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le désir de plaire à la grande dame, il avait dédaigné la
|
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soubrette: qui chasse l'aigle ne s'inquiète pas du passereau.
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Mais cette fois notre Gascon vit d'un seul coup d'oeil tout le
|
|
parti qu'on pouvait tirer de cet amour que Ketty venait d'avouer
|
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d'une façon si naïve ou si effrontée: interception des lettres
|
|
adressées au comte de Wardes, intelligences dans la place, entrée
|
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à toute heure dans la chambre de Ketty, contiguë à celle de sa
|
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maîtresse. Le perfide, comme on le voit, sacrifiait déjà en idée
|
|
la pauvre fille pour obtenir Milady de gré ou de force.
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«Eh bien, dit-il à la jeune fille, veux-tu, ma chère Ketty, que je
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te donne une preuve de cet amour dont tu doutes?
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-- De quel amour? demanda la jeune fille.
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-- De celui que je suis tout prêt à ressentir pour toi.
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-- Et quelle est cette preuve?
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-- Veux-tu que ce soir je passe avec toi le temps que je passe
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ordinairement avec ta maîtresse?
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-- Oh! oui, dit Ketty en battant des mains, bien volontiers.
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-- Eh bien, ma chère enfant, dit d'Artagnan en s'établissant dans
|
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un fauteuil, viens çà que je te dise que tu es la plus jolie
|
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soubrette que j'aie jamais vue!»
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Et il le lui dit tant et si bien, que la pauvre enfant, qui ne
|
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demandait pas mieux que de le croire, le crut... Cependant, au
|
|
grand étonnement de d'Artagnan, la jolie Ketty se défendait avec
|
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une certaine résolution.
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Le temps passe vite, lorsqu'il se passe en attaques et en
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défenses.
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Minuit sonna, et l'on entendit presque en même temps retentir la
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sonnette dans la chambre de Milady.
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«Grand Dieu! s'écria Ketty, voici ma maîtresse qui m'appelle!
|
|
Partez, partez vite!»
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D'Artagnan se leva, prit son chapeau comme s'il avait l'intention
|
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d'obéir; puis, ouvrant vivement la porte d'une grande armoire au
|
|
lieu d'ouvrir celle de l'escalier, il se blottit dedans au milieu
|
|
des robes et des peignoirs de Milady.
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«Que faites-vous donc?» s'écria Ketty.
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D'Artagnan, qui d'avance avait pris la clef, s'enferma dans son
|
|
armoire sans répondre.
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«Eh bien, cria Milady d'une voix aigre, dormez-vous donc que vous
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ne venez pas quand je sonne?»
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Et d'Artagnan entendit qu'on ouvrit violemment la porte de
|
|
communication.
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«Me voici, Milady, me voici», s'écria Ketty en s'élançant à la
|
|
rencontre de sa maîtresse.
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|
Toutes deux rentrèrent dans la chambre à coucher et comme la porte
|
|
de communication resta ouverte, d'Artagnan put entendre quelque
|
|
temps encore Milady gronder sa suivante, puis enfin elle s'apaisa,
|
|
et la conversation tomba sur lui tandis que Ketty accommodait sa
|
|
maîtresse.
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|
«Eh bien, dit Milady, je n'ai pas vu notre Gascon ce soir?
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|
-- Comment, madame, dit Ketty, il n'est pas venu! Serait-il volage
|
|
avant d'être heureux?
|
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|
-- Oh non! il faut qu'il ait été empêché par M. de Tréville ou par
|
|
M. des Essarts. Je m'y connais, Ketty, et je le tiens, celui-là.
|
|
|
|
-- Qu'en fera madame?
|
|
|
|
-- Ce que j'en ferai!... Sois tranquille, Ketty, il y a entre cet
|
|
homme et moi une chose qu'il ignore... il a manqué me faire perdre
|
|
mon crédit près de Son Éminence... Oh! je me vengerai!
|
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-- Je croyais que madame l'aimait?
|
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|
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-- Moi, l'aimer! je le déteste! Un niais, qui tient la vie de Lord
|
|
de Winter entre ses mains et qui ne le tue pas, et qui me fait
|
|
perdre trois cent mille livres de rente!
|
|
|
|
-- C'est vrai, dit Ketty, votre fils était le seul héritier de son
|
|
oncle, et jusqu'à sa majorité vous auriez eu la jouissance de sa
|
|
fortune.»
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|
|
D'Artagnan frissonna jusqu'à la moelle des os en entendant cette
|
|
suave créature lui reprocher, avec cette voix stridente qu'elle
|
|
avait tant de peine à cacher dans la conversation, de n'avoir pas
|
|
tué un homme qu'il l'avait vue combler d'amitié.
|
|
|
|
«Aussi, continua Milady, je me serais déjà vengée sur lui-même,
|
|
si, je ne sais pourquoi, le cardinal ne m'avait recommandé de le
|
|
ménager.
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|
-- Oh! oui, mais madame n'a point ménagé cette petite femme qu'il
|
|
aimait.
|
|
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|
-- Oh! la mercière de la rue des Fossoyeurs: est-ce qu'il n'a pas
|
|
déjà oublié qu'elle existait? La belle vengeance, ma foi!»
|
|
|
|
Une sueur froide coulait sur le front de d'Artagnan: c'était donc
|
|
un monstre que cette femme.
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|
|
Il se remit à écouter, mais malheureusement la toilette était
|
|
finie.
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«C'est bien, dit Milady, rentrez chez vous et demain tâchez enfin
|
|
d'avoir une réponse à cette lettre que je vous ai donnée.
|
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|
-- Pour M. de Wardes? dit Ketty.
|
|
|
|
-- Sans doute, pour M. de Wardes.
|
|
|
|
-- En voilà un, dit Ketty, qui m'a bien l'air d'être tout le
|
|
contraire de ce pauvre M. d'Artagnan.
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|
-- Sortez, mademoiselle, dit Milady, je n'aime pas les
|
|
commentaires.»
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|
|
D'Artagnan entendit la porte qui se refermait, puis le bruit de
|
|
deux verrous que mettait Milady afin de s'enfermer chez elle; de
|
|
son côté, mais le plus doucement qu'elle put, Ketty donna à la
|
|
serrure un tour de clef; d'Artagnan alors poussa la porte de
|
|
l'armoire.
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|
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|
«O mon Dieu! dit tout bas Ketty, qu'avez-vous? et comme vous êtes
|
|
pâle!
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|
|
|
-- L'abominable créature! murmura d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Silence! silence! sortez, dit Ketty; il n'y a qu'une cloison
|
|
entre ma chambre et celle de Milady, on entend de l'une tout ce
|
|
qui se dit dans l'autre!
|
|
|
|
-- C'est justement pour cela que je ne sortirai pas, dit
|
|
d'Artagnan.
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|
|
|
-- Comment? fit Ketty en rougissant.
|
|
|
|
-- Ou du moins que je sortirai... plus tard.»
|
|
|
|
Et il attira Ketty à lui; il n'y avait plus moyen de résister, la
|
|
résistance fait tant de bruit! aussi Ketty céda.
|
|
|
|
C'était un mouvement de vengeance contre Milady. D'Artagnan trouva
|
|
qu'on avait raison de dire que la vengeance est le plaisir des
|
|
dieux. Aussi, avec un peu de coeur, se serait-il contenté de cette
|
|
nouvelle conquête; mais d'Artagnan n'avait que de l'ambition et de
|
|
l'orgueil.
|
|
|
|
Cependant, il faut le dire à sa louange, le premier emploi qu'il
|
|
avait fait de son influence sur Ketty avait été d'essayer de
|
|
savoir d'elle ce qu'était devenue Mme Bonacieux, mais la pauvre
|
|
fille jura sur le crucifix à d'Artagnan qu'elle l'ignorait
|
|
complètement, sa maîtresse ne laissant jamais pénétrer que la
|
|
moitié de ses secrets; seulement, elle croyait pouvoir répondre
|
|
qu'elle n'était pas morte.
|
|
|
|
Quant à la cause qui avait manqué faire perdre à Milady son crédit
|
|
près du cardinal, Ketty n'en savait pas davantage; mais cette
|
|
fois, d'Artagnan était plus avancé qu'elle: comme il avait aperçu
|
|
Milady sur un bâtiment consigné au moment où lui-même quittait
|
|
l'Angleterre, il se douta qu'il était question cette fois des
|
|
ferrets de diamants.
|
|
|
|
Mais ce qu'il y avait de plus clair dans tout cela, c'est que la
|
|
haine véritable, la haine profonde, la haine invétérée de Milady
|
|
lui venait de ce qu'il n'avait pas tué son beau-frère.
|
|
|
|
D'Artagnan retourna le lendemain chez Milady. Elle était de fort
|
|
méchante humeur, d'Artagnan se douta que c'était le défaut de
|
|
réponse de M. de Wardes qui l'agaçait ainsi. Ketty entra; mais
|
|
Milady la reçut fort durement. Un coup d'oeil qu'elle lança à
|
|
d'Artagnan voulait dire: Vous voyez ce que je souffre pour vous.
|
|
|
|
Cependant vers la fin de la soirée, la belle lionne s'adoucit,
|
|
elle écouta en souriant les doux propos de d'Artagnan, elle lui
|
|
donna même sa main à baiser.
|
|
|
|
D'Artagnan sortit ne sachant plus que penser: mais comme c'était
|
|
un garçon à qui on ne faisait pas facilement perdre la tête, tout
|
|
en faisant sa cour à Milady il avait bâti dans son esprit un petit
|
|
plan.
|
|
|
|
Il trouva Ketty à la porte, et comme la veille il monta chez elle
|
|
pour avoir des nouvelles. Ketty avait été fort grondée, on l'avait
|
|
accusée de négligence. Milady ne comprenait rien au silence du
|
|
comte de Wardes, et elle lui avait ordonné d'entrer chez elle à
|
|
neuf heures du matin pour y prendre une troisième lettre.
|
|
|
|
D'Artagnan fit promettre à Ketty de lui apporter chez lui cette
|
|
lettre le lendemain matin; la pauvre fille promit tout ce que
|
|
voulut son amant: elle était folle.
|
|
|
|
Les choses se passèrent comme la veille: d'Artagnan s'enferma dans
|
|
son armoire, Milady appela, fit sa toilette, renvoya Ketty et
|
|
referma sa porte. Comme la veille d'Artagnan ne rentra chez lui
|
|
qu'à cinq heures du matin.
|
|
|
|
À onze heures, il vit arriver Ketty; elle tenait à la main un
|
|
nouveau billet de Milady. Cette fois, la pauvre enfant n'essaya
|
|
pas même de le disputer à d'Artagnan; elle le laissa faire; elle
|
|
appartenait corps et âme à son beau soldat.
|
|
|
|
D'Artagnan ouvrit le billet et lut ce qui suit:
|
|
|
|
«Voilà la troisième fois que je vous écris pour vous dire que je
|
|
vous aime. Prenez garde que je ne vous écrive une quatrième pour
|
|
vous dire que je vous déteste.
|
|
|
|
«Si vous vous repentez de la façon dont vous avez agi avec moi, la
|
|
jeune fille qui vous remettra ce billet vous dira de quelle
|
|
manière un galant homme peut obtenir son pardon.»
|
|
|
|
D'Artagnan rougit et pâlit plusieurs fois en lisant ce billet.
|
|
|
|
«Oh! vous l'aimez toujours! dit Ketty, qui n'avait pas détourné un
|
|
instant les yeux du visage du jeune homme.
|
|
|
|
-- Non, Ketty, tu te trompes, je ne l'aime plus; mais je veux me
|
|
venger de ses mépris.
|
|
|
|
-- Oui, je connais votre vengeance; vous me l'avez dite.
|
|
|
|
-- Que t'importe, Ketty! tu sais bien que c'est toi seule que
|
|
j'aime.
|
|
|
|
-- Comment peut-on savoir cela?
|
|
|
|
-- Par le mépris que je ferai d'elle.»
|
|
|
|
Ketty soupira.
|
|
|
|
D'Artagnan prit une plume et écrivit:
|
|
|
|
«Madame, jusqu'ici j'avais douté que ce fût bien à moi que vos
|
|
deux premiers billets eussent été adressés, tant je me croyais
|
|
indigne d'un pareil honneur; d'ailleurs j'étais si souffrant, que
|
|
j'eusse en tout cas hésité à y répondre.
|
|
|
|
«Mais aujourd'hui il faut bien que je croie à l'excès de vos
|
|
bontés, puisque non seulement votre lettre, mais encore votre
|
|
suivante, m'affirme que j'ai le bonheur d'être aimé de vous.
|
|
|
|
«Elle n'a pas besoin de me dire de quelle manière un galant homme
|
|
peut obtenir son pardon. J'irai donc vous demander le mien ce soir
|
|
à onze heures. Tarder d'un jour serait à mes yeux, maintenant,
|
|
vous faire une nouvelle offense.
|
|
|
|
«Celui que vous avez rendu le plus heureux des hommes.
|
|
|
|
«Comte DE WARDES.»
|
|
|
|
Ce billet était d'abord un faux, c'était ensuite une
|
|
indélicatesse; c'était même, au point de vue de nos moeurs
|
|
actuelles, quelque chose comme une infamie; mais on se ménageait
|
|
moins à cette époque qu'on ne le fait aujourd'hui. D'ailleurs
|
|
d'Artagnan, par ses propres aveux, savait Milady coupable de
|
|
trahison à des chefs plus importants, et il n'avait pour elle
|
|
qu'une estime fort mince. Et cependant malgré ce peu d'estime, il
|
|
sentait qu'une passion insensée le brûlait pour cette femme.
|
|
Passion ivre de mépris, mais passion ou soif, comme on voudra.
|
|
|
|
L'intention de d'Artagnan était bien simple: par la chambre de
|
|
Ketty il arrivait à celle de sa maîtresse; il profitait du premier
|
|
moment de surprise, de honte, de terreur pour triompher d'elle;
|
|
peut-être aussi échouerait-il, mais il fallait bien donner quelque
|
|
chose au hasard. Dans huit jours la campagne s'ouvrait, et il
|
|
fallait partir; d'Artagnan n'avait pas le temps de filer le
|
|
parfait amour.
|
|
|
|
«Tiens, dit le jeune homme en remettant à Ketty le billet tout
|
|
cacheté, donne cette lettre à Milady; c'est la réponse de
|
|
M. de Wardes.»
|
|
|
|
La pauvre Ketty devint pâle comme la mort, elle se doutait de ce
|
|
que contenait le billet.
|
|
|
|
«Écoute, ma chère enfant, lui dit d'Artagnan, tu comprends qu'il
|
|
faut que tout cela finisse d'une façon ou de l'autre; Milady peut
|
|
découvrir que tu as remis le premier billet à mon valet, au lieu
|
|
de le remettre au valet du comte; que c'est moi qui ai décacheté
|
|
les autres qui devaient être décachetés par M. de Wardes; alors
|
|
Milady te chasse, et, tu la connais, ce n'est pas une femme à
|
|
borner là sa vengeance.
|
|
|
|
-- Hélas! dit Ketty, pour qui me suis-je exposée à tout cela?
|
|
|
|
-- Pour moi, je le sais bien, ma toute belle, dit le jeune homme,
|
|
aussi je t'en suis bien reconnaissant, je te le jure.
|
|
|
|
-- Mais enfin, que contient votre billet?
|
|
|
|
-- Milady te le dira.
|
|
|
|
-- Ah! vous ne m'aimez pas! s'écria Ketty, et je suis bien
|
|
malheureuse!»
|
|
|
|
À ce reproche il y a une réponse à laquelle les femmes se trompent
|
|
toujours; d'Artagnan répondit de manière que Ketty demeurât dans
|
|
la plus grande erreur.
|
|
|
|
Cependant elle pleura beaucoup avant de se décider à remettre
|
|
cette lettre à Milady, mais enfin elle se décida, c'est tout ce
|
|
que voulait d'Artagnan.
|
|
|
|
D'ailleurs il lui promit que le soir il sortirait de bonne heure
|
|
de chez sa maîtresse, et qu'en sortant de chez sa maîtresse il
|
|
monterait chez elle.
|
|
|
|
Cette promesse acheva de consoler la pauvre Ketty.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XXXIV
|
|
OÙ IL EST TRAITÉ DE L'ÉQUIPEMENT D'ARAMIS ET DE PORTHOS
|
|
|
|
Depuis que les quatre amis étaient chacun à la chasse de son
|
|
équipement, il n'y avait plus entre eux de réunion arrêtée. On
|
|
dînait les uns sans les autres, où l'on se trouvait, ou plutôt où
|
|
l'on pouvait. Le service, de son côté, prenait aussi sa part de ce
|
|
temps précieux, qui s'écoulait si vite. Seulement on était convenu
|
|
de se trouver une fois la semaine, vers une heure, au logis
|
|
d'Athos, attendu que ce dernier, selon le serment qu'il avait
|
|
fait, ne passait plus le seuil de sa porte.
|
|
|
|
C'était le jour même où Ketty était venue trouver d'Artagnan chez
|
|
lui, jour de réunion.
|
|
|
|
À peine Ketty fut-elle sortie, que d'Artagnan se dirigea vers la
|
|
rue Férou.
|
|
|
|
Il trouva Athos et Aramis qui philosophaient. Aramis avait
|
|
quelques velléités de revenir à la soutane. Athos, selon ses
|
|
habitudes, ne le dissuadait ni ne l'encourageait. Athos était pour
|
|
qu'on laissât à chacun son libre arbitre. Il ne donnait jamais de
|
|
conseils qu'on ne les lui demandât. Encore fallait-il les lui
|
|
demander deux fois.
|
|
|
|
«En général, on ne demande de conseils, disait-il, que pour ne les
|
|
pas suivre; ou, si on les a suivis, que pour avoir quelqu'un à qui
|
|
l'on puisse faire le reproche de les avoir donnés.»
|
|
|
|
Porthos arriva un instant après d'Artagnan. Les quatre amis se
|
|
trouvaient donc réunis.
|
|
|
|
Les quatre visages exprimaient quatre sentiments différents: celui
|
|
de Porthos la tranquillité, celui de d'Artagnan l'espoir, celui
|
|
d'Aramis l'inquiétude, celui d'Athos l'insouciance.
|
|
|
|
Au bout d'un instant de conversation dans laquelle Porthos laissa
|
|
entrevoir qu'une personne haut placée avait bien voulu se charger
|
|
de le tirer d'embarras, Mousqueton entra.
|
|
|
|
Il venait prier Porthos de passer à son logis, où, disait-il d'un
|
|
air fort piteux, sa présence était urgente.
|
|
|
|
«Sont-ce mes équipages? demanda Porthos.
|
|
|
|
-- Oui et non, répondit Mousqueton.
|
|
|
|
-- Mais enfin que veux-tu dire?...
|
|
|
|
-- Venez, monsieur.»
|
|
|
|
Porthos se leva, salua ses amis et suivit Mousqueton.
|
|
|
|
Un instant après, Bazin apparut au seuil de la porte.
|
|
|
|
«Que me voulez-vous, mon ami? dit Aramis avec cette douceur de
|
|
langage que l'on remarquait en lui chaque fois que ses idées le
|
|
ramenaient vers l'église...
|
|
|
|
-- Un homme attend monsieur à la maison, répondit Bazin.
|
|
|
|
-- Un homme! quel homme?
|
|
|
|
-- Un mendiant.
|
|
|
|
-- Faites-lui l'aumône, Bazin, et dites-lui de prier pour un
|
|
pauvre pécheur.
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|
|
|
-- Ce mendiant veut à toute force vous parler, et prétend que vous
|
|
serez bien aise de le voir.
|
|
|
|
-- N'a-t-il rien dit de particulier pour moi?
|
|
|
|
-- Si fait. "Si M. Aramis, a-t-il dit, hésite à me venir trouver,
|
|
vous lui annoncerez que j'arrive de Tours."
|
|
|
|
-- De Tours? s'écria Aramis; messieurs, mille pardons, mais sans
|
|
doute cet homme m'apporte des nouvelles que j'attendais.»
|
|
|
|
Et, se levant aussitôt, il s'éloigna rapidement.
|
|
|
|
Restèrent Athos et d'Artagnan.
|
|
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«Je crois que ces gaillards-là ont trouvé leur affaire. Qu'en
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pensez-vous, d'Artagnan? dit Athos.
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-- Je sais que Porthos était en bon train, dit d'Artagnan; et
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quant à Aramis, à vrai dire, je n'en ai jamais été sérieusement
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inquiet: mais vous, mon cher Athos, vous qui avez si généreusement
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distribué les pistoles de l'Anglais qui étaient votre bien
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légitime, qu'allez-vous faire?
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-- Je suis fort content d'avoir tué ce drôle, mon enfant, vu que
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c'est pain bénit que de tuer un Anglais: mais si j'avais empoché
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ses pistoles, elles me pèseraient comme un remords.
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-- Allons donc, mon cher Athos! vous avez vraiment des idées
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inconcevables.
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-- Passons, passons! Que me disait donc M. de Tréville, qui me fit
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l'honneur de me venir voir hier, que vous hantez ces Anglais
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suspects que protège le cardinal?
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-- C'est-à-dire que je rends visite à une Anglaise, celle dont je
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vous ai parlé.
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-- Ah! oui, la femme blonde au sujet de laquelle je vous ai donné
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des conseils que naturellement vous vous êtes bien gardé de
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suivre.
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-- Je vous ai donné mes raisons.
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-- Oui; vous voyez là votre équipement, je crois, à ce que vous
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m'avez dit.
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-- Point du tout! j'ai acquis la certitude que cette femme était
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pour quelque chose dans l'enlèvement de Mme Bonacieux.
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-- Oui, et je comprends; pour retrouver une femme, vous faites la
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cour à une autre: c'est le chemin le plus long, mais le plus
|
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amusant.
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D'Artagnan fut sur le point de tout raconter à Athos; mais un
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point l'arrêta: Athos était un gentilhomme sévère sur le point
|
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d'honneur, et il y avait, dans tout ce petit plan que notre
|
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amoureux avait arrêté à l'endroit de Milady, certaines choses qui,
|
|
d'avance, il en était sûr, n'obtiendraient pas l'assentiment du
|
|
puritain; il préféra donc garder le silence, et comme Athos était
|
|
l'homme le moins curieux de la terre, les confidences de
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|
d'Artagnan en étaient restées là.
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Nous quitterons donc les deux amis, qui n'avaient rien de bien
|
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important à se dire, pour suivre Aramis.
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À cette nouvelle, que l'homme qui voulait lui parler arrivait de
|
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Tours, nous avons vu avec quelle rapidité le jeune homme avait
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suivi ou plutôt devancé Bazin; il ne fit donc qu'un saut de la rue
|
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Férou à la rue de Vaugirard.
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En entrant chez lui, il trouva effectivement un homme de petite
|
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taille, aux yeux intelligents, mais couvert de haillons.
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«C'est vous qui me demandez? dit le mousquetaire.
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-- C'est-à-dire que je demande M. Aramis: est-ce vous qui vous
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appelez ainsi?
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-- Moi-même: vous avez quelque chose à me remettre?
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-- Oui, si vous me montrez certain mouchoir brodé.
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|
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-- Le voici, dit Aramis en tirant une clef de sa poitrine, et en
|
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ouvrant un petit coffret de bois d'ébène incrusté de nacre, le
|
|
voici, tenez.
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-- C'est bien, dit le mendiant, renvoyez votre laquais.»
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|
|
En effet, Bazin, curieux de savoir ce que le mendiant voulait à
|
|
son maître, avait réglé son pas sur le sien, et était arrivé
|
|
presque en même temps que lui; mais cette célérité ne lui servit
|
|
pas à grand-chose; sur l'invitation du mendiant, son maître lui
|
|
fit signe de se retirer, et force lui fut d'obéir.
|
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Bazin parti, le mendiant jeta un regard rapide autour de lui, afin
|
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d'être sûr que personne ne pouvait ni le voir ni l'entendre, et
|
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ouvrant sa veste en haillons mal serrée par une ceinture de cuir,
|
|
il se mit à découdre le haut de son pourpoint, d'où il tira une
|
|
lettre.
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Aramis jeta un cri de joie à la vue du cachet, baisa l'écriture,
|
|
et avec un respect presque religieux, il ouvrit l'épître qui
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contenait ce qui suit:
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«Ami, le sort veut que nous soyons séparés quelque temps encore;
|
|
mais les beaux jours de la jeunesse ne sont pas perdus sans
|
|
retour. Faites votre devoir au camp; je fais le mien autre part.
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Prenez ce que le porteur vous remettra; faites la campagne en beau
|
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et bon gentilhomme, et pensez à moi, qui baise tendrement vos yeux
|
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noirs.
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«Adieu, ou plutôt au revoir!»
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Le mendiant décousait toujours; il tira une à une de ses sales
|
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habits cent cinquante doubles pistoles d'Espagne, qu'il aligna sur
|
|
la table; puis, il ouvrit la porte, salua et partit avant que le
|
|
jeune homme, stupéfait, eût osé lui adresser une parole.
|
|
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Aramis alors relut la lettre, et s'aperçut que cette lettre avait
|
|
un post-scriptum.
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«P.-S. -- Vous pouvez faire accueil au porteur, qui est comte et
|
|
grand d'Espagne.»
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|
|
«Rêves dorés! s'écria Aramis. Oh! la belle vie! oui, nous sommes
|
|
jeunes! oui, nous aurons encore des jours heureux! Oh! à toi, mon
|
|
amour, mon sang, ma vie! tout, tout, tout, ma belle maîtresse!»
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|
|
|
Et il baisait la lettre avec passion, sans même regarder l'or qui
|
|
étincelait sur la table.
|
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|
Bazin gratta à la porte; Aramis n'avait plus de raison pour le
|
|
tenir à distance; il lui permit d'entrer.
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Bazin resta stupéfait à la vue de cet or, et oublia qu'il venait
|
|
annoncer d'Artagnan, qui, curieux de savoir ce que c'était que le
|
|
mendiant, venait chez Aramis en sortant de chez Athos.
|
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|
Or, comme d'Artagnan ne se gênait pas avec Aramis, voyant que
|
|
Bazin oubliait de l'annoncer, il s'annonça lui-même.
|
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|
|
«Ah! diable, mon cher Aramis, dit d'Artagnan, si ce sont là les
|
|
pruneaux qu'on nous envoie de Tours, vous en ferez mon compliment
|
|
au jardinier qui les récolte.
|
|
|
|
-- Vous vous trompez, mon cher, dit Aramis toujours discret: c'est
|
|
mon libraire qui vient de m'envoyer le prix de ce poème en vers
|
|
d'une syllabe que j'avais commencé là-bas.
|
|
|
|
-- Ah! vraiment! dit d'Artagnan; eh bien, votre libraire est
|
|
généreux, mon cher Aramis, voilà tout ce que je puis vous dire.
|
|
|
|
-- Comment, monsieur! s'écria Bazin, un poème se vend si cher!
|
|
c'est incroyable! Oh! monsieur! vous faites tout ce que vous
|
|
voulez, vous pouvez devenir l'égal de M. de Voiture et de
|
|
M. de Benserade. J'aime encore cela, moi. Un poète, c'est presque
|
|
un abbé. Ah! monsieur Aramis, mettez-vous donc poète, je vous en
|
|
prie.
|
|
|
|
-- Bazin, mon ami, dit Aramis, je crois que vous vous mêlez à la
|
|
conversation.»
|
|
|
|
Bazin comprit qu'il était dans son tort; il baissa la tête, et
|
|
sortit.
|
|
|
|
«Ah! dit d'Artagnan avec un sourire, vous vendez vos productions
|
|
au poids de l'or: vous êtes bien heureux, mon ami; mais prenez
|
|
garde, vous allez perdre cette lettre qui sort de votre casaque,
|
|
et qui est sans doute aussi de votre libraire.»
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|
|
|
Aramis rougit jusqu'au blanc des yeux, renfonça sa lettre, et
|
|
reboutonna son pourpoint.
|
|
|
|
«Mon cher d'Artagnan, dit-il, nous allons, si vous le voulez bien,
|
|
aller trouver nos amis; et puisque je suis riche, nous
|
|
recommencerons aujourd'hui à dîner ensemble en attendant que vous
|
|
soyez riches à votre tour.
|
|
|
|
-- Ma foi! dit d'Artagnan, avec grand plaisir. Il y a longtemps
|
|
que nous n'avons fait un dîner convenable; et comme j'ai pour mon
|
|
compte une expédition quelque peu hasardeuse à faire ce soir, je
|
|
ne serais pas fâché, je l'avoue, de me monter un peu la tête avec
|
|
quelques bouteilles de vieux bourgogne.
|
|
|
|
-- Va pour le vieux bourgogne; je ne le déteste pas non plus», dit
|
|
Aramis, auquel la vue de l'or avait enlevé comme avec la main ses
|
|
idées de retraite.
|
|
|
|
Et ayant mis trois ou quatre doubles pistoles dans sa poche pour
|
|
répondre aux besoins du moment, il enferma les autres dans le
|
|
coffre d'ébène incrusté de nacre, où était déjà le fameux mouchoir
|
|
qui lui avait servi de talisman.
|
|
|
|
Les deux amis se rendirent d'abord chez Athos, qui, fidèle au
|
|
serment qu'il avait fait de ne pas sortir, se chargea de faire
|
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apporter à dîner chez lui: comme il entendait à merveille les
|
|
détails gastronomiques, d'Artagnan et Aramis ne firent aucune
|
|
difficulté de lui abandonner ce soin important.
|
|
|
|
Ils se rendaient chez Porthos, lorsque, au coin de la rue du Bac,
|
|
ils rencontrèrent Mousqueton, qui, d'un air piteux, chassait
|
|
devant lui un mulet et un cheval.
|
|
|
|
D'Artagnan poussa un cri de surprise, qui n'était pas exempt d'un
|
|
mélange de joie.
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|
|
«Ah! mon cheval jaune! s'écria-t-il. Aramis, regardez ce cheval!
|
|
|
|
-- Oh! l'affreux roussin! dit Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien, mon cher, reprit d'Artagnan, c'est le cheval sur
|
|
lequel je suis venu à Paris.
|
|
|
|
-- Comment, monsieur connaît ce cheval? dit Mousqueton.
|
|
|
|
-- Il est d'une couleur originale, fit Aramis; c'est le seul que
|
|
j'aie jamais vu de ce poil-là.
|
|
|
|
-- Je le crois bien, reprit d'Artagnan, aussi je l'ai vendu trois
|
|
écus, et il faut bien que ce soit pour le poil, car la carcasse ne
|
|
vaut certes pas dix-huit livres. Mais comment ce cheval se trouve-
|
|
t-il entre tes mains, Mousqueton?
|
|
|
|
-- Ah! dit le valet, ne m'en parlez pas, monsieur, c'est un
|
|
affreux tour du mari de notre duchesse!
|
|
|
|
-- Comment cela, Mousqueton?
|
|
|
|
-- Oui nous sommes vus d'un très bon oeil par une femme de
|
|
qualité, la duchesse de...; mais pardon! mon maître m'a recommandé
|
|
d'être discret: elle nous avait forcés d'accepter un petit
|
|
souvenir, un magnifique genet d'Espagne et un mulet andalou, que
|
|
c'était merveilleux à voir; le mari a appris la chose, il a
|
|
confisqué au passage les deux magnifiques bêtes qu'on nous
|
|
envoyait, et il leur a substitué ces horribles animaux!
|
|
|
|
-- Que tu lui ramènes? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Justement! reprit Mousqueton; vous comprenez que nous ne
|
|
pouvons point accepter de pareilles montures en échange de celles
|
|
que l'on nous avait promises.
|
|
|
|
-- Non, pardieu, quoique j'eusse voulu voir Porthos sur mon
|
|
Bouton-d'Or; cela m'aurait donné une idée de ce que j'étais moi-
|
|
même, quand je suis arrivé à Paris. Mais que nous ne t'arrêtions
|
|
pas, Mousqueton; va faire la commission de ton maître, va. Est-il
|
|
chez lui?
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, dit Mousqueton, mais bien maussade, allez!»
|
|
|
|
Et il continua son chemin vers le quai des Grands-Augustins,
|
|
tandis que les deux amis allaient sonner à la porte de l'infortuné
|
|
Porthos. Celui-ci les avait vus traversant la cour, et il n'avait
|
|
garde d'ouvrir. Ils sonnèrent donc inutilement.
|
|
|
|
Cependant, Mousqueton continuait sa route, et, traversant le Pont-
|
|
Neuf, toujours chassant devant lui ses deux haridelles, il
|
|
atteignit la rue aux Ours. Arrivé là, il attacha, selon les ordres
|
|
de son maître, cheval et mulet au marteau de la porte du
|
|
procureur; puis, sans s'inquiéter de leur sort futur, il s'en
|
|
revint trouver Porthos et lui annonça que sa commission était
|
|
faite.
|
|
|
|
Au bout d'un certain temps, les deux malheureuses bêtes, qui
|
|
n'avaient pas mangé depuis le matin, firent un tel bruit en
|
|
soulevant et en laissant retomber le marteau de la porte, que le
|
|
procureur ordonna à son saute-ruisseau d'aller s'informer dans le
|
|
voisinage à qui appartenaient ce cheval et ce mulet.
|
|
|
|
Mme Coquenard reconnut son présent, et ne comprit rien d'abord à
|
|
cette restitution; mais bientôt la visite de Porthos l'éclaira. Le
|
|
courroux qui brillait dans les yeux du mousquetaire, malgré la
|
|
contrainte qu'il s'imposait, épouvanta la sensible amante. En
|
|
effet, Mousqueton n'avait point caché à son maître qu'il avait
|
|
rencontré d'Artagnan et Aramis, et que d'Artagnan, dans le cheval
|
|
jaune, avait reconnu le bidet béarnais sur lequel il était venu à
|
|
Paris, et qu'il avait vendu trois écus.
|
|
|
|
Porthos sortit après avoir donné rendez-vous à la procureuse dans
|
|
le cloître Saint-Magloire. Le procureur, voyant que Porthos
|
|
partait, l'invita à dîner, invitation que le mousquetaire refusa
|
|
avec un air plein de majesté.
|
|
|
|
Mme Coquenard se rendit toute tremblante au cloître Saint-
|
|
Magloire, car elle devinait les reproches qui l'y attendaient;
|
|
mais elle était fascinée par les grandes façons de Porthos.
|
|
|
|
Tout ce qu'un homme blessé dans son amour-propre peut laisser
|
|
tomber d'imprécations et de reproches sur la tête d'une femme,
|
|
Porthos le laissa tomber sur la tête courbée de la procureuse.
|
|
|
|
«Hélas! dit-elle, j'ai fait pour le mieux. Un de nos clients est
|
|
marchand de chevaux, il devait de l'argent à l'étude, et s'est
|
|
montré récalcitrant. J'ai pris ce mulet et ce cheval pour ce qu'il
|
|
nous devait; il m'avait promis deux montures royales.
|
|
|
|
-- Eh bien, madame, dit Porthos, s'il vous devait plus de cinq
|
|
écus, votre maquignon est un voleur.
|
|
|
|
-- Il n'est pas défendu de chercher le bon marché, monsieur
|
|
Porthos, dit la procureuse cherchant à s'excuser.
|
|
|
|
-- Non, madame, mais ceux qui cherchent le bon marché doivent
|
|
permettre aux autres de chercher des amis plus généreux.»
|
|
|
|
Et Porthos, tournant sur ses talons, fit un pas pour se retirer.
|
|
|
|
«Monsieur Porthos! monsieur Porthos! s'écria la procureuse, j'ai
|
|
tort, je le reconnais, je n'aurais pas dû marchander quand il
|
|
s'agissait d'équiper un cavalier comme vous!»
|
|
|
|
Porthos, sans répondre, fit un second pas de retraite.
|
|
|
|
La procureuse crut le voir dans un nuage étincelant tout entouré
|
|
de duchesses et de marquises qui lui jetaient des sacs d'or sous
|
|
les pieds.
|
|
|
|
«Arrêtez, au nom du Ciel! monsieur Porthos, s'écria-t-elle,
|
|
arrêtez et causons.
|
|
|
|
-- Causer avec vous me porte malheur, dit Porthos.
|
|
|
|
-- Mais, dites-moi, que demandez-vous?
|
|
|
|
-- Rien, car cela revient au même que si je vous demandais quelque
|
|
chose.»
|
|
|
|
La procureuse se pendit au bras de Porthos, et, dans l'élan de sa
|
|
douleur, elle s'écria:
|
|
|
|
«Monsieur Porthos, je suis ignorante de tout cela, moi; sais-je ce
|
|
que c'est qu'un cheval? sais-je ce que c'est que des harnais?
|
|
|
|
-- Il fallait vous en rapporter à moi, qui m'y connais, madame;
|
|
mais vous avez voulu ménager, et, par conséquent, prêter à usure.
|
|
|
|
-- C'est un tort, monsieur Porthos, et je le réparerai sur ma
|
|
parole d'honneur.
|
|
|
|
-- Et comment cela? demanda le mousquetaire.
|
|
|
|
-- Écoutez. Ce soir M. Coquenard va chez M. le duc de Chaulnes,
|
|
qui l'a mandé. C'est pour une consultation qui durera deux heures
|
|
au moins, venez, nous serons seuls, et nous ferons nos comptes.
|
|
|
|
-- À la bonne heure! voilà qui est parler, ma chère!
|
|
|
|
-- Vous me pardonnez?
|
|
|
|
-- Nous verrons», dit majestueusement Porthos.
|
|
|
|
Et tous deux se séparèrent en se disant: «À ce soir.»
|
|
|
|
«Diable! pensa Porthos en s'éloignant, il me semble que je me
|
|
rapproche enfin du bahut de maître Coquenard.»
|
|
|
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|
|
CHAPITRE XXXV
|
|
LA NUIT TOUS LES CHATS SONT GRIS
|
|
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|
Ce soir, attendu si impatiemment par Porthos et par d'Artagnan,
|
|
arriva enfin.
|
|
|
|
D'Artagnan, comme d'habitude, se présenta vers les neuf heures
|
|
chez Milady. Il la trouva d'une humeur charmante; jamais elle ne
|
|
l'avait si bien reçu. Notre Gascon vit du premier coup d'oeil que
|
|
son billet avait été remis, et ce billet faisait son effet.
|
|
|
|
Ketty entra pour apporter des sorbets. Sa maîtresse lui fit une
|
|
mine charmante, lui sourit de son plus gracieux sourire; mais,
|
|
hélas! la pauvre fille était si triste, qu'elle ne s'aperçut même
|
|
pas de la bienveillance de Milady.
|
|
|
|
D'Artagnan regardait l'une après l'autre ces deux femmes, et il
|
|
était forcé de s'avouer que la nature s'était trompée en les
|
|
formant; à la grande dame elle avait donné une âme vénale et vile,
|
|
à la soubrette elle avait donné le coeur d'une duchesse.
|
|
|
|
À dix heures Milady commença à paraître inquiète, d'Artagnan
|
|
comprit ce que cela voulait dire; elle regardait la pendule, se
|
|
levait, se rasseyait, souriait à d'Artagnan d'un air qui voulait
|
|
dire: Vous êtes fort aimable sans doute, mais vous seriez charmant
|
|
si vous partiez!
|
|
|
|
D'Artagnan se leva et prit son chapeau; Milady lui donna sa main à
|
|
baiser; le jeune homme sentit qu'elle la lui serrait et comprit
|
|
que c'était par un sentiment non pas de coquetterie, mais de
|
|
reconnaissance à cause de son départ.
|
|
|
|
«Elle l'aime diablement», murmura-t-il. Puis il sortit.
|
|
|
|
Cette fois Ketty ne l'attendait aucunement, ni dans l'antichambre,
|
|
ni dans le corridor, ni sous la grande porte. Il fallut que
|
|
d'Artagnan trouvât tout seul l'escalier et la petite chambre.
|
|
|
|
Ketty était assise la tête cachée dans ses mains, et pleurait.
|
|
|
|
Elle entendit entrer d'Artagnan, mais elle ne releva point la
|
|
tête; le jeune homme alla à elle et lui prit les mains, alors elle
|
|
éclata en sanglots.
|
|
|
|
Comme l'avait présumé d'Artagnan, Milady, en recevant la lettre,
|
|
avait, dans le délire de sa joie, tout dit à sa suivante; puis, en
|
|
récompense de la manière dont cette fois elle avait fait la
|
|
commission, elle lui avait donné une bourse. Ketty, en rentrant
|
|
chez elle, avait jeté la bourse dans un coin, où elle était restée
|
|
tout ouverte, dégorgeant trois ou quatre pièces d'or sur le tapis.
|
|
|
|
La pauvre fille, à la voix de d'Artagnan, releva la tête.
|
|
D'Artagnan lui-même fut effrayé du bouleversement de son visage;
|
|
elle joignit les mains d'un air suppliant, mais sans oser dire une
|
|
parole.
|
|
|
|
Si peu sensible que fût le coeur de d'Artagnan, il se sentit
|
|
attendri par cette douleur muette; mais il tenait trop à ses
|
|
projets et surtout à celui-ci, pour rien changer au programme
|
|
qu'il avait fait d'avance. Il ne laissa donc à Ketty aucun espoir
|
|
de le fléchir, seulement il lui présenta son action comme une
|
|
simple vengeance.
|
|
|
|
Cette vengeance, au reste, devenait d'autant plus facile, que
|
|
Milady, sans doute pour cacher sa rougeur à son amant, avait
|
|
recommandé à Ketty d'éteindre toutes les lumières dans
|
|
l'appartement, et même dans sa chambre, à elle. Avant le jour,
|
|
M. de Wardes devait sortir, toujours dans l'obscurité.
|
|
|
|
Au bout d'un instant on entendit Milady qui rentrait dans sa
|
|
chambre. D'Artagnan s'élança aussitôt dans son armoire. À peine y
|
|
était-il blotti que la sonnette se fit entendre.
|
|
|
|
Ketty entra chez sa maîtresse, et ne laissa point la porte
|
|
ouverte; mais la cloison était si mince, que l'on entendait à peu
|
|
près tout ce qui se disait entre les deux femmes.
|
|
|
|
Milady semblait ivre de joie, elle se faisait répéter par Ketty
|
|
les moindres détails de la prétendue entrevue de la soubrette avec
|
|
de Wardes, comment il avait reçu sa lettre, comment il avait
|
|
répondu, quelle était l'expression de son visage, s'il paraissait
|
|
bien amoureux; et à toutes ces questions la pauvre Ketty, forcée
|
|
de faire bonne contenance, répondait d'une voix étouffée dont sa
|
|
maîtresse ne remarquait même pas l'accent douloureux, tant le
|
|
bonheur est égoïste.
|
|
|
|
Enfin, comme l'heure de son entretien avec le comte approchait,
|
|
Milady fit en effet tout éteindre chez elle, et ordonna à Ketty de
|
|
rentrer dans sa chambre, et d'introduire de Wardes aussitôt qu'il
|
|
se présenterait.
|
|
|
|
L'attente de Ketty ne fut pas longue. À peine d'Artagnan eut-il vu
|
|
par le trou de la serrure de son armoire que tout l'appartement
|
|
était dans l'obscurité, qu'il s'élança de sa cachette au moment
|
|
même où Ketty refermait la porte de communication.
|
|
|
|
«Qu'est-ce que ce bruit? demanda Milady.
|
|
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|
-- C'est moi, dit d'Artagnan à demi-voix; moi, le comte de Wardes.
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-- Oh! mon Dieu, mon Dieu! murmura Ketty, il n'a pas même pu
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attendre l'heure qu'il avait fixée lui-même!
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-- Eh bien, dit Milady d'une voix tremblante, pourquoi n'entre-t-
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il pas? Comte, comte, ajouta-t-elle, vous savez bien que je vous
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attends!»
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À cet appel, d'Artagnan éloigna doucement Ketty et s'élança dans
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la chambre de Milady.
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Si la rage et la douleur doivent torturer une âme, c'est celle de
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l'amant qui reçoit sous un nom qui n'est pas le sien des
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protestations d'amour qui s'adressent à son heureux rival.
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D'Artagnan était dans une situation douloureuse qu'il n'avait pas
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prévue, la jalousie le mordait au coeur, et il souffrait presque
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autant que la pauvre Ketty, qui pleurait en ce même moment dans la
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chambre voisine.
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«Oui, comte, disait Milady de sa plus douce voix en lui serrant
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tendrement la main dans les siennes; oui, je suis heureuse de
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l'amour que vos regards et vos paroles m'ont exprimé chaque fois
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que nous nous sommes rencontrés. Moi aussi, je vous aime. Oh!
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demain, demain, je veux quelque gage de vous qui me prouve que
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vous pensez à moi, et comme vous pourriez m'oublier, tenez.»
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Et elle passa une bague de son doigt à celui de d'Artagnan.
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D'Artagnan se rappela avoir vu cette bague à la main de Milady:
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c'était un magnifique saphir entouré de brillants.
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Le premier mouvement de d'Artagnan fut de le lui rendre, mais
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Milady ajouta:
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«Non, non; gardez cette bague pour l'amour de moi. Vous me rendez
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d'ailleurs, en l'acceptant, ajouta-t-elle d'une voix émue, un
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service bien plus grand que vous ne sauriez l'imaginer.»
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«Cette femme est pleine de mystères», murmura en lui-même
|
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d'Artagnan.
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En ce moment il se sentit prêt à tout révéler. Il ouvrit la bouche
|
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pour dire à Milady qui il était, et dans quel but de vengeance il
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était venu, mais elle ajouta:
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«Pauvre ange, que ce monstre de Gascon a failli tuer!»
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Le monstre, c'était lui.
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«Oh! continua Milady, est-ce que vos blessures vous font encore
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souffrir?
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-- Oui, beaucoup, dit d'Artagnan, qui ne savait trop que répondre.
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-- Soyez tranquille, murmura Milady, je vous vengerai, moi et
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cruellement!»
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«Peste! se dit d'Artagnan, le moment des confidences n'est pas
|
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encore venu.»
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Il fallut quelque temps à d'Artagnan pour se remettre de ce petit
|
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dialogue: mais toutes les idées de vengeance qu'il avait apportées
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s'étaient complètement évanouies. Cette femme exerçait sur lui une
|
|
incroyable puissance, il la haïssait et l'adorait à la fois, il
|
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n'avait jamais cru que deux sentiments si contraires pussent
|
|
habiter dans le même coeur, et en se réunissant, former un amour
|
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étrange et en quelque sorte diabolique.
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|
Cependant une heure venait de sonner; il fallut se séparer;
|
|
d'Artagnan, au moment de quitter Milady, ne sentit plus qu'un vif
|
|
regret de s'éloigner, et, dans l'adieu passionné qu'ils
|
|
s'adressèrent réciproquement, une nouvelle entrevue fut convenue
|
|
pour la semaine suivante. La pauvre Ketty espérait pouvoir
|
|
adresser quelques mots à d'Artagnan lorsqu'il passerait dans sa
|
|
chambre; mais Milady le reconduisit elle-même dans l'obscurité et
|
|
ne le quitta que sur l'escalier.
|
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|
Le lendemain au matin, d'Artagnan courut chez Athos. Il était
|
|
engagé dans une si singulière aventure qu'il voulait lui demander
|
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conseil. Il lui raconta tout: Athos fronça plusieurs fois le
|
|
sourcil.
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«Votre Milady, lui dit-il, me paraît une créature infâme, mais
|
|
vous n'en avez pas moins eu tort de la tromper: vous voilà d'une
|
|
façon ou d'une autre une ennemie terrible sur les bras.»
|
|
|
|
Et tout en lui parlant, Athos regardait avec attention le saphir
|
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entouré de diamants qui avait pris au doigt de d'Artagnan la place
|
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de la bague de la reine, soigneusement remise dans un écrin.
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«Vous regardez cette bague? dit le Gascon tout glorieux d'étaler
|
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aux regards de ses amis un si riche présent.
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-- Oui, dit Athos, elle me rappelle un bijou de famille.
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-- Elle est belle, n'est-ce pas? dit d'Artagnan.
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-- Magnifique! répondit Athos; je ne croyais pas qu'il existât
|
|
deux saphirs d'une si belle eau. L'avez-vous donc troquée contre
|
|
votre diamant?
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-- Non, dit d'Artagnan; c'est un cadeau de ma belle Anglaise, ou
|
|
plutôt de ma belle Française: car, quoique je ne le lui aie point
|
|
demandé, je suis convaincu qu'elle est née en France.
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-- Cette bague vous vient de Milady? s'écria Athos avec une voix
|
|
dans laquelle il était facile de distinguer une grande émotion.
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-- D'elle-même; elle me l'a donnée cette nuit.
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-- Montrez-moi donc cette bague, dit Athos.
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-- La voici», répondit d'Artagnan en la tirant de son doigt.
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|
Athos l'examina et devint très pâle, puis il l'essaya à
|
|
l'annulaire de sa main gauche; elle allait à ce doigt comme si
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elle eût été faite pour lui. Un nuage de colère et de vengeance
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|
passa sur le front ordinairement calme du gentilhomme.
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«Il est impossible que ce soit la même, dit-il; comment cette
|
|
bague se trouverait-elle entre les mains de Milady Clarick? Et
|
|
cependant il est bien difficile qu'il y ait entre deux bijoux une
|
|
pareille ressemblance.
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|
-- Connaissez-vous cette bague? demanda d'Artagnan.
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|
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|
-- J'avais cru la reconnaître, dit Athos, mais sans doute que je
|
|
me trompais.»
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|
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|
Et il la rendit à d'Artagnan, sans cesser cependant de la
|
|
regarder.
|
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|
|
«Tenez, dit-il au bout d'un instant, d'Artagnan, ôtez cette bague
|
|
de votre doigt ou tournez-en le chaton en dedans; elle me rappelle
|
|
de si cruels souvenirs, que je n'aurais pas ma tête pour causer
|
|
avec vous. Ne veniez-vous pas me demander des conseils, ne me
|
|
disiez-vous point que vous étiez embarrassé sur ce que vous deviez
|
|
faire?... Mais attendez... rendez-moi ce saphir: celui dont je
|
|
voulais parler doit avoir une de ses faces éraillée par suite d'un
|
|
accident.»
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|
|
|
D'Artagnan tira de nouveau la bague de son doigt et la rendit à
|
|
Athos.
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|
Athos tressaillit:
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|
«Tenez, dit-il, voyez, n'est-ce pas étrange?»
|
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|
Et il montrait à d'Artagnan cette égratignure qu'il se rappelait
|
|
devoir exister.
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|
«Mais de qui vous venait ce saphir, Athos?
|
|
|
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-- De ma mère, qui le tenait de sa mère à elle. Comme je vous le
|
|
dis, c'est un vieux bijou... qui ne devait jamais sortir de la
|
|
famille.
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|
|
|
-- Et vous l'avez... vendu? demanda avec hésitation d'Artagnan.
|
|
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|
-- Non, reprit Athos avec un singulier sourire; je l'ai donné
|
|
pendant une nuit d'amour, comme il vous a été donné à vous.»
|
|
|
|
D'Artagnan resta pensif à son tour, il lui semblait voir dans
|
|
l'âme de Milady des abîmes dont les profondeurs étaient sombres et
|
|
inconnues.
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|
|
|
Il remit la bague non pas à son doigt, mais dans sa poche.
|
|
|
|
«Écoutez, lui dit Athos en lui prenant la main, vous savez si je
|
|
vous aime, d'Artagnan; j'aurais un fils que je ne l'aimerais pas
|
|
plus que vous. Eh bien, croyez-moi, renoncez à cette femme. Je ne
|
|
la connais pas, mais une espèce d'intuition me dit que c'est une
|
|
créature perdue, et qu'il y a quelque chose de fatal en elle.
|
|
|
|
-- Et vous avez raison, dit d'Artagnan. Aussi, je m'en sépare; je
|
|
vous avoue que cette femme m'effraie moi-même.
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|
-- Aurez-vous ce courage? dit Athos.
|
|
|
|
-- Je l'aurai, répondit d'Artagnan, et à l'instant même.
|
|
|
|
-- Eh bien, vrai, mon enfant, vous avez raison, dit le gentilhomme
|
|
en serrant la main du Gascon avec une affection presque
|
|
paternelle; que Dieu veuille que cette femme, qui est à peine
|
|
entrée dans votre vie, n'y laisse pas une trace funeste!»
|
|
|
|
Et Athos salua d'Artagnan de la tête, en homme qui veut faire
|
|
comprendre qu'il n'est pas fâché de rester seul avec ses pensées.
|
|
|
|
En rentrant chez lui d'Artagnan trouva Ketty, qui l'attendait. Un
|
|
mois de fièvre n'eût pas plus changé la pauvre enfant qu'elle ne
|
|
l'était pour cette nuit d'insomnie et de douleur.
|
|
|
|
Elle était envoyée par sa maîtresse au faux de Wardes. Sa
|
|
maîtresse était folle d'amour, ivre de joie: elle voulait savoir
|
|
quand le comte lui donnerait une seconde entrevue.
|
|
|
|
Et la pauvre Ketty, pâle et tremblante, attendait la réponse de
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
Athos avait une grande influence sur le jeune homme: les conseils
|
|
de son ami joints aux cris de son propre coeur l'avaient
|
|
déterminé, maintenant que son orgueil était sauvé et sa vengeance
|
|
satisfaite, à ne plus revoir Milady. Pour toute réponse il prit
|
|
donc une plume et écrivit la lettre suivante:
|
|
|
|
«Ne comptez pas sur moi, madame, pour le prochain rendez-vous:
|
|
depuis ma convalescence j'ai tant d'occupations de ce genre qu'il
|
|
m'a fallu y mettre un certain ordre. Quand votre tour viendra,
|
|
j'aurai l'honneur de vous en faire part.
|
|
|
|
«Je vous baise les mains.
|
|
|
|
«Comte de Wardes.»
|
|
|
|
Du saphir pas un mot: le Gascon voulait-il garder une arme contre
|
|
Milady? ou bien, soyons franc, ne conservait-il pas ce saphir
|
|
comme une dernière ressource pour l'équipement?
|
|
|
|
On aurait tort au reste de juger les actions d'une époque au point
|
|
de vue d'une autre époque. Ce qui aujourd'hui serait regardé comme
|
|
une honte pour un galant homme était dans ce temps une chose toute
|
|
simple et toute naturelle, et les cadets des meilleures familles
|
|
se faisaient en général entretenir par leurs maîtresses.
|
|
|
|
D'Artagnan passa sa lettre tout ouverte à Ketty, qui la lut
|
|
d'abord sans la comprendre et qui faillit devenir folle de joie en
|
|
la relisant une seconde fois.
|
|
|
|
Ketty ne pouvait croire à ce bonheur: d'Artagnan fut forcé de lui
|
|
renouveler de vive voix les assurances que la lettre lui donnait
|
|
par écrit; et quel que fût, avec le caractère emporté de Milady,
|
|
le danger que courût la pauvre enfant à remettre ce billet à sa
|
|
maîtresse, elle n'en revint pas moins place Royale de toute la
|
|
vitesse de ses jambes.
|
|
|
|
Le coeur de la meilleure femme est impitoyable pour les douleurs
|
|
d'une rivale.
|
|
|
|
Milady ouvrit la lettre avec un empressement égal à celui que
|
|
Ketty avait mis à l'apporter, mais au premier mot qu'elle lut,
|
|
elle devint livide; puis elle froissa le papier; puis elle se
|
|
retourna avec un éclair dans les yeux du côté de Ketty.
|
|
|
|
«Qu'est-ce que cette lettre? dit-elle.
|
|
|
|
-- Mais c'est la réponse à celle de madame, répondit Ketty toute
|
|
tremblante.
|
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|
|
-- Impossible! s'écria Milady; impossible qu'un gentilhomme ait
|
|
écrit à une femme une pareille lettre!»
|
|
|
|
Puis tout à coup tressaillant:
|
|
|
|
«Mon Dieu! dit-elle, saurait-il...» Et elle s'arrêta.
|
|
|
|
Ses dents grinçaient, elle était couleur de cendre: elle voulut
|
|
faire un pas vers la fenêtre pour aller chercher de l'air; mais
|
|
elle ne put qu'étendre les bras, les jambes lui manquèrent, et
|
|
elle tomba sur un fauteuil.
|
|
|
|
Ketty crut qu'elle se trouvait mal et se précipita pour ouvrir son
|
|
corsage. Mais Milady se releva vivement:
|
|
|
|
«Que me voulez-vous? dit-elle, et pourquoi portez-vous la main sur
|
|
moi?
|
|
|
|
-- J'ai pensé que madame se trouvait mal et j'ai voulu lui porter
|
|
secours, répondit la suivante tout épouvantée de l'expression
|
|
terrible qu'avait prise la figure de sa maîtresse.
|
|
|
|
-- Me trouver mal, moi? moi? me prenez-vous pour une femmelette?
|
|
Quand on m'insulte, je ne me trouve pas mal, je me venge,
|
|
entendez-vous!»
|
|
|
|
Et de la main elle fit signe à Ketty de sortir.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XXXVI
|
|
RÊVE DE VENGEANCE
|
|
|
|
Le soir Milady donna l'ordre d'introduire M. d'Artagnan aussitôt
|
|
qu'il viendrait, selon son habitude. Mais il ne vint pas.
|
|
|
|
Le lendemain Ketty vint voir de nouveau le jeune homme et lui
|
|
raconta tout ce qui s'était passé la veille: d'Artagnan sourit;
|
|
cette jalouse colère de Milady, c'était sa vengeance.
|
|
|
|
Le soir Milady fut plus impatiente encore que la veille, elle
|
|
renouvela l'ordre relatif au Gascon; mais comme la veille elle
|
|
l'attendit inutilement.
|
|
|
|
Le lendemain Ketty se présenta chez d'Artagnan, non plus joyeuse
|
|
et alerte comme les deux jours précédents, mais au contraire
|
|
triste à mourir.
|
|
|
|
D'Artagnan demanda à la pauvre fille ce qu'elle avait; mais celle-
|
|
ci, pour toute réponse, tira une lettre de sa poche et la lui
|
|
remit.
|
|
|
|
Cette lettre était de l'écriture de Milady: seulement cette fois
|
|
elle était bien à l'adresse de d'Artagnan et non à celle de
|
|
M. de Wardes.
|
|
|
|
Il l'ouvrit et lut ce qui suit:
|
|
|
|
«Cher monsieur d'Artagnan, c'est mal de négliger ainsi ses amis,
|
|
surtout au moment où l'on va les quitter pour si longtemps. Mon
|
|
beau-frère et moi nous avons attendu hier et avant-hier
|
|
inutilement. En sera-t-il de même ce soir?
|
|
|
|
«Votre bien reconnaissante,
|
|
|
|
«Lady Clarick.»
|
|
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|
«C'est tout simple, dit d'Artagnan, et je m'attendais à cette
|
|
lettre. Mon crédit hausse de la baisse du comte de Wardes.
|
|
|
|
-- Est-ce que vous irez? demanda Ketty.
|
|
|
|
-- Écoute, ma chère enfant, dit le Gascon, qui cherchait à
|
|
s'excuser à ses propres yeux de manquer à la promesse qu'il avait
|
|
faite à Athos, tu comprends qu'il serait impolitique de ne pas se
|
|
rendre à une invitation si positive. Milady, en ne me voyant pas
|
|
revenir, ne comprendrait rien à l'interruption de mes visites,
|
|
elle pourrait se douter de quelque chose, et qui peut dire
|
|
jusqu'où irait la vengeance d'une femme de cette trempe?
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu! dit Ketty, vous savez présenter les choses de
|
|
façon que vous avez toujours raison. Mais vous allez encore lui
|
|
faire la cour; et si cette fois vous alliez lui plaire sous votre
|
|
véritable nom et votre vrai visage, ce serait bien pis que la
|
|
première fois!»
|
|
|
|
L'instinct faisait deviner à la pauvre fille une partie de ce qui
|
|
allait arriver.
|
|
|
|
D'Artagnan la rassura du mieux qu'il put et lui promit de rester
|
|
insensible aux séductions de Milady.
|
|
|
|
Il lui fit répondre qu'il était on ne peut plus reconnaissant de
|
|
ses bontés et qu'il se rendrait à ses ordres; mais il n'osa lui
|
|
écrire de peur de ne pouvoir, à des yeux aussi exercés que ceux de
|
|
Milady, déguiser suffisamment son écriture.
|
|
|
|
À neuf heures sonnant, d'Artagnan était place Royale. Il était
|
|
évident que les domestiques qui attendaient dans l'antichambre
|
|
étaient prévenus, car aussitôt que d'Artagnan parut, avant même
|
|
qu'il eût demandé si Milady était visible, un d'eux courut
|
|
l'annoncer.
|
|
|
|
«Faites entrer», dit Milady d'une voix brève, mais si perçante que
|
|
d'Artagnan l'entendit de l'antichambre.
|
|
|
|
On l'introduisit.
|
|
|
|
«Je n'y suis pour personne, dit Milady; entendez-vous, pour
|
|
personne.»
|
|
|
|
Le laquais sortit.
|
|
|
|
D'Artagnan jeta un regard curieux sur Milady: elle était pâle et
|
|
avait les yeux fatigués, soit par les larmes, soit par l'insomnie.
|
|
On avait avec intention diminué le nombre habituel des lumières,
|
|
et cependant la jeune femme ne pouvait arriver à cacher les traces
|
|
de la fièvre qui l'avait dévorée depuis deux jours.
|
|
|
|
D'Artagnan s'approcha d'elle avec sa galanterie ordinaire; elle
|
|
fit alors un effort suprême pour le recevoir, mais jamais
|
|
physionomie plus bouleversée ne démentit sourire plus aimable.
|
|
|
|
Aux questions que d'Artagnan lui fit sur sa santé:
|
|
|
|
«Mauvaise, répondit-elle, très mauvaise.
|
|
|
|
-- Mais alors, dit d'Artagnan, je suis indiscret, vous avez besoin
|
|
de repos sans doute et je vais me retirer.
|
|
|
|
-- Non pas, dit Milady; au contraire, restez, monsieur d'Artagnan,
|
|
votre aimable compagnie me distraira.»
|
|
|
|
«Oh! oh! pensa d'Artagnan, elle n'a jamais été si charmante,
|
|
défions-nous.»
|
|
|
|
Milady prit l'air le plus affectueux qu'elle put prendre, et donna
|
|
tout l'éclat possible à sa conversation. En même temps cette
|
|
fièvre qui l'avait abandonnée un instant revenait rendre l'éclat à
|
|
ses yeux, le coloris à ses joues, le carmin à ses lèvres.
|
|
D'Artagnan retrouva la Circé qui l'avait déjà enveloppé de ses
|
|
enchantements. Son amour, qu'il croyait éteint et qui n'était
|
|
qu'assoupi, se réveilla dans son coeur. Milady souriait et
|
|
d'Artagnan sentait qu'il se damnerait pour ce sourire.
|
|
|
|
Il y eut un moment où il sentit quelque chose comme un remords de
|
|
ce qu'il avait fait contre elle.
|
|
|
|
Peu à peu Milady devint plus communicative. Elle demanda à
|
|
d'Artagnan s'il avait une maîtresse.
|
|
|
|
«Hélas! dit d'Artagnan de l'air le plus sentimental qu'il put
|
|
prendre, pouvez-vous être assez cruelle pour me faire une pareille
|
|
question, à moi qui, depuis que je vous ai vue, ne respire et ne
|
|
soupire que par vous et pour vous!»
|
|
|
|
Milady sourit d'un étrange sourire.
|
|
|
|
«Ainsi vous m'aimez? dit-elle.
|
|
|
|
-- Ai-je besoin de vous le dire, et ne vous en êtes-vous point
|
|
aperçue?
|
|
|
|
-- Si fait; mais, vous le savez, plus les coeurs sont fiers, plus
|
|
ils sont difficiles à prendre.
|
|
|
|
-- Oh! les difficultés ne m'effraient pas, dit d'Artagnan; il n'y
|
|
a que les impossibilités qui m'épouvantent.
|
|
|
|
-- Rien n'est impossible, dit Milady, à un véritable amour.
|
|
|
|
-- Rien, madame?
|
|
|
|
-- Rien», reprit Milady.
|
|
|
|
«Diable! reprit d'Artagnan à part lui, la note est changée.
|
|
Deviendrait-elle amoureuse de moi, par hasard, la capricieuse, et
|
|
serait-elle disposée à me donner à moi-même quelque autre saphir
|
|
pareil à celui qu'elle m'a donné me prenant pour de Wardes?»
|
|
|
|
D'Artagnan rapprocha vivement son siège de celui de Milady.
|
|
|
|
«Voyons, dit-elle, que feriez-vous bien pour prouver cet amour
|
|
dont vous parlez?
|
|
|
|
-- Tout ce qu'on exigerait de moi. Qu'on ordonne, et je suis prêt.
|
|
|
|
-- À tout?
|
|
|
|
-- À tout! s'écria d'Artagnan qui savait d'avance qu'il n'avait
|
|
pas grand-chose à risquer en s'engageant ainsi.
|
|
|
|
-- Eh bien, causons un peu, dit à son tour Milady en rapprochant
|
|
son fauteuil de la chaise de d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Je vous écoute, madame», dit celui-ci.
|
|
|
|
Milady resta un instant soucieuse et comme indécise puis
|
|
paraissant prendre une résolution:
|
|
|
|
«J'ai un ennemi, dit-elle.
|
|
|
|
-- Vous, madame! s'écria d'Artagnan jouant la surprise, est-ce
|
|
possible, mon Dieu? belle et bonne comme vous l'êtes!
|
|
|
|
-- Un ennemi mortel.
|
|
|
|
-- En vérité?
|
|
|
|
-- Un ennemi qui m'a insultée si cruellement que c'est entre lui
|
|
et moi une guerre à mort. Puis-je compter sur vous comme
|
|
auxiliaire?»
|
|
|
|
D'Artagnan comprit sur-le-champ où la vindicative créature en
|
|
voulait venir.
|
|
|
|
«Vous le pouvez, madame, dit-il avec emphase, mon bras et ma vie
|
|
vous appartiennent comme mon amour.
|
|
|
|
Alors, dit Milady, puisque vous êtes aussi généreux qu'amoureux...
|
|
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Elle s'arrêta.
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«Eh bien? demanda d'Artagnan.
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-- Eh bien, reprit Milady après un moment de silence, cessez dès
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aujourd'hui de parler d'impossibilités.
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-- Ne m'accablez pas de mon bonheur», s'écria d'Artagnan en se
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précipitant à genoux et en couvrant de baisers les mains qu'on lui
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abandonnait.
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-- Venge-moi de cet infâme de Wardes, murmura Milady entre ses
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dents, et je saurai bien me débarrasser de toi ensuite, double
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sot, lame d'épée vivante!
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-- Tombe volontairement entre mes bras après m'avoir raillé si
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effrontément, hypocrite et dangereuse femme, pensait d'Artagnan de
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son côté, et ensuite je rirai de toi avec celui que tu veux tuer
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par ma main.»
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D'Artagnan releva la tête.
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«Je suis prêt, dit-il.
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-- Vous m'avez donc comprise, cher monsieur d'Artagnan! dit
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Milady.
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-- Je devinerais un de vos regards.
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-- Ainsi vous emploieriez pour moi votre bras, qui s'est déjà
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acquis tant de renommée?
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À l'instant même.
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Mais moi, dit Milady, comment paierai-je un pareil service; je
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connais les amoureux, ce sont des gens qui ne font rien pour rien?
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-- Vous savez la seule réponse que je désire, dit d'Artagnan, la
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seule qui soit digne de vous et de moi!»
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Et il l'attira doucement vers lui.
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Elle résista à peine.
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«Intéressé! dit-elle en souriant.
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-- Ah! s'écria d'Artagnan véritablement emporté par la passion que
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cette femme avait le don d'allumer dans son coeur, ah! c'est que
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mon bonheur me paraît invraisemblable, et qu'ayant toujours peur
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de le voir s'envoler comme un rêve, j'ai hâte d'en faire une
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réalité.
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-- Eh bien, méritez donc ce prétendu bonheur.
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-- Je suis à vos ordres, dit d'Artagnan.
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-- Bien sûr? fit Milady avec un dernier doute.
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-- Nommez-moi l'infâme qui a pu faire pleurer vos beaux yeux.
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-- Qui vous dit que j'ai pleuré? dit-elle.
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-- Il me semblait...
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-- Les femmes comme moi ne pleurent pas, dit Milady.
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-- Tant mieux! Voyons, dites-moi comment il s'appelle.
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-- Songez que son nom c'est tout mon secret.
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-- Il faut cependant que je sache son nom.
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-- Oui, il le faut; voyez si j'ai confiance en vous!
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-- Vous me comblez de joie. Comment s'appelle-t-il?
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-- Vous le connaissez.
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-- Vraiment?
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-- Oui.
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-- Ce n'est pas un de mes amis? reprit d'Artagnan en jouant
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l'hésitation pour faire croire à son ignorance.
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-- Si c'était un de vos amis, vous hésiteriez donc?» s'écria
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Milady. Et un éclair de menace passa dans ses yeux.
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«Non, fût-ce mon frère!» s'écria d'Artagnan comme emporté par
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l'enthousiasme.
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Notre Gascon s'avançait sans risque; car il savait où il allait.
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«J'aime votre dévouement, dit Milady.
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-- Hélas! n'aimez-vous que cela en moi? demanda d'Artagnan.
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-- Je vous aime aussi, vous», dit-elle en lui prenant la main.
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Et l'ardente pression fit frissonner d'Artagnan, comme si, par le
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toucher, cette fièvre qui brûlait Milady le gagnait lui-même.
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«Vous m'aimez, vous! s'écria-t-il. Oh! si cela était, ce serait à
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en perdre la raison.»
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Et il l'enveloppa de ses deux bras. Elle n'essaya point d'écarter
|
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ses lèvres de son baiser, seulement elle ne le lui rendit pas.
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Ses lèvres étaient froides: il sembla à d'Artagnan qu'il venait
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d'embrasser une statue.
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Il n'en était pas moins ivre de joie, électrisé d'amour, il
|
|
croyait presque à la tendresse de Milady; il croyait presque au
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crime de de Wardes. Si de Wardes eût été en ce moment sous sa
|
|
main, il l'eût tué.
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Milady saisit l'occasion.
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«Il s'appelle..., dit-elle à son tour.
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-- De Wardes, je le sais, s'écria d'Artagnan.
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-- Et comment le savez-vous?» demanda Milady en lui saisissant les
|
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deux mains et en essayant de lire par ses yeux jusqu'au fond de
|
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son âme.
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D'Artagnan sentit qu'il s'était laissé emporter, et qu'il avait
|
|
fait une faute.
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«Dites, dites, mais dites donc! répétait Milady, comment le savez-
|
|
vous?
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-- Comment je le sais? dit d'Artagnan.
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-- Oui.
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-- Je le sais, parce que, hier, de Wardes, dans un salon où
|
|
j'étais, a montré une bague qu'il a dit tenir de vous.
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-- Le misérable!» s'écria Milady.
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|
L'épithète, comme on le comprend bien, retentit jusqu'au fond du
|
|
coeur de d'Artagnan.
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|
«Eh bien? continua-t-elle.
|
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-- Eh bien, je vous vengerai de ce misérable, reprit d'Artagnan en
|
|
se donnant des airs de don Japhet d'Arménie.
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-- Merci, mon brave ami! s'écria Milady; et quand serai-je vengée?
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-- Demain, tout de suite, quand vous voudrez.»
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Milady allait s'écrier: «Tout de suite»; mais elle réfléchit
|
|
qu'une pareille précipitation serait peu gracieuse pour
|
|
d'Artagnan.
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|
D'ailleurs, elle avait mille précautions à prendre, mille conseils
|
|
à donner à son défenseur, pour qu'il évitât les explications
|
|
devant témoins avec le comte. Tout cela se trouva prévu par un mot
|
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de d'Artagnan.
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|
«Demain, dit-il, vous serez vengée ou je serai mort.
|
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|
-- Non! dit-elle, vous me vengerez; mais vous ne mourrez pas.
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C'est un lâche.
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-- Avec les femmes peut-être, mais pas avec les hommes. J'en sais
|
|
quelque chose, moi.
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|
-- Mais il me semble que dans votre lutte avec lui, vous n'avez
|
|
pas eu à vous plaindre de la fortune.
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-- La fortune est une courtisane: favorable hier, elle peut me
|
|
trahir demain.
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-- Ce qui veut dire que vous hésitez maintenant.
|
|
|
|
-- Non, je n'hésite pas, Dieu m'en garde; mais serait-il juste de
|
|
me laisser aller à une mort possible sans m'avoir donné au moins
|
|
un peu plus que de l'espoir?»
|
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|
Milady répondit par un coup d'oeil qui voulait dire:
|
|
|
|
«N'est-ce que cela? parlez donc.»
|
|
|
|
Puis, accompagnant le coup d'oeil de paroles explicatives.
|
|
|
|
«C'est trop juste, dit-elle tendrement.
|
|
|
|
-- Oh! vous êtes un ange, dit le jeune homme.
|
|
|
|
-- Ainsi, tout est convenu? dit-elle.
|
|
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|
-- Sauf ce que je vous demande, chère âme!
|
|
|
|
-- Mais, lorsque je vous dis que vous pouvez vous fier à ma
|
|
tendresse?
|
|
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|
-- Je n'ai pas de lendemain pour attendre.
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|
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|
-- Silence; j'entends mon frère: il est inutile qu'il vous trouve
|
|
ici.»
|
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|
Elle sonna; Ketty parut.
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|
«Sortez par cette porte, dit-elle en poussant une petit porte
|
|
dérobée, et revenez à onze heures; nous achèverons cet entretien:
|
|
Ketty vous introduira chez moi.»
|
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|
La pauvre enfant pensa tomber à la renverse en entendant ces
|
|
paroles.
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|
«Eh bien, que faites-vous, mademoiselle, à demeurer immobile comme
|
|
une statue? Allons, reconduisez le chevalier; et ce soir, à onze
|
|
heures, vous avez entendu!»
|
|
|
|
«Il paraît que ses rendez-vous sont à onze heures, pensa
|
|
d'Artagnan: c'est une habitude prise.»
|
|
|
|
Milady lui tendit une main qu'il baisa tendrement.
|
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|
|
«Voyons, dit-il en se retirant et en répondant à peine aux
|
|
reproches de Ketty, voyons, ne soyons pas un sot; décidément cette
|
|
femme est une grande scélérate: prenons garde.»
|
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|
CHAPITRE XXXVII
|
|
LE SECRET DE MILADY
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|
D'Artagnan était sorti de l'hôtel au lieu de monter tout de suite
|
|
chez Ketty, malgré les instances que lui avait faites la jeune
|
|
fille, et cela pour deux raisons: la première parce que de cette
|
|
façon il évitait les reproches, les récriminations, les prières;
|
|
la seconde, parce qu'il n'était pas fâché de lire un peu dans sa
|
|
pensée, et, s'il était possible, dans celle de cette femme.
|
|
|
|
Tout ce qu'il y avait de plus clair là-dedans, c'est que
|
|
d'Artagnan aimait Milady comme un fou et qu'elle ne l'aimait pas
|
|
le moins du monde. Un instant d'Artagnan comprit que ce qu'il
|
|
aurait de mieux à faire serait de rentrer chez lui et d'écrire à
|
|
Milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et
|
|
de Wardes étaient jusqu'à présent absolument le même, que par
|
|
conséquent il ne pouvait s'engager, sous peine de suicide, à tuer
|
|
de Wardes. Mais lui aussi était éperonné d'un féroce désir de
|
|
vengeance; il voulait posséder à son tour cette femme sous son
|
|
propre nom; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une
|
|
certaine douceur, il ne voulait point y renoncer.
|
|
|
|
Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant
|
|
de dix pas en dix pas pour regarder la lumière de l'appartement de
|
|
Milady, qu'on apercevait à travers les jalousies; il était évident
|
|
que cette fois la jeune femme était moins pressée que la première
|
|
de rentrer dans sa chambre.
|
|
|
|
Enfin la lumière disparut.
|
|
|
|
Avec cette lueur s'éteignit la dernière irrésolution dans le coeur
|
|
de d'Artagnan; il se rappela les détails de la première nuit, et,
|
|
le coeur bondissant, la tête en feu, il rentra dans l'hôtel et se
|
|
précipita dans la chambre de Ketty.
|
|
|
|
La jeune fille, pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres,
|
|
voulut arrêter son amant; mais Milady, l'oreille au guet, avait
|
|
entendu le bruit qu'avait fait d'Artagnan: elle ouvrit la porte.
|
|
|
|
«Venez», dit-elle.
|
|
|
|
Tout cela était d'une si incroyable imprudence, d'une si
|
|
monstrueuse effronterie, qu'à peine si d'Artagnan pouvait croire à
|
|
ce qu'il voyait et à ce qu'il entendait. Il croyait être entraîné
|
|
dans quelqu'une de ces intrigues fantastiques comme on en
|
|
accomplit en rêve.
|
|
|
|
Il ne s'élança pas moins vers Milady, cédant à cette attraction
|
|
que l'aimant exerce sur le fer. La porte se referma derrière eux.
|
|
|
|
Ketty s'élança à son tour contre la porte.
|
|
|
|
La jalousie, la fureur, l'orgueil offensé, toutes les passions
|
|
enfin qui se disputent le coeur d'une femme amoureuse la
|
|
poussaient à une révélation; mais elle était perdue si elle
|
|
avouait avoir donné les mains à une pareille machination; et, par-
|
|
dessus tout, d'Artagnan était perdu pour elle. Cette dernière
|
|
pensée d'amour lui conseilla encore ce dernier sacrifice.
|
|
|
|
D'Artagnan, de son côté, était arrivé au comble de tous ses voeux:
|
|
ce n'était plus un rival qu'on aimait en lui, c'était lui-même
|
|
qu'on avait l'air d'aimer. Une voix secrète lui disait bien au
|
|
fond du coeur qu'il n'était qu'un instrument de vengeance que l'on
|
|
caressait en attendant qu'il donnât la mort, mais l'orgueil, mais
|
|
l'amour-propre, mais la folie faisaient taire cette voix,
|
|
étouffaient ce murmure. Puis notre Gascon, avec la dose de
|
|
confiance que nous lui connaissons, se comparait à de Wardes et se
|
|
demandait pourquoi, au bout du compte, on ne l'aimerait pas, lui
|
|
aussi, pour lui-même.
|
|
|
|
Il s'abandonna donc tout entier aux sensations du moment. Milady
|
|
ne fut plus pour lui cette femme aux intentions fatales qui
|
|
l'avait un instant épouvanté, ce fut une maîtresse ardente et
|
|
passionnée s'abandonnant tout entière à un amour qu'elle semblait
|
|
éprouver elle-même. Deux heures à peu près s'écoulèrent ainsi.
|
|
|
|
Cependant les transports des deux amants se calmèrent; Milady, qui
|
|
n'avait point les mêmes motifs que d'Artagnan pour oublier, revint
|
|
la première à la réalité et demanda au jeune homme si les mesures
|
|
qui devaient amener le lendemain entre lui et de Wardes une
|
|
rencontre étaient bien arrêtées d'avance dans son esprit.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan, dont les idées avaient pris un tout autre cours,
|
|
s'oublia comme un sot et répondit galamment qu'il était bien tard
|
|
pour s'occuper de duels à coups d'épée.
|
|
|
|
Cette froideur pour les seuls intérêts qui l'occupassent effraya
|
|
Milady, dont les questions devinrent plus pressantes.
|
|
|
|
Alors d'Artagnan, qui n'avait jamais sérieusement pensé à ce duel
|
|
impossible, voulut détourner la conversation, mais il n'était plus
|
|
de force.
|
|
|
|
Milady le contint dans les limites qu'elle avait tracées d'avance
|
|
avec son esprit irrésistible et sa volonté de fer.
|
|
|
|
D'Artagnan se crut fort spirituel en conseillant à Milady de
|
|
renoncer, en pardonnant à de Wardes, aux projets furieux qu'elle
|
|
avait formés.
|
|
|
|
Mais aux premiers mots qu'il dit, la jeune femme tressaillit et
|
|
s'éloigna.
|
|
|
|
«Auriez-vous peur, cher d'Artagnan? dit-elle d'une voix aiguë et
|
|
railleuse qui résonna étrangement dans l'obscurité.
|
|
|
|
-- Vous ne le pensez pas, chère âme! répondit d'Artagnan; mais
|
|
enfin, si ce pauvre comte de Wardes était moins coupable que vous
|
|
ne le pensez?
|
|
|
|
-- En tout cas dit gravement Milady, il m'a trompée, et du moment
|
|
où il m'a trompée il a mérité la mort.
|
|
|
|
-- Il mourra donc, puisque vous le condamnez!» dit d'Artagnan d'un
|
|
ton si ferme, qu'il parut à Milady l'expression d'un dévouement à
|
|
toute épreuve.
|
|
|
|
Aussitôt elle se rapprocha de lui.
|
|
|
|
Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour Milady; mais
|
|
d'Artagnan croyait être près d'elle depuis deux heures à peine
|
|
lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientôt envahit
|
|
la chambre de sa lueur blafarde.
|
|
|
|
Alors Milady, voyant que d'Artagnan allait la quitter, lui rappela
|
|
la promesse qu'il lui avait faite de la venger de de Wardes.
|
|
|
|
«Je suis tout prêt, dit d'Artagnan, mais auparavant je voudrais
|
|
être certain d'une chose.
|
|
|
|
-- De laquelle? demanda Milady.
|
|
|
|
-- C'est que vous m'aimez.
|
|
|
|
-- Je vous en ai donné la preuve, ce me semble.
|
|
|
|
-- Oui, aussi je suis à vous corps et âme.
|
|
|
|
-- Merci, mon brave amant! mais de même que je vous ai prouvé mon
|
|
amour, vous me prouverez le vôtre à votre tour, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Certainement. Mais si vous m'aimez comme vous me le dites,
|
|
reprit d'Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi?
|
|
|
|
-- Que puis-je craindre?
|
|
|
|
-- Mais enfin, que je sois blessé dangereusement, tué même.
|
|
|
|
-- Impossible, dit Milady, vous êtes un homme si vaillant et une
|
|
si fine épée.
|
|
|
|
-- Vous ne préféreriez donc point, reprit d'Artagnan, un moyen qui
|
|
vous vengerait de même tout en rendant inutile le combat.»
|
|
|
|
Milady regarda son amant en silence: cette lueur blafarde des
|
|
premiers rayons du jour donnait à ses yeux clairs une expression
|
|
étrangement funeste.
|
|
|
|
«Vraiment, dit-elle, je crois que voilà que vous hésitez
|
|
maintenant.
|
|
|
|
-- Non, je n'hésite pas; mais c'est que ce pauvre comte de Wardes
|
|
me fait vraiment peine depuis que vous ne l'aimez plus, et il me
|
|
semble qu'un homme doit être si cruellement puni par la perte
|
|
seule de votre amour, qu'il n'a pas besoin d'autre châtiment:
|
|
|
|
-- Qui vous dit que je l'aie aimé? demanda Milady.
|
|
|
|
-- Au moins puis-je croire maintenant sans trop de fatuité que
|
|
vous en aimez un autre, dit le jeune homme d'un ton caressant, et
|
|
je vous le répète, je m'intéresse au comte.
|
|
|
|
-- Vous? demanda Milady.
|
|
|
|
-- Oui moi.
|
|
|
|
-- Et pourquoi vous?
|
|
|
|
-- Parce que seul je sais...
|
|
|
|
-- Quoi?
|
|
|
|
-- Qu'il est loin d'être ou plutôt d'avoir été aussi coupable
|
|
envers vous qu'il le paraît.
|
|
|
|
-- En vérité! dit Milady d'un air inquiet; expliquez-vous, car je
|
|
ne sais vraiment ce que vous voulez dire.»
|
|
|
|
Et elle regardait d'Artagnan, qui la tenait embrassée avec des
|
|
yeux qui semblaient s'enflammer peu à peu.
|
|
|
|
«Oui, je suis galant homme, moi! dit d'Artagnan décidé à en finir;
|
|
et depuis que votre amour est à moi, que je suis bien sûr de le
|
|
posséder, car je le possède, n'est-ce pas?...
|
|
|
|
-- Tout entier, continuez.
|
|
|
|
-- Eh bien, je me sens comme transporté, un aveu me pèse.
|
|
|
|
-- Un aveu?
|
|
|
|
-- Si j'eusse douté de votre amour je ne l'eusse pas fait; mais
|
|
vous m'aimez, ma belle maîtresse? n'est-ce pas, vous m'aimez?
|
|
|
|
-- Sans doute.
|
|
|
|
-- Alors si par excès d'amour je me suis rendu coupable envers
|
|
vous, vous me pardonnerez?
|
|
|
|
-- Peut-être!»
|
|
|
|
D'Artagnan essaya, avec le plus doux sourire qu'il pût prendre, de
|
|
rapprocher ses lèvres des lèvres de Milady, mais celle-ci
|
|
l'écarta.
|
|
|
|
«Cet aveu, dit-elle en pâlissant, quel est cet aveu?
|
|
|
|
-- Vous aviez donné rendez-vous à de Wardes, jeudi dernier, dans
|
|
cette même chambre, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Moi, non! cela n'est pas, dit Milady d'un ton de voix si ferme
|
|
et d'un visage si impassible, que si d'Artagnan n'eût pas eu une
|
|
certitude si parfaite, il eût douté.
|
|
|
|
-- Ne mentez pas, mon bel ange, dit d'Artagnan en souriant, ce
|
|
serait inutile.
|
|
|
|
-- Comment cela? parlez donc! vous me faites mourir!
|
|
|
|
-- Oh! rassurez-vous, vous n'êtes point coupable envers moi, et je
|
|
vous ai déjà pardonné!
|
|
|
|
-- Après, après?
|
|
|
|
-- De Wardes ne peut se glorifier de rien.
|
|
|
|
-- Pourquoi? Vous m'avez dit vous-même que cette bague...
|
|
|
|
-- Cette bague, mon amour, c'est moi qui l'ai. Le comte de Wardes
|
|
de jeudi et le d'Artagnan d'aujourd'hui sont la même personne.»
|
|
|
|
L'imprudent s'attendait à une surprise mêlée de pudeur, à un petit
|
|
orage qui se résoudrait en larmes; mais il se trompait
|
|
étrangement, et son erreur ne fut pas longue.
|
|
|
|
Pâle et terrible, Milady se redressa, et, repoussant d'Artagnan
|
|
d'un violent coup dans la poitrine, elle s'élança hors du lit.
|
|
|
|
Il faisait alors presque grand jour.
|
|
|
|
D'Artagnan la retint par son peignoir de fine toile des Indes pour
|
|
implorer son pardon; mais elle, d'un mouvement puissant et résolu,
|
|
elle essaya de fuir. Alors la batiste se déchira en laissant à nu
|
|
les épaules et sur l'une de ces belles épaules rondes et blanches,
|
|
d'Artagnan avec un saisissement inexprimable, reconnut la fleur de
|
|
lis, cette marque indélébile qu'imprime la main infamante du
|
|
bourreau.
|
|
|
|
«Grand Dieu!» s'écria d'Artagnan en lâchant le peignoir.
|
|
|
|
Et il demeura muet, immobile et glacé sur le lit.
|
|
|
|
Mais Milady se sentait dénoncée par l'effroi même de d'Artagnan.
|
|
Sans doute il avait tout vu: le jeune homme maintenant savait son
|
|
secret, secret terrible, que tout le monde ignorait, excepté lui.
|
|
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Elle se retourna, non plus comme une femme furieuse mais comme une
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panthère blessée.
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«Ah! misérable, dit-elle, tu m'as lâchement trahie, et de plus tu
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as mon secret! Tu mourras!»
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Et elle courut à un coffret de marqueterie posé sur la toilette,
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l'ouvrit d'une main fiévreuse et tremblante, en tira un petit
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poignard à manche d'or, à la lame aiguë et mince et revint d'un
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bond sur d'Artagnan à demi nu.
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Quoique le jeune homme fût brave, on le sait, il fut épouvanté de
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cette figure bouleversée, de ces pupilles dilatées horriblement,
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de ces joues pâles et de ces lèvres sanglantes; il recula jusqu'à
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la ruelle, comme il eût fait à l'approche d'un serpent qui eût
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rampé vers lui, et son épée se rencontrant sous sa main souillée
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de sueur, il la tira du fourreau.
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Mais sans s'inquiéter de l'épée, Milady essaya de remonter sur le
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lit pour le frapper, et elle ne s'arrêta que lorsqu'elle sentit la
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pointe aiguë sur sa gorge.
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Alors elle essaya de saisir cette épée avec les mains mais
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d'Artagnan l'écarta toujours de ses étreintes et, la lui
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présentant tantôt aux yeux, tantôt à la poitrine, il se laissa
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glisser à bas du lit, cherchant pour faire retraite la porte qui
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conduisait chez Ketty.
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Milady, pendant ce temps, se ruait sur lui avec d'horribles
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transports, rugissant d'une façon formidable.
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Cependant cela ressemblait à un duel, aussi d'Artagnan se
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|
remettait petit à petit.
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«Bien, belle dame, bien! disait-il, mais, de par Dieu, calmez-
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vous, ou je vous dessine une seconde fleur de lis sur l'autre
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épaule.
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-- Infâme! infâme!» hurlait Milady.
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Mais d'Artagnan, cherchant toujours la porte, se tenait sur la
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défensive.
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Au bruit qu'ils faisaient, elle renversant les meubles pour aller
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à lui, lui s'abritant derrière les meubles pour se garantir
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d'elle, Ketty ouvrit la porte. D'Artagnan, qui avait sans cesse
|
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manoeuvré pour se rapprocher de cette porte, n'en était plus qu'à
|
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trois pas. D'un seul élan il s'élança de la chambre de Milady dans
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celle de la suivante, et, rapide comme l'éclair, il referma la
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porte, contre laquelle il s'appuya de tout son poids tandis que
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Ketty poussait les verrous.
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Alors Milady essaya de renverser l'arc-boutant qui l'enfermait
|
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dans sa chambre, avec des forces bien au-dessus de celles d'une
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femme; puis, lorsqu'elle sentit que c'était chose impossible, elle
|
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cribla la porte de coups de poignard, dont quelques-uns
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traversèrent l'épaisseur du bois.
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Chaque coup était accompagné d'une imprécation terrible.
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«Vite, vite, Ketty, dit d'Artagnan à demi-voix lorsque les verrous
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furent mis, fais-moi sortir de l'hôtel, ou si nous lui laissons le
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temps de se retourner, elle me fera tuer par les laquais.
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-- Mais vous ne pouvez pas sortir ainsi, dit Ketty, vous êtes tout
|
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nu.
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-- C'est vrai, dit d'Artagnan, qui s'aperçut alors seulement du
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|
costume dans lequel il se trouvait, c'est vrai; habille-moi comme
|
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tu pourras, mais hâtons-nous; comprends-tu, il y va de la vie et
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de la mort!»
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Ketty ne comprenait que trop; en un tour de main elle l'affubla
|
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d'une robe à fleurs, d'une large coiffe et d'un mantelet; elle lui
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donna des pantoufles, dans lesquelles il passa ses pieds nus, puis
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|
elle l'entraîna par les degrés. Il était temps, Milady avait déjà
|
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sonné et réveillé tout l'hôtel. Le portier tira le cordon à la
|
|
voix de Ketty au moment même où Milady, à demi nue de son côté,
|
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criait par la fenêtre:
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«N'ouvrez pas!»
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CHAPITRE XXXVIII
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COMMENT, SANS SE DÉRANGER, ATHOS TROUVA SON ÉQUIPEMENT
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Le jeune homme s'enfuit tandis qu'elle le menaçait encore d'un
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geste impuissant. Au moment où elle le perdit de vue, Milady tomba
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évanouie dans sa chambre.
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D'Artagnan était tellement bouleversé, que, sans s'inquiéter de ce
|
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que deviendrait Ketty, il traversa la moitié de Paris tout en
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courant, et ne s'arrêta que devant la porte d'Athos. L'égarement
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de son esprit, la terreur qui l'éperonnait, les cris de quelques
|
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patrouilles qui se mirent à sa poursuite, et les huées de quelques
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passants qui, malgré l'heure peu avancée, se rendaient à leurs
|
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affaires, ne firent que précipiter sa course.
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Il traversa la cour, monta les deux étages d'Athos et frappa à la
|
|
porte à tout rompre.
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Grimaud vint ouvrir les yeux bouffis de sommeil. D'Artagnan
|
|
s'élança avec tant de force dans l'antichambre qu'il faillit le
|
|
culbuter en entrant.
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|
Malgré le mutisme habituel du pauvre garçon, cette fois la parole
|
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lui revint.
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|
«Hé, là, là! s'écria-t-il, que voulez-vous, coureuse? que
|
|
demandez-vous, drôlesse?»
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|
D'Artagnan releva ses coiffes et dégagea ses mains de dessous son
|
|
mantelet; à la vue de ses moustaches et de son épée nue, le pauvre
|
|
diable s'aperçut qu'il avait affaire à un homme.
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Il crut alors que c'était quelque assassin.
|
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|
«Au secours! à l'aide! au secours! s'écria-t-il.
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|
-- Tais-toi, malheureux! dit le jeune homme, je suis d'Artagnan,
|
|
ne me reconnais-tu pas? Où est ton maître?
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-- Vous, monsieur d'Artagnan! s'écria Grimaud épouvanté.
|
|
Impossible.
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-- Grimaud, dit Athos sortant de son appartement en robe de
|
|
chambre, je crois que vous vous permettez de parler.
|
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|
-- Ah! monsieur! c'est que...
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|
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|
-- Silence.»
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|
Grimaud se contenta de montrer du doigt d'Artagnan à son maître.
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|
Athos reconnut son camarade, et, tout flegmatique qu'il était, il
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|
partit d'un éclat de rire que motivait bien la mascarade étrange
|
|
qu'il avait sous les yeux: coiffes de travers, jupes tombantes sur
|
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les souliers; manches retroussées et moustaches raides d'émotion.
|
|
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|
«Ne riez pas, mon ami, s'écria d'Artagnan; de par le Ciel ne riez
|
|
pas, car, sur mon âme, je vous le dis, il n'y a point de quoi
|
|
rire.»
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|
Et il prononça ces mots d'un air si solennel et avec une épouvante
|
|
si vraie qu'Athos lui prit aussitôt les mains en s'écriant:
|
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|
«Seriez-vous blessé, mon ami? vous êtes bien pâle!
|
|
|
|
-- Non, mais il vient de m'arriver un terrible événement. Êtes-
|
|
vous seul, Athos?
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|
-- Pardieu! qui voulez-vous donc qui soit chez moi à cette heure?
|
|
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|
-- Bien, bien.»
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|
Et d'Artagnan se précipita dans la chambre d'Athos.
|
|
|
|
«Hé, parlez! dit celui-ci en refermant la porte et en poussant les
|
|
verrous pour n'être pas dérangés. Le roi est-il mort? avez-vous
|
|
tué M. le cardinal? vous êtes tout renversé; voyons, voyons,
|
|
dites, car je meurs véritablement d'inquiétude.
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|
|
|
-- Athos, dit d'Artagnan se débarrassant de ses vêtements de femme
|
|
et apparaissant en chemise, préparez-vous à entendre une histoire
|
|
incroyable, inouïe.
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|
-- Prenez d'abord cette robe de chambre», dit le mousquetaire à
|
|
son ami.
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|
D'Artagnan passa la robe de chambre, prenant une manche pour une
|
|
autre tant il était encore ému.
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|
«Eh bien? dit Athos.
|
|
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|
-- Eh bien, répondit d'Artagnan en se courbant vers l'oreille
|
|
d'Athos et en baissant la voix, Milady est marquée d'une fleur de
|
|
lis à l'épaule.
|
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|
-- Ah! cria le mousquetaire comme s'il eût reçu une balle dans le
|
|
coeur.
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-- Voyons, dit d'Artagnan, êtes-vous sûr que l'autre soit bien
|
|
morte?
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|
-- L'autre? dit Athos d'une voix si sourde, qu'à peine si
|
|
d'Artagnan l'entendit.
|
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|
|
-- Oui, celle dont vous m'avez parlé un jour à Amiens.»
|
|
|
|
Athos poussa un gémissement et laissa tomber sa tête dans ses
|
|
mains.
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|
«Celle-ci, continua d'Artagnan, est une femme de vingt-six à
|
|
vingt-huit ans.
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|
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|
-- Blonde, dit Athos, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Oui.
|
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|
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-- Des yeux clairs, d'une clarté étrange, avec des cils et
|
|
sourcils noirs?
|
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|
|
-- Oui.
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|
|
|
-- Grande, bien faite? Il lui manque une dent près de l'oeillère
|
|
gauche.
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- La fleur de lis est petite, rousse de couleur et comme effacée
|
|
par les couches de pâte qu'on y applique.
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Cependant vous dites qu'elle est anglaise!
|
|
|
|
-- On l'appelle Milady, mais elle peut être française. Malgré
|
|
cela, Lord de Winter n'est que son beau-frère.
|
|
|
|
-- Je veux la voir, d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Prenez garde, Athos, prenez garde; vous avez voulu la tuer,
|
|
elle est femme à vous rendre la pareille et à ne pas vous manquer.
|
|
|
|
-- Elle n'osera rien dire, car ce serait se dénoncer elle-même.
|
|
|
|
-- Elle est capable de tout! L'avez-vous jamais vue furieuse?
|
|
|
|
-- Non, dit Athos.
|
|
|
|
-- Une tigresse, une panthère! Ah! mon cher Athos! j'ai bien peur
|
|
d'avoir attiré sur nous deux une vengeance terrible!»
|
|
|
|
D'Artagnan raconta tout alors: la colère insensée de Milady et ses
|
|
menaces de mort.
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|
|
|
«Vous avez raison, et, sur mon âme, je donnerais ma vie pour un
|
|
cheveu, dit Athos. Heureusement, c'est après-demain que nous
|
|
quittons Paris; nous allons, selon toute probabilité, à La
|
|
Rochelle, et une fois partis...
|
|
|
|
-- Elle vous suivra jusqu'au bout du monde, Athos, si elle vous
|
|
reconnaît; laissez donc sa haine s'exercer sur moi seul.
|
|
|
|
-- Ah! mon cher! que m'importe qu'elle me tue! dit Athos; est-ce
|
|
que par hasard vous croyez que je tiens à la vie?
|
|
|
|
-- Il y a quelque horrible mystère sous tout cela, Athos! cette
|
|
femme est l'espion du cardinal, j'en suis sûr!
|
|
|
|
-- En ce cas, prenez garde à vous. Si le cardinal ne vous a pas
|
|
dans une haute admiration pour l'affaire de Londres, il vous a en
|
|
grande haine; mais comme, au bout du compte, il ne peut rien vous
|
|
reprocher ostensiblement, et qu'il faut que haine se satisfasse,
|
|
surtout quand c'est une haine de cardinal, prenez garde à vous! Si
|
|
vous sortez, ne sortez pas seul; si vous mangez, prenez vos
|
|
précautions: méfiez-vous de tout enfin, même de votre ombre.
|
|
|
|
-- Heureusement, dit d'Artagnan, qu'il s'agit seulement d'aller
|
|
jusqu'à après-demain soir sans encombre, car une fois à l'armée
|
|
nous n'aurons plus, je l'espère, que des hommes à craindre.
|
|
|
|
-- En attendant, dit Athos, je renonce à mes projets de réclusion,
|
|
et je vais partout avec vous: il faut que vous retourniez rue des
|
|
Fossoyeurs, je vous accompagne.
|
|
|
|
-- Mais si près que ce soit d'ici, reprit d'Artagnan, je ne puis y
|
|
retourner comme cela.
|
|
|
|
-- C'est juste», dit Athos. Et il tira la sonnette.
|
|
|
|
Grimaud entra.
|
|
|
|
Athos lui fit signe d'aller chez d'Artagnan, et d'en rapporter des
|
|
habits.
|
|
|
|
Grimaud répondit par un autre signe qu'il comprenait parfaitement
|
|
et partit.
|
|
|
|
«Ah çà! mais voilà qui ne nous avance pas pour l'équipement cher
|
|
ami, dit Athos; car, si je ne m'abuse, vous avez laissé toute
|
|
votre défroque chez Milady, qui n'aura sans doute pas l'attention
|
|
de vous la retourner. Heureusement que vous avez le saphir.
|
|
|
|
-- Le saphir est à vous, mon cher Athos! ne m'avez-vous pas dit
|
|
que c'était une bague de famille?
|
|
|
|
-- Oui, mon père l'acheta deux mille écus, à ce qu'il me dit
|
|
autrefois; il faisait partie des cadeaux de noces qu'il fit à ma
|
|
mère; et il est magnifique. Ma mère me le donna, et moi, fou que
|
|
j'étais, plutôt que de garder cette bague comme une relique
|
|
sainte, je la donnai à mon tour à cette misérable.
|
|
|
|
-- Alors, mon cher, reprenez cette bague, à laquelle je comprends
|
|
que vous devez tenir.
|
|
|
|
-- Moi, reprendre cette bague, après qu'elle a passé par les mains
|
|
de l'infâme! jamais: cette bague est souillée, d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Vendez-la donc.
|
|
|
|
-- Vendre un diamant qui vient de ma mère! je vous avoue que je
|
|
regarderais cela comme une profanation.
|
|
|
|
-- Alors engagez-la, on vous prêtera bien dessus un millier
|
|
d'écus. Avec cette somme vous serez au-dessus de vos affaires,
|
|
puis, au premier argent qui vous rentrera, vous la dégagerez, et
|
|
vous la reprendrez lavée de ses anciennes taches, car elle aura
|
|
passé par les mains des usuriers.»
|
|
|
|
Athos sourit.
|
|
|
|
«Vous êtes un charmant compagnon, dit-il, mon cher d'Artagnan;
|
|
vous relevez par votre éternelle gaieté les pauvres esprits dans
|
|
l'affliction. Eh bien, oui, engageons cette bague, mais à une
|
|
condition!
|
|
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|
-- Laquelle?
|
|
|
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-- C'est qu'il y aura cinq cents écus pour vous et cinq cents écus
|
|
pour moi.
|
|
|
|
-- Y songez-vous, Athos? je n'ai pas besoin du quart de cette
|
|
somme, moi qui suis dans les gardes, et en vendant ma selle je me
|
|
la procurerai. Que me faut-il? Un cheval pour Planchet, voilà
|
|
tout. Puis vous oubliez que j'ai une bague aussi.
|
|
|
|
-- À laquelle vous tenez encore plus, ce me semble, que je ne
|
|
tiens, moi, à la mienne; du moins j'ai cru m'en apercevoir.
|
|
|
|
-- Oui, car dans une circonstance extrême elle peut nous tirer non
|
|
seulement de quelque grand embarras mais encore de quelque grand
|
|
danger; c'est non seulement un diamant précieux, mais c'est encore
|
|
un talisman enchanté.
|
|
|
|
Je ne vous comprends pas, mais je crois à ce que vous me dites.
|
|
Revenons donc à ma bague, ou plutôt à la vôtre, vous toucherez la
|
|
moitié de la somme qu'on nous donnera sur elle ou je la jette dans
|
|
la Seine, et je doute que, comme à Polycrate, quelque poisson soit
|
|
assez complaisant pour nous la rapporter.
|
|
|
|
-- Eh bien, donc, j'accepte!» dit d'Artagnan.
|
|
|
|
En ce moment Grimaud rentra accompagné de Planchet; celui-ci,
|
|
inquiet de son maître et curieux de savoir ce qui lui était
|
|
arrivé, avait profité de la circonstance et apportait les habits
|
|
lui-même.
|
|
|
|
D'Artagnan s'habilla, Athos en fit autant: puis quand tous deux
|
|
furent prêts à sortir, ce dernier fit à Grimaud le signe d'un
|
|
homme qui met en joue; celui-ci décrocha aussitôt son mousqueton
|
|
et s'apprêta à accompagner son maître.
|
|
|
|
Athos et d'Artagnan suivis de leurs valets arrivèrent sans
|
|
incident à la rue des Fossoyeurs. Bonacieux était sur la porte, il
|
|
regarda d'Artagnan d'un air goguenard.
|
|
|
|
«Eh, mon cher locataire! dit-il, hâtez-vous donc, vous avez une
|
|
belle jeune fille qui vous attend chez vous, et les femmes, vous
|
|
le savez, n'aiment pas qu'on les fasse attendre!
|
|
|
|
-- C'est Ketty!» s'écria d'Artagnan.
|
|
|
|
Et il s'élança dans l'allée.
|
|
|
|
Effectivement, sur le carré conduisant à sa chambre, et tapie
|
|
contre sa porte, il trouva la pauvre enfant toute tremblante. Dès
|
|
qu'elle l'aperçut:
|
|
|
|
«Vous m'avez promis votre protection, vous m'avez promis de me
|
|
sauver de sa colère, dit-elle; souvenez-vous que c'est vous qui
|
|
m'avez perdue!
|
|
|
|
-- Oui, sans doute, dit d'Artagnan, sois tranquille, Ketty. Mais
|
|
qu'est-il arrivé après mon départ?
|
|
|
|
-- Le sais-je? dit Ketty. Aux cris qu'elle a poussés les laquais
|
|
sont accourus elle était folle de colère; tout ce qu'il existe
|
|
d'imprécations elle les a vomies contre vous. Alors j'ai pensé
|
|
qu'elle se rappellerait que c'était par ma chambre que vous aviez
|
|
pénétré dans la sienne, et qu'alors elle songerait que j'étais
|
|
votre complice; j'ai pris le peu d'argent que j'avais, mes hardes
|
|
les plus précieuses, et je me suis sauvée.
|
|
|
|
-- Pauvre enfant! Mais que vais-je faire de toi? Je pars après-
|
|
demain.
|
|
|
|
-- Tout ce que vous voudrez, Monsieur le chevalier, faites-moi
|
|
quitter Paris, faites-moi quitter la France.
|
|
|
|
-- Je ne puis cependant pas t'emmener avec moi au siège de La
|
|
Rochelle, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Non; mais vous pouvez me placer en province, chez quelque dame
|
|
de votre connaissance: dans votre pays, par exemple.
|
|
|
|
-- Ah! ma chère amie! dans mon pays les dames n'ont point de
|
|
femmes de chambre. Mais, attends, j'ai ton affaire. Planchet, va
|
|
me chercher Aramis: qu'il vienne tout de suite. Nous avons quelque
|
|
chose de très important à lui dire.
|
|
|
|
-- Je comprends, dit Athos; mais pourquoi pas Porthos? Il me
|
|
semble que sa marquise...
|
|
|
|
-- La marquise de Porthos se fait habiller par les clercs de son
|
|
mari, dit d'Artagnan en riant. D'ailleurs Ketty ne voudrait pas
|
|
demeurer rue aux Ours, n'est-ce pas, Ketty?
|
|
|
|
-- Je demeurerai où l'on voudra, dit Ketty, pourvu que je sois
|
|
bien cachée et que l'on ne sache pas où je suis.
|
|
|
|
-- Maintenant, Ketty, que nous allons nous séparer, et par
|
|
conséquent que tu n'es plus jalouse de moi...
|
|
|
|
-- Monsieur le chevalier, de loin ou de près, dit Ketty, je vous
|
|
aimerai toujours.»
|
|
|
|
«Où diable la constance va-t-elle se nicher?» murmura Athos.
|
|
|
|
«Moi aussi, dit d'Artagnan, moi aussi, je t'aimerai toujours, sois
|
|
tranquille. Mais voyons, réponds-moi. Maintenant j'attache une
|
|
grande importance à la question que je te fais: n'aurais-tu jamais
|
|
entendu parler d'une jeune dame qu'on aurait enlevée pendant une
|
|
nuit.
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|
|
|
-- Attendez donc... Oh! mon Dieu! monsieur le chevalier, est-ce
|
|
que vous aimez encore cette femme?
|
|
|
|
-- Non, c'est un de mes amis qui l'aime. Tiens, c'est Athos que
|
|
voilà.
|
|
|
|
-- Moi! s'écria Athos avec un accent pareil à celui d'un homme qui
|
|
s'aperçoit qu'il va marcher sur une couleuvre.
|
|
|
|
-- Sans doute, vous! fit d'Artagnan en serrant la main d'Athos.
|
|
Vous savez bien l'intérêt que nous prenons tous à cette pauvre
|
|
petite Mme Bonacieux. D'ailleurs Ketty ne dira rien: n'est-ce pas,
|
|
Ketty? Tu comprends, mon enfant, continua d'Artagnan, c'est la
|
|
femme de cet affreux magot que tu as vu sur le pas de la porte en
|
|
entrant ici.
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|
-- Oh! mon Dieu! s'écria Ketty, vous me rappelez ma peur; pourvu
|
|
qu'il ne m'ait pas reconnue!
|
|
|
|
-- Comment, reconnue! tu as donc déjà vu cet homme?
|
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|
-- Il est venu deux fois chez Milady.
|
|
|
|
-- C'est cela. Vers quelle époque?
|
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|
-- Mais il y a quinze ou dix-huit jours à peu près.
|
|
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|
-- Justement.
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|
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|
-- Et hier soir il est revenu.
|
|
|
|
-- Hier soir.
|
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-- Oui, un instant avant que vous vinssiez vous-même.
|
|
|
|
-- Mon cher Athos, nous sommes enveloppés dans un réseau
|
|
d'espions! Et tu crois qu'il t'a reconnue, Ketty?
|
|
|
|
-- J'ai baissé ma coiffe en l'apercevant, mais peut-être était-il
|
|
trop tard.
|
|
|
|
-- Descendez, Athos, vous dont il se méfie moins que de moi, et
|
|
voyez s'il est toujours sur sa porte.»
|
|
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Athos descendit et remonta bientôt.
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«Il est parti, dit-il, et la maison est fermée.
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-- Il est allé faire son rapport, et dire que tous les pigeons
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sont en ce moment au colombier.
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-- Eh bien, mais, envolons-nous, dit Athos, et ne laissons ici que
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Planchet pour nous rapporter les nouvelles.
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-- Un instant! Et Aramis que nous avons envoyé chercher!
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-- C'est juste, dit Athos, attendons Aramis.
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En ce moment Aramis entra.
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On lui exposa l'affaire, et on lui dit comment il était urgent que
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parmi toutes ses hautes connaissances il trouvât une place à
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Ketty.
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Aramis réfléchit un instant, et dit en rougissant:
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«Cela vous rendra-t-il bien réellement service, d'Artagnan.
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-- Je vous en serai reconnaissant toute ma vie.
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-- Eh bien, Mme de Bois-Tracy m'a demandé, pour une de ses amies
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qui habite la province, je crois, une femme de chambre sûre; et si
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vous pouvez, mon cher d'Artagnan, me répondre de mademoiselle...
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-- Oh! monsieur, s'écria Ketty, je serai toute dévouée, soyez-en
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certain, à la personne qui me donnera les moyens de quitter Paris.
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-- Alors, dit Aramis, cela va pour le mieux.»
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Il se mit à une table et écrivit un petit mot qu'il cacheta avec
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une bague, et donna le billet à Ketty.
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«Maintenant, mon enfant, dit d'Artagnan, tu sais qu'il ne fait pas
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meilleur ici pour nous que pour toi. Ainsi séparons-nous. Nous
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nous retrouverons dans des jours meilleurs.
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-- Et dans quelque temps que nous nous retrouvions et dans quelque
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lieu que ce soit, dit Ketty, vous me retrouverez vous aimant
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encore comme je vous aime aujourd'hui.»
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«Serment de joueur», dit Athos pendant que d'Artagnan allait
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reconduire Ketty sur l'escalier.
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Un instant après, les trois jeunes gens se séparèrent en prenant
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rendez-vous à quatre heures chez Athos et en laissant Planchet
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pour garder la maison.
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Aramis rentra chez lui, et Athos et d'Artagnan s'inquiétèrent du
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placement du saphir.
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Comme l'avait prévu notre Gascon, on trouva facilement trois cents
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pistoles sur la bague. De plus, le juif annonça que si on voulait
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la lui vendre, comme elle lui ferait un pendant magnifique pour
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des boucles d'oreilles, il en donnerait jusqu'à cinq cents
|
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pistoles.
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Athos et d'Artagnan, avec l'activité de deux soldats et la science
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de deux connaisseurs, mirent trois heures à peine à acheter tout
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l'équipement du mousquetaire. D'ailleurs Athos était de bonne
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composition et grand seigneur jusqu'au bout des ongles. Chaque
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fois qu'une chose lui convenait, il payait le prix demandé sans
|
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essayer même d'en rabattre. D'Artagnan voulait bien là-dessus
|
|
faire ses observations, mais Athos lui posait la main sur l'épaule
|
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en souriant, et d'Artagnan comprenait que c'était bon pour lui,
|
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petit gentilhomme gascon, de marchander, mais non pour un homme
|
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qui avait les airs d'un prince.
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Le mousquetaire trouva un superbe cheval andalou, noir comme du
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jais, aux narines de feu, aux jambes fines et élégantes, qui
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prenait six ans. Il l'examina et le trouva sans défaut. On le lui
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fit mille livres.
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Peut-être l'eût-il eu pour moins; mais tandis que d'Artagnan
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discutait sur le prix avec le maquignon, Athos comptait les cent
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pistoles sur la table.
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Grimaud eut un cheval picard, trapu et fort, qui coûta trois cents
|
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livres.
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Mais la selle de ce dernier cheval et les armes de Grimaud
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achetées, il ne restait plus un sou des cent cinquante pistoles
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d'Athos. D'Artagnan offrit à son ami de mordre une bouchée dans la
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|
part qui lui revenait, quitte à lui rendre plus tard ce qu'il lui
|
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aurait emprunté.
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|
Mais Athos, pour toute réponse, se contenta de hausser les
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épaules.
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«Combien le juif donnait-il du saphir pour l'avoir en toute
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propriété? demanda Athos.
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-- Cinq cents pistoles.
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-- C'est-à-dire, deux cents pistoles de plus; cent pistoles pour
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vous, cent pistoles pour moi. Mais c'est une véritable fortune,
|
|
cela, mon ami, retournez chez le juif.
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-- Comment, vous voulez...
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-- Cette bague, décidément, me rappellerait de trop tristes
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souvenirs; puis nous n'aurons jamais trois cents pistoles à lui
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rendre, de sorte que nous perdrions deux mille livres à ce marché.
|
|
Allez lui dire que la bague est à lui, d'Artagnan, et revenez avec
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les deux cents pistoles.
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-- Réfléchissez, Athos.
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-- L'argent comptant est cher par le temps qui court, et il faut
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savoir faire des sacrifices. Allez, d'Artagnan, allez; Grimaud
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|
vous accompagnera avec son mousqueton.»
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|
Une demi-heure après, d'Artagnan revint avec les deux mille livres
|
|
et sans qu'il lui fût arrivé aucun accident.
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Ce fut ainsi qu'Athos trouva dans son ménage des ressources
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auxquelles il ne s'attendait pas.
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CHAPITRE XXXIX
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|
UNE VISION
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À quatre heures, les quatre amis étaient donc réunis chez Athos.
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Leurs préoccupations sur l'équipement avaient tout à fait disparu,
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et chaque visage ne conservait plus l'expression que de ses
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propres et secrètes inquiétudes; car derrière tout bonheur présent
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est cachée une crainte à venir.
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Tout à coup Planchet entra apportant deux lettres à l'adresse de
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d'Artagnan.
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L'une était un petit billet gentiment plié en long avec un joli
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cachet de cire verte sur lequel était empreinte une colombe
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rapportant un rameau vert.
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L'autre était une grande épître carrée et resplendissante des
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|
armes terribles de Son Éminence le cardinal-duc.
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|
À la vue de la petite lettre, le coeur de d'Artagnan bondit, car
|
|
il avait cru reconnaître l'écriture; et quoiqu'il n'eût vu cette
|
|
écriture qu'une fois, la mémoire en était restée au plus profond
|
|
de son coeur.
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|
Il prit donc la petite épître et la décacheta vivement.
|
|
|
|
«Promenez-vous, lui disait-on, mercredi prochain, de six heures à
|
|
sept heures du soir, sur la route de Chaillot, et regardez avec
|
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soin dans les carrosses qui passeront, mais si vous tenez à votre
|
|
vie et à celle des gens qui vous aiment, ne dites pas un mot, ne
|
|
faites pas un mouvement qui puisse faire croire que vous avez
|
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reconnu celle qui s'expose à tout pour vous apercevoir un
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|
instant.»
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Pas de signature.
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«C'est un piège, dit Athos, n'y allez pas, d'Artagnan.
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|
-- Cependant, dit d'Artagnan, il me semble bien reconnaître
|
|
l'écriture.
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-- Elle est peut-être contrefaite, reprit Athos; à six ou sept
|
|
heures, dans ce temps-ci, la route de Chaillot est tout à fait
|
|
déserte: autant que vous alliez vous promener dans la forêt de
|
|
Bondy.
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-- Mais si nous y allions tous! dit d'Artagnan; que diable! on ne
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|
nous dévorera point tous les quatre; plus, quatre laquais; plus,
|
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les chevaux; plus, les armes.
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|
-- Puis ce sera une occasion de montrer nos équipages, dit
|
|
Porthos.
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-- Mais si c'est une femme qui écrit, dit Aramis, et que cette
|
|
femme désire ne pas être vue, songez que vous la compromettez,
|
|
d'Artagnan: ce qui est mal de la part d'un gentilhomme.
|
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|
-- Nous resterons en arrière, dit Porthos, et lui seul s'avancera.
|
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|
-- Oui, mais un coup de pistolet est bientôt tiré d'un carrosse
|
|
qui marche au galop.
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|
-- Bah! dit d'Artagnan, on me manquera. Nous rejoindrons alors le
|
|
carrosse, et nous exterminerons ceux qui se trouvent dedans. Ce
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|
sera toujours autant d'ennemis de moins.
|
|
|
|
-- Il a raison, dit Porthos; bataille; il faut bien essayer nos
|
|
armes d'ailleurs.
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|
-- Bah! donnons-nous ce plaisir, dit Aramis de son air doux et
|
|
nonchalant.
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|
|
|
-- Comme vous voudrez, dit Athos.
|
|
|
|
-- Messieurs, dit d'Artagnan, il est quatre heures et demie, et
|
|
nous avons le temps à peine d'être à six heures sur la route de
|
|
Chaillot.
|
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|
|
-- Puis, si nous sortions trop tard, dit Porthos, on ne nous
|
|
verrait pas, ce qui serait dommage. Allons donc nous apprêter,
|
|
messieurs.
|
|
|
|
-- Mais cette seconde lettre, dit Athos, vous l'oubliez; il me
|
|
semble que le cachet indique cependant qu'elle mérite bien d'être
|
|
ouverte: quant à moi, je vous déclare, mon cher d'Artagnan, que je
|
|
m'en soucie bien plus que du petit brimborion que vous venez tout
|
|
doucement de glisser sur votre coeur.»
|
|
|
|
D'Artagnan rougit.
|
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|
|
«Eh bien, dit le jeune homme, voyons, messieurs, ce que me veut
|
|
Son Éminence.»
|
|
|
|
Et d'Artagnan décacheta la lettre et lut:
|
|
|
|
«M. d'Artagnan, garde du roi, compagnie des Essarts, est attendu
|
|
au Palais-Cardinal ce soir à huit heures.
|
|
|
|
«La Houdinière,
|
|
|
|
«Capitaine des gardes.»
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|
|
|
«Diable! dit Athos, voici un rendez-vous bien autrement inquiétant
|
|
que l'autre.
|
|
|
|
-- J'irai au second en sortant du premier, dit d'Artagnan: l'un
|
|
est pour sept heures, l'autre pour huit; il y aura temps pour
|
|
tout.
|
|
|
|
-- Hum! je n'irais pas, dit Aramis: un galant chevalier ne peut
|
|
manquer à un rendez-vous donné par une dame; mais un gentilhomme
|
|
prudent peut s'excuser de ne pas se rendre chez Son Éminence,
|
|
surtout lorsqu'il a quelque raison de croire que ce n'est pas pour
|
|
y recevoir des compliments.
|
|
|
|
-- Je suis de l'avis d'Aramis, dit Porthos.
|
|
|
|
-- Messieurs, répondit d'Artagnan, j'ai déjà reçu par M. de Cavois
|
|
pareille invitation de Son Éminence, je l'ai négligée, et le
|
|
lendemain il m'est arrivé un grand malheur! Constance a disparu;
|
|
quelque chose qui puisse advenir, j'irai.
|
|
|
|
-- Si c'est un parti pris, dit Athos, faites.
|
|
|
|
-- Mais la Bastille? dit Aramis.
|
|
|
|
-- Bah! vous m'en tirerez, reprit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Sans doute, reprirent Aramis et Porthos avec un aplomb
|
|
admirable et comme si c'était la chose la plus simple, sans doute
|
|
nous vous en tirerons; mais, en attendant, comme nous devons
|
|
partir après-demain, vous feriez mieux de ne pas risquer cette
|
|
Bastille.
|
|
|
|
-- Faisons mieux, dit Athos, ne le quittons pas de la soirée,
|
|
attendons-le chacun à une porte du palais avec trois mousquetaires
|
|
derrière nous; si nous voyons sortir quelque voiture à portière
|
|
fermée et à demi suspecte, nous tomberons dessus. Il y a longtemps
|
|
que nous n'avons eu maille à partir avec les gardes de M. le
|
|
cardinal, et M. de Tréville doit nous croire morts.
|
|
|
|
-- Décidément, Athos, dit Aramis, vous étiez fait pour être
|
|
général d'armée; que dites-vous du plan, messieurs?
|
|
|
|
-- Admirable! répétèrent en choeur les jeunes gens.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Porthos, je cours à l'hôtel, je préviens nos
|
|
camarades de se tenir prêts pour huit heures, le rendez-vous sera
|
|
sur la place du Palais-Cardinal; vous, pendant ce temps, faites
|
|
seller les chevaux par les laquais.
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|
-- Mais moi, je n'ai pas de cheval, dit d'Artagnan; mais je vais
|
|
en faire prendre un chez M. de Tréville.
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-- C'est inutile, dit Aramis, vous prendrez un des miens.
|
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|
-- Combien en avez-vous donc? demanda d'Artagnan.
|
|
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|
-- Trois, répondit en souriant Aramis.
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|
-- Mon cher! dit Athos, vous êtes certainement le poète le mieux
|
|
monté de France et de Navarre.
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|
-- Écoutez, mon cher Aramis, vous ne saurez que faire de trois
|
|
chevaux, n'est-ce pas? je ne comprends pas même que vous ayez
|
|
acheté trois chevaux.
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-- Aussi, je n'en ai acheté que deux, dit Aramis.
|
|
|
|
-- Le troisième vous est donc tombé du ciel?
|
|
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|
-- Non, le troisième m'a été amené ce matin même par un domestique
|
|
sans livrée qui n'a pas voulu me dire à qui il appartenait et qui
|
|
m'a affirmé avoir reçu l'ordre de son maître...
|
|
|
|
-- Ou de sa maîtresse, interrompit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- La chose n'y fait rien, dit Aramis en rougissant... et qui m'a
|
|
affirmé, dis-je, avoir reçu l'ordre de sa maîtresse de mettre ce
|
|
cheval dans mon écurie sans me dire de quelle part il venait.
|
|
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|
-- Il n'y a qu'aux poètes que ces choses-là arrivent, reprit
|
|
gravement Athos.
|
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|
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-- Eh bien, en ce cas, faisons mieux, dit d'Artagnan; lequel des
|
|
deux chevaux monterez-vous: celui que vous avez acheté, ou celui
|
|
qu'on vous a donné?
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|
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|
-- Celui que l'on m'a donné sans contredit; vous comprenez,
|
|
d'Artagnan, que je ne puis faire cette injure...
|
|
|
|
-- Au donateur inconnu, reprit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Ou à la donatrice mystérieuse, dit Athos.
|
|
|
|
-- Celui que vous avez acheté vous devient donc inutile?
|
|
|
|
-- À peu près.
|
|
|
|
-- Et vous l'avez choisi vous-même?
|
|
|
|
-- Et avec le plus grand soin; la sûreté du cavalier, vous le
|
|
savez, dépend presque toujours de son cheval!
|
|
|
|
-- Eh bien, cédez-le-moi pour le prix qu'il vous a coûté!
|
|
|
|
-- J'allais vous l'offrir, mon cher d'Artagnan, en vous donnant
|
|
tout le temps qui vous sera nécessaire pour me rendre cette
|
|
bagatelle.
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|
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|
-- Et combien vous coûte-t-il?
|
|
|
|
-- Huit cents livres.
|
|
|
|
-- Voici quarante doubles pistoles, mon cher ami, dit d'Artagnan
|
|
en tirant la somme de sa poche; je sais que c'est la monnaie avec
|
|
laquelle on vous paie vos poèmes.
|
|
|
|
-- Vous êtes donc en fonds? dit Aramis.
|
|
|
|
-- Riche, richissime, mon cher!»
|
|
|
|
Et d'Artagnan fit sonner dans sa poche le reste de ses pistoles.
|
|
|
|
«Envoyez votre selle à l'Hôtel des Mousquetaires, et l'on vous
|
|
amènera votre cheval ici avec les nôtres.
|
|
|
|
-- Très bien; mais il est bientôt cinq heures, hâtons-nous.»
|
|
|
|
Un quart d'heure après, Porthos apparut à un bout de la rue Férou
|
|
sur un genet magnifique; Mousqueton le suivait sur un cheval
|
|
d'Auvergne, petit, mais solide. Porthos resplendissait de joie et
|
|
d'orgueil.
|
|
|
|
En même temps Aramis apparut à l'autre bout de la rue monté sur un
|
|
superbe coursier anglais; Bazin le suivait sur un cheval rouan,
|
|
tenant en laisse un vigoureux mecklembourgeois: c'était la monture
|
|
de d'Artagnan.
|
|
|
|
Les deux mousquetaires se rencontrèrent à la porte: Athos et
|
|
d'Artagnan les regardaient par la fenêtre.
|
|
|
|
«Diable! dit Aramis, vous avez là un superbe cheval, mon cher
|
|
Porthos.
|
|
|
|
-- Oui, répondit Porthos; c'est celui qu'on devait m'envoyer tout
|
|
d'abord: une mauvaise plaisanterie du mari lui a substitué
|
|
l'autre; mais le mari a été puni depuis et j'ai obtenu toute
|
|
satisfaction.»
|
|
|
|
Planchet et Grimaud parurent alors à leur tour, tenant en main les
|
|
montures de leurs maîtres; d'Artagnan et Athos descendirent, se
|
|
mirent en selle près de leurs compagnons, et tous quatre se mirent
|
|
en marche: Athos sur le cheval qu'il devait à sa femme, Aramis sur
|
|
le cheval qu'il devait à sa maîtresse, Porthos sur le cheval qu'il
|
|
devait à sa procureuse, et d'Artagnan sur le cheval qu'il devait à
|
|
sa bonne fortune, la meilleure maîtresse qui soit.
|
|
|
|
Les valets suivirent.
|
|
|
|
Comme l'avait pensé Porthos, la cavalcade fit bon effet; et si
|
|
Mme Coquenard s'était trouvée sur le chemin de Porthos et eût pu
|
|
voir quel grand air il avait sur son beau genet d'Espagne, elle
|
|
n'aurait pas regretté la saignée qu'elle avait faite au coffre-
|
|
fort de son mari.
|
|
|
|
Près du Louvre les quatre amis rencontrèrent M. de Tréville qui
|
|
revenait de Saint-Germain; il les arrêta pour leur faire
|
|
compliment sur leur équipage, ce qui en un instant amena autour
|
|
d'eux quelques centaines de badauds.
|
|
|
|
D'Artagnan profita de la circonstance pour parler à M. de Tréville
|
|
de la lettre au grand cachet rouge et aux armes ducales; il est
|
|
bien entendu que de l'autre il n'en souffla point mot.
|
|
|
|
M. de Tréville approuva la résolution qu'il avait prise, et
|
|
l'assura que, si le lendemain il n'avait pas reparu, il saurait
|
|
bien le retrouver, lui, partout où il serait.
|
|
|
|
En ce moment, l'horloge de la Samaritaine sonna six heures; les
|
|
quatre amis s'excusèrent sur un rendez-vous, et prirent congé de
|
|
M. de Tréville.
|
|
|
|
Un temps de galop les conduisit sur la route de Chaillot; le jour
|
|
commençait à baisser, les voitures passaient et repassaient;
|
|
d'Artagnan, gardé à quelques pas par ses amis, plongeait ses
|
|
regards jusqu'au fond des carrosses, et n'y apercevait aucune
|
|
figure de connaissance.
|
|
|
|
Enfin, après, un quart d'heure d'attente et comme le crépuscule
|
|
tombait tout à fait, une voiture apparut, arrivant au grand galop
|
|
par la route de Sèvres; un pressentiment dit d'avance à d'Artagnan
|
|
que cette voiture renfermait la personne qui lui avait donné
|
|
rendez-vous: le jeune homme fut tout étonné lui-même de sentir son
|
|
coeur battre si violemment. Presque aussitôt une tête de femme
|
|
sortit par la portière, deux doigts sur la bouche, comme pour
|
|
recommander le silence, ou comme pour envoyer un baiser;
|
|
d'Artagnan poussa un léger cri de joie, cette femme, ou plutôt
|
|
cette apparition, car la voiture était passée avec la rapidité
|
|
d'une vision, était Mme Bonacieux.
|
|
|
|
Par un mouvement involontaire, et malgré la recommandation faite,
|
|
d'Artagnan lança son cheval au galop et en quelques bonds
|
|
rejoignit la voiture; mais la glace de la portière était
|
|
hermétiquement fermée: la vision avait disparu.
|
|
|
|
D'Artagnan se rappela alors cette recommandation: «Si vous tenez à
|
|
votre vie et à celle des personnes qui vous aiment, demeurez
|
|
immobile et comme si vous n'aviez rien vu.»
|
|
|
|
Il s'arrêta donc, tremblant non pour lui, mais pour la pauvre
|
|
femme qui évidemment s'était exposée à un grand péril en lui
|
|
donnant ce rendez-vous.
|
|
|
|
La voiture continua sa route toujours marchant à fond de train,
|
|
s'enfonça dans Paris et disparut.
|
|
|
|
D'Artagnan était resté interdit à la même place et ne sachant que
|
|
penser. Si c'était Mme Bonacieux et si elle revenait à Paris,
|
|
pourquoi ce rendez-vous fugitif, pourquoi ce simple échange d'un
|
|
coup d'oeil, pourquoi ce baiser perdu? Si d'un autre côté ce
|
|
n'était pas elle, ce qui était encore bien possible, car le peu de
|
|
jour qui restait rendait une erreur facile, si ce n'était pas
|
|
elle, ne serait-ce pas le commencement d'un coup de main monté
|
|
contre lui avec l'appât de cette femme pour laquelle on
|
|
connaissait son amour?
|
|
|
|
Les trois compagnons se rapprochèrent de lui. Tous trois avaient
|
|
parfaitement vu une tête de femme apparaître à la portière, mais
|
|
aucun d'eux, excepté Athos, ne connaissait Mme Bonacieux. L'avis
|
|
d'Athos, au reste, fut que c'était bien elle; mais moins préoccupé
|
|
que d'Artagnan de ce joli visage, il avait cru voir une seconde
|
|
tête, une tête d'homme au fond de la voiture.
|
|
|
|
«S'il en est ainsi, dit d'Artagnan, ils la transportent sans doute
|
|
d'une prison dans une autre. Mais que veulent-ils donc faire de
|
|
cette pauvre créature, et comment la rejoindrai-je jamais?
|
|
|
|
-- Ami, dit gravement Athos, rappelez-vous que les morts sont les
|
|
seuls qu'on ne soit pas exposé à rencontrer sur la terre. Vous en
|
|
savez quelque chose ainsi que moi, n'est-ce pas? Or, si votre
|
|
maîtresse n'est pas morte, si c'est elle que nous venons de voir,
|
|
vous la retrouverez un jour ou l'autre. Et peut-être, mon Dieu,
|
|
ajouta-t-il avec un accent misanthropique qui lui était propre,
|
|
peut être plus tôt que vous ne voudrez.»
|
|
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Sept heures et demie sonnèrent, la voiture était en retard d'une
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vingtaine de minutes sur le rendez-vous donné. Les amis de
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d'Artagnan lui rappelèrent qu'il avait une visite à faire, tout en
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lui faisant observer qu'il était encore temps de s'en dédire.
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Mais d'Artagnan était à la fois entêté et curieux. Il avait mis
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dans sa tête qu'il irait au Palais-Cardinal, et qu'il saurait ce
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que voulait lui dire Son Éminence. Rien ne put le faire changer de
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résolution.
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On arriva rue Saint-Honoré, et place du Palais-Cardinal on trouva
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les douze mousquetaires convoqués qui se promenaient en attendant
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leurs camarades. Là seulement, on leur expliqua ce dont il était
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question.
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D'Artagnan était fort connu dans l'honorable corps des
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mousquetaires du roi, où l'on savait qu'il prendrait un jour sa
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place; on le regardait donc d'avance comme un camarade. Il résulta
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de ces antécédents que chacun accepta de grand coeur la mission
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pour laquelle il était convié; d'ailleurs il s'agissait, selon
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toute probabilité, de jouer un mauvais tour à M. le cardinal et à
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ses gens, et pour de pareilles expéditions, ces dignes
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gentilshommes étaient toujours prêts.
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Athos les partagea donc en trois groupes, prit le commandement de
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l'un, donna le second à Aramis et le troisième à Porthos, puis
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chaque groupe alla s'embusquer en face d'une sortie.
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D'Artagnan, de son côté, entra bravement par la porte principale.
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Quoiqu'il se sentît vigoureusement appuyé, le jeune homme n'était
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pas sans inquiétude en montant pas à pas le grand escalier. Sa
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conduite avec Milady ressemblait tant soit peu à une trahison, et
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il se doutait des relations politiques qui existaient entre cette
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femme et le cardinal; de plus, de Wardes, qu'il avait si mal
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accommodé, était des fidèles de Son Éminence, et d'Artagnan savait
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que si Son Éminence était terrible à ses ennemis, elle était fort
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attachée à ses amis.
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«Si de Wardes a raconté toute notre affaire au cardinal, ce qui
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n'est pas douteux, et s'il m'a reconnu, ce qui est probable, je
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dois me regarder à peu près comme un homme condamné, disait
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d'Artagnan en secouant la tête. Mais pourquoi a-t-il attendu
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jusqu'aujourd'hui? C'est tout simple, Milady aura porté plainte
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contre moi avec cette hypocrite douleur qui la rend si
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intéressante, et ce dernier crime aura fait déborder le vase.
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«Heureusement, ajouta-t-il, mes bons amis sont en bas, et ils ne
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me laisseront pas emmener sans me défendre. Cependant la compagnie
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des mousquetaires de M. de Tréville ne peut pas faire à elle seule
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la guerre au cardinal, qui dispose des forces de toute la France,
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et devant lequel la reine est sans pouvoir et le roi sans volonté.
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D'Artagnan, mon ami, tu es brave, tu as d'excellentes qualités,
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mais les femmes te perdront!»
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Il en était à cette triste conclusion lorsqu'il entra dans
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l'antichambre. Il remit sa lettre à l'huissier de service qui le
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fit passer dans la salle d'attente et s'enfonça dans l'intérieur
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du palais.
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Dans cette salle d'attente étaient cinq ou six gardes de M. le
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cardinal, qui, reconnaissant d'Artagnan et sachant que c'était lui
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qui avait blessé Jussac, le regardèrent en souriant d'un singulier
|
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sourire.
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Ce sourire parut à d'Artagnan d'un mauvais augure; seulement,
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comme notre Gascon n'était pas facile à intimider, ou que plutôt,
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grâce à un grand orgueil naturel aux gens de son pays, il ne
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laissait pas voir facilement ce qui se passait dans son âme, quand
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ce qui s'y passait ressemblait à de la crainte, il se campa
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fièrement devant MM. les gardes et attendit la main sur la hanche,
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dans une attitude qui ne manquait pas de majesté.
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L'huissier rentra et fit signe à d'Artagnan de le suivre. Il
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sembla au jeune homme que les gardes, en le regardant s'éloigner,
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chuchotaient entre eux.
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Il suivit un corridor, traversa un grand salon, entra dans une
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bibliothèque, et se trouva en face d'un homme assis devant un
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bureau et qui écrivait.
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L'huissier l'introduisit et se retira sans dire une parole.
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D'Artagnan crut d'abord qu'il avait affaire à quelque juge
|
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examinant son dossier, mais il s'aperçut que l'homme de bureau
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écrivait ou plutôt corrigeait des lignes d'inégales longueurs, en
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scandant des mots sur ses doigts; il vit qu'il était en face d'un
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poète. Au bout d'un instant, le poète ferma son manuscrit sur la
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couverture duquel était écrit: _Mirame_, tragédie en cinq actes,
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et leva la tête.
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D'Artagnan reconnut le cardinal.
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CHAPITRE XL
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LE CARDINAL
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Le cardinal appuya son coude sur son manuscrit, sa joue sur sa
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main, et regarda un instant le jeune homme. Nul n'avait l'oeil
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plus profondément scrutateur que le cardinal de Richelieu, et
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d'Artagnan sentit ce regard courir par ses veines comme une
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fièvre.
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Cependant il fit bonne contenance, tenant son feutre à la main, et
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attendant le bon plaisir de Son Éminence, sans trop d'orgueil,
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mais aussi sans trop d'humilité.
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«Monsieur, lui dit le cardinal, êtes-vous un d'Artagnan du Béarn?
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-- Oui, Monseigneur, répondit le jeune homme.
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-- Il y a plusieurs branches de d'Artagnan à Tarbes et dans les
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environs, dit le cardinal, à laquelle appartenez-vous?
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-- Je suis le fils de celui qui a fait les guerres de religion
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avec le grand roi Henri, père de Sa Gracieuse Majesté.
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-- C'est bien cela. C'est vous qui êtes parti, il y a sept à huit
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|
mois à peu près, de votre pays, pour venir chercher fortune dans
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la capitale?
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-- Oui, Monseigneur.
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-- Vous êtes venu par Meung, où il vous est arrivé quelque chose,
|
|
je ne sais plus trop quoi, mais enfin quelque chose.
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|
Monseigneur, dit d'Artagnan, voici ce qui m'est arrivé...
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-- Inutile, inutile, reprit le cardinal avec un sourire qui
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indiquait qu'il connaissait l'histoire aussi bien que celui qui
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voulait la lui raconter; vous étiez recommandé à M. de Tréville,
|
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n'est-ce pas?
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-- Oui, Monseigneur; mais justement, dans cette malheureuse
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|
affaire de Meung...
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-- La lettre avait été perdue, reprit l'Éminence; oui, je sais
|
|
cela; mais M. de Tréville est un habile physionomiste qui connaît
|
|
les hommes à la première vue, et il vous a placé dans la compagnie
|
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de son beau-frère, M. des Essarts, en vous laissant espérer qu'un
|
|
jour ou l'autre vous entreriez dans les mousquetaires.
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-- Monseigneur est parfaitement renseigné, dit d'Artagnan.
|
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|
|
Depuis ce temps-là, il vous est arrivé bien des choses: vous vous
|
|
êtes promené derrière les Chartreux, un jour qu'il eût mieux valu
|
|
que vous fussiez ailleurs; puis, vous avez fait avec vos amis un
|
|
voyage aux eaux de Forges; eux se sont arrêtés en route; mais
|
|
vous, vous avez continué votre chemin. C'est tout simple, vous
|
|
aviez des affaires en Angleterre.
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|
-- Monseigneur, dit d'Artagnan tout interdit, j'allais.
|
|
|
|
-- À la chasse, à Windsor, ou ailleurs, cela ne regarde personne.
|
|
Je sais cela, moi, parce que mon état est de tout savoir. À votre
|
|
retour, vous avez été reçu par une auguste personne, et je vois
|
|
avec plaisir que vous avez conservé le souvenir qu'elle vous a
|
|
donné.»
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-- D'Artagnan porta la main au diamant qu'il tenait de la reine,
|
|
et en tourna vivement le chaton en dedans; mais il était trop
|
|
tard.
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|
|
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«Le lendemain de ce jour vous avez reçu la visite de Cavois,
|
|
reprit le cardinal; il allait vous prier de passer au palais;
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cette visite vous ne la lui avez pas rendue, et vous avez eu tort.
|
|
|
|
-- Monseigneur, je craignais d'avoir encouru la disgrâce de Votre
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|
Éminence.
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-- Eh! pourquoi cela, monsieur? pour avoir suivi les ordres de vos
|
|
supérieurs avec plus d'intelligence et de courage que ne l'eût
|
|
fait un autre, encourir ma disgrâce quand vous méritiez des
|
|
éloges! Ce sont les gens qui n'obéissent pas que je punis, et non
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pas ceux qui, comme vous, obéissent... trop bien... Et, la preuve,
|
|
rappelez-vous la date du jour où je vous avais fait dire de me
|
|
venir voir, et cherchez dans votre mémoire ce qui est arrivé le
|
|
soir même.»
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|
|
|
C'était le soir même qu'avait eu lieu l'enlèvement de
|
|
Mme Bonacieux. D'Artagnan frissonna; et il se rappela qu'une demi-
|
|
heure auparavant la pauvre femme était passée près de lui, sans
|
|
doute encore emportée par la même puissance qui l'avait fait
|
|
disparaître.
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|
|
«Enfin, continua le cardinal, comme je n'entendais pas parler de
|
|
vous depuis quelque temps, j'ai voulu savoir ce que vous faisiez.
|
|
D'ailleurs, vous me devez bien quelque remerciement: vous avez
|
|
remarqué vous-même combien vous avez été ménagé dans toutes les
|
|
circonstances.
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|
D'Artagnan s'inclina avec respect.
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|
|
|
«Cela, continua le cardinal, partait non seulement d'un sentiment
|
|
d'équité naturelle, mais encore d'un plan que je m'étais tracé à
|
|
votre égard.
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|
D'Artagnan était de plus en plus étonné.
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|
|
|
«Je voulais vous exposer ce plan le jour où vous reçûtes ma
|
|
première invitation; mais vous n'êtes pas venu. Heureusement, rien
|
|
n'est perdu pour ce retard, et aujourd'hui vous allez l'entendre.
|
|
Asseyez-vous là, devant moi, monsieur d'Artagnan: vous êtes assez
|
|
bon gentilhomme pour ne pas écouter debout.»
|
|
|
|
Et le cardinal indiqua du doigt une chaise au jeune homme, qui
|
|
était si étonné de ce qui se passait, que, pour obéir, il attendit
|
|
un second signe de son interlocuteur.
|
|
|
|
«Vous êtes brave, monsieur d'Artagnan, continua l'Éminence; vous
|
|
êtes prudent, ce qui vaut mieux. J'aime les hommes de tête et de
|
|
coeur, moi; ne vous effrayez pas, dit-il en souriant, par les
|
|
hommes de coeur, j'entends les hommes de courage; mais, tout jeune
|
|
que vous êtes, et à peine entrant dans le monde, vous avez des
|
|
ennemis puissants: si vous n'y prenez garde, ils vous perdront!
|
|
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|
-- Hélas! Monseigneur, répondit le jeune homme, ils le feront bien
|
|
facilement, sans doute; car ils sont forts et bien appuyés, tandis
|
|
que moi je suis seul!
|
|
|
|
-- Oui, c'est vrai; mais, tout seul que vous êtes, vous avez déjà
|
|
fait beaucoup, et vous ferez encore plus, je n'en doute pas.
|
|
Cependant, vous avez, je le crois, besoin d'être guidé dans
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|
l'aventureuse carrière que vous avez entreprise; car, si je ne me
|
|
trompe, vous êtes venu à Paris avec l'ambitieuse idée de faire
|
|
fortune.
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|
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|
-- Je suis dans l'âge des folles espérances, Monseigneur, dit
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
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-- Il n'y a de folles espérances que pour les sots, monsieur, et
|
|
vous êtes homme d'esprit. Voyons, que diriez-vous d'une enseigne
|
|
dans mes gardes, et d'une compagnie après la campagne?
|
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|
-- Ah! Monseigneur!
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|
-- Vous acceptez, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Monseigneur, reprit d'Artagnan d'un air embarrassé.
|
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|
-- Comment, vous refusez? s'écria le cardinal avec étonnement.
|
|
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|
-- Je suis dans les gardes de Sa Majesté, Monseigneur, et je n'ai
|
|
point de raisons d'être mécontent.
|
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|
-- Mais il me semble, dit l'Éminence, que mes gardes, à moi, sont
|
|
aussi les gardes de Sa Majesté, et que, pourvu qu'on serve dans un
|
|
corps français, on sert le roi.
|
|
|
|
-- Monseigneur, Votre Éminence a mal compris mes paroles.
|
|
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-- Vous voulez un prétexte, n'est-ce pas? Je comprends. Eh bien,
|
|
ce prétexte, vous l'avez. L'avancement, la campagne qui s'ouvre,
|
|
l'occasion que je vous offre, voilà pour le monde; pour vous, le
|
|
besoin de protections sûres; car il est bon que vous sachiez,
|
|
monsieur d'Artagnan, que j'ai reçu des plaintes graves contre
|
|
vous, vous ne consacrez pas exclusivement vos jours et vos nuits
|
|
au service du roi.»
|
|
|
|
D'Artagnan rougit.
|
|
|
|
«Au reste, continua le cardinal en posant la main sur une liasse
|
|
de papiers, j'ai là tout un dossier qui vous concerne; mais avant
|
|
de le lire, j'ai voulu causer avec vous. Je vous sais homme
|
|
de résolution et vos services bien dirigés, au lieu de vous mener
|
|
à mal pourraient vous rapporter beaucoup. Allons, réfléchissez, et
|
|
décidez-vous.
|
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-- Votre bonté me confond, Monseigneur, répondit d'Artagnan, et je
|
|
reconnais dans Votre Éminence une grandeur d'âme qui me fait petit
|
|
comme un ver de terre; mais enfin, puisque Monseigneur me permet
|
|
de lui parler franchement...»
|
|
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|
D'Artagnan s'arrêta.
|
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|
|
«Oui, parlez.
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|
|
|
-- Eh bien, je dirai à Votre Éminence que tous mes amis sont aux
|
|
mousquetaires et aux gardes du roi, et que mes ennemis, par une
|
|
fatalité inconcevable, sont à Votre Éminence; je serais donc mal
|
|
venu ici et mal regardé là-bas, si j'acceptais ce que m'offre
|
|
Monseigneur.
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-- Auriez-vous déjà cette orgueilleuse idée que je ne vous offre
|
|
pas ce que vous valez, monsieur? dit le cardinal avec un sourire
|
|
de dédain.
|
|
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|
-- Monseigneur, Votre Éminence est cent fois trop bonne pour moi,
|
|
et au contraire je pense n'avoir point encore fait assez pour être
|
|
digne de ses bontés. Le siège de La Rochelle va s'ouvrir,
|
|
Monseigneur; je servirai sous les yeux de Votre Éminence, et si
|
|
j'ai le bonheur de me conduire à ce siège de telle façon que je
|
|
mérite d'attirer ses regards, eh bien, après j'aurai au moins
|
|
derrière moi quelque action d'éclat pour justifier la protection
|
|
dont elle voudra bien m'honorer. Toute chose doit se faire à son
|
|
temps, Monseigneur; peut-être plus tard aurai-je le droit de me
|
|
donner, à cette heure j'aurais l'air de me vendre.
|
|
|
|
-- C'est-à-dire que vous refusez de me servir, monsieur, dit le
|
|
cardinal avec un ton de dépit dans lequel perçait cependant une
|
|
sorte d'estime; demeurez donc libre et gardez vos haines et vos
|
|
sympathies.
|
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|
-- Monseigneur...
|
|
|
|
Bien, bien, dit le cardinal, je ne vous en veux pas, mais vous
|
|
comprenez, on a assez de défendre ses amis et de les récompenser,
|
|
on ne doit rien à ses ennemis, et cependant je vous donnerai un
|
|
conseil: tenez-vous bien, monsieur d'Artagnan, car, du moment que
|
|
j'aurai retiré ma main de dessus vous, je n'achèterai pas votre
|
|
vie pour une obole.
|
|
|
|
-- J'y tâcherai, Monseigneur, répondit le Gascon avec une noble
|
|
assurance.
|
|
|
|
-- Songez plus tard, et à un certain moment, s'il vous arrive
|
|
malheur, dit Richelieu avec intention, que c'est moi qui ai été
|
|
vous chercher, et que j'ai fait ce que j'ai pu pour que ce malheur
|
|
ne vous arrivât pas.
|
|
|
|
-- J'aurai, quoi qu'il arrive, dit d'Artagnan en mettant la main
|
|
sur sa poitrine et en s'inclinant, une éternelle reconnaissance à
|
|
Votre Éminence de ce qu'elle fait pour moi en ce moment.
|
|
|
|
-- Eh bien donc! comme vous l'avez dit, monsieur d'Artagnan, nous
|
|
nous reverrons après la campagne; je vous suivrai des yeux; car je
|
|
serai là-bas, reprit le cardinal en montrant du doigt à d'Artagnan
|
|
une magnifique armure qu'il devait endosser, et à notre retour, eh
|
|
bien, nous compterons!
|
|
|
|
-- Ah! Monseigneur, s'écria d'Artagnan, épargnez-moi le poids de
|
|
votre disgrâce; restez neutre, Monseigneur, si vous trouvez que
|
|
j'agis en galant homme.
|
|
|
|
-- Jeune homme, dit Richelieu, si je puis vous dire encore une
|
|
fois ce que je vous ai dit aujourd'hui, je vous promets de vous le
|
|
dire.»
|
|
|
|
Cette dernière parole de Richelieu exprimait un doute terrible;
|
|
elle consterna d'Artagnan plus que n'eût fait une menace, car
|
|
c'était un avertissement. Le cardinal cherchait donc à le
|
|
préserver de quelque malheur qui le menaçait. Il ouvrit la bouche
|
|
pour répondre, mais d'un geste hautain, le cardinal le congédia.
|
|
|
|
D'Artagnan sortit; mais à la porte le coeur fut prêt à lui
|
|
manquer, et peu s'en fallut qu'il ne rentrât. Cependant la figure
|
|
grave et sévère d'Athos lui apparut: s'il faisait avec le cardinal
|
|
le pacte que celui-ci lui proposait, Athos ne lui donnerait plus
|
|
la main, Athos le renierait.
|
|
|
|
Ce fut cette crainte qui le retint, tant est puissante l'influence
|
|
d'un caractère vraiment grand sur tout ce qui l'entoure.
|
|
|
|
D'Artagnan descendit par le même escalier qu'il était entré, et
|
|
trouva devant la porte Athos et les quatre mousquetaires qui
|
|
attendaient son retour et qui commençaient à s'inquiéter. D'un mot
|
|
d'Artagnan les rassura, et Planchet courut prévenir les autres
|
|
postes qu'il était inutile de monter une plus longue garde,
|
|
attendu que son maître était sorti sain et sauf du Palais-
|
|
Cardinal.
|
|
|
|
Rentrés chez Athos, Aramis et Porthos s'informèrent des causes de
|
|
cet étrange rendez-vous; mais d'Artagnan se contenta de leur dire
|
|
que M. de Richelieu l'avait fait venir pour lui proposer d'entrer
|
|
dans ses gardes avec le grade d'enseigne, et qu'il avait refusé.
|
|
|
|
«Et vous avez eu raison», s'écrièrent d'une seule voix Porthos et
|
|
Aramis.
|
|
|
|
Athos tomba dans une profonde rêverie et ne répondit rien. Mais
|
|
lorsqu'il fut seul avec d'Artagnan:
|
|
|
|
«Vous avez fait ce que vous deviez faire, d'Artagnan, dit Athos,
|
|
mais peut-être avez-vous eu tort.»
|
|
|
|
D'Artagnan poussa un soupir; car cette voix répondait à une voix
|
|
secrète de son âme, qui lui disait que de grands malheurs
|
|
l'attendaient.
|
|
|
|
La journée du lendemain se passa en préparatifs de départ;
|
|
d'Artagnan alla faire ses adieux à M. de Tréville. À cette heure
|
|
on croyait encore que la séparation des gardes et des
|
|
mousquetaires serait momentanée, le roi tenant son parlement le
|
|
jour même et devant partir le lendemain. M. de Tréville se
|
|
contenta donc de demander à d'Artagnan s'il avait besoin de lui,
|
|
mais d'Artagnan répondit fièrement qu'il avait tout ce qu'il lui
|
|
fallait.
|
|
|
|
La nuit réunit tous les camarades de la compagnie des gardes de
|
|
M. des Essarts et de la compagnie des mousquetaires de
|
|
M. de Tréville, qui avaient fait amitié ensemble. On se quittait
|
|
pour se revoir quand il plairait à Dieu et s'il plaisait à Dieu.
|
|
La nuit fut donc des plus bruyantes, comme on peut le penser, car,
|
|
en pareil cas, on ne peut combattre l'extrême préoccupation que
|
|
par l'extrême insouciance.
|
|
|
|
Le lendemain, au premier son des trompettes, les amis se
|
|
quittèrent: les mousquetaires coururent à l'hôtel de
|
|
M. de Tréville, les gardes à celui de M. des Essarts. Chacun des
|
|
capitaines conduisit aussitôt sa compagnie au Louvre, où le roi
|
|
passait sa revue.
|
|
|
|
Le roi était triste et paraissait malade, ce qui lui ôtait un peu
|
|
de sa haute mine. En effet, la veille, la fièvre l'avait pris au
|
|
milieu du parlement et tandis qu'il tenait son lit de justice. Il
|
|
n'en était pas moins décidé à partir le soir même; et, malgré les
|
|
observations qu'on lui avait faites, il avait voulu passer sa
|
|
revue, espérant, par le premier coup de vigueur, vaincre la
|
|
maladie qui commençait à s'emparer de lui.
|
|
|
|
La revue passée, les gardes se mirent seuls en marche, les
|
|
mousquetaires ne devant partir qu'avec le roi, ce qui permit à
|
|
Porthos d'aller faire, dans son superbe équipage, un tour dans la
|
|
rue aux Ours.
|
|
|
|
La procureuse le vit passer dans son uniforme neuf et sur son beau
|
|
cheval. Elle aimait trop Porthos pour le laisser partir ainsi;
|
|
elle lui fit signe de descendre et de venir auprès d'elle. Porthos
|
|
était magnifique; ses éperons résonnaient, sa cuirasse brillait,
|
|
son épée lui battait fièrement les jambes. Cette fois les clercs
|
|
n'eurent aucune envie de rire, tant Porthos avait l'air d'un
|
|
coupeur d'oreilles.
|
|
|
|
Le mousquetaire fut introduit près de M. Coquenard, dont le petit
|
|
oeil gris brilla de colère en voyant son cousin tout flambant
|
|
neuf. Cependant une chose le consola intérieurement; c'est qu'on
|
|
disait partout que la campagne serait rude: il espérait tout
|
|
doucement, au fond du coeur, que Porthos y serait tué.
|
|
|
|
Porthos présenta ses compliments à maître Coquenard et lui fit ses
|
|
adieux; maître Coquenard lui souhaita toutes sortes de
|
|
prospérités. Quant à Mme Coquenard, elle ne pouvait retenir ses
|
|
larmes; mais on ne tira aucune mauvaise conséquence de sa douleur,
|
|
on la savait fort attachée à ses parents, pour lesquels elle avait
|
|
toujours eu de cruelles disputes avec son mari.
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Mais les véritables adieux se firent dans la chambre de
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Mme Coquenard: ils furent déchirants.
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Tant que la procureuse put suivre des yeux son amant, elle agita
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un mouchoir en se penchant hors de la fenêtre, à croire qu'elle
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voulait se précipiter. Porthos reçut toutes ces marques de
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tendresse en homme habitué à de pareilles démonstrations.
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Seulement, en tournant le coin de la rue, il souleva son feutre et
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l'agita en signe d'adieu.
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De son côté, Aramis écrivait une longue lettre. À qui? Personne
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n'en savait rien. Dans la chambre voisine, Ketty, qui devait
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partir le soir même pour Tours, attendait cette lettre
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mystérieuse.
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Athos buvait à petits coups la dernière bouteille de son vin
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d'Espagne.
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Pendant ce temps, d'Artagnan défilait avec sa compagnie.
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En arrivant au faubourg Saint-Antoine, il se retourna pour
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regarder gaiement la Bastille; mais, comme c'était la Bastille
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seulement qu'il regardait, il ne vit point Milady, qui, montée sur
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un cheval isabelle, le désignait du doigt à deux hommes de
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mauvaise mine qui s'approchèrent aussitôt des rangs pour le
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reconnaître. Sur une interrogation qu'ils firent du regard, Milady
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répondit par un signe que c'était bien lui. Puis, certaine qu'il
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ne pouvait plus y avoir de méprise dans l'exécution de ses ordres,
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elle piqua son cheval et disparut.
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Les deux hommes suivirent alors la compagnie, et, à la sortie du
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faubourg Saint-Antoine, montèrent sur des chevaux tout préparés
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qu'un domestique sans livrée tenait en les attendant.
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CHAPITRE XLI
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LE SIÈGE DE LA ROCHELLE
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Le siège de La Rochelle fut un des grands événements politiques du
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règne de Louis XIII, et une des grandes entreprises militaires du
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cardinal. Il est donc intéressant, et même nécessaire, que nous en
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disions quelques mots; plusieurs détails de ce siège se liant
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d'ailleurs d'une manière trop importante à l'histoire que nous
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avons entrepris de raconter, pour que nous les passions sous
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silence.
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Les vues politiques du cardinal, lorsqu'il entreprit ce siège,
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étaient considérables. Exposons-les d'abord, puis nous passerons
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aux vues particulières qui n'eurent peut-être pas sur Son Éminence
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moins d'influence que les premières.
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Des villes importantes données par Henri IV aux huguenots comme
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places de sûreté, il ne restait plus que La Rochelle. Il
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s'agissait donc de détruire ce dernier boulevard du calvinisme,
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levain dangereux, auquel se venaient incessamment mêler des
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ferments de révolte civile ou de guerre étrangère.
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Espagnols, Anglais, Italiens mécontents, aventuriers de toute
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nation, soldats de fortune de toute secte accouraient au premier
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appel sous les drapeaux des protestants et s'organisaient comme
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une vaste association dont les branches divergeaient à loisir sur
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tous les points de l'Europe.
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La Rochelle, qui avait pris une nouvelle importance de la ruine
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des autres villes calvinistes, était donc le foyer des dissensions
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et des ambitions. Il y avait plus, son port était la dernière
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porte ouverte aux Anglais dans le royaume de France; et en la
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fermant à l'Angleterre, notre éternelle ennemie, le cardinal
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achevait l'oeuvre de Jeanne d'Arc et du duc de Guise.
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Aussi Bassompierre, qui était à la fois protestant et catholique,
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protestant de conviction et catholique comme commandeur du Saint-
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Esprit; Bassompierre, qui était allemand de naissance et français
|
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de coeur; Bassompierre, enfin, qui avait un commandement
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particulier au siège de La Rochelle, disait-il, en chargeant à la
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tête de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui:
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«Vous verrez, messieurs, que nous serons assez bêtes pour prendre
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La Rochelle!»
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Et Bassompierre avait raison: la canonnade de l'île de Ré lui
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présageait les dragonnades des Cévennes; la prise de La Rochelle
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était la préface de la révocation de l'édit de Nantes.
|
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Mais nous l'avons dit, à côté de ces vues du ministre niveleur et
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simplificateur, et qui appartiennent à l'histoire, le chroniqueur
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est bien forcé de reconnaître les petites visées de l'homme
|
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amoureux et du rival jaloux.
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Richelieu, comme chacun sait, avait été amoureux de la reine; cet
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amour avait-il chez lui un simple but politique ou était-ce tout
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naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne
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d'Autriche à ceux qui l'entouraient, c'est ce que nous ne saurions
|
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dire; mais en tout cas on a vu, par les développements antérieurs
|
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de cette histoire, que Buckingham l'avait emporté sur lui, et que,
|
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dans deux ou trois circonstances et particulièrement dans celles
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des ferrets, il l'avait, grâce au dévouement des trois
|
|
mousquetaires et au courage de d'Artagnan, cruellement mystifié.
|
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Il s'agissait donc pour Richelieu, non seulement de débarrasser la
|
|
France d'un ennemi, mais de se venger d'un rival; au reste, la
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vengeance devait être grande et éclatante, et digne en tout d'un
|
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homme qui tient dans sa main, pour épée de combat, les forces de
|
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tout un royaume.
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Richelieu savait qu'en combattant l'Angleterre il combattait
|
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Buckingham, qu'en triomphant de l'Angleterre il triomphait de
|
|
Buckingham, enfin qu'en humiliant l'Angleterre aux yeux de
|
|
l'Europe il humiliait Buckingham aux yeux de la reine.
|
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|
|
De son côté Buckingham, tout en mettant en avant l'honneur de
|
|
l'Angleterre, était mû par des intérêts absolument semblables à
|
|
ceux du cardinal; Buckingham aussi poursuivait une vengeance
|
|
particulière: sous aucun prétexte, Buckingham n'avait pu rentrer
|
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en France comme ambassadeur, il voulait y rentrer comme
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conquérant.
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Il en résulte que le véritable enjeu de cette partie, que les deux
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plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux
|
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hommes amoureux, était un simple regard d'Anne d'Autriche.
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|
Le premier avantage avait été au duc de Buckingham: arrivé
|
|
inopinément en vue de l'île de Ré avec quatre-vingt-dix vaisseaux
|
|
et vingt mille hommes à peu près, il avait surpris le comte de
|
|
Toiras, qui commandait pour le roi dans l'île; il avait, après un
|
|
combat sanglant, opéré son débarquement.
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|
Relatons en passant que dans ce combat avait péri le baron de
|
|
Chantal; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille
|
|
de dix-huit mois.
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|
Cette petite fille fut depuis Mme de Sévigné.
|
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|
Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec
|
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la garnison, et jeta une centaine d'hommes dans un petit fort
|
|
qu'on appelait le fort de La Prée.
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|
|
Cet événement avait hâté les résolutions du cardinal; et en
|
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attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement
|
|
du siège de La Rochelle, qui était résolu, il avait fait partir
|
|
Monsieur pour diriger les premières opérations, et avait fait
|
|
filer vers le théâtre de la guerre toutes les troupes dont il
|
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avait pu disposer.
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|
C'était de ce détachement envoyé en avant-garde que faisait partie
|
|
notre ami d'Artagnan.
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|
Le roi, comme nous l'avons dit, devait suivre, aussitôt son lit de
|
|
justice tenu, mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin,
|
|
il s'était senti pris par la fièvre; il n'en avait pas moins voulu
|
|
partir, mais, son état empirant, il avait été forcé de s'arrêter à
|
|
Villeroi.
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|
Or, où s'arrêtait le roi s'arrêtaient les mousquetaires; il en
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|
résultait que d'Artagnan, qui était purement et simplement dans
|
|
les gardes, se trouvait séparé, momentanément du moins, de ses
|
|
bons amis Athos, Porthos et Aramis; cette séparation, qui n'était
|
|
pour lui qu'une contrariété, fût certes devenue une inquiétude
|
|
sérieuse s'il eût pu deviner de quels dangers inconnus il était
|
|
entouré.
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|
Il n'en arriva pas moins sans accident au camp établi devant La
|
|
Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l'année 1627.
|
|
|
|
Tout était dans le même état: le duc de Buckingham et ses Anglais,
|
|
maîtres de l'île de Ré, continuaient d'assiéger mais sans succès,
|
|
la citadelle de Saint-Martin et le fort de La Prée, et les
|
|
hostilités avec La Rochelle étaient commencées depuis deux ou
|
|
trois jours à propos d'un fort que le duc d'Angoulême venait de
|
|
faire construire près de la ville.
|
|
|
|
Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur
|
|
logement aux Minimes.
|
|
|
|
Mais nous le savons, d'Artagnan, préoccupé de l'ambition de passer
|
|
aux mousquetaires, avait rarement fait amitié avec ses camarades;
|
|
il se trouvait donc isolé et livré à ses propres réflexions.
|
|
|
|
Ses réflexions n'étaient pas riantes: depuis un an qu'il était
|
|
arrivé à Paris, il s'était mêlé aux affaires publiques; ses
|
|
affaires privées n'avaient pas fait grand chemin comme amour et
|
|
comme fortune.
|
|
|
|
Comme amour, la seule femme qu'il eût aimée était Mme Bonacieux,
|
|
et Mme Bonacieux avait disparu sans qu'il pût découvrir encore ce
|
|
qu'elle était devenue.
|
|
|
|
Comme fortunes il s'était fait, lui chétif, ennemi du cardinal,
|
|
c'est-à-dire d'un homme devant lequel tremblaient les plus grands
|
|
du royaume, à commencer par le roi.
|
|
|
|
Cet homme pouvait l'écraser, et cependant il ne l'avait pas fait:
|
|
pour un esprit aussi perspicace que l'était d'Artagnan, cette
|
|
indulgence était un jour par lequel il voyait dans un meilleur
|
|
avenir.
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|
|
Puis, il s'était fait encore un autre ennemi moins à craindre,
|
|
pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n'être
|
|
pas à mépriser: cet ennemi, c'était Milady.
|
|
|
|
En échange de tout cela il avait acquis la protection et la
|
|
bienveillance de la reine, mais la bienveillance de la reine
|
|
était, par le temps qui courait, une cause de plus de persécution;
|
|
et sa protection, on le sait, protégeait fort mal: témoins Chalais
|
|
et Mme Bonacieux.
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|
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|
Ce qu'il avait donc gagné de plus clair dans tout cela c'était le
|
|
diamant de cinq ou six mille livres qu'il portait au doigt; et
|
|
encore ce diamant, en supposant que d'Artagnan dans ses projets
|
|
d'ambition, voulût le garder pour s'en faire un jour un signe de
|
|
reconnaissance près de la reine n'avait en attendant, puisqu'il ne
|
|
pouvait s'en défaire, pas plus de valeur que les cailloux qu'il
|
|
foulait à ses pieds.
|
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|
Nous disons «que les cailloux qu'il foulait à ses pieds», car
|
|
d'Artagnan faisait ces réflexions en se promenant solitairement
|
|
sur un joli petit chemin qui conduisait du camp au village
|
|
d'Angoutin; or ces réflexions l'avaient conduit plus loin qu'il ne
|
|
croyait, et le jour commençait à baisser, lorsqu'au dernier rayon
|
|
du soleil couchant il lui sembla voir briller derrière une haie le
|
|
canon d'un mousquet.
|
|
|
|
D'Artagnan avait l'oeil vif et l'esprit prompt, il comprit que le
|
|
mousquet n'était pas venu là tout seul et que celui qui le portait
|
|
ne s'était pas caché derrière une haie dans des intentions
|
|
amicales. Il résolut donc de gagner au large, lorsque de l'autre
|
|
côté de la route, derrière un rocher, il aperçut l'extrémité d'un
|
|
second mousquet.
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|
|
C'était évidemment une embuscade.
|
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|
Le jeune homme jeta un coup d'oeil sur le premier mousquet et vit
|
|
avec une certaine inquiétude qu'il s'abaissait dans sa direction,
|
|
mais aussitôt qu'il vit l'orifice du canon immobile il se jeta
|
|
ventre à terre. En même temps le coup partit, il entendit le
|
|
sifflement d'une balle qui passait au-dessus de sa tête.
|
|
|
|
Il n'y avait pas de temps à perdre, d'Artagnan se redressa d'un
|
|
bond, et au même moment la balle de l'autre mousquet fit voler les
|
|
cailloux à l'endroit même du chemin où il s'était jeté la face
|
|
contre terre.
|
|
|
|
D'Artagnan n'était pas un de ces hommes inutilement braves qui
|
|
cherchent une mort ridicule pour qu'on dise d'eux qu'ils n'ont pas
|
|
reculé d'un pas, d'ailleurs il ne s'agissait plus de courage ici,
|
|
d'Artagnan était tombé dans un guet-apens.
|
|
|
|
«S'il y a un troisième coup, se dit-il, je suis un homme perdu!»
|
|
|
|
Et aussitôt prenant ses jambes à son cou, il s'enfuit dans la
|
|
direction du camp, avec la vitesse des gens de son pays si
|
|
renommés pour leur agilité; mais, quelle que fût la rapidité de sa
|
|
course, le premier qui avait tiré, ayant eu le temps de recharger
|
|
son arme, lui tira un second coup si bien ajusté, cette fois, que
|
|
la balle traversa son feutre et le fit voler à dix pas de lui.
|
|
|
|
Cependant, comme d'Artagnan n'avait pas d'autre chapeau, il
|
|
ramassa le sien tout en courant, arriva fort essoufflé et fort
|
|
pâle, dans son logis, s'assit sans rien dire à personne et se mit
|
|
à réfléchir.
|
|
|
|
Cet événement pouvait avoir trois causes:
|
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|
La première et la plus naturelle pouvait être une embuscade des
|
|
Rochelois, qui n'eussent pas été fâchés de tuer un des gardes de
|
|
Sa Majesté, d'abord parce que c'était un ennemi de moins, et que
|
|
cet ennemi pouvait avoir une bourse bien garnie dans sa poche.
|
|
|
|
D'Artagnan prit son chapeau, examina le trou de la balle, et
|
|
secoua la tête. La balle n'était pas une balle de mousquet,
|
|
c'était une balle d'arquebuse; la justesse du coup lui avait déjà
|
|
donné l'idée qu'il avait été tiré par une arme particulière: ce
|
|
n'était donc pas une embuscade militaire, puisque la balle n'était
|
|
pas de calibre.
|
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|
|
Ce pouvait être un bon souvenir de M. le cardinal. On se rappelle
|
|
qu'au moment même où il avait, grâce à ce bienheureux rayon de
|
|
soleil, aperçu le canon du fusil, il s'étonnait de la longanimité
|
|
de Son Éminence à son égard.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan secoua la tête. Pour les gens vers lesquels elle
|
|
n'avait qu'à étendre la main, Son Éminence recourait rarement à de
|
|
pareils moyens.
|
|
|
|
Ce pouvait être une vengeance de Milady.
|
|
|
|
Ceci, c'était plus probable.
|
|
|
|
Il chercha inutilement à se rappeler ou les traits ou le costume
|
|
des assassins; il s'était éloigné d'eux si rapidement, qu'il
|
|
n'avait eu le loisir de rien remarquer.
|
|
|
|
«Ah! mes pauvres amis, murmura d'Artagnan, où êtes-vous? et que
|
|
vous me faites faute!»
|
|
|
|
D'Artagnan passa une fort mauvaise nuit. Trois ou quatre fois il
|
|
se réveilla en sursaut, se figurant qu'un homme s'approchait de
|
|
son lit pour le poignarder. Cependant le jour parut sans que
|
|
l'obscurité eût amené aucun incident.
|
|
|
|
Mais d'Artagnan se douta bien que ce qui était différé n'était pas
|
|
perdu.
|
|
|
|
D'Artagnan resta toute la journée dans son logis; il se donna pour
|
|
excuse, vis-à-vis de lui-même, que le temps était mauvais.
|
|
|
|
Le surlendemain, à neuf heures, on battit aux champs. Le duc
|
|
d'Orléans visitait les postes. Les gardes coururent aux armes,
|
|
d'Artagnan prit son rang au milieu de ses camarades.
|
|
|
|
Monsieur passa sur le front de bataille; puis tous les officiers
|
|
supérieurs s'approchèrent de lui pour lui faire leur cour, M. des
|
|
Essarts, le capitaine des gardes, comme les autres.
|
|
|
|
Au bout d'un instant il parut à d'Artagnan que M. des Essarts lui
|
|
faisait signe de s'approcher de lui: il attendit un nouveau geste
|
|
de son supérieur, craignant de se tromper, mais ce geste s'étant
|
|
renouvelé, il quitta les rangs et s'avança pour prendre l'ordre.
|
|
|
|
«Monsieur va demander des hommes de bonne volonté pour une mission
|
|
dangereuse, mais qui fera honneur à ceux qui l'auront accomplie,
|
|
et je vous ai fait signe afin que vous vous tinssiez prêt.
|
|
|
|
-- Merci, mon capitaine!» répondit d'Artagnan, qui ne demandait
|
|
pas mieux que de se distinguer sous les yeux du lieutenant
|
|
général.
|
|
|
|
En effet, les Rochelois avaient fait une sortie pendant la nuit et
|
|
avaient repris un bastion dont l'armée royaliste s'était emparée
|
|
deux jours auparavant; il s'agissait de pousser une reconnaissance
|
|
perdue pour voir comment l'armée gardait ce bastion.
|
|
|
|
Effectivement, au bout de quelques instants, Monsieur éleva la
|
|
voix et dit:
|
|
|
|
«Il me faudrait, pour cette mission, trois ou quatre volontaires
|
|
conduits par un homme sûr.
|
|
|
|
-- Quant à l'homme sûr, je l'ai sous la main, Monseigneur, dit
|
|
M. des Essarts en montrant d'Artagnan; et quant aux quatre ou cinq
|
|
volontaires, Monseigneur n'a qu'à faire connaître ses intentions,
|
|
et les hommes ne lui manqueront pas.
|
|
|
|
-- Quatre hommes de bonne volonté pour venir se faire tuer avec
|
|
moi!» dit d'Artagnan en levant son épée.
|
|
|
|
Deux de ses camarades aux gardes s'élancèrent aussitôt, et deux
|
|
soldats s'étant joints à eux, il se trouva que le nombre demandé
|
|
était suffisant; d'Artagnan refusa donc tous les autres, ne
|
|
voulant pas faire de passe-droit à ceux qui avaient la priorité.
|
|
|
|
On ignorait si, après la prise du bastion, les Rochelois l'avaient
|
|
évacué ou s'ils y avaient laissé garnison; il fallait donc
|
|
examiner le lieu indiqué d'assez près pour vérifier la chose.
|
|
|
|
D'Artagnan partit avec ses quatre compagnons et suivit la
|
|
tranchée: les deux gardes marchaient au même rang que lui et les
|
|
soldats venaient par-derrière.
|
|
|
|
Ils arrivèrent ainsi, en se couvrant de revêtements, jusqu'à une
|
|
centaine de pas du bastion! Là, d'Artagnan, en se retournant,
|
|
s'aperçut que les deux soldats avaient disparu.
|
|
|
|
Il crut qu'ayant eu peur ils étaient restés en arrière et continua
|
|
d'avancer.
|
|
|
|
Au détour de la contrescarpe, ils se trouvèrent à soixante pas à
|
|
peu près du bastion.
|
|
|
|
On ne voyait personne, et le bastion semblait abandonné.
|
|
|
|
Les trois enfants perdus délibéraient s'ils iraient plus avant,
|
|
lorsque tout à coup une ceinture de fumée ceignit le géant de
|
|
pierre, et une douzaine de balles vinrent siffler autour de
|
|
d'Artagnan et de ses deux compagnons.
|
|
|
|
Ils savaient ce qu'ils voulaient savoir: le bastion était gardé.
|
|
Une plus longue station dans cet endroit dangereux eût donc été
|
|
une imprudence inutile; d'Artagnan et les deux gardes tournèrent
|
|
le dos et commencèrent une retraite qui ressemblait à une fuite.
|
|
|
|
En arrivant à l'angle de la tranchée qui allait leur servir de
|
|
rempart, un des gardes tomba: une balle lui avait traversé la
|
|
poitrine. L'autre, qui était sain et sauf, continua sa course vers
|
|
le camp.
|
|
|
|
D'Artagnan ne voulut pas abandonner ainsi son compagnon, et
|
|
s'inclina vers lui pour le relever et l'aider à rejoindre les
|
|
lignes; mais en ce moment deux coups de fusil partirent: une balle
|
|
cassa la tête du garde déjà blessé, et l'autre vint s'aplatir sur
|
|
le roc après avoir passé à deux pouces de d'Artagnan.
|
|
|
|
Le jeune homme se retourna vivement, car cette attaque ne pouvait
|
|
venir du bastion, qui était masqué par l'angle de la tranchée.
|
|
L'idée des deux soldats qui l'avaient abandonné lui revint à
|
|
l'esprit et lui rappela ses assassins de la surveille; il résolut
|
|
donc cette fois de savoir à quoi s'en tenir, et tomba sur le corps
|
|
de son camarade comme s'il était mort.
|
|
|
|
Il vit aussitôt deux têtes qui s'élevaient au-dessus d'un ouvrage
|
|
abandonné qui était à trente pas de là: c'étaient celles de nos
|
|
deux soldats. D'Artagnan ne s'était pas trompé: ces deux hommes ne
|
|
l'avaient suivi que pour l'assassiner, espérant que la mort du
|
|
jeune homme serait mise sur le compte de l'ennemi.
|
|
|
|
Seulement, comme il pouvait n'être que blessé et dénoncer leur
|
|
crime, ils s'approchèrent pour l'achever; heureusement, trompés
|
|
par la ruse de d'Artagnan, ils négligèrent de recharger leurs
|
|
fusils.
|
|
|
|
Lorsqu'ils furent à dix pas de lui, d'Artagnan, qui en tombant
|
|
avait eu grand soin de ne pas lâcher son épée, se releva tout à
|
|
coup et d'un bond se trouva près d'eux.
|
|
|
|
Les assassins comprirent que s'ils s'enfuyaient du côté du camp
|
|
sans avoir tué leur homme, ils seraient accusés par lui; aussi
|
|
leur première idée fut-elle de passer à l'ennemi. L'un d'eux prit
|
|
son fusil par le canon, et s'en servit comme d'une massue: il en
|
|
porta un coup terrible à d'Artagnan, qui l'évita en se jetant de
|
|
côté, mais par ce mouvement il livra passage au bandit, qui
|
|
s'élança aussitôt vers le bastion. Comme les Rochelois qui le
|
|
gardaient ignoraient dans quelle intention cet homme venait à eux,
|
|
ils firent feu sur lui et il tomba frappé d'une balle qui lui
|
|
brisa l'épaule.
|
|
|
|
Pendant ce temps, d'Artagnan s'était jeté sur le second soldat,
|
|
l'attaquant avec son épée; la lutte ne fut pas longue, ce
|
|
misérable n'avait pour se défendre que son arquebuse déchargée;
|
|
l'épée du garde glissa contre le canon de l'arme devenue inutile
|
|
et alla traverser la cuisse de l'assassin, qui tomba. D'Artagnan
|
|
lui mit aussitôt la pointe du fer sur la gorge.
|
|
|
|
«Oh! ne me tuez pas! s'écria le bandit; grâce, grâce, mon
|
|
officier! et je vous dirai tout.
|
|
|
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-- Ton secret vaut-il la peine que je te garde la vie au moins?
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demanda le jeune homme en retenant son bras.
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-- Oui; si vous estimez que l'existence soit quelque chose quand
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on a vingt-deux ans comme vous et qu'on peut arriver à tout, étant
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beau et brave comme vous l'êtes.
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-- Misérable! dit d'Artagnan, voyons, parle vite, qui t'a chargé
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de m'assassiner?
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-- Une femme que je ne connais pas, mais qu'on appelle Milady.
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-- Mais si tu ne connais pas cette femme, comment sais-tu son nom?
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-- Mon camarade la connaissait et l'appelait ainsi, c'est à lui
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qu'elle a eu affaire et non pas à moi; il a même dans sa poche une
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lettre de cette personne qui doit avoir pour vous une grande
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importance, à ce que je lui ai entendu dire.
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-- Mais comment te trouves-tu de moitié dans ce guet-apens?
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-- Il m'a proposé de faire le coup à nous deux et j'ai accepté.
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-- Et combien vous a-t-elle donné pour cette belle expédition?
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-- Cent louis.
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-- Eh bien, à la bonne heure, dit le jeune homme en riant, elle
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estime que je vaux quelque chose; cent louis! c'est une somme pour
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deux misérables comme vous: aussi je comprends que tu aies
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accepté, et je te fais grâce, mais à une condition!
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-- Laquelle? demanda le soldat inquiet en voyant que tout n'était
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pas fini.
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-- C'est que tu vas aller me chercher la lettre que ton camarade a
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dans sa poche.
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-- Mais, s'écria le bandit, c'est une autre manière de me tuer;
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comment voulez-vous que j'aille chercher cette lettre sous le feu
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du bastion?
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-- Il faut pourtant que tu te décides à l'aller chercher, ou je te
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jure que tu vas mourir de ma main.
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-- Grâce, monsieur, pitié! au nom de cette jeune dame que vous
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aimez, que vous croyez morte peut-être, et qui ne l'est pas!
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s'écria le bandit en se mettant à genoux et s'appuyant sur sa
|
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main, car il commençait à perdre ses forces avec son sang.
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-- Et d'où sais-tu qu'il y a une jeune femme que j'aime, et que
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j'ai cru cette femme morte? demanda d'Artagnan.
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-- Par cette lettre que mon camarade a dans sa poche.
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-- Tu vois bien alors qu'il faut que j'aie cette lettre, dit
|
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d'Artagnan; ainsi donc plus de retard, plus d'hésitation, ou
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quelle que soit ma répugnance à tremper une seconde fois mon épée
|
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dans le sang d'un misérable comme toi, je le jure par ma foi
|
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d'honnête homme...»
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Et à ces mots d'Artagnan fit un geste si menaçant, que le blessé
|
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se releva.
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«Arrêtez! arrêtez! s'écria-t-il reprenant courage à force de
|
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terreur, j'irai... j'irai!...»
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D'Artagnan prit l'arquebuse du soldat, le fit passer devant lui et
|
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le poussa vers son compagnon en lui piquant les reins de la pointe
|
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de son épée.
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C'était une chose affreuse que de voir ce malheureux, laissant sur
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le chemin qu'il parcourait une longue trace de sang, pâle de sa
|
|
mort prochaine, essayant de se traîner sans être vu jusqu'au corps
|
|
de son complice qui gisait à vingt pas de là!
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La terreur était tellement peinte sur son visage couvert d'une
|
|
froide sueur, que d'Artagnan en eut pitié; et que, le regardant
|
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avec mépris:
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|
«Eh bien, lui dit-il, je vais te montrer la différence qu'il y a
|
|
entre un homme de coeur et un lâche comme toi; reste, j'irai.»
|
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Et d'un pas agile, l'oeil au guet, observant les mouvements de
|
|
l'ennemi, s'aidant de tous les accidents de terrain, d'Artagnan
|
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parvint jusqu'au second soldat.
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Il y avait deux moyens d'arriver à son but: le fouiller sur la
|
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place, ou l'emporter en se faisant un bouclier de son corps, et le
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fouiller dans la tranchée.
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D'Artagnan préféra le second moyen et chargea l'assassin sur ses
|
|
épaules au moment même où l'ennemi faisait feu.
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Une légère secousse, le bruit mat de trois balles qui trouaient
|
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les chairs, un dernier cri, un frémissement d'agonie prouvèrent à
|
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d'Artagnan que celui qui avait voulu l'assassiner venait de lui
|
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sauver la vie.
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D'Artagnan regagna la tranchée et jeta le cadavre auprès du blessé
|
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aussi pâle qu'un mort.
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|
Aussitôt il commença l'inventaire: un portefeuille de cuir, une
|
|
bourse où se trouvait évidemment une partie de la somme que le
|
|
bandit avait reçue, un cornet et des dés formaient l'héritage du
|
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mort.
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Il laissa le cornet et les dés où ils étaient tombés, jeta la
|
|
bourse au blessé et ouvrit avidement le portefeuille.
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|
Au milieu de quelques papiers sans importance, il trouva la lettre
|
|
suivante: c'était celle qu'il était allé chercher au risque de sa
|
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vie:
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«Puisque vous avez perdu la trace de cette femme et qu'elle est
|
|
maintenant en sûreté dans ce couvent où vous n'auriez jamais dû la
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|
laisser arriver, tâchez au moins de ne pas manquer l'homme; sinon,
|
|
vous savez que j'ai la main longue et que vous payeriez cher les
|
|
cent louis que vous avez à moi.»
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|
Pas de signature. Néanmoins il était évident que la lettre venait
|
|
de Milady. En conséquence, il la garda comme pièce à conviction,
|
|
et, en sûreté derrière l'angle de la tranchée, il se mit à
|
|
interroger le blessé. Celui-ci confessa qu'il s'était chargé avec
|
|
son camarade, le même qui venait d'être tué, d'enlever une jeune
|
|
femme qui devait sortir de Paris par la barrière de La Villette,
|
|
mais que, s'étant arrêtés à boire dans un cabaret, ils avaient
|
|
manqué la voiture de dix minutes.
|
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|
«Mais qu'eussiez-vous fait de cette femme? demanda d'Artagnan avec
|
|
angoisse.
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-- Nous devions la remettre dans un hôtel de la place Royale, dit
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|
le blessé.
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-- Oui! oui! murmura d'Artagnan, c'est bien cela, chez Milady
|
|
elle-même.»
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Alors le jeune homme comprit en frémissant quelle terrible soif de
|
|
vengeance poussait cette femme à le perdre, ainsi que ceux qui
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l'aimaient, et combien elle en savait sur les affaires de la cour,
|
|
puisqu'elle avait tout découvert. Sans doute elle devait ces
|
|
renseignements au cardinal.
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|
Mais, au milieu de tout cela, il comprit, avec un sentiment de
|
|
joie bien réel, que la reine avait fini par découvrir la prison où
|
|
la pauvre Mme Bonacieux expiait son dévouement, et qu'elle l'avait
|
|
tirée de cette prison. Alors la lettre qu'il avait reçue de la
|
|
jeune femme et son passage sur la route de Chaillot, passage
|
|
pareil à une apparition, lui furent expliqués.
|
|
|
|
Dès lors, ainsi qu'Athos l'avait prédit, il était possible de
|
|
retrouver Mme Bonacieux, et un couvent n'était pas imprenable.
|
|
|
|
Cette idée acheva de lui remettre la clémence au coeur. Il se
|
|
retourna vers le blessé qui suivait avec anxiété toutes les
|
|
expressions diverses de son visage, et lui tendant le bras:
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|
«Allons, lui dit-il, je ne veux pas t'abandonner ainsi. Appuie-toi
|
|
sur moi et retournons au camp.
|
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-- Oui, dit le blessé, qui avait peine à croire à tant de
|
|
magnanimité, mais n'est-ce point pour me faire pendre?
|
|
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-- Tu as ma parole, dit-il, et pour la seconde fois je te donne la
|
|
vie.»
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|
|
|
Le blessé se laissa glisser à genoux et baisa de nouveau les pieds
|
|
de son sauveur; mais d'Artagnan, qui n'avait plus aucun motif de
|
|
rester si près de l'ennemi, abrégea lui-même les témoignages de sa
|
|
reconnaissance.
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|
|
|
Le garde qui était revenu à la première décharge des Rochelois
|
|
avait annoncé la mort de ses quatre compagnons. On fut donc à la
|
|
fois fort étonné et fort joyeux dans le régiment, quand on vit
|
|
reparaître le jeune homme sain et sauf.
|
|
|
|
D'Artagnan expliqua le coup d'épée de son compagnon par une sortie
|
|
qu'il improvisa. Il raconta la mort de l'autre soldat et les
|
|
périls qu'ils avaient courus. Ce récit fut pour lui l'occasion
|
|
d'un véritable triomphe. Toute l'armée parla de cette expédition
|
|
pendant un jour, et Monsieur lui en fit faire ses compliments.
|
|
|
|
Au reste, comme toute belle action porte avec elle sa récompense,
|
|
la belle action de d'Artagnan eut pour résultat de lui rendre la
|
|
tranquillité qu'il avait perdue. En effet, d'Artagnan croyait
|
|
pouvoir être tranquille, puisque, de ses deux ennemis, l'un était
|
|
tué et l'autre dévoué à ses intérêts.
|
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|
|
Cette tranquillité prouvait une chose, c'est que d'Artagnan ne
|
|
connaissait pas encore Milady.
|
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|
CHAPITRE XLII
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|
LE VIN D'ANJOU
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Après des nouvelles presque désespérées du roi, le bruit de sa
|
|
convalescence commençait à se répandre dans le camp; et comme il
|
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avait grande hâte d'arriver en personne au siège, on disait
|
|
qu'aussitôt qu'il pourrait remonter à cheval, il se remettrait en
|
|
route.
|
|
|
|
Pendant ce temps, Monsieur, qui savait que, d'un jour à l'autre,
|
|
il allait être remplacé dans son commandement, soit par le duc
|
|
d'Angoulême, soit par Bassompierre ou par Schomberg, qui se
|
|
disputaient le commandement, faisait peu de choses, perdait ses
|
|
journées en tâtonnements, et n'osait risquer quelque grande
|
|
entreprise pour chasser les Anglais de l'île de Ré, où ils
|
|
assiégeaient toujours la citadelle Saint-Martin et le fort de La
|
|
Prée, tandis que, de leur côté, les Français assiégeaient La
|
|
Rochelle.
|
|
|
|
D'Artagnan, comme nous l'avons dit, était redevenu plus
|
|
tranquille, comme il arrive toujours après un danger passé, et
|
|
quand le danger semble évanoui; il ne lui restait qu'une
|
|
inquiétude, c'était de n'apprendre aucune nouvelle de ses amis.
|
|
|
|
Mais, un matin du commencement du mois de novembre, tout lui fut
|
|
expliqué par cette lettre, datée de Villeroi:
|
|
|
|
«Monsieur d'Artagnan,
|
|
|
|
«MM. Athos, Porthos et Aramis, après avoir fait une bonne partie
|
|
chez moi, et s'être égayés beaucoup, ont mené si grand bruit, que
|
|
le prévôt du château, homme très rigide, les a consignés pour
|
|
quelques jours; mais j'accomplis les ordres qu'ils m'ont donnés,
|
|
de vous envoyer douze bouteilles de mon vin d'Anjou, dont ils ont
|
|
fait grand cas: ils veulent que vous buviez à leur santé avec leur
|
|
vin favori.
|
|
|
|
«Je l'ai fait, et suis, monsieur, avec un grand respect,
|
|
|
|
«Votre serviteur très humble et très obéissant,
|
|
|
|
«Godeau,
|
|
|
|
«Hôtelier de messieurs les mousquetaires.»
|
|
|
|
«À la bonne heure! s'écria d'Artagnan, ils pensent à moi dans
|
|
leurs plaisirs comme je pensais à eux dans mon ennui; bien
|
|
certainement que je boirai à leur santé et de grand coeur; mais je
|
|
n'y boirai pas seul.»
|
|
|
|
Et d'Artagnan courut chez deux gardes, avec lesquels il avait fait
|
|
plus amitié qu'avec les autres, afin de les inviter à boire avec
|
|
lui le délicieux petit vin d'Anjou qui venait d'arriver de
|
|
Villeroi. L'un des deux gardes était invité pour le soir même, et
|
|
l'autre invité pour le lendemain; la réunion fut donc fixée au
|
|
surlendemain.
|
|
|
|
D'Artagnan, en rentrant, envoya les douze bouteilles de vin à la
|
|
buvette des gardes, en recommandant qu'on les lui gardât avec
|
|
soin; puis, le jour de la solennité, comme le dîner était fixé
|
|
pour l'heure de midi, d'Artagnan envoya, dès neuf heures, Planchet
|
|
pour tout préparer.
|
|
|
|
Planchet, tout fier d'être élevé à la dignité de maître d'hôtel,
|
|
songea à tout apprêter en homme intelligent; à cet effet il
|
|
s'adjoignit le valet d'un des convives de son maître, nommé
|
|
Fourreau, et ce faux soldat qui avait voulu tuer d'Artagnan, et
|
|
qui, n'appartenant à aucun corps, était entré à son service ou
|
|
plutôt à celui de Planchet, depuis que d'Artagnan lui avait sauvé
|
|
la vie.
|
|
|
|
L'heure du festin venue, les deux convives arrivèrent, prirent
|
|
place et les mets s'alignèrent sur la table. Planchet servait la
|
|
serviette au bras, Fourreau débouchait les bouteilles, et
|
|
Brisemont, c'était le nom du convalescent, transvasait dans des
|
|
carafons de verre le vin qui paraissait avoir déposé par effet des
|
|
secousses de la route. De ce vin, la première bouteille était un
|
|
peu trouble vers la fin, Brisemont versa cette lie dans un verre,
|
|
et d'Artagnan lui permit de la boire; car le pauvre diable n'avait
|
|
pas encore beaucoup de forces.
|
|
|
|
Les convives, après avoir mangé le potage, allaient porter le
|
|
premier verre à leurs lèvres, lorsque tout à coup le canon
|
|
retentit au fort Louis et au fort Neuf; aussitôt les gardes,
|
|
croyant qu'il s'agissait de quelque attaque imprévue, soit des
|
|
assiégés, soit des Anglais, sautèrent sur leurs épées; d'Artagnan,
|
|
non moins leste, fit comme eux, et tous trois sortirent en
|
|
courant, afin de se rendre à leurs postes.
|
|
|
|
Mais à peine furent-ils hors de la buvette, qu'ils se trouvèrent
|
|
fixés sur la cause de ce grand bruit; les cris de Vive le roi!
|
|
Vive M. le cardinal! retentissaient de tous côtés, et les tambours
|
|
battaient dans toutes les directions.
|
|
|
|
En effet, le roi, impatient comme on l'avait dit, venait de
|
|
doubler deux étapes, et arrivait à l'instant même avec toute sa
|
|
maison et un renfort de dix mille hommes de troupe; ses
|
|
mousquetaires le précédaient et le suivaient. D'Artagnan, placé en
|
|
haie avec sa compagnie, salua d'un geste expressif ses amis, qui
|
|
lui répondirent des yeux, et M. de Tréville, qui le reconnut tout
|
|
d'abord.
|
|
|
|
La cérémonie de réception achevée, les quatre amis furent bientôt
|
|
dans les bras l'un de l'autre.
|
|
|
|
«Pardieu! s'écria d'Artagnan, il n'est pas possible de mieux
|
|
arriver, et les viandes n'auront pas encore eu le temps de
|
|
refroidir! n'est-ce pas, messieurs? ajouta le jeune homme en se
|
|
tournant vers les deux gardes, qu'il présenta à ses amis.
|
|
|
|
-- Ah! ah! il paraît que nous banquetions, dit Porthos.
|
|
|
|
-- J'espère, dit Aramis, qu'il n'y a pas de femmes à votre dîner!
|
|
|
|
-- Est-ce qu'il y a du vin potable dans votre bicoque? demanda
|
|
Athos.
|
|
|
|
-- Mais, pardieu! il y a le vôtre, cher ami, répondit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Notre vin? fit Athos étonné.
|
|
|
|
-- Oui, celui que vous m'avez envoyé.
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|
|
|
-- Nous vous avons envoyé du vin?
|
|
|
|
-- Mais vous savez bien, de ce petit vin des coteaux d'Anjou?
|
|
|
|
-- Oui, je sais bien de quel vin vous voulez parler.
|
|
|
|
-- Le vin que vous préférez.
|
|
|
|
-- Sans doute, quand je n'ai ni champagne ni chambertin.
|
|
|
|
-- Eh bien, à défaut de champagne et de chambertin, vous vous
|
|
contenterez de celui-là.
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|
|
|
-- Nous avons donc fait venir du vin d'Anjou, gourmet que nous
|
|
sommes? dit Porthos.
|
|
|
|
-- Mais non, c'est le vin qu'on m'a envoyé de votre part.
|
|
|
|
-- De notre part? firent les trois mousquetaires.
|
|
|
|
-- Est-ce vous, Aramis, dit Athos, qui avez envoyé du vin?
|
|
|
|
-- Non, et vous, Porthos?
|
|
|
|
-- Non, et vous, Athos?
|
|
|
|
-- Non.
|
|
|
|
-- Si ce n'est pas vous, dit d'Artagnan, c'est votre hôtelier.
|
|
|
|
-- Notre hôtelier?
|
|
|
|
-- Eh oui! votre hôtelier, Godeau, hôtelier des mousquetaires.
|
|
|
|
-- Ma foi, qu'il vienne d'où il voudra, n'importe, dit Porthos,
|
|
goûtons-le, et, s'il est bon, buvons-le.
|
|
|
|
-- Non pas, dit Athos, ne buvons pas le vin qui a une source
|
|
inconnue.
|
|
|
|
-- Vous avez raison, Athos, dit d'Artagnan. Personne de vous n'a
|
|
chargé l'hôtelier Godeau de m'envoyer du vin?
|
|
|
|
-- Non! et cependant il vous en a envoyé de notre part?
|
|
|
|
-- Voici la lettre!» dit d'Artagnan.
|
|
|
|
Et il présenta le billet à ses camarades.
|
|
|
|
«Ce n'est pas son écriture! s'écria Athos, je la connais, c'est
|
|
moi qui, avant de partir, ai réglé les comptes de la communauté.
|
|
|
|
-- Fausse lettre, dit Porthos; nous n'avons pas été consignés.
|
|
|
|
-- D'Artagnan, demanda Aramis d'un ton de reproche, comment avez-
|
|
vous pu croire que nous avions fait du bruit?...»
|
|
|
|
D'Artagnan pâlit, et un tremblement convulsif secoua tous ses
|
|
membres.
|
|
|
|
«Tu m'effraies, dit Athos, qui ne le tutoyait que dans les grandes
|
|
occasions, qu'est-il donc arrivé?
|
|
|
|
-- Courons, courons, mes amis! s'écria d'Artagnan, un horrible
|
|
soupçon me traverse l'esprit! serait-ce encore une vengeance de
|
|
cette femme?»
|
|
|
|
Ce fut Athos qui pâlit à son tour.
|
|
|
|
D'Artagnan s'élança vers la buvette, les trois mousquetaires et
|
|
les deux gardes l'y suivirent.
|
|
|
|
Le premier objet qui frappa la vue de d'Artagnan en entrant dans
|
|
la salle à manger, fut Brisemont étendu par terre et se roulant
|
|
dans d'atroces convulsions.
|
|
|
|
Planchet et Fourreau, pâles comme des morts, essayaient de lui
|
|
porter secours; mais il était évident que tout secours était
|
|
inutile: tous les traits du moribond étaient crispés par l'agonie.
|
|
|
|
«Ah! s'écria-t-il en apercevant d'Artagnan, ah! c'est affreux,
|
|
vous avez l'air de me faire grâce et vous m'empoisonnez!
|
|
|
|
-- Moi! s'écria d'Artagnan, moi, malheureux! moi! que dis-tu donc
|
|
là?
|
|
|
|
-- Je dis que c'est vous qui m'avez donné ce vin, je dis que c'est
|
|
vous qui m'avez dit de le boire, je dis que vous avez voulu vous
|
|
venger de moi, je dis que c'est affreux!
|
|
|
|
-- N'en croyez rien, Brisemont, dit d'Artagnan, n'en croyez rien;
|
|
je vous jure, je vous proteste...
|
|
|
|
-- Oh! mais Dieu est là! Dieu vous punira! Mon Dieu! qu'il souffre
|
|
un jour ce que je souffre!
|
|
|
|
-- Sur l'évangile, s'écria d'Artagnan en se précipitant vers le
|
|
moribond, je vous jure que j'ignorais que ce vin fût empoisonné et
|
|
que j'allais en boire comme vous.
|
|
|
|
-- Je ne vous crois pas», dit le soldat.
|
|
|
|
Et il expira dans un redoublement de tortures.
|
|
|
|
«Affreux! affreux! murmurait Athos, tandis que Porthos brisait les
|
|
bouteilles et qu'Aramis donnait des ordres un peu tardifs pour
|
|
qu'on allât chercher un confesseur.
|
|
|
|
-- O mes amis! dit d'Artagnan, vous venez encore une fois de me
|
|
sauver la vie, non seulement à moi, mais à ces messieurs.
|
|
Messieurs, continua-t-il en s'adressant aux gardes, je vous
|
|
demanderai le silence sur toute cette aventure; de grands
|
|
personnages pourraient avoir trempé dans ce que vous avez vu, et
|
|
le mal de tout cela retomberait sur nous.
|
|
|
|
-- Ah! monsieur! balbutiait Planchet plus mort que vif; ah!
|
|
monsieur! que je l'ai échappé belle!
|
|
|
|
-- Comment, drôle, s'écria d'Artagnan, tu allais donc boire mon
|
|
vin?
|
|
|
|
-- À la santé du roi, monsieur, j'allais en boire un pauvre verre,
|
|
si Fourreau ne m'avait pas dit qu'on m'appelait.
|
|
|
|
-- Hélas! dit Fourreau, dont les dents claquaient de terreur, je
|
|
voulais l'éloigner pour boire tout seul!
|
|
|
|
-- Messieurs, dit d'Artagnan en s'adressant aux gardes, vous
|
|
comprenez qu'un pareil festin ne pourrait être que fort triste
|
|
après ce qui vient de se passer; ainsi recevez toutes mes excuses
|
|
et remettez la partie à un autre jour, je vous prie.»
|
|
|
|
Les deux gardes acceptèrent courtoisement les excuses de
|
|
d'Artagnan, et, comprenant que les quatre amis désiraient demeurer
|
|
seuls, ils se retirèrent.
|
|
|
|
Lorsque le jeune garde et les trois mousquetaires furent sans
|
|
témoins, ils se regardèrent d'un air qui voulait dire que chacun
|
|
comprenait la gravité de la situation.
|
|
|
|
«D'abord, dit Athos, sortons de cette chambre; c'est une mauvaise
|
|
compagnie qu'un mort, mort de mort violente.
|
|
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-- Planchet, dit d'Artagnan, je vous recommande le cadavre de ce
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pauvre diable. Qu'il soit enterré en terre sainte. Il avait commis
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un crime, c'est vrai, mais il s'en était repenti.»
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Et les quatre amis sortirent de la chambre, laissant à Planchet et
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à Fourreau le soin de rendre les honneurs mortuaires à Brisemont.
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L'hôte leur donna une autre chambre dans laquelle il leur servit
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des oeufs à la coque et de l'eau, qu'Athos alla puiser lui-même à
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la fontaine. En quelques paroles Porthos et Aramis furent mis au
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courant de la situation.
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«Eh bien, dit d'Artagnan à Athos, vous le voyez, cher ami, c'est
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une guerre à mort.»
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Athos secoua la tête.
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«Oui, oui, dit-il, je le vois bien; mais croyez-vous que ce soit
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elle?
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-- J'en suis sûr.
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-- Cependant je vous avoue que je doute encore.
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-- Mais cette fleur de lis sur l'épaule?
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-- C'est une Anglaise qui aura commis quelque méfait en France, et
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qu'on aura flétrie à la suite de son crime.
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-- Athos, c'est votre femme, vous dis-je, répétait d'Artagnan, ne
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vous rappelez-vous donc pas comme les deux signalements se
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ressemblent?
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-- J'aurais cependant cru que l'autre était morte, je l'avais si
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bien pendue.»
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Ce fut d'Artagnan qui secoua la tête à son tour.
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«Mais enfin, que faire? dit le jeune homme.
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-- Le fait est qu'on ne peut rester ainsi avec une épée
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éternellement suspendue au-dessus de sa tête, dit Athos, et qu'il
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faut sortir de cette situation.
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-- Mais comment?
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-- Écoutez, tâchez de la rejoindre et d'avoir une explication avec
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elle; dites-lui: La paix ou la guerre! ma parole de gentilhomme
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de ne jamais rien dire de vous, de ne jamais rien faire contre
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vous; de votre côté serment solennel de rester neutre à mon égard:
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sinon, je vais trouver le chancelier, je vais trouver le roi, je
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vais trouver le bourreau, j'ameute la cour contre vous, je vous
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dénonce comme flétrie, je vous fais mettre en jugement, et si l'on
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vous absout, eh bien, je vous tue, foi de gentilhomme! au coin de
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quelque borne, comme je tuerais un chien enragé.
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-- J'aime assez ce moyen, dit d'Artagnan, mais comment la joindre?
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-- Le temps, cher ami, le temps amène l'occasion, l'occasion c'est
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la martingale de l'homme: plus on a engagé, plus l'on gagne quand
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on sait attendre.
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-- Oui, mais attendre entouré d'assassins et d'empoisonneurs...
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-- Bah! dit Athos, Dieu nous a gardés jusqu'à présent, Dieu nous
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gardera encore.
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-- Oui, nous; nous d'ailleurs, nous sommes des hommes, et, à tout
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prendre, c'est notre état de risquer notre vie: mais elle! ajouta-
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t-il à demi-voix.
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-- Qui elle? demanda Athos.
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-- Constance.
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-- Mme Bonacieux! ah! c'est juste, fit Athos; pauvre ami!
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j'oubliais que vous étiez amoureux.
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-- Eh bien, mais, dit Aramis, n'avez-vous pas vu par la lettre
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même que vous avez trouvée sur le misérable mort qu'elle était
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dans un couvent? On est très bien dans un couvent, et aussitôt le
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siège de La Rochelle terminé, je vous promets que pour mon
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compte...
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-- Bon! dit Athos, bon! oui, mon cher Aramis! nous savons que vos
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voeux tendent à la religion.
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-- Je ne suis mousquetaire que par intérim, dit humblement Aramis.
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-- Il paraît qu'il y a longtemps qu'il n'a reçu des nouvelles de
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sa maîtresse, dit tout bas Athos; mais ne faites pas attention,
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nous connaissons cela.
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-- Eh bien, dit Porthos, il me semble qu'il y aurait un moyen bien
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simple.
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-- Lequel? demanda d'Artagnan.
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-- Elle est dans un couvent, dites-vous? reprit Porthos.
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-- Oui.
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-- Eh bien, aussitôt le siège fini, nous l'enlevons de ce couvent.
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-- Mais encore faut-il savoir dans quel couvent elle est.
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-- C'est juste, dit Porthos.
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-- Mais, j'y pense, dit Athos, ne prétendez-vous pas, cher
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d'Artagnan, que c'est la reine qui a fait choix de ce couvent pour
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elle?
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-- Oui, je le crois du moins.
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-- Eh bien, mais Porthos nous aidera là-dedans.
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-- Et comment cela, s'il vous plaît?
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-- Mais par votre marquise, votre duchesse, votre princesse; elle
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doit avoir le bras long.
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-- Chut! dit Porthos en mettant un doigt sur ses lèvres, je la
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crois cardinaliste et elle ne doit rien savoir.
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-- Alors, dit Aramis, je me charge, moi, d'en avoir des nouvelles.
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-- Vous, Aramis, s'écrièrent les trois amis, vous, et comment
|
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cela?
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-- Par l'aumônier de la reine, avec lequel je suis fort lié...»,
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dit Aramis en rougissant.
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Et sur cette assurance, les quatre amis, qui avaient achevé leur
|
|
modeste repas, se séparèrent avec promesse de se revoir le soir
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même: d'Artagnan retourna aux Minimes, et les trois mousquetaires
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rejoignirent le quartier du roi, où ils avaient à faire préparer
|
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leur logis.
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CHAPITRE XLIII
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L'AUBERGE DU COLOMBIER-ROUGE
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À peine arrivé au camp, le roi, qui avait si grande hâte de se
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trouver en face de l'ennemi, et qui, à meilleur droit que le
|
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cardinal, partageait sa haine contre Buckingham, voulut faire
|
|
toutes les dispositions, d'abord pour chasser les Anglais de l'île
|
|
de Ré, ensuite pour presser le siège de La Rochelle; mais, malgré
|
|
lui, il fut retardé par les dissensions qui éclatèrent entre
|
|
MM. de Bassompierre et Schomberg, contre le duc d'Angoulême.
|
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MM. de Bassompierre et Schomberg étaient maréchaux de France, et
|
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réclamaient leur droit de commander l'armée sous les ordres du
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roi; mais le cardinal, qui craignait que Bassompierre, huguenot au
|
|
fond du coeur, ne pressât faiblement les Anglais et les Rochelois,
|
|
ses frères en religion, poussait au contraire le duc d'Angoulême,
|
|
que le roi, à son instigation, avait nommé lieutenant général. Il
|
|
en résulta que, sous peine de voir MM. de Bassompierre et
|
|
Schomberg déserter l'armée, on fut obligé de faire à chacun un
|
|
commandement particulier: Bassompierre prit ses quartiers au nord
|
|
de la ville, depuis La Leu jusqu'à Dompierre; le duc d'Angoulême à
|
|
l'est, depuis Dompierre jusqu'à Périgny; et M. de Schomberg au
|
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midi, depuis Périgny jusqu'à Angoutin.
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Le logis de Monsieur était à Dompierre.
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|
Le logis du roi était tantôt à Étré, tantôt à La Jarrie.
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Enfin le logis du cardinal était sur les dunes, au pont de La
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|
Pierre, dans une simple maison sans aucun retranchement.
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De cette façon, Monsieur surveillait Bassompierre; le roi, le duc
|
|
d'Angoulême, et le cardinal, M. de Schomberg.
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|
Aussitôt cette organisation établie, on s'était occupé de chasser
|
|
les Anglais de l'île.
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|
La conjoncture était favorable: les Anglais, qui ont, avant toute
|
|
chose, besoin de bons vivres pour être de bons soldats, ne
|
|
mangeant que des viandes salées et de mauvais biscuits, avaient
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|
force malades dans leur camp; de plus, la mer, fort mauvaise à
|
|
cette époque de l'année sur toutes les côtes de l'océan, mettait
|
|
tous les jours quelque petit bâtiment à mal; et la plage, depuis
|
|
la pointe de l'Aiguillon jusqu'à la tranchée, était littéralement,
|
|
à chaque marée, couverte des débris de pinasses, de roberges et de
|
|
felouques; il en résultait que, même les gens du roi se tinssent-
|
|
ils dans leur camp, il était évident qu'un jour ou l'autre
|
|
Buckingham, qui ne demeurait dans l'île de Ré que par entêtement,
|
|
serait obligé de lever le siège.
|
|
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|
Mais, comme M. de Toiras fit dire que tout se préparait dans le
|
|
camp ennemi pour un nouvel assaut, le roi jugea qu'il fallait en
|
|
finir et donna les ordres nécessaires pour une affaire décisive.
|
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|
|
Notre intention n'étant pas de faire un journal de siège, mais au
|
|
contraire de n'en rapporter que les événements qui ont trait à
|
|
l'histoire que nous racontons, nous nous contenterons de dire en
|
|
deux mots que l'entreprise réussit au grand étonnement du roi et à
|
|
la grande gloire de M. le cardinal. Les Anglais, repoussés pied à
|
|
pied, battus dans toutes les rencontres, écrasés au passage de
|
|
l'île de Loix, furent obligés de se rembarquer, laissant sur le
|
|
champ de bataille deux mille hommes parmi lesquels cinq colonels,
|
|
trois lieutenant-colonels, deux cent cinquante capitaines et vingt
|
|
gentilshommes de qualité, quatre pièces de canon et soixante
|
|
drapeaux qui furent apportés à Paris par Claude de Saint-Simon, et
|
|
suspendus en grande pompe aux voûtes de Notre-Dame.
|
|
|
|
Des Te Deum furent chantés au camp, et de là se répandirent par
|
|
toute la France.
|
|
|
|
Le cardinal resta donc maître de poursuivre le siège sans avoir,
|
|
du moins momentanément, rien à craindre de la part des Anglais.
|
|
|
|
Mais, comme nous venons de le dire, le repos n'était que
|
|
momentané.
|
|
|
|
Un envoyé du duc de Buckingham, nommé Montaigu, avait été pris, et
|
|
l'on avait acquis la preuve d'une ligue entre l'Empiré, l'Espagne,
|
|
l'Angleterre et la Lorraine.
|
|
|
|
Cette ligue était dirigée contre la France.
|
|
|
|
De plus, dans le logis de Buckingham, qu'il avait été forcé
|
|
d'abandonner plus précipitamment qu'il ne l'avait cru, on avait
|
|
trouvé des papiers qui confirmaient cette ligue, et qui, à ce
|
|
qu'assure M. le cardinal dans ses mémoires, compromettaient fort
|
|
Mme de Chevreuse, et par conséquent la reine.
|
|
|
|
C'était sur le cardinal que pesait toute la responsabilité, car on
|
|
n'est pas ministre absolu sans être responsable; aussi toutes les
|
|
ressources de son vaste génie étaient-elles tendues nuit et jour,
|
|
et occupées à écouter le moindre bruit qui s'élevait dans un des
|
|
grands royaumes de l'Europe.
|
|
|
|
Le cardinal connaissait l'activité et surtout la haine de
|
|
Buckingham; si la ligue qui menaçait la France triomphait, toute
|
|
son influence était perdue: la politique espagnole et la politique
|
|
autrichienne avaient leurs représentants dans le cabinet du
|
|
Louvre, où elles n'avaient encore que des partisans; lui
|
|
Richelieu, le ministre français, le ministre national par
|
|
excellence, était perdu. Le roi, qui, tout en lui obéissant comme
|
|
un enfant, le haïssait comme un enfant hait son maître,
|
|
l'abandonnait aux vengeances réunies de Monsieur et de la reine;
|
|
il était donc perdu, et peut-être la France avec lui. Il fallait
|
|
parer à tout cela.
|
|
|
|
Aussi vit-on les courriers, devenus à chaque instant plus
|
|
nombreux, se succéder nuit et jour dans cette petite maison du
|
|
pont de La Pierre, où le cardinal avait établi sa résidence.
|
|
|
|
C'étaient des moines qui portaient si mal le froc, qu'il était
|
|
facile de reconnaître qu'ils appartenaient surtout à l'église
|
|
militante; des femmes un peu gênées dans leurs costumes de pages,
|
|
et dont les larges trousses ne pouvaient entièrement dissimuler
|
|
les formes arrondies; enfin des paysans aux mains noircies, mais à
|
|
la jambe fine, et qui sentaient l'homme de qualité à une lieue à
|
|
la ronde.
|
|
|
|
Puis encore d'autres visites moins agréables, car deux ou trois
|
|
fois le bruit se répandit que le cardinal avait failli être
|
|
assassiné.
|
|
|
|
Il est vrai que les ennemis de Son Éminence disaient que c'était
|
|
elle-même qui mettait en campagne les assassins maladroits, afin
|
|
d'avoir le cas échéant le droit d'user de représailles; mais il ne
|
|
faut croire ni à ce que disent les ministres, ni à ce que disent
|
|
leurs ennemis.
|
|
|
|
Ce qui n'empêchait pas, au reste, le cardinal, à qui ses plus
|
|
acharnés détracteurs n'ont jamais contesté la bravoure
|
|
personnelle, de faire force courses nocturnes tantôt pour
|
|
communiquer au duc d'Angoulême des ordres importants, tantôt pour
|
|
aller se concerter avec le roi, tantôt pour aller conférer avec
|
|
quelque messager qu'il ne voulait pas qu'on laissât entrer chez
|
|
lui.
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|
|
|
De leur côté les mousquetaires qui n'avaient pas grand-chose à
|
|
faire au siège n'étaient pas tenus sévèrement et menaient joyeuse
|
|
vie. Cela leur était d'autant plus facile, à nos trois compagnons
|
|
surtout, qu'étant des amis de M. de Tréville, ils obtenaient
|
|
facilement de lui de s'attarder et de rester après la fermeture du
|
|
camp avec des permissions particulières.
|
|
|
|
Or, un soir que d'Artagnan, qui était de tranchée, n'avait pu les
|
|
accompagner, Athos, Porthos et Aramis, montés sur leurs chevaux de
|
|
bataille, enveloppés de manteaux de guerre, une main sur la crosse
|
|
de leurs pistolets, revenaient tous trois d'une buvette qu'Athos
|
|
avait découverte deux jours auparavant sur la route de La Jarrie,
|
|
et qu'on appelait le Colombier-Rouge, suivant le chemin qui
|
|
conduisait au camp, tout en se tenant sur leurs gardes, comme nous
|
|
l'avons dit, de peur d'embuscade, lorsqu'à un quart de lieue à peu
|
|
près du village de Boisnar ils crurent entendre le pas d'une
|
|
cavalcade qui venait à eux; aussitôt tous trois s'arrêtèrent,
|
|
serrés l'un contre l'autre, et attendirent, tenant le milieu de la
|
|
route: au bout d'un instant, et comme la lune sortait justement
|
|
d'un nuage, ils virent apparaître au détour d'un chemin deux
|
|
cavaliers qui, en les apercevant, s'arrêtèrent à leur tour,
|
|
paraissant délibérer s'ils devaient continuer leur route ou
|
|
retourner en arrière. Cette hésitation donna quelques soupçons aux
|
|
trois amis, et Athos, faisant quelques pas en avant, cria de sa
|
|
voix ferme:
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«Qui vive?
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|
|
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-- Qui vive vous-même? répondit un de ces deux cavaliers.
|
|
|
|
-- Ce n'est pas répondre, cela! dit Athos. Qui vive? Répondez, ou
|
|
nous chargeons.
|
|
|
|
-- Prenez garde à ce que vous allez faire, messieurs! dit alors
|
|
une voix vibrante qui paraissait avoir l'habitude du commandement.
|
|
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|
-- C'est quelque officier supérieur qui fait sa ronde de nuit, dit
|
|
Athos, que voulez-vous faire, messieurs?
|
|
|
|
-- Qui êtes-vous? dit la même voix du même ton de commandement;
|
|
répondez à votre tour, ou vous pourriez vous mal trouver de votre
|
|
désobéissance.
|
|
|
|
-- Mousquetaires du roi, dit Athos, de plus en plus convaincu que
|
|
celui qui les interrogeait en avait le droit.
|
|
|
|
-- Quelle compagnie?
|
|
|
|
-- Compagnie de Tréville.
|
|
|
|
-- Avancez à l'ordre, et venez me rendre compte de ce que vous
|
|
faites ici, à cette heure.»
|
|
|
|
Les trois compagnons s'avancèrent, l'oreille un peu basse, car
|
|
tous trois maintenant étaient convaincus qu'ils avaient affaire à
|
|
plus fort qu'eux; on laissa, au reste, à Athos le soin de porter
|
|
la parole.
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|
|
|
Un des deux cavaliers, celui qui avait pris la parole en second
|
|
lieu, était à dix pas en avant de son compagnon; Athos fit signe à
|
|
Porthos et à Aramis de rester de leur côté en arrière, et s'avança
|
|
seul.
|
|
|
|
«Pardon, mon officier! dit Athos; mais nous ignorions à qui nous
|
|
avions affaire, et vous pouvez voir que nous faisions bonne garde.
|
|
|
|
-- Votre nom? dit l'officier, qui se couvrait une partie du visage
|
|
avec son manteau.
|
|
|
|
-- Mais vous-même, monsieur, dit Athos qui commençait à se
|
|
révolter contre cette inquisition; donnez-moi, je vous prie, la
|
|
preuve que vous avez le droit de m'interroger.
|
|
|
|
-- Votre nom? reprit une seconde fois le cavalier en laissant
|
|
tomber son manteau de manière à avoir le visage découvert.
|
|
|
|
-- Monsieur le cardinal! s'écria le mousquetaire stupéfait.
|
|
|
|
-- Votre nom? reprit pour la troisième fois Son Éminence.
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|
|
|
-- Athos», dit le mousquetaire.
|
|
|
|
Le cardinal fit un signe à l'écuyer, qui se rapprocha.
|
|
|
|
«Ces trois mousquetaires nous suivront, dit-il à voix basse, je ne
|
|
veux pas qu'on sache que je suis sorti du camp, et, en nous
|
|
suivant, nous serons sûrs qu'ils ne le diront à personne.
|
|
|
|
-- Nous sommes gentilshommes, Monseigneur, dit Athos; demandez-
|
|
nous donc notre parole et ne vous inquiétez de rien. Dieu merci,
|
|
nous savons garder un secret.»
|
|
|
|
Le cardinal fixa ses yeux perçants sur ce hardi interlocuteur.
|
|
|
|
«Vous avez l'oreille fine, monsieur Athos, dit le cardinal; mais
|
|
maintenant, écoutez ceci: ce n'est point par défiance que je vous
|
|
prie de me suivre, c'est pour ma sûreté: sans doute vos deux
|
|
compagnons sont MM. Porthos et Aramis?
|
|
|
|
-- Oui, Votre Éminence, dit Athos, tandis que les deux
|
|
mousquetaires restés en arrière s'approchaient, le chapeau à la
|
|
main.
|
|
|
|
-- Je vous connais, messieurs, dit le cardinal, je vous connais:
|
|
je sais que vous n'êtes pas tout à fait de mes amis, et j'en suis
|
|
fâché, mais je sais que vous êtes de braves et loyaux
|
|
gentilshommes, et qu'on peut se fier à vous. Monsieur Athos,
|
|
faites-moi donc l'honneur de m'accompagner, vous et vos deux amis,
|
|
et alors j'aurai une escorte à faire envie à Sa Majesté, si nous
|
|
la rencontrons.»
|
|
|
|
Les trois mousquetaires s'inclinèrent jusque sur le cou de leurs
|
|
chevaux.
|
|
|
|
«Eh bien, sur mon honneur, dit Athos, Votre Éminence a raison de
|
|
nous emmener avec elle: nous avons rencontré sur la route des
|
|
visages affreux, et nous avons même eu avec quatre de ces visages
|
|
une querelle au Colombier-Rouge.
|
|
|
|
-- Une querelle, et pourquoi, messieurs? dit le cardinal, je
|
|
n'aime pas les querelleurs, vous le savez!
|
|
|
|
-- C'est justement pour cela que j'ai l'honneur de prévenir Votre
|
|
Éminence de ce qui vient d'arriver; car elle pourrait l'apprendre
|
|
par d'autres que par nous, et, sur un faux rapport, croire que
|
|
nous sommes en faute.
|
|
|
|
-- Et quels ont été les résultats de cette querelle? demanda le
|
|
cardinal en fronçant le sourcil.
|
|
|
|
-- Mais mon ami Aramis, que voici, a reçu un petit coup d'épée
|
|
dans le bras, ce qui ne l'empêchera pas, comme Votre Éminence peut
|
|
le voir, de monter à l'assaut demain, si Votre Éminence ordonne
|
|
l'escalade.
|
|
|
|
-- Mais vous n'êtes pas hommes à vous laisser donner des coups
|
|
d'épée ainsi, dit le cardinal: voyons, soyez francs, messieurs,
|
|
vous en avez bien rendu quelques-uns; confessez-vous, vous savez
|
|
que j'ai le droit de donner l'absolution.
|
|
|
|
-- Moi, Monseigneur, dit Athos, je n'ai pas même mis l'épée à la
|
|
main, mais j'ai pris celui à qui j'avais affaire à bras-le-corps
|
|
et je l'ai jeté par la fenêtre; il paraît qu'en tombant, continua
|
|
Athos avec quelque hésitation, il s'est cassé la cuisse.
|
|
|
|
-- Ah! ah! fit le cardinal; et vous, monsieur Porthos?
|
|
|
|
-- Moi, Monseigneur, sachant que le duel est défendu, j'ai saisi
|
|
un banc, et j'en ai donné à l'un de ces brigands un coup qui, je
|
|
crois, lui a brisé l'épaule.
|
|
|
|
-- Bien, dit le cardinal; et vous, monsieur Aramis?
|
|
|
|
-- Moi, Monseigneur, comme je suis d'un naturel très doux et que,
|
|
d'ailleurs, ce que Monseigneur ne sait peut-être pas, je suis sur
|
|
le point de rentrer dans les ordres, je voulais séparer mes
|
|
camarades, quand un de ces misérables m'a donné traîtreusement un
|
|
coup d'épée à travers le bras gauche: alors la patience m'a
|
|
manqué, j'ai tiré mon épée à mon tour, et comme il revenait à la
|
|
charge, je crois avoir senti qu'en se jetant sur moi il se l'était
|
|
passée au travers du corps: je sais bien qu'il est tombé
|
|
seulement, et il m'a semblé qu'on l'emportait avec ses deux
|
|
compagnons.
|
|
|
|
-- Diable, messieurs! dit le cardinal, trois hommes hors de combat
|
|
pour une dispute de cabaret, vous n'y allez pas de main morte; et
|
|
à propos de quoi était venue la querelle?
|
|
|
|
-- Ces misérables étaient ivres, dit Athos, et sachant qu'il y
|
|
avait une femme qui était arrivée le soir dans le cabaret, ils
|
|
voulaient forcer la porte.
|
|
|
|
-- Forcer la porte! dit le cardinal, et pour quoi faire?
|
|
|
|
-- Pour lui faire violence sans doute, dit Athos; j'ai eu
|
|
l'honneur de dire à Votre Éminence que ces misérables étaient
|
|
ivres.
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|
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-- Et cette femme était jeune et jolie? demanda le cardinal avec
|
|
une certaine inquiétude.
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-- Nous ne l'avons pas vue, Monseigneur, dit Athos.
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-- Vous ne l'avez pas vue; ah! très bien, reprit vivement le
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cardinal; vous avez bien fait de défendre l'honneur d'une femme,
|
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et, comme c'est à l'auberge du Colombier-Rouge que je vais moi-
|
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même, je saurai si vous m'avez dit la vérité.
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-- Monseigneur, dit fièrement Athos, nous sommes gentilshommes, et
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pour sauver notre tête, nous ne ferions pas un mensonge.
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-- Aussi je ne doute pas de ce que vous me dites, monsieur Athos,
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je n'en doute pas un seul instant; mais, ajouta-t-il pour changer
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la conversation, cette dame était donc seule?
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-- Cette dame avait un cavalier enfermé avec elle, dit Athos;
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mais, comme malgré le bruit ce cavalier ne s'est pas montré, il
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est à présumer que c'est un lâche.
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-- Ne jugez pas témérairement, dit l'évangile», répliqua le
|
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cardinal.
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Athos s'inclina.
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«Et maintenant, messieurs, c'est bien, continua Son Éminence, je
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sais ce que je voulais savoir; suivez-moi.»
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Les trois mousquetaires passèrent derrière le cardinal, qui
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s'enveloppa de nouveau le visage de son manteau et remit son
|
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cheval en marche, se tenant à huit ou dix pas en avant de ses
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quatre compagnons.
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On arriva bientôt à l'auberge silencieuse et solitaire; sans doute
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l'hôte savait quel illustre visiteur il attendait, et en
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conséquence il avait renvoyé les importuns.
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Dix pas avant d'arriver à la porte, le cardinal fit signe à son
|
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écuyer et aux trois mousquetaires de faire halte, un cheval tout
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sellé était attaché au contrevent, le cardinal frappa trois coups
|
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et de certaine façon.
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Un homme enveloppé d'un manteau sortit aussitôt et échangea
|
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quelques rapides paroles avec le cardinal; après quoi il remonta à
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cheval et repartit dans la direction de Surgères, qui était aussi
|
|
celle de Paris.
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«Avancez, messieurs, dit le cardinal.
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-- Vous m'avez dit la vérité, mes gentilshommes, dit-il en
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s'adressant aux trois mousquetaires, il ne tiendra pas à moi que
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notre rencontre de ce soir ne vous soit avantageuse; en attendant,
|
|
suivez-moi.»
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Le cardinal mit pied à terre, les trois mousquetaires en firent
|
|
autant; le cardinal jeta la bride de son cheval aux mains de son
|
|
écuyer, les trois mousquetaires attachèrent les brides des leurs
|
|
aux contrevents.
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L'hôte se tenait sur le seuil de la porte; pour lui, le cardinal
|
|
n'était qu'un officier venant visiter une dame.
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«Avez-vous quelque chambre au rez-de-chaussée où ces messieurs
|
|
puissent m'attendre près d'un bon feu?» dit le cardinal.
|
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|
L'hôte ouvrit la porte d'une grande salle, dans laquelle justement
|
|
on venait de remplacer un mauvais poêle par une grande et
|
|
excellente cheminée.
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«J'ai celle-ci, répondit-il.
|
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-- C'est bien, dit le cardinal; entrez là, messieurs, et veuillez
|
|
m'attendre; je ne serai pas plus d'une demi-heure.»
|
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|
Et tandis que les trois mousquetaires entraient dans la chambre du
|
|
rez-de-chaussée, le cardinal, sans demander plus amples
|
|
renseignements, monta l'escalier en homme qui n'a pas besoin qu'on
|
|
lui indique son chemin.
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CHAPITRE XLIV
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DE L'UTILITÉ DES TUYAUX DE POÊLE
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Il était évident que, sans s'en douter, et mus seulement par leur
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caractère chevaleresque et aventureux, nos trois amis venaient de
|
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rendre service à quelqu'un que le cardinal honorait de sa
|
|
protection particulière.
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|
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|
Maintenant quel était ce quelqu'un? C'est la question que se
|
|
firent d'abord les trois mousquetaires; puis, voyant qu'aucune des
|
|
réponses que pouvait leur faire leur intelligence n'était
|
|
satisfaisante, Porthos appela l'hôte et demanda des dés.
|
|
|
|
Porthos et Aramis se placèrent à une table et se mirent à jouer.
|
|
Athos se promena en réfléchissant.
|
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|
|
En réfléchissant et en se promenant, Athos passait et repassait
|
|
devant le tuyau du poêle rompu par la moitié et dont l'autre
|
|
extrémité donnait dans la chambre supérieure, et à chaque fois
|
|
qu'il passait et repassait, il entendait un murmure de paroles qui
|
|
finit par fixer son attention. Athos s'approcha, et il distingua
|
|
quelques mots qui lui parurent sans doute mériter un si grand
|
|
intérêt qu'il fit signe à ses compagnons de se taire, restant lui-
|
|
même courbé l'oreille tendue à la hauteur de l'orifice inférieur.
|
|
|
|
«Écoutez, Milady, disait le cardinal, l'affaire est importante:
|
|
asseyez-vous là et causons.
|
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|
|
-- Milady! murmura Athos.
|
|
|
|
-- J'écoute Votre Éminence avec la plus grande attention, répondit
|
|
une voix de femme qui fit tressaillir le mousquetaire.
|
|
|
|
-- Un petit bâtiment avec équipage anglais, dont le capitaine est
|
|
à moi, vous attend à l'embouchure de la Charente, au fort de La
|
|
Pointe; il mettra à la voile demain matin.
|
|
|
|
-- Il faut alors que je m'y rende cette nuit?
|
|
|
|
-- À l'instant même, c'est-à-dire lorsque vous aurez reçu mes
|
|
instructions. Deux hommes que vous trouverez à la porte en sortant
|
|
vous serviront d'escorte; vous me laisserez sortir le premier,
|
|
puis une demi-heure après moi, vous sortirez à votre tour.
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur. Maintenant revenons à la mission dont vous
|
|
voulez bien me charger; et comme je tiens à continuer de mériter
|
|
la confiance de Votre Éminence, daignez me l'exposer en termes
|
|
clairs et précis, afin que je ne commette aucune erreur.»
|
|
|
|
Il y eut un instant de profond silence entre les deux
|
|
interlocuteurs; il était évident que le cardinal mesurait d'avance
|
|
les termes dans lesquels il allait parler, et que Milady
|
|
recueillait toutes ses facultés intellectuelles pour comprendre
|
|
les choses qu'il allait dire et les graver dans sa mémoire quand
|
|
elles seraient dites.
|
|
|
|
Athos profita de ce moment pour dire à ses deux compagnons de
|
|
fermer la porte en dedans et pour leur faire signe de venir
|
|
écouter avec lui.
|
|
|
|
Les deux mousquetaires, qui aimaient leurs aises, apportèrent une
|
|
chaise pour chacun d'eux, et une chaise pour Athos. Tous trois
|
|
s'assirent alors, leurs têtes rapprochées et l'oreille au guet.
|
|
|
|
«Vous allez partir pour Londres, continua le cardinal. Arrivée à
|
|
Londres, vous irez trouver Buckingham.
|
|
|
|
-- Je ferai observer à Son Éminence, dit Milady, que depuis
|
|
l'affaire des ferrets de diamants, pour laquelle le duc m'a
|
|
toujours soupçonnée, Sa Grâce se défie de moi.
|
|
|
|
-- Aussi cette fois-ci, dit le cardinal, ne s'agit-il plus de
|
|
capter sa confiance, mais de se présenter franchement et
|
|
loyalement à lui comme négociatrice.
|
|
|
|
-- Franchement et loyalement, répéta Milady avec une indicible
|
|
expression de duplicité.
|
|
|
|
-- Oui, franchement et loyalement, reprit le cardinal du même ton;
|
|
toute cette négociation doit être faite à découvert.
|
|
|
|
-- Je suivrai à la lettre les instructions de Son Éminence, et
|
|
j'attends qu'elle me les donne.
|
|
|
|
-- Vous irez trouver Buckingham de ma part, et vous lui direz que
|
|
je sais tous les préparatifs qu'il fait mais que je ne m'en
|
|
inquiète guère, attendu qu'au premier mouvement qu'il risquera, je
|
|
perds la reine.
|
|
|
|
-- Croira-t-il que Votre Éminence est en mesure d'accomplir la
|
|
menace qu'elle lui fait?
|
|
|
|
-- Oui, car j'ai des preuves.
|
|
|
|
-- Il faut que je puisse présenter ces preuves à son appréciation.
|
|
|
|
-- Sans doute, et vous lui direz que je publie le rapport de Bois-
|
|
Robert et du marquis de Beautru sur l'entrevue que le duc a eu
|
|
chez Mme la connétable avec la reine, le soir que Mme la
|
|
connétable a donné une fête masquée; vous lui direz, afin qu'il ne
|
|
doute de rien, qu'il y est venu sous le costume du grand mogol que
|
|
devait porter le chevalier de Guise, et qu'il a acheté à ce
|
|
dernier moyennant la somme de trois mille pistoles.
|
|
|
|
-- Bien, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Tous les détails de son entrée au Louvre et de sa sortie
|
|
pendant la nuit où il s'est introduit au palais sous le costume
|
|
d'un diseur de bonne aventure italien me sont connus; vous lui
|
|
direz, pour qu'il ne doute pas encore de l'authenticité de mes
|
|
renseignements, qu'il avait sous son manteau une grande robe
|
|
blanche semée de larmes noires, de têtes de mort et d'os en
|
|
sautoir: car, en cas de surprise, il devait se faire passer pour
|
|
le fantôme de la Dame blanche qui, comme chacun le sait, revient
|
|
au Louvre chaque fois que quelque grand événement va s'accomplir.
|
|
|
|
-- Est-ce tout, Monseigneur?
|
|
|
|
-- Dites-lui que je sais encore tous les détails de l'aventure
|
|
d'Amiens, que j'en ferai faire un petit roman, spirituellement
|
|
tourné, avec un plan du jardin et les portraits des principaux
|
|
acteurs de cette scène nocturne.
|
|
|
|
-- Je lui dirai cela.
|
|
|
|
-- Dites-lui encore que je tiens Montaigu, que Montaigu est à la
|
|
Bastille, qu'on n'a surpris aucune lettre sur lui, c'est vrai,
|
|
mais que la torture peut lui faire dire ce qu'il sait, et même...
|
|
ce qu'il ne sait pas.
|
|
|
|
-- À merveille.
|
|
|
|
-- Enfin ajoutez que Sa Grâce, dans la précipitation qu'elle a
|
|
mise à quitter l'île de Ré, oublia dans son logis certaine lettre
|
|
de Mme de Chevreuse qui compromet singulièrement la reine, en ce
|
|
qu'elle prouve non seulement que Sa Majesté peut aimer les ennemis
|
|
du roi, mais encore qu'elle conspire avec ceux de la France. Vous
|
|
avez bien retenu tout ce que je vous ai dit, n'est-ce pas?
|
|
|
|
-- Votre Éminence va en juger: le bal de Mme la connétable; la
|
|
nuit du Louvre; la soirée d'Amiens; l'arrestation de Montaigu; la
|
|
lettre de Mme de Chevreuse.
|
|
|
|
-- C'est cela, dit le cardinal, c'est cela: vous avez une bien
|
|
heureuse mémoire, Milady.
|
|
|
|
-- Mais, reprit celle à qui le cardinal venait d'adresser ce
|
|
compliment flatteur, si malgré toutes ces raisons le duc ne se
|
|
rend pas et continue de menacer la France?
|
|
|
|
-- Le duc est amoureux comme un fou, ou plutôt comme un niais,
|
|
reprit Richelieu avec une profonde amertume; comme les anciens
|
|
paladins, il n'a entrepris cette guerre que pour obtenir un regard
|
|
de sa belle. S'il sait que cette guerre peut coûter l'honneur et
|
|
peut-être la liberté à la dame de ses pensées, comme il dit, je
|
|
vous réponds qu'il y regardera à deux fois.
|
|
|
|
-- Et cependant, dit Milady avec une persistance qui prouvait
|
|
qu'elle voulait voir clair jusqu'au bout, dans la mission dont
|
|
elle allait être chargée, cependant s'il persiste?
|
|
|
|
-- S'il persiste, dit le cardinal..., ce n'est pas probable.
|
|
|
|
-- C'est possible, dit Milady.
|
|
|
|
-- S'il persiste...» Son Éminence fit une pause et reprit»S'il
|
|
persiste, eh bien, j'espérerai dans un de ces événements qui
|
|
changent la face des États.
|
|
|
|
-- Si Son Éminence voulait me citer dans l'histoire quelques-uns
|
|
de ces événements, dit Milady, peut-être partagerais-je sa
|
|
confiance dans l'avenir.
|
|
|
|
-- Eh bien, tenez! par exemple, dit Richelieu, lorsqu'en 1610,
|
|
pour une cause à peu près pareille à celle qui fait mouvoir le
|
|
duc, le roi Henri IV, de glorieuse mémoire, allait à la fois
|
|
envahir les Flandres et l'Italie pour frapper à la fois l'Autriche
|
|
des deux côtés, eh bien, n'est-il pas arrivé un événement qui a
|
|
sauvé l'Autriche? Pourquoi le roi de France n'aurait-il pas la
|
|
même chance que l'empereur?
|
|
|
|
-- Votre Éminence veut parler du coup de couteau de la rue de la
|
|
Ferronnerie?
|
|
|
|
-- Justement, dit le cardinal.
|
|
|
|
-- Votre Éminence ne craint-elle pas que le supplice de Ravaillac
|
|
épouvante ceux qui auraient un instant l'idée de l'imiter?
|
|
|
|
-- Il y aura en tout temps et dans tous les pays, surtout si ces
|
|
pays sont divisés de religion, des fanatiques qui ne demanderont
|
|
pas mieux que de se faire martyrs. Et tenez, justement il me
|
|
revient à cette heure que les puritains sont furieux contre le duc
|
|
de Buckingham et que leurs prédicateurs le désignent comme
|
|
l'Antéchrist.
|
|
|
|
-- Eh bien? fit Milady.
|
|
|
|
-- Eh bien, continua le cardinal d'un air indifférent, il ne
|
|
s'agirait, pour le moment, par exemple, que de trouver une femme,
|
|
belle, jeune, adroite, qui eût à se venger elle-même du duc. Une
|
|
pareille femme peut se rencontrer: le duc est homme à bonnes
|
|
fortunes, et, s'il a semé bien des amours par ses promesses de
|
|
constance éternelle, il a dû semer bien des haines aussi par ses
|
|
éternelles infidélités.
|
|
|
|
-- Sans doute, dit froidement Milady, une pareille femme peut se
|
|
rencontrer.
|
|
|
|
-- Eh bien, une pareille femme, qui mettrait le couteau de Jacques
|
|
Clément ou de Ravaillac aux mains d'un fanatique, sauverait la
|
|
France.
|
|
|
|
-- Oui, mais elle serait complice d'un assassinat.
|
|
|
|
-- A-t-on jamais connu les complices de Ravaillac ou de Jacques
|
|
Clément?
|
|
|
|
-- Non, car peut-être étaient-ils placés trop haut pour qu'on osât
|
|
les aller chercher là où ils étaient: on ne brûlerait pas le
|
|
Palais de Justice pour tout le monde, Monseigneur.
|
|
|
|
-- Vous croyez donc que l'incendie du Palais de Justice a une
|
|
cause autre que celle du hasard? demanda Richelieu du ton dont il
|
|
eût fait une question sans aucune importance.
|
|
|
|
-- Moi, Monseigneur, répondit Milady, je ne crois rien, je cite un
|
|
fait, voilà tout, seulement, je dis que si je m'appelais
|
|
Mlle de Monpensier ou la reine Marie de Médicis, je prendrais
|
|
moins de précautions que j'en prends, m'appelant tout simplement
|
|
Lady Clarick.
|
|
|
|
-- C'est juste, dit Richelieu, et que voudriez-vous donc?
|
|
|
|
-- Je voudrais un ordre qui ratifiât d'avance tout ce que je
|
|
croirai devoir faire pour le plus grand bien de la France.
|
|
|
|
-- Mais il faudrait d'abord trouver la femme que j'ai dit, et qui
|
|
aurait à se venger du duc.
|
|
|
|
-- Elle est trouvée, dit Milady.
|
|
|
|
-- Puis il faudrait trouver ce misérable fanatique qui servira
|
|
d'instrument à la justice de Dieu.
|
|
|
|
-- On le trouvera.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit le duc, alors il sera temps de réclamer l'ordre
|
|
que vous demandiez tout à l'heure.
|
|
|
|
-- Votre Éminence a raison, dit Milady, et c'est moi qui ai eu
|
|
tort de voir dans la mission dont elle m'honore autre chose que ce
|
|
qui est réellement, c'est-à-dire d'annoncer à Sa Grâce, de la part
|
|
de Son Éminence, que vous connaissez les différents déguisements à
|
|
l'aide desquels il est parvenu à se rapprocher de la reine pendant
|
|
la fête donnée par Mme la connétable; que vous avez les preuves de
|
|
l'entrevue accordée au Louvre par la reine à certain astrologue
|
|
italien qui n'est autre que le duc de Buckingham; que vous avez
|
|
commandé un petit roman, des plus spirituels, sur l'aventure
|
|
d'Amiens, avec plan du jardin où cette aventure s'est passée et
|
|
portraits des acteurs qui y ont figuré; que Montaigu est à la
|
|
Bastille, et que la torture peut lui faire dire des choses dont il
|
|
se souvient et même des choses qu'il aurait oubliées; enfin, que
|
|
vous possédez certaine lettre de Mme de Chevreuse, trouvée dans le
|
|
logis de Sa Grâce, qui compromet singulièrement, non seulement
|
|
celle qui l'a écrite, mais encore celle au nom de qui elle a été
|
|
écrite. Puis, s'il persiste malgré tout cela, comme c'est à ce que
|
|
je viens de dire que se borne ma mission, je n'aurai plus qu'à
|
|
prier Dieu de faire un miracle pour sauver la France. C'est bien
|
|
cela, n'est-ce pas, Monseigneur, et je n'ai pas autre chose à
|
|
faire?
|
|
|
|
-- C'est bien cela, reprit sèchement le cardinal.
|
|
|
|
-- Et maintenant, dit Milady sans paraître remarquer le changement
|
|
de ton du duc à son égard, maintenant que j'ai reçu les
|
|
instructions de Votre Éminence à propos de ses ennemis,
|
|
Monseigneur me permettra-t-il de lui dire deux mots des miens?
|
|
|
|
-- Vous avez donc des ennemis? demanda Richelieu.
|
|
|
|
-- Oui, Monseigneur; des ennemis contre lesquels vous me devez
|
|
tout votre appui, car je me les suis faits en servant Votre
|
|
Éminence.
|
|
|
|
-- Et lesquels? répliqua le duc.
|
|
|
|
-- D'abord une petite intrigante du nom de Bonacieux.
|
|
|
|
-- Elle est dans la prison de Mantes.
|
|
|
|
-- C'est-à-dire qu'elle y était, reprit Milady, mais la reine a
|
|
surpris un ordre du roi, à l'aide duquel elle l'a fait transporter
|
|
dans un couvent.
|
|
|
|
-- Dans un couvent? dit le duc.
|
|
|
|
-- Oui, dans un couvent.
|
|
|
|
-- Et dans lequel?
|
|
|
|
-- Je l'ignore, le secret a été bien gardé...
|
|
|
|
-- Je le saurai, moi!
|
|
|
|
-- Et Votre Éminence me dira dans quel couvent est cette femme?
|
|
|
|
-- Je n'y vois pas d'inconvénient, dit le cardinal.
|
|
|
|
-- Bien; maintenant j'ai un autre ennemi bien autrement à craindre
|
|
pour moi que cette petite Mme Bonacieux.
|
|
|
|
-- Et lequel?
|
|
|
|
-- Son amant.
|
|
|
|
-- Comment s'appelle-t-il?
|
|
|
|
-- Oh! Votre Éminence le connaît bien, s'écria Milady emportée par
|
|
la colère, c'est notre mauvais génie à tous deux; c'est celui qui,
|
|
dans une rencontre avec les gardes de Votre Éminence, a décidé la
|
|
victoire en faveur des mousquetaires du roi; c'est celui qui a
|
|
donné trois coups d'épée à de Wardes, votre émissaire, et qui a
|
|
fait échouer l'affaire des ferrets; c'est celui enfin qui, sachant
|
|
que c'était moi qui lui avais enlevé Mme Bonacieux, a juré ma
|
|
mort.
|
|
|
|
-- Ah! ah! dit le cardinal, je sais de qui vous voulez parler.
|
|
|
|
-- Je veux parler de ce misérable d'Artagnan.
|
|
|
|
-- C'est un hardi compagnon, dit le cardinal.
|
|
|
|
-- Et c'est justement parce que c'est un hardi compagnon qu'il
|
|
n'en est que plus à craindre.
|
|
|
|
-- Il faudrait, dit le duc, avoir une preuve de ses intelligences
|
|
avec Buckingham.
|
|
|
|
-- Une preuve, s'écria Milady, j'en aurai dix.
|
|
|
|
-- Eh bien, alors! c'est la chose la plus simple du monde, ayez-
|
|
moi cette preuve et je l'envoie à la Bastille.
|
|
|
|
-- Bien, Monseigneur! mais ensuite?
|
|
|
|
-- Quand on est à la Bastille, il n'y a pas d'ensuite, dit le
|
|
cardinal d'une voix sourde. Ah! pardieu, continua-t-il, s'il
|
|
m'était aussi facile de me débarrasser de mon ennemi qu'il m'est
|
|
facile de me débarrasser des vôtres, et si c'était contre de
|
|
pareilles gens que vous me demandiez l'impunité!...
|
|
|
|
-- Monseigneur, reprit Milady, troc pour troc, existence pour
|
|
existence, homme pour homme; donnez-moi celui-là, je vous donne
|
|
l'autre.
|
|
|
|
-- Je ne sais pas ce que vous voulez dire, reprit le cardinal, et
|
|
ne veux même pas le savoir, mais j'ai le désir de vous être
|
|
agréable et ne vois aucun inconvénient à vous donner ce que vous
|
|
demandez à l'égard d'une si infime créature; d'autant plus, comme
|
|
vous me le dites, que ce petit d'Artagnan est un libertin, un
|
|
duelliste, un traître.
|
|
|
|
-- Un infâme, Monseigneur, un infâme!
|
|
|
|
-- Donnez-moi donc du papier, une plume et de l'encre, dit le
|
|
cardinal.
|
|
|
|
-- En voici, Monseigneur.»
|
|
|
|
Il se fit un instant de silence qui prouvait que le cardinal était
|
|
occupé à chercher les termes dans lesquels devait être écrit le
|
|
billet, ou même à l'écrire. Athos, qui n'avait pas perdu un mot de
|
|
la conversation, prit ses deux compagnons chacun par une main et
|
|
les conduisit à l'autre bout de la chambre.
|
|
|
|
«Eh bien, dit Porthos, que veux-tu, et pourquoi ne nous laisses-tu
|
|
pas écouter la fin de la conversation?
|
|
|
|
-- Chut! dit Athos parlant à voix basse, nous en avons entendu
|
|
tout ce qu'il est nécessaire que nous entendions; d'ailleurs je ne
|
|
vous empêche pas d'écouter le reste, mais il faut que je sorte.
|
|
|
|
-- Il faut que tu sortes! dit Porthos; mais si le cardinal te
|
|
demande, que répondrons-nous?
|
|
|
|
-- Vous n'attendrez pas qu'il me demande, vous lui direz les
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premiers que je suis parti en éclaireur parce que certaines
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paroles de notre hôte m'ont donné à penser que le chemin n'était
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pas sûr; j'en toucherai d'abord deux mots à l'écuyer du cardinal;
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le reste me regarde, ne vous en inquiétez pas.
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-- Soyez prudent, Athos! dit Aramis.
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-- Soyez tranquille, répondit Athos, vous le savez, j'ai du sang-
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froid.»
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Porthos et Aramis allèrent reprendre leur place près du tuyau de
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poêle.
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Quant à Athos, il sortit sans aucun mystère, alla prendre son
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cheval attaché avec ceux de ses deux amis aux tourniquets des
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contrevents, convainquit en quatre mots l'écuyer de la nécessité
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d'une avant-garde pour le retour, visita avec affectation l'amorce
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de ses pistolets, mit l'épée aux dents et suivit, en enfant perdu,
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la route qui conduisait au camp.
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CHAPITRE XLV
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SCÈNE CONJUGALE
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Comme l'avait prévu Athos, le cardinal ne tarda point à descendre;
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il ouvrit la porte de la chambre où étaient entrés les
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mousquetaires, et trouva Porthos faisant une partie de dés
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acharnée avec Aramis. D'un coup d'oeil rapide, il fouilla tous les
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coins de la salle, et vit qu'un de ses hommes lui manquait.
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«Qu'est devenu M. Athos? demanda-t-il.
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-- Monseigneur, répondit Porthos, il est parti en éclaireur sur
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quelques propos de notre hôte, qui lui ont fait croire que la
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route n'était pas sûre.
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-- Et vous, qu'avez-vous fait, monsieur Porthos?
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-- J'ai gagné cinq pistoles à Aramis.
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-- Et maintenant, vous pouvez revenir avec moi?
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-- Nous sommes aux ordres de Votre Éminence.
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-- À cheval donc, messieurs, car il se fait tard.»
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L'écuyer était à la porte, et tenait en bride le cheval du
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cardinal. Un peu plus loin, un groupe de deux hommes et de trois
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chevaux apparaissait dans l'ombre; ces deux hommes étaient ceux
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qui devaient conduire Milady au fort de La Pointe, et veiller à
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son embarquement.
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L'écuyer confirma au cardinal ce que les deux mousquetaires lui
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avaient déjà dit à propos d'Athos. Le cardinal fit un geste
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approbateur, et reprit la route, s'entourant au retour des mêmes
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précautions qu'il avait prises au départ.
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Laissons-le suivre le chemin du camp, protégé par l'écuyer et les
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deux mousquetaires, et revenons à Athos.
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Pendant une centaine de pas, il avait marché de la même allure;
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mais, une fois hors de vue, il avait lancé son cheval à droite,
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avait fait un détour, et était revenu à une vingtaine de pas, dans
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le taillis, guetter le passage de la petite troupe; ayant reconnu
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les chapeaux bordés de ses compagnons et la frange dorée du
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manteau de M. le cardinal, il attendit que les cavaliers eussent
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tourné l'angle de la route, et, les ayant perdus de vue, il revint
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au galop à l'auberge, qu'on lui ouvrit sans difficulté.
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L'hôte le reconnut.
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«Mon officier, dit Athos, a oublié de faire à la dame du premier
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une recommandation importante, il m'envoie pour réparer son oubli.
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-- Montez, dit l'hôte, elle est encore dans sa chambre.»
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Athos profita de la permission, monta l'escalier de son pas le
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plus léger, arriva sur le carré, et, à travers la porte
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entrouverte, il vit Milady qui attachait son chapeau.
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Il entra dans la chambre, et referma la porte derrière lui.
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Au bruit qu'il fit en repoussant le verrou, Milady se retourna.
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Athos était debout devant la porte, enveloppé dans son manteau,
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son chapeau rabattu sur ses yeux.
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En voyant cette figure muette et immobile comme une statue, Milady
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eut peur.
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«Qui êtes-vous? et que demandez-vous?» s'écria-t-elle. «Allons,
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c'est bien elle!» murmura Athos.
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Et, laissant tomber son manteau, et relevant son feutre, il
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s'avança vers Milady.
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«Me reconnaissez-vous, madame?» dit-il.
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Milady fit un pas en avant, puis recula comme à la vue d'un
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serpent.
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«Allons, dit Athos, c'est bien, je vois que vous me reconnaissez.
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-- Le comte de La Fère! murmura Milady en pâlissant et en reculant
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jusqu'à ce que la muraille l'empêchât d'aller plus loin.
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-- Oui, Milady, répondit Athos, le comte de La Fère en personne,
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qui revient tout exprès de l'autre monde pour avoir le plaisir de
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vous voir. Asseyons-nous donc, et causons, comme dit Monseigneur
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le cardinal.»
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Milady, dominée par une terreur inexprimable, s'assit sans
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proférer une seule parole.
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«Vous êtes donc un démon envoyé sur la terre? dit Athos. Votre
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puissance est grande, je le sais; mais vous savez aussi qu'avec
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l'aide de Dieu les hommes ont souvent vaincu les démons les plus
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terribles. Vous vous êtes déjà trouvée sur mon chemin, je croyais
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vous avoir terrassée, madame; mais, ou je me trompai, ou l'enfer
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vous a ressuscitée.»
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Milady, à ces paroles qui lui rappelaient des souvenirs
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effroyables, baissa la tête avec un gémissement sourd.
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«Oui, l'enfer vous a ressuscitée, reprit Athos, l'enfer vous a
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faite riche, l'enfer vous a donné un autre nom l'enfer vous a
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presque refait même un autre visage; mais il n'a effacé ni les
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souillures de votre âme, ni la flétrissure de votre corps.»
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Milady se leva comme mue par un ressort, et ses yeux lancèrent des
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éclairs. Athos resta assis.
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«Vous me croyiez mort, n'est-ce pas, comme je vous croyais morte?
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et ce nom d'Athos avait caché le comte de La Fère, comme le nom de
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Milady Clarick avait caché Anne de Breuil! N'était-ce pas ainsi
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que vous vous appeliez quand votre honoré frère nous a mariés?
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Notre position est vraiment étrange, poursuivit Athos en riant;
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nous n'avons vécu jusqu'à présent l'un et l'autre que parce que
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nous nous croyions morts, et qu'un souvenir gêne moins qu'une
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créature, quoique ce soit chose dévorante parfois qu'un souvenir!
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-- Mais enfin, dit Milady d'une voix sourde, qui vous ramène vers
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moi? et que me voulez-vous?
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-- Je veux vous dire que, tout en restant invisible à vos yeux, je
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ne vous ai pas perdue de vue, moi!
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-- Vous savez ce que j'ai fait?
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-- Je puis vous raconter jour par jour vos actions, depuis votre
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entrée au service du cardinal jusqu'à ce soir.»
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Un sourire d'incrédulité passa sur les lèvres pâles de Milady.
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«Écoutez: c'est vous qui avez coupé les deux ferrets de diamants
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sur l'épaule du duc de Buckingham; c'est vous qui avez fait
|
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enlever Mme Bonacieux; c'est vous qui, amoureuse de de Wardes, et
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croyant passer la nuit avec lui, avez ouvert votre porte à
|
|
M. d'Artagnan; c'est vous qui, croyant que de Wardes vous avait
|
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trompée, avez voulu le faire tuer par son rival; c'est vous qui,
|
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lorsque ce rival eut découvert votre infâme secret, avez voulu le
|
|
faire tuer à son tour par deux assassins que vous avez envoyés à
|
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sa poursuite; c'est vous qui, voyant que les balles avaient manqué
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|
leur coup, avez envoyé du vin empoisonné avec une fausse lettre,
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|
pour faire croire à votre victime que ce vin venait de ses amis;
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|
c'est vous, enfin, qui venez là, dans cette chambre, assise sur
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cette chaise où je suis, de prendre avec le cardinal de Richelieu
|
|
l'engagement de faire assassiner le duc de Buckingham, en échange
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de la promesse qu'il vous a faite de vous laisser assassiner
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d'Artagnan.»
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Milady était livide.
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«Mais vous êtes donc Satan? dit-elle.
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-- Peut-être, dit Athos; mais, en tout cas, écoutez bien ceci:
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Assassinez ou faites assassiner le duc de Buckingham, peu
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m'importe! je ne le connais pas: d'ailleurs c'est un Anglais; mais
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ne touchez pas du bout du doigt à un seul cheveu de d'Artagnan,
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qui est un fidèle ami que j'aime et que je défends, ou, je vous le
|
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jure par la tête de mon père, le crime que vous aurez commis sera
|
|
le dernier.
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-- M. d'Artagnan m'a cruellement offensée, dit Milady d'une voix
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sourde, M. d'Artagnan mourra.
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-- En vérité, cela est-il possible qu'on vous offense, madame? dit
|
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en riant Athos; il vous a offensée, et il mourra?
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-- Il mourra, reprit Milady; elle d'abord, lui ensuite.»
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Athos fut saisi comme d'un vertige: la vue de cette créature, qui
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|
n'avait rien d'une femme, lui rappelait des souvenirs terribles;
|
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il pensa qu'un jour, dans une situation moins dangereuse que celle
|
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où il se trouvait, il avait déjà voulu la sacrifier à son honneur;
|
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son désir de meurtre lui revint brûlant et l'envahit comme une
|
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fièvre ardente: il se leva à son tour, porta la main à sa
|
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ceinture, en tira un pistolet et l'arma.
|
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Milady, pâle comme un cadavre, voulut crier, mais sa langue glacée
|
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ne put proférer qu'un son rauque qui n'avait rien de la parole
|
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humaine et qui semblait le râle d'une bête fauve; collée contre la
|
|
sombre tapisserie, elle apparaissait, les cheveux épars, comme
|
|
l'image effrayante de la terreur.
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Athos leva lentement son pistolet, étendit le bras de manière que
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l'arme touchât presque le front de Milady puis, d'une voix
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d'autant plus terrible qu'elle avait le calme suprême d'une
|
|
inflexible résolution:
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«Madame, dit-il, vous allez à l'instant même me remettre le papier
|
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que vous a signé le cardinal, ou, sur mon âme, je vous fais sauter
|
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la cervelle.»
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Avec un autre homme Milady aurait pu conserver quelque doute, mais
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elle connaissait Athos; cependant elle resta immobile.
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«Vous avez une seconde pour vous décider», dit-il.
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Milady vit à la contraction de son visage que le coup allait
|
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partir; elle porta vivement la main à sa poitrine, en tira un
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|
papier et le tendit à Athos.
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«Tenez, dit-elle, et soyez maudit!»
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Athos prit le papier, repassa le pistolet à sa ceinture,
|
|
s'approcha de la lampe pour s'assurer que c'était bien celui-là,
|
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le déplia et lut:
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«C'est par mon ordre et pour le bien de l'État que le porteur du
|
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présent a fait ce qu'il a fait.
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3 décembre 1627.
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«Richelieu»
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«Et maintenant, dit Athos en reprenant son manteau et en replaçant
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son feutre sur sa tête, maintenant que je t'ai arraché les dents,
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|
vipère, mords si tu peux.»
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|
Et il sortit de la chambre sans même regarder en arrière.
|
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|
À la porte il trouva les deux hommes et le cheval qu'ils tenaient
|
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en main.
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«Messieurs, dit-il, l'ordre de Monseigneur, vous le savez, est de
|
|
conduire cette femme, sans perdre de temps, au fort de La Pointe
|
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et de ne la quitter que lorsqu'elle sera à bord.»
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|
Comme ces paroles s'accordaient effectivement avec l'ordre qu'ils
|
|
avaient reçu, ils inclinèrent la tête en signe d'assentiment.
|
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Quant à Athos, il se mit légèrement en selle et partit au galop;
|
|
seulement, au lieu de suivre la route, il prit à travers champs,
|
|
piquant avec vigueur son cheval et de temps en temps s'arrêtant
|
|
pour écouter.
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|
Dans une de ces haltes, il entendit sur la route le pas de
|
|
plusieurs chevaux. Il ne douta point que ce ne fût le cardinal et
|
|
son escorte. Aussitôt il fit une nouvelle pointe en avant,
|
|
bouchonna son cheval avec de la bruyère et des feuilles d'arbres,
|
|
et vint se mettre en travers de la route à deux cents pas du camp
|
|
à peu près.
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«Qui vive? cria-t-il de loin quand il aperçut les cavaliers.
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-- C'est notre brave mousquetaire, je crois, dit le cardinal.
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-- Oui, Monseigneur, répondit Athos. C'est lui-même.
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|
-- Monsieur Athos, dit Richelieu, recevez tous mes remerciements
|
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pour la bonne garde que vous nous avez faite; messieurs, nous
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voici arrivés: prenez la porte à gauche, le mot d'ordre est Roi et
|
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Ré.»
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En disant ces mots, le cardinal salua de la tête les trois amis,
|
|
et prit à droite suivi de son écuyer; car, cette nuit-là, lui-même
|
|
couchait au camp.
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|
«Eh bien! dirent ensemble Porthos et Aramis lorsque le cardinal
|
|
fut hors de la portée de la voix, eh bien il a signé le papier
|
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qu'elle demandait.
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-- Je le sais, dit tranquillement Athos, puisque le voici.»
|
|
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|
Et les trois amis n'échangèrent plus une seule parole jusqu'à leur
|
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quartier, excepté pour donner le mot d'ordre aux sentinelles.
|
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|
Seulement, on envoya Mousqueton dire à Planchet que son maître
|
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était prié, en relevant de tranchée, de se rendre à l'instant même
|
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au logis des mousquetaires.
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D'un autre côté, comme l'avait prévu Athos, Milady, en retrouvant
|
|
à la porte les hommes qui l'attendaient, ne fit aucune difficulté
|
|
de les suivre; elle avait bien eu l'envie un instant de se faire
|
|
reconduire devant le cardinal et de lui tout raconter, mais une
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|
révélation de sa part amenait une révélation de la part d'Athos:
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elle dirait bien qu'Athos l'avait pendue, mais Athos dirait
|
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qu'elle était marquée; elle pensa qu'il valait donc encore mieux
|
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garder le silence, partir discrètement, accomplir avec son
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|
habileté ordinaire la mission difficile dont elle s'était chargée,
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puis, toutes les choses accomplies à la satisfaction du cardinal,
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venir lui réclamer sa vengeance.
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|
En conséquence, après avoir voyagé toute la nuit, à sept heures du
|
|
matin elle était au fort de La Pointe, à huit heures elle était
|
|
embarquée, et à neuf heures le bâtiment, qui, avec des lettres de
|
|
marque du cardinal, était censé être en partance pour Bayonne,
|
|
levait l'ancre et faisait voile pour l'Angleterre.
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CHAPITRE XLVI
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|
LE BASTION SAINT-GERVAIS
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En arrivant chez ses trois amis, d'Artagnan les trouva réunis dans
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la même chambre: Athos réfléchissait, Porthos frisait sa
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moustache, Aramis disait ses prières dans un charmant petit livre
|
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d'heures relié en velours bleu.
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«Pardieu, messieurs! dit-il, j'espère que ce que vous avez à me
|
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dire en vaut la peine, sans cela je vous préviens que je ne vous
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pardonnerai pas de m'avoir fait venir, au lieu de me laisser
|
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reposer après une nuit passée à prendre et à démanteler un
|
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bastion. Ah! que n'étiez-vous là, messieurs! il y a fait chaud!
|
|
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-- Nous étions ailleurs, où il ne faisait pas froid non plus!
|
|
répondit Porthos tout en faisant prendre à sa moustache un pli qui
|
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lui était particulier.
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-- Chut! dit Athos.
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-- Oh! oh! fit d'Artagnan comprenant le léger froncement de
|
|
sourcils du mousquetaire, il paraît qu'il y a du nouveau ici.
|
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|
-- Aramis, dit Athos, vous avez été déjeuner avant-hier à
|
|
l'auberge du Parpaillot, je crois?
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|
|
-- Oui.
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-- Comment est-on là?
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-- Mais, j'y ai fort mal mangé pour mon compte, avant-hier était
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|
un jour maigre, et ils n'avaient que du gras.
|
|
|
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-- Comment! dit Athos, dans un port de mer ils n'ont pas de
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|
poisson?
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-- Ils disent, reprit Aramis en se remettant à sa pieuse lecture,
|
|
que la digue que fait bâtir M. le cardinal le chasse en pleine
|
|
mer.
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|
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|
-- Mais, ce n'est pas cela que je vous demandais, Aramis, reprit
|
|
Athos; je vous demandais si vous aviez été bien libre, et si
|
|
personne ne vous avait dérangé?
|
|
|
|
-- Mais il me semble que nous n'avons pas eu trop d'importuns;
|
|
oui, au fait, pour ce que vous voulez dire, Athos, nous serons
|
|
assez bien au Parpaillot.
|
|
|
|
-- Allons donc au Parpaillot, dit Athos, car ici les murailles
|
|
sont comme des feuilles de papier.»
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|
D'Artagnan, qui était habitué aux manières de faire de son ami, et
|
|
qui reconnaissait tout de suite à une parole, à un geste, à un
|
|
signe de lui, que les circonstances étaient graves, prit le bras
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d'Athos et sortit avec lui sans rien dire; Porthos suivit en
|
|
devisant avec Aramis.
|
|
|
|
En route, on rencontra Grimaud, Athos lui fit signe de suivre;
|
|
Grimaud, selon son habitude, obéit en silence; le pauvre garçon
|
|
avait à peu près fini par désapprendre de parler.
|
|
|
|
On arriva à la buvette du Parpaillot: il était sept heures du
|
|
matin, le jour commençait à paraître; les trois amis commandèrent
|
|
à déjeuner, et entrèrent dans une salle où au dire de l'hôte, ils
|
|
ne devaient pas être dérangés.
|
|
|
|
Malheureusement l'heure était mal choisie pour un conciliabule; on
|
|
venait de battre la diane, chacun secouait le sommeil de la nuit,
|
|
et, pour chasser l'air humide du matin, venait boire la goutte à
|
|
la buvette: dragons, Suisses, gardes, mousquetaires, chevau-légers
|
|
se succédaient avec une rapidité qui devait très bien faire les
|
|
affaires de l'hôte, mais qui remplissait fort mal les vues des
|
|
quatre amis. Aussi répondaient-ils d'une manière fort maussade aux
|
|
saluts, aux toasts et aux _lazzi_ de leurs compagnons.
|
|
|
|
«Allons! dit Athos, nous allons nous faire quelque bonne querelle,
|
|
et nous n'avons pas besoin de cela en ce moment. D'Artagnan,
|
|
racontez-nous votre nuit; nous vous raconterons la nôtre après.
|
|
|
|
-- En effet, dit un chevau-léger qui se dandinait en tenant à la
|
|
main un verre d'eau-de-vie qu'il dégustait lentement; en effet,
|
|
vous étiez de tranchée cette nuit, messieurs les gardes, et il me
|
|
semble que vous avez eu maille à partir avec les Rochelois?»
|
|
|
|
D'Artagnan regarda Athos pour savoir s'il devait répondre à cet
|
|
intrus qui se mêlait à la conversation.
|
|
|
|
«Eh bien, dit Athos, n'entends-tu pas M. de Busigny qui te fait
|
|
l'honneur de t'adresser la parole? Raconte ce qui s'est passé
|
|
cette nuit, puisque ces messieurs désirent le savoir.
|
|
|
|
-- N'avre-bous bas bris un pastion? demanda un Suisse qui buvait
|
|
du rhum dans un verre à bière.
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, répondit d'Artagnan en s'inclinant, nous avons
|
|
eu cet honneur, nous avons même, comme vous avez pu l'entendre,
|
|
introduit sous un des angles un baril de poudre qui, en éclatant,
|
|
a fait une fort jolie brèche; sans compter que, comme le bastion
|
|
n'était pas d'hier, tout le reste de la bâtisse s'en est trouvé
|
|
fort ébranlé.
|
|
|
|
-- Et quel bastion est-ce? demanda un dragon qui tenait enfilée à
|
|
son sabre une oie qu'il apportait pour qu'on la fît cuire.
|
|
|
|
-- Le bastion Saint-Gervais, répondit d'Artagnan, derrière lequel
|
|
les Rochelois inquiétaient nos travailleurs.
|
|
|
|
-- Et l'affaire a été chaude?
|
|
|
|
-- Mais, oui; nous y avons perdu cinq hommes, et les Rochelois
|
|
huit ou dix.
|
|
|
|
-- Balzampleu! fit le Suisse, qui, malgré l'admirable collection
|
|
de jurons que possède la langue allemande, avait pris l'habitude
|
|
de jurer en français.
|
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|
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-- Mais il est probable, dit le chevau-léger, qu'ils vont, ce
|
|
matin, envoyer des pionniers pour remettre le bastion en état.
|
|
|
|
-- Oui, c'est probable, dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Messieurs, dit Athos, un pari!
|
|
|
|
-- Ah! woui! un bari! dit le Suisse.
|
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|
|
-- Lequel? demanda le chevau-léger.
|
|
|
|
-- Attendez, dit le dragon en posant son sabre comme une broche
|
|
sur les deux grands chenets de fer qui soutenaient le feu de la
|
|
cheminée, j'en suis. Hôtelier de malheur! une lèchefrite tout de
|
|
suite, que je ne perde pas une goutte de la graisse de cette
|
|
estimable volaille.
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|
-- Il avre raison, dit le Suisse, la graisse t'oie, il est très
|
|
ponne avec des gonfitures.
|
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|
-- Là! dit le dragon. Maintenant, voyons le pari! Nous écoutons,
|
|
monsieur Athos!
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-- Oui, le pari! dit le chevau-léger.
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|
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-- Eh bien, monsieur de Busigny, je parie avec vous, dit Athos,
|
|
que mes trois compagnons, MM. Porthos, Aramis, d'Artagnan et moi,
|
|
nous allons déjeuner dans le bastion Saint-Gervais et que nous y
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tenons une heure, montre à la main, quelque chose que l'ennemi
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fasse pour nous déloger.»
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Porthos et Aramis se regardèrent, ils commençaient à comprendre.
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«Mais, dit d'Artagnan en se penchant à l'oreille d'Athos, tu vas
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nous faire tuer sans miséricorde.
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-- Nous sommes bien plus tués, répondit Athos, si nous n'y allons
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pas.
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-- Ah! ma foi! messieurs, dit Porthos en se renversant sur sa
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chaise et frisant sa moustache, voici un beau pari, j'espère.
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-- Aussi je l'accepte, dit M. de Busigny; maintenant il s'agit de
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fixer l'enjeu.
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-- Mais vous êtes quatre, messieurs, dit Athos, nous sommes
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quatre; un dîner à discrétion pour huit, cela vous va-t-il?
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-- À merveille, reprit M. de Busigny.
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-- Parfaitement, dit le dragon.
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-- Ça me fa», dit le Suisse.
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Le quatrième auditeur, qui, dans toute cette conversation, avait
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joué un rôle muet, fit un signe de la tête en signe qu'il
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acquiesçait à la proposition.
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«Le déjeuner de ces messieurs est prêt, dit l'hôte.
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-- Eh bien, apportez-le», dit Athos.
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L'hôte obéit. Athos appela Grimaud, lui montra un grand panier qui
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gisait dans un coin et fit le geste d'envelopper dans les
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serviettes les viandes apportées.
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Grimaud comprit à l'instant même qu'il s'agissait d'un déjeuner
|
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sur l'herbe, prit le panier, empaqueta les viandes, y joignit les
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bouteilles et prit le panier à son bras.
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«Mais où allez-vous manger mon déjeuner? dit l'hôte.
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-- Que vous importe, dit Athos, pourvu qu'on vous le paie?»
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Et il jeta majestueusement deux pistoles sur la table.
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«Faut-il vous rendre, mon officier? dit l'hôte.
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-- Non; ajoute seulement deux bouteilles de vin de Champagne et la
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différence sera pour les serviettes.»
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L'hôte ne faisait pas une aussi bonne affaire qu'il l'avait cru
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d'abord, mais il se rattrapa en glissant aux quatre convives deux
|
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bouteilles de vin d'Anjou au lieu de deux bouteilles de vin de
|
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Champagne.
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«Monsieur de Busigny, dit Athos, voulez-vous bien régler votre
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montre sur la mienne, ou me permettre de régler la mienne sur la
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vôtre?
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-- À merveille, monsieur! dit le chevau-léger en tirant de son
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gousset une fort belle montre entourée de diamants; sept heures et
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demie, dit-il.
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-- Sept heures trente-cinq minutes, dit Athos; nous saurons que
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j'avance de cinq minutes sur vous, monsieur.»
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Et, saluant les assistants ébahis, les quatre jeunes gens prirent
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le chemin du bastion Saint-Gervais, suivis de Grimaud, qui portait
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le panier, ignorant où il allait, mais, dans l'obéissance passive
|
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dont il avait pris l'habitude avec Athos, ne songeait pas même à
|
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le demander.
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Tant qu'ils furent dans l'enceinte du camp, les quatre amis
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n'échangèrent pas une parole; d'ailleurs ils étaient suivis par
|
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les curieux, qui, connaissant le pari engagé, voulaient savoir
|
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comment ils s'en tireraient.
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Mais une fois qu'ils eurent franchi la ligne de circonvallation et
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qu'ils se trouvèrent en plein air, d'Artagnan, qui ignorait
|
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complètement ce dont il s'agissait, crut qu'il était temps de
|
|
demander une explication.
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«Et maintenant, mon cher Athos, dit-il, faites-moi l'amitié de
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|
m'apprendre où nous allons?
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-- Vous le voyez bien, dit Athos, nous allons au bastion.
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-- Mais qu'y allons-nous faire?
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-- Vous le savez bien, nous y allons déjeuner.
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-- Mais pourquoi n'avons-nous pas déjeuné au Parpaillat?
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Parce que nous avons des choses fort importantes à nous dire, et
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qu'il était impossible de causer cinq minutes dans cette auberge
|
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avec tous ces importuns qui vont, qui viennent, qui saluent, qui
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|
accostent; ici, du moins, continua Athos en montrant le bastion,
|
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on ne viendra pas nous déranger.
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-- Il me semble, dit d'Artagnan avec cette prudence qui s'alliait
|
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si bien et si naturellement chez lui à une excessive bravoure, il
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me semble que nous aurions pu trouver quelque endroit écarté dans
|
|
les dunes, au bord de la mer.
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-- Où l'on nous aurait vus conférer tous les quatre ensemble, de
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sorte qu'au bout d'un quart d'heure le cardinal eût été prévenu
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par ses espions que nous tenions conseil.
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Oui, dit Aramis, Athos a raison: _Animadvertuntur in desertis_.
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Un désert n'aurait pas été mal, dit Porthos, mais il s'agissait de
|
|
le trouver.
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-- Il n'y a pas de désert où un oiseau ne puisse passer au-dessus
|
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de la tête, où un poisson ne puisse sauter au-dessus de l'eau, où
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un lapin ne puisse partir de son gîte, et je crois qu'oiseau,
|
|
poisson, lapin, tout s'est fait espion du cardinal. Mieux vaut
|
|
donc poursuivre notre entreprise, devant laquelle d'ailleurs nous
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ne pouvons plus reculer sans honte; nous avons fait un pari, un
|
|
pari qui ne pouvait être prévu, et dont je défie qui que ce soit
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de deviner la véritable cause: nous allons, pour le gagner, tenir
|
|
une heure dans le bastion. Ou nous serons attaqués, ou nous ne le
|
|
serons pas. Si nous ne le sommes pas, nous aurons tout le temps de
|
|
causer et personne ne nous entendra, car je réponds que les murs
|
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de ce bastion n'ont pas d'oreilles; si nous le sommes, nous
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causerons de nos affaires tout de même, et de plus, tout en nous
|
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défendant, nous nous couvrons de gloire. Vous voyez bien que tout
|
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est bénéfice.
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-- Oui, dit d'Artagnan, mais nous attraperons indubitablement une
|
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balle.
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-- Eh! mon cher, dit Athos, vous savez bien que les balles les
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plus à craindre ne sont pas celles de l'ennemi.
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-- Mais il me semble que pour une pareille expédition, nous
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|
aurions dû au moins emporter nos mousquets.
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|
-- Vous êtes un niais, ami Porthos; pourquoi nous charger d'un
|
|
fardeau inutile?
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-- Je ne trouve pas inutile en face de l'ennemi un bon mousquet de
|
|
calibre, douze cartouches et une poire à poudre.
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-- Oh! bien, dit Athos, n'avez-vous pas entendu ce qu'a dit
|
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d'Artagnan?
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-- Qu'a dit d'Artagnan? demanda Porthos.
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-- D'Artagnan a dit que dans l'attaque de cette nuit il y avait eu
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huit ou dix Français de tués et autant de Rochelois.
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-- Après?
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-- On n'a pas eu le temps de les dépouiller, n'est-ce pas? attendu
|
|
qu'on avait autre chose pour le moment de plus pressé à faire.
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-- Eh bien?
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|
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-- Eh bien, nous allons trouver leurs mousquets, leurs poires à
|
|
poudre et leurs cartouches, et au lieu de quatre mousquetons et de
|
|
douze balles, nous allons avoir une quinzaine de fusils et une
|
|
centaine de coups à tirer.
|
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|
-- O Athos! dit Aramis, tu es véritablement un grand homme!»
|
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|
Porthos inclina la tête en signe d'adhésion.
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|
|
D'Artagnan seul ne paraissait pas convaincu.
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|
Sans doute Grimaud partageait les doutes du jeune homme; car,
|
|
voyant que l'on continuait de marcher vers le bastion, chose dont
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|
il avait douté jusqu'alors, il tira son maître par le pan de son
|
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habit.
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«Où allons-nous?» demanda-t-il par geste.
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|
Athos lui montra le bastion.
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«Mais, dit toujours dans le même dialecte le silencieux Grimaud,
|
|
nous y laisserons notre peau.»
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|
Athos leva les yeux et le doigt vers le ciel.
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|
Grimaud posa son panier à terre et s'assit en secouant la tête.
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|
Athos prit à sa ceinture un pistolet, regarda s'il était bien
|
|
amorcé, l'arma et approcha le canon de l'oreille de Grimaud.
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|
Grimaud se retrouva sur ses jambes comme par un ressort.
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|
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|
Athos alors lui fit signe de prendre le panier et de marcher
|
|
devant.
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Grimaud obéit.
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|
Tout ce qu'avait gagné le pauvre garçon à cette pantomime d'un
|
|
instant, c'est qu'il était passé de l'arrière-garde à l'avant-
|
|
garde.
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|
Arrivés au bastion, les quatre amis se retournèrent.
|
|
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|
Plus de trois cents soldats de toutes armes étaient assemblés à la
|
|
porte du camp, et dans un groupe séparé on pouvait distinguer
|
|
M. de Busigny, le dragon, le Suisse et le quatrième parieur.
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|
Athos ôta son chapeau, le mit au bout de son épée et l'agita en
|
|
l'air.
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Tous les spectateurs lui rendirent son salut, accompagnant cette
|
|
politesse d'un grand hourra qui arriva jusqu'à eux.
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Après quoi, ils disparurent tous quatre dans le bastion, où les
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|
avait déjà précédés Grimaud.
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|
CHAPITRE XLVII
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|
LE CONSEIL DES MOUSQUETAIRES
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Comme l'avait prévu Athos, le bastion n'était occupé que par une
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douzaine de morts tant Français que Rochelois.
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«Messieurs, dit Athos, qui avait pris le commandement de
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|
l'expédition, tandis que Grimaud va mettre la table, commençons
|
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par recueillir les fusils et les cartouches; nous pouvons
|
|
d'ailleurs causer tout en accomplissant cette besogne. Ces
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|
messieurs, ajouta-t-il en montrant les morts, ne nous écoutent
|
|
pas.
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-- Mais nous pourrions toujours les jeter dans le fossé, dit
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|
Porthos, après toutefois nous être assurés qu'ils n'ont rien dans
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|
leurs poches.
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|
-- Oui, dit Aramis, c'est l'affaire de Grimaud.
|
|
|
|
-- Ah! bien alors, dit d'Artagnan, que Grimaud les fouille et les
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|
jette par-dessus les murailles.
|
|
|
|
-- Gardons-nous-en bien, dit Athos, ils peuvent nous servir.
|
|
|
|
-- Ces morts peuvent nous servir? dit Porthos. Ah çà, vous devenez
|
|
fou, cher ami.
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|
-- Ne jugez pas témérairement, disent l'évangile et M. le
|
|
cardinal, répondit Athos; combien de fusils, messieurs?
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|
-- Douze, répondit Aramis.
|
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|
-- Combien de coups à tirer?
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-- Une centaine.
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-- C'est tout autant qu'il nous en faut; chargeons les armes.»
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Les quatre mousquetaires se mirent à la besogne. Comme ils
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|
achevaient de charger le dernier fusil, Grimaud fit signe que le
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|
déjeuner était servi.
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|
Athos répondit, toujours par geste, que c'était bien, et indiqua à
|
|
Grimaud une espèce de poivrière où celui-ci comprit qu'il se
|
|
devait tenir en sentinelle. Seulement, pour adoucir l'ennui de la
|
|
faction, Athos lui permit d'emporter un pain, deux côtelettes et
|
|
une bouteille de vin.
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|
«Et maintenant, à table», dit Athos.
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|
Les quatre amis s'assirent à terre, les jambes croisées, comme les
|
|
Turcs ou comme les tailleurs.
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|
«Ah! maintenant, dit d'Artagnan, que tu n'as plus la crainte
|
|
d'être entendu, j'espère que tu vas nous faire part de ton secret,
|
|
Athos.
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|
|
-- J'espère que je vous procure à la fois de l'agrément et de la
|
|
gloire, messieurs, dit Athos. Je vous ai fait faire une promenade
|
|
charmante; voici un déjeuner des plus succulents, et cinq cents
|
|
personnes là-bas, comme vous pouvez les voir à travers les
|
|
meurtrières, qui nous prennent pour des fous ou pour des héros,
|
|
deux classes d'imbéciles qui se ressemblent assez.
|
|
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|
-- Mais ce secret? demanda d'Artagnan.
|
|
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|
-- Le secret, dit Athos, c'est que j'ai vu Milady hier soir.»
|
|
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|
D'Artagnan portait son verre à ses lèvres; mais à ce nom de
|
|
Milady, la main lui trembla si fort, qu'il le posa à terre pour ne
|
|
pas en répandre le contenu.
|
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|
«Tu as vu ta fem...
|
|
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-- Chut donc! interrompit Athos: vous oubliez, mon cher, que ces
|
|
messieurs ne sont pas initiés comme vous dans le secret de mes
|
|
affaires de ménage; j'ai vu Milady.
|
|
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|
-- Et où cela? demanda d'Artagnan.
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|
|
|
-- À deux lieues d'ici à peu près, à l'auberge du Colombier-Rouge.
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-- En ce cas je suis perdu, dit d'Artagnan.
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|
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|
-- Non, pas tout à fait encore, reprit Athos; car, à cette heure,
|
|
elle doit avoir quitté les côtes de France.»
|
|
|
|
D'Artagnan respira.
|
|
|
|
«Mais au bout du compte, demanda Porthos, qu'est-ce donc que cette
|
|
Milady?
|
|
|
|
-- Une femme charmante, dit Athos en dégustant un verre de vin
|
|
mousseux. Canaille d'hôtelier! s'écria-t-il, qui nous donne du vin
|
|
d'Anjou pour du vin de Champagne, et qui croit que nous nous y
|
|
laisserons prendre! Oui, continua-t-il, une femme charmante qui a
|
|
eu des bontés pour notre ami d'Artagnan, qui lui a fait je ne sais
|
|
quelle noirceur dont elle a essayé de se venger, il y a un mois en
|
|
voulant le faire tuer à coups de mousquet, il y a huit jours en
|
|
essayant de l'empoisonner, et hier en demandant sa tête au
|
|
cardinal.
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|
|
-- Comment! en demandant ma tête au cardinal? s'écria d'Artagnan,
|
|
pâle de terreur.
|
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|
-- Ça, dit Porthos, c'est vrai comme l'évangile; je l'ai entendu
|
|
de mes deux oreilles.
|
|
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|
-- Moi aussi, dit Aramis.
|
|
|
|
-- Alors, dit d'Artagnan en laissant tomber son bras avec
|
|
découragement, il est inutile de lutter plus longtemps; autant que
|
|
je me brûle la cervelle et que tout soit fini!
|
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|
-- C'est la dernière sottise qu'il faut faire, dit Athos, attendu
|
|
que c'est la seule à laquelle il n'y ait pas de remède.
|
|
|
|
-- Mais je n'en réchapperai jamais, dit d'Artagnan, avec des
|
|
ennemis pareils. D'abord mon inconnu de Meung; ensuite de Wardes,
|
|
à qui j'ai donné trois coups d'épée; puis Milady, dont j'ai
|
|
surpris le secret; enfin, le cardinal, dont j'ai fait échouer la
|
|
vengeance.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Athos, tout cela ne fait que quatre, et nous
|
|
sommes quatre, un contre un. Pardieu! si nous en croyons les
|
|
signes que nous fait Grimaud, nous allons avoir affaire à un bien
|
|
plus grand nombre de gens. Qu'y a-t-il, Grimaud? Considérant la
|
|
gravité de la circonstance, je vous permets de parler, mon ami,
|
|
mais soyez laconique je vous prie. Que voyez-vous?
|
|
|
|
-- Une troupe.
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|
|
|
-- De combien de personnes?
|
|
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|
-- De vingt hommes.
|
|
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-- Quels hommes?
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|
-- Seize pionniers, quatre soldats.
|
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|
-- À combien de pas sont-ils?
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|
-- À cinq cents pas;
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|
|
-- Bon, nous avons encore le temps d'achever cette volaille et de
|
|
boire un verre de vin à ta santé, d'Artagnan!
|
|
|
|
-- À ta santé! répétèrent Porthos et Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien donc, à ma santé! quoique je ne croie pas que vos
|
|
souhaits me servent à grand-chose.
|
|
|
|
-- Bah! dit Athos, Dieu est grand, comme disent les sectateurs de
|
|
Mahomet, et l'avenir est dans ses mains.»
|
|
|
|
Puis, avalant le contenu de son verre, qu'il posa près de lui,
|
|
Athos se leva nonchalamment, prit le premier fusil venu et
|
|
s'approcha d'une meurtrière.
|
|
|
|
Porthos, Aramis et d'Artagnan en firent autant. Quant à Grimaud,
|
|
il reçut l'ordre de se placer derrière les quatre amis afin de
|
|
recharger les armes.
|
|
|
|
Au bout d'un instant on vit paraître la troupe; elle suivait une
|
|
espèce de boyau de tranchée qui établissait une communication
|
|
entre le bastion et la ville.
|
|
|
|
«Pardieu! dit Athos, c'est bien la peine de nous déranger pour une
|
|
vingtaine de drôles armés de pioches, de hoyaux et de pelles!
|
|
Grimaud n'aurait eu qu'à leur faire signe de s'en aller, et je
|
|
suis convaincu qu'ils nous eussent laissés tranquilles.
|
|
|
|
-- J'en doute, observa d'Artagnan, car ils avancent fort
|
|
résolument de ce côté. D'ailleurs, il y a avec les travailleurs
|
|
quatre soldats et un brigadier armés de mousquets.
|
|
|
|
-- C'est qu'ils ne nous ont pas vus, reprit Athos.
|
|
|
|
-- Ma foi! dit Aramis, j'avoue que j'ai répugnance à tirer sur ces
|
|
pauvres diables de bourgeois.
|
|
|
|
-- Mauvais prêtre, répondit Porthos, qui a pitié des hérétiques!
|
|
|
|
-- En vérité, dit Athos, Aramis a raison, je vais les prévenir.
|
|
|
|
-- Que diable faites-vous donc? s'écria d'Artagnan, vous allez
|
|
vous faire fusiller, mon cher.»
|
|
|
|
Mais Athos ne tint aucun compte de l'avis, et, montant sur la
|
|
brèche, son fusil d'une main et son chapeau de l'autre:
|
|
|
|
«Messieurs, dit-il en s'adressant aux soldats et aux travailleurs,
|
|
qui, étonnés de son apparition, s'arrêtaient à cinquante pas
|
|
environ du bastion, et en les saluant courtoisement, messieurs,
|
|
nous sommes, quelques amis et moi, en train de déjeuner dans ce
|
|
bastion. Or, vous savez que rien n'est désagréable comme d'être
|
|
dérangé quand on déjeune; nous vous prions donc, si vous avez
|
|
absolument affaire ici, d'attendre que nous ayons fini notre
|
|
repas, ou de repasser plus tard, à moins qu'il ne vous prenne la
|
|
salutaire envie de quitter le parti de la rébellion et de venir
|
|
boire avec nous à la santé du roi de France.
|
|
|
|
-- Prends garde, Athos! s'écria d'Artagnan; ne vois-tu pas qu'ils
|
|
te mettent en joue?
|
|
|
|
-- Si fait, si fait, dit Athos, mais ce sont des bourgeois qui
|
|
tirent fort mal, et qui n'ont garde de me toucher.»
|
|
|
|
En effet, au même instant quatre coups de fusil partirent, et les
|
|
balles vinrent s'aplatir autour d'Athos, mais sans qu'une seule le
|
|
touchât.
|
|
|
|
Quatre coups de fusil leur répondirent presque en même temps, mais
|
|
ils étaient mieux dirigés que ceux des agresseurs, trois soldats
|
|
tombèrent tués raide, et un des travailleurs fut blessé.
|
|
|
|
«Grimaud, un autre mousquet!» dit Athos toujours sur la brèche.
|
|
|
|
Grimaud obéit aussitôt. De leur côté, les trois amis avaient
|
|
chargé leurs armes; une seconde décharge suivit la première: le
|
|
brigadier et deux pionniers tombèrent morts, le reste de la troupe
|
|
prit la fuite.
|
|
|
|
«Allons, messieurs, une sortie», dit Athos.
|
|
|
|
Et les quatre amis, s'élançant hors du fort, parvinrent jusqu'au
|
|
champ de bataille, ramassèrent les quatre mousquets des soldats et
|
|
la demi-pique du brigadier; et, convaincus que les fuyards ne
|
|
s'arrêteraient qu'à la ville, reprirent le chemin du bastion,
|
|
rapportant les trophées de leur victoire.
|
|
|
|
«Rechargez les armes, Grimaud, dit Athos, et nous, messieurs,
|
|
reprenons notre déjeuner et continuons notre conversation. Où en
|
|
étions-nous?
|
|
|
|
-- Je me le rappelle, dit d'Artagnan, qui se préoccupait fort de
|
|
l'itinéraire que devait suivre Milady.
|
|
|
|
-- Elle va en Angleterre, répondit Athos.
|
|
|
|
-- Et dans quel but?
|
|
|
|
-- Dans le but d'assassiner ou de faire assassiner Buckingham.»
|
|
|
|
D'Artagnan poussa une exclamation de surprise et d'indignation.
|
|
|
|
«Mais c'est infâme! s'écria-t-il.
|
|
|
|
-- Oh! quant à cela, dit Athos, je vous prie de croire que je m'en
|
|
inquiète fort peu. Maintenant que vous avez fini, Grimaud,
|
|
continua Athos, prenez la demi-pique de notre brigadier, attachez-
|
|
y une serviette et plantez-la au haut de notre bastion, afin que
|
|
ces rebelles de Rochelois voient qu'ils ont affaire à de braves et
|
|
loyaux soldats du roi.»
|
|
|
|
Grimaud obéit sans répondre. Un instant après le drapeau blanc
|
|
flottait au-dessus de la tête des quatre amis; un tonnerre
|
|
d'applaudissements salua son apparition; la moitié du camp était
|
|
aux barrières.
|
|
|
|
«Comment! reprit d'Artagnan, tu t'inquiètes fort peu qu'elle tue
|
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ou qu'elle fasse tuer Buckingham? Mais le duc est notre ami.
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-- Le duc est Anglais, le duc combat contre nous; qu'elle fasse du
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duc ce qu'elle voudra, je m'en soucie comme d'une bouteille vide.»
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Et Athos envoya à quinze pas de lui une bouteille qu'il tenait, et
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dont il venait de transvaser jusqu'à la dernière goutte dans son
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verre.
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«Un instant, dit d'Artagnan, je n'abandonne pas Buckingham ainsi;
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il nous avait donné de fort beaux chevaux.
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-- Et surtout de fort belles selles, ajouta Porthos, qui, à ce
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moment même, portait à son manteau le galon de la sienne.
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-- Puis, observa Aramis, Dieu veut la conversion et non la mort du
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pécheur.
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-- Amen, dit Athos, et nous reviendrons là-dessus plus tard, si
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tel est votre plaisir; mais ce qui, pour le moment, me préoccupait
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le plus, et je suis sûr que tu me comprendras, d'Artagnan, c'était
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de reprendre à cette femme une espèce de blanc-seing qu'elle avait
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extorqué au cardinal, et à l'aide duquel elle devait impunément se
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débarrasser de toi et peut-être de nous.
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-- Mais c'est donc un démon que cette créature? dit Porthos en
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tendant son assiette à Aramis, qui découpait une volaille.
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-- Et ce blanc-seing, dit d'Artagnan, ce blanc-seing est-il resté
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entre ses mains?
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-- Non, il est passé dans les miennes; je ne dirai pas que ce fut
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sans peine, par exemple, car je mentirais.
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-- Mon cher Athos, dit d'Artagnan, je ne compte plus les fois que
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je vous dois la vie.
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-- Alors c'était donc pour venir près d'elle que vous nous avez
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quittés? demanda Aramis.
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-- Justement. Et tu as cette lettre du cardinal? dit d'Artagnan.
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-- La voici», dit Athos.
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Et il tira le précieux papier de la poche de sa casaque.
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D'Artagnan le déplia d'une main dont il n'essayait pas même de
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dissimuler le tremblement et lut:
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«C'est par mon ordre et pour le bien de l'État que le porteur du
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présent a fait ce qu'il a fait.
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«5 décembre 1627
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«Richelieu»
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«En effet, dit Aramis, c'est une absolution dans toutes les
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règles.
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-- Il faut déchirer ce papier, s'écria d'Artagnan, qui semblait
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lire sa sentence de mort.
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-- Bien au contraire, dit Athos, il faut le conserver
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précieusement, et je ne donnerais pas ce papier quand on le
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couvrirait de pièces d'or.
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-- Et que va-t-elle faire maintenant? demanda le jeune homme.
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-- Mais, dit négligemment Athos, elle va probablement écrire au
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cardinal qu'un damné mousquetaire, nommé Athos, lui a arraché son
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sauf-conduit; elle lui donnera dans la même lettre le conseil de
|
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se débarrasser, en même temps que de lui, de ses deux amis,
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Porthos et Aramis; le cardinal se rappellera que ce sont les mêmes
|
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hommes qu'il rencontre toujours sur son chemin; alors, un beau
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matin il fera arrêter d'Artagnan, et, pour qu'il ne s'ennuie pas
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tout seul, il nous enverra lui tenir compagnie à la Bastille.
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-- Ah çà, mais, dit Porthos, il me semble que vous faites là de
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tristes plaisanteries, mon cher.
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-- Je ne plaisante pas, répondit Athos.
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-- Savez-vous, dit Porthos, que tordre le cou à cette damnée
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Milady serait un péché moins grand que de le tordre à ces pauvres
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diables de huguenots, qui n'ont jamais commis d'autres crimes que
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de chanter en français des psaumes que nous chantons en latin?
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-- Qu'en dit l'abbé? demanda tranquillement Athos.
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-- Je dis que je suis de l'avis de Porthos, répondit Aramis.
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-- Et moi donc! fit d'Artagnan.
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-- Heureusement qu'elle est loin, observa Porthos; car j'avoue
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qu'elle me gênerait fort ici.
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-- Elle me gêne en Angleterre aussi bien qu'en France, dit Athos.
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-- Elle me gêne partout, continua d'Artagnan.
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-- Mais puisque vous la teniez, dit Porthos, que ne l'avez-vous
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noyée, étranglée, pendue? il n'y a que les morts qui ne reviennent
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|
pas.
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-- Vous croyez cela, Porthos? répondit le mousquetaire avec un
|
|
sombre sourire que d'Artagnan comprit seul.
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-- J'ai une idée, dit d'Artagnan.
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|
-- Voyons, dirent les mousquetaires.
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-- Aux armes!» cria Grimaud.
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Les jeunes gens se levèrent vivement et coururent aux fusils.
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Cette fois, une petite troupe s'avançait composée de vingt ou
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|
vingt-cinq hommes; mais ce n'étaient plus des travailleurs,
|
|
c'étaient des soldats de la garnison.
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|
«Si nous retournions au camp? dit Porthos, il me semble que la
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partie n'est pas égale.
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|
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-- Impossible pour trois raisons, répondit Athos: la première,
|
|
c'est que nous n'avons pas fini de déjeuner; la seconde, c'est que
|
|
nous avons encore des choses d'importance à dire; la troisième,
|
|
c'est qu'il s'en manque encore de dix minutes que l'heure ne soit
|
|
écoulée.
|
|
|
|
-- Voyons, dit Aramis, il faut cependant arrêter un plan de
|
|
bataille.
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|
-- Il est bien simple, répondit Athos: aussitôt que l'ennemi est à
|
|
portée de mousquet, nous faisons feu; s'il continue d'avancer,
|
|
nous faisons feu encore, nous faisons feu tant que nous avons des
|
|
fusils chargés; si ce qui reste de la troupe veut encore monter à
|
|
l'assaut, nous laissons les assiégeants descendre jusque dans le
|
|
fossé, et alors nous leur poussons sur la tête ce pan de mur qui
|
|
ne tient plus que par un miracle d'équilibre.
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|
-- Bravo! s'écria Porthos; décidément, Athos, vous étiez né pour
|
|
être général, et le cardinal, qui se croit un grand homme
|
|
de guerre, est bien peu de chose auprès de vous.
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|
-- Messieurs, dit Athos, pas de double emploi, je vous prie; visez
|
|
bien chacun votre homme.
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-- Je tiens le mien, dit d'Artagnan.
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|
-- Et moi le mien dit Porthos.
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|
-- Et moi idem, dit Aramis.
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-- Alors feu!» dit Athos.
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|
Les quatre coups de fusil ne firent qu'une détonation, et quatre
|
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hommes tombèrent.
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Aussitôt le tambour battit, et la petite troupe s'avança au pas de
|
|
charge.
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Alors les coups de fusil se succédèrent sans régularité, mais
|
|
toujours envoyés avec la même justesse. Cependant, comme s'ils
|
|
eussent connu la faiblesse numérique des amis, les Rochelois
|
|
continuaient d'avancer au pas de course.
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|
Sur trois autres coups de fusil, deux hommes tombèrent; mais
|
|
cependant la marche de ceux qui restaient debout ne se
|
|
ralentissait pas.
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|
Arrivés au bas du bastion, les ennemis étaient encore douze ou
|
|
quinze; une dernière décharge les accueillit, mais ne les arrêta
|
|
point: ils sautèrent dans le fossé et s'apprêtèrent à escalader la
|
|
brèche.
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|
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|
«Allons, mes amis, dit Athos, finissons-en d'un coup: à la
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|
muraille! à la muraille!»
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Et les quatre amis, secondés par Grimaud, se mirent à pousser avec
|
|
le canon de leurs fusils un énorme pan de mur, qui s'inclina comme
|
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si le vent le poussait, et, se détachant de sa base, tomba avec un
|
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bruit horrible dans le fossé: puis on entendit un grand cri, un
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|
nuage de poussière monta vers le ciel, et tout fut dit.
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|
«Les aurions-nous écrasés depuis le premier jusqu'au dernier?
|
|
demanda Athos.
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|
-- Ma foi, cela m'en a l'air, dit d'Artagnan.
|
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|
|
-- Non, dit Porthos, en voilà deux ou trois qui se sauvent tout
|
|
éclopés.»
|
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|
En effet, trois ou quatre de ces malheureux, couverts de boue et
|
|
de sang, fuyaient dans le chemin creux et regagnaient la ville:
|
|
c'était tout ce qui restait de la petite troupe.
|
|
|
|
Athos regarda à sa montre.
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|
|
|
«Messieurs, dit-il, il y a une heure que nous sommes ici, et
|
|
maintenant le pari est gagné, mais il faut être beaux joueurs:
|
|
d'ailleurs d'Artagnan ne nous a pas dit son idée.»
|
|
|
|
Et le mousquetaire, avec son sang-froid habituel, alla s'asseoir
|
|
devant les restes du déjeuner.
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|
|
|
«Mon idée? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Oui, vous disiez que vous aviez une idée, répliqua Athos.
|
|
|
|
-- Ah! j'y suis, reprit d'Artagnan: je passe en Angleterre une
|
|
seconde fois, je vais trouver M. de Buckingham et je l'avertis du
|
|
complot tramé contre sa vie.
|
|
|
|
-- Vous ne ferez pas cela, d'Artagnan, dit froidement Athos.
|
|
|
|
-- Et pourquoi cela? ne l'ai-je pas fait déjà?
|
|
|
|
-- Oui, mais à cette époque nous n'étions pas en guerre; à cette
|
|
époque, M. de Buckingham était un allié et non un ennemi: ce que
|
|
vous voulez faire serait taxé de trahison.»
|
|
|
|
D'Artagnan comprit la force de ce raisonnement et se tut.
|
|
|
|
«Mais, dit Porthos, il me semble que j'ai une idée à mon tour.
|
|
|
|
-- Silence pour l'idée de M. Porthos! dit Aramis.
|
|
|
|
-- Je demande un congé à M. de Tréville, sous un prétexte
|
|
quelconque que vous trouverez: je ne suis pas fort sur les
|
|
prétextes, moi. Milady ne me connaît pas, je m'approche d'elle
|
|
sans qu'elle me redoute, et lorsque je trouve ma belle, je
|
|
l'étrangle.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Athos, je ne suis pas très éloigné d'adopter
|
|
l'idée de Porthos.
|
|
|
|
-- Fi donc! dit Aramis, tuer une femme! Non, tenez, moi, j'ai la
|
|
véritable idée.
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|
|
|
-- Voyons votre idée, Aramis! demanda Athos, qui avait beaucoup de
|
|
déférence pour le jeune mousquetaire.
|
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|
-- Il faut prévenir la reine.
|
|
|
|
-- Ah! ma foi, oui, s'écrièrent ensemble Porthos et d'Artagnan; je
|
|
crois que nous touchons au moyen.
|
|
|
|
-- Prévenir la reine! dit Athos, et comment cela? Avons-nous des
|
|
relations à la cour? Pouvons-nous envoyer quelqu'un à Paris sans
|
|
qu'on le sache au camp? D'ici à Paris il y a cent quarante lieues;
|
|
notre lettre ne sera pas à Angers que nous serons au cachot, nous.
|
|
|
|
-- Quant à ce qui est de faire remettre sûrement une lettre à
|
|
Sa Majesté, proposa Aramis en rougissant, moi, je m'en charge; je
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|
connais à Tours une personne adroite...»
|
|
|
|
Aramis s'arrêta en voyant sourire Athos.
|
|
|
|
«Eh bien, vous n'adoptez pas ce moyen, Athos? dit d'Artagnan.
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|
|
|
-- Je ne le repousse pas tout à fait, dit Athos, mais je voulais
|
|
seulement faire observer à Aramis qu'il ne peut quitter le camp;
|
|
que tout autre qu'un de nous n'est pas sûr; que, deux heures après
|
|
que le messager sera parti, tous les capucins, tous les alguazils,
|
|
tous les bonnets noirs du cardinal sauront votre lettre par coeur,
|
|
et qu'on arrêtera vous et votre adroite personne.
|
|
|
|
-- Sans compter, objecta Porthos, que la reine sauvera
|
|
M. de Buckingham, mais ne nous sauvera pas du tout, nous autres.
|
|
|
|
-- Messieurs, dit d'Artagnan, ce qu'objecte Porthos est plein de
|
|
sens.
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|
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|
-- Ah! ah! que se passe-t-il donc dans la ville? dit Athos.
|
|
|
|
-- On bat la générale.»
|
|
|
|
Les quatre amis écoutèrent, et le bruit du tambour parvint
|
|
effectivement jusqu'à eux.
|
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|
|
«Vous allez voir qu'ils vont nous envoyer un régiment tout entier,
|
|
dit Athos.
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|
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|
-- Vous ne comptez pas tenir contre un régiment tout entier? dit
|
|
Porthos.
|
|
|
|
-- Pourquoi pas? dit le mousquetaire, je me sens en train; et je
|
|
tiendrais devant une armée, si nous avions seulement eu la
|
|
précaution de prendre une douzaine de bouteilles en plus.
|
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|
-- Sur ma parole, le tambour se rapproche, dit d'Artagnan.
|
|
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|
-- Laissez-le se rapprocher, dit Athos; il y a pour un quart
|
|
d'heure de chemin d'ici à la ville, et par conséquent de la ville
|
|
ici. C'est plus de temps qu'il ne nous en faut pour arrêter notre
|
|
plan; si nous nous en allons d'ici, nous ne retrouverons jamais un
|
|
endroit aussi convenable. Et tenez, justement, messieurs, voilà la
|
|
vraie idée qui me vient.
|
|
|
|
-- Dites alors.
|
|
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|
-- Permettez que je donne à Grimaud quelques ordres
|
|
indispensables.»
|
|
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|
Athos fit signe à son valet d'approcher.
|
|
|
|
«Grimaud, dit Athos, en montrant les morts qui gisaient dans le
|
|
bastion, vous allez prendre ces messieurs, vous allez les dresser
|
|
contre la muraille vous leur mettrez leur chapeau sur la tête et
|
|
leur fusil à la main.
|
|
|
|
-- O grand homme! s'écria d'Artagnan, je te comprends.
|
|
|
|
-- Vous comprenez? dit Porthos.
|
|
|
|
-- Et toi, comprends-tu, Grimaud?» demanda Aramis.
|
|
|
|
Grimaud fit signe que oui.
|
|
|
|
«C'est tout ce qu'il faut, dit Athos, revenons à mon idée.
|
|
|
|
-- Je voudrais pourtant bien comprendre, observa Porthos.
|
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|
|
-- C'est inutile.
|
|
|
|
-- Oui, oui, l'idée d'Athos, dirent en même temps d'Artagnan et
|
|
Aramis.
|
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|
|
-- Cette Milady, cette femme, cette créature, ce démon, a un beau-
|
|
frère, à ce que vous m'avez dit, je crois, d'Artagnan.
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|
|
-- Oui, je le connais beaucoup même, et je crois aussi qu'il n'a
|
|
pas une grande sympathie pour sa belle-soeur.
|
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|
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-- Il n'y a pas de mal à cela, répondit Athos, et il la
|
|
détesterait que cela n'en vaudrait que mieux.
|
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|
-- En ce cas nous sommes servis à souhait.
|
|
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|
-- Cependant, dit Porthos, je voudrais bien comprendre ce que fait
|
|
Grimaud.
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|
-- Silence, Porthos! dit Aramis.
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|
|
-- Comment se nomme ce beau-frère?
|
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|
-- Lord de Winter.
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|
-- Où est-il maintenant?
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|
-- Il est retourné à Londres au premier bruit de guerre.
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|
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|
-- Eh bien, voilà justement l'homme qu'il nous faut, dit Athos,
|
|
c'est celui qu'il nous convient de prévenir; nous lui ferons
|
|
savoir que sa belle-soeur est sur le point d'assassiner quelqu'un,
|
|
et nous le prierons de ne pas la perdre de vue. Il y a bien à
|
|
Londres, je l'espère, quelque établissement dans le genre des
|
|
Madelonnettes ou des Filles repenties; il y fait mettre sa belle-
|
|
soeur, et nous sommes tranquilles.
|
|
|
|
-- Oui, dit d'Artagnan, jusqu'à ce qu'elle en sorte.
|
|
|
|
-- Ah! ma foi, reprit Athos, vous en demandez trop, d'Artagnan, je
|
|
vous ai donné tout ce que j'avais et je vous préviens que c'est le
|
|
fond de mon sac.
|
|
|
|
-- Moi, je trouve que c'est ce qu'il y a de mieux, dit Aramis;
|
|
nous prévenons à la fois la reine et Lord de Winter.
|
|
|
|
-- Oui, mais par qui ferons-nous porter la lettre à Tours et la
|
|
lettre à Londres?
|
|
|
|
-- Je réponds de Bazin, dit Aramis.
|
|
|
|
-- Et moi de Planchet, continua d'Artagnan.
|
|
|
|
-- En effet, dit Porthos, si nous ne pouvons nous absenter du
|
|
camp, nos laquais peuvent le quitter.
|
|
|
|
-- Sans doute, dit Aramis, et dès aujourd'hui nous écrivons les
|
|
lettres, nous leur donnons de l'argent, et ils partent.
|
|
|
|
-- Nous leur donnons de l'argent? reprit Athos, vous en avez donc,
|
|
de l'argent?»
|
|
|
|
Les quatre amis se regardèrent, et un nuage passa sur les fronts
|
|
qui s'étaient un instant éclaircis.
|
|
|
|
«Alerte! cria d'Artagnan, je vois des points noirs et des points
|
|
rouges qui s'agitent là-bas; que disiez-vous donc d'un régiment,
|
|
Athos? c'est une véritable armée.
|
|
|
|
-- Ma foi, oui, dit Athos, les voilà. Voyez-vous les sournois qui
|
|
venaient sans tambours ni trompettes. Ah! ah! tu as fini,
|
|
Grimaud?»
|
|
|
|
Grimaud fit signe que oui, et montra une douzaine de morts qu'il
|
|
avait placés dans les attitudes les plus pittoresques: les uns au
|
|
port d'armes, les autres ayant l'air de mettre en joue, les autres
|
|
l'épée à la main.
|
|
|
|
«Bravo! reprit Athos, voilà qui fait honneur à ton imagination.
|
|
|
|
-- C'est égal, dit Porthos, je voudrais cependant bien comprendre.
|
|
|
|
-- Décampons d'abord, interrompit d'Artagnan, tu comprendras
|
|
après.
|
|
|
|
-- Un instant, messieurs, un instant! donnons le temps à Grimaud
|
|
de desservir.
|
|
|
|
-- Ah! dit Aramis, voici les points noirs et les points rouges qui
|
|
grandissent fort visiblement et je suis de l'avis de d'Artagnan;
|
|
je crois que nous n'avons pas de temps à perdre pour regagner
|
|
notre camp.
|
|
|
|
-- Ma foi, dit Athos, je n'ai plus rien contre la retraite: nous
|
|
avions parié pour une heure, nous sommes restés une heure et
|
|
demie; il n'y a rien à dire; partons, messieurs, partons.»
|
|
|
|
Grimaud avait déjà pris les devants avec le panier et la desserte.
|
|
|
|
Les quatre amis sortirent derrière lui et firent une dizaine de
|
|
pas.
|
|
|
|
«Eh! s'écria Athos, que diable faisons-nous, messieurs?
|
|
|
|
-- Avez-vous oublié quelque chose? demanda Aramis.
|
|
|
|
-- Et le drapeau, morbleu! Il ne faut pas laisser un drapeau aux
|
|
mains de l'ennemi, même quand ce drapeau ne serait qu'une
|
|
serviette.»
|
|
|
|
Et Athos s'élança dans le bastion, monta sur la plate-forme, et
|
|
enleva le drapeau; seulement comme les Rochelois étaient arrivés à
|
|
portée de mousquet, ils firent un feu terrible sur cet homme, qui,
|
|
comme par plaisir, allait s'exposer aux coups.
|
|
|
|
Mais on eût dit qu'Athos avait un charme attaché à sa personne,
|
|
les balles passèrent en sifflant tout autour de lui, pas une ne le
|
|
toucha.
|
|
|
|
Athos agita son étendard en tournant le dos aux gens de la ville
|
|
et en saluant ceux du camp. Des deux côtés de grands cris
|
|
retentirent, d'un côté des cris de colère, de l'autre des cris
|
|
d'enthousiasme.
|
|
|
|
Une seconde décharge suivit la première, et trois balles, en la
|
|
trouant, firent réellement de la serviette un drapeau. On entendit
|
|
les clameurs de tout le camp qui criait:
|
|
|
|
-- Descendez, descendez!»
|
|
|
|
Athos descendit; ses camarades, qui l'attendaient avec anxiété, le
|
|
virent paraître avec joie.
|
|
|
|
-- Allons, Athos, allons, dit d'Artagnan, allongeons, allongeons;
|
|
maintenant que nous avons tout trouvé, excepté l'argent, il serait
|
|
stupide d'être tués.»
|
|
|
|
Mais Athos continua de marcher majestueusement, quelque
|
|
observation que pussent lui faire ses compagnons, qui, voyant
|
|
toute observation inutile, réglèrent leur pas sur le sien.
|
|
|
|
Grimaud et son panier avaient pris les devants et se trouvaient
|
|
tous deux hors d'atteinte.
|
|
|
|
Au bout d'un instant on entendit le bruit d'une fusillade enragée.
|
|
|
|
«Qu'est-ce que cela? demanda Porthos, et sur quoi tirent-ils? je
|
|
n'entends pas siffler les balles et je ne vois personne.
|
|
|
|
-- Ils tirent sur nos morts, répondit Athos.
|
|
|
|
-- Mais nos morts ne répondront pas.
|
|
|
|
-- Justement; alors ils croiront à une embuscade, ils
|
|
délibéreront; ils enverront un parlementaire, et quand ils
|
|
s'apercevront de la plaisanterie, nous serons hors de la portée
|
|
des balles. Voilà pourquoi il est inutile de gagner une pleurésie
|
|
en nous pressant.
|
|
|
|
-- Oh! je comprends, s'écria Porthos émerveillé.
|
|
|
|
-- C'est bien heureux!» dit Athos en haussant les épaules.
|
|
|
|
De leur côté, les Français, en voyant revenir les quatre amis au
|
|
pas, poussaient des cris d'enthousiasme.
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Enfin une nouvelle mousquetade se fit entendre, et cette fois les
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balles vinrent s'aplatir sur les cailloux autour des quatre amis
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et siffler lugubrement à leurs oreilles. Les Rochelois venaient
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enfin de s'emparer du bastion.
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«Voici des gens bien maladroits, dit Athos; combien en avons-nous
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tué? douze?
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-- Ou quinze.
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-- Combien en avons-nous écrasé?
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-- Huit ou dix.
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-- Et en échange de tout cela pas une égratignure? Ah! si fait!
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Qu'avez-vous donc là à la main, d'Artagnan? du sang, ce me semble?
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-- Ce n'est rien, dit d'Artagnan.
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-- Une balle perdue?
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-- Pas même.
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-- Qu'est-ce donc alors?»
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Nous l'avons dit, Athos aimait d'Artagnan comme son enfant, et ce
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caractère sombre et inflexible avait parfois pour le jeune homme
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des sollicitudes de père.
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«Une écorchure, reprit d'Artagnan; mes doigts ont été pris entre
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deux pierres, celle du mur et celle de ma bague; alors la peau
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s'est ouverte.
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-- Voilà ce que c'est que d'avoir des diamants, mon maître, dit
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dédaigneusement Athos.
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-- Ah çà, mais, s'écria Porthos, il y a un diamant en effet, et
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pourquoi diable alors, puisqu'il y a un diamant, nous plaignons-
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nous de ne pas avoir d'argent?
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-- Tiens, au fait! dit Aramis.
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-- À la bonne heure, Porthos; cette fois-ci voilà une idée.
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-- Sans doute, dit Porthos, en se rengorgeant sur le compliment
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d'Athos, puisqu'il y a un diamant, vendons-le.
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-- Mais, dit d'Artagnan, c'est le diamant de la reine.
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-- Raison de plus, reprit Athos, la reine sauvant M. de Buckingham
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son amant, rien de plus juste; la reine nous sauvant, nous ses
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amis, rien de plus moral: vendons le diamant. Qu'en pense monsieur
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l'abbé? Je ne demande pas l'avis de Porthos, il est donné.
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-- Mais je pense, dit Aramis en rougissant, que sa bague ne venant
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pas d'une maîtresse, et par conséquent n'étant pas un gage
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d'amour, d'Artagnan peut la vendre.
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-- Mon cher, vous parlez comme la théologie en personne. Ainsi
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votre avis est?...
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-- De vendre le diamant, répondit Aramis.
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-- Eh bien, dit gaiement d'Artagnan, vendons le diamant et n'en
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parlons plus.»
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La fusillade continuait, mais les amis étaient hors de portée, et
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les Rochelois ne tiraient plus que pour l'acquit de leur
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conscience.
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«Ma foi, dit Athos, il était temps que cette idée vînt à Porthos;
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nous voici au camp. Ainsi, messieurs, pas un mot de plus sur cette
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affaire. On nous observe, on vient à notre rencontre, nous allons
|
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être portés en triomphe.»
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En effet, comme nous l'avons dit, tout le camp était en émoi; plus
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de deux mille personnes avaient assisté, comme à un spectacle, à
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l'heureuse forfanterie des quatre amis, forfanterie dont on était
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bien loin de soupçonner le véritable motif. On n'entendait que le
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cri de: Vivent les gardes! Vivent les mousquetaires! M. de Busigny
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était venu le premier serrer la main à Athos et reconnaître que le
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pari était perdu. Le dragon et le Suisse l'avaient suivi, tous les
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camarades avaient suivi le dragon et le Suisse. C'étaient des
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félicitations, des poignées de main, des embrassades à n'en plus
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finir, des rires inextinguibles à l'endroit des Rochelois; enfin,
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un tumulte si grand, que M. Le cardinal crut qu'il y avait émeute
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et envoya La Houdinière, son capitaine des gardes, s'informer de
|
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ce qui se passait.
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La chose fut racontée au messager avec toute l'efflorescence de
|
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l'enthousiasme.
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«Eh bien? demanda le cardinal en voyant La Houdinière.
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-- Eh bien, Monseigneur, dit celui-ci, ce sont trois mousquetaires
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et un garde qui ont fait le pari avec M. de Busigny d'aller
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déjeuner au bastion Saint-Gervais, et qui, tout en déjeunant, ont
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tenu là deux heures contre l'ennemi, et ont tué je ne sais combien
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de Rochelois.
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-- Vous êtes-vous informé du nom de ces trois mousquetaires?
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-- Oui, Monseigneur.
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-- Comment les appelle-t-on?
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-- Ce sont MM. Athos, Porthos et Aramis.
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-- Toujours mes trois braves! murmura le cardinal. Et le garde?
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-- M. d'Artagnan.
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-- Toujours mon jeune drôle! Décidément il faut que ces quatre
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hommes soient à moi.»
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Le soir même, le cardinal parla à M. de Tréville de l'exploit du
|
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matin, qui faisait la conversation de tout le camp.
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M. de Tréville, qui tenait le récit de l'aventure de la bouche
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même de ceux qui en étaient les héros, la raconta dans tous ses
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|
détails à Son Éminence, sans oublier l'épisode de la serviette.
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«C'est bien, monsieur de Tréville, dit le cardinal, faites-moi
|
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tenir cette serviette, je vous prie. J'y ferai broder trois fleurs
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de lis d'or, et je la donnerai pour guidon à votre compagnie.
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-- Monseigneur, dit M. de Tréville, il y aura injustice pour les
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|
gardes: M. d'Artagnan n'est pas à moi, mais à M. des Essarts.
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-- Eh bien, prenez-le, dit le cardinal; il n'est pas juste que,
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|
puisque ces quatre braves militaires s'aiment tant, ils ne servent
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pas dans la même compagnie.»
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Le même soir, M. de Tréville annonça cette bonne nouvelle aux
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|
trois mousquetaires et à d'Artagnan, en les invitant tous les
|
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quatre à déjeuner le lendemain.
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D'Artagnan ne se possédait pas de joie. On le sait, le rêve de
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toute sa vie avait été d'être mousquetaire.
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Les trois amis étaient fort joyeux.
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«Ma foi! dit d'Artagnan à Athos, tu as eu une triomphante idée,
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et, comme tu l'as dit, nous y avons acquis de la gloire, et nous
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avons pu lier une conversation de la plus haute importance.
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-- Que nous pourrons reprendre maintenant, sans que personne nous
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soupçonne; car, avec l'aide de Dieu, nous allons passer désormais
|
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pour des cardinalistes.»
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Le même soir, d'Artagnan alla présenter ses hommages à M. des
|
|
Essarts, et lui faire part de l'avancement qu'il avait obtenu.
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M. des Essarts, qui aimait beaucoup d'Artagnan, lui fit alors ses
|
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offres de service: ce changement de corps amenant des dépenses
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d'équipement.
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D'Artagnan refusa; mais, trouvant l'occasion bonne, il le pria de
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faire estimer le diamant qu'il lui remit, et dont il désirait
|
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faire de l'argent.
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Le lendemain à huit heures du matin, le valet de M. des Essarts
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entra chez d'Artagnan, et lui remit un sac d'or contenant sept
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mille livres.
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C'était le prix du diamant de la reine.
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CHAPITRE XLVIII
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AFFAIRE DE FAMILLE
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Athos avait trouvé le mot: affaire de famille. Une affaire de
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famille n'était point soumise à l'investigation du cardinal; une
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affaire de famille ne regardait personne; on pouvait s'occuper
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devant tout le monde d'une affaire de famille.
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Ainsi, Athos avait trouvé le mot: affaire de famille.
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Aramis avait trouvé l'idée: les laquais.
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Porthos avait trouvé le moyen: le diamant.
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D'Artagnan seul n'avait rien trouvé, lui ordinairement le plus
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|
inventif des quatre; mais il faut dire aussi que le nom seul de
|
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Milady le paralysait.
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Ah! si; nous nous trompons: il avait trouvé un acheteur pour le
|
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diamant.
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Le déjeuner chez M. de Tréville fut d'une gaieté charmante.
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D'Artagnan avait déjà son uniforme; comme il était à peu près de
|
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la même taille qu'Aramis, et qu'Aramis, largement payé, comme on
|
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se le rappelle, par le libraire qui lui avait acheté son poème,
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|
avait fait tout en double, il avait cédé à son ami un équipement
|
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complet.
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D'Artagnan eût été au comble de ses voeux, s'il n'eût point vu
|
|
pointer Milady, comme un nuage sombre à l'horizon.
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|
Après déjeuner, on convint qu'on se réunirait le soir au logis
|
|
d'Athos, et que là on terminerait l'affaire.
|
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D'Artagnan passa la journée à montrer son habit de mousquetaire
|
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dans toutes les rues du camp.
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|
Le soir, à l'heure dite, les quatre amis se réunirent: il ne
|
|
restait plus que trois choses à décider:
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Ce qu'on écrirait au frère de Milady;
|
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Ce qu'on écrirait à la personne adroite de Tours;
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Et quels seraient les laquais qui porteraient les lettres.
|
|
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|
Chacun offrait le sien: Athos parlait de la discrétion de Grimaud,
|
|
qui ne parlait que lorsque son maître lui décousait la bouche;
|
|
Porthos vantait la force de Mousqueton, qui était de taille à
|
|
rosser quatre hommes de complexion ordinaire; Aramis, confiant
|
|
dans l'adresse de Bazin, faisait un éloge pompeux de son candidat;
|
|
enfin, d'Artagnan avait foi entière dans la bravoure de Planchet,
|
|
et rappelait de quelle façon il s'était conduit dans l'affaire
|
|
épineuse de Boulogne.
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|
|
Ces quatre vertus disputèrent longtemps le prix, et donnèrent lieu
|
|
à de magnifiques discours, que nous ne rapporterons pas ici, de
|
|
peur qu'ils ne fassent longueur.
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|
«Malheureusement, dit Athos, il faudrait que celui qu'on enverra
|
|
possédât en lui seul les quatre qualités réunies.
|
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|
-- Mais où rencontrer un pareil laquais?
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|
-- Introuvable! dit Athos; je le sais bien: prenez donc Grimaud.
|
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|
-- Prenez Mousqueton.
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-- Prenez Bazin.
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|
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|
-- Prenez Planchet; Planchet est brave et adroit: c'est déjà deux
|
|
qualités sur quatre.
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|
-- Messieurs, dit Aramis, le principal n'est pas de savoir lequel
|
|
de nos quatre laquais est le plus discret, le plus fort, le plus
|
|
adroit ou le plus brave; le principal est de savoir lequel aime le
|
|
plus l'argent.
|
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|
-- Ce que dit Aramis est plein de sens, reprit Athos; il faut
|
|
spéculer sur les défauts des gens et non sur leurs vertus:
|
|
Monsieur l'abbé, vous êtes un grand moraliste!
|
|
|
|
-- Sans doute, répliqua Aramis; car non seulement nous avons
|
|
besoin d'être bien servis pour réussir, mais encore pour ne pas
|
|
échouer; car, en cas d'échec, il y va de la tête, non pas pour les
|
|
laquais...
|
|
|
|
-- Plus bas, Aramis! dit Athos.
|
|
|
|
-- C'est juste, non pas pour les laquais, reprit Aramis, mais pour
|
|
le maître, et même pour les maîtres! Nos valets nous sont-ils
|
|
assez dévoués pour risquer leur vie pour nous? Non.
|
|
|
|
-- Ma foi, dit d'Artagnan, je répondrais presque de Planchet, moi.
|
|
|
|
-- Eh bien, mon cher ami, ajoutez à son dévouement naturel une
|
|
bonne somme qui lui donne quelque aisance, et alors, au lieu d'en
|
|
répondre une fois, répondez-en deux.
|
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|
|
-- Eh! bon Dieu! vous serez trompés tout de même, dit Athos, qui
|
|
était optimiste quand il s'agissait des choses, et pessimiste
|
|
quand il s'agissait des hommes. Ils promettront tout pour avoir de
|
|
l'argent, et en chemin la peur les empêchera d'agir. Une fois
|
|
pris, on les serrera; serrés, ils avoueront. Que diable! nous ne
|
|
sommes pas des enfants! Pour aller en Angleterre (Athos baissa la
|
|
voix), il faut traverser toute la France, semée d'espions et de
|
|
créatures du cardinal; il faut une passe pour s'embarquer; il faut
|
|
savoir l'anglais pour demander son chemin à Londres. Tenez, je
|
|
vois la chose bien difficile.
|
|
|
|
-- Mais point du tout, dit d'Artagnan, qui tenait fort à ce que la
|
|
chose s'accomplît; je la vois facile, au contraire, moi. Il va
|
|
sans dire, parbleu! que si l'on écrit à Lord de Winter des choses
|
|
par-dessus les maisons, des horreurs du cardinal...
|
|
|
|
-- Plus bas! dit Athos.
|
|
|
|
-- Des intrigues et des secrets État, continua d'Artagnan en se
|
|
conformant à la recommandation, il va sans dire que nous serons
|
|
tous roués vifs; mais, pour Dieu, n'oubliez pas, comme vous l'avez
|
|
dit vous-même, Athos, que nous lui écrivons pour affaire de
|
|
famille; que nous lui écrivons à cette seule fin qu'il mette
|
|
Milady, dès son arrivée à Londres, hors d'état de nous nuire. Je
|
|
lui écrirai donc une lettre à peu près en ces termes:
|
|
|
|
-- Voyons, dit Aramis, en prenant par avance un visage de
|
|
critique.
|
|
|
|
--»Monsieur et cher ami...»
|
|
|
|
-- Ah! oui; cher ami, à un Anglais, interrompit Athos; bien
|
|
commencé! bravo, d'Artagnan! Rien qu'avec ce mot-là vous serez
|
|
écartelé, au lieu d'être roué vif.
|
|
|
|
-- Eh bien, soit; je dirai donc, monsieur, tout court.
|
|
|
|
-- Vous pouvez même dire, Milord, reprit Athos, qui tenait fort
|
|
aux convenances.
|
|
|
|
--»Milord, vous souvient-il du petit enclos aux chèvres du
|
|
Luxembourg?»
|
|
|
|
-- Bon! le Luxembourg à présent! On croira que c'est une allusion
|
|
à la reine mère! Voilà qui est ingénieux, dit Athos.
|
|
|
|
-- Eh bien, nous mettrons tout simplement: «Milord, vous souvient-
|
|
il de certain petit enclos où l'on vous sauva la vie?»
|
|
|
|
-- Mon cher d'Artagnan, dit Athos, vous ne serez jamais qu'un fort
|
|
mauvais rédacteur: «Où l'on vous sauva la vie!» Fi donc! ce n'est
|
|
pas digne. On ne rappelle pas ces services-là à un galant homme.
|
|
Bienfait reproché, offense faite.
|
|
|
|
-- Ah! mon cher, dit d'Artagnan, vous êtes insupportable, et s'il
|
|
faut écrire sous votre censure, ma foi, j'y renonce.
|
|
|
|
-- Et vous faites bien. Maniez le mousquet et l'épée, mon cher,
|
|
vous vous tirez galamment des deux exercices; mais passez la plume
|
|
à M. l'abbé, cela le regarde.
|
|
|
|
-- Ah! oui, au fait, dit Porthos, passez la plume à Aramis, qui
|
|
écrit des thèses en latin, lui.
|
|
|
|
-- Eh bien, soit dit d'Artagnan, rédigez-nous cette note, Aramis;
|
|
mais, de par notre Saint-Père le pape! tenez-vous serré, car je
|
|
vous épluche à mon tour, je vous en préviens.
|
|
|
|
-- Je ne demande pas mieux, dit Aramis avec cette naïve confiance
|
|
que tout poète a en lui-même; mais qu'on me mette au courant: j'ai
|
|
bien ouï dire, de-ci de-là, que cette belle-soeur était une
|
|
coquine, j'en ai même acquis la preuve en écoutant sa conversation
|
|
avec le cardinal.
|
|
|
|
-- Plus bas donc, sacrebleu! dit Athos.
|
|
|
|
-- Mais, continua Aramis, le détail m'échappe.
|
|
|
|
-- Et à moi aussi», dit Porthos.
|
|
|
|
D'Artagnan et Athos se regardèrent quelque temps en silence. Enfin
|
|
Athos, après s'être recueilli, et en devenant plus pâle encore
|
|
qu'il n'était de coutume, fit un signe d'adhésion, d'Artagnan
|
|
comprit qu'il pouvait parler.
|
|
|
|
«Eh bien, voici ce qu'il y a à dire, reprit d'Artagnan: Milord,
|
|
votre belle-soeur est une scélérate, qui a voulu vous faire tuer
|
|
pour hériter de vous. Mais elle ne pouvait épouser votre frère,
|
|
étant déjà mariée en France, et ayant été...»
|
|
|
|
D'Artagnan s'arrêta comme s'il cherchait le mot, en regardant
|
|
Athos.
|
|
|
|
«Chassée par son mari, dit Athos.
|
|
|
|
-- Parce qu'elle avait été marquée, continua d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Bah! s'écria Porthos, impossible! elle a voulu faire tuer son
|
|
beau-frère?
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Elle était mariée? demanda Aramis.
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Et son mari s'est aperçu qu'elle avait une fleur de lis sur
|
|
l'épaule? s'écria Porthos.
|
|
|
|
-- Oui.»
|
|
|
|
Ces trois oui avaient été dits par Athos, chacun avec une
|
|
intonation plus sombre.
|
|
|
|
«Et qui l'a vue, cette fleur de lis? demanda Aramis.
|
|
|
|
-- D'Artagnan et moi, ou plutôt, pour observer l'ordre
|
|
chronologique, moi et d'Artagnan, répondit Athos.
|
|
|
|
-- Et le mari de cette affreuse créature vit encore? dit Aramis.
|
|
|
|
-- Il vit encore.
|
|
|
|
-- Vous en êtes sûr?
|
|
|
|
-- J'en suis sûr.»
|
|
|
|
Il y eut un instant de froid silence, pendant lequel chacun se
|
|
sentit impressionné selon sa nature.
|
|
|
|
«Cette fois, reprit Athos, interrompant le premier le silence,
|
|
d'Artagnan nous a donné un excellent programme, et c'est cela
|
|
qu'il faut écrire d'abord.
|
|
|
|
-- Diable! vous avez raison, Athos, reprit Aramis, et la rédaction
|
|
est épineuse. M. le chancelier lui-même serait embarrassé pour
|
|
rédiger une épître de cette force, et cependant M. le chancelier
|
|
rédige très agréablement un procès-verbal. N'importe! taisez-vous,
|
|
j'écris.»
|
|
|
|
Aramis en effet prit la plume, réfléchit quelques instants, se mit
|
|
à écrire huit ou dix lignes d'une charmante petite écriture de
|
|
femme, puis, d'une voix douce et lente, comme si chaque mot eût
|
|
été scrupuleusement pesé, il lut ce qui suit:
|
|
|
|
«Milord,
|
|
|
|
«La personne qui vous écrit ces quelques lignes a eu l'honneur de
|
|
croiser l'épée avec vous dans un petit enclos de la rue d'Enfer.
|
|
Comme vous avez bien voulu, depuis, vous dire plusieurs fois l'ami
|
|
de cette personne, elle vous doit de reconnaître cette amitié par
|
|
un bon avis. Deux fois vous avez failli être victime d'une proche
|
|
parente que vous croyez votre héritière, parce que vous ignorez
|
|
qu'avant de contracter mariage en Angleterre, elle était déjà
|
|
mariée en France. Mais, la troisième fois, qui est celle-ci, vous
|
|
pouvez y succomber. Votre parente est partie de La Rochelle pour
|
|
l'Angleterre pendant la nuit. Surveillez son arrivée car elle a de
|
|
grands et terribles projets. Si vous tenez absolument à savoir ce
|
|
dont elle est capable, lisez son passé sur son épaule gauche.»
|
|
|
|
«Eh bien, voilà qui est à merveille, dit Athos, et vous avez une
|
|
plume de secrétaire État, mon cher Aramis. Lord de Winter fera
|
|
bonne garde maintenant, si toutefois l'avis lui arrive; et tombât-
|
|
il aux mains de Son Éminence elle-même, nous ne saurions être
|
|
compromis. Mais comme le valet qui partira pourrait nous faire
|
|
accroire qu'il a été à Londres et s'arrêter à Châtelleraut, ne lui
|
|
donnons avec la lettre que la moitié de la somme en lui promettant
|
|
l'autre moitié en échange de la réponse. Avez-vous le diamant?
|
|
continua Athos.
|
|
|
|
«J'ai mieux que cela, j'ai la somme.»
|
|
|
|
Et d'Artagnan jeta le sac sur la table: au son de l'or, Aramis
|
|
leva les yeux. Porthos tressaillit; quant à Athos, il resta
|
|
impassible.
|
|
|
|
«Combien dans ce petit sac? dit-il.
|
|
|
|
-- Sept mille livres en louis de douze francs.
|
|
|
|
-- Sept mille livres! s'écria Porthos, ce mauvais petit diamant
|
|
valait sept mille livres?
|
|
|
|
-- Il paraît, dit Athos, puisque les voilà; je ne présume pas que
|
|
notre ami d'Artagnan y ait mis du sien.
|
|
|
|
-- Mais, messieurs, dans tout cela, dit d'Artagnan, nous ne
|
|
pensons pas à la reine. Soignons un peu la santé de son cher
|
|
Buckingham. C'est le moins que nous lui devions.
|
|
|
|
-- C'est juste, dit Athos, mais ceci regarde Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien, répondit celui-ci en rougissant, que faut-il que je
|
|
fasse?
|
|
|
|
-- Mais, répliqua Athos, c'est tout simple: rédiger une seconde
|
|
lettre pour cette adroite personne qui habite Tours.»
|
|
|
|
Aramis reprit la plume, se mit à réfléchir de nouveau, et écrivit
|
|
les lignes suivantes, qu'il soumit à l'instant même à
|
|
l'approbation de ses amis:
|
|
|
|
«Ma chère cousine...»
|
|
|
|
«Ah! dit Athos, cette personne adroite est votre parente!
|
|
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-- Cousine germaine, dit Aramis.
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-- Va donc pour cousine!»
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Aramis continua:
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«Ma chère cousine, Son Éminence le cardinal, que Dieu conserve
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pour le bonheur de la France et la confusion des ennemis du
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royaume, est sur le point d'en finir avec les rebelles hérétiques
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de La Rochelle: il est probable que le secours de la Hotte
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anglaise n'arrivera pas même en vue de la place; j'oserai même
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dire que je suis certain que M. de Buckingham sera empêché de
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partir par quelque grand événement. Son Éminence est le plus
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illustre politique des temps passés, du temps présent et
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probablement des temps à venir. Il éteindrait le soleil si le
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soleil le gênait. Donnez ces heureuses nouvelles à votre soeur, ma
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chère cousine. J'ai rêvé que cet Anglais maudit était mort. Je ne
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puis me rappeler si c'était par le fer ou par le poison; seulement
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ce dont je suis sûr, c'est que j'ai rêvé qu'il était mort, et,
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vous le savez, mes rêves ne me trompent jamais. Assurez-vous donc
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de me voir revenir bientôt.»
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«À merveille! s'écria Athos, vous êtes le roi des poètes; mon cher
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Aramis, vous parlez comme l'Apocalypse et vous êtes vrai comme
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l'évangile. Il ne vous reste maintenant que l'adresse à mettre sur
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cette lettre.
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-- C'est bien facile», dit Aramis.
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Il plia coquettement la lettre, la reprit et écrivit:
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«À Mademoiselle Marie Michon, lingère à Tours.
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Les trois amis se regardèrent en riant: ils étaient pris.
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«Maintenant, dit Aramis, vous comprenez, messieurs, que Bazin seul
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peut porter cette lettre à Tours; ma cousine ne connaît que Bazin
|
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et n'a confiance qu'en lui: tout autre ferait échouer l'affaire.
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D'ailleurs Bazin est ambitieux et savant; Bazin a lu l'histoire,
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messieurs, il sait que Sixte Quint est devenu pape après avoir
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gardé les pourceaux; eh bien, comme il compte se mettre d'église
|
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en même temps que moi, il ne désespère pas à son tour de devenir
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pape ou tout au moins cardinal: vous comprenez qu'un homme qui a
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de pareilles visées ne se laissera pas prendre, ou, s'il est pris,
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subira le martyre plutôt que de parler.
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-- Bien, bien, dit d'Artagnan, je vous passe de grand coeur Bazin;
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mais passez-moi Planchet: Milady l'a fait jeter à la porte,
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certain jour, avec force coups de bâton; or Planchet a bonne
|
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mémoire, et, je vous en réponds, s'il peut supposer une vengeance
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possible, il se fera plutôt échiner que d'y renoncer. Si vos
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affaires de Tours sont vos affaires, Aramis, celles de Londres
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sont les miennes. Je prie donc qu'on choisisse Planchet, lequel
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d'ailleurs a déjà été à Londres avec moi et sait dire très
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correctement: London, _sir, if you please_ et _my master_ lord
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d'Artagnan; avec cela soyez tranquilles, il fera son chemin en
|
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allant et en revenant.
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-- En ce cas, dit Athos, il faut que Planchet reçoive sept cents
|
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livres pour aller et sept cents livres pour revenir, et Bazin,
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trois cents livres pour aller et trois cents livres pour revenir;
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cela réduira la somme à cinq mille livres; nous prendrons mille
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livres chacun pour les employer comme bon nous semblera, et nous
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laisserons un fond de mille livres que gardera l'abbé pour les cas
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extraordinaires ou les besoins communs. Cela vous va-t-il?
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-- Mon cher Athos, dit Aramis, vous parlez comme Nestor, qui
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était, comme chacun sait, le plus sage des Grecs.
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-- Eh bien, c'est dit, reprit Athos, Planchet et Bazin partiront;
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à tout prendre, je ne suis pas fâché de conserver Grimaud: il est
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accoutumé à mes façons et j'y tiens; la journée d'hier a déjà dû
|
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l'ébranler, ce voyage le perdrait.»
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On fit venir Planchet, et on lui donna des instructions; il avait
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été prévenu déjà par d'Artagnan, qui, du premier coup, lui avait
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annoncé la gloire, ensuite l'argent, puis le danger.
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«Je porterai la lettre dans le parement de mon habit, dit
|
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Planchet, et je l'avalerai si l'on me prend.
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-- Mais alors tu ne pourras pas faire la commission, dit
|
|
d'Artagnan.
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-- Vous m'en donnerez ce soir une copie que je saurai par coeur
|
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demain.»
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D'Artagnan regarda ses amis comme pour leur dire:
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«Eh bien, que vous avais-je promis?»
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«Maintenant, continua-t-il en s'adressant à Planchet, tu as huit
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jours pour arriver près de Lord de Winter, tu as huit autres jours
|
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pour revenir ici, en tout seize jours; si le seizième jour de ton
|
|
départ, à huit heures du soir, tu n'es pas arrivé, pas d'argent,
|
|
fût-il huit heures cinq minutes.
|
|
|
|
Alors, monsieur, dit Planchet, achetez-moi une montre.
|
|
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|
Prends celle-ci, dit Athos, en lui donnant la sienne avec une
|
|
insouciante générosité, et sois brave garçon. Songe que, si tu
|
|
parles, si tu bavardes, si tu flânes, tu fais couper le cou à ton
|
|
maître, qui a si grande confiance dans ta fidélité qu'il nous a
|
|
répondu de toi. Mais songe aussi que s'il arrive, par ta faute,
|
|
malheur à d'Artagnan, je te retrouverai partout, et ce sera pour
|
|
t'ouvrir le ventre.
|
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|
-- Oh! monsieur! dit Planchet, humilié du soupçon et surtout
|
|
effrayé de l'air calme du mousquetaire.
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|
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-- Et moi, dit Porthos en roulant ses gros yeux, songe que je
|
|
t'écorche vif.
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-- Ah! monsieur!
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|
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-- Et moi, continua Aramis de sa voix douce et mélodieuse, songe
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|
que je te brûle à petit feu comme un sauvage.
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|
|
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-- Ah! monsieur!»
|
|
|
|
Et Planchet se mit à pleurer; nous n'oserions dire si ce fut de
|
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terreur, à cause des menaces qui lui étaient faites, ou
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|
d'attendrissement de voir quatre amis si étroitement unis.
|
|
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|
D'Artagnan lui prit la main, et l'embrassa.
|
|
|
|
«Vois-tu, Planchet, lui dit-il, ces messieurs te disent tout cela
|
|
par tendresse pour moi, mais au fond ils t'aiment.
|
|
|
|
-- Ah! monsieur! dit Planchet, ou je réussirai, ou l'on me coupera
|
|
en quatre; me coupât-on en quatre, soyez convaincu qu'il n'y a pas
|
|
un morceau qui parlera.»
|
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|
|
Il fut décidé que Planchet partirait le lendemain à huit heures du
|
|
matin, afin, comme il l'avait dit, qu'il pût, pendant la nuit,
|
|
apprendre la lettre par coeur. Il gagna juste douze heures à cet
|
|
arrangement; il devait être revenu le seizième jour, à huit heures
|
|
du soir.
|
|
|
|
Le matin, au moment où il allait monter à cheval, d'Artagnan, qui
|
|
se sentait au fond du coeur un faible pour le duc, prit Planchet à
|
|
part.
|
|
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|
«Écoute, lui dit-il, quand tu auras remis la lettre à Lord de
|
|
Winter et qu'il l'aura lue, tu lui diras encore: "Veillez sur Sa
|
|
Grâce Lord Buckingham, car on veut l'assassiner." Mais ceci,
|
|
Planchet, vois-tu, c'est si grave et si important, que je n'ai pas
|
|
même voulu avouer à mes amis que je te confierais ce secret, et
|
|
que pour une commission de capitaine je ne voudrais pas te
|
|
l'écrire.
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|
|
|
-- Soyez tranquille, monsieur, dit Planchet, vous verrez si l'on
|
|
peut compter sur moi.
|
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|
|
Et monté sur un excellent cheval, qu'il devait quitter à vingt
|
|
lieues de là pour prendre la poste, Planchet partit au galop, le
|
|
coeur un peu serré par la triple promesse que lui avaient faite
|
|
les mousquetaires, mais du reste dans les meilleures dispositions
|
|
du monde.
|
|
|
|
Bazin partit le lendemain matin pour Tours, et eut huit jours pour
|
|
faire sa commission.
|
|
|
|
Les quatre amis, pendant toute la durée de ces deux absences,
|
|
avaient, comme on le comprend bien, plus que jamais l'oeil au
|
|
guet, le nez au vent et l'oreille aux écoutes. Leurs journées se
|
|
passaient à essayer de surprendre ce qu'on disait, à guetter les
|
|
allures du cardinal et à flairer les courriers qui arrivaient.
|
|
Plus d'une fois un tremblement insurmontable les prit, lorsqu'on
|
|
les appela pour quelque service inattendu. Ils avaient d'ailleurs
|
|
à se garder pour leur propre sûreté; Milady était un fantôme qui,
|
|
lorsqu'il était apparu une fois aux gens, ne les laissait pas
|
|
dormir tranquillement.
|
|
|
|
Le matin du huitième jour, Bazin, frais comme toujours et souriant
|
|
selon son habitude, entra dans le cabaret de Parpaillot, comme les
|
|
quatre amis étaient en train de déjeuner, en disant, selon la
|
|
convention arrêtée:
|
|
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|
«Monsieur Aramis, voici la réponse de votre cousine.»
|
|
|
|
Les quatre amis échangèrent un coup d'oeil joyeux: la moitié de la
|
|
besogne était faite; il est vrai que c'était la plus courte et la
|
|
plus facile.
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|
|
|
Aramis prit, en rougissant malgré lui, la lettre, qui était d'une
|
|
écriture grossière et sans orthographe.
|
|
|
|
«Bon Dieu! s'écria-t-il en riant, décidément j'en désespère;
|
|
jamais cette pauvre Michon n'écrira comme M. de Voiture.
|
|
|
|
-- Qu'est-ce que cela feut dire, cette baufre Migeon? demanda le
|
|
Suisse, qui était en train de causer avec les quatre amis quand la
|
|
lettre était arrivée.
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu! moins que rien, dit Aramis, une petite lingère
|
|
charmante que j'aimais fort et à qui j'ai demandé quelques lignes
|
|
de sa main en manière de souvenir.
|
|
|
|
-- Dutieu! dit le Suisse; zi zella il être auzi grante tame que
|
|
son l'égridure, fous l'être en ponne fordune, mon gamarate!
|
|
|
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Aramis lut la lettre et la passa à Athos.
|
|
|
|
«Voyez donc ce qu'elle m'écrit, Athos», dit-il.
|
|
|
|
Athos jeta un coup d'oeil sur l'épître, et, pour faire évanouir
|
|
tous les soupçons qui auraient pu naître, lut tout haut:
|
|
|
|
«Mon cousin, ma soeur et moi devinons très bien les rêves, et nous
|
|
en avons même une peur affreuse; mais du vôtre, on pourra dire, je
|
|
l'espère, tout songe est mensonge. Adieu! portez-vous bien, et
|
|
faites que de temps en temps nous entendions parler de vous.
|
|
|
|
«Aglé Michon.
|
|
|
|
«Et de quel rêve parle-t-elle? demanda le dragon, qui s'était
|
|
approché pendant la lecture.
|
|
|
|
-- Foui, te quel rêfe? dit le Suisse.
|
|
|
|
-- Eh! pardieu! dit Aramis, c'est tout simple, d'un rêve que j'ai
|
|
fait et que je lui ai raconté.
|
|
|
|
-- Oh! foui, par Tieu! c'être tout simple de ragonter son rêfe;
|
|
mais moi je ne rêfe jamais.
|
|
|
|
-- Vous êtes fort heureux, dit Athos en se levant, et je voudrais
|
|
bien pouvoir en dire autant que vous!
|
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|
|
-- Chamais! reprit le Suisse, enchanté qu'un homme comme Athos lui
|
|
enviât quelque chose, chamais! chamais!»
|
|
|
|
D'Artagnan, voyant qu'Athos se levait, en fit autant, prit son
|
|
bras, et sortit.
|
|
|
|
Porthos et Aramis restèrent pour faire face aux quolibets du
|
|
dragon et du Suisse.
|
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|
|
Quant à Bazin, il s'alla coucher sur une botte de paille; et comme
|
|
il avait plus d'imagination que le Suisse, il rêva que M. Aramis,
|
|
devenu pape, le coiffait d'un chapeau de cardinal.
|
|
|
|
Mais, comme nous l'avons dit, Bazin n'avait, par son heureux
|
|
retour, enlevé qu'une partie de l'inquiétude qui aiguillonnait les
|
|
quatre amis. Les jours de l'attente sont longs, et d'Artagnan
|
|
surtout aurait parié que les jours avaient maintenant quarante-
|
|
huit heures. Il oubliait les lenteurs obligées de la navigation,
|
|
il s'exagérait la puissance de Milady. Il prêtait à cette femme,
|
|
qui lui apparaissait pareille à un démon, des auxiliaires
|
|
surnaturels comme elle; il s'imaginait, au moindre bruit, qu'on
|
|
venait l'arrêter, et qu'on ramenait Planchet pour le confronter
|
|
avec lui et ses amis. Il y a plus: sa confiance autrefois si
|
|
grande dans le digne Picard, diminuait de jour en jour. Cette
|
|
inquiétude était si grande, qu'elle gagnait Porthos et Aramis. Il
|
|
n'y avait qu'Athos qui demeurât impassible, comme si aucun danger
|
|
ne s'agitait autour de lui, et qu'il respirât son atmosphère
|
|
quotidienne.
|
|
|
|
Le seizième jour surtout, ces signes d'agitation étaient si
|
|
visibles chez d'Artagnan et ses deux amis, qu'ils ne pouvaient
|
|
rester en place, et qu'ils erraient comme des ombres sur le chemin
|
|
par lequel devait revenir Planchet.
|
|
|
|
«Vraiment, leur disait Athos, vous n'êtes pas des hommes, mais des
|
|
enfants, pour qu'une femme vous fasse si grand-peur! Et de quoi
|
|
s'agit-il, après tout? D'être emprisonnés! Eh bien, mais on nous
|
|
tirera de prison: on en a bien retiré Mme Bonacieux. D'être
|
|
décapités? Mais tous les jours, dans la tranchée, nous allons
|
|
joyeusement nous exposer à pis que cela, car un boulet peut nous
|
|
casser la jambe, et je suis convaincu qu'un chirurgien nous fait
|
|
plus souffrir en nous coupant la cuisse qu'un bourreau en nous
|
|
coupant la tête. Demeurez donc tranquilles; dans deux heures, dans
|
|
quatre, dans six heures, au plus tard, Planchet sera ici: il a
|
|
promis d'y être, et moi j'ai très grande foi aux promesses de
|
|
Planchet, qui m'a l'air d'un fort brave garçon.
|
|
|
|
-- Mais s'il n'arrive pas? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Eh bien, s'il n'arrive pas, c'est qu'il aura été retardé, voilà
|
|
tout. Il peut être tombé de cheval, il peut avoir fait une
|
|
cabriole par-dessus le pont, il peut avoir couru si vite qu'il en
|
|
ait attrapé une fluxion de poitrine. Eh! messieurs! faisons donc
|
|
la part des événements. La vie est un chapelet de petites misères
|
|
que le philosophe égrène en riant. Soyez philosophes comme moi,
|
|
messieurs, mettez-vous à table et buvons; rien ne fait paraître
|
|
l'avenir couleur de rose comme de le regarder à travers un verre
|
|
de chambertin.
|
|
|
|
-- C'est fort bien, répondit d'Artagnan; mais je suis las d'avoir
|
|
à craindre, en buvant frais, que le vin ne sorte de la cave de
|
|
Milady.
|
|
|
|
-- Vous êtes bien difficile, dit Athos, une si belle femme!
|
|
|
|
-- Une femme de marque!» dit Porthos avec son gros rire.
|
|
|
|
Athos tressaillit, passa la main sur son front pour en essuyer la
|
|
sueur, et se leva à son tour avec un mouvement nerveux qu'il ne
|
|
put réprimer.
|
|
|
|
Le jour s'écoula cependant, et le soir vint plus lentement, mais
|
|
enfin il vint; les buvettes s'emplirent de chalands; Athos, qui
|
|
avait empoché sa part du diamant, ne quittait plus le Parpaillot.
|
|
Il avait trouvé dans M. de Busigny, qui, au reste, leur avait
|
|
donné un dîner magnifique, un _partner_ digne de lui. Ils jouaient
|
|
donc ensemble, comme d'habitude, quand sept heures sonnèrent: on
|
|
entendit passer les patrouilles qui allaient doubler les postes; à
|
|
sept heures et demie la retraite sonna.
|
|
|
|
«Nous sommes perdus, dit d'Artagnan à l'oreille d'Athos.
|
|
|
|
-- Vous voulez dire que nous avons perdu, dit tranquillement Athos
|
|
en tirant quatre pistoles de sa poche et en les jetant sur la
|
|
table. Allons, messieurs, continua-t-il, on bat la retraite,
|
|
allons nous coucher.»
|
|
|
|
Et Athos sortit du Parpaillot suivi de d'Artagnan. Aramis venait
|
|
derrière donnant le bras à Porthos. Aramis mâchonnait des vers, et
|
|
Porthos s'arrachait de temps en temps quelques poils de moustache
|
|
en signe de désespoir.
|
|
|
|
Mais voilà que tout à coup, dans l'obscurité, une ombre se
|
|
dessine, dont la forme est familière à d'Artagnan, et qu'une voix
|
|
bien connue lui dit:
|
|
|
|
«Monsieur, je vous apporte votre manteau, car il fait frais ce
|
|
soir.
|
|
|
|
-- Planchet! s'écria d'Artagnan, ivre de joie.
|
|
|
|
-- Planchet! répétèrent Porthos et Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien, oui, Planchet, dit Athos, qu'y a-t-il d'étonnant à
|
|
cela? Il avait promis d'être de retour à huit heures, et voilà les
|
|
huit heures qui sonnent. Bravo! Planchet, vous êtes un garçon de
|
|
parole, et si jamais vous quittez votre maître, je vous garde une
|
|
place à mon service.
|
|
|
|
-- Oh! non, jamais, dit Planchet, jamais je ne quitterai
|
|
M. d'Artagnan.»
|
|
|
|
En même temps d'Artagnan sentit que Planchet lui glissait un
|
|
billet dans la main.
|
|
|
|
D'Artagnan avait grande envie d'embrasser Planchet au retour comme
|
|
il l'avait embrassé au départ; mais il eut peur que cette marque
|
|
d'effusion, donnée à son laquais en pleine rue, ne parût
|
|
extraordinaire à quelque passant, et il se contint.
|
|
|
|
«J'ai le billet, dit-il à Athos et à ses amis.
|
|
|
|
-- C'est bien, dit Athos, entrons chez nous, et nous le lirons.
|
|
|
|
Le billet brûlait la main de d'Artagnan: il voulait hâter le pas;
|
|
mais Athos lui prit le bras et le passa sous le sien, et force fut
|
|
au jeune homme de régler sa course sur celle de son ami.
|
|
|
|
Enfin on entra dans la tente, on alluma une lampe, et tandis que
|
|
Planchet se tenait sur la porte pour que les quatre amis ne
|
|
fussent pas surpris, d'Artagnan, d'une main tremblante, brisa le
|
|
cachet et ouvrit la lettre tant attendue.
|
|
|
|
Elle contenait une demi-ligne, d'une écriture toute britannique et
|
|
d'une concision toute spartiate:
|
|
|
|
«_Thank you, be easy._»
|
|
|
|
Ce qui voulait dire:
|
|
|
|
«Merci, soyez tranquille.»
|
|
|
|
Athos prit la lettre des mains de d'Artagnan, l'approcha de la
|
|
lampe, y mit le feu, et ne la lâcha point qu'elle ne fût réduite
|
|
en cendres.
|
|
|
|
Puis appelant Planchet:
|
|
|
|
«Maintenant, mon garçon, lui dit-il, tu peux réclamer tes sept
|
|
cents livres, mais tu ne risquais pas grand-chose avec un billet
|
|
comme celui-là.
|
|
|
|
-- Ce n'est pas faute que j'aie inventé bien des moyens de le
|
|
serrer, dit Planchet.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit d'Artagnan, conte-nous cela.
|
|
|
|
-- Dame! c'est bien long, monsieur.
|
|
|
|
-- Tu as raison, Planchet, dit Athos; d'ailleurs la retraite est
|
|
battue, et nous serions remarqués en gardant de la lumière plus
|
|
longtemps que les autres.
|
|
|
|
-- Soit, dit d'Artagnan, couchons-nous. Dors bien, Planchet!
|
|
|
|
-- Ma foi, monsieur! ce sera la première fois depuis seize jours.
|
|
|
|
-- Et moi aussi! dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Et moi aussi! répéta Porthos.
|
|
|
|
-- Et moi aussi! répéta Aramis.
|
|
|
|
-- Eh bien, voulez-vous que je vous avoue la vérité? et moi
|
|
aussi!» dit Athos.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE XLIX
|
|
FATALITÉ
|
|
|
|
Cependant Milady, ivre de colère, rugissant sur le pont du
|
|
bâtiment comme une lionne qu'on embarque, avait été tentée de se
|
|
jeter à la mer pour regagner la côte, car elle ne pouvait se faire
|
|
à l'idée qu'elle avait été insultée par d'Artagnan, menacée par
|
|
Athos, et qu'elle quittait la France sans se venger d'eux.
|
|
Bientôt, cette idée était devenue pour elle tellement
|
|
insupportable, qu'au risque de ce qui pouvait arriver de terrible
|
|
pour elle-même, elle avait supplié le capitaine de la jeter sur la
|
|
côte; mais le capitaine, pressé d'échapper à sa fausse position,
|
|
placé entre les croiseurs français et anglais, comme la chauve-
|
|
souris entre les rats et les oiseaux, avait grande hâte de
|
|
regagner l'Angleterre, et refusa obstinément d'obéir à ce qu'il
|
|
prenait pour un caprice de femme, promettant à sa passagère, qui
|
|
au reste lui était particulièrement recommandée par le cardinal,
|
|
de la jeter, si la mer et les Français le permettaient, dans un
|
|
des ports de la Bretagne, soit à Lorient, soit à Brest; mais en
|
|
attendant, le vent était contraire, la mer mauvaise, on louvoyait
|
|
et l'on courait des bordées. Neuf jours après la sortie de la
|
|
Charente, Milady, toute pâle de ses chagrins et de sa rage, voyait
|
|
apparaître seulement les côtes bleuâtres du Finistère.
|
|
|
|
Elle calcula que pour traverser ce coin de la France et revenir
|
|
près du cardinal il lui fallait au moins trois jours; ajoutez un
|
|
jour pour le débarquement et cela faisait quatre; ajoutez ces
|
|
quatre jours aux neuf autres, c'était treize jours de perdus,
|
|
treize jours pendant lesquels tant d'événements importants se
|
|
pouvaient passer à Londres. Elle songea que sans aucun doute le
|
|
cardinal serait furieux de son retour, et que par conséquent il
|
|
serait plus disposé à écouter les plaintes qu'on porterait contre
|
|
elle que les accusations qu'elle porterait contre les autres. Elle
|
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laissa donc passer Lorient et Brest sans insister près du
|
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capitaine, qui, de son côté, se garda bien de lui donner l'éveil.
|
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Milady continua donc sa route, et le jour même où Planchet
|
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s'embarquait de Portsmouth pour la France, la messagère de son
|
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Éminence entrait triomphante dans le port.
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Toute la ville était agitée d'un mouvement extraordinaire: --
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quatre grands vaisseaux récemment achevés venaient d'être lancés
|
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à la mer; -- debout sur la jetée, chamarré d'or, éblouissant,
|
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selon son habitude de diamants et de pierreries, le feutre orné
|
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d'une plume blanche qui retombait sur son épaule, on voyait
|
|
Buckingham entouré d'un état-major presque aussi brillant que lui.
|
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C'était une de ces belles et rares journées d'hiver où
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l'Angleterre se souvient qu'il y a un soleil. L'astre pâli, mais
|
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cependant splendide encore, se couchait à l'horizon, empourprant à
|
|
la fois le ciel et la mer de bandes de feu et jetant sur les tours
|
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et les vieilles maisons de la ville un dernier rayon d'or qui
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faisait étinceler les vitres comme le reflet d'un incendie.
|
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Milady, en respirant cet air de l'Océan plus vif et plus
|
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balsamique à l'approche de la terre, en contemplant toute la
|
|
puissance de ces préparatifs qu'elle était chargée de détruire,
|
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toute la puissance de cette armée qu'elle devait combattre à elle
|
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seule -- elle femme -- avec quelques sacs d'or, se compara
|
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mentalement à Judith, la terrible Juive, lorsqu'elle pénétra dans
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le camp des Assyriens et qu'elle vit la masse énorme de chars, de
|
|
chevaux, d'hommes et d'armes qu'un geste de sa main devait
|
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dissiper comme un nuage de fumée.
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On entra dans la rade; mais comme on s'apprêtait à y jeter
|
|
l'ancre, un petit cutter formidablement armé s'approcha du
|
|
bâtiment marchand, se donnant comme garde-côte, et fit mettre à la
|
|
mer son canot, qui se dirigea vers l'échelle. Ce canot renfermait
|
|
un officier, un contremaître et huit rameurs; l'officier seul
|
|
monta à bord, où il fut reçu avec toute la déférence qu'inspire
|
|
l'uniforme.
|
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|
|
L'officier s'entretint quelques instants avec le patron, lui fit
|
|
lire un papier dont il était porteur, et, sur l'ordre du capitaine
|
|
marchand, tout l'équipage du bâtiment, matelots et passagers, fut
|
|
appelé sur le pont.
|
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|
|
Lorsque cette espèce d'appel fut fait, l'officier s'enquit tout
|
|
haut du point de départ du brik, de sa route, de ses
|
|
atterrissements, et à toutes les questions le capitaine satisfit
|
|
sans hésitation et sans difficulté. Alors l'officier commença de
|
|
passer la revue de toutes les personnes les unes après les autres,
|
|
et, s'arrêtant à Milady, la considéra avec un grand soin, mais
|
|
sans lui adresser une seule parole.
|
|
|
|
Puis il revint au capitaine, lui dit encore quelques mots; et,
|
|
comme si c'eût été à lui désormais que le bâtiment dût obéir, il
|
|
commanda une manoeuvre que l'équipage exécuta aussitôt. Alors le
|
|
bâtiment se remit en route, toujours escorté du petit cutter, qui
|
|
voguait bord à bord avec lui, menaçant son flanc de la bouche de
|
|
ses six canons tandis que la barque suivait dans le sillage du
|
|
navire, faible point près de l'énorme masse.
|
|
|
|
Pendant l'examen que l'officier avait fait de Milady, Milady,
|
|
comme on le pense bien, l'avait de son côté dévoré du regard.
|
|
Mais, quelque habitude que cette femme aux yeux de flamme eût de
|
|
lire dans le coeur de ceux dont elle avait besoin de deviner les
|
|
secrets, elle trouva cette fois un visage d'une impassibilité
|
|
telle qu'aucune découverte ne suivit son investigation. L'officier
|
|
qui s'était arrêté devant elle et qui l'avait silencieusement
|
|
étudiée avec tant de soin pouvait être âgé de vingt-cinq à vingt-
|
|
six ans, était blanc de visage avec des yeux bleu clair un peu
|
|
enfoncés; sa bouche, fine et bien dessinée, demeurait immobile
|
|
dans ses lignes correctes; son menton, vigoureusement accusé,
|
|
dénotait cette force de volonté qui, dans le type vulgaire
|
|
britannique, n'est ordinairement que de l'entêtement; un front un
|
|
peu fuyant, comme il convient aux poètes, aux enthousiastes et aux
|
|
soldats, était à peine ombragé d'une chevelure courte et
|
|
clairsemée, qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage,
|
|
était d'une belle couleur châtain foncé.
|
|
|
|
Lorsqu'on entra dans le port, il faisait déjà nuit. La brume
|
|
épaississait encore l'obscurité et formait autour des fanaux et
|
|
des lanternes des jetées un cercle pareil à celui qui entoure la
|
|
lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L'air qu'on
|
|
respirait était triste, humide et froid.
|
|
|
|
Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgré elle.
|
|
|
|
L'officier se fit indiquer les paquets de Milady, fit porter son
|
|
bagage dans le canot; et lorsque cette opération fut faite, il
|
|
l'invita à y descendre elle-même en lui tendant sa main.
|
|
|
|
Milady regarda cet homme et hésita.
|
|
|
|
«Qui êtes-vous, monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bonté de
|
|
vous occuper si particulièrement de moi?
|
|
|
|
-- Vous devez le voir, madame, à mon uniforme; je suis officier de
|
|
la marine anglaise, répondit le jeune homme.
|
|
|
|
-- Mais enfin, est-ce l'habitude que les officiers de la marine
|
|
anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu'ils
|
|
abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la
|
|
galanterie jusqu'à les conduire à terre?
|
|
|
|
-- Oui, Milady, c'est l'habitude, non point par galanterie, mais
|
|
par prudence, qu'en temps de guerre les étrangers soient conduits
|
|
à une hôtellerie désignée, afin que jusqu'à parfaite information
|
|
sur eux ils restent sous la surveillance du gouvernement.»
|
|
|
|
Ces mots furent prononcés avec la politesse la plus exacte et le
|
|
calme le plus parfait. Cependant ils n'eurent point le don de
|
|
convaincre Milady.
|
|
|
|
«Mais je ne suis pas étrangère, monsieur, dit-elle avec l'accent
|
|
le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth à Manchester, je
|
|
me nomme Lady Clarick, et cette mesure...
|
|
|
|
-- Cette mesure est générale, Milady, et vous tenteriez
|
|
inutilement de vous y soustraire.
|
|
|
|
-- Je vous suivrai donc, monsieur.»
|
|
|
|
Et acceptant la main de l'officier, elle commença de descendre
|
|
l'échelle au bas de laquelle l'attendait le canot. L'officier la
|
|
suivit; un grand manteau était étendu à la poupe, l'officier la
|
|
fit asseoir sur le manteau et s'assit près d'elle.
|
|
|
|
«Nagez», dit-il aux matelots.
|
|
|
|
Les huit rames retombèrent dans la mer, ne formant qu'un seul
|
|
bruit, ne frappant qu'un seul coup, et le canot sembla voler sur
|
|
la surface de l'eau.
|
|
|
|
Au bout de cinq minutes on touchait à terre.
|
|
|
|
L'officier sauta sur le quai et offrit la main à Milady.
|
|
|
|
Une voiture attendait.
|
|
|
|
«Cette voiture est-elle pour nous? demanda Milady.
|
|
|
|
-- Oui, madame, répondit l'officier.
|
|
|
|
-- L'hôtellerie est donc bien loin?
|
|
|
|
-- À l'autre bout de la ville.
|
|
|
|
-- Allons», dit Milady.
|
|
|
|
Et elle monta résolument dans la voiture.
|
|
|
|
L'officier veilla à ce que les paquets fussent soigneusement
|
|
attachés derrière la caisse, et cette opération terminée, prit sa
|
|
place près de Milady et referma la portière.
|
|
|
|
Aussitôt, sans qu'aucun ordre fût donné et sans qu'on eût besoin
|
|
de lui indiquer sa destination, le cocher partit au galop et
|
|
s'enfonça dans les rues de la ville.
|
|
|
|
Une réception si étrange devait être pour Milady une ample matière
|
|
à réflexion; aussi, voyant que le jeune officier ne paraissait
|
|
nullement disposé à lier conversation, elle s'accouda dans un
|
|
angle de la voiture et passa les unes après les autres en revue
|
|
toutes les suppositions qui se présentaient à son esprit.
|
|
|
|
Cependant, au bout d'un quart d'heure, étonnée de la longueur du
|
|
chemin, elle se pencha vers la portière pour voir où on la
|
|
conduisait. On n'apercevait plus de maisons; des arbres
|
|
apparaissaient dans les ténèbres comme de grands fantômes noirs
|
|
courant les uns après les autres.
|
|
|
|
Milady frissonna.
|
|
|
|
«Mais nous ne sommes plus dans la ville, monsieur», dit-elle.
|
|
|
|
Le jeune officier garda le silence.
|
|
|
|
«Je n'irai pas plus loin, si vous ne me dites pas où vous me
|
|
conduisez; je vous en préviens, monsieur!»
|
|
|
|
Cette menace n'obtint aucune réponse.
|
|
|
|
«Oh! c'est trop fort! s'écria Milady, au secours! au secours!»
|
|
|
|
Pas une voix ne répondit à la sienne, la voiture continua de
|
|
rouler avec rapidité; l'officier semblait une statue.
|
|
|
|
Milady regarda l'officier avec une de ces expressions terribles,
|
|
particulières à son visage et qui manquaient si rarement leur
|
|
effet; la colère faisait étinceler ses yeux dans l'ombre.
|
|
|
|
Le jeune homme resta impassible.
|
|
|
|
Milady voulut ouvrir la portière et se précipiter.
|
|
|
|
«Prenez garde, madame, dit froidement le jeune homme, vous vous
|
|
tuerez en sautant.»
|
|
|
|
Milady se rassit écumante; l'officier se pencha, la regarda à son
|
|
tour et parut surpris de voir cette figure, si belle naguère,
|
|
bouleversée par la rage et devenue presque hideuse. L'astucieuse
|
|
créature comprit qu'elle se perdait en laissant voir ainsi dans
|
|
son âme; elle rasséréna ses traits, et d'une voix gémissante:
|
|
|
|
«Au nom du Ciel, monsieur! dites-moi si c'est à vous, si c'est à
|
|
votre gouvernement, si c'est à un ennemi que je dois attribuer la
|
|
violence que l'on me fait?
|
|
|
|
-- On ne vous fait aucune violence, madame, et ce qui vous arrive
|
|
est le résultat d'une mesure toute simple que nous sommes forcés
|
|
de prendre avec tous ceux qui débarquent en Angleterre.
|
|
|
|
-- Alors vous ne me connaissez pas, monsieur?
|
|
|
|
-- C'est la première fois que j'ai l'honneur de vous voir.
|
|
|
|
-- Et, sur votre honneur, vous n'avez aucun sujet de haine contre
|
|
moi?
|
|
|
|
-- Aucun, je vous le jure.»
|
|
|
|
II y avait tant de sérénité, de sang-froid, de douceur même dans
|
|
la voix du jeune homme, que Milady fut rassurée.
|
|
|
|
Enfin, après une heure de marche à peu près, la voiture s'arrêta
|
|
devant une grille de fer qui fermait un chemin creux conduisant à
|
|
un château sévère de forme, massif et isolé. Alors, comme les
|
|
roues tournaient sur un sable fin, Milady entendit un vaste
|
|
mugissement, qu'elle reconnut pour le bruit de la mer qui vient se
|
|
briser sur une côte escarpée.
|
|
|
|
La voiture passa sous deux voûtes, et enfin s'arrêta dans une cour
|
|
sombre et carrée; presque aussitôt la portière de la voiture
|
|
s'ouvrit, le jeune homme sauta légèrement à terre et présenta sa
|
|
main à Milady, qui s'appuya dessus, et descendit à son tour avec
|
|
assez de calme.
|
|
|
|
«Toujours est-il, dit Milady en regardant autour d'elle et en
|
|
ramenant ses yeux sur le jeune officier avec le plus gracieux
|
|
sourire, que je suis prisonnière; mais ce ne sera pas pour
|
|
longtemps, j'en suis sûre, ajouta-t-elle, ma conscience et votre
|
|
politesse, monsieur, m'en sont garants.»
|
|
|
|
Si flatteur que fût le compliment, l'officier ne répondit rien;
|
|
mais, tirant de sa ceinture un petit sifflet d'argent pareil à
|
|
celui dont se servent les contremaîtres sur les bâtiments de
|
|
guerre, il siffla trois fois, sur trois modulations différentes:
|
|
alors plusieurs hommes parurent, dételèrent les chevaux fumants et
|
|
emmenèrent la voiture sous une remise.
|
|
|
|
Puis l'officier, toujours avec la même politesse calme, invita sa
|
|
prisonnière à entrer dans la maison. Celle-ci, toujours avec son
|
|
même visage souriant, lui prit le bras, et entra avec lui sous une
|
|
porte basse et cintrée qui, par une voûte éclairée seulement au
|
|
fond, conduisait à un escalier de pierre tournant autour d'une
|
|
arête de pierre; puis on s'arrêta devant une porte massive qui,
|
|
après l'introduction dans la serrure d'une clef que le jeune homme
|
|
portait sur lui, roula lourdement sur ses gonds et donna ouverture
|
|
à la chambre destinée à Milady.
|
|
|
|
D'un seul regard, la prisonnière embrassa l'appartement dans ses
|
|
moindres détails.
|
|
|
|
C'était une chambre dont l'ameublement était à la fois bien propre
|
|
pour une prison et bien sévère pour une habitation d'homme libre;
|
|
cependant, des barreaux aux fenêtres et des verrous extérieurs à
|
|
la porte décidaient le procès en faveur de la prison.
|
|
|
|
Un instant toute la force d'âme de cette créature, trempée
|
|
cependant aux sources les plus vigoureuses, l'abandonna; elle
|
|
tomba sur un fauteuil, croisant les bras, baissant la tête, et
|
|
s'attendant à chaque instant à voir entrer un juge pour
|
|
l'interroger.
|
|
|
|
Mais personne n'entra, que deux ou trois soldats de marine qui
|
|
apportèrent les malles et les caisses, les déposèrent dans un coin
|
|
et se retirèrent sans rien dire.
|
|
|
|
L'officier présidait à tous ces détails avec le même calme que
|
|
Milady lui avait constamment vu, ne prononçant pas une parole lui-
|
|
même, et se faisant obéir d'un geste de sa main ou d'un coup de
|
|
son sifflet.
|
|
|
|
On eût dit qu'entre cet homme et ses inférieurs la langue parlée
|
|
n'existait pas ou devenait inutile.
|
|
|
|
Enfin Milady n'y put tenir plus longtemps, elle rompit le silence:
|
|
|
|
«Au nom du Ciel, monsieur! s'écria-t-elle, que veut dire tout ce
|
|
qui se passe? Fixez mes irrésolutions; j'ai du courage pour tout
|
|
danger que je prévois, pour tout malheur que je comprends. Où
|
|
suis-je et que suis-je ici? suis-je libre, pourquoi ces barreaux
|
|
et ces portes? suis-je prisonnière, quel crime ai-je commis?
|
|
|
|
-- Vous êtes ici dans l'appartement qui vous est destiné, madame.
|
|
J'ai reçu l'ordre d'aller vous prendre en mer et de vous conduire
|
|
en ce château: cet ordre, je l'ai accompli, je crois, avec toute
|
|
la rigidité d'un soldat, mais aussi avec toute la courtoisie d'un
|
|
gentilhomme. Là se termine, du moins jusqu'à présent, la charge
|
|
que j'avais à remplir près de vous, le reste regarde une autre
|
|
personne.
|
|
|
|
-- Et cette autre personne, quelle est-elle? demanda Milady; ne
|
|
pouvez-vous me dire son nom?...»
|
|
|
|
En ce moment on entendit par les escaliers un grand bruit
|
|
d'éperons; quelques voix passèrent et s'éteignirent, et le bruit
|
|
d'un pas isolé se rapprocha de la porte.
|
|
|
|
«Cette personne, la voici, madame», dit l'officier en démasquant
|
|
le passage, et en se rangeant dans l'attitude du respect et de la
|
|
soumission.
|
|
|
|
En même temps, la porte s'ouvrit; un homme parut sur le seuil.
|
|
|
|
Il était sans chapeau, portait l'épée au côté, et froissait un
|
|
mouchoir entre ses doigts.
|
|
|
|
Milady crut reconnaître cette ombre dans l'ombre, elle s'appuya
|
|
d'une main sur le bras de son fauteuil, et avança la tête comme
|
|
pour aller au-devant d'une certitude.
|
|
|
|
Alors l'étranger s'avança lentement; et, à mesure qu'il s'avançait
|
|
en entrant dans le cercle de lumière projeté par la lampe, Milady
|
|
se reculait involontairement.
|
|
|
|
Puis, lorsqu'elle n'eut plus aucun doute:
|
|
|
|
«Eh quoi! mon frère! s'écria-t-elle au comble de la stupeur, c'est
|
|
vous vous?
|
|
|
|
-- Oui, belle dame! répondit Lord de Winter en faisant un salut
|
|
moitié courtois, moitié ironique, moi-même.
|
|
|
|
-- Mais alors, ce château?
|
|
|
|
-- Est à moi.
|
|
|
|
-- Cette chambre?
|
|
|
|
-- C'est la vôtre.
|
|
|
|
-- Je suis donc votre prisonnière?
|
|
|
|
-- À peu près.
|
|
|
|
-- Mais c'est un affreux abus de la force!
|
|
|
|
-- Pas de grands mots; asseyons-nous, et causons tranquillement,
|
|
comme il convient de faire entre un frère et une soeur.»
|
|
|
|
Puis, se retournant vers la porte, et voyant que le jeune officier
|
|
attendait ses derniers ordres:
|
|
|
|
«C'est bien, dit-il, je vous remercie; maintenant, laissez-nous,
|
|
monsieur Felton.»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE L
|
|
CAUSERIE D'UN FRÈRE AVEC SA SOEUR
|
|
|
|
Pendant le temps que Lord de Winter mit à fermer la porte, à
|
|
pousser un volet et à approcher un siège du fauteuil de sa belle-
|
|
soeur, Milady, rêveuse, plongea son regard dans les profondeurs de
|
|
la possibilité, et découvrit toute la trame qu'elle n'avait pas
|
|
même pu entrevoir, tant qu'elle ignorait en quelles mains elle
|
|
était tombée. Elle connaissait son beau-frère pour un bon
|
|
gentilhomme, franc-chasseur, joueur intrépide, entreprenant près
|
|
des femmes, mais d'une force inférieure à la sienne à l'endroit de
|
|
l'intrigue. Comment avait-il pu découvrir son arrivée? la faire
|
|
saisir? Pourquoi la retenait-il?
|
|
|
|
Athos lui avait bien dit quelques mots qui prouvaient que la
|
|
conversation qu'elle avait eue avec le cardinal était tombée dans
|
|
des oreilles étrangères; mais elle ne pouvait admettre qu'il eût
|
|
pu creuser une contre-mine si prompte et si hardie.
|
|
|
|
Elle craignit bien plutôt que ses précédentes opérations en
|
|
Angleterre n'eussent été découvertes. Buckingham pouvait avoir
|
|
deviné que c'était elle qui avait coupé les deux ferrets, et se
|
|
venger de cette petite trahison; mais Buckingham était incapable
|
|
de se porter à aucun excès contre une femme, surtout si cette
|
|
femme était censée avoir agi par un sentiment de jalousie.
|
|
|
|
Cette supposition lui parut la plus probable; il lui sembla qu'on
|
|
voulait se venger du passé, et non aller au-devant de l'avenir.
|
|
Toutefois, et en tout cas, elle s'applaudit d'être tombée entre
|
|
les mains de son beau-frère, dont elle comptait avoir bon marché,
|
|
plutôt qu'entre celles d'un ennemi direct et intelligent.
|
|
|
|
«Oui, causons, mon frère, dit-elle avec une espèce d'enjouement,
|
|
décidée qu'elle était à tirer de la conversation, malgré toute la
|
|
dissimulation que pourrait y apporter Lord de Winter, les
|
|
éclaircissements dont elle avait besoin pour régler sa conduite à
|
|
venir.
|
|
|
|
-- Vous vous êtes donc décidée à revenir en Angleterre, dit Lord
|
|
de Winter, malgré la résolution que vous m'aviez si souvent
|
|
manifestée à Paris de ne jamais remettre les pieds sur le
|
|
territoire de la Grande-Bretagne?»
|
|
|
|
Milady répondit à une question par une autre question.
|
|
|
|
«Avant tout, dit-elle, apprenez-moi donc comment vous m'avez fait
|
|
guetter assez sévèrement pour être d'avance prévenu non seulement
|
|
de mon arrivée, mais encore du jour, de l'heure et du port où
|
|
j'arrivais.»
|
|
|
|
Lord de Winter adopta la même tactique que Milady, pensant que,
|
|
puisque sa belle-soeur l'employait, ce devait être la bonne.
|
|
|
|
«Mais, dites-moi vous-même, ma chère soeur, reprit-il, ce que vous
|
|
venez faire en Angleterre.
|
|
|
|
-- Mais je viens vous voir, reprit Milady, sans savoir combien
|
|
elle aggravait, par cette réponse, les soupçons qu'avait fait
|
|
naître dans l'esprit de son beau-frère la lettre de d'Artagnan, et
|
|
voulant seulement capter la bienveillance de son auditeur par un
|
|
mensonge.
|
|
|
|
-- Ah! me voir? dit sournoisement Lord de Winter.
|
|
|
|
-- Sans doute, vous voir. Qu'y a-t-il d'étonnant à cela?
|
|
|
|
-- Et vous n'avez pas, en venant en Angleterre, d'autre but que de
|
|
me voir?
|
|
|
|
-- Non.
|
|
|
|
-- Ainsi, c'est pour moi seul que vous vous êtes donne la peine de
|
|
traverser la Manche?
|
|
|
|
-- Pour vous seul.
|
|
|
|
-- Peste! quelle tendresse, ma soeur!
|
|
|
|
-- Mais ne suis-je pas votre plus proche parente? demanda Milady
|
|
du ton de la plus touchante naïveté.
|
|
|
|
-- Et même ma seule héritière, n'est-ce pas?» dit à son tour Lord
|
|
de Winter, en fixant ses yeux sur ceux de Milady.
|
|
|
|
Quelque puissance qu'elle eût sur elle-même, Milady ne put
|
|
s'empêcher de tressaillir, et comme, en prononçant les dernières
|
|
paroles qu'il avait dites, Lord de Winter avait posé la main sur
|
|
le bras de sa soeur, ce tressaillement ne lui échappa point.
|
|
|
|
En effet, le coup était direct et profond. La première idée qui
|
|
vint à l'esprit de Milady fut qu'elle avait été trahie par Ketty,
|
|
et que celle-ci avait raconté au baron cette aversion intéressée
|
|
dont elle avait imprudemment laissé échapper des marques devant sa
|
|
suivante; elle se rappela aussi la sortie furieuse et imprudente
|
|
qu'elle avait faite contre d'Artagnan, lorsqu'il avait sauvé la
|
|
vie de son beau-frère.
|
|
|
|
«Je ne comprends pas, Milord, dit-elle pour gagner du temps et
|
|
faire parler son adversaire. Que voulez-vous dire? et y a-t-il
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quelque sens inconnu caché sous vos paroles?
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-- Oh! mon Dieu, non, dit Lord de Winter avec une apparente
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bonhomie; vous avez le désir de me voir, et vous venez en
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Angleterre. J'apprends ce désir, ou plutôt je me doute que vous
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l'éprouvez, et afin de vous épargner tous les ennuis d'une arrivée
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nocturne dans un port, toutes les fatigues d'un débarquement,
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j'envoie un de mes officiers au-devant de vous; je mets une
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voiture à ses ordres, et il vous amène ici dans ce château, dont
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je suis gouverneur, où je viens tous les jours, et où, pour que
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notre double désir de nous voir soit satisfait, je vous fais
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préparer une chambre. Qu'y a-t-il dans tout ce que je dis là de
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plus étonnant que dans ce que vous m'avez dit?
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-- Non, ce que je trouve d'étonnant, c'est que vous ayez été
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prévenu de mon arrivée.
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-- C'est cependant la chose la plus simple, ma chère soeur:
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n'avez-vous pas vu que le capitaine de votre petit bâtiment avait,
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en entrant dans la rade, envoyé en avant et afin d'obtenir son
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entrée dans le port, un petit canot porteur de son livre de loch
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et de son registre d'équipage? Je suis commandant du port, on m'a
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apporté ce livre, j'y ai reconnu votre nom. Mon coeur m'a dit ce
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que vient de me confier votre bouche, c'est-à-dire dans quel but
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vous vous exposiez aux dangers d'une mer si périlleuse ou tout au
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moins si fatigante en ce moment, et j'ai envoyé mon cutter au-
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devant de vous. Vous savez le reste.»
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Milady comprit que Lord de Winter mentait et n'en fut que plus
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effrayée.
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«Mon frère, continua-t-elle, n'est-ce pas Milord Buckingham que je
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vis sur la jetée, le soir, en arrivant?
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-- Lui-même. Ah! je comprends que sa vue vous ait frappée, reprit
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Lord de Winter: vous venez d'un pays où l'on doit beaucoup
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s'occuper de lui, et je sais que ses armements contre la France
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préoccupent fort votre ami le cardinal.
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-- Mon ami le cardinal! s'écria Milady, voyant que, sur ce point
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comme sur l'autre, Lord de Winter paraissait instruit de tout.
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-- N'est-il donc point votre ami? reprit négligemment le baron;
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ah! pardon, je le croyais; mais nous reviendrons à Milord duc plus
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tard, ne nous écartons point du tour sentimental que la
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conversation avait pris: vous veniez, disiez-vous, pour me voir?
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-- Oui.
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-- Eh bien, je vous ai répondu que vous seriez servie à souhait et
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que nous nous verrions tous les jours.
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-- Dois-je donc demeurer éternellement ici? demanda Milady avec un
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certain effroi.
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-- Vous trouveriez-vous mal logée, ma soeur? demandez ce qui vous
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manque, et je m'empresserai de vous le faire donner.
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-- Mais je n'ai ni mes femmes ni mes gens...
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-- Vous aurez tout cela, madame; dites-moi sur quel pied votre
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premier mari avait monté votre maison; quoique je ne sois que
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votre beau-frère, je vous la monterai sur un pied pareil.
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-- Mon premier mari! s'écria Milady en regardant Lord de Winter
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avec des yeux effarés.
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-- Oui, votre mari français; je ne parle pas de mon frère. Au
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reste, si vous l'avez oublié, comme il vit encore, je pourrais lui
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écrire et il me ferait passer des renseignements à ce sujet.»
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Une sueur froide perla sur le front de Milady.
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«Vous raillez, dit-elle d'une voix sourde.
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-- En ai-je l'air? demanda le baron en se relevant et en faisant
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un pas en arrière.
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-- Ou plutôt vous m'insultez, continua-t-elle en pressant de ses
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mains crispées les deux bras du fauteuil et en se soulevant sur
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ses poignets.
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-- Vous insulter, moi! dit Lord de Winter avec mépris; en vérité,
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madame, croyez-vous que ce soit possible?
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-- En vérité, monsieur, dit Milady, vous êtes ou ivre ou insensé;
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sortez et envoyez-moi une femme.
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-- Des femmes sont bien indiscrètes, ma soeur! ne pourrais-je pas
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vous servir de suivante? de cette façon tous nos secrets
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resteraient en famille.
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-- Insolent! s'écria Milady, et, comme mue par un ressort, elle
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bondit sur le baron, qui l'attendait avec impassibilité, mais une
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main cependant sur la garde de son épée.
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-- Eh! eh! dit-il, je sais que vous avez l'habitude d'assassiner
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les gens, mais je me défendrai, moi, je vous en préviens, fût-ce
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contre vous.
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-- Oh! vous avez raison, dit Milady, et vous me faites l'effet
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d'être assez lâche pour porter la main sur une femme.
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-- Peut-être que oui, d'ailleurs j'aurais mon excuse: ma main ne
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serait pas la première main d'homme qui se serait posée sur vous,
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j'imagine.»
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Et le baron indiqua d'un geste lent et accusateur l'épaule gauche
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de Milady, qu'il toucha presque du doigt.
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Milady poussa un rugissement sourd, et se recula jusque dans
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l'angle de la chambre, comme une panthère qui veut s'acculer pour
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s'élancer.
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«Oh! rugissez tant que vous voudrez, s'écria Lord de Winter, mais
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n'essayez pas de mordre, car, je vous en préviens, la chose
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tournerait à votre préjudice: il n'y a pas ici de procureurs qui
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règlent d'avance les successions, il n'y a pas de chevalier errant
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qui vienne me chercher querelle pour la belle dame que je retiens
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prisonnière; mais je tiens tout prêts des juges qui disposeront
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d'une femme assez éhontée pour venir se glisser, bigame, dans le
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lit de Lord de Winter, mon frère aîné, et ces juges, je vous en
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préviens, vous enverront à un bourreau qui vous fera les deux
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épaules pareilles.»
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Les yeux de Milady lançaient de tels éclairs, que quoiqu'il fût
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homme et armé devant une femme désarmée il sentit le froid de la
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peur se glisser jusqu'au fond de son âme; il n'en continua pas
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moins, mais avec une fureur croissante:
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«Oui, je comprends, après avoir hérité de mon frère, il vous eût
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été doux d'hériter de moi; mais, sachez-le d'avance, vous pouvez
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me tuer ou me faire tuer, mes précautions sont prises, pas un
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penny de ce que je possède ne passera dans vos mains. N'êtes-vous
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pas déjà assez riche, vous qui possédez près d'un million, et ne
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pouviez-vous vous arrêter dans votre route fatale, si vous ne
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faisiez le mal que pour la jouissance infinie et suprême de le
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faire? Oh! tenez, je vous le dis, si la mémoire de mon frère ne
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m'était sacrée, vous iriez pourrir dans un cachot d'État ou
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rassasier à Tyburn la curiosité des matelots; je me tairai, mais
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vous, supportez tranquillement votre captivité; dans quinze ou
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vingt jours je pars pour La Rochelle avec l'armée; mais la veille
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de mon départ, un vaisseau viendra vous prendre, que je verrai
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partir et qui vous conduira dans nos colonies du Sud; et, soyez
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tranquille, je vous adjoindrai un compagnon qui vous brûlera la
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cervelle à la première tentative que vous risquerez pour revenir
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en Angleterre ou sur le continent.»
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Milady écoutait avec une attention qui dilatait ses yeux
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enflammés.
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«Oui, mais à cette heure, continua Lord de Winter, vous demeurerez
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dans ce château: les murailles en sont épaisses, les portes en
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sont fortes, les barreaux en sont solides; d'ailleurs votre
|
|
fenêtre donne à pic sur la mer: les hommes de mon équipage, qui me
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sont dévoués à la vie et à la mort, montent la garde autour de cet
|
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appartement, et surveillent tous les passages qui conduisent à la
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cour; puis arrivée à la cour, il vous resterait encore trois
|
|
grilles à traverser. La consigne est précise: un pas, un geste, un
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mot qui simule une évasion, et l'on fait feu sur vous; si l'on
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vous tue, la justice anglaise m'aura, je l'espère, quelque
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obligation de lui avoir épargné de la besogne. Ah! vos traits
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reprennent leur calme, votre visage retrouve son assurance: Quinze
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jours, vingt jours dites-vous, bah! d'ici là, j'ai l'esprit
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inventif, il me viendra quelque idée; j'ai l'esprit infernal, et
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je trouverai quelque victime. D'ici à quinze jours, vous dites-
|
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vous, je serai hors d'ici. Ah! ah! essayez!»
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Milady se voyant devinée s'enfonça les ongles dans la chair pour
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dompter tout mouvement qui eût pu donner à sa physionomie une
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|
signification quelconque, autre que celle de l'angoisse.
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Lord de Winter continua:
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«L'officier qui commande seul ici en mon absence, vous l'avez vu,
|
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donc vous le connaissez déjà, sait, comme vous voyez, observer une
|
|
consigne, car vous n'êtes pas, je vous connais, venue de
|
|
Portsmouth ici sans avoir essayé de le faire parler. Qu'en dites-
|
|
vous? une statue de marbre eût-elle été plus impassible et plus
|
|
muette? Vous avez déjà essayé le pouvoir de vos séductions sur
|
|
bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours réussi;
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mais essayez sur celui-là, pardieu! si vous en venez à bout, je
|
|
vous déclare le démon lui-même.»
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|
Il alla vers la porte et l'ouvrit brusquement.
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|
«Qu'on appelle M. Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et
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|
je vais vous recommander à lui.»
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Il se fit entre ces deux personnages un silence étrange, pendant
|
|
lequel on entendit le bruit d'un pas lent et régulier qui se
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|
rapprochait; bientôt, dans l'ombre du corridor, on vit se dessiner
|
|
une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons
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|
déjà fait connaissance s'arrêta sur le seuil, attendant les ordres
|
|
du baron.
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«Entrez, mon cher John, dit Lord de Winter, entrez et fermez la
|
|
porte.»
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|
Le jeune officier entra.
|
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|
«Maintenant, dit le baron, regardez cette femme: elle est jeune,
|
|
elle est belle, elle a toutes les séductions de la terre, eh bien,
|
|
c'est un monstre qui, à vingt-cinq ans, s'est rendu coupable
|
|
d'autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les
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|
archives de nos tribunaux; sa voix prévient en sa faveur, sa
|
|
beauté sert d'appât aux victimes, son corps même paye ce qu'elle a
|
|
promis, c'est une justice à lui rendre; elle essayera de vous
|
|
séduire, peut-être même essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai
|
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tiré de la misère, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je
|
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vous ai sauvé la vie une fois, vous savez à quelle occasion; je
|
|
suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami; non
|
|
seulement un bienfaiteur, mais un père; cette femme est revenue en
|
|
Angleterre afin de conspirer contre ma vie; je tiens ce serpent
|
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entre mes mains; eh bien, je vous fais appeler et vous dis: Ami
|
|
Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette
|
|
femme; jure sur ton salut de la conserver pour le châtiment
|
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qu'elle a mérité. John Felton, je me fie à ta parole; John Felton,
|
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je crois à ta loyauté.
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|
-- Milord, dit le jeune officier en chargeant son regard pur de
|
|
toute la haine qu'il put trouver dans son coeur, Milord, je vous
|
|
jure qu'il sera fait comme vous désirez.»
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|
Milady reçut ce regard en victime résignée: il était impossible de
|
|
voir une expression plus soumise et plus douce que celle qui
|
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régnait alors sur son beau visage. À peine si Lord de Winter lui-
|
|
même reconnut la tigresse qu'un instant auparavant il s'apprêtait
|
|
à combattre.
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|
«Elle ne sortira jamais de cette chambre, entendez-vous, John,
|
|
continua le baron; elle ne correspondra avec personne, elle ne
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|
parlera qu'à vous, si toutefois vous voulez bien lui faire
|
|
l'honneur de lui adresser la parole.
|
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|
|
-- Il suffit, Milord, j'ai juré.
|
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|
|
-- Et maintenant, madame, tâchez de faire la paix avec Dieu, car
|
|
vous êtes jugée par les hommes.»
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|
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Milady laissa tomber sa tête comme si elle se fût sentie écrasée
|
|
par ce jugement. Lord de Winter sortit en faisant un geste à
|
|
Felton, qui sortit derrière lui et ferma la porte.
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|
|
|
Un instant après on entendait dans le corridor le pas pesant d'un
|
|
soldat de marine qui faisait sentinelle, sa hache à la ceinture et
|
|
son mousquet à la main.
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|
Milady demeura pendant quelques minutes dans la même position, car
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elle songea qu'on l'examinait peut-être par la serrure; puis
|
|
lentement elle releva sa tête, qui avait repris une expression
|
|
formidable de menace et de défi, courut écouter à la porte,
|
|
regarda par la fenêtre, et revenant s'enterrer dans un vaste
|
|
fauteuil, elle songea.
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|
CHAPITRE LI
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|
OFFICIER
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|
Cependant le cardinal attendait des nouvelles d'Angleterre, mais
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aucune nouvelle n'arrivait, si ce n'est fâcheuse et menaçante.
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Si bien que La Rochelle fût investie, si certain que pût paraître
|
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le succès, grâce aux précautions prises et surtout à la digue qui
|
|
ne laissait plus pénétrer aucune barque dans la ville assiégée,
|
|
cependant le blocus pouvait durer longtemps encore; et c'était un
|
|
grand affront pour les armes du roi et une grande gêne pour M. le
|
|
cardinal, qui n'avait plus, il est vrai, à brouiller Louis XIII
|
|
avec Anne d'Autriche, la chose était faite, mais à raccommoder
|
|
M. de Bassompierre, qui était brouillé avec le duc d'Angoulême.
|
|
|
|
Quant à Monsieur, qui avait commencé le siège, il laissait au
|
|
cardinal le soin de l'achever.
|
|
|
|
La ville, malgré l'incroyable persévérance de son maire, avait
|
|
tenté une espèce de mutinerie pour se rendre; le maire avait fait
|
|
pendre les émeutiers. Cette exécution calma les plus mauvaises
|
|
têtes, qui se décidèrent alors à se laisser mourir de faim. Cette
|
|
mort leur paraissait toujours plus lente et moins sûre que le
|
|
trépas par strangulation.
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|
De leur côté, de temps en temps, les assiégeants prenaient des
|
|
messagers que les Rochelois envoyaient à Buckingham ou des espions
|
|
que Buckingham envoyait aux Rochelois. Dans l'un et l'autre cas le
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|
procès était vite fait. M. le cardinal disait ce seul mot: Pendu!
|
|
On invitait le roi à venir voir la pendaison. Le roi venait
|
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languissamment, se mettait en bonne place pour voir l'opération
|
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dans tous ses détails: cela le distrayait toujours un peu et lui
|
|
faisait prendre le siège en patience, mais cela ne l'empêchait pas
|
|
de s'ennuyer fort, de parler à tout moment de retourner à Paris;
|
|
de sorte que si les messagers et les espions eussent fait défaut,
|
|
Son Éminence, malgré toute son imagination, se fût trouvée fort
|
|
embarrassée.
|
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|
Néanmoins le temps passait, les Rochelois ne se rendaient pas: le
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|
dernier espion que l'on avait pris était porteur d'une lettre.
|
|
Cette lettre disait bien à Buckingham que la ville était à toute
|
|
extrémité; mais, au lieu d'ajouter: «Si votre secours n'arrive pas
|
|
avant quinze jours, nous nous rendrons», elle ajoutait tout
|
|
simplement: «Si votre secours n'arrive pas avant quinze jours,
|
|
nous serons tous morts de faim quand il arrivera.»
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|
Les Rochelois n'avaient donc espoir qu'en Buckingham. Buckingham
|
|
était leur Messie. Il était évident que si un jour ils apprenaient
|
|
d'une manière certaine qu'il ne fallait plus compter sur
|
|
Buckingham, avec l'espoir leur courage tomberait.
|
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|
|
Le cardinal attendait donc avec grande impatience des nouvelles
|
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d'Angleterre qui devaient annoncer que Buckingham ne viendrait
|
|
pas.
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|
La question d'emporter la ville de vive force, débattue souvent
|
|
dans le conseil du roi, avait toujours été écartée; d'abord La
|
|
Rochelle semblait imprenable, puis le cardinal, quoi qu'il eût
|
|
dit, savait bien que l'horreur du sang répandu en cette rencontre,
|
|
où Français devaient combattre contre Français, était un mouvement
|
|
rétrograde de soixante ans imprimé à la politique, et le cardinal
|
|
était, à cette époque, ce qu'on appelle aujourd'hui un homme
|
|
de progrès. En effet, le sac de La Rochelle, l'assassinat de trois
|
|
ou quatre mille huguenots qui se fussent fait tuer ressemblaient
|
|
trop, en 1628, au massacre de la Saint-Barthélémy, en 1572; et
|
|
puis, par-dessus tout cela, ce moyen extrême, auquel le roi, bon
|
|
catholique, ne répugnait aucunement, venait toujours échouer
|
|
contre cet argument des généraux assiégeants: La Rochelle est
|
|
imprenable autrement que par la famine.
|
|
|
|
Le cardinal ne pouvait écarter de son esprit la crainte où le
|
|
jetait sa terrible émissaire, car il avait compris, lui aussi, les
|
|
proportions étranges de cette femme, tantôt serpent, tantôt lion.
|
|
L'avait-elle trahi? était-elle morte? Il la connaissait assez, en
|
|
tout cas, pour savoir qu'en agissant pour lui ou contre lui, amie
|
|
ou ennemie, elle ne demeurait pas immobile sans de grands
|
|
empêchements. C'était ce qu'il ne pouvait savoir.
|
|
|
|
Au reste, il comptait, et avec raison, sur Milady: il avait deviné
|
|
dans le passé de cette femme de ces choses terribles que son
|
|
manteau rouge pouvait seul couvrir; et il sentait que, pour une
|
|
cause ou pour une autre, cette femme lui était acquise, ne pouvant
|
|
trouver qu'en lui un appui supérieur au danger qui la menaçait.
|
|
|
|
Il résolut donc de faire la guerre tout seul et de n'attendre tout
|
|
succès étranger que comme on attend une chance heureuse. Il
|
|
continua de faire élever la fameuse digue qui devait affamer La
|
|
Rochelle; en attendant, il jeta les yeux sur cette malheureuse
|
|
ville, qui renfermait tant de misère profonde et tant d'héroïques
|
|
vertus, et, se rappelant le mot de Louis XI, son prédécesseur
|
|
politique, comme lui-même était le prédécesseur de Robespierre, il
|
|
murmura cette maxime du compère de Tristan: «Diviser pour régner.»
|
|
|
|
Henri IV, assiégeant Paris, faisait jeter par-dessus les murailles
|
|
du pain et des vivres; le cardinal fit jeter des petits billets
|
|
par lesquels il représentait aux Rochelois combien la conduite de
|
|
leurs chefs était injuste, égoïste et barbare; ces chefs avaient
|
|
du blé en abondance, et ne le partageaient pas; ils adoptaient
|
|
cette maxime, car eux aussi avaient des maximes, que peu importait
|
|
que les femmes, les enfants et les vieillards mourussent, pourvu
|
|
que les hommes qui devaient défendre leurs murailles restassent
|
|
forts et bien portants. Jusque-là, soit dévouement, soit
|
|
impuissance de réagir contre elle, cette maxime, sans être
|
|
généralement adoptée, était cependant passée de la théorie à la
|
|
pratique; mais les billets vinrent y porter atteinte. Les billets
|
|
rappelaient aux hommes que ces enfants, ces femmes, ces vieillards
|
|
qu'on laissait mourir étaient leurs fils, leurs épouses et leurs
|
|
pères; qu'il serait plus juste que chacun fût réduit à la misère
|
|
commune, afin qu'une même position fit prendre des résolutions
|
|
unanimes.
|
|
|
|
Ces billets firent tout l'effet qu'en pouvait attendre celui qui
|
|
les avait écrits, en ce qu'ils déterminèrent un grand nombre
|
|
d'habitants à ouvrir des négociations particulières avec l'armée
|
|
royale.
|
|
|
|
Mais au moment où le cardinal voyait déjà fructifier son moyen et
|
|
s'applaudissait de l'avoir mis en usage, un habitant de La
|
|
Rochelle, qui avait pu passer à travers les lignes royales, Dieu
|
|
sait comment, tant était grande la surveillance de Bassompierre,
|
|
de Schomberg et du duc d'Angoulême, surveillés eux-mêmes par le
|
|
cardinal, un habitant de La Rochelle, disons-nous, entra dans la
|
|
ville, venant de Portsmouth et disant qu'il avait vu une flotte
|
|
magnifique prête à mettre à la voile avant huit jours. De plus,
|
|
Buckingham annonçait au maire qu'enfin la grande ligue contre la
|
|
France allait se déclarer, et que le royaume allait être envahi à
|
|
la fois par les armées anglaises, impériales et espagnoles. Cette
|
|
lettre fut lue publiquement sur toutes les places, on en afficha
|
|
des copies aux angles des rues, et ceux-là mêmes qui avaient
|
|
commencé d'ouvrir des négociations les interrompirent, résolus
|
|
d'attendre ce secours si pompeusement annoncé.
|
|
|
|
Cette circonstance inattendue rendit à Richelieu ses inquiétudes
|
|
premières, et le força malgré lui à tourner de nouveau les yeux de
|
|
l'autre côté de la mer.
|
|
|
|
Pendant ce temps, exempte des inquiétudes de son seul et véritable
|
|
chef, l'armée royale menait joyeuse vie; les vivres ne manquaient
|
|
pas au camp, ni l'argent non plus; tous les corps rivalisaient
|
|
d'audace et de gaieté. Prendre des espions et les pendre, faire
|
|
des expéditions hasardeuses sur la digue ou sur la mer, imaginer
|
|
des folies, les exécuter froidement, tel était le passe-temps qui
|
|
faisait trouver courts à l'armée ces jours si longs, non seulement
|
|
pour les Rochelois, rongés par la famine et l'anxiété, mais encore
|
|
pour le cardinal qui les bloquait si vivement.
|
|
|
|
Quelquefois, quand le cardinal, toujours chevauchant comme le
|
|
dernier gendarme de l'armée, promenait son regard pensif sur ces
|
|
ouvrages, si lents au gré de son désir, qu'élevaient sous son
|
|
ordre les ingénieurs qu'il faisait venir de tous les coins du
|
|
royaume de France, s'il rencontrait un mousquetaire de la
|
|
compagnie de Tréville, il s'approchait de lui, le regardait d'une
|
|
façon singulière, et ne le reconnaissant pas pour un de nos quatre
|
|
compagnons, il laissait aller ailleurs son regard profond et sa
|
|
vaste pensée.
|
|
|
|
Un jour où, rongé d'un mortel ennui, sans espérance dans les
|
|
négociations avec la ville, sans nouvelles d'Angleterre, le
|
|
cardinal était sorti sans autre but que de sortir, accompagné
|
|
seulement de Cahusac et de La Houdinière, longeant les grèves et
|
|
mêlant l'immensité de ses rêves à l'immensité de l'océan, il
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arriva au petit pas de son cheval sur une colline du haut de
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laquelle il aperçut derrière une haie, couchés sur le sable et
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prenant au passage un de ces rayons de soleil si rares à cette
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époque de l'année, sept hommes entourés de bouteilles vides.
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Quatre de ces hommes étaient nos mousquetaires s'apprêtant à
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écouter la lecture d'une lettre que l'un d'eux venait de recevoir.
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Cette lettre était si importante, qu'elle avait fait abandonner
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sur un tambour des cartes et des dés.
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Les trois autres s'occupaient à décoiffer une énorme dame-jeanne
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de vin de Collioure; c'étaient les laquais de ces messieurs.
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Le cardinal, comme nous l'avons dit, était de sombre humeur, et
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rien, quand il était dans cette situation d'esprit, ne redoublait
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sa maussaderie comme la gaieté des autres. D'ailleurs, il avait
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une préoccupation étrange, c'était de croire toujours que les
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causes mêmes de sa tristesse excitaient la gaieté des étrangers.
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Faisant signe à La Houdinière et à Cahusac de s'arrêter, il
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descendit de cheval et s'approcha de ces rieurs suspects, espérant
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qu'à l'aide du sable qui assourdissait ses pas, et de la haie qui
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voilait sa marche, il pourrait entendre quelques mots de cette
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conversation qui lui paraissait si intéressante; à dix pas de la
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haie seulement il reconnut le babil gascon de d'Artagnan, et comme
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il savait déjà que ces hommes étaient des mousquetaires, il ne
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douta pas que les trois autres ne fussent ceux qu'on appelait les
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inséparables, c'est-à-dire Athos, Porthos et Aramis.
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On juge si son désir d'entendre la conversation s'augmenta de
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cette découverte; ses yeux prirent une expression étrange, et d'un
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pas de chat-tigre il s'avança vers la haie; mais il n'avait pu
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saisir encore que des syllabes vagues et sans aucun sens positif,
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lorsqu'un cri sonore et bref le fit tressaillir et attira
|
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l'attention des mousquetaires.
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«Officier! cria Grimaud.
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-- Vous parlez, je crois, drôle», dit Athos se soulevant sur un
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coude et fascinant Grimaud de son regard flamboyant.
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Aussi Grimaud n'ajouta-t-il point une parole, se contentant de
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tendre le doigt indicateur dans la direction de la haie et
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dénonçant par ce geste le cardinal et son escorte.
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D'un seul bond les quatre mousquetaires furent sur pied et
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saluèrent avec respect.
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Le cardinal semblait furieux.
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«Il paraît qu'on se fait garder chez messieurs les mousquetaires!
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dit-il. Est-ce que l'Anglais vient par terre, ou serait-ce que les
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mousquetaires se regardent comme des officiers supérieurs?
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-- Monseigneur, répondit Athos, car au milieu de l'effroi général
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lui seul avait conservé ce calme et ce sang-froid de grand
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seigneur qui ne le quittaient jamais, Monseigneur, les
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mousquetaires, lorsqu'ils ne sont pas de service, ou que leur
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service est fini, boivent et jouent aux dés, et ils sont des
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officiers très supérieurs pour leurs laquais.
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-- Des laquais! grommela le cardinal, des laquais qui ont la
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consigne d'avertir leurs maîtres quand passe quelqu'un, ce ne sont
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point des laquais, ce sont des sentinelles.
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-- Son Éminence voit bien cependant que si nous n'avions point
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pris cette précaution, nous étions exposés à la laisser passer
|
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sans lui présenter nos respects et lui offrir nos remerciements
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pour la grâce qu'elle nous a faite de nous réunir. D'Artagnan,
|
|
continua Athos, vous qui tout à l'heure demandiez cette occasion
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d'exprimer votre reconnaissance à Monseigneur, la voici venue,
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profitez-en.
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Ces mots furent prononcés avec ce flegme imperturbable qui
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distinguait Athos dans les heures du danger, et cette excessive
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politesse qui faisait de lui dans certains moments un roi plus
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majestueux que les rois de naissance.
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D'Artagnan s'approcha et balbutia quelques paroles de
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remerciements, qui bientôt expirèrent sous le regard assombri du
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cardinal.
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«N'importe, messieurs, continua le cardinal sans paraître le moins
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du monde détourné de son intention première par l'incident
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qu'Athos avait soulevé; n'importe, messieurs, je n'aime pas que de
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|
simples soldats, parce qu'ils ont l'avantage de servir dans un
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|
corps privilégié, fassent ainsi les grands seigneurs, et la
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|
discipline est la même pour eux que pour tout le monde.»
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Athos laissa le cardinal achever parfaitement sa phrase et,
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s'inclinant en signe d'assentiment, il reprit à son tour:
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«La discipline, Monseigneur, n'a en aucune façon, je l'espère, été
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oubliée par nous. Nous ne sommes pas de service, et nous avons cru
|
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que, n'étant pas de service, nous pouvions disposer de notre temps
|
|
comme bon nous semblait. Si nous sommes assez heureux pour que Son
|
|
Éminence ait quelque ordre particulier à nous donner, nous sommes
|
|
prêts à lui obéir. Monseigneur voit, continua Athos en fronçant le
|
|
sourcil, car cette espèce d'interrogatoire commençait à
|
|
l'impatienter, que, pour être prêts à la moindre alerte, nous
|
|
sommes sortis avec nos armes.»
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Et il montra du doigt au cardinal les quatre mousquets en faisceau
|
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près du tambour sur lequel étaient les cartes et les dés.
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«Que Votre Éminence veuille croire, ajouta d'Artagnan, que nous
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nous serions portés au-devant d'elle si nous eussions pu supposer
|
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que c'était elle qui venait vers nous en si petite compagnie.»
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|
Le cardinal se mordait les moustaches et un peu les lèvres.
|
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|
«Savez-vous de quoi vous avez l'air, toujours ensemble, comme vous
|
|
voilà, armés comme vous êtes, et gardés par vos laquais? dit le
|
|
cardinal, vous avez l'air de quatre conspirateurs.
|
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|
-- Oh! quant à ceci, Monseigneur, c'est vrai, dit Athos, et nous
|
|
conspirons, comme Votre Éminence a pu le voir l'autre matin,
|
|
seulement c'est contre les Rochelois.
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|
-- Eh! messieurs les politiques, reprit le cardinal en fronçant le
|
|
sourcil à son tour, on trouverait peut-être dans vos cervelles le
|
|
secret de bien des choses qui sont ignorées, si on pouvait y lire
|
|
comme vous lisiez dans cette lettre que vous avez cachée quand
|
|
vous m'avez vu venir.»
|
|
|
|
Le rouge monta à la figure d'Athos, il fit un pas vers Son
|
|
Éminence.
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|
«On dirait que vous nous soupçonnez réellement, Monseigneur, et
|
|
que nous subissons un véritable interrogatoire; s'il en est ainsi,
|
|
que Votre Éminence daigne s'expliquer, et nous saurons du moins à
|
|
quoi nous en tenir.
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|
-- Et quand cela serait un interrogatoire, reprit le cardinal,
|
|
d'autres que vous en ont subi, monsieur Athos, et y ont répondu.
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|
-- Aussi, Monseigneur, ai-je dit à Votre Éminence qu'elle n'avait
|
|
qu'à questionner, et que nous étions prêts à répondre.
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|
|
-- Quelle était cette lettre que vous alliez lire, monsieur
|
|
Aramis, et que vous avez cachée?
|
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|
-- Une lettre de femme, Monseigneur.
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|
-- Oh! je conçois, dit le cardinal, il faut être discret pour ces
|
|
sortes de lettres; mais cependant on peut les montrer à un
|
|
confesseur, et, vous le savez, j'ai reçu les ordres.
|
|
|
|
-- Monseigneur, dit Athos avec un calme d'autant plus terrible
|
|
qu'il jouait sa tête en faisant cette réponse, la lettre est d'une
|
|
femme, mais elle n'est signée ni Marion de Lorme, ni
|
|
Mme d'Aiguillon.»
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|
|
|
Le cardinal devint pâle comme la mort, un éclair fauve sortit de
|
|
ses yeux; il se retourna comme pour donner un ordre à Cahusac et à
|
|
La Houdinière. Athos vit le mouvement; il fit un pas vers les
|
|
mousquetons, sur lesquels les trois amis avaient les yeux fixés en
|
|
hommes mal disposés à se laisser arrêter. Le cardinal était, lui,
|
|
troisième; les mousquetaires, y compris les laquais, étaient sept:
|
|
il jugea que la partie serait d'autant moins égale, qu'Athos et
|
|
ses compagnons conspiraient réellement; et, par un de ces retours
|
|
rapides qu'il tenait toujours à sa disposition, toute sa colère se
|
|
fondit dans un sourire.
|
|
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|
«Allons, allons! dit-il, vous êtes de braves jeunes gens, fiers au
|
|
soleil, fidèles dans l'obscurité; il n'y a pas de mal à veiller
|
|
sur soi quand on veille si bien sur les autres; messieurs, je n'ai
|
|
point oublié la nuit où vous m'avez servi d'escorte pour aller au
|
|
Colombier-Rouge; s'il y avait quelque danger à craindre sur la
|
|
route que je vais suivre, je vous prierais de m'accompagner; mais,
|
|
comme il n'y en a pas, restez où vous êtes, achevez vos
|
|
bouteilles, votre partie et votre lettre. Adieu, messieurs.»
|
|
|
|
Et, remontant sur son cheval, que Cahusac lui avait amené, il les
|
|
salua de la main et s'éloigna.
|
|
|
|
Les quatre jeunes gens, debout et immobiles, le suivirent des yeux
|
|
sans dire un seul mot jusqu'à ce qu'il eût disparu.
|
|
|
|
Puis ils se regardèrent.
|
|
|
|
Tous avaient la figure consternée, car malgré l'adieu amical de
|
|
Son Éminence, ils comprenaient que le cardinal s'en allait la rage
|
|
dans le coeur.
|
|
|
|
Athos seul souriait d'un sourire puissant et dédaigneux. Quand le
|
|
cardinal fut hors de la portée de la voix et de la vue:
|
|
|
|
«Ce Grimaud a crié bien tard!» dit Porthos, qui avait grande envie
|
|
de faire tomber sa mauvaise humeur sur quelqu'un.
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|
|
Grimaud allait répondre pour s'excuser. Athos leva le doigt et
|
|
Grimaud se tut.
|
|
|
|
«Auriez-vous rendu la lettre, Aramis? dit d'Artagnan.
|
|
|
|
-- Moi, dit Aramis de sa voix la plus flûtée, j'étais décidé: s'il
|
|
avait exigé que la lettre lui fût remise, je lui présentais la
|
|
lettre d'une main, et de l'autre je lui passais mon épée au
|
|
travers du corps.
|
|
|
|
-- Je m'y attendais bien, dit Athos; voilà pourquoi je me suis
|
|
jeté entre vous et lui. En vérité, cet homme est bien imprudent de
|
|
parler ainsi à d'autres hommes; on dirait qu'il n'a jamais eu
|
|
affaire qu'à des femmes et à des enfants.
|
|
|
|
-- Mon cher Athos, dit d'Artagnan, je vous admire, mais cependant
|
|
nous étions dans notre tort, après tout.
|
|
|
|
-- Comment, dans notre tort! reprit Athos. À qui donc cet air que
|
|
nous respirons? à qui cet océan sur lequel s'étendent nos regards?
|
|
à qui ce sable sur lequel nous étions couchés? à qui cette lettre
|
|
de votre maîtresse? Est-ce au cardinal? Sur mon honneur, cet homme
|
|
se figure que le monde lui appartient: vous étiez là, balbutiant,
|
|
stupéfait, anéanti; on eût dit que la Bastille se dressait devant
|
|
vous et que la gigantesque Méduse vous changeait en pierre. Est-ce
|
|
que c'est conspirer, voyons, que d'être amoureux? Vous êtes
|
|
amoureux d'une femme que le cardinal a fait enfermer, vous voulez
|
|
la tirer des mains du cardinal; c'est une partie que vous jouez
|
|
avec Son Éminence: cette lettre c'est votre jeu; pourquoi
|
|
montreriez-vous votre jeu à votre adversaire? cela ne se fait pas.
|
|
Qu'il le devine, à la bonne heure! nous devinons bien le sien,
|
|
nous!
|
|
|
|
-- Au fait, dit d'Artagnan, c'est plein de sens, ce que vous dites
|
|
là, Athos.
|
|
|
|
-- En ce cas, qu'il ne soit plus question de ce qui vient de se
|
|
passer, et qu'Aramis reprenne la lettre de sa cousine où M. le
|
|
cardinal l'a interrompue.»
|
|
|
|
Aramis tira la lettre de sa poche, les trois amis se rapprochèrent
|
|
de lui, et les trois laquais se groupèrent de nouveau auprès de la
|
|
dame-jeanne.
|
|
|
|
«Vous n'aviez lu qu'une ligne ou deux, dit d'Artagnan, reprenez
|
|
donc la lettre à partir du commencement.
|
|
|
|
«Volontiers», dit Aramis.
|
|
|
|
«Mon cher cousin, je crois bien que je me déciderai à partir pour
|
|
Stenay, où ma soeur a fait entrer notre petite servante dans le
|
|
couvent des Carmélites; cette pauvre enfant s'est résignée, elle
|
|
sait qu'elle ne peut vivre autre part sans que le salut de son âme
|
|
soit en danger. Cependant, si les affaires de notre famille
|
|
s'arrangent comme nous le désirons, je crois qu'elle courra le
|
|
risque de se damner, et qu'elle reviendra près de ceux qu'elle
|
|
regrette, d'autant plus qu'elle sait qu'on pense toujours à elle.
|
|
En attendant, elle n'est pas trop malheureuse: tout ce qu'elle
|
|
désire c'est une lettre de son prétendu. Je sais bien que ces
|
|
sortes de denrées passent difficilement par les grilles; mais,
|
|
après tout, comme je vous en ai donné des preuves, mon cher
|
|
cousin, je ne suis pas trop maladroite et je me chargerai de cette
|
|
commission. Ma soeur vous remercie de votre bon et éternel
|
|
souvenir. Elle a eu un instant de grande inquiétude; mais enfin
|
|
elle est quelque peu rassurée maintenant, ayant envoyé son commis
|
|
là-bas afin qu'il ne s'y passe rien d'imprévu.
|
|
|
|
«Adieu, mon cher cousin, donnez-nous de vos nouvelles le plus
|
|
souvent que vous pourrez, c'est-à-dire toutes les fois que vous
|
|
croirez pouvoir le faire sûrement. Je vous embrasse.
|
|
|
|
«Marie Michon.»
|
|
|
|
«Oh! que ne vous dois-je pas, Aramis? s'écria d'Artagnan. Chère
|
|
Constance! j'ai donc enfin de ses nouvelles; elle vit, elle est en
|
|
sûreté dans un couvent, elle est à Stenay! Où prenez-vous Stenay,
|
|
Athos?
|
|
|
|
-- Mais à quelques lieues des frontières; une fois le siège levé,
|
|
nous pourrons aller faire un tour de ce côté.
|
|
|
|
-- Et ce ne sera pas long, il faut l'espérer, dit Porthos, car on
|
|
a, ce matin, pendu un espion, lequel a déclaré que les Rochelois
|
|
en étaient aux cuirs de leurs souliers. En supposant qu'après
|
|
avoir mangé le cuir ils mangent la semelle, je ne vois pas trop ce
|
|
qui leur restera après, à moins de se manger les uns les autres.
|
|
|
|
-- Pauvres sots! dit Athos en vidant un verre d'excellent vin de
|
|
Bordeaux, qui, sans avoir à cette époque la réputation qu'il a
|
|
aujourd'hui, ne la méritait pas moins; pauvres sots! comme si la
|
|
religion catholique n'était pas la plus avantageuse et la plus
|
|
agréable des religions! C'est égal, reprit-il après avoir fait
|
|
claquer sa langue contre son palais, ce sont de braves gens. Mais
|
|
que diable faites-vous donc, Aramis? continua Athos; vous serrez
|
|
cette lettre dans votre poche?
|
|
|
|
-- Oui, dit d'Artagnan, Athos a raison, il faut la brûler; encore,
|
|
qui sait si M. le cardinal n'a pas un secret pour interroger les
|
|
cendres?
|
|
|
|
-- Il doit en avoir un, dit Athos.
|
|
|
|
-- Mais que voulez-vous faire de cette lettre? demanda Porthos.
|
|
|
|
-- Venez ici, Grimaud», dit Athos.
|
|
|
|
Grimaud se leva et obéit.
|
|
|
|
«Pour vous punir d'avoir parlé sans permission, mon ami, vous
|
|
allez manger ce morceau de papier, puis, pour vous récompenser du
|
|
service que vous nous aurez rendu, vous boirez ensuite ce verre de
|
|
vin; voici la lettre d'abord, mâchez avec énergie.»
|
|
|
|
Grimaud sourit, et, les yeux fixés sur le verre qu'Athos venait de
|
|
remplir bord à bord, il broya le papier et l'avala.
|
|
|
|
«Bravo, maître Grimaud! dit Athos, et maintenant prenez ceci;
|
|
bien, je vous dispense de dire merci.»
|
|
|
|
Grimaud avala silencieusement le verre de vin de Bordeaux, mais
|
|
ses yeux levés au ciel parlaient, pendant tout le temps que dura
|
|
cette douce occupation, un langage qui, pour être muet, n'en était
|
|
pas moins expressif.
|
|
|
|
«Et maintenant, dit Athos, à moins que M. le cardinal n'ait
|
|
l'ingénieuse idée de faire ouvrir le ventre à Grimaud, je crois
|
|
que nous pouvons être à peu près tranquilles.»
|
|
|
|
Pendant ce temps, Son Éminence continuait sa promenade
|
|
mélancolique en murmurant entre ses moustaches:
|
|
|
|
«Décidément, il faut que ces quatre hommes soient à moi.»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE LII
|
|
PREMIERE JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
|
|
|
|
Revenons à Milady, qu'un regard jeté sur les côtes de France nous
|
|
a fait perdre de vue un instant.
|
|
|
|
Nous la retrouverons dans la position désespérée où nous l'avons
|
|
laissée, se creusant un abîme de sombres réflexions, sombre enfer
|
|
à la porte duquel elle a presque laissé l'espérance: car pour la
|
|
première fois elle doute, pour la première fois elle craint.
|
|
|
|
Dans deux occasions sa fortune lui a manqué, dans deux occasions
|
|
elle s'est vue découverte et trahie, et dans ces deux occasions,
|
|
c'est contre le génie fatal envoyé sans doute par le Seigneur pour
|
|
la combattre qu'elle a échoué: d'Artagnan l'a vaincue, elle, cette
|
|
invincible puissance du mal.
|
|
|
|
Il l'a abusée dans son amour, humiliée dans son orgueil, trompée
|
|
dans son ambition, et maintenant voilà qu'il la perd dans sa
|
|
fortune, qu'il l'atteint dans sa liberté, qu'il la menace même
|
|
dans sa vie. Bien plus, il a levé un coin de son masque, cette
|
|
égide dont elle se couvre et qui la rend si forte.
|
|
|
|
D'Artagnan a détourné de Buckingham, qu'elle hait, comme elle hait
|
|
tout ce qu'elle a aimé, la tempête dont le menaçait Richelieu dans
|
|
la personne de la reine. D'Artagnan s'est fait passer pour
|
|
de Wardes, pour lequel elle avait une de ces fantaisies de
|
|
tigresse, indomptables comme en ont les femmes de ce caractère.
|
|
D'Artagnan connaît ce terrible secret qu'elle a juré que nul ne
|
|
connaîtrait sans mourir. Enfin, au moment où elle vient d'obtenir
|
|
un blanc-seing à l'aide duquel elle va se venger de son ennemi, le
|
|
blanc-seing lui est arraché des mains, et c'est d'Artagnan qui la
|
|
tient prisonnière et qui va l'envoyer dans quelque immonde Botany-
|
|
Bay, dans quelque Tyburn infâme de l'océan Indien.
|
|
|
|
Car tout cela lui vient de d'Artagnan sans doute; de qui
|
|
viendraient tant de hontes amassées sur sa tête, sinon de lui? Lui
|
|
seul a pu transmettre à Lord de Winter tous ces affreux secrets,
|
|
qu'il a découverts les uns après les autres par une sorte de
|
|
fatalité. Il connaît son beau-frère, il lui aura écrit.
|
|
|
|
Que de haine elle distille! Là, immobile, et les yeux ardents et
|
|
fixes dans son appartement désert, comme les éclats de ses
|
|
rugissements sourds, qui parfois s'échappent avec sa respiration
|
|
du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui
|
|
monte, gronde, mugit et vient se briser, comme un désespoir
|
|
éternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est bâti ce
|
|
château sombre et orgueilleux! Comme, à la lueur des éclairs que
|
|
sa colère orageuse fait briller dans son esprit, elle conçoit
|
|
contre Mme Bonacieux, contre Buckingham, et surtout contre
|
|
d'Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les
|
|
lointains de l'avenir!
|
|
|
|
Oui, mais pour se venger il faut être libre, et pour être libre,
|
|
quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des
|
|
barreaux, trouer un plancher; toutes entreprises que peut mener à
|
|
bout un homme patient et fort mais devant lesquelles doivent
|
|
échouer les irritations fébriles d'une femme. D'ailleurs, pour
|
|
faire tout cela il faut avoir le temps, des mois, des années, et
|
|
elle... elle a dix ou douze jours, à ce que lui a dit Lord de
|
|
Winter, son fraternel et terrible geôlier.
|
|
|
|
Et cependant, si elle était un homme, elle tenterait tout cela, et
|
|
peut-être réussirait-elle: pourquoi donc le Ciel s'est-il ainsi
|
|
trompé, en mettant cette âme virile dans ce corps frêle et
|
|
délicat!
|
|
|
|
Aussi les premiers moments de la captivité ont été terribles:
|
|
quelques convulsions de rage qu'elle n'a pu vaincre ont payé sa
|
|
dette de faiblesse féminine à la nature. Mais peu à peu elle a
|
|
surmonté les éclats de sa folle colère, les frémissements nerveux
|
|
qui ont agité son corps ont disparu, et maintenant elle s'est
|
|
repliée sur elle-même comme un serpent fatigué qui se repose.
|
|
|
|
«Allons, allons; j'étais folle de m'emporter ainsi, dit-elle en
|
|
plongeant dans la glace, qui reflète dans ses yeux son regard
|
|
brûlant, par lequel elle semble s'interroger elle-même. Pas de
|
|
violence, la violence est une preuve de faiblesse. D'abord je n'ai
|
|
jamais réussi par ce moyen: peut-être, si j'usais de ma force
|
|
contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles
|
|
encore que moi, et par conséquent de les vaincre; mais c'est
|
|
contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu'une femme pour
|
|
eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse.»
|
|
|
|
Alors, comme pour se rendre compte à elle-même des changements
|
|
qu'elle pouvait imposer à sa physionomie si expressive et si
|
|
mobile, elle lui fit prendre à la fois toutes les expressions,
|
|
depuis celle de la colère qui crispait ses traits, jusqu'à celle
|
|
du plus doux, du plus affectueux et du plus séduisant sourire.
|
|
Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes
|
|
les ondulations qu'elle crut pouvoir aider aux charmes de son
|
|
visage. Enfin elle murmura, satisfaite d'elle-même:
|
|
|
|
«Allons, rien n'est perdu. Je suis toujours belle»
|
|
|
|
Il était huit heures du soir à peu près. Milady aperçut un lit;
|
|
elle pensa qu'un repos de quelques heures rafraîchirait non
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seulement sa tête et ses idées, mais encore son teint. Cependant,
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avant de se coucher, une idée meilleure lui vint. Elle avait
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entendu parler de souper. Déjà elle était depuis une heure dans
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cette chambre, on ne pouvait tarder à lui apporter son repas. La
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prisonnière ne voulut pas perdre de temps, et elle résolut de
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faire, dès cette même soirée, quelque tentative pour sonder le
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terrain, en étudiant le caractère des gens auxquels sa garde était
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confiée.
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Une lumière apparut sous la porte; cette lumière annonçait le
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retour de ses geôliers. Milady, qui s'était levée, se rejeta
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vivement sur son fauteuil, la tête renversée en arrière, ses beaux
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cheveux dénoués et épars, sa gorge demi-nue sous ses dentelles
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froissées, une main sur son coeur et l'autre pendante.
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On ouvrit les verrous, la porte grinça sur ses gonds, des pas
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retentirent dans la chambre et s'approchèrent.
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«Posez là cette table», dit une voix que la prisonnière reconnut
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pour celle de Felton.
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L'ordre fut exécuté.
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«Vous apporterez des flambeaux et ferez relever la sentinelle»,
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continua Felton.
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Ce double ordre que donna aux mêmes individus le jeune lieutenant
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prouva à Milady que ses serviteurs étaient les mêmes hommes que
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ses gardiens, c'est-à-dire des soldats.
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Les ordres de Felton étaient, au reste, exécutés avec une
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silencieuse rapidité qui donnait une bonne idée de l'état
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florissant dans lequel il maintenait la discipline.
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Enfin, Felton, qui n'avait pas encore regardé Milady, se retourna
|
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vers elle.
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«Ah! ah! dit-il, elle dort, c'est bien: à son réveil elle
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soupera.»
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Et il fit quelques pas pour sortir.
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«Mais, mon lieutenant, dit un soldat moins stoïque que son chef,
|
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et qui s'était approché de Milady, cette femme ne dort pas.
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-- Comment, elle ne dort pas? dit Felton, que fait-elle donc,
|
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alors?
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-- Elle est évanouie; son visage est très pâle, et j'ai beau
|
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écouter, je n'entends pas sa respiration.
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-- Vous avez raison, dit Felton après avoir regardé Milady de la
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place où il se trouvait, sans faire un pas vers elle, allez
|
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prévenir Lord de Winter que sa prisonnière est évanouie, car je ne
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sais que faire, le cas n'ayant pas été prévu.»
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Le soldat sortit pour obéir aux ordres de son officier; Felton
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s'assit sur un fauteuil qui se trouvait par hasard près de la
|
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porte et attendit sans dire une parole, sans faire un geste.
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Milady possédait ce grand art, tant étudié par les femmes, de voir
|
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à travers ses longs cils sans avoir l'air d'ouvrir les paupières:
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elle aperçut Felton qui lui tournait le dos, elle continua de le
|
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regarder pendant dix minutes à peu près, et pendant ces dix
|
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minutes, l'impassible gardien ne se retourna pas une seule fois.
|
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Elle songea alors que Lord de Winter allait venir et rendre, par
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sa présence, une nouvelle force à son geôlier: sa première épreuve
|
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était perdue, elle en prit son parti en femme qui compte sur ses
|
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ressources; en conséquence elle leva la tête, ouvrit les yeux et
|
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soupira faiblement.
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À ce soupir, Felton se retourna enfin.
|
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«Ah! vous voici réveillée, madame! dit-il, je n'ai donc plus
|
|
affaire ici! Si vous avez besoin de quelque chose, vous
|
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appellerez.
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-- Oh! mon Dieu, mon Dieu! que j'ai souffert!» murmura Milady avec
|
|
cette voix harmonieuse qui, pareille à celle des enchanteresses
|
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antiques, charmait tous ceux qu'elle voulait perdre.
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|
Et elle prit en se redressant sur son fauteuil une position plus
|
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gracieuse et plus abandonnée encore que celle qu'elle avait
|
|
lorsqu'elle était couchée.
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Felton se leva.
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|
|
«Vous serez servie ainsi trois fois par jour, madame, dit-il: le
|
|
matin à neuf heures, dans la journée à une heure, et le soir à
|
|
huit heures. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez indiquer
|
|
vos heures au lieu de celles que je vous propose, et, sur ce
|
|
point, on se conformera à vos désirs.
|
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-- Mais vais-je donc rester toujours seule dans cette grande et
|
|
triste chambre? demanda Milady.
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-- Une femme des environs a été prévenue, elle sera demain au
|
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château, et viendra toutes les fois que vous désirerez sa
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présence.
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|
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-- Je vous rends grâce, monsieur», répondit humblement la
|
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prisonnière.
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|
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Felton fit un léger salut et se dirigea vers la porte. Au moment
|
|
où il allait en franchir le seuil, Lord de Winter parut dans le
|
|
corridor, suivi du soldat qui était allé lui porter la nouvelle de
|
|
l'évanouissement de Milady. Il tenait à la main un flacon de sels.
|
|
«Eh bien! qu'est-ce? et que se passe-t-il donc ici? dit-il d'une
|
|
voix railleuse en voyant sa prisonnière debout et Felton prêt à
|
|
sortir. Cette morte est-elle donc déjà ressuscitée? Pardieu,
|
|
Felton, mon enfant, tu n'as donc pas vu qu'on te prenait pour un
|
|
novice et qu'on te jouait le premier acte d'une comédie dont nous
|
|
aurons sans doute le plaisir de suivre tous les développements?
|
|
|
|
-- Je l'ai bien pensé, Milord, dit Felton; mais, enfin, comme la
|
|
prisonnière est femme, après tout, j'ai voulu avoir les égards que
|
|
tout homme bien né doit à une femme, sinon pour elle, du moins
|
|
pour lui-même.»
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Milady frissonna par tout son corps. Ces paroles de Felton
|
|
passaient comme une glace par toutes ses veines.
|
|
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|
«Ainsi, reprit de Winter en riant, ces beaux cheveux savamment
|
|
étalés, cette peau blanche et ce langoureux regard ne t'ont pas
|
|
encore séduit, coeur de pierre?
|
|
|
|
-- Non, Milord, répondit l'impassible jeune homme, et croyez-moi
|
|
bien, il faut plus que des manèges et des coquetteries de femme
|
|
pour me corrompre.
|
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|
|
-- En ce cas, mon brave lieutenant, laissons Milady chercher autre
|
|
chose et allons souper; ah! sois tranquille, elle a l'imagination
|
|
féconde et le second acte de la comédie ne tardera pas à suivre le
|
|
premier.»
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|
Et à ces mots Lord de Winter passa son bras sous celui de Felton
|
|
et l'emmena en riant.
|
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|
|
«Oh! je trouverai bien ce qu'il te faut, murmura Milady entre ses
|
|
dents; sois tranquille, pauvre moine manqué, pauvre soldat
|
|
converti qui t'es taillé ton uniforme dans un froc.»
|
|
|
|
«À propos, reprit de Winter en s'arrêtant sur le seuil de la
|
|
porte, il ne faut pas, Milady, que cet échec vous ôte l'appétit.
|
|
Tâtez de ce poulet et de ces poissons que je n'ai pas fait
|
|
empoisonner, sur l'honneur. Je m'accommode assez de mon cuisinier,
|
|
et comme il ne doit pas hériter de moi, j'ai en lui pleine et
|
|
entière confiance. Faites comme moi. Adieu, chère soeur! à votre
|
|
prochain évanouissement.»
|
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|
|
C'était tout ce que pouvait supporter Milady: ses mains se
|
|
crispèrent sur son fauteuil, ses dents grincèrent sourdement, ses
|
|
yeux suivirent le mouvement de la porte qui se fermait derrière
|
|
Lord de Winter et Felton; et, lorsqu'elle se vit seule, une
|
|
nouvelle crise de désespoir la prit; elle jeta les yeux sur la
|
|
table, vit briller un couteau, s'élança et le saisit; mais son
|
|
désappointement fut cruel: la lame en était ronde et d'argent
|
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flexible.
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|
Un éclat de rire retentit derrière la porte mal fermée, et la
|
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porte se rouvrit.
|
|
|
|
«Ah! ah! s'écria Lord de Winter; ah! ah! vois-tu bien, mon brave
|
|
Felton, vois-tu ce que je t'avais dit: ce couteau, c'était pour
|
|
toi; mon enfant, elle t'aurait tué; vois-tu, c'est un de ses
|
|
travers, de se débarrasser ainsi, d'une façon ou de l'autre, des
|
|
gens qui la gênent. Si je t'eusse écouté, le couteau eût été
|
|
pointu et d'acier: alors plus de Felton, elle t'aurait égorgé et,
|
|
après toi, tout le monde. Vois donc, John, comme elle sait bien
|
|
tenir son couteau.»
|
|
|
|
En effet, Milady tenait encore l'arme offensive dans sa main
|
|
crispée, mais ces derniers mots, cette suprême insulte,
|
|
détendirent ses mains, ses forces et jusqu'à sa volonté.
|
|
|
|
Le couteau tomba par terre.
|
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|
|
«Vous avez raison, Milord, dit Felton avec un accent de profond
|
|
dégoût qui retentit jusqu'au fond du coeur de Milady, vous avez
|
|
raison et c'est moi qui avais tort.»
|
|
|
|
Et tous deux sortirent de nouveau.
|
|
|
|
Mais cette fois, Milady prêta une oreille plus attentive que la
|
|
première fois, et elle entendit leurs pas s'éloigner et s'éteindre
|
|
dans le fond du corridor.
|
|
|
|
«Je suis perdue, murmura-t-elle, me voilà au pouvoir de gens sur
|
|
lesquels je n'aurai pas plus de prise que sur des statues de
|
|
bronze ou de granit; ils me savent par coeur et sont cuirassés
|
|
contre toutes mes armes.
|
|
|
|
«Il est cependant impossible que cela finisse comme ils l'ont
|
|
décidé.»
|
|
|
|
En effet, comme l'indiquait cette dernière réflexion, ce retour
|
|
instinctif à l'espérance, dans cette âme profonde la crainte et
|
|
les sentiments faibles ne surnageaient pas longtemps. Milady se
|
|
mit à table, mangea de plusieurs mets, but un peu de vin
|
|
d'Espagne, et sentit revenir toute sa résolution.
|
|
|
|
Avant de se coucher elle avait déjà commenté, analysé, retourné
|
|
sur toutes leurs faces, examiné sous tous les points, les paroles,
|
|
les pas, les gestes, les signes et jusqu'au silence de ses
|
|
geôliers, et de cette étude profonde, habile et savante, il était
|
|
résulté que Felton était, à tout prendre, le plus vulnérable de
|
|
ses deux persécuteurs.
|
|
|
|
Un mot surtout revenait à l'esprit de la prisonnière:
|
|
|
|
«Si je t'eusse écouté», avait dit Lord de Winter à Felton.
|
|
|
|
Donc Felton avait parlé en sa faveur, puisque Lord de Winter
|
|
n'avait pas voulu écouter Felton.
|
|
|
|
«Faible ou forte, répétait Milady, cet homme a donc une lueur de
|
|
pitié dans son âme; de cette lueur je ferai un incendie qui le
|
|
dévorera.
|
|
|
|
«Quant à l'autre, il me connaît, il me craint et sait ce qu'il a à
|
|
attendre de moi si jamais je m'échappe de ses mains, il est donc
|
|
inutile de rien tenter sur lui. Mais Felton, c'est autre chose;
|
|
c'est un jeune homme naïf, pur et qui semble vertueux; celui-là,
|
|
il y a moyen de le perdre.»
|
|
|
|
Et Milady se coucha et s'endormit le sourire sur les lèvres;
|
|
quelqu'un qui l'eût vue dormant eût dit une jeune fille rêvant à
|
|
la couronne de fleurs qu'elle devait mettre sur son front à la
|
|
prochaine fête.
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|
CHAPITRE LIII
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DEUXIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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Milady rêvait qu'elle tenait enfin d'Artagnan, qu'elle assistait à
|
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son supplice, et c'était la vue de son sang odieux, coulant sous
|
|
la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les
|
|
lèvres.
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|
Elle dormait comme dort un prisonnier bercé par sa première
|
|
espérance.
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|
|
|
Le lendemain, lorsqu'on entra dans sa chambre, elle était encore
|
|
au lit. Felton était dans le corridor: il amenait la femme dont il
|
|
avait parlé la veille, et qui venait d'arriver; cette femme entra
|
|
et s'approcha du lit de Milady en lui offrant ses services.
|
|
|
|
Milady était habituellement pâle; son teint pouvait donc tromper
|
|
une personne qui la voyait pour la première fois.
|
|
|
|
«J'ai la fièvre, dit-elle; je n'ai pas dormi un seul instant
|
|
pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement: serez-
|
|
vous plus humaine qu'on ne l'a été hier avec moi? Tout ce que je
|
|
demande, au reste, c'est la permission de rester couchée.
|
|
|
|
-- Voulez-vous qu'on appelle un médecin?» dit la femme.
|
|
|
|
Felton écoutait ce dialogue sans dire une parole.
|
|
|
|
Milady réfléchissait que plus on l'entourerait de monde, plus elle
|
|
aurait de monde à apitoyer, et plus la surveillance de Lord de
|
|
Winter redoublerait; d'ailleurs le médecin pourrait déclarer que
|
|
la maladie était feinte, et Milady après avoir perdu la première
|
|
partie ne voulait pas perdre la seconde.
|
|
|
|
«Aller chercher un médecin, dit-elle, à quoi bon? ces messieurs
|
|
ont déclaré hier que mon mal était une comédie, il en serait sans
|
|
doute de même aujourd'hui; car depuis hier soir, on a eu le temps
|
|
de prévenir le docteur.
|
|
|
|
-- Alors, dit Felton impatienté, dites vous-même, madame, quel
|
|
traitement vous voulez suivre.
|
|
|
|
-- Eh! le sais-je, moi? mon Dieu! je sens que je souffre, voilà
|
|
tout, que l'on me donne ce que l'on voudra, peu m'importe.
|
|
|
|
-- Allez chercher Lord de Winter, dit Felton fatigué de ces
|
|
plaintes éternelles.
|
|
|
|
-- Oh! non, non! s'écria Milady, non, monsieur, ne l'appelez pas,
|
|
je vous en conjure, je suis bien, je n'ai besoin de rien, ne
|
|
l'appelez pas.»
|
|
|
|
Elle mit une véhémence si prodigieuse, une éloquence si
|
|
entraînante dans cette exclamation, que Felton, entraîné, fit
|
|
quelques pas dans la chambre.
|
|
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|
«Il est ému», pensa Milady.
|
|
|
|
«Cependant, madame, dit Felton, si vous souffrez réellement, on
|
|
enverra chercher un médecin, et si vous nous trompez, eh bien, ce
|
|
sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre côté, nous
|
|
n'aurons rien à nous reprocher.»
|
|
|
|
Milady ne répondit point; mais renversant sa belle tête sur son
|
|
oreiller, elle fondit en larmes et éclata en sanglots.
|
|
|
|
Felton la regarda un instant avec son impassibilité ordinaire;
|
|
puis voyant que la crise menaçait de se prolonger, il sortit; la
|
|
femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas.
|
|
|
|
«Je crois que je commence à voir clair», murmura Milady avec une
|
|
joie sauvage, en s'ensevelissant sous les draps pour cacher à tous
|
|
ceux qui pourraient l'épier cet élan de satisfaction intérieure.
|
|
|
|
Deux heures s'écoulèrent.
|
|
|
|
«Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle: levons-
|
|
nous et obtenons quelque succès dès aujourd'hui; je n'ai que dix
|
|
jours, et ce soir il y en aura deux d'écoulés.
|
|
|
|
En entrant, le matin, dans la chambre de Milady, on lui avait
|
|
apporté son déjeuner; or elle avait pensé qu'on ne tarderait pas à
|
|
venir enlever la table, et qu'en ce moment elle reverrait Felton.
|
|
|
|
Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire
|
|
attention si Milady avait ou non touché au repas, fit un signe
|
|
pour qu'on emportât hors de la chambre la table, que l'on
|
|
apportait ordinairement toute servie.
|
|
|
|
Felton resta le dernier, il tenait un livre à la main.
|
|
|
|
Milady, couchée dans un fauteuil près de la cheminée, belle, pâle
|
|
et résignée, ressemblait à une vierge sainte attendant le martyre.
|
|
|
|
Felton s'approcha d'elle et dit:
|
|
|
|
«Lord de Winter, qui est catholique comme vous, madame, a pensé
|
|
que la privation des rites et des cérémonies de votre religion
|
|
peut vous être pénible: il consent donc à ce que vous lisiez
|
|
chaque jour l'ordinaire de votre messe, et voici un livre qui en
|
|
contient le rituel.»
|
|
|
|
À l'air dont Felton déposa ce livre sur la petite table près de
|
|
laquelle était Milady, au ton dont il prononça ces deux mots,
|
|
votre messe, au sourire dédaigneux dont il les accompagna, Milady
|
|
leva la tête et regarda plus attentivement l'officier.
|
|
|
|
Alors, à cette coiffure sévère, à ce costume d'une simplicité
|
|
exagérée, à ce front poli comme le marbre, mais dur et
|
|
impénétrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains
|
|
qu'elle avait rencontrés si souvent tant à la cour du roi Jacques
|
|
qu'à celle du roi de France, où, malgré le souvenir de la Saint-
|
|
Barthélémy, ils venaient parfois chercher un refuge.
|
|
|
|
Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de
|
|
génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments
|
|
suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie.
|
|
|
|
Ces deux mots, votre messe, et un simple coup d'oeil jeté sur
|
|
Felton, lui avaient en effet révélé toute l'importance de la
|
|
réponse qu'elle allait faire.
|
|
|
|
Mais avec cette rapidité d'intelligence qui lui était
|
|
particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses
|
|
lèvres:
|
|
|
|
«Moi! dit-elle avec un accent de dédain monté à l'unisson de celui
|
|
qu'elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi,
|
|
monsieur, ma messe! Lord de Winter, le catholique corrompu, sait
|
|
bien que je ne suis pas de sa religion, et c'est un piège qu'il
|
|
veut me tendre!
|
|
|
|
-- Et de quelle religion êtes-vous donc, madame? demanda Felton
|
|
avec un étonnement que, malgré son empire sur lui-même, il ne put
|
|
cacher entièrement.
|
|
|
|
-- Je le dirai, s'écria Milady avec une exaltation feinte, le jour
|
|
où j'aurai assez souffert pour ma foi.»
|
|
|
|
Le regard de Felton découvrit à Milady toute l'étendue de l'espace
|
|
qu'elle venait de s'ouvrir par cette seule parole.
|
|
|
|
Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard
|
|
seul avait parlé.
|
|
|
|
«Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton
|
|
d'enthousiasme qu'elle savait familier aux puritains; eh bien, que
|
|
mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu! voilà la
|
|
réponse que je vous prie de faire à Lord de Winter. Et quant à ce
|
|
livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais
|
|
sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet
|
|
attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour
|
|
vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de Lord de
|
|
Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.»
|
|
|
|
Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de
|
|
répugnance qu'il avait déjà manifesté et se retira pensif. Lord de
|
|
Winter vint vers les cinq heures du soir; Milady avait eu le temps
|
|
pendant toute la journée de se tracer son plan de conduite; elle
|
|
le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.
|
|
|
|
«Il paraît, dit le baron en s'asseyant dans un fauteuil en face de
|
|
celui qu'occupait Milady et en étendant nonchalamment ses pieds
|
|
sur le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie!
|
|
|
|
-- Que voulez-vous dire, monsieur?
|
|
|
|
-- Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes
|
|
vus, nous avons changé de religion; auriez-vous épousé un
|
|
troisième mari protestant, par hasard?
|
|
|
|
-- Expliquez-vous, Milord, reprit la prisonnière avec majesté, car
|
|
je vous déclare que j'entends vos paroles, mais que je ne les
|
|
comprends pas.
|
|
|
|
-- Alors, c'est que vous n'avez pas de religion du tout; j'aime
|
|
mieux cela, reprit en ricanant Lord de Winter.
|
|
|
|
-- Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit
|
|
froidement Milady.
|
|
|
|
-- Oh! je vous avoue que cela m'est parfaitement égal.
|
|
|
|
-- Oh! vous n'avoueriez pas cette indifférence religieuse, Milord,
|
|
que vos débauches et vos crimes en feraient foi.
|
|
|
|
-- Hein! vous parlez de débauches, madame Messaline, vous parlez
|
|
de crimes, Lady Macbeth! Ou j'ai mal entendu, ou vous êtes,
|
|
pardieu, bien impudente.
|
|
|
|
-- Vous parlez ainsi parce que vous savez qu'on nous écoute,
|
|
monsieur, répondit froidement Milady, et que vous voulez
|
|
intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.
|
|
|
|
-- Mes geôliers! mes bourreaux! Ouais, madame, vous le prenez sur
|
|
un ton poétique, et la comédie d'hier tourne ce soir à la
|
|
tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être
|
|
et ma tâche sera achevée.
|
|
|
|
-- Tâche infâme! tâche impie! reprit Milady avec l'exaltation de
|
|
la victime qui provoque son juge.
|
|
|
|
-- Je crois, ma parole d'honneur, dit de Winter en se levant, que
|
|
la drôlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la
|
|
puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu! c'est mon
|
|
vin d'Espagne qui vous monte à la tête, n'est-ce pas? mais, soyez
|
|
tranquille, cette ivresse-là n'est pas dangereuse et n'aura pas de
|
|
suites.»
|
|
|
|
Et Lord de Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était
|
|
une habitude toute cavalière.
|
|
|
|
Felton était en effet derrière la porte et n'avait pas perdu un
|
|
mot de toute cette scène.
|
|
|
|
Milady avait deviné juste.
|
|
|
|
«Oui, va! va! dit-elle à son frère, les suites approchent, au
|
|
contraire, mais tu ne les verras, imbécile, que lorsqu'il ne sera
|
|
plus temps de les éviter.»
|
|
|
|
Le silence se rétablit, deux heures s'écoulèrent; on apporta le
|
|
souper, et l'on trouva Milady occupée à faire tout haut ses
|
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prières, prières qu'elle avait apprises d'un vieux serviteur de
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son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en
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extase et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait
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autour d'elle. Felton fit signe qu'on ne la dérangeât point, et
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lorsque tout fut en état il sortit sans bruit avec les soldats.
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Milady savait qu'elle pouvait être épiée, elle continua donc ses
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prières jusqu'à la fin, et il lui sembla que le soldat qui était
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de sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et
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paraissait écouter.
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Pour le moment, elle n'en voulait pas davantage, elle se releva,
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se mit à table, mangea peu et ne but que de l'eau.
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Une heure après on vint enlever la table, mais Milady remarqua que
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cette fois Felton n'accompagnait point les soldats.
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Il craignait donc de la voir trop souvent.
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Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce
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sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l'eût
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dénoncée.
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Elle laissa encore s'écouler une demi-heure, et comme en ce moment
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tout faisait silence dans le vieux château, comme on n'entendait
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que l'éternel murmure de la houle, cette respiration immense de
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l'océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença
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le premier couplet de ce psaume alors en entière faveur près des
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puritains:
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_Seigneur, si tu nous abandonnes,_
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_C'est pour voir si nous sommes forts;_
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_Mais ensuite c'est toi qui donnes_
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_De ta céleste main la palme à nos efforts._
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Ces vers n'étaient pas excellents, il s'en fallait même de
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beaucoup; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient
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pas de poésie.
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Tout en chantant, Milady écoutait: le soldat de garde à sa porte
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s'était arrêté comme s'il eût été changé en pierre. Milady put
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donc juger de l'effet qu'elle avait produit.
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Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment
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inexprimables; il lui sembla que les sons se répandaient au loin
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sous les voûtes et allaient comme un charme magique adoucir le
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coeur de ses geôliers. Cependant il paraît que le soldat en
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sentinelle, zélé catholique sans doute, secoua le charme, car à
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travers la porte:
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«Taisez-vous donc madame, dit-il, votre chanson est triste comme
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un _De profondis_, et si, outre l'agrément d'être en garnison ici,
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il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera à n'y point
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tenir.
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-- Silence! dit alors une voix grave, que Milady reconnut pour
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celle de Felton; de quoi vous mêlez-vous, drôle? Vous a-t-on
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ordonné d'empêcher cette femme de chanter? Non. On vous a dit de
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la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la;
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si elle fuit, tuez-la, mais ne changez rien à la consigne.»
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Une expression de joie indicible illumina le visage de Milady,
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mais cette expression fut fugitive comme le reflet d'un éclair,
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et, sans paraître avoir entendu le dialogue dont elle n'avait pas
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perdu un mot, elle reprit en donnant à sa voix tout le charme,
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toute l'étendue et toute la séduction que le démon y avait mis:
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_Pour tant de pleurs et de misère,_
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_Pour mon exil et pour mes fers,_
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_J'ai ma jeunesse, ma prière,_
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_Et Dieu, qui comptera les maux que j'ai soufferts._
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Cette voix, d'une étendue inouïe et d'une passion sublime, donnait
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à la poésie rude et inculte de ces psaumes une magie et une
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expression que les puritains les plus exaltés trouvaient rarement
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dans les chants de leurs frères et qu'ils étaient forcés d'orner
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de toutes les ressources de leur imagination: Felton crut entendre
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chanter l'ange qui consolait les trois Hébreux dans la fournaise.
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_Milady continua:_
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_Mais le jour de la délivrance_
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_Viendra pour nous, Dieu juste et fort;_
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_Et s'il trompe notre espérance,_
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_Il nous reste toujours le martyre et la mort._
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Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s'efforça de
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mettre toute son âme, acheva de porter le désordre dans le coeur
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du jeune officier: il ouvrit brusquement la porte, et Milady le
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vit apparaître pâle comme toujours, mais les yeux ardents et
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presque égarés.
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«Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix?
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-- Pardon, monsieur, dit Milady avec douceur, j'oubliais que mes
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chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans
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doute offensé dans vos croyances; mais c'était sans le vouloir, je
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vous jure; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-être grande,
|
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mais qui certainement est involontaire.»
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Milady était si belle dans ce moment, l'extase religieuse dans
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|
laquelle elle semblait plongée donnait une telle expression à sa
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physionomie, que Felton, ébloui, crut voir l'ange que tout à
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l'heure il croyait seulement entendre.
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«Oui, oui, répondit-il, oui: vous troublez, vous agitez les gens
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qui habitent ce château.»
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Et le pauvre insensé ne s'apercevait pas lui-même de l'incohérence
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de ses discours, tandis que Milady plongeait son oeil de lynx au
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plus profond de son coeur.
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«Je me tairai, dit Milady en baissant les yeux avec toute la
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douceur qu'elle put donner à sa voix, avec toute la résignation
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qu'elle put imprimer à son maintien.
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-- Non, non, madame, dit Felton; seulement, chantez moins haut, la
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nuit surtout.»
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Et à ces mots, Felton, sentant qu'il ne pourrait pas conserver
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longtemps sa sévérité à l'égard de la prisonnière, s'élança hors
|
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de son appartement.
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«Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat; ces chants
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bouleversent l'âme; cependant on finit par s'y accoutumer: sa voix
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est si belle!»
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|
CHAPITRE LIV
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|
TROISIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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Felton était venu; mais il y avait encore un pas à faire: il
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fallait le retenir, ou plutôt il fallait qu'il restât tout seul;
|
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et Milady ne voyait encore qu'obscurément le moyen qui devait la
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conduire à ce résultat.
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Il fallait plus encore: il fallait le faire parler, afin de lui
|
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parler aussi: car, Milady le savait bien, sa plus grande séduction
|
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était dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme
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des tons, depuis la parole humaine jusqu'au langage céleste.
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Et cependant, malgré toute cette séduction, Milady pouvait
|
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échouer, car Felton était prévenu, et cela contre le moindre
|
|
hasard. Dès lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses
|
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paroles, jusqu'au plus simple regard de ses yeux, jusqu'à son
|
|
geste, jusqu'à sa respiration, qu'on pouvait interpréter comme un
|
|
soupir. Enfin, elle étudia tout comme fait un habile comédien à
|
|
qui l'on vient de donner un rôle nouveau dans un emploi qu'il n'a
|
|
pas l'habitude de tenir.
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|
Vis-à-vis de Lord de Winter sa conduite était plus facile; aussi
|
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avait-elle été arrêtée dès la veille. Rester muette et digne en sa
|
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présence, de temps en temps l'irriter par un dédain affecté, par
|
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un mot méprisant, le pousser à des menaces et à des violences qui
|
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faisaient un contraste avec sa résignation à elle, tel était son
|
|
projet. Felton verrait: peut-être ne dirait-il rien; mais il
|
|
verrait.
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|
Le matin, Felton vint comme d'habitude; mais Milady le laissa
|
|
présider à tous les apprêts du déjeuner sans lui adresser la
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|
parole. Aussi, au moment où il allait se retirer, eut-elle une
|
|
lueur d'espoir; car elle crut que c'était lui qui allait parler;
|
|
mais ses lèvres remuèrent sans qu'aucun son sortît de sa bouche,
|
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et, faisant un effort sur lui-même, il renferma dans son coeur les
|
|
paroles qui allaient s'échapper de ses lèvres, et sortit.
|
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|
Vers midi, Lord de Winter entra.
|
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|
Il faisait une assez belle journée d'hiver, et un rayon de ce pâle
|
|
soleil d'Angleterre qui éclaire, mais qui n'échauffe pas, passait
|
|
à travers les barreaux de la prison.
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|
Milady regardait par la fenêtre, et fit semblant de ne pas
|
|
entendre la porte qui s'ouvrait.
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|
«Ah! ah! dit Lord de Winter, après avoir fait de la comédie, après
|
|
avoir fait de la tragédie, voilà que nous faisons de la
|
|
mélancolie.»
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|
La prisonnière ne répondit pas.
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|
«Oui, oui, continua Lord de Winter, je comprends; vous voudriez
|
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bien être en liberté sur ce rivage; vous voudriez bien, sur un bon
|
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navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l'émeraude;
|
|
vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l'océan, me dresser
|
|
une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les
|
|
combiner. Patience! patience! Dans quatre jours, le rivage vous
|
|
sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le
|
|
voudrez, car dans quatre jours l'Angleterre sera débarrassée de
|
|
vous.»
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|
Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel:
|
|
|
|
«Seigneur! Seigneur! dit-elle avec une angélique suavité de geste
|
|
et d'intonation, pardonnez à cet homme, comme je lui pardonne moi-
|
|
même.
|
|
|
|
-- Oui, prie, maudite, s'écria le baron, ta prière est d'autant
|
|
plus généreuse que tu es, je te le jure, au pouvoir d'un homme qui
|
|
ne pardonnera pas.»
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|
Et il sortit.
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|
|
|
Au moment où il sortait, un regard perçant glissa par la porte
|
|
entrebâillée, et elle aperçut Felton qui se rangeait rapidement
|
|
pour n'être pas vu d'elle.
|
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|
Alors elle se jeta à genoux et se mit à prier.
|
|
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|
«Mon Dieu! mon Dieu! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause
|
|
je souffre, donnez-moi donc la force de souffrir.»
|
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|
La porte s'ouvrit doucement; la belle suppliante fit semblant de
|
|
n'avoir pas entendu, et d'une voix pleine de larmes, elle
|
|
continua:
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|
|
«Dieu vengeur! Dieu de bonté! laisserez-vous s'accomplir les
|
|
affreux projets de cet homme!»
|
|
|
|
Alors, seulement, elle feignit d'entendre le bruit des pas de
|
|
Felton et, se relevant rapide comme la pensée, elle rougit comme
|
|
si elle eût été honteuse d'avoir été surprise à genoux.
|
|
|
|
«Je n'aime point à déranger ceux qui prient, madame, dit gravement
|
|
Felton; ne vous dérangez donc pas pour moi, je vous en conjure.
|
|
|
|
-- Comment savez-vous que je priais, monsieur? dit Milady d'une
|
|
voix suffoquée par les sanglots; vous vous trompiez, monsieur, je
|
|
ne priais pas.
|
|
|
|
-- Pensez-vous donc, madame, répondit Felton de sa même voix
|
|
grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit
|
|
d'empêcher une créature de se prosterner devant son Créateur? À
|
|
Dieu ne plaise! D'ailleurs le repentir sied bien aux coupables;
|
|
quelque crime qu'il ait commis, un coupable m'est sacré aux pieds
|
|
de Dieu.
|
|
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-- Coupable, moi! dit Milady avec un sourire qui eût désarmé
|
|
l'ange du jugement dernier. Coupable! mon Dieu, tu sais si je le
|
|
suis! Dites que je suis condamnée, monsieur, à la bonne heure;
|
|
mais vous le savez, Dieu qui aime les martyrs, permet que l'on
|
|
condamne quelquefois les innocents.
|
|
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|
-- Fussiez-vous condamnée, fussiez-vous martyre, répondit Felton,
|
|
raison de plus pour prier, et moi-même je vous aiderai de mes
|
|
prières.
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|
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-- Oh! vous êtes un juste, vous, s'écria Milady en se précipitant
|
|
à ses pieds; tenez, je n'y puis tenir plus longtemps, car je
|
|
crains de manquer de force au moment où il me faudra soutenir la
|
|
lutte et confesser ma foi, écoutez donc la supplication d'une
|
|
femme au désespoir. On vous abuse, monsieur, mais il n'est pas
|
|
question de cela, je ne vous demande qu'une grâce, et, si vous me
|
|
l'accordez, je vous bénirai dans ce monde et dans l'autre.
|
|
|
|
-- Parlez au maître, madame, dit Felton; je ne suis heureusement
|
|
chargé, moi, ni de pardonner ni de punir, et c'est à plus haut que
|
|
moi que Dieu a remis cette responsabilité.
|
|
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|
-- À vous, non, à vous seul. Écoutez-moi, plutôt que de contribuer
|
|
à ma perte, plutôt que de contribuer à mon ignominie.
|
|
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|
-- Si vous avez mérité cette honte, madame, si vous avez encouru
|
|
cette ignominie, il faut la subir en l'offrant à Dieu.
|
|
|
|
-- Que dites-vous? Oh! vous ne me comprenez pas! Quand je parle
|
|
d'ignominie, vous croyez que je parle d'un châtiment quelconque,
|
|
de la prison ou de la mort! Plût au Ciel! que m'importent, à moi,
|
|
la mort ou la prison!
|
|
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|
-- C'est moi qui ne vous comprends plus, madame.
|
|
|
|
-- Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, monsieur,
|
|
répondit la prisonnière avec un sourire de doute.
|
|
|
|
-- Non, madame, sur l'honneur d'un soldat, sur la foi d'un
|
|
chrétien!
|
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|
-- Comment! vous ignorez les desseins de Lord de Winter sur moi.
|
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|
|
-- Je les ignore.
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-- Impossible, vous son confident!
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-- Je ne mens jamais, madame.
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-- Oh! il se cache trop peu cependant pour qu'on ne les devine
|
|
pas.
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|
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|
-- Je ne cherche à rien deviner, madame; j'attends qu'on me
|
|
confie, et à part ce qu'il m'a dit devant vous, Lord de Winter ne
|
|
m'a rien confié.
|
|
|
|
-- Mais, s'écria Milady avec un incroyable accent de vérité, vous
|
|
n'êtes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu'il me
|
|
destine à une honte que tous les châtiments de la terre ne
|
|
sauraient égaler en horreur?
|
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-- Vous vous trompez, madame, dit Felton en rougissant, Lord de
|
|
Winter n'est pas capable d'un tel crime.»
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|
«Bon, dit Milady en elle-même, sans savoir ce que c'est, il
|
|
appelle cela un crime!»
|
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Puis tout haut:
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«L'ami de l'infâme est capable de tout.
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|
-- Qui appelez-vous l'infâme? demanda Felton.
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-- Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes à qui un semblable nom
|
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puisse convenir?
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|
-- Vous voulez parler de Georges Villiers? dit Felton, dont les
|
|
regards s'enflammèrent.
|
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|
-- Que les païens, les gentils et les infidèles appellent duc de
|
|
Buckingham, reprit Milady; je n'aurais pas cru qu'il y aurait eu
|
|
un Anglais dans toute l'Angleterre qui eût eu besoin d'une si
|
|
longue explication pour reconnaître celui dont je voulais parler!
|
|
|
|
-- La main du Seigneur est étendue sur lui, dit Felton, il
|
|
n'échappera pas au châtiment qu'il mérite.»
|
|
|
|
Felton ne faisait qu'exprimer à l'égard du duc le sentiment
|
|
d'exécration que tous les Anglais avaient voué à celui que les
|
|
catholiques eux-mêmes appelaient l'exacteur, le concussionnaire,
|
|
le débauché, et que les puritains appelaient tout simplement
|
|
Satan.
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|
|
|
«Oh! mon Dieu! mon Dieu! s'écria Milady, quand je vous supplie
|
|
d'envoyer à cet homme le châtiment qui lui est dû, vous savez que
|
|
ce n'est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la
|
|
délivrance de tout un peuple que j'implore.
|
|
|
|
-- Le connaissez-vous donc?» demanda Felton.
|
|
|
|
«Enfin, il m'interroge», se dit en elle-même Milady au comble de
|
|
la joie d'en être arrivée si vite à un si grand résultat.
|
|
|
|
«Oh! si je le connais! oh, oui! pour mon malheur, pour mon malheur
|
|
éternel.»
|
|
|
|
Et Milady se tordit les bras comme arrivée au paroxysme de la
|
|
douleur. Felton sentit sans doute en lui-même que sa force
|
|
l'abandonnait, et il fit quelques pas vers la porte; la
|
|
prisonnière, qui ne le perdait pas de vue, bondit à sa poursuite
|
|
et l'arrêta.
|
|
|
|
«Monsieur! s'écria-t-elle, soyez bon, soyez clément, écoutez ma
|
|
prière: ce couteau que la fatale prudence du baron m'a enlevé,
|
|
parce qu'il sait l'usage que j'en veux faire; oh! écoutez-moi
|
|
jusqu'au bout! ce couteau, rendez-le moi une minute seulement, par
|
|
grâce, par pitié! J'embrasse vos genoux; voyez, vous fermerez la
|
|
porte, ce n'est pas à vous que j'en veux: Dieu! vous en vouloir, à
|
|
vous, le seul être juste, bon et compatissant que j'aie rencontré!
|
|
à vous, mon sauveur peut-être! une minute, ce couteau, une minute,
|
|
une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte; rien
|
|
qu'une minute, monsieur Felton, et vous m'aurez sauvé l'honneur!
|
|
|
|
-- Vous tuer! s'écria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses
|
|
mains des mains de la prisonnière; vous tuer!
|
|
|
|
-- J'ai dit, monsieur, murmura Milady en baissant la voix et en se
|
|
laissant tomber affaissée sur le parquet, j'ai dit mon secret! il
|
|
sait tout! mon Dieu, je suis perdue!»
|
|
|
|
Felton demeurait debout, immobile et indécis.
|
|
|
|
«Il doute encore, pensa Milady, je n'ai pas été assez vraie.»
|
|
|
|
On entendit marcher dans le corridor; Milady reconnut le pas de
|
|
Lord de Winter. Felton le reconnut aussi et s'avança vers la
|
|
porte.
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|
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|
Milady s'élança.
|
|
|
|
«Oh! pas un mot, dit-elle d'une voix concentrée, pas un mot de
|
|
tout ce que je vous ai dit à cet homme, ou je suis perdue, et
|
|
c'est vous, vous...»
|
|
|
|
Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu'on
|
|
n'entendit sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa
|
|
belle main sur la bouche de Felton. Felton repoussa doucement
|
|
Milady, qui alla tomber sur une chaise longue.
|
|
|
|
Lord de Winter passa devant la porte sans s'arrêter, et l'on
|
|
entendit le bruit des pas qui s'éloignaient.
|
|
|
|
Felton, pâle comme la mort, resta quelques instants l'oreille
|
|
tendue et écoutant, puis quand le bruit se fut éteint tout à fait,
|
|
il respira comme un homme qui sort d'un songe, et s'élança hors de
|
|
l'appartement.
|
|
|
|
«Ah! dit Milady en écoutant à son tour le bruit des pas de Felton,
|
|
qui s'éloignaient dans la direction opposée à ceux de Lord de
|
|
Winter, enfin tu es donc à moi!»
|
|
|
|
Puis son front se rembrunit.
|
|
|
|
«S'il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui
|
|
sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau
|
|
entre les mains, et il verra bien que tout ce grand désespoir
|
|
n'était qu'un jeu.»
|
|
|
|
Elle alla se placer devant sa glace et se regarda; jamais elle
|
|
n'avait été si belle.
|
|
|
|
«Oh! oui! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas.»
|
|
|
|
Le soir, Lord de Winter accompagna le souper.
|
|
|
|
-- Monsieur, lui dit Milady, votre présence est-elle un accessoire
|
|
obligé de ma captivité, et ne pourriez-vous pas m'épargner ce
|
|
surcroît de tortures que me causent vos visites?
|
|
|
|
-- Comment donc, chère soeur! dit de Winter, ne m'avez-vous pas
|
|
sentimentalement annoncé, de cette jolie bouche si cruelle pour
|
|
moi aujourd'hui, que vous veniez en Angleterre à cette seule fin
|
|
de me voir tout à votre aise, jouissance dont, me disiez-vous,
|
|
vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout
|
|
risqué pour cela, mal de mer, tempête, captivité! eh bien, me
|
|
voilà, soyez satisfaite; d'ailleurs, cette fois ma visite a un
|
|
motif.»
|
|
|
|
Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlé; jamais de sa
|
|
vie, peut-être, cette femme, qui avait éprouvé tant d'émotions
|
|
puissantes et opposées, n'avait senti battre son coeur si
|
|
violemment.
|
|
|
|
Elle était assise; Lord de Winter prit un fauteuil, le tira à son
|
|
côté et s'assit auprès d'elle, puis prenant dans sa poche un
|
|
papier qu'il déploya lentement:
|
|
|
|
«Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espèce de
|
|
passeport que j'ai rédigé moi-même et qui vous servira désormais
|
|
de numéro d'ordre dans la vie que je consens à vous laisser.»
|
|
|
|
Puis ramenant ses yeux de Milady sur le papier, il lut:
|
|
|
|
«Ordre de conduire à...» Le nom est en blanc, interrompit de
|
|
Winter: si vous avez quelque préférence, vous me l'indiquerez; et
|
|
pour peu que ce soit à un millier de lieues de Londres, il sera
|
|
fait droit à votre requête. Je reprends donc: «Ordre de conduire
|
|
à... la nommée Charlotte Backson, flétrie par la justice du
|
|
royaume de France, mais libérée après châtiment; elle demeurera
|
|
dans cette résidence, sans jamais s'en écarter de plus de trois
|
|
lieues. En cas de tentative d'évasion, la peine de mort lui sera
|
|
appliquée. Elle touchera cinq shillings par jour pour son logement
|
|
et sa nourriture.»
|
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«Cet ordre ne me concerne pas, répondit froidement Milady,
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puisqu'un autre nom que le mien y est porté.
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-- Un nom! Est-ce que vous en avez un?
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-- J'ai celui de votre frère.
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-- Vous vous trompez, mon frère n'est que votre second mari, et le
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premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du
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nom de Charlotte Backson. Non?... vous ne voulez pas?... vous
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gardez le silence? C'est bien! vous serez écrouée sous le nom de
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Charlotte Backson.»
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Milady demeura silencieuse; seulement, cette fois ce n'était plus
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par affectation, mais par terreur: elle crut l'ordre prêt à être
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exécuté: elle pensa que Lord de Winter avait avancé son départ;
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elle crut qu'elle était condamnée à partir le soir même. Tout dans
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son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout à coup
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elle s'aperçut que l'ordre n'était revêtu d'aucune signature.
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La joie qu'elle ressentit de cette découverte fut si grande,
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qu'elle ne put la cacher.
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«Oui, oui, dit Lord de Winter, qui s'aperçut de ce qui se passait
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en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites: tout
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n'est pas perdu, puisque cet acte n'est pas signé; on me le montre
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pour m'effrayer, voilà tout. Vous vous trompez: demain cet ordre
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sera envoyé à Lord Buckingham; après-demain il reviendra signé de
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sa main et revêtu de son sceau, et vingt-quatre heures après,
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c'est moi qui vous en réponds, il recevra son commencement
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d'exécution. Adieu, madame, voilà tout ce que j'avais à vous dire.
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-- Et moi je vous répondrai, monsieur, que cet abus de pouvoir,
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que cet exil sous un nom supposé sont une infamie.
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-- Aimez-vous mieux être pendue sous votre vrai nom, Milady? Vous
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le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l'abus que l'on
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fait du mariage; expliquez-vous franchement: quoique mon nom ou
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plutôt le nom de mon frère se trouve mêlé dans tout cela, je
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risquerai le scandale d'un procès public pour être sûr que du coup
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je serai débarrassé de vous.»
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Milady ne répondit pas, mais devint pâle comme un cadavre.
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«Oh! je vois que vous aimez mieux la pérégrination. À merveille,
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madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages
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forment la jeunesse. Ma foi! vous n'avez pas tort, après tout, et
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la vie est bonne. C'est pour cela que je ne me soucie pas que vous
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me l'ôtiez. Reste donc à régler l'affaire des cinq shillings; je
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me montre un peu parcimonieux, n'est-ce pas? cela tient à ce que
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je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D'ailleurs
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il vous restera toujours vos charmes pour les séduire. Usez-en si
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votre échec avec Felton ne vous a pas dégoûtée des tentatives de
|
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ce genre.»
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«Felton n'a point parlé, se dit Milady à elle-même, rien n'est
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perdu alors.»
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«Et maintenant, madame, à vous revoir. Demain je viendrai vous
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|
annoncer le départ de mon messager.»
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|
Lord de Winter se leva, salua ironiquement Milady et sortit.
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Milady respira: elle avait encore quatre jours devant elle; quatre
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jours lui suffiraient pour achever de séduire Felton.
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|
Une idée terrible lui vint alors, c'est que Lord de Winter
|
|
enverrait peut-être Felton lui-même pour faire signer l'ordre à
|
|
Buckingham; de cette façon Felton lui échappait, et pour que la
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|
prisonnière réussît il fallait la magie d'une séduction continue.
|
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Cependant, comme nous l'avons dit, une chose la rassurait: Felton
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n'avait pas parlé.
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Elle ne voulut point paraître émue par les menaces de Lord de
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Winter, elle se mit à table et mangea.
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Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit à genoux, et
|
|
répéta tout haut ses prières. Comme la veille, le soldat cessa de
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marcher et s'arrêta pour l'écouter.
|
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|
|
Bientôt elle entendit des pas plus légers que ceux de la
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sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s'arrêtaient
|
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devant sa porte.
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«C'est lui», dit-elle.
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Et elle commença le même chant religieux qui la veille avait si
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violemment exalté Felton.
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|
Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eût vibré plus
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harmonieuse et plus déchirante que jamais, la porte resta close.
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|
Il parut bien à Milady, dans un des regards furtifs qu'elle
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lançait sur le petit guichet, apercevoir à travers le grillage
|
|
serré les yeux ardents du jeune homme mais, que ce fût une réalité
|
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ou une vision, cette fois il eut sur lui-même la puissance de ne
|
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pas entrer.
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Seulement, quelques instants après qu'elle eût fini son chant
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religieux, Milady crut entendre un profond soupir; puis les mêmes
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pas qu'elle avait entendus s'approcher s'éloignèrent lentement et
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|
comme à regret.
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|
CHAPITRE LV
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QUATRIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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Le lendemain, lorsque Felton entra chez Milady, il la trouva
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debout, montée sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde
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tissée à l'aide de quelques mouchoirs de batiste déchirés en
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lanières tressées les unes avec les autres et attachées bout à
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bout; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, Milady sauta
|
|
légèrement à bas de son fauteuil, et essaya de cacher derrière
|
|
elle cette corde improvisée, qu'elle tenait à la main.
|
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|
|
Le jeune homme était plus pâle encore que d'habitude, et ses yeux
|
|
rougis par l'insomnie indiquaient qu'il avait passé une nuit
|
|
fiévreuse.
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|
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|
Cependant son front était armé d'une sérénité plus austère que
|
|
jamais.
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|
Il s'avança lentement vers Milady, qui s'était assise, et prenant
|
|
un bout de la tresse meurtrière que par mégarde ou à dessein peut-
|
|
être elle avait laissée passer:
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|
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|
«Qu'est-ce que cela, madame? demanda-t-il froidement.
|
|
|
|
-- Cela, rien, dit Milady en souriant avec cette expression
|
|
douloureuse qu'elle savait si bien donner à son sourire, l'ennui
|
|
est l'ennemi mortel des prisonniers, je m'ennuyais et je me suis
|
|
amusée à tresser cette corde.»
|
|
|
|
Felton porta les yeux vers le point du mur de l'appartement devant
|
|
lequel il avait trouvé Milady debout sur le fauteuil où elle était
|
|
assise maintenant, et au-dessus de sa tête il aperçut un crampon
|
|
doré, scellé dans le mur, et qui servait à accrocher soit des
|
|
hardes, soit des armes.
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|
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|
Il tressaillit, et la prisonnière vit ce tressaillement; car,
|
|
quoiqu'elle eût les yeux baissés, rien ne lui échappait.
|
|
|
|
«Et que faisiez-vous, debout sur ce fauteuil? demanda-t-il.
|
|
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|
-- Que vous importe? répondit Milady.
|
|
|
|
-- Mais, reprit Felton, je désire le savoir.
|
|
|
|
-- Ne m'interrogez pas, dit la prisonnière, vous savez bien qu'à
|
|
nous autres, véritables chrétiens, il nous est défendu de mentir.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez,
|
|
ou plutôt ce que vous alliez faire, vous alliez achever l'oeuvre
|
|
fatale que vous nourrissez dans votre esprit: songez-y, madame, si
|
|
notre Dieu défend le mensonge, il défend bien plus sévèrement
|
|
encore le suicide.
|
|
|
|
-- Quand Dieu voit une de ses créatures persécutée injustement,
|
|
placée entre le suicide et le déshonneur, croyez-moi, monsieur,
|
|
répondit Milady d'un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne
|
|
le suicide: car, alors, le suicide c'est le martyre.
|
|
|
|
-- Vous en dites trop ou trop peu; parlez, madame, au nom du Ciel,
|
|
expliquez-vous.
|
|
|
|
-- Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de
|
|
fables; que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les
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|
dénoncer à mon persécuteur: non, monsieur; d'ailleurs, que vous
|
|
importe la vie ou la mort d'une malheureuse condamnée? vous ne
|
|
répondez que de mon corps, n'est-ce pas? et pourvu que vous
|
|
représentiez un cadavre, qu'il soit reconnu pour le mien, on ne
|
|
vous en demandera pas davantage, et peut-être, même, aurez-vous
|
|
double récompense.
|
|
|
|
-- Moi, madame, moi! s'écria Felton, supposer que j'accepterais
|
|
jamais le prix de votre vie; oh! vous ne pensez pas ce que vous
|
|
dites.
|
|
|
|
-- Laissez-moi faire, Felton, laissez-moi faire, dit Milady en
|
|
s'exaltant, tout soldat doit être ambitieux, n'est-ce pas? vous
|
|
êtes lieutenant, eh bien, vous suivrez mon convoi avec le grade de
|
|
capitaine.
|
|
|
|
-- Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton ébranlé, pour que
|
|
vous me chargiez d'une pareille responsabilité devant les hommes
|
|
et devant Dieu? Dans quelques jours vous allez être loin d'ici,
|
|
madame, votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec
|
|
un soupir, alors vous en ferez ce que vous voudrez.
|
|
|
|
-- Ainsi, s'écria Milady comme si elle ne pouvait résister à une
|
|
sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l'on appelle un
|
|
juste, vous ne demandez qu'une chose: c'est de n'être point
|
|
inculpé, inquiété pour ma mort!
|
|
|
|
-- Je dois veiller sur votre vie, madame, et j'y veillerai.
|
|
|
|
-- Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez? cruelle
|
|
déjà si j'étais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le
|
|
Seigneur lui donnera-t-il, si je suis innocente?
|
|
|
|
-- Je suis soldat, madame, et j'accomplis les ordres que j'ai
|
|
reçus.
|
|
|
|
-- Croyez-vous qu'au jour du jugement dernier Dieu séparera les
|
|
bourreaux aveugles des juges iniques? vous ne voulez pas que je
|
|
tue mon corps, et vous vous faites l'agent de celui qui veut tuer
|
|
mon âme!
|
|
|
|
-- Mais, je vous le répète, reprit Felton ébranlé, aucun danger ne
|
|
vous menace, et je réponds de Lord de Winter comme de moi-même.
|
|
|
|
-- Insensé! s'écria Milady, pauvre insensé, qui ose répondre d'un
|
|
autre homme quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu
|
|
hésitent à répondre d'eux-mêmes, et qui se range du parti le plus
|
|
fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus
|
|
malheureuse!
|
|
|
|
-- Impossible, madame, impossible, murmura Felton, qui sentait au
|
|
fond du coeur la justesse de cet argument: prisonnière, vous ne
|
|
recouvrerez pas par moi la liberté, vivante, vous ne perdrez pas
|
|
par moi la vie.
|
|
|
|
-- Oui, s'écria Milady, mais je perdrai ce qui m'est bien plus
|
|
cher que la vie, je perdrai l'honneur, Felton; et c'est vous, vous
|
|
que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma
|
|
honte et de mon infamie.»
|
|
|
|
Cette fois Felton, tout impassible qu'il était ou qu'il faisait
|
|
semblant d'être, ne put résister à l'influence secrète qui s'était
|
|
déjà emparée de lui: voir cette femme si belle, blanche comme la
|
|
plus candide vision, la voir tour à tour éplorée et menaçante,
|
|
subir à la fois l'ascendant de la douleur et de la beauté, c'était
|
|
trop pour un visionnaire, c'était trop pour un cerveau miné par
|
|
les rêves ardents de la foi extatique, c'était trop pour un coeur
|
|
corrodé à la fois par l'amour du Ciel qui brûle, par la haine des
|
|
hommes qui dévore.
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|
|
|
Milady vit le trouble, elle sentait par intuition la flamme des
|
|
passions opposées qui brûlaient avec le sang dans les veines du
|
|
jeune fanatique; et, pareille à un général habile qui, voyant
|
|
l'ennemi prêt à reculer, marche sur lui en poussant un cri de
|
|
victoire, elle se leva, belle comme une prêtresse antique,
|
|
inspirée comme une vierge chrétienne et, le bras étendu, le col
|
|
découvert, les cheveux épars retenant d'une main sa robe
|
|
pudiquement ramenée sur sa poitrine, le regard illuminé de ce feu
|
|
qui avait déjà porté le désordre dans les sens du jeune puritain,
|
|
elle marcha vers lui, s'écriant sur un air véhément, de sa voix si
|
|
douce, à laquelle, dans l'occasion, elle donnait un accent
|
|
terrible:
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|
|
Livre à Baal sa victime.
|
|
Jette aux lions le martyr:
|
|
Dieu te fera repentir!...
|
|
Je crie à lui de l'abîme.
|
|
Felton s'arrêta sous cette étrange apostrophe, et comme pétrifié.
|
|
|
|
«Qui êtes-vous, qui êtes-vous? s'écria-t-il en joignant les mains;
|
|
êtes-vous une envoyée de Dieu, êtes-vous un ministre des enfers,
|
|
êtes-vous ange ou démon, vous appelez-vous Eloa ou Astarté?
|
|
|
|
-- Ne m'as-tu pas reconnue, Felton? Je ne suis ni un ange, ni un
|
|
démon, je suis une fille de la terre, je suis une soeur de ta
|
|
croyance, voilà tout.
|
|
|
|
-- Oui! oui! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je
|
|
crois.
|
|
|
|
-- Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de
|
|
Bélial qu'on appelle Lord de Winter! Tu crois, et cependant tu me
|
|
laisses aux mains de mes ennemis, de l'ennemi de l'Angleterre, de
|
|
l'ennemi de Dieu? Tu crois, et cependant tu me livres à celui qui
|
|
remplit et souille le monde de ses hérésies et de ses débauches, à
|
|
cet infâme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de
|
|
Buckingham et que les croyants appellent l'Antéchrist.
|
|
|
|
-- Moi, vous livrer à Buckingham! moi! que dites-vous là?
|
|
|
|
-- Ils ont des yeux, s'écria Milady, et ils ne verront pas; ils
|
|
ont des oreilles, et ils n'entendront point.
|
|
|
|
-- Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert
|
|
de sueur, comme pour en arracher son dernier doute; oui, je
|
|
reconnais la voix qui me parle dans mes rêves; oui, je reconnais
|
|
les traits de l'ange qui m'apparaît chaque nuit, criant à mon âme
|
|
qui ne peut dormir: "Frappe, sauve l'Angleterre, sauve-toi, car tu
|
|
mourras sans avoir désarmé Dieu!" Parlez, parlez! s'écria Felton,
|
|
je puis vous comprendre à présent.»
|
|
|
|
Un éclair de joie terrible, mais rapide comme la pensée, jaillit
|
|
des yeux de Milady.
|
|
|
|
Si fugitive qu'eût été cette lueur homicide, Felton la vit et
|
|
tressaillit comme si cette lueur eût éclairé les abîmes du coeur
|
|
de cette femme.
|
|
|
|
Felton se rappela tout à coup les avertissements de Lord de
|
|
Winter, les séductions de Milady, ses premières tentatives lors de
|
|
son arrivée; il recula d'un pas et baissa la tête, mais sans
|
|
cesser de la regarder: comme si, fasciné par cette étrange
|
|
créature, ses yeux ne pouvaient se détacher de ses yeux.
|
|
|
|
Milady n'était point femme à se méprendre au sens de cette
|
|
hésitation. Sous ses émotions apparentes, son sang-froid glacé ne
|
|
l'abandonnait point. Avant que Felton lui eût répondu et qu'elle
|
|
fût forcée de reprendre cette conversation si difficile à soutenir
|
|
sur le même accent d'exaltation, elle laissa retomber ses mains,
|
|
et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur
|
|
l'enthousiasme de l'inspirée:
|
|
|
|
«Mais, non, dit-elle, ce n'est pas à moi d'être la Judith qui
|
|
délivrera Béthulie de cet Holopherne. Le glaive de l'éternel est
|
|
trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le déshonneur par
|
|
la mort, laissez-moi me réfugier dans le martyre. Je ne vous
|
|
demande ni la liberté, comme ferait une coupable, ni la vengeance,
|
|
comme ferait une païenne. Laissez-moi mourir, voilà tout. Je vous
|
|
supplie, je vous implore à genoux; laissez-moi mourir, et mon
|
|
dernier soupir sera une bénédiction pour mon sauveur.»
|
|
|
|
À cette voix douce et suppliante, à ce regard timide et abattu,
|
|
Felton se rapprocha. Peu à peu l'enchanteresse avait revêtu cette
|
|
parure magique qu'elle reprenait et quittait à volonté, c'est-à-
|
|
dire la beauté, la douceur, les larmes et surtout l'irrésistible
|
|
attrait de la volupté mystique, la plus dévorante des voluptés.
|
|
|
|
«Hélas! dit Felton, je ne puis qu'une chose, vous plaindre si vous
|
|
me prouvez que vous êtes une victime! Mais Lord de Winter a de
|
|
cruels griefs contre vous. Vous êtes chrétienne, vous êtes ma
|
|
soeur en religion; je me sens entraîné vers vous, moi qui n'ai
|
|
aimé que mon bienfaiteur, moi qui n'ai trouvé dans la vie que des
|
|
traîtres et des impies. Mais vous, madame, vous si belle en
|
|
réalité, vous si pure en apparence, pour que Lord de Winter vous
|
|
poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquités?
|
|
|
|
-- Ils ont des yeux, répéta Milady avec un accent d'indicible
|
|
douleur, et ils ne verront pas; ils ont des oreilles, et ils
|
|
n'entendront point.
|
|
|
|
-- Mais, alors, s'écria le jeune officier, parlez, parlez donc!
|
|
|
|
-- Vous confier ma honte! s'écria Milady avec le rouge de la
|
|
pudeur au visage, car souvent le crime de l'un est la honte de
|
|
l'autre; vous confier ma honte, à vous homme, moi femme! Oh!
|
|
continua-t-elle en ramenant pudiquement sa main sur ses beaux
|
|
yeux, oh! jamais, jamais je ne pourrai!
|
|
|
|
-- À moi, à un frère!» s'écria Felton.
|
|
|
|
Milady le regarda longtemps avec une expression que le jeune
|
|
officier prit pour du doute, et qui cependant n'était que de
|
|
l'observation et surtout la volonté de fasciner.
|
|
|
|
Felton, à son tour suppliant, joignit les mains.
|
|
|
|
«Eh bien, dit Milady, je me fie à mon frère, j'oserai!»
|
|
|
|
En ce moment, on entendit le pas de Lord de Winter; mais, cette
|
|
fois le terrible beau-frère de Milady ne se contenta point, comme
|
|
il avait fait la veille, de passer devant la porte et de
|
|
s'éloigner, il s'arrêta, échangea deux mots avec la sentinelle,
|
|
puis la porte s'ouvrit et il parut.
|
|
|
|
Pendant ces deux mots échangés, Felton s'était reculé vivement, et
|
|
lorsque Lord de Winter entra, il était à quelques pas de la
|
|
prisonnière.
|
|
|
|
Le baron entra lentement, et porta son regard scrutateur de la
|
|
prisonnière au jeune officier:
|
|
|
|
«Voilà bien longtemps, John, dit-il, que vous êtes ici; cette
|
|
femme vous a-t-elle raconté ses crimes? alors je comprends la
|
|
durée de l'entretien.»
|
|
|
|
Felton tressaillit, et Milady sentit qu'elle était perdue si elle
|
|
ne venait au secours du puritain décontenancé.
|
|
|
|
«Ah! vous craignez que votre prisonnière ne vous échappe! dit-
|
|
elle, eh bien, demandez à votre digne geôlier quelle grâce, à
|
|
l'instant même, je sollicitais de lui.
|
|
|
|
-- Vous demandiez une grâce? dit le baron soupçonneux.
|
|
|
|
-- Oui, Milord, reprit le jeune homme confus.
|
|
|
|
-- Et quelle grâce, voyons? demanda Lord de Winter.
|
|
|
|
-- Un couteau qu'elle me rendra par le guichet, une minute après
|
|
l'avoir reçu, répondit Felton.
|
|
|
|
-- Il y a donc quelqu'un de caché ici que cette gracieuse personne
|
|
veuille égorger? reprit Lord de Winter de sa voix railleuse et
|
|
méprisante.
|
|
|
|
-- Il y a moi, répondit Milady.
|
|
|
|
-- Je vous ai donné le choix entre l'Amérique et Tyburn, reprit
|
|
Lord de Winter, choisissez Tyburn, Milady: la corde est, croyez-
|
|
moi, encore plus sûre que le couteau.»
|
|
|
|
Felton pâlit et fit un pas en avant, en songeant qu'au moment où
|
|
il était entré, Milady tenait une corde.
|
|
|
|
«Vous avez raison, dit celle-ci, et j'y avais déjà pensé; puis
|
|
elle ajouta d'une voix sourde: j'y penserai encore.»
|
|
|
|
Felton sentit courir un frisson jusque dans la moelle de ses os;
|
|
probablement Lord de Winter aperçut ce mouvement.
|
|
|
|
«Méfie-toi, John, dit-il, John, mon ami, je me suis reposé sur
|
|
toi, prends garde! Je t'ai prévenu! D'ailleurs, aie bon courage,
|
|
mon enfant, dans trois jours nous serons délivrés de cette
|
|
créature, et où je l'envoie, elle ne nuira plus à personne.
|
|
|
|
-- Vous l'entendez!» s'écria Milady avec éclat, de façon que le
|
|
baron crût qu'elle s'adressait au Ciel et que Felton comprît que
|
|
c'était à lui.
|
|
|
|
Felton baissa la tête et rêva.
|
|
|
|
Le baron prit l'officier par le bras en tournant la tête sur son
|
|
épaule, afin de ne pas perdre Milady de vue jusqu'à ce qu'il fût
|
|
sorti.
|
|
|
|
«Allons, allons, dit la prisonnière lorsque la porte se fut
|
|
refermée, je ne suis pas encore si avancée que je le croyais.
|
|
Winter a changé sa sottise ordinaire en une prudence inconnue; ce
|
|
que c'est que le désir de la vengeance, et comme ce désir forme
|
|
l'homme! Quant à Felton, il hésite. Ah! ce n'est pas un homme
|
|
comme ce d'Artagnan maudit. Un puritain n'adore que les vierges,
|
|
et il les adore en joignant les mains. Un mousquetaire aime les
|
|
femmes, et il les aime en joignant les bras.»
|
|
|
|
Cependant Milady attendit avec impatience, car elle se doutait
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bien que la journée ne se passerait pas sans qu'elle revit Felton.
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Enfin, une heure après la scène que nous venons de raconter, elle
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entendit que l'on parlait bas à la porte, puis bientôt la porte
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s'ouvrit, et elle reconnut Felton.
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Le jeune homme s'avança rapidement dans la chambre en laissant la
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porte ouverte derrière lui et en faisant signe à Milady de se
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taire; il avait le visage bouleversé.
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«Que me voulez-vous? dit-elle.
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-- Écoutez, répondit Felton à voix basse, je viens d'éloigner la
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sentinelle pour pouvoir rester ici sans qu'on sache que je suis
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venu, pour vous parler sans qu'on puisse entendre ce que je vous
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dis. Le baron vient de me raconter une histoire effroyable.»
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Milady prit son sourire de victime résignée, et secoua la tête.
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«Ou vous êtes un démon, continua Felton, ou le baron, mon
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bienfaiteur, mon père, est un monstre. Je vous connais depuis
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quatre jours, je l'aime depuis dix ans, lui; je puis donc hésiter
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entre vous deux: ne vous effrayez pas de ce que je vous dis, j'ai
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besoin d'être convaincu. Cette nuit, après minuit, je viendrai
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vous voir, vous me convaincrez.
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-- Non, Felton, non, mon frère, dit-elle, le sacrifice est trop
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grand, et je sens qu'il vous coûte. Non, je suis perdue, ne vous
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perdez pas avec moi. Ma mort sera bien plus éloquente que ma vie,
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et le silence du cadavre vous convaincra bien mieux que les
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paroles de la prisonnière.
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-- Taisez-vous, madame, s'écria Felton, et ne me parlez pas ainsi;
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je suis venu pour que vous me promettiez sur l'honneur, pour que
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vous me juriez sur ce que vous avez de plus sacré, que vous
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n'attenterez pas à votre vie.
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-- Je ne veux pas promettre, dit Milady, car personne plus que moi
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n'a le respect du serment, et, si je promettais, il me faudrait
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tenir.
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-- Eh bien, dit Felton, engagez-vous seulement jusqu'au moment où
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vous m'aurez revu. Si, lorsque vous m'aurez revu, vous persistez
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encore, eh bien, alors, vous serez libre, et moi-même je vous
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donnerai l'arme que vous m'avez demandée.
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-- Eh bien, dit Milady, pour vous j'attendrai.
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-- Jurez-le.
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-- Je le jure par notre Dieu. Êtes-vous content?
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-- Bien, dit Felton, à cette nuit!»
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Et il s'élança hors de l'appartement, referma la porte, et
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attendit en dehors, la demi-pique du soldat à la main, comme s'il
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eût monté la garde à sa place.
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Le soldat revenu, Felton lui rendit son arme.
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Alors, à travers le guichet dont elle s'était rapprochée, Milady
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vit le jeune homme se signer avec une ferveur délirante et s'en
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aller par le corridor avec un transport de joie.
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Quant à elle, elle revint à sa place, un sourire de sauvage mépris
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sur les lèvres, et elle répéta en blasphémant ce nom terrible de
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Dieu, par lequel elle avait juré sans jamais avoir appris à le
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connaître.
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«Mon Dieu! dit-elle, fanatique insensé! mon Dieu! c'est moi, moi
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et celui qui m'aidera à me venger.»
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CHAPITRE LVI
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CINQUIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
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Cependant Milady en était arrivée à un demi-triomphe, et le succès
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obtenu doublait ses forces.
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Il n'était pas difficile de vaincre, ainsi qu'elle l'avait fait
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jusque-là, des hommes prompts à se laisser séduire, et que
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l'éducation galante de la cour entraînait vite dans le piège;
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Milady était assez belle pour ne pas trouver de résistance de la
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part de la chair, et elle était assez adroite pour l'emporter sur
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tous les obstacles de l'esprit.
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Mais, cette fois, elle avait à lutter contre une nature sauvage,
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concentrée, insensible à force d'austérité; la religion et la
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pénitence avaient fait de Felton un homme inaccessible aux
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séductions ordinaires. Il roulait dans cette tête exaltée des
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plans tellement vastes, des projets tellement tumultueux, qu'il
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n'y restait plus de place pour aucun amour, de caprice ou de
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matière, ce sentiment qui se nourrit de loisir et grandit par la
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corruption. Milady avait donc fait brèche, avec sa fausse vertu,
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dans l'opinion d'un homme prévenu horriblement contre elle, et par
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sa beauté, dans le coeur et les sens d'un homme chaste et pur.
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Enfin, elle s'était donné la mesure de ses moyens, inconnus
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d'elle-même jusqu'alors, par cette expérience faite sur le sujet
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le plus rebelle que la nature et la religion pussent soumettre à
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son étude.
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Bien des fois néanmoins pendant la soirée elle avait désespéré du
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sort et d'elle-même; elle n'invoquait pas Dieu, nous le savons,
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mais elle avait foi dans le génie du mal, cette immense
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souveraineté qui règne dans tous les détails de la vie humaine, et
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à laquelle, comme dans la fable arabe, un grain de grenade suffit
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pour reconstruire un monde perdu.
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Milady, bien préparée à recevoir Felton, put dresser ses batteries
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pour le lendemain. Elle savait qu'il ne lui restait plus que deux
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jours, qu'une fois l'ordre signé par Buckingham (et Buckingham le
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signerait d'autant plus facilement, que cet ordre portait un faux
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nom, et qu'il ne pourrait reconnaître la femme dont il était
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question), une fois cet ordre signé, disons-nous, le baron la
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faisait embarquer sur-le-champ, et elle savait aussi que les
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femmes condamnées à la déportation usent d'armes bien moins
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puissantes dans leurs séductions que les prétendues femmes
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vertueuses dont le soleil du monde éclaire la beauté, dont la voix
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de la mode vante l'esprit et qu'un reflet d'aristocratie dore de
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ses lueurs enchantées. Être une femme condamnée à une peine
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misérable et infamante n'est pas un empêchement à être belle, mais
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c'est un obstacle à jamais redevenir puissante. Comme tous les
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gens d'un mérite réel, Milady connaissait le milieu qui convenait
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à sa nature, à ses moyens. La pauvreté lui répugnait, l'abjection
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la diminuait des deux tiers de sa grandeur. Milady n'était reine
|
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que parmi les reines; il fallait à sa domination le plaisir de
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l'orgueil satisfait. Commander aux êtres inférieurs était plutôt
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une humiliation qu'un plaisir pour elle.
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Certes, elle fût revenue de son exil, elle n'en doutait pas un
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seul instant; mais combien de temps cet exil pouvait-il durer?
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Pour une nature agissante et ambitieuse comme celle de Milady, les
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jours qu'on n'occupe point à monter sont des jours néfastes; qu'on
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trouve donc le mot dont on doive nommer les jours qu'on emploie à
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descendre! Perdre un an, deux ans, trois ans, c'est-à-dire une
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éternité; revenir quand d'Artagnan, heureux et triomphant, aurait,
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lui et ses amis, reçu de la reine la récompense qui leur était
|
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bien acquise pour les services qu'ils lui avaient rendus,
|
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c'étaient là de ces idées dévorantes qu'une femme comme Milady ne
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pouvait supporter. Au reste, l'orage qui grondait en elle doublait
|
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sa force, et elle eût fait éclater les murs de sa prison, si son
|
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corps eût pu prendre un seul instant les proportions de son
|
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esprit.
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Puis ce qui l'aiguillonnait encore au milieu de tout cela, c'était
|
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le souvenir du cardinal. Que devait penser, que devait dire de son
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silence le cardinal défiant, inquiet, soupçonneux, le cardinal,
|
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non seulement son seul appui, son seul soutien, son seul
|
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protecteur dans le présent, mais encore le principal instrument de
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sa fortune et de sa vengeance à venir? Elle le connaissait, elle
|
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savait qu'à son retour, après un voyage inutile, elle aurait beau
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arguer de la prison, elle aurait beau exalter les souffrances
|
|
subies, le cardinal répondrait avec ce calme railleur du sceptique
|
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puissant à la fois par la force et par le génie: «Il ne fallait
|
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pas vous laisser prendre!»
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Alors Milady réunissait toute son énergie, murmurant au fond de sa
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pensée le nom de Felton, la seule lueur de jour qui pénétrât
|
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jusqu'à elle au fond de l'enfer où elle était tombée; et comme un
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serpent qui roule et déroule ses anneaux pour se rendre compte à
|
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lui-même de sa force, elle enveloppait d'avance Felton dans les
|
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mille replis de son inventive imagination.
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|
Cependant le temps s'écoulait, les heures les unes après les
|
|
autres semblaient réveiller la cloche en passant, et chaque coup
|
|
du battant d'airain retentissait sur le coeur de la prisonnière. À
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neuf heures, Lord de Winter fit sa visite accoutumée, regarda la
|
|
fenêtre et les barreaux, sonda le parquet et les murs, visita la
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|
cheminée et les portes, sans que, pendant cette longue et
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minutieuse visite, ni lui ni Milady prononçassent une seule
|
|
parole.
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|
Sans doute que tous deux comprenaient que la situation était
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devenue trop grave pour perdre le temps en mots inutiles et en
|
|
colère sans effet.
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«Allons, allons, dit le baron en la quittant, vous ne vous
|
|
sauverez pas encore cette nuit!»
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|
À dix heures, Felton vint placer une sentinelle; Milady reconnut
|
|
son pas. Elle le devinait maintenant comme une maîtresse devine
|
|
celui de l'amant de son coeur, et cependant Milady détestait et
|
|
méprisait à la fois ce faible fanatique.
|
|
|
|
Ce n'était point l'heure convenue, Felton n'entra point.
|
|
|
|
Deux heures après et comme minuit sonnait, la sentinelle fut
|
|
relevée.
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|
Cette fois c'était l'heure: aussi, à partir de ce moment, Milady
|
|
attendit-elle avec impatience.
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La nouvelle sentinelle commença à se promener dans le corridor.
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|
Au bout de dix minutes Felton vint.
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|
Milady prêta l'oreille.
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«Écoutez, dit le jeune homme à la sentinelle, sous aucun prétexte
|
|
ne t'éloigne de cette porte, car tu sais que la nuit dernière un
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soldat a été puni par Milord pour avoir quitté son poste un
|
|
instant, et cependant c'est moi qui, pendant sa courte absence,
|
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avais veillé à sa place.
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|
-- Oui, je le sais, dit le soldat.
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|
|
-- Je te recommande donc la plus exacte surveillance. Moi, ajouta-
|
|
t-il, je vais rentrer pour visiter une seconde fois la chambre de
|
|
cette femme, qui a, j'en ai peur, de sinistres projets sur elle-
|
|
même et que j'ai reçu l'ordre de surveiller.»
|
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|
«Bon, murmura Milady, voilà l'austère puritain qui ment!»
|
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|
Quant au soldat, il se contenta de sourire.
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«Peste! mon lieutenant, dit-il, vous n'êtes pas malheureux d'être
|
|
chargé de commissions pareilles, surtout si Milord vous a autorisé
|
|
à regarder jusque dans son lit.»
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Felton rougit; dans toute autre circonstance il eut réprimandé le
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soldat qui se permettait une pareille plaisanterie; mais sa
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conscience murmurait trop haut pour que sa bouche osât parler.
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«Si j'appelle, dit-il, viens; de même que si l'on vient, appelle-
|
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moi.
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-- Oui, mon lieutenant», dit le soldat.
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Felton entra chez Milady. Milady se leva.
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«Vous voilà? dit-elle.
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-- Je vous avais promis de venir, dit Felton, et je suis venu.
|
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|
-- Vous m'avez promis autre chose encore.
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-- Quoi donc? mon Dieu! dit le jeune homme, qui malgré son empire
|
|
sur lui-même, sentait ses genoux trembler et la sueur poindre sur
|
|
son front.
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-- Vous avez promis de m'apporter un couteau, et de me le laisser
|
|
après notre entretien.
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-- Ne parlez pas de cela, madame, dit Felton, il n'y a pas de
|
|
situation, si terrible qu'elle soit, qui autorise une créature de
|
|
Dieu à se donner la mort. J'ai réfléchi que jamais je ne devais me
|
|
rendre coupable d'un pareil péché.
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-- Ah! vous avez réfléchi! dit la prisonnière en s'asseyant sur
|
|
son fauteuil avec un sourire de dédain; et moi aussi j'ai
|
|
réfléchi.
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-- À quoi?
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-- Que je n'avais rien à dire à un homme qui ne tenait pas sa
|
|
parole.
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-- O mon Dieu! murmura Felton.
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|
-- Vous pouvez vous retirer, dit Milady, je ne parlerai pas.
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-- Voilà le couteau! dit Felton tirant de sa poche l'arme que,
|
|
selon sa promesse, il avait apportée, mais qu'il hésitait à
|
|
remettre à sa prisonnière.
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-- Voyons-le, dit Milady.
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-- Pour quoi faire?
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-- Sur l'honneur, je vous le rends à l'instant même; vous le
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|
poserez sur cette table; et vous resterez entre lui et moi.
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Felton tendit l'arme à Milady, qui en examina attentivement la
|
|
trempe, et qui en essaya la pointe sur le bout de son doigt.
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«Bien, dit-elle en rendant le couteau au jeune officier, celui-ci
|
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est en bel et bon acier; vous êtes un fidèle ami, Felton.»
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Felton reprit l'arme et la posa sur la table comme il venait
|
|
d'être convenu avec sa prisonnière.
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Milady le suivit des yeux et fit un geste de satisfaction.
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|
|
«Maintenant, dit-elle, écoutez-moi.»
|
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|
|
La recommandation était inutile: le jeune officier se tenait
|
|
debout devant elle, attendant ses paroles pour les dévorer.
|
|
|
|
«Felton, dit Milady avec une solennité pleine de mélancolie,
|
|
Felton, si votre soeur, la fille de votre père, vous disait:
|
|
«Jeune encore, assez belle par malheur, on m'a fait tomber dans un
|
|
piège, j'ai résisté; on a multiplié autour de moi les embûches,
|
|
les violences, j'ai résisté; on a blasphémé la religion que je
|
|
sers, le Dieu que j'adore, parce que j'appelais à mon secours ce
|
|
Dieu et cette religion, j'ai résisté; alors on m'a prodigué les
|
|
outrages, et comme on ne pouvait perdre mon âme, on a voulu à tout
|
|
jamais flétrir mon corps; enfin...»
|
|
|
|
Milady s'arrêta, et un sourire amer passa sur ses lèvres.
|
|
|
|
«Enfin, dit Felton, enfin qu'a-t-on fait?
|
|
|
|
-- Enfin, un soir, on résolut de paralyser cette résistance qu'on
|
|
ne pouvait vaincre: un soir, on mêla à mon eau un narcotique
|
|
puissant; à peine eus-je achevé mon repas, que je me sentis tomber
|
|
peu à peu dans une torpeur inconnue. Quoique je fusse sans
|
|
défiance, une crainte vague me saisit et j'essayai de lutter
|
|
contre le sommeil; je me levai, je voulus courir à la fenêtre,
|
|
appeler au secours, mais mes jambes refusèrent de me porter; il me
|
|
semblait que le plafond s'abaissait sur ma tête et m'écrasait de
|
|
son poids; je tendis les bras, j'essayai de parler, je ne pus que
|
|
pousser des sons inarticulés; un engourdissement irrésistible
|
|
s'emparait de moi, je me retins à un fauteuil, sentant que
|
|
j'allais tomber, mais bientôt cet appui fut insuffisant pour mes
|
|
bras débiles, je tombai sur un genou, puis sur les deux; je voulus
|
|
crier, ma langue était glacée; Dieu ne me vit ni ne m'entendit
|
|
sans doute, et je glissai sur le parquet, en proie à un sommeil
|
|
qui ressemblait à la mort.
|
|
|
|
«De tout ce qui se passa dans ce sommeil et du temps qui s'écoula
|
|
pendant sa durée, je n'eus aucun souvenir; la seule chose que je
|
|
me rappelle, c'est que je me réveillai couchée dans une chambre
|
|
ronde, dont l'ameublement était somptueux, et dans laquelle le
|
|
jour ne pénétrait que par une ouverture au plafond. Du reste,
|
|
aucune porte ne semblait y donner entrée: on eût dit une
|
|
magnifique prison.
|
|
|
|
«Je fus longtemps à pouvoir me rendre compte du lieu où je me
|
|
trouvais et de tous les détails que je rapporte, mon esprit
|
|
semblait lutter inutilement pour secouer les pesantes ténèbres de
|
|
ce sommeil auquel je ne pouvais m'arracher; j'avais des
|
|
perceptions vagues d'un espace parcouru, du roulement d'une
|
|
voiture, d'un rêve horrible dans lequel mes forces se seraient
|
|
épuisées; mais tout cela était si sombre et si indistinct dans ma
|
|
pensée, que ces événements semblaient appartenir à une autre vie
|
|
que la mienne et cependant mêlée à la mienne par une fantastique
|
|
dualité.
|
|
|
|
«Quelque temps, l'état dans lequel je me trouvais me sembla si
|
|
étrange, que je crus que je faisais un rêve. Je me levai
|
|
chancelante, mes habits étaient près de moi, sur une chaise: je ne
|
|
me rappelai ni m'être dévêtue, ni m'être couchée. Alors peu à peu
|
|
la réalité se présenta à moi pleine de pudiques terreurs: je
|
|
n'étais plus dans la maison que j'habitais; autant que j'en
|
|
pouvais juger par la lumière du soleil, le jour était déjà aux
|
|
deux tiers écoulé! c'était la veille au soir que je m'étais
|
|
endormie; mon sommeil avait donc déjà duré près de vingt-quatre
|
|
heures. Que s'était-il passé pendant ce long sommeil?
|
|
|
|
«Je m'habillai aussi rapidement qu'il me fut possible. Tous mes
|
|
mouvements lents et engourdis attestaient que l'influence du
|
|
narcotique n'était point encore entièrement dissipée. Au reste,
|
|
cette chambre était meublée pour recevoir une femme; et la
|
|
coquette la plus achevée n'eût pas eu un souhait à former, qu'en
|
|
promenant son regard autour de l'appartement elle n'eût vu son
|
|
souhait accompli.
|
|
|
|
«Certes, je n'étais pas la première captive qui s'était vue
|
|
enfermée dans cette splendide prison; mais, vous le comprenez,
|
|
Felton, plus la prison était belle, plus je m'épouvantais.
|
|
|
|
«Oui, c'était une prison, car j'essayai vainement d'en sortir. Je
|
|
sondai tous les murs afin de découvrir une porte, partout les murs
|
|
rendirent un son plein et mat.
|
|
|
|
«Je fis peut-être vingt fois le tour de cette chambre, cherchant
|
|
une issue quelconque; il n'y en avait pas: je tombai écrasée de
|
|
fatigue et de terreur sur un fauteuil.
|
|
|
|
«Pendant ce temps, la nuit venait rapidement, et avec la nuit mes
|
|
terreurs augmentaient: je ne savais si je devais rester où j'étais
|
|
assise; il me semblait que j'étais entourée de dangers inconnus,
|
|
dans lesquels j'allais tomber à chaque pas. Quoique je n'eusse
|
|
rien mangé depuis la veille, mes craintes m'empêchaient de
|
|
ressentir la faim.
|
|
|
|
«Aucun bruit du dehors, qui me permît de mesurer le temps, ne
|
|
venait jusqu'à moi; je présumai seulement qu'il pouvait être sept
|
|
ou huit heures du soir; car nous étions au mois d'octobre, et il
|
|
faisait nuit entière.
|
|
|
|
«Tout à coup, le cri d'une porte qui tourne sur ses gonds me fit
|
|
tressaillir; un globe de feu apparut au-dessus de l'ouverture
|
|
vitrée du plafond, jetant une vive lumière dans ma chambre, et je
|
|
m'aperçus avec terreur qu'un homme était debout à quelques pas de
|
|
moi.
|
|
|
|
«Une table à deux couverts, supportant un souper tout préparé,
|
|
s'était dressée comme par magie au milieu de l'appartement.
|
|
|
|
«Cet homme était celui qui me poursuivait depuis un an, qui avait
|
|
juré mon déshonneur, et qui, aux premiers mots qui sortirent de sa
|
|
bouche, me fit comprendre qu'il l'avait accompli la nuit
|
|
précédente.
|
|
|
|
-- L'infâme! murmura Felton.
|
|
|
|
-- Oh! oui, l'infâme! s'écria Milady, voyant l'intérêt que le
|
|
jeune officier, dont l'âme semblait suspendue à ses lèvres,
|
|
prenait à cet étrange récit; oh! oui, l'infâme! il avait cru qu'il
|
|
lui suffisait d'avoir triomphé de moi dans mon sommeil, pour que
|
|
tout fût dit; il venait, espérant que j'accepterais ma honte,
|
|
puisque ma honte était consommée; il venait m'offrir sa fortune en
|
|
échange de mon amour.
|
|
|
|
«Tout ce que le coeur d'une femme peut contenir de superbe mépris
|
|
et de paroles dédaigneuses, je le versai sur cet homme; sans
|
|
doute, il était habitué à de pareils reproches; car il m'écouta
|
|
calme, souriant, et les bras croisés sur la poitrine; puis,
|
|
lorsqu'il crut que j'avais tout dit, il s'avança vers moi; je
|
|
bondis vers la table, je saisis un couteau, je l'appuyai sur ma
|
|
poitrine.
|
|
|
|
«Faites un pas de plus, lui dis-je, et outre mon déshonneur, vous
|
|
aurez encore ma mort à vous reprocher.»
|
|
|
|
«Sans doute, il y avait dans mon regard, dans ma voix, dans toute
|
|
ma personne, cette vérité de geste, de pose et d'accent, qui porte
|
|
la conviction dans les âmes les plus perverses, car il s'arrêta.
|
|
|
|
«Votre mort! me dit-il; oh! non, vous êtes une trop charmante
|
|
maîtresse pour que je consente à vous perdre ainsi, après avoir eu
|
|
le bonheur de vous posséder une seule fois seulement. Adieu, ma
|
|
toute belle! j'attendrai, pour revenir vous faire ma visite, que
|
|
vous soyez dans de meilleures dispositions.»
|
|
|
|
«À ces mots, il donna un coup de sifflet; le globe de flamme qui
|
|
éclairait ma chambre remonta et disparut; je me retrouvai dans
|
|
l'obscurité. Le même bruit d'une porte qui s'ouvre et se referme
|
|
se reproduisit un instant après, le globe flamboyant descendit de
|
|
nouveau, et je me retrouvai seule.
|
|
|
|
«Ce moment fut affreux; si j'avais encore quelques doutes sur mon
|
|
malheur, ces doutes s'étaient évanouis dans une désespérante
|
|
réalité: j'étais au pouvoir d'un homme que non seulement je
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détestais, mais que je méprisais; d'un homme capable de tout, et
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qui m'avait déjà donné une preuve fatale de ce qu'il pouvait oser.
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-- Mais quel était donc cet homme? demanda Felton.
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-- Je passai la nuit sur une chaise, tressaillant au moindre
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bruit, car à minuit à peu près, la lampe s'était éteinte, et je
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m'étais retrouvée dans l'obscurité. Mais la nuit se passa sans
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nouvelle tentative de mon persécuteur; le jour vint: la table
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avait disparu; seulement, j'avais encore le couteau à la main.
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«Ce couteau c'était tout mon espoir.
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«J'étais écrasée de fatigue; l'insomnie brûlait mes yeux; je
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n'avais pas osé dormir un seul instant: le jour me rassura,
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j'allai me jeter sur mon lit sans quitter le couteau libérateur
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que je cachai sous mon oreiller.
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«Quand je me réveillai, une nouvelle table était servie.
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«Cette fois, malgré mes terreurs, en dépit de mes angoisses, une
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faim dévorante se faisait sentir; il y avait quarante-huit heures
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que je n'avais pris aucune nourriture: je mangeai du pain et
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quelques fruits; puis, me rappelant le narcotique mêlé à l'eau que
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j'avais bue, je ne touchai point à celle qui était sur la table,
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et j'allai remplir mon verre à une fontaine de marbre scellée dans
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le mur, au-dessus de ma toilette.
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«Cependant, malgré cette précaution, je ne demeurai pas moins
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quelque temps encore dans une affreuse angoisse; mais mes
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craintes, cette fois, n'étaient pas fondées: je passai la journée
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sans rien éprouver qui ressemblât à ce que je redoutais.
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«J'avais eu la précaution de vider à demi la carafe, pour qu'on ne
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s'aperçût point de ma défiance.
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«Le soir vint, et avec lui l'obscurité; cependant, si profonde
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qu'elle fût, mes yeux commençaient à s'y habituer; je vis, au
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milieu des ténèbres, la table s'enfoncer dans le plancher; un
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quart d'heure après, elle reparut portant mon souper; un instant
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après, grâce à la même lampe, ma chambre s'éclaira de nouveau.
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«J'étais résolue à ne manger que des objets auxquels il était
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impossible de mêler aucun somnifère: deux oeufs et quelques fruits
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composèrent mon repas; puis, j'allai puiser un verre d'eau à ma
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fontaine protectrice, et je le bus.
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«Aux premières gorgées, il me sembla qu'elle n'avait plus le même
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goût que le matin: un soupçon rapide me prit, je m'arrêtai; mais
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j'en avais déjà avalé un demi-verre.
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«Je jetai le reste avec horreur, et j'attendis, la sueur de
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l'épouvante au front.
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«Sans doute quelque invisible témoin m'avait vue prendre de l'eau
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à cette fontaine, et avait profité de ma confiance même pour mieux
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assurer ma perte si froidement résolue, si cruellement poursuivie.
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«Une demi-heure ne s'était pas écoulée, que les mêmes symptômes se
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produisirent; seulement, comme cette fois je n'avais bu qu'un
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demi-verre d'eau, je luttai plus longtemps, et, au lieu de
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m'endormir tout à fait, je tombai dans un état de somnolence qui
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me laissait le sentiment de ce qui se passait autour de moi, tout
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en m'ôtant la force ou de me défendre ou de fuir.
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«Je me traînai vers mon lit, pour y chercher la seule défense qui
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me restât, mon couteau sauveur; mais je ne pus arriver jusqu'au
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chevet: je tombai à genoux, les mains cramponnées à l'une des
|
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colonnes du pied; alors, je compris que j'étais perdue.»
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Felton pâlit affreusement, et un frisson convulsif courut par tout
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son corps.
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«Et ce qu'il y avait de plus affreux, continua Milady, la voix
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altérée comme si elle eût encore éprouvé la même angoisse qu'en ce
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moment terrible, c'est que, cette fois, j'avais la conscience du
|
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danger qui me menaçait; c'est que mon âme, je puis le dire,
|
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veillait dans mon corps endormi; c'est que je voyais, c'est que
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j'entendais: il est vrai que tout cela était comme dans un rêve;
|
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mais ce n'en était que plus effrayant.
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«Je vis la lampe qui remontait et qui peu à peu me laissait dans
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|
l'obscurité; puis j'entendis le cri si bien connu de cette porte,
|
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quoique cette porte ne se fût ouverte que deux fois.
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«Je sentis instinctivement qu'on s'approchait de moi: on dit que
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le malheureux perdu dans les déserts de l'Amérique sent ainsi
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l'approche du serpent.
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«Je voulais faire un effort, je tentai de crier; par une
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incroyable énergie de volonté je me relevai même, mais pour
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retomber aussitôt... et retomber dans les bras de mon persécuteur.
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-- Dites-moi donc quel était cet homme?» s'écria le jeune
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officier.
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Milady vit d'un seul regard tout ce qu'elle inspirait de
|
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souffrance à Felton, en pesant sur chaque détail de son récit;
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mais elle ne voulait lui faire grâce d'aucune torture. Plus
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|
profondément elle lui briserait le coeur, plus sûrement il la
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vengerait. Elle continua donc comme si elle n'eût point entendu
|
|
son exclamation, ou comme si elle eût pensé que le moment n'était
|
|
pas encore venu d'y répondre.
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«Seulement, cette fois, ce n'était plus à une espèce de cadavre
|
|
inerte, sans aucun sentiment, que l'infâme avait affaire. Je vous
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|
l'ai dit: sans pouvoir parvenir à retrouver l'exercice complet de
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|
mes facultés, il me restait le sentiment de mon danger: je luttai
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|
donc de toutes mes forces et sans doute j'opposai, tout affaiblie
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|
que j'étais, une longue résistance, car je l'entendis s'écrier:
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«"Ces misérables puritaines! je savais bien qu'elles lassaient
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|
leurs bourreaux, mais je les croyais moins fortes contre leurs
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|
séducteurs."«
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|
«Hélas! cette résistance désespérée ne pouvait durer longtemps, je
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sentis mes forces qui s'épuisaient, et cette fois ce ne fut pas de
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|
mon sommeil que le lâche profita, ce fut de mon évanouissement.»
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Felton écoutait sans faire entendre autre chose qu'une espèce de
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rugissement sourd; seulement la sueur ruisselait sur son front de
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marbre, et sa main cachée sous son habit déchirait sa poitrine.
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|
|
«Mon premier mouvement, en revenant à moi, fui de chercher sous
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mon oreiller ce couteau que je n'avais pu atteindre; s'il n'avait
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point servi à la défense, il pouvait au moins servir à
|
|
l'expiation.
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«Mais en prenant ce couteau, Felton, une idée terrible me vint.
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|
J'ai juré de tout vous dire et je vous dirai tout; je vous ai
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promis la vérité, je la dirai, dût-elle me perdre.
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-- L'idée vous vint de vous venger de cet homme, n'est-ce pas?
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|
s'écria Felton.
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-- Eh bien, oui! dit Milady: cette idée n'était pas d'une
|
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chrétienne, je le sais; sans doute cet éternel ennemi de notre
|
|
âme, ce lion rugissant sans cesse autour de nous la soufflait à
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mon esprit. Enfin, que vous dirai-je, Felton? continua Milady du
|
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ton d'une femme qui s'accuse d'un crime, cette idée me vint et ne
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|
me quitta plus sans doute. C'est de cette pensée homicide que je
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|
porte aujourd'hui la punition.
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-- Continuez, continuez, dit Felton, j'ai hâte de vous voir
|
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arriver à la vengeance.
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-- Oh! je résolus qu'elle aurait lieu le plus tôt possible, je ne
|
|
doutais pas qu'il ne revînt la nuit suivante. Dans le jour je
|
|
n'avais rien à craindre.
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|
|
«Aussi, quand vint l'heure du déjeuner, je n'hésitai pas à manger
|
|
et à boire: j'étais résolue à faire semblant de souper, mais à ne
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|
rien prendre: je devais donc par la nourriture du matin combattre
|
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le jeûne du soir.
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«Seulement je cachai un verre d'eau soustraite à mon déjeuner, la
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|
soif ayant été ce qui m'avait le plus fait souffrir quand j'étais
|
|
demeurée quarante-huit heures sans boire ni manger.
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|
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«La journée s'écoula sans avoir d'autre influence sur moi que de
|
|
m'affermir dans la résolution prise: seulement j'eus soin que mon
|
|
visage ne trahît en rien la pensée de mon coeur, car je ne doutais
|
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pas que je ne fusse observée; plusieurs fois même je sentis un
|
|
sourire sur mes lèvres. Felton, je n'ose pas vous dire à quelle
|
|
idée je souriais, vous me prendriez en horreur...
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-- Continuez, continuez, dit Felton, vous voyez bien que j'écoute
|
|
et que j'ai hâte d'arriver.
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|
-- Le soir vint, les événements ordinaires s'accomplirent; pendant
|
|
l'obscurité, comme d'habitude, mon souper fut servi, puis la lampe
|
|
s'alluma, et je me mis à table.
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|
|
«Je mangeai quelques fruits seulement: je fis semblant de me
|
|
verser de l'eau de la carafe, mais je ne bus que celle que j'avais
|
|
conservée dans mon verre, la substitution, au reste, fut faite
|
|
assez adroitement pour que mes espions, si j'en avais, ne
|
|
conçussent aucun soupçon.
|
|
|
|
«Après le souper, je donnai les mêmes marques d'engourdissement
|
|
que la veille; mais cette fois, comme si je succombais à la
|
|
fatigue ou comme si je me familiarisais avec le danger, je me
|
|
traînai vers mon lit, et je fis semblant de m'endormir.
|
|
|
|
«Cette fois, j'avais retrouvé mon couteau sous l'oreiller, et tout
|
|
en feignant de dormir, ma main serrait convulsivement la poignée.
|
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|
«Deux heures s'écoulèrent sans qu'il se passât rien de nouveau:
|
|
cette fois, ô mon Dieu! qui m'eût dit cela la veille? je
|
|
commençais à craindre qu'il ne vînt pas.
|
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|
«Enfin, je vis la lampe s'élever doucement et disparaître dans les
|
|
profondeurs du plafond; ma chambre s'emplit de ténèbres, mais je
|
|
fis un effort pour percer du regard l'obscurité.
|
|
|
|
«Dix minutes à peu près se passèrent. Je n'entendais d'autre bruit
|
|
que celui du battement de mon coeur.
|
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|
«J'implorais le Ciel pour qu'il vînt.
|
|
|
|
«Enfin j'entendis le bruit si connu de la porte qui s'ouvrait et
|
|
se refermait; j'entendis, malgré l'épaisseur du tapis, un pas qui
|
|
faisait crier le parquet; je vis, malgré l'obscurité, une ombre
|
|
qui approchait de mon lit.
|
|
|
|
-- Hâtez-vous, hâtez-vous! dit Felton, ne voyez-vous pas que
|
|
chacune de vos paroles me brûle comme du plomb fondu!
|
|
|
|
-- Alors, continua Milady, alors je réunis toutes mes forces, je
|
|
me rappelai que le moment de la vengeance ou plutôt de la justice
|
|
avait sonné; je me regardai comme une autre Judith; je me ramassai
|
|
sur moi-même, mon couteau à la main, et quand je le vis près de
|
|
moi, étendant les bras pour chercher sa victime, alors, avec le
|
|
dernier cri de la douleur et du désespoir, je le frappai au milieu
|
|
de la poitrine.
|
|
|
|
«Le misérable! il avait tout prévu: sa poitrine était couverte
|
|
d'une cotte de mailles; le couteau s'émoussa.
|
|
|
|
«Ah! ah! s'écria-t-il en me saisissant le bras et en m'arrachant
|
|
l'arme qui m'avait si mal servie, vous en voulez à ma vie, ma
|
|
belle puritaine! mais c'est plus que de la haine, cela, c'est de
|
|
l'ingratitude! Allons, allons, calmez-vous, ma belle enfant!
|
|
j'avais cru que vous étiez adoucie. Je ne suis pas de ces tyrans
|
|
qui gardent les femmes de force: vous ne m'aimez pas, j'en doutais
|
|
avec ma fatuité ordinaire; maintenant j'en suis convaincu. Demain,
|
|
vous serez libre.»
|
|
|
|
«Je n'avais qu'un désir, c'était qu'il me tuât.
|
|
|
|
«Prenez garde! lui dis-je, car ma liberté c'est votre déshonneur.
|
|
Oui, car, à peine sortie d'ici, je dirai tout, je dirai la
|
|
violence dont vous avez usé envers moi, je dirai ma captivité. Je
|
|
dénoncerai ce palais d'infamie; vous êtes bien haut placé, Milord,
|
|
mais tremblez! Au-dessus de vous il y a le roi, au-dessus du roi
|
|
il y a Dieu.»
|
|
|
|
«Si maître qu'il parût de lui, mon persécuteur laissa échapper un
|
|
mouvement de colère. Je ne pouvais voir l'expression de son
|
|
visage, mais j'avais senti frémir son bras sur lequel était posée
|
|
ma main.
|
|
|
|
«-- Alors, vous ne sortirez pas d'ici, dit-il.
|
|
|
|
«-- Bien, bien! m'écriai-je, alors le lieu de mon supplice sera
|
|
aussi celui de mon tombeau. Bien! je mourrai ici et vous verrez si
|
|
un fantôme qui accuse n'est pas plus terrible encore qu'un vivant
|
|
qui menace!
|
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|
|
«-- On ne vous laissera aucune arme.
|
|
|
|
«-- Il y en a une que le désespoir a mise à la portée de toute
|
|
créature qui a le courage de s'en servir. Je me laisserai mourir
|
|
de faim.
|
|
|
|
«-- Voyons, dit le misérable, la paix ne vaut-elle pas mieux
|
|
qu'une pareille guerre? Je vous rends la liberté à l'instant même,
|
|
je vous proclame une vertu, je vous surnomme la Lucrèce de
|
|
l'Angleterre.
|
|
|
|
«-- Et moi je dis que vous en êtes le Sextus, moi je vous dénonce
|
|
aux hommes comme je vous ai déjà dénoncé à Dieu; et s'il faut que,
|
|
comme Lucrèce, je signe mon accusation de mon sang, je la
|
|
signerai.
|
|
|
|
«-- Ah! ah! dit mon ennemi d'un ton railleur, alors c'est autre
|
|
chose. Ma foi, au bout du compte, vous êtes bien ici, rien ne vous
|
|
manquera, et si vous vous laissez mourir de faim ce sera de votre
|
|
faute.»
|
|
|
|
«À ces mots, il se retira, j'entendis s'ouvrir et se refermer la
|
|
porte, et je restai abîmée, moins encore, je l'avoue, dans ma
|
|
douleur, que dans la honte de ne m'être pas vengée.
|
|
|
|
«Il me tint parole. Toute la journée, toute la nuit du lendemain
|
|
s'écoulèrent sans que je le revisse. Mais moi aussi je lui tins
|
|
parole, et je ne mangeai ni ne bus; j'étais, comme je le lui avais
|
|
dit, résolue à me laisser mourir de faim.
|
|
|
|
«Je passai le jour et la nuit en prière, car j'espérais que Dieu
|
|
me pardonnerait mon suicide.
|
|
|
|
«La seconde nuit la porte s'ouvrit; j'étais couchée à terre sur le
|
|
parquet, les forces commençaient à m'abandonner.
|
|
|
|
«Au bruit je me relevai sur une main.
|
|
|
|
«Eh bien, me dit une voix qui vibrait d'une façon trop terrible à
|
|
mon oreille pour que je ne la reconnusse pas, eh bien! sommes-nous
|
|
un peu adoucie et paierons nous notre liberté d'une seule promesse
|
|
de silence?
|
|
|
|
«Tenez, moi, je suis bon prince, ajouta-t-il, et, quoique je
|
|
n'aime pas les puritains, je leur rends justice, ainsi qu'aux
|
|
puritaines, quand elles sont jolies. Allons, faites-moi un petit
|
|
serment sur la croix, je ne vous en demande pas davantage.
|
|
|
|
«-- Sur la croix! m'écriai-je en me relevant, car à cette voix
|
|
abhorrée j'avais retrouvé toutes mes forces; sur la croix! je jure
|
|
que nulle promesse, nulle menace, nulle torture ne me fermera la
|
|
bouche; sur la croix! je jure de vous dénoncer partout comme un
|
|
meurtrier, comme un larron d'honneur, comme un lâche; sur la
|
|
croix! je jure, si jamais je parviens à sortir d'ici, de demander
|
|
vengeance contre vous au genre humain entier.
|
|
|
|
«-- Prenez garde! dit la voix avec un accent de menace que je
|
|
n'avais pas encore entendu, j'ai un moyen suprême, que je
|
|
n'emploierai qu'à la dernière extrémité, de vous fermer la bouche
|
|
ou du moins d'empêcher qu'on ne croie à un seul mot de ce que vous
|
|
direz.»
|
|
|
|
«Je rassemblai toutes mes forces pour répondre par un éclat de
|
|
rire.
|
|
|
|
«Il vit que c'était entre nous désormais une guerre éternelle, une
|
|
guerre à mort.
|
|
|
|
«Écoutez, dit-il, je vous donne encore le reste de cette nuit et
|
|
la journée de demain; réfléchissez: promettez de vous taire, la
|
|
richesse, la considération, les honneurs mêmes vous entoureront;
|
|
menacez de parler, et je vous condamne à l'infamie.
|
|
|
|
«-- Vous! m'écriai-je, vous!
|
|
|
|
«-- À l'infamie éternelle, ineffaçable!
|
|
|
|
«-- Vous!» répétai-je. Oh! je vous le dis, Felton, je le croyais
|
|
insensé!
|
|
|
|
«Oui, moi! reprit-il.
|
|
|
|
«-- Ah! laissez-moi, lui dis-je, sortez, si vous ne voulez pas
|
|
qu'à vos yeux je me brise la tête contre la muraille!
|
|
|
|
«-- C'est bien, reprit-il, vous le voulez, à demain soir!
|
|
|
|
«-- À demain soir, répondis-je en me laissant tomber et en mordant
|
|
le tapis de rage...»
|
|
|
|
Felton s'appuyait sur un meuble, et Milady voyait avec une joie de
|
|
démon que la force lui manquerait peut-être avant la fin du récit.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE LVII
|
|
UN MOYEN DE TRAGÉDIE CLASSIQUE
|
|
|
|
Après un moment de silence employé par Milady à observer le jeune
|
|
homme qui l'écoutait, elle continua son récit:
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|
|
«Il y avait près de trois jours que je n'avais ni bu ni mangé, je
|
|
souffrais des tortures atroces: parfois il me passait comme des
|
|
nuages qui me serraient le front, qui me voilaient les yeux:
|
|
c'était le délire.
|
|
|
|
«Le soir vint; j'étais si faible, qu'à chaque instant je
|
|
m'évanouissais et à chaque fois que je m'évanouissais je
|
|
remerciais Dieu, car je croyais que j'allais mourir.
|
|
|
|
«Au milieu de l'un de ces évanouissements, j'entendis la porte
|
|
s'ouvrir; la terreur me rappela à moi.
|
|
|
|
«Mon persécuteur entra suivi d'un homme masqué, il était masqué
|
|
lui-même; mais je reconnus son pas, je reconnus cet air imposant
|
|
que l'enfer a donné à sa personne pour le malheur de l'humanité.
|
|
|
|
«Eh bien, me dit-il, êtes-vous décidée à me faire le serment que
|
|
je vous ai demandé?
|
|
|
|
«Vous l'avez dit, les puritains n'ont qu'une parole: la mienne,
|
|
vous l'avez entendue, c'est de vous poursuivre sur la terre au
|
|
tribunal des hommes, dans le ciel au tribunal de Dieu!
|
|
|
|
«Ainsi, vous persistez?
|
|
|
|
«Je le jure devant ce Dieu qui m'entend: je prendrai le monde
|
|
entier à témoin de votre crime, et cela jusqu'à ce que j'aie
|
|
trouvé un vengeur.
|
|
|
|
«Vous êtes une prostituée, dit-il d'une voix tonnante, et vous
|
|
subirez le supplice des prostituées! Flétrie aux yeux du monde que
|
|
vous invoquerez, tâchez de prouver à ce monde que vous n'êtes ni
|
|
coupable ni folle!»
|
|
|
|
«Puis s'adressant à l'homme qui l'accompagnait:
|
|
|
|
«Bourreau, dit-il, fais ton devoir.»
|
|
|
|
-- Oh! son nom, son nom! s'écria Felton; son nom, dites-le-moi!
|
|
|
|
-- Alors, malgré mes cris, malgré ma résistance, car je commençais
|
|
à comprendre qu'il s'agissait pour moi de quelque chose de pire
|
|
que la mort, le bourreau me saisit, me renversa sur le parquet, me
|
|
meurtrit de ses étreintes, et suffoquée par les sanglots, presque
|
|
sans connaissance invoquant Dieu, qui ne m'écoutait pas, je
|
|
poussai tout à coup un effroyable cri de douleur et de honte; un
|
|
fer brûlant, un fer rouge, le fer du bourreau, s'était imprimé sur
|
|
mon épaule.»
|
|
|
|
Felton poussa un rugissement.
|
|
|
|
«Tenez, dit Milady, en se levant alors avec une majesté de reine,
|
|
-- tenez, Felton, voyez comment on a inventé un nouveau martyre
|
|
pour la jeune fille pure et cependant victime de la brutalité d'un
|
|
scélérat. Apprenez à connaître le coeur des hommes, et désormais
|
|
faites-vous moins facilement l'instrument de leurs injustes
|
|
vengeances.»
|
|
|
|
Milady d'un geste rapide ouvrit sa robe, déchira la batiste qui
|
|
couvrait son sein, et, rouge d'une feinte colère et d'une honte
|
|
jouée, montra au jeune homme l'empreinte ineffaçable qui
|
|
déshonorait cette épaule si belle.
|
|
|
|
«Mais, s'écria Felton, c'est une fleur de lis que je vois là!
|
|
|
|
-- Et voilà justement où est l'infamie, répondit Milady. La
|
|
flétrissure d'Angleterre!... il fallait prouver quel tribunal me
|
|
l'avait imposée, et j'aurais fait un appel public à tous les
|
|
tribunaux du royaume; mais la flétrissure de France... oh! par
|
|
elle, j'étais bien réellement flétrie.»
|
|
|
|
C'en était trop pour Felton.
|
|
|
|
Pâle, immobile, écrasé par cette révélation effroyable, ébloui par
|
|
la beauté surhumaine de cette femme qui se dévoilait à lui avec
|
|
une impudeur qu'il trouva sublime, il finit par tomber à genoux
|
|
devant elle comme faisaient les premiers chrétiens devant ces
|
|
pures et saintes martyres que la persécution des empereurs livrait
|
|
dans le cirque à la sanguinaire lubricité des populaces. La
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flétrissure disparut, la beauté seule resta.
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«Pardon, pardon! s'écria Felton, oh! pardon!»
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Milady lut dans ses yeux: Amour, amour.
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«Pardon de quoi? demanda-t-elle.
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-- Pardon de m'être joint à vos persécuteurs.»
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Milady lui tendit la main.
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«Si belle, si jeune!» s'écria Felton en couvrant cette main de
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baisers.
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Milady laissa tomber sur lui un de ces regards qui d'un esclave
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font un roi.
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Felton était puritain: il quitta la main de cette femme pour
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baiser ses pieds.
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Il ne l'aimait déjà plus, il l'adorait.
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Quand cette crise fut passée, quand Milady parut avoir recouvré
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son sang-froid, qu'elle n'avait jamais perdu; lorsque Felton eut
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vu se refermer sous le voile de la chasteté ces trésors d'amour
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qu'on ne lui cachait si bien que pour les lui faire désirer plus
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ardemment:
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«Ah! maintenant, dit-il, je n'ai plus qu'une chose à vous
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demander, c'est le nom de votre véritable bourreau; car pour moi
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il n'y en a qu'un; l'autre était l'instrument, voilà tout.
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-- Eh quoi, frère! s'écria Milady, il faut encore que je te le
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nomme, et tu ne l'as pas deviné?
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-- Quoi! reprit Felton, lui!... encore lui!... toujours lui!...
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Quoi! le vrai coupable...
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-- Le vrai coupable, dit Milady, c'est le ravageur de
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l'Angleterre, le persécuteur des vrais croyants, le lâche
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ravisseur de l'honneur de tant de femmes, celui qui pour un
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caprice de son coeur corrompu va faire verser tant de sang à deux
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|
royaumes, qui protège les protestants aujourd'hui et qui les
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trahira demain...
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-- Buckingham! c'est donc Buckingham!» s'écria Felton exaspéré.
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Milady cacha son visage dans ses mains, comme si elle n'eût pu
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supporter la honte que lui rappelait ce nom.
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«Buckingham, le bourreau de cette angélique créature! s'écria
|
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Felton. Et tu ne l'as pas foudroyé, mon Dieu! et tu l'as laissé
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noble, honoré, puissant pour notre perte à tous!
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-- Dieu abandonne qui s'abandonne lui-même, dit Milady.
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-- Mais il veut donc attirer sur sa tête le châtiment réservé aux
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maudits! continua Felton avec une exaltation croissante, il veut
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donc que la vengeance humaine prévienne la justice céleste!
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-- Les hommes le craignent et l'épargnent.
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-- Oh! moi, dit Felton, je ne le crains pas et je ne l'épargnerai
|
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pas!...»
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Milady sentit son âme baignée d'une joie infernale.
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|
«Mais comment Lord de Winter, mon protecteur, mon père, demanda
|
|
Felton, se trouve-t-il mêlé à tout cela?
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-- Écoutez, Felton, reprit Milady, car à côté des hommes lâches et
|
|
méprisables, il est encore des natures grandes et généreuses.
|
|
J'avais un fiancé, un homme que j'aimais et qui m'aimait; un coeur
|
|
comme le vôtre, Felton, un homme comme vous. Je vins à lui et je
|
|
lui racontai tout, il me connaissait, celui-là, et ne douta point
|
|
un instant. C'était un grand seigneur, c'était un homme en tout
|
|
point l'égal de Buckingham. Il ne dit rien, il ceignit seulement
|
|
son épée, s'enveloppa de son manteau et se rendit à Buckingham
|
|
Palace.
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|
-- Oui, oui, dit Felton, je comprends; quoique avec de pareils
|
|
hommes ce ne soit pas l'épée qu'il faille employer, mais le
|
|
poignard.
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|
|
|
-- Buckingham était parti depuis la veille, envoyé comme
|
|
ambassadeur en Espagne, où il allait demander la main de l'infante
|
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pour le roi Charles Ier, qui n'était alors que prince de Galles.
|
|
Mon fiancé revint.
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|
|
«Écoutez, me dit-il, cet homme est parti, et pour le moment, par
|
|
conséquent, il échappe à ma vengeance; mais en attendant soyons
|
|
unis, comme nous devions l'être, puis rapportez-vous-en à Lord de
|
|
Winter pour soutenir son honneur et celui de sa femme.»
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|
-- Lord de Winter! s'écria Felton.
|
|
|
|
-- Oui, dit Milady, Lord de Winter, et maintenant vous devez tout
|
|
comprendre, n'est-ce pas? Buckingham resta plus d'un an absent.
|
|
Huit jours avant son arrivée, Lord de Winter mourut subitement, me
|
|
laissant sa seule héritière. D'où venait le coup? Dieu, qui sait
|
|
tout, le sait sans doute, moi je n'accuse personne...
|
|
|
|
-- Oh! quel abîme, quel abîme! s'écria Felton.
|
|
|
|
-- Lord de Winter était mort sans rien dire à son frère. Le secret
|
|
terrible devait être caché à tous, jusqu'à ce qu'il éclatât comme
|
|
la foudre sur la tête du coupable. Votre protecteur avait vu avec
|
|
peine ce mariage de son frère aîné avec une jeune fille sans
|
|
fortune. Je sentis que je ne pouvais attendre d'un homme trompé
|
|
dans ses espérances d'héritage aucun appui. Je passai en France
|
|
résolue à y demeurer pendant tout le reste de ma vie. Mais toute
|
|
ma fortune est en Angleterre; les communications fermées par la
|
|
guerre, tout me manqua: force fut alors d'y revenir; il y a six
|
|
jours j'abordais à Portsmouth.
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|
|
-- Eh bien? dit Felton.
|
|
|
|
-- Eh bien, Buckingham apprit sans doute mon retour, il en parla à
|
|
Lord de Winter, déjà prévenu contre moi, et lui dit que sa belle-
|
|
soeur était une prostituée, une femme flétrie. La voix pure et
|
|
noble de mon mari n'était plus là pour me défendre. Lord de Winter
|
|
crut tout ce qu'on lui dit, avec d'autant plus de facilité qu'il
|
|
avait intérêt à le croire. Il me fit arrêter, me conduisit ici, me
|
|
remit sous votre garde. Vous savez le reste: après-demain il me
|
|
bannit, il me déporte; après-demain il me relègue parmi les
|
|
infâmes. Oh! la trame est bien ourdie, allez! le complot est
|
|
habile et mon honneur n'y survivra pas. Vous voyez bien qu'il faut
|
|
que je meure, Felton; Felton, donnez-moi ce couteau!»
|
|
|
|
Et à ces mots, comme si toutes ses forces étaient épuisées, Milady
|
|
se laissa aller débile et languissante entre les bras du jeune
|
|
officier, qui, ivre d'amour, de colère et de voluptés inconnues,
|
|
la reçut avec transport, la serra contre son coeur, tout
|
|
frissonnant à l'haleine de cette bouche si belle, tout éperdu au
|
|
contact de ce sein si palpitant.
|
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|
|
«Non, non, dit-il; non, tu vivras honorée et pure, tu vivras pour
|
|
triompher de tes ennemis.»
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|
Milady le repoussa lentement de la main en l'attirant du regard;
|
|
mais Felton, à son tour, s'empara d'elle, l'implorant comme une
|
|
Divinité.
|
|
|
|
«Oh! la mort, la mort! dit-elle en voilant sa voix et ses
|
|
paupières, oh! la mort plutôt que la honte; Felton, mon frère, mon
|
|
ami, je t'en conjure!
|
|
|
|
-- Non, s'écria Felton, non, tu vivras, et tu seras vengée!
|
|
|
|
-- Felton, je porte malheur à tout ce qui m'entoure! Felton,
|
|
abandonne-moi! Felton, laisse-moi mourir!
|
|
|
|
-- Eh bien, nous mourrons donc ensemble!» s'écria-t-il en appuyant
|
|
ses lèvres sur celles de la prisonnière.
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|
|
Plusieurs coups retentirent à la porte; cette fois, Milady le
|
|
repoussa réellement.
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«Écoutez, dit-elle, on nous a entendus, on vient! c'en est fait,
|
|
nous sommes perdus!
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|
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-- Non, dit Felton, c'est la sentinelle qui me prévient seulement
|
|
qu'une ronde arrive.
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|
|
-- Alors, courez à la porte et ouvrez vous-même.»
|
|
|
|
Felton obéit; cette femme était déjà toute sa pensée, toute son
|
|
âme.
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|
|
|
Il se trouva en face d'un sergent commandant une patrouille de
|
|
surveillance.
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|
«Eh bien, qu'y a-t-il? demanda le jeune lieutenant.
|
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|
|
-- Vous m'aviez dit d'ouvrir la porte si j'entendais crier au
|
|
secours, dit le soldat, mais vous aviez oublié de me laisser la
|
|
clef; je vous ai entendu crier sans comprendre ce que vous disiez,
|
|
j'ai voulu ouvrir la porte, elle était fermée en dedans, alors
|
|
j'ai appelé le sergent.
|
|
|
|
-- Et me voilà», dit le sergent.
|
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|
Felton, égaré, presque fou, demeurait sans voix.
|
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Milady comprit que c'était à elle de s'emparer de la situation,
|
|
elle courut à la table et prit le couteau qu'y avait déposé
|
|
Felton:
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|
«Et de quel droit voulez-vous m'empêcher de mourir? dit-elle.
|
|
|
|
-- Grand Dieu!» s'écria Felton en voyant le couteau luire à sa
|
|
main.
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|
|
|
En ce moment, un éclat de rire ironique retentit dans le corridor.
|
|
|
|
Le baron, attiré par le bruit, en robe de chambre, son épée sous
|
|
le bras, se tenait debout sur le seuil de la porte.
|
|
|
|
«Ah! ah! dit-il, nous voici au dernier acte de la tragédie; vous
|
|
le voyez, Felton, le drame a suivi toutes les phases que j'avais
|
|
indiquées; mais soyez tranquille, le sang ne coulera pas.»
|
|
|
|
Milady comprit qu'elle était perdue si elle ne donnait pas à
|
|
Felton une preuve immédiate et terrible de son courage.
|
|
|
|
«Vous vous trompez, Milord, le sang coulera, et puisse ce sang
|
|
retomber sur ceux qui le font couler!»
|
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|
Felton jeta un cri et se précipita vers elle; il était trop tard:
|
|
Milady s'était frappée. Mais le couteau avait rencontré,
|
|
heureusement, nous devrions dire adroitement, le busc de fer qui,
|
|
à cette époque, défendait comme une cuirasse la poitrine des
|
|
femmes; il avait glissé en déchirant la robe, et avait pénétré de
|
|
biais entre la chair et les côtes.
|
|
|
|
La robe de Milady n'en fut pas moins tachée de sang en une
|
|
seconde.
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|
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|
Milady était tombée à la renverse et semblait évanouie.
|
|
|
|
Felton arracha le couteau.
|
|
|
|
«Voyez, Milord, dit-il d'un air sombre, voici une femme qui était
|
|
sous ma garde et qui s'est tuée!
|
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|
-- Soyez tranquille, Felton, dit Lord de Winter, elle n'est pas
|
|
morte, les démons ne meurent pas si facilement, soyez tranquille
|
|
et allez m'attendre chez moi.
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|
-- Mais, Milord...
|
|
|
|
-- Allez, je vous l'ordonne.»
|
|
|
|
À cette injonction de son supérieur, Felton obéit; mais, en
|
|
sortant, il mit le couteau dans sa poitrine.
|
|
|
|
Quant à Lord de Winter, il se contenta d'appeler la femme qui
|
|
servait Milady et, lorsqu'elle fut venue, lui recommandant la
|
|
prisonnière toujours évanouie, il la laissa seule avec elle.
|
|
|
|
Cependant, comme à tout prendre, malgré ses soupçons, la blessure
|
|
pouvait être grave, il envoya, à l'instant même, un homme à cheval
|
|
chercher un médecin.
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|
CHAPITRE LVIII
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|
ÉVASION
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Comme l'avait pensé Lord de Winter, la blessure de Milady n'était
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pas dangereuse; aussi dès qu'elle se trouva seule avec la femme
|
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que le baron avait fait appeler et qui se hâtait de la
|
|
déshabiller, rouvrit-elle les yeux.
|
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|
|
Cependant, il fallait jouer la faiblesse et la douleur; ce
|
|
n'étaient pas choses difficiles pour une comédienne comme Milady;
|
|
aussi la pauvre femme fut-elle si complètement dupe de sa
|
|
prisonnière, que, malgré ses instances, elle s'obstina à la
|
|
veiller toute la nuit.
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|
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|
Mais la présence de cette femme n'empêchait pas Milady de songer.
|
|
|
|
Il n'y avait plus de doute, Felton était convaincu, Felton était à
|
|
elle: un ange apparût-il au jeune homme pour accuser Milady, il le
|
|
prendrait certainement, dans la disposition d'esprit où il se
|
|
trouvait, pour un envoyé du démon.
|
|
|
|
Milady souriait à cette pensée, car Felton, c'était désormais sa
|
|
seule espérance, son seul moyen de salut.
|
|
|
|
Mais Lord de Winter pouvait l'avoir soupçonné, mais Felton
|
|
maintenant pouvait être surveillé lui-même.
|
|
|
|
Vers les quatre heures du matin, le médecin arriva; mais depuis le
|
|
temps où Milady s'était frappée, la blessure s'était déjà
|
|
refermée: le médecin ne put donc en mesurer ni la direction, ni la
|
|
profondeur; il reconnut seulement au pouls de la malade que le cas
|
|
n'était point grave.
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|
Le matin, Milady, sous prétexte qu'elle n'avait pas dormi de la
|
|
nuit et qu'elle avait besoin de repos, renvoya la femme qui
|
|
veillait près d'elle.
|
|
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Elle avait une espérance, c'est que Felton arriverait à l'heure du
|
|
déjeuner, mais Felton ne vint pas.
|
|
|
|
Ses craintes s'étaient-elles réalisées? Felton, soupçonné par le
|
|
baron, allait-il lui manquer au moment décisif? Elle n'avait plus
|
|
qu'un jour: Lord de Winter lui avait annoncé son embarquement pour
|
|
le 23 et l'on était arrivé au matin du 22.
|
|
|
|
Néanmoins, elle attendit encore assez patiemment jusqu'à l'heure
|
|
du dîner.
|
|
|
|
Quoiqu'elle n'eût pas mangé le matin, le dîner fut apporté à
|
|
l'heure habituelle; Milady s'aperçut alors avec effroi que
|
|
l'uniforme des soldats qui la gardaient était changé.
|
|
|
|
Alors elle se hasarda à demander ce qu'était devenu Felton. On lui
|
|
répondit que Felton était monté à cheval il y avait une heure, et
|
|
était parti.
|
|
|
|
Elle s'informa si le baron était toujours au château; le soldat
|
|
répondit que oui, et qu'il avait ordre de le prévenir si la
|
|
prisonnière désirait lui parler.
|
|
|
|
Milady répondit qu'elle était trop faible pour le moment, et que
|
|
son seul désir était de demeurer seule.
|
|
|
|
Le soldat sortit, laissant le dîner servi.
|
|
|
|
Felton était écarté, les soldats de marine étaient changés, on se
|
|
défiait donc de Felton.
|
|
|
|
C'était le dernier coup porté à la prisonnière.
|
|
|
|
Restée seule, elle se leva; ce lit où elle se tenait par prudence
|
|
et pour qu'on la crût gravement blessée, la brûlait comme un
|
|
brasier ardent. Elle jeta un coup d'oeil sur la porte: le baron
|
|
avait fait clouer une planche sur le guichet; il craignait sans
|
|
doute que, par cette ouverture, elle ne parvint encore, par
|
|
quelque moyen diabolique, à séduire les gardes.
|
|
|
|
Milady sourit de joie; elle pouvait donc se livrer à ses
|
|
transports sans être observée: elle parcourait la chambre avec
|
|
l'exaltation d'une folle furieuse ou d'une tigresse enfermée dans
|
|
une cage de fer. Certes, si le couteau lui fût resté, elle eût
|
|
songé, non plus à se tuer elle-même, mais, cette fois, à tuer le
|
|
baron.
|
|
|
|
À six heures, Lord de Winter entra; il était armé jusqu'aux dents.
|
|
Cet homme, dans lequel, jusque-là, Milady n'avait vu qu'un
|
|
gentleman assez niais, était devenu un admirable geôlier: il
|
|
semblait tout prévoir, tout deviner, tout prévenir.
|
|
|
|
Un seul regard jeté sur Milady lui apprit ce qui se passait dans
|
|
son âme.
|
|
|
|
«Soit, dit-il, mais vous ne me tuerez point encore aujourd'hui;
|
|
vous n'avez plus d'armes, et d'ailleurs je suis sur mes gardes.
|
|
Vous aviez commencé à pervertir mon pauvre Felton: il subissait
|
|
déjà votre infernale influence, mais je veux le sauver, il ne vous
|
|
verra plus, tout est fini. Rassemblez vos hardes, demain vous
|
|
partirez. J'avais fixé l'embarquement au 24, mais j'ai pensé que
|
|
plus la chose serait rapprochée, plus elle serait sûre. Demain à
|
|
midi j'aurai l'ordre de votre exil, signé Buckingham. Si vous
|
|
dites un seul mot à qui que ce soit avant d'être sur le navire,
|
|
mon sergent vous fera sauter la cervelle, et il en a l'ordre; si,
|
|
sur le navire, vous dites un mot à qui que ce soit avant que le
|
|
capitaine vous le permette, le capitaine vous fait jeter à la mer,
|
|
c'est convenu. Au revoir, voilà ce que pour aujourd'hui j'avais à
|
|
vous dire. Demain je vous reverrai pour vous faire mes adieux!»
|
|
|
|
Et sur ces paroles le baron sortit.
|
|
|
|
Milady avait écouté toute cette menaçante tirade le sourire du
|
|
dédain sur les lèvres, mais la rage dans le coeur.
|
|
|
|
On servit le souper; Milady sentit qu'elle avait besoin de forces,
|
|
elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui
|
|
s'approchait menaçante, car de gros nuages roulaient au ciel, et
|
|
des éclairs lointains annonçaient un orage.
|
|
|
|
L'orage éclata vers les dix heures du soir: Milady sentait une
|
|
consolation à voir la nature partager le désordre de son coeur; la
|
|
foudre grondait dans l'air comme la colère dans sa pensée, il lui
|
|
semblait que la rafale, en passant, échevelait son front comme les
|
|
arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles;
|
|
elle hurlait comme l'ouragan, et sa voix se perdait dans la grande
|
|
voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gémir et se
|
|
désespérer.
|
|
|
|
Tout à coup elle entendit frapper à une vitre, et, à la lueur d'un
|
|
éclair, elle vit le visage d'un homme apparaître derrière les
|
|
barreaux.
|
|
|
|
Elle courut à la fenêtre et l'ouvrit.
|
|
|
|
«Felton! s'écria-t-elle, je suis sauvée!
|
|
|
|
-- Oui, dit Felton! mais silence, silence! il me faut le temps de
|
|
scier vos barreaux. Prenez garde seulement qu'ils ne vous voient
|
|
par le guichet.
|
|
|
|
-- Oh! c'est une preuve que le Seigneur est pour nous, Felton,
|
|
reprit Milady, ils ont fermé le guichet avec une planche.
|
|
|
|
-- C'est bien, Dieu les a rendus insensés! dit Felton.
|
|
|
|
-- Mais que faut-il que je fasse? demanda Milady.
|
|
|
|
-- Rien, rien; refermez la fenêtre seulement. Couchez-vous, ou, du
|
|
moins, mettez-vous dans votre lit tout habillée; quand j'aurai
|
|
fini, je frapperai aux carreaux. Mais pourrez-vous me suivre?
|
|
|
|
-- Oh! oui.
|
|
|
|
-- Votre blessure?
|
|
|
|
-- Me fait souffrir, mais ne m'empêche pas de marcher.
|
|
|
|
-- Tenez-vous donc prête au premier signal.»
|
|
|
|
Milady referma la fenêtre, éteignit la lampe, et alla, comme le
|
|
lui avait recommandé Felton, se blottir dans son lit. Au milieu
|
|
des plaintes de l'orage, elle entendait le grincement de la lime
|
|
contre les barreaux, et, à la lueur de chaque éclair, elle
|
|
apercevait l'ombre de Felton derrière les vitres.
|
|
|
|
Elle passa une heure sans respirer, haletante, la sueur sur le
|
|
front, et le coeur serré par une épouvantable angoisse à chaque
|
|
mouvement qu'elle entendait dans le corridor.
|
|
|
|
Il y a des heures qui durent une année.
|
|
|
|
Au bout d'une heure, Felton frappa de nouveau.
|
|
|
|
Milady bondit hors de son lit et alla ouvrir. Deux barreaux de
|
|
moins formaient une ouverture à passer un homme.
|
|
|
|
«Êtes-vous prête? demanda Felton.
|
|
|
|
-- Oui. Faut-il que j'emporte quelque chose?
|
|
|
|
-- De l'or, si vous en avez.
|
|
|
|
-- Oui, heureusement on m'a laissé ce que j'en avais.
|
|
|
|
-- Tant mieux, car j'ai usé tout le mien pour fréter une barque.
|
|
|
|
-- Prenez», dit Milady en mettant aux mains de Felton un sac plein
|
|
d'or.
|
|
|
|
Felton prit le sac et le jeta au pied du mur.
|
|
|
|
«Maintenant, dit-il, voulez-vous venir?
|
|
|
|
-- Me voici.»
|
|
|
|
Milady monta sur un fauteuil et passa tout le haut de son corps
|
|
par la fenêtre: elle vit le jeune officier suspendu au-dessus de
|
|
l'abîme par une échelle de corde.
|
|
|
|
Pour la première fois, un mouvement de terreur lui rappela qu'elle
|
|
était femme.
|
|
|
|
Le vide l'épouvantait.
|
|
|
|
«Je m'en étais douté, dit Felton.
|
|
|
|
-- Ce n'est rien, ce n'est rien, dit Milady, je descendrai les
|
|
yeux fermés.
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|
|
|
-- Avez-vous confiance en moi? dit Felton.
|
|
|
|
-- Vous le demandez?
|
|
|
|
-- Rapprochez vos deux mains; croisez-les, c'est bien.»
|
|
|
|
Felton lui lia les deux poignets avec son mouchoir, puis par-
|
|
dessus le mouchoir, avec une corde.
|
|
|
|
«Que faites-vous? demanda Milady avec surprise.
|
|
|
|
-- Passez vos bras autour de mon cou et ne craignez rien.
|
|
|
|
-- Mais je vous ferai perdre l'équilibre, et nous nous briserons
|
|
tous les deux.
|
|
|
|
-- Soyez tranquille, je suis marin.»
|
|
|
|
Il n'y avait pas une seconde à perdre; Milady passa ses deux bras
|
|
autour du cou de Felton et se laissa glisser hors de la fenêtre.
|
|
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Felton se mit à descendre les échelons lentement et un à un.
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Malgré la pesanteur des deux corps, le souffle de l'ouragan les
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balançait dans l'air.
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Tout à coup Felton s'arrêta.
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«Qu'y a-t-il? demanda Milady.
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-- Silence, dit Felton, j'entends des pas.
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-- Nous sommes découverts!»
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Il se fit un silence de quelques instants.
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«Non, dit Felton, ce n'est rien.
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-- Mais enfin quel est ce bruit?
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-- Celui de la patrouille qui va passer sur le chemin de ronde.
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-- Où est le chemin de ronde?
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-- Juste au-dessous de nous.
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-- Elle va nous découvrir.
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-- Non, s'il ne fait pas d'éclairs.
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-- Elle heurtera le bas de l'échelle.
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-- Heureusement elle est trop courte de six pieds.
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-- Les voilà, mon Dieu!
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-- Silence!»
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Tous deux restèrent suspendus, immobiles et sans souffle, à vingt
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pieds du sol; pendant ce temps les soldats passaient au-dessous
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riant et causant.
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Il y eut pour les fugitifs un moment terrible.
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La patrouille passa; on entendit le bruit des pas qui s'éloignait,
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et le murmure des voix qui allait s'affaiblissant.
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«Maintenant, dit Felton, nous sommes sauvés.»
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Milady poussa un soupir et s'évanouit.
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Felton continua de descendre. Parvenu au bas de l'échelle, et
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lorsqu'il ne sentit plus d'appui pour ses pieds, il se cramponna
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avec ses mains; enfin, arrivé au dernier échelon il se laissa
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pendre à la force des poignets et toucha la terre. Il se baissa,
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ramassa le sac d'or et le prit entre ses dents.
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Puis il souleva Milady dans ses bras, et s'éloigna vivement du
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côté opposé à celui qu'avait pris la patrouille. Bientôt il quitta
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le chemin de ronde, descendit à travers les rochers, et, arrivé au
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bord de la mer, fit entendre un coup de sifflet.
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Un signal pareil lui répondit, et, cinq minutes après, il vit
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apparaître une barque montée par quatre hommes.
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La barque s'approcha aussi près qu'elle put du rivage, mais il n'y
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avait pas assez de fond pour qu'elle pût toucher le bord; Felton
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se mit à l'eau jusqu'à la ceinture, ne voulant confier à personne
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son précieux fardeau.
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Heureusement la tempête commençait à se calmer, et cependant la
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mer était encore violente; la petite barque bondissait sur les
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vagues comme une coquille de noix.
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«Au sloop, dit Felton, et nagez vivement.»
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Les quatre hommes se mirent à la rame; mais la mer était trop
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grosse pour que les avirons eussent grande prise dessus.
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Toutefois on s'éloignait du château; c'était le principal. La nuit
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était profondément ténébreuse, et il était déjà presque impossible
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de distinguer le rivage de la barque, à plus forte raison n'eût-on
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pas pu distinguer la barque du rivage.
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Un point noir se balançait sur la mer.
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C'était le sloop.
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Pendant que la barque s'avançait de son côté de toute la force de
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ses quatre rameurs, Felton déliait la corde, puis le mouchoir qui
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liait les mains de Milady.
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Puis, lorsque ses mains furent déliées, il prit de l'eau de la mer
|
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et la lui jeta au visage.
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Milady poussa un soupir et ouvrit les yeux.
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«Où suis-je? dit-elle.
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-- Sauvée, répondit le jeune officier.
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-- Oh! sauvée! sauvée! s'écria-t-elle. Oui, voici le ciel, voici
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la mer! Cet air que je respire, c'est celui de la liberté. Ah!...
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merci, Felton, merci!»
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Le jeune homme la pressa contre son coeur.
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«Mais qu'ai-je donc aux mains? demanda Milady; il me semble qu'on
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m'a brisé les poignets dans un étau.»
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En effet, Milady souleva ses bras: elle avait les poignets
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meurtris.
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«Hélas! dit Felton en regardant ces belles mains et en secouant
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doucement la tête.
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-- Oh! ce n'est rien, ce n'est rien! s'écria Milady: maintenant je
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me rappelle!»
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Milady chercha des yeux autour d'elle.
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«Il est là», dit Felton en poussant du pied le sac d'or.
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On s'approchait du sloop. Le marin de quart héla la barque, la
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barque répondit.
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«Quel est ce bâtiment? demanda Milady.
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-- Celui que j'ai frété pour vous.
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-- Où va-t-il me conduire?
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-- Où vous voudrez, pourvu que, moi, vous me jetiez à Portsmouth.
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-- Qu'allez-vous faire à Portsmouth? demanda Milady.
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-- Accomplir les ordres de Lord de Winter, dit Felton avec un
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sombre sourire.
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-- Quels ordres? demanda Milady.
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-- Vous ne comprenez donc pas? dit Felton.
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-- Non; expliquez-vous, je vous en prie.
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-- Comme il se défiait de moi, il a voulu vous garder lui-même, et
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m'a envoyé à sa place faire signer à Buckingham l'ordre de votre
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déportation.
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-- Mais s'il se défiait de vous, comment vous a-t-il confié cet
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ordre?
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-- Étais-je censé savoir ce que je portais?
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-- C'est juste. Et vous allez à Portsmouth?
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-- Je n'ai pas de temps à perdre: c'est demain le 23, et
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Buckingham part demain avec la flotte.
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-- Il part demain, pour où part-il?
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-- Pour La Rochelle.
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-- Il ne faut pas qu'il parte! s'écria Milady, oubliant sa
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présence d'esprit accoutumée.
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-- Soyez tranquille, répondit Felton, il ne partira pas.»
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Milady tressaillit de joie; elle venait de lire au plus profond du
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coeur du jeune homme: la mort de Buckingham y était écrite en
|
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toutes lettres.
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«Felton..., dit-elle, vous êtes grand comme Judas Macchabée! Si
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vous mourez, je meurs avec vous: voilà tout ce que je puis vous
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dire.
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-- Silence! dit Felton, nous sommes arrivés.»
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En effet, on touchait au sloop.
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Felton monta le premier à l'échelle et donna la main à Milady,
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tandis que les matelots la soutenaient, car la mer était encore
|
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fort agitée.
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Un instant après ils étaient sur le pont.
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«Capitaine, dit Felton, voici la personne dont je vous ai parlé,
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et qu'il faut conduire saine et sauve en France.
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-- Moyennant mille pistoles, dit le capitaine.
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-- Je vous en ai donné cinq cents.
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-- C'est juste, dit le capitaine.
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|
-- Et voilà les cinq cents autres, reprit Milady, en portant la
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|
main au sac d'or.
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-- Non, dit le capitaine, je n'ai qu'une parole, et je l'ai donnée
|
|
à ce jeune homme; les cinq cents autres pistoles ne me sont dues
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qu'en arrivant à Boulogne.
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-- Et nous y arriverons?
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-- Sains et saufs, dit le capitaine, aussi vrai que je m'appelle
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Jack Buttler.
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-- Eh bien, dit Milady, si vous tenez votre parole, ce n'est pas
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cinq cents, mais mille pistoles que je vous donnerai.
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-- Hurrah pour vous alors, ma belle dame, cria le capitaine, et
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|
puisse Dieu m'envoyer souvent des pratiques comme Votre
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Seigneurie!
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-- En attendant, dit Felton, conduisez-nous dans la petite baie de
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Chichester, en avant de Portsmouth; vous savez qu'il est convenu
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que vous nous conduirez là.»
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Le capitaine répondit en commandant la manoeuvre nécessaire, et
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vers les sept heures du matin le petit bâtiment jetait l'ancre
|
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dans la baie désignée.
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|
Pendant cette traversée, Felton avait tout raconté à Milady:
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comment, au lieu d'aller à Londres, il avait frété le petit
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bâtiment, comment il était revenu, comment il avait escaladé la
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muraille en plaçant dans les interstices des pierres, à mesure
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qu'il montait, des crampons, pour assurer ses pieds, et comment
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enfin, arrivé aux barreaux, il avait attaché l'échelle, Milady
|
|
savait le reste.
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|
De son côté, Milady essaya d'encourager Felton dans son projet,
|
|
mais aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, elle vit bien
|
|
que le jeune fanatique avait plutôt besoin d'être modéré que
|
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d'être affermi.
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Il fut convenu que Milady attendrait Felton jusqu'à dix heures; si
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à dix heures il n'était pas de retour, elle partirait.
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Alors, en supposant qu'il fût libre, il la rejoindrait en France,
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au couvent des Carmélites de Béthune.
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CHAPITRE LIX
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CE QUI SE PASSAIT À PORTSMOUTH LE 23 AOÛT 1628
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Felton prit congé de Milady comme un frère qui va faire une simple
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promenade prend congé de sa soeur en lui baisant la main.
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Toute sa personne paraissait dans son état de calme ordinaire:
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|
seulement une lueur inaccoutumée brillait dans ses yeux, pareille
|
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à un reflet de fièvre; son front était plus pâle encore que de
|
|
coutume; ses dents étaient serrées, et sa parole avait un accent
|
|
bref et saccadé qui indiquait que quelque chose de sombre
|
|
s'agitait en lui.
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|
Tant qu'il resta sur la barque qui le conduisait à terre, il
|
|
demeura le visage tourné du côté de Milady, qui, debout sur le
|
|
pont, le suivait des yeux. Tous deux étaient assez rassurés sur la
|
|
crainte d'être poursuivis: on n'entrait jamais dans la chambre de
|
|
Milady avant neuf heures; et il fallait trois heures pour venir du
|
|
château à Londres.
|
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|
Felton mit pied à terre, gravit la petite crête qui conduisait au
|
|
haut de la falaise, salua Milady une dernière fois, et prit sa
|
|
course vers la ville.
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|
Au bout de cent pas, comme le terrain allait en descendant, il ne
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|
pouvait plus voir que le mât du sloop.
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Il courut aussitôt dans la direction de Portsmouth, dont il voyait
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en face de lui, à un demi-mille à peu près, se dessiner dans la
|
|
brume du matin les tours et les maisons.
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Au-delà de Portsmouth, la mer était couverte de vaisseaux dont on
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voyait les mâts, pareils à une forêt de peupliers dépouillés par
|
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l'hiver, se balancer sous le souffle du vent.
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Felton, dans sa marche rapide, repassait ce que dix années de
|
|
méditations ascétiques et un long séjour au milieu des puritains
|
|
lui avaient fourni d'accusations vraies ou fausses contre le
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|
favori de Jacques VI et de Charles Ier.
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|
Lorsqu'il comparait les crimes publics de ce ministre, crimes
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éclatants, crimes européens, si on pouvait le dire, avec les
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|
crimes privés et inconnus dont l'avait chargé Milady, Felton
|
|
trouvait que le plus coupable des deux hommes que renfermait
|
|
Buckingham était celui dont le public ne connaissait pas la vie.
|
|
C'est que son amour si étrange, si nouveau, si ardent, lui faisait
|
|
voir les accusations infâmes et imaginaires de Lady de Winter,
|
|
comme on voit au travers d'un verre grossissant, à l'état de
|
|
monstres effroyables, des atomes imperceptibles en réalité auprès
|
|
d'une fourmi.
|
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|
|
La rapidité de sa course allumait encore son sang: l'idée qu'il
|
|
laissait derrière lui, exposée à une vengeance effroyable, la
|
|
femme qu'il aimait ou plutôt qu'il adorait comme une sainte,
|
|
I'émotion passée, sa fatigue présente, tout exaltait encore son
|
|
âme au-dessus des sentiments humains.
|
|
|
|
Il entra à Portsmouth vers les huit heures du matin; toute la
|
|
population était sur pied; le tambour battait dans les rues et sur
|
|
le port; les troupes d'embarquement descendaient vers la mer.
|
|
|
|
Felton arriva au palais de l'Amirauté, couvert de poussière et
|
|
ruisselant de sueur; son visage, ordinairement si pâle, était
|
|
pourpre de chaleur et de colère. La sentinelle voulut le
|
|
repousser; mais Felton appela le chef du poste, et tirant de sa
|
|
poche la lettre dont il était porteur:
|
|
|
|
«Message pressé de la part de Lord de Winter», dit-il.
|
|
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|
Au nom de Lord de Winter, qu'on savait l'un des plus intimes de Sa
|
|
Grâce, le chef de poste donna l'ordre de laisser passer Felton,
|
|
qui, du reste, portait lui-même l'uniforme d'officier de marine.
|
|
|
|
Felton s'élança dans le palais.
|
|
|
|
Au moment où il entrait dans le vestibule un homme entrait aussi,
|
|
poudreux, hors d'haleine, laissant à la porte un cheval de poste
|
|
qui en arrivant tomba sur les deux genoux.
|
|
|
|
Felton et lui s'adressèrent en même temps à Patrick, le valet de
|
|
chambre de confiance du duc. Felton nomma le baron de Winter,
|
|
l'inconnu ne voulut nommer personne, et prétendit que c'était au
|
|
duc seul qu'il pouvait se faire connaître. Tous deux insistaient
|
|
pour passer l'un avant l'autre.
|
|
|
|
Patrick, qui savait que Lord de Winter était en affaires de
|
|
service et en relations d'amitié avec le duc, donna la préférence
|
|
à celui qui venait en son nom. L'autre fut forcé d'attendre, et il
|
|
fut facile de voir combien il maudissait ce retard.
|
|
|
|
Le valet de chambre fit traverser à Felton une grande salle dans
|
|
laquelle attendaient les députés de La Rochelle conduits par le
|
|
prince de Soubise, et l'introduisit dans un cabinet où Buckingham,
|
|
sortant du bain, achevait sa toilette, à laquelle, cette fois
|
|
comme toujours, il accordait une attention extraordinaire.
|
|
|
|
«Le lieutenant Felton, dit Patrick, de la part de Lord de Winter.
|
|
|
|
-- De la part de Lord de Winter! répéta Buckingham, faites
|
|
entrer.»
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|
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|
Felton entra. En ce moment Buckingham jetait sur un canapé une
|
|
riche robe de chambre brochée d'or, pour endosser un pourpoint de
|
|
velours bleu tout brodé de perles.
|
|
|
|
«Pourquoi le baron n'est-il pas venu lui-même? demanda Buckingham,
|
|
je l'attendais ce matin.
|
|
|
|
-- Il m'a chargé de dire à Votre Grâce, répondit Felton, qu'il
|
|
regrettait fort de ne pas avoir cet honneur, mais qu'il en était
|
|
empêché par la garde qu'il est obligé de faire au château.
|
|
|
|
-- Oui, oui, dit Buckingham, je sais cela, il a une prisonnière.
|
|
|
|
-- C'est justement de cette prisonnière que je voulais parler à
|
|
Votre Grâce, reprit Felton.
|
|
|
|
-- Eh bien, parlez.
|
|
|
|
-- Ce que j'ai à vous dire ne peut être entendu que de vous,
|
|
Milord.
|
|
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|
-- Laissez-nous, Patrick, dit Buckingham, mais tenez-vous à portée
|
|
de la sonnette; je vous appellerai tout à l'heure.»
|
|
|
|
Patrick sortit.
|
|
|
|
«Nous sommes seuls, monsieur, dit Buckingham, parlez.
|
|
|
|
-- Milord, dit Felton, le baron de Winter vous a écrit l'autre
|
|
jour pour vous prier de signer un ordre d'embarquement relatif à
|
|
une jeune femme nommée Charlotte Backson.
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, et je lui ai répondu de m'apporter ou de
|
|
m'envoyer cet ordre et que je le signerais.
|
|
|
|
-- Le voici, Milord.
|
|
|
|
-- Donnez», dit le duc.
|
|
|
|
Et, le prenant des mains de Felton, il jeta sur le papier un coup
|
|
d'oeil rapide. Alors, s'apercevant que c'était bien celui qui lui
|
|
était annoncé, il le posa sur la table, prit une plume et
|
|
s'apprêta à signer.
|
|
|
|
«Pardon, Milord, dit Felton arrêtant le duc, mais Votre Grâce
|
|
sait-elle que le nom de Charlotte Backson n'est pas le véritable
|
|
nom de cette jeune femme?
|
|
|
|
-- Oui, monsieur, je le sais, répondit le duc en trempant la plume
|
|
dans l'encrier.
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|
|
|
-- Alors, Votre Grâce connaît son véritable nom? demanda Felton
|
|
d'une voix brève.
|
|
|
|
-- Je le connais.»
|
|
|
|
Le duc approcha la plume du papier.
|
|
|
|
«Et, connaissant ce véritable nom, reprit Felton, Monseigneur
|
|
signera tout de même?
|
|
|
|
-- Sans doute, dit Buckingham, et plutôt deux fois qu'une.
|
|
|
|
-- Je ne puis croire, continua Felton d'une voix qui devenait de
|
|
plus en plus brève et saccadée, que Sa Grâce sache qu'il s'agit de
|
|
Lady de Winter...
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|
|
|
-- Je le sais parfaitement, quoique je sois étonné que vous le
|
|
sachiez, vous!
|
|
|
|
-- Et Votre Grâce signera cet ordre sans remords?»
|
|
|
|
Buckingham regarda le jeune homme avec hauteur.
|
|
|
|
«Ah çà, monsieur, savez-vous bien, lui dit-il, que vous me faites
|
|
là d'étranges questions, et que je suis bien simple d'y répondre?
|
|
|
|
-- Répondez-y, Monseigneur, dit Felton, la situation est plus
|
|
grave que vous ne le croyez peut-être.»
|
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|
|
Buckingham pensa que le jeune homme, venant de la part de Lord de
|
|
Winter, parlait sans doute en son nom et se radoucit.
|
|
|
|
«Sans remords aucun, dit-il, et le baron sait comme moi que Milady
|
|
de Winter est une grande coupable, et que c'est presque lui faire
|
|
grâce que de borner sa peine à l'extradition.»
|
|
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|
Le duc posa sa plume sur le papier.
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|
«Vous ne signerez pas cet ordre, Milord! dit Felton en faisant un
|
|
pas vers le duc.
|
|
|
|
-- Je ne signerai pas cet ordre, dit Buckingham, et pourquoi?
|
|
|
|
-- Parce que vous descendrez en vous-même, et que vous rendrez
|
|
justice à Milady.
|
|
|
|
-- On lui rendra justice en l'envoyant à Tyburn, dit Buckingham;
|
|
Milady est une infâme.
|
|
|
|
-- Monseigneur, Milady est un ange, vous le savez bien, et je vous
|
|
demande sa liberté.
|
|
|
|
-- Ah çà, dit Buckingham, êtes-vous fou de me parler ainsi?
|
|
|
|
-- Milord, excusez-moi! je parle comme je puis; je me contiens.
|
|
Cependant, Milord, songez à ce que vous allez faire, et craignez
|
|
d'outrepasser la mesure!
|
|
|
|
-- Plaît-il?... Dieu me pardonne! s'écria Buckingham, mais je
|
|
crois qu'il me menace!
|
|
|
|
-- Non, Milord, je prie encore, et je vous dis: une goutte d'eau
|
|
suffit pour faire déborder le vase plein, une faute légère peut
|
|
attirer le châtiment sur la tête épargnée malgré tant de crimes.
|
|
|
|
-- Monsieur Felton, dit Buckingham, vous allez sortir d'ici et
|
|
vous rendre aux arrêts sur-le-champ.
|
|
|
|
-- Vous allez m'écouter jusqu'au bout, Milord. Vous avez séduit
|
|
cette jeune fille, vous l'avez outragée, souillée; réparez vos
|
|
crimes envers elle, laissez-la partir librement, et je n'exigerai
|
|
pas autre chose de vous.
|
|
|
|
-- Vous n'exigerez pas? dit Buckingham regardant Felton avec
|
|
étonnement et appuyant sur chacune des syllabes des trois mots
|
|
qu'il venait de prononcer.
|
|
|
|
-- Milord, continua Felton s'exaltant à mesure qu'il parlait,
|
|
Milord, prenez garde, toute l'Angleterre est lasse de vos
|
|
iniquités; Milord, vous avez abusé de la puissance royale que vous
|
|
avez presque usurpée; Milord, vous êtes en horreur aux hommes et à
|
|
Dieu; Dieu vous punira plus tard, mais, moi, je vous punirai
|
|
aujourd'hui.
|
|
|
|
-- Ah! ceci est trop fort!» cria Buckingham en faisant un pas vers
|
|
la porte.
|
|
|
|
Felton lui barra le passage.
|
|
|
|
«Je vous le demande humblement, dit-il, signez l'ordre de mise en
|
|
liberté de Lady de Winter; songez que c'est la femme que vous avez
|
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déshonorée.
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|
|
-- Retirez-vous, monsieur, dit Buckingham, ou j'appelle et vous
|
|
fais mettre aux fers.
|
|
|
|
-- Vous n'appellerez pas, dit Felton en se jetant entre le duc et
|
|
la sonnette placée sur un guéridon incrusté d'argent; prenez
|
|
garde, Milord, vous voilà entre les mains de Dieu.
|
|
|
|
-- Dans les mains du diable, vous voulez dire, s'écria Buckingham
|
|
en élevant la voix pour attirer du monde, sans cependant appeler
|
|
directement.
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|
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|
-- Signez, Milord, signez la liberté de Lady de Winter, dit Felton
|
|
en poussant un papier vers le duc.
|
|
|
|
-- De force! vous moquez-vous? holà, Patrick!
|
|
|
|
-- Signez, Milord!
|
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|
-- Jamais!
|
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-- Jamais!
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|
|
|
-- À moi», cria le duc, et en même temps il sauta sur son épée.
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Mais Felton ne lui donna pas le temps de la tirer: il tenait tout
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ouvert et caché dans son pourpoint le couteau dont s'était frappée
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Milady; d'un bond il fut sur le duc.
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En ce moment Patrick entrait dans la salle en criant:
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«Milord, une lettre de France!
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-- De France!» s'écria Buckingham, oubliant tout en pensant de qui
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lui venait cette lettre.
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Felton profita du moment et lui enfonça dans le flanc le couteau
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jusqu'au manche.
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«Ah! traître! cria Buckingham, tu m'as tué...
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-- Au meurtre!» hurla Patrick.
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Felton jeta les yeux autour de lui pour fuir, et, voyant la porte
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libre, s'élança dans la chambre voisine, qui était celle où
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attendaient, comme nous l'avons dit, les députés de La Rochelle,
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la traversa tout en courant et se précipita vers l'escalier; mais,
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sur la première marche, il rencontra Lord de Winter, qui, le
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voyant pâle, égaré, livide, taché de sang à la main et à la
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figure, lui sauta au cou en s'écriant:
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«Je le savais, je l'avais deviné et j'arrive trop tard d'une
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minute! oh! malheureux que je suis!»
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Felton ne fit aucune résistance; Lord de Winter le remit aux mains
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des gardes, qui le conduisirent, en attendant de nouveaux ordres,
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sur une petite terrasse dominant la mer, et il s'élança dans le
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cabinet de Buckingham.
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Au cri poussé par le duc, à l'appel de Patrick, l'homme que Felton
|
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avait rencontré dans l'antichambre se précipita dans le cabinet.
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Il trouva le duc couché sur un sofa, serrant sa blessure dans sa
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main crispée.
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«La Porte, dit le duc d'une voix mourante, La Porte, viens-tu de
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sa part?
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-- Oui, Monseigneur, répondit le fidèle serviteur d'Anne
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d'Autriche, mais trop tard peut-être.
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-- Silence, La Porte! on pourrait vous entendre; Patrick, ne
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laissez entrer personne: oh! je ne saurai pas ce qu'elle me fait
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dire! mon Dieu, je me meurs!»
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Et le duc s'évanouit.
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Cependant, Lord de Winter, les députés, les chefs de l'expédition,
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les officiers de la maison de Buckingham, avaient fait irruption
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dans sa chambre; partout des cris de désespoir retentissaient. La
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nouvelle qui emplissait le palais de plaintes et de gémissements
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en déborda bientôt partout et se répandit par la ville.
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Un coup de canon annonça qu'il venait de se passer quelque chose
|
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de nouveau et d'inattendu.
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Lord de Winter s'arrachait les cheveux.
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«Trop tard d'une minute! s'écriait-il, trop tard d'une minute! oh!
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mon Dieu, mon Dieu, quel malheur!»
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En effet, on était venu lui dire à sept heures du matin qu'une
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échelle de corde flottait à une des fenêtres du château; il avait
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couru aussitôt à la chambre de Milady, avait trouvé la chambre
|
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vide et la fenêtre ouverte, les barreaux sciés, il s'était rappelé
|
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la recommandation verbale que lui avait fait transmettre
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d'Artagnan par son messager, il avait tremblé pour le duc, et,
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courant à l'écurie, sans prendre le temps de faire seller son
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cheval, avait sauté sur le premier venu, était accouru ventre à
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terre, et sautant à bas dans la cour, avait monté précipitamment
|
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l'escalier, et, sur le premier degré, avait, comme nous l'avons
|
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dit, rencontré Felton.
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Cependant le duc n'était pas mort: il revint à lui, rouvrit les
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yeux, et l'espoir rentra dans tous les coeurs.
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«Messieurs, dit-il, laissez-moi seul avec Patrick et La Porte.
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«Ah! c'est vous, de Winter! vous m'avez envoyé ce matin un
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singulier fou, voyez l'état dans lequel il m'a mis!
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-- Oh! Milord! s'écria le baron, je ne m'en consolerai jamais.
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-- Et tu aurais tort, mon cher de Winter, dit Buckingham en lui
|
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tendant la main, je ne connais pas d'homme qui mérite d'être
|
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regretté pendant toute la vie d'un autre homme; mais laisse-nous,
|
|
je t'en prie.»
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Le baron sortit en sanglotant.
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Il ne resta dans le cabinet que le duc blessé, La Porte et
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Patrick.
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On cherchait un médecin, qu'on ne pouvait trouver.
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«Vous vivrez, Milord, vous vivrez, répétait, à genoux devant le
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sofa du duc, le messager d'Anne d'Autriche.
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-- Que m'écrivait-elle? dit faiblement Buckingham tout ruisselant
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de sang et domptant, pour parler de celle qu'il aimait, d'atroces
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douleurs, que m'écrivait-elle? Lis-moi sa lettre.
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-- Oh! Milord! fit La Porte.
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-- Obéis, La Porte; ne vois-tu pas que je n'ai pas de temps à
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perdre?»
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La Porte rompit le cachet et plaça le parchemin sous les yeux du
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duc; mais Buckingham essaya vainement de distinguer l'écriture.
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«Lis donc, dit-il, lis donc, je n'y vois plus; lis donc! car
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bientôt peut-être je n'entendrai plus, et je mourrai sans savoir
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ce qu'elle m'a écrit.»
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La Porte ne fit plus de difficulté, et lut:
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«Milord,
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«Par ce que j'ai, depuis que je vous connais, souffert par vous et
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|
pour vous, je vous conjure, si vous avez souci de mon repos,
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|
d'interrompre les grands armements que vous faites contre la
|
|
France et de cesser une guerre dont on dit tout haut que la
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|
religion est la cause visible, et tout bas que votre amour pour
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moi est la cause cachée. Cette guerre peut non seulement amener
|
|
pour la France et pour l'Angleterre de grandes catastrophes, mais
|
|
encore pour vous, Milord, des malheurs dont je ne me consolerais
|
|
pas.
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«Veillez sur votre vie, que l'on menace et qui me sera chère du
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|
moment où je ne serai pas obligée de voir en vous un ennemi.
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«Votre affectionnée,
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«Anne.»
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Buckingham rappela tous les restes de sa vie pour écouter cette
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lecture; puis, lorsqu'elle fut finie, comme s'il eût trouvé dans
|
|
cette lettre un amer désappointement:
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|
«N'avez-vous donc pas autre chose à me dire de vive voix, La
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|
Porte? demanda-t-il.
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-- Si fait, Monseigneur: la reine m'avait chargé de vous dire de
|
|
veiller sur vous, car elle avait eu avis qu'on voulait vous
|
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assassiner.
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-- Et c'est tout, c'est tout? reprit Buckingham avec impatience.
|
|
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|
-- Elle m'avait encore chargé de vous dire qu'elle vous aimait
|
|
toujours.
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-- Ah! fit Buckingham, Dieu soit loué! ma mort ne sera donc pas
|
|
pour elle la mort d'un étranger!...»
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La Porte fondit en larmes.
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|
«Patrick, dit le duc, apportez-moi le coffret où étaient les
|
|
ferrets de diamants.»
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Patrick apporta l'objet demandé, que La Porte reconnut pour avoir
|
|
appartenu à la reine.
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«Maintenant le sachet de satin blanc, où son chiffre est brodé en
|
|
perles.»
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Patrick obéit encore.
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|
«Tenez, La Porte, dit Buckingham, voici les seuls gages que
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|
j'eusse à elle, ce coffret d'argent, et ces deux lettres. Vous les
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|
rendrez à Sa Majesté; et pour dernier souvenir... (il chercha
|
|
autour de lui quelque objet précieux)... vous y joindrez...»
|
|
|
|
Il chercha encore; mais ses regards obscurcis par la mort ne
|
|
rencontrèrent que le couteau tombé des mains de Felton, et fumant
|
|
encore du sang vermeil étendu sur la lame.
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|
«Et vous y joindrez ce couteau», dit le duc en serrant la main de
|
|
La Porte.
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|
Il put encore mettre le sachet au fond du coffret d'argent, y
|
|
laissa tomber le couteau en faisant signe à La Porte qu'il ne
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|
pouvait plus parler; puis, dans une dernière convulsion, que cette
|
|
fois il n'avait plus la force de combattre, il glissa du sofa sur
|
|
le parquet.
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|
Patrick poussa un grand cri.
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|
Buckingham voulut sourire une dernière fois; mais la mort arrêta
|
|
sa pensée, qui resta gravée sur son front comme un dernier baiser
|
|
d'amour.
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|
En ce moment le médecin du duc arriva tout effaré; il était déjà à
|
|
bord du vaisseau amiral, on avait été obligé d'aller le chercher
|
|
là.
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|
Il s'approcha du duc, prit sa main, la garda un instant dans la
|
|
sienne, et la laissa retomber.
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|
«Tout est inutile, dit-il, il est mort.
|
|
|
|
-- Mort, mort!» s'écria Patrick.
|
|
|
|
À ce cri toute la foule rentra dans la salle, et partout ce ne fut
|
|
que consternation et que tumulte.
|
|
|
|
Aussitôt que Lord de Winter vit Buckingham expiré, il courut à
|
|
Felton, que les soldats gardaient toujours sur la terrasse du
|
|
palais.
|
|
|
|
«Misérable! dit-il au jeune homme qui, depuis la mort de
|
|
Buckingham, avait retrouvé ce calme et ce sang-froid qui ne
|
|
devaient plus l'abandonner; misérable! qu'as-tu fait?
|
|
|
|
-- Je me suis vengé, dit-il.
|
|
|
|
-- Toi! dit le baron; dis que tu as servi d'instrument à cette
|
|
femme maudite; mais je te le jure, ce crime sera son dernier
|
|
crime.
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|
|
-- Je ne sais ce que vous voulez dire, reprit tranquillement
|
|
Felton, et j'ignore de qui vous voulez parler, Milord; j'ai tué
|
|
M. de Buckingham parce qu'il a refusé deux fois à vous-même de me
|
|
nommer capitaine: je l'ai puni de son injustice, voilà tout.»
|
|
|
|
De Winter, stupéfait, regardait les gens qui liaient Felton, et ne
|
|
savait que penser d'une pareille insensibilité.
|
|
|
|
Une seule chose jetait cependant un nuage sur le front pur de
|
|
Felton. À chaque bruit qu'il entendait, le naïf puritain croyait
|
|
reconnaître les pas et la voix de Milady venant se jeter dans ses
|
|
bras pour s'accuser et se perdre avec lui.
|
|
|
|
Tout à coup il tressaillit, son regard se fixa sur un point de la
|
|
mer, que de la terrasse où il se trouvait on dominait tout
|
|
entière; avec ce regard d'aigle du marin, il avait reconnu, là où
|
|
un autre n'aurait vu qu'un goéland se balançant sur les flots, la
|
|
voile du sloop qui se dirigeait vers les côtes de France.
|
|
|
|
Il pâlit, porta la main à son coeur, qui se brisait, et comprit
|
|
toute la trahison.
|
|
|
|
«Une dernière grâce, Milord! dit-il au baron.
|
|
|
|
-- Laquelle? demanda celui-ci.
|
|
|
|
-- Quelle heure est-il?»
|
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|
|
Le baron tira sa montre.
|
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|
|
«Neuf heures moins dix minutes», dit-il.
|
|
|
|
Milady avait avancé son départ d'une heure et demie dès qu'elle
|
|
avait entendu le coup de canon qui annonçait le fatal événement,
|
|
elle avait donné l'ordre de lever l'ancre.
|
|
|
|
La barque voguait sous un ciel bleu à une grande distance de la
|
|
côte.
|
|
|
|
«Dieu l'a voulu», dit Felton avec la résignation du fanatique,
|
|
mais cependant sans pouvoir détacher les yeux de cet esquif à bord
|
|
duquel il croyait sans doute distinguer le blanc fantôme de celle
|
|
à qui sa vie allait être sacrifiée.
|
|
|
|
De Winter suivit son regard, interrogea sa souffrance et devina
|
|
tout.
|
|
|
|
«Sois puni seul d'abord, misérable, dit Lord de Winter à Felton,
|
|
qui se laissait entraîner les yeux tournés vers la mer; mais je te
|
|
jure, sur la mémoire de mon frère que j'aimais tant, que ta
|
|
complice n'est pas sauvée.»
|
|
|
|
Felton baissa la tête sans prononcer une syllabe.
|
|
|
|
Quant à de Winter, il descendit rapidement l'escalier et se rendit
|
|
au port.
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE LX
|
|
EN FRANCE
|
|
|
|
La première crainte du roi d'Angleterre, Charles Ier, en apprenant
|
|
cette mort, fut qu'une si terrible nouvelle ne décourageât les
|
|
Rochelois; il essaya, dit Richelieu dans ses Mémoires, de la leur
|
|
cacher le plus longtemps possible, faisant fermer les ports par
|
|
tout son royaume, et prenant soigneusement garde qu'aucun vaisseau
|
|
ne sortit jusqu'à ce que l'armée que Buckingham apprêtait fût
|
|
partie, se chargeant, à défaut de Buckingham, de surveiller lui-
|
|
même le départ.
|
|
|
|
Il poussa même la sévérité de cet ordre jusqu'à retenir en
|
|
Angleterre l'ambassadeur de Danemark, qui avait pris congé, et
|
|
l'ambassadeur ordinaire de Hollande, qui devait ramener dans le
|
|
port de Flessingue les navires des Indes que Charles Ier avait
|
|
fait restituer aux Provinces-Unies.
|
|
|
|
Mais comme il ne songea à donner cet ordre que cinq heures après
|
|
l'événement, c'est-à-dire à deux heures de l'après-midi, deux
|
|
navires étaient déjà sortis du port: l'un emmenant, comme nous le
|
|
savons, Milady, laquelle, se doutant déjà de l'événement, fut
|
|
encore confirmée dans cette croyance en voyant le pavillon noir se
|
|
déployer au mât du vaisseau amiral.
|
|
|
|
Quant au second bâtiment, nous dirons plus tard qui il portait et
|
|
comment il partit.
|
|
|
|
Pendant ce temps, du reste, rien de nouveau au camp de La
|
|
Rochelle; seulement le roi, qui s'ennuyait fort, comme toujours,
|
|
mais peut-être encore un peu plus au camp qu'ailleurs, résolut
|
|
d'aller incognito passer les fêtes de Saint-Louis à Saint-Germain,
|
|
et demanda au cardinal de lui faire préparer une escorte de vingt
|
|
mousquetaires seulement. Le cardinal, que l'ennui du roi gagnait
|
|
quelquefois, accorda avec grand plaisir ce congé à son royal
|
|
lieutenant, lequel promit d'être de retour vers le 15 septembre.
|
|
|
|
M. de Tréville, prévenu par Son Éminence, fit son portemanteau, et
|
|
comme, sans en savoir la cause, il savait le vif désir et même
|
|
l'impérieux besoin que ses amis avaient de revenir à Paris, il va
|
|
sans dire qu'il les désigna pour faire partie de l'escorte.
|
|
|
|
Les quatre jeunes gens surent la nouvelle un quart d'heure après
|
|
M. de Tréville, car ils furent les premiers à qui il la
|
|
communiqua. Ce fut alors que d'Artagnan apprécia la faveur que lui
|
|
avait accordée le cardinal en le faisant enfin passer aux
|
|
mousquetaires; sans cette circonstance, il était forcé de rester
|
|
au camp tandis que ses compagnons partaient.
|
|
|
|
On verra plus tard que cette impatience de remonter vers Paris
|
|
avait pour cause le danger que devait courir Mme Bonacieux en se
|
|
rencontrant au couvent de Béthune avec Milady, son ennemie
|
|
mortelle. Aussi, comme nous l'avons dit, Aramis avait écrit
|
|
immédiatement à Marie Michon, cette lingère de Tours qui avait de
|
|
si belles connaissances, pour qu'elle obtînt que la reine donnât
|
|
l'autorisation à Mme Bonacieux de sortir du couvent et de se
|
|
retirer soit en Lorraine, soit en Belgique. La réponse ne s'était
|
|
pas fait attendre, et, huit ou dix jours après, Aramis avait reçu
|
|
cette lettre:
|
|
|
|
«Mon cher cousin,
|
|
|
|
«Voici l'autorisation de ma soeur à retirer notre petite servante
|
|
du couvent de Béthune, dont vous pensez que l'air est mauvais pour
|
|
elle. Ma soeur vous envoie cette autorisation avec grand plaisir,
|
|
car elle aime fort cette petite fille, à laquelle elle se réserve
|
|
d'être utile plus tard.
|
|
|
|
«Je vous embrasse.
|
|
|
|
«Marie Michon.»
|
|
|
|
À cette lettre était jointe une autorisation ainsi conçue:
|
|
|
|
«La supérieure du couvent de Béthune remettra aux mains de la
|
|
personne qui lui remettra ce billet la novice qui était entrée
|
|
dans son couvent sous ma recommandation et sous mon patronage.
|
|
|
|
«Au Louvre, le 10 août 1628.
|
|
|
|
«Anne.»
|
|
|
|
On comprend combien ces relations de parenté entre Aramis et une
|
|
lingère qui appelait la reine sa soeur avaient égayé la verve des
|
|
jeunes gens; mais Aramis, après avoir rougi deux ou trois fois
|
|
jusqu'au blanc des yeux aux grosses plaisanteries de Porthos,
|
|
avait prié ses amis de ne plus revenir sur ce sujet, déclarant que
|
|
s'il lui en était dit encore un seul mot, il n'emploierait plus sa
|
|
cousine comme intermédiaire dans ces sortes d'affaires.
|
|
|
|
Il ne fut donc plus question de Marie Michon entre les quatre
|
|
mousquetaires, qui d'ailleurs avaient ce qu'ils voulaient: l'ordre
|
|
de tirer Mme Bonacieux du couvent des carmélites de Béthune. Il
|
|
est vrai que cet ordre ne leur servirait pas à grand-chose tant
|
|
qu'ils seraient au camp de La Rochelle, c'est-à-dire à l'autre
|
|
bout de la France; aussi d'Artagnan allait-il demander un congé à
|
|
M. de Tréville, en lui confiant tout bonnement l'importance de son
|
|
départ, lorsque cette nouvelle lui fut transmise, ainsi qu'à ses
|
|
trois compagnons, que le roi allait partir pour Paris avec une
|
|
escorte de vingt mousquetaires, et qu'ils faisaient partie de
|
|
l'escorte.
|
|
|
|
La joie fut grande. On envoya les valets devant avec les bagages,
|
|
et l'on partit le 16 au matin.
|
|
|
|
Le cardinal reconduisit Sa Majesté de Surgères à Mauzé, et là, le
|
|
roi et son ministre prirent congé l'un de l'autre avec de grandes
|
|
démonstrations d'amitié.
|
|
|
|
Cependant le roi, qui cherchait de la distraction, tout en
|
|
cheminant le plus vite qu'il lui était possible, car il désirait
|
|
être arrivé à Paris pour le 23, s'arrêtait de temps en temps pour
|
|
voler la pie, passe-temps dont le goût lui avait autrefois été
|
|
inspiré par de Luynes, et pour lequel il avait toujours conservé
|
|
une grande prédilection. Sur les vingt mousquetaires, seize,
|
|
lorsque la chose arrivait, se réjouissaient fort de ce bon temps;
|
|
mais quatre maugréaient de leur mieux. D'Artagnan surtout avait
|
|
des bourdonnements perpétuels dans les oreilles, ce que Porthos
|
|
expliquait ainsi:
|
|
|
|
«Une très grande dame m'a appris que cela veut dire que l'on parle
|
|
de vous quelque part.»
|
|
|
|
Enfin l'escorte traversa Paris le 23, dans la nuit; le roi
|
|
remercia M. de Tréville, et lui permit de distribuer des congés
|
|
pour quatre jours, à la condition que pas un des favorisés ne
|
|
paraîtrait dans un lieu public, sous peine de la Bastille.
|
|
|
|
Les quatre premiers congés accordés, comme on le pense bien,
|
|
furent à nos quatre amis. Il y a plus, Athos obtint de
|
|
M. de Tréville six jours au lieu de quatre et fit mettre dans ces
|
|
six jours deux nuits de plus, car ils partirent le 24, à cinq
|
|
heures du soir, et par complaisance encore, M. de Tréville
|
|
postdata le congé du 25 au matin.
|
|
|
|
«Eh, mon Dieu, disait d'Artagnan, qui, comme on le sait, ne
|
|
doutait jamais de rien, il me semble que nous faisons bien de
|
|
l'embarras pour une chose bien simple: en deux jours, et en
|
|
crevant deux ou trois chevaux (peu m'importe: j'ai de l'argent),
|
|
je suis à Béthune, je remets la lettre de la reine à la
|
|
supérieure, et je ramène le cher trésor que je vais chercher, non
|
|
pas en Lorraine, non pas en Belgique, mais à Paris, où il sera
|
|
mieux caché, surtout tant que M. le cardinal sera à La Rochelle.
|
|
Puis, une fois de retour de la campagne, eh bien, moitié par la
|
|
protection de sa cousine, moitié en faveur de ce que nous avons
|
|
fait personnellement pour elle, nous obtiendrons de la reine ce
|
|
que nous voudrons. Restez donc ici, ne vous épuisez pas de fatigue
|
|
inutilement; moi et Planchet, c'est tout ce qu'il faut pour une
|
|
expédition aussi simple.»
|
|
|
|
À ceci Athos répondit tranquillement:
|
|
|
|
«Nous aussi, nous avons de l'argent; car je n'ai pas encore bu
|
|
tout à fait le reste du diamant, et Porthos et Aramis ne l'ont pas
|
|
tout à fait mangé. Nous crèverons donc aussi bien quatre chevaux
|
|
qu'un. Mais songez, d'Artagnan, ajouta-t-il d'une voix si sombre
|
|
que son accent donna le frisson au jeune homme, songez que Béthune
|
|
est une ville où le cardinal a donné rendez-vous à une femme qui,
|
|
partout où elle va, mène le malheur après elle. Si vous n'aviez
|
|
affaire qu'à quatre hommes, d'Artagnan, je vous laisserais aller
|
|
seul; vous avez affaire à cette femme, allons-y quatre, et plaise
|
|
à Dieu qu'avec nos quatre valets nous soyons en nombre suffisant!
|
|
|
|
-- Vous m'épouvantez, Athos, s'écria d'Artagnan; que craignez-vous
|
|
donc, mon Dieu?
|
|
|
|
-- Tout!» répondit Athos.
|
|
|
|
D'Artagnan examina les visages de ses compagnons, qui, comme celui
|
|
d'Athos, portaient l'empreinte d'une inquiétude profonde, et l'on
|
|
continua la route au plus grand pas des chevaux, mais sans ajouter
|
|
une seule parole.
|
|
|
|
Le 25 au soir, comme ils entraient à Arras, et comme d'Artagnan
|
|
venait de mettre pied à terre à l'auberge de la Herse d'Or pour
|
|
boire un verre de vin, un cavalier sortit de la cour de la poste,
|
|
où il venait de relayer, prenant au grand galop, et avec un cheval
|
|
frais, le chemin de Paris. Au moment où il passait de la grande
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porte dans la rue, le vent entrouvrit le manteau dont il était
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enveloppé, quoiqu'on fût au mois d'août, et enleva son chapeau,
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que le voyageur retint de sa main, au moment où il avait déjà
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quitté sa tête, et l'enfonça vivement sur ses yeux.
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D'Artagnan, qui avait les yeux fixés sur cet homme, devint fort
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pâle et laissa tomber son verre.
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«Qu'avez-vous, monsieur? dit Planchet... Oh! là, accourez,
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messieurs, voilà mon maître qui se trouve mal!»
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Les trois amis accoururent et trouvèrent d'Artagnan qui, au lieu
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de se trouver mal, courait à son cheval. Ils l'arrêtèrent sur le
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seuil de la porte.
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«Eh bien, où diable vas-tu donc ainsi? lui cria Athos.
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-- C'est lui! s'écria d'Artagnan, pâle de colère et la sueur sur
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le front, c'est lui! laissez-moi le rejoindre!
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-- Mais qui, lui? demanda Athos.
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-- Lui, cet homme!
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-- Quel homme?
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-- Cet homme maudit, mon mauvais génie, que j'ai toujours vu
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lorsque j'étais menacé de quelque malheur: celui qui accompagnait
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l'horrible femme lorsque je la rencontrai pour la première fois,
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celui que je cherchais quand j'ai provoqué Athos, celui que j'ai
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vu le matin du jour où Mme Bonacieux a été enlevée! l'homme
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de Meung enfin! je l'ai vu, c'est lui! Je l'ai reconnu quand le
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vent a entrouvert son manteau.
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-- Diable! dit Athos rêveur.
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-- En selle, messieurs, en selle; poursuivons-le, et nous le
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rattraperons.
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-- Mon cher, dit Aramis, songez qu'il va du côté opposé à celui où
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nous allons; qu'il a un cheval frais et que nos chevaux sont
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fatigués; que par conséquent nous crèverons nos chevaux sans même
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avoir la chance de le rejoindre. Laissons l'homme, d'Artagnan,
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sauvons la femme.
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-- Eh! monsieur! s'écria un garçon d'écurie courant après
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l'inconnu, eh! monsieur, voilà un papier qui s'est échappé de
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votre chapeau! Eh! monsieur! eh!
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-- Mon ami, dit d'Artagnan, une demi-pistole pour ce papier!
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-- Ma foi, monsieur, avec grand plaisir! le voici!
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Le garçon d'écurie, enchanté de la bonne journée qu'il avait
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faite, rentra dans la cour de l'hôtel: d'Artagnan déplia le
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papier.
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«Eh bien? demandèrent ses amis en l'entourant.
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-- Rien qu'un mot! dit d'Artagnan.
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-- Oui, dit Aramis, mais ce nom est un nom de ville ou de village.
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--»Armentières», lut Porthos. Armentières, je ne connais pas cela!
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-- Et ce nom de ville ou de village est écrit de sa main! s'écria
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Athos.
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-- Allons, allons, gardons soigneusement ce papier, dit
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d'Artagnan, peut-être n'ai-je pas perdu ma dernière pistole. À
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cheval, mes amis, à cheval!»
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Et les quatre compagnons s'élancèrent au galop sur la route de
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Béthune.
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CHAPITRE LXI
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LE COUVENT DES CARMÉLITES DE BÉTHUNE
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Les grands criminels portent avec eux une espèce de prédestination
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qui leur fait surmonter tous les obstacles, qui les fait échapper
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à tous les dangers, jusqu'au moment que la Providence, lassée, a
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marqué pour l'écueil de leur fortune impie.
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Il en était ainsi de Milady: elle passa au travers des croiseurs
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des deux nations, et arriva à Boulogne sans aucun accident.
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En débarquant à Portsmouth, Milady était une Anglaise que les
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persécutions de la France chassaient de La Rochelle; débarquée à
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Boulogne, après deux jours de traversée, elle se fit passer pour
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une Française que les Anglais inquiétaient à Portsmouth, dans la
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haine qu'ils avaient conçue contre la France.
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Milady avait d'ailleurs le plus efficace des passeports: sa
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beauté, sa grande mine et la générosité avec laquelle elle
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répandait les pistoles. Affranchie des formalités d'usage par le
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sourire affable et les manières galantes d'un vieux gouverneur du
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port, qui lui baisa la main, elle ne resta à Boulogne que le temps
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de mettre à la poste une lettre ainsi conçue:
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«À Son Éminence Monseigneur le cardinal de Richelieu, en son camp
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devant La Rochelle.
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«Monseigneur, que Votre Éminence se rassure, Sa Grâce le duc de
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Buckingham ne partira point pour la France.
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«Boulogne, 25 au soir.
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«Milady de ***
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«P. -S. -- Selon les désirs de Votre Éminence, je me rends au
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couvent des carmélites de Béthune où j'attendrai ses ordres.»
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Effectivement, le même soir, Milady se mit en route; la nuit la
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prit: elle s'arrêta et coucha dans une auberge; puis, le
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|
lendemain, à cinq heures du matin, elle partit, et trois heures
|
|
après, elle entra à Béthune.
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Elle se fit indiquer le couvent des carmélites et y entra
|
|
aussitôt.
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La supérieure vint au-devant d'elle; Milady lui montra l'ordre du
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cardinal, l'abbesse lui fit donner une chambre et servir à
|
|
déjeuner.
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Tout le passé s'était déjà effacé aux yeux de cette femme, et, le
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regard fixé vers l'avenir, elle ne voyait que la haute fortune que
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lui réservait le cardinal, qu'elle avait si heureusement servi,
|
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sans que son nom fût mêlé en rien à toute cette sanglante affaire.
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Les passions toujours nouvelles qui la consumaient donnaient à sa
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vie l'apparence de ces nuages qui volent dans le ciel, reflétant
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tantôt l'azur, tantôt le feu, tantôt le noir opaque de la tempête,
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et qui ne laissent d'autres traces sur la terre que la dévastation
|
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et la mort.
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Après le déjeuner, l'abbesse vint lui faire sa visite; il y a peu
|
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de distraction au cloître, et la bonne supérieure avait hâte de
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|
faire connaissance avec sa nouvelle pensionnaire.
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Milady voulait plaire à l'abbesse; or, c'était chose facile à
|
|
cette femme si réellement supérieure; elle essaya d'être aimable:
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elle fut charmante et séduisit la bonne supérieure par sa
|
|
conversation si variée et par les grâces répandues dans toute sa
|
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personne.
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L'abbesse, qui était une fille de noblesse, aimait surtout les
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|
histoires de cour, qui parviennent si rarement jusqu'aux
|
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extrémités du royaume et qui, surtout, ont tant de peine à
|
|
franchir les murs des couvents, au seuil desquels viennent expirer
|
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les bruits du monde.
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|
Milady, au contraire, était fort au courant de toutes les
|
|
intrigues aristocratiques, au milieu desquelles, depuis cinq ou
|
|
six ans, elle avait constamment vécu, elle se mit donc à
|
|
entretenir la bonne abbesse des pratiques mondaines de la cour de
|
|
France, mêlées aux dévotions outrées du roi, elle lui fit la
|
|
chronique scandaleuse des seigneurs et des dames de la cour, que
|
|
l'abbesse connaissait parfaitement de nom, toucha légèrement les
|
|
amours de la reine et de Buckingham, parlant beaucoup pour qu'on
|
|
parlât un peu.
|
|
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|
Mais l'abbesse se contenta d'écouter et de sourire, le tout sans
|
|
répondre. Cependant, comme Milady vit que ce genre de récit
|
|
l'amusait fort, elle continua; seulement, elle fit tomber la
|
|
conversation sur le cardinal.
|
|
|
|
Mais elle était fort embarrassée; elle ignorait si l'abbesse était
|
|
royaliste ou cardinaliste: elle se tint dans un milieu prudent;
|
|
mais l'abbesse, de son côté, se tint dans une réserve plus
|
|
prudente encore, se contentant de faire une profonde inclination
|
|
de tête toutes les fois que la voyageuse prononçait le nom de Son
|
|
Éminence.
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Milady commença à croire qu'elle s'ennuierait fort dans le
|
|
couvent; elle résolut donc de risquer quelque chose pour savoir de
|
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suite à quoi s'en tenir. Voulant voir jusqu'où irait la discrétion
|
|
de cette bonne abbesse, elle se mit à dire un mal, très dissimulé
|
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d'abord, puis très circonstancié du cardinal, racontant les amours
|
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du ministre avec Mme d'Aiguillon, avec Marion de Lorme et avec
|
|
quelques autres femmes galantes.
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|
L'abbesse écouta plus attentivement, s'anima peu à peu et sourit.
|
|
|
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«Bon, dit Milady, elle prend goût à mon discours; si elle est
|
|
cardinaliste, elle n'y met pas de fanatisme au moins.»
|
|
|
|
Alors elle passa aux persécutions exercées par le cardinal sur ses
|
|
ennemis. L'abbesse se contenta de se signer, sans approuver ni
|
|
désapprouver.
|
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Cela confirma Milady dans son opinion que la religieuse était
|
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plutôt royaliste que cardinaliste. Milady continua, renchérissant
|
|
de plus en plus.
|
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|
|
«Je suis fort ignorante de toutes ces matières-là, dit enfin
|
|
l'abbesse, mais tout éloignées que nous sommes de la cour, tout en
|
|
dehors des intérêts du monde où nous nous trouvons placées, nous
|
|
avons des exemples fort tristes de ce que vous nous racontez là;
|
|
et l'une de nos pensionnaires a bien souffert des vengeances et
|
|
des persécutions de M. le cardinal.
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|
|
|
-- Une de vos pensionnaires, dit Milady; oh! mon Dieu! pauvre
|
|
femme, je la plains alors.
|
|
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|
-- Et vous avez raison, car elle est bien à plaindre: prison,
|
|
menaces, mauvais traitements, elle a tout souffert. Mais, après
|
|
tout, reprit l'abbesse, M. le cardinal avait peut-être des motifs
|
|
plausibles pour agir ainsi, et quoiqu'elle ait l'air d'un ange, il
|
|
ne faut pas toujours juger les gens sur la mine.»
|
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|
|
«Bon! dit Milady à elle-même, qui sait! je vais peut-être
|
|
découvrir quelque chose ici, je suis en veine.»
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|
|
Et elle s'appliqua à donner à son visage une expression de candeur
|
|
parfaite.
|
|
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|
«Hélas! dit Milady, je le sais; on dit cela, qu'il ne faut pas
|
|
croire aux physionomies; mais à quoi croira-t-on cependant, si ce
|
|
n'est au plus bel ouvrage du Seigneur? Quant à moi, je serai
|
|
trompée toute ma vie peut-être; mais je me fierai toujours à une
|
|
personne dont le visage m'inspirera de la sympathie.
|
|
|
|
-- Vous seriez donc tentée de croire, dit l'abbesse, que cette
|
|
jeune femme est innocente?
|
|
|
|
-- M. le cardinal ne punit pas que les crimes, dit-elle; il y a
|
|
certaines vertus qu'il poursuit plus sévèrement que certains
|
|
forfaits.
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|
|
-- Permettez-moi, madame, de vous exprimer ma surprise, dit
|
|
l'abbesse.
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|
-- Et sur quoi? demanda Milady avec naïveté.
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-- Mais sur le langage que vous tenez.
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|
|
-- Que trouvez-vous d'étonnant à ce langage? demanda en souriant
|
|
Milady.
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-- Vous êtes l'amie du cardinal, puisqu'il vous envoie ici, et
|
|
cependant...
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-- Et cependant j'en dis du mal, reprit Milady, achevant la pensée
|
|
de la supérieure.
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-- Au moins n'en dites-vous pas de bien.
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|
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|
-- C'est que je ne suis pas son amie, dit-elle en soupirant, mais
|
|
sa victime.
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-- Mais cependant cette lettre par laquelle il vous recommande à
|
|
moi?...
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-- Est un ordre à moi de me tenir dans une espèce de prison dont
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il me fera tirer par quelques-uns de ses satellites.
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-- Mais pourquoi n'avez-vous pas fui?
|
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-- Où irais-je? croyez-vous qu'il y ait un endroit de la terre où
|
|
ne puisse atteindre le cardinal, s'il veut se donner la peine de
|
|
tendre la main? Si j'étais un homme, à la rigueur cela serait
|
|
possible encore; mais une femme, que voulez-vous que fasse une
|
|
femme? Cette jeune pensionnaire que vous avez ici a-t-elle essayé
|
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de fuir, elle?
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-- Non, c'est vrai; mais elle, c'est autre chose, je la crois
|
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retenue en France par quelque amour.
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-- Alors, dit Milady avec un soupir, si elle aime, elle n'est pas
|
|
tout à fait malheureuse.
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-- Ainsi, dit l'abbesse en regardant Milady avec un intérêt
|
|
croissant, c'est encore une pauvre persécutée que je vois?
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-- Hélas, oui, dit Milady.
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L'abbesse regarda un instant Milady avec inquiétude, comme si une
|
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nouvelle pensée surgissait dans son esprit.
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«Vous n'êtes pas ennemie de notre sainte foi? dit-elle en
|
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balbutiant.
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-- Moi, s'écria Milady, moi, protestante! Oh! non, j'atteste le
|
|
Dieu qui nous entend que je suis au contraire fervente catholique.
|
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-- Alors, madame, dit l'abbesse en souriant, rassurez-vous; la
|
|
maison où vous êtes ne sera pas une prison bien dure, et nous
|
|
ferons tout ce qu'il faudra pour vous faire chérir la captivité.
|
|
Il y a plus, vous trouverez ici cette jeune femme persécutée sans
|
|
doute par suite de quelque intrigue de cour. Elle est aimable,
|
|
gracieuse.
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|
|
|
-- Comment la nommez-vous?
|
|
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|
-- Elle m'a été recommandée par quelqu'un de très haut placé, sous
|
|
le nom de Ketty. Je n'ai pas cherché à savoir son autre nom.
|
|
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|
-- Ketty! s'écria Milady; quoi! vous êtes sûre?...
|
|
|
|
-- Qu'elle se fait appeler ainsi? Oui, madame, la connaîtriez-
|
|
vous?»
|
|
|
|
Milady sourit à elle-même et à l'idée qui lui était venue que
|
|
cette jeune femme pouvait être son ancienne camérière. Il se
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|
mêlait au souvenir de cette jeune fille un souvenir de colère, et
|
|
un désir de vengeance avait bouleversé les traits de Milady, qui
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|
reprirent au reste presque aussitôt l'expression calme et
|
|
bienveillante que cette femme aux cent visages leur avait
|
|
momentanément fait perdre.
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«Et quand pourrai-je voir cette jeune dame, pour laquelle je me
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sens déjà une si grande sympathie? demanda Milady.
|
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|
-- Mais, ce soir, dit l'abbesse, dans la journée même. Mais vous
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|
voyagez depuis quatre jours, m'avez-vous dit vous-même; ce matin
|
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vous vous êtes levée à cinq heures, vous devez avoir besoin de
|
|
repos. Couchez-vous et dormez, à l'heure du dîner nous vous
|
|
réveillerons.»
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|
Quoique Milady eût très bien pu se passer de sommeil, soutenue
|
|
qu'elle était par toutes les excitations qu'une aventure nouvelle
|
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faisait éprouver à son coeur avide d'intrigues, elle n'en accepta
|
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pas moins l'offre de la supérieure: depuis douze ou quinze jours
|
|
elle avait passé par tant d'émotions diverses que, si son corps de
|
|
fer pouvait encore soutenir la fatigue, son âme avait besoin de
|
|
repos.
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|
Elle prit donc congé de l'abbesse et se coucha, doucement bercée
|
|
par les idées de vengeance auxquelles l'avait tout naturellement
|
|
ramenée le nom de Ketty. Elle se rappelait cette promesse presque
|
|
illimitée que lui avait faite le cardinal, si elle réussissait
|
|
dans son entreprise. Elle avait réussi, elle pourrait donc se
|
|
venger de d'Artagnan.
|
|
|
|
Une seule chose épouvantait Milady, c'était le souvenir de son
|
|
mari! le comte de La Fère, qu'elle avait cru mort ou du moins
|
|
expatrié, et qu'elle retrouvait dans Athos, le meilleur ami de
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
Mais aussi, s'il était l'ami de d'Artagnan, il avait dû lui prêter
|
|
assistance dans toutes les menées à l'aide desquelles la reine
|
|
avait déjoué les projets de Son Éminence; s'il était l'ami de
|
|
d'Artagnan, il était l'ennemi du cardinal; et sans doute elle
|
|
parviendrait à l'envelopper dans la vengeance aux replis de
|
|
laquelle elle comptait étouffer le jeune mousquetaire.
|
|
|
|
Toutes ces espérances étaient de douces pensées pour Milady;
|
|
aussi, bercée par elles, s'endormit-elle bientôt.
|
|
|
|
Elle fut réveillée par une voix douce qui retentit au pied de son
|
|
lit. Elle ouvrit les yeux, et vit l'abbesse accompagnée d'une
|
|
jeune femme aux cheveux blonds, au teint délicat, qui fixait sur
|
|
elle un regard plein d'une bienveillante curiosité.
|
|
|
|
La figure de cette jeune femme lui était complètement inconnue;
|
|
toutes deux s'examinèrent avec une scrupuleuse attention, tout en
|
|
échangeant les compliments d'usage: toutes deux étaient fort
|
|
belles, mais de beautés tout à fait différentes. Cependant Milady
|
|
sourit en reconnaissant qu'elle l'emportait de beaucoup sur la
|
|
jeune femme en grand air et en façons aristocratiques. Il est vrai
|
|
que l'habit de novice que portait la jeune femme n'était pas très
|
|
avantageux pour soutenir une lutte de ce genre.
|
|
|
|
L'abbesse les présenta l'une à l'autre; puis, lorsque cette
|
|
formalité fut remplie, comme ses devoirs l'appelaient à l'église,
|
|
elle laissa les deux jeunes femmes seules.
|
|
|
|
La novice, voyant Milady couchée, voulait suivre la supérieure,
|
|
mais Milady la retint.
|
|
|
|
«Comment, madame, lui dit-elle, à peine vous ai-je aperçue et vous
|
|
voulez déjà me priver de votre présence, sur laquelle je comptais
|
|
cependant un peu, je vous l'avoue, pour le temps que j'ai à passer
|
|
ici?
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|
-- Non, madame, répondit la novice, seulement je craignais d'avoir
|
|
mal choisi mon temps: vous dormiez, vous êtes fatiguée.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Milady, que peuvent demander les gens qui dorment?
|
|
un bon réveil. Ce réveil, vous me l'avez donné; laissez-moi en
|
|
jouir tout à mon aise.»
|
|
|
|
Et lui prenant la main, elle l'attira sur un fauteuil qui était
|
|
près de son lit.
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|
|
|
La novice s'assit.
|
|
|
|
«Mon Dieu! dit-elle, que je suis malheureuse! voilà six mois que
|
|
je suis ici, sans l'ombre d'une distraction, vous arrivez, votre
|
|
présence allait être pour moi une compagnie charmante, et voilà
|
|
que, selon toute probabilité, d'un moment à l'autre je vais
|
|
quitter le couvent!
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|
|
|
-- Comment! dit Milady, vous sortez bientôt?
|
|
|
|
-- Du moins je l'espère, dit la novice avec une expression de joie
|
|
qu'elle ne cherchait pas le moins du monde à déguiser.
|
|
|
|
-- Je crois avoir appris que vous aviez souffert de la part du
|
|
cardinal, continua Milady; c'eût été un motif de plus de sympathie
|
|
entre nous.
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|
|
-- Ce que m'a dit notre bonne mère est donc la vérité, que vous
|
|
étiez aussi une victime de ce méchant cardinal?
|
|
|
|
-- Chut! dit Milady, même ici ne parlons pas ainsi de lui; tous
|
|
mes malheurs viennent d'avoir dit à peu près ce que vous venez de
|
|
dire, devant une femme que je croyais mon amie et qui m'a trahie.
|
|
Et vous êtes aussi, vous, la victime d'une trahison?
|
|
|
|
-- Non, dit la novice, mais de mon dévouement à une femme que
|
|
j'aimais, pour qui j'eusse donné ma vie, pour qui je la donnerais
|
|
encore.
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|
|
|
-- Et qui vous a abandonnée, c'est cela!
|
|
|
|
-- J'ai été assez injuste pour le croire, mais depuis deux ou
|
|
trois jours j'ai acquis la preuve du contraire, et j'en remercie
|
|
Dieu; il m'aurait coûté de croire qu'elle m'avait oubliée. Mais
|
|
vous, madame, continua la novice, il me semble que vous êtes
|
|
libre, et que si vous vouliez fuir, il ne tiendrait qu'à vous.
|
|
|
|
-- Où voulez-vous que j'aille, sans amis, sans argent, dans une
|
|
partie de la France que je ne connais pas, où je ne suis jamais
|
|
venue?...
|
|
|
|
-- Oh! s'écria la novice, quant à des amis, vous en aurez partout
|
|
où vous vous montrerez, vous paraissez si bonne et vous êtes si
|
|
belle!
|
|
|
|
-- Cela n'empêche pas, reprit Milady en adoucissant son sourire de
|
|
manière à lui donner une expression angélique, que je suis seule
|
|
et persécutée.
|
|
|
|
-- Écoutez, dit la novice, il faut avoir bon espoir dans le Ciel,
|
|
voyez-vous; il vient toujours un moment où le bien que l'on a fait
|
|
plaide votre cause devant Dieu, et, tenez, peut-être est-ce un
|
|
bonheur pour vous, tout humble et sans pouvoir que je suis, que
|
|
vous m'ayez rencontrée: car, si je sors d'ici, eh bien, j'aurai
|
|
quelques amis puissants, qui, après s'être mis en campagne pour
|
|
moi, pourront aussi se mettre en campagne pour vous.
|
|
|
|
-- Oh! quand j'ai dit que j'étais seule, dit Milady, espérant
|
|
faire parler la novice en parlant d'elle-même, ce n'est pas faute
|
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d'avoir aussi quelques connaissances haut placées; mais ces
|
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connaissances tremblent elles-mêmes devant le cardinal: la reine
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elle-même n'ose pas soutenir contre le terrible ministre; j'ai la
|
|
preuve que Sa Majesté, malgré son excellent coeur, a plus d'une
|
|
fois été obligée d'abandonner à la colère de Son Éminence les
|
|
personnes qui l'avaient servie.
|
|
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-- Croyez-moi, madame, la reine peut avoir l'air d'avoir abandonné
|
|
ces personnes-là; mais il ne faut pas en croire l'apparence: plus
|
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elles sont persécutées, plus elle pense à elles, et souvent, au
|
|
moment où elles y pensent le moins, elles ont la preuve d'un bon
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souvenir.
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-- Hélas! dit Milady, je le crois: la reine est si bonne.
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-- Oh! vous la connaissez donc, cette belle et noble reine, que
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vous parlez d'elle ainsi! s'écria la novice avec enthousiasme.
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-- C'est-à-dire, reprit Milady, poussée dans ses retranchements,
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qu'elle, personnellement, je n'ai pas l'honneur de la connaître;
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mais je connais bon nombre de ses amis les plus intimes: je
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connais M. de Putange; j'ai connu en Angleterre M. Dujart; je
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connais M. de Tréville.
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-- M. de Tréville! s'écria la novice, vous connaissez
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M. de Tréville?
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-- Oui, parfaitement, beaucoup même.
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-- Le capitaine des mousquetaires du roi?
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|
-- Le capitaine des mousquetaires du roi.
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-- Oh! mais vous allez voir, s'écria la novice, que tout à l'heure
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nous allons être des connaissances achevées, presque des amies; si
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vous connaissez M. de Tréville, vous avez dû aller chez lui?
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-- Souvent! dit Milady, qui, entrée dans cette voie, et
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s'apercevant que le mensonge réussissait, voulait le pousser
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jusqu'au bout.
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-- Chez lui, vous avez dû voir quelques-uns de ses mousquetaires?
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-- Tous ceux qu'il reçoit habituellement! répondit Milady, pour
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laquelle cette conversation commençait à prendre un intérêt réel.
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-- Nommez-moi quelques-uns de ceux que vous connaissez, et vous
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verrez qu'ils seront de mes amis.
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-- Mais, dit Milady embarrassée, je connais M. de Louvigny,
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M. de Courtivron, M. de Férussac.»
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La novice la laissa dire; puis, voyant qu'elle s'arrêtait:
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«Vous ne connaissez pas, dit-elle, un gentilhomme nommé Athos?»
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Milady devint aussi pâle que les draps dans lesquels elle était
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couchée, et, si maîtresse qu'elle fût d'elle-même, ne put
|
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s'empêcher de pousser un cri en saisissant la main de son
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interlocutrice et en la dévorant du regard.
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«Quoi! qu'avez-vous? Oh! mon Dieu! demanda cette pauvre femme, ai-
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je donc dit quelque chose qui vous ait blessée?
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-- Non, mais ce nom m'a frappée, parce que, moi aussi j'ai connu
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ce gentilhomme, et qu'il me paraît étrange de trouver quelqu'un
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qui le connaisse beaucoup.
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-- Oh! oui! beaucoup! beaucoup! non seulement lui, mais encore ses
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amis: MM. Porthos et Aramis!
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-- En vérité! eux aussi je les connais! s'écria Milady, qui sentit
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le froid pénétrer jusqu'à son coeur.
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-- Eh bien, si vous les connaissez, vous devez savoir qu'ils sont
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bons et francs compagnons; que ne vous adressez-vous à eux, si
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vous avez besoin d'appui?
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-- C'est-à-dire, balbutia Milady, je ne suis liée réellement avec
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aucun d'eux; je les connais pour en avoir beaucoup entendu parler
|
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par un de leurs amis, M. d'Artagnan.
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-- Vous connaissez M. d'Artagnan!» s'écria la novice à son tour,
|
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en saisissant la main de Milady et en la dévorant des yeux.
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Puis, remarquant l'étrange expression du regard de Milady:
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«Pardon, madame, dit-elle, vous le connaissez, à quel titre?
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-- Mais, reprit Milady embarrassée, mais à titre d'ami.
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-- Vous me trompez, madame, dit la novice; vous avez été sa
|
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maîtresse.
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-- C'est vous qui l'avez été, madame, s'écria Milady à son tour.
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-- Moi! dit la novice.
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|
-- Oui, vous; je vous connais maintenant: vous êtes madame
|
|
Bonacieux.»
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La jeune femme se recula, pleine de surprise et de terreur.
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«Oh! ne niez pas! répondez, reprit Milady.
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|
-- Eh bien, oui, madame! je l'aime, dit la novice; sommes-nous
|
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rivales?»
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|
La figure de Milady s'illumina d'un feu tellement sauvage que,
|
|
dans toute autre circonstance, Mme Bonacieux se fût enfuie
|
|
d'épouvante; mais elle était toute à sa jalousie.
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|
|
«Voyons, dites, madame, reprit Mme Bonacieux avec une énergie dont
|
|
on l'eût crue incapable, avez-vous été ou êtes-vous sa maîtresse?
|
|
|
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-- Oh! non! s'écria Milady avec un accent qui n'admettait pas le
|
|
doute sur sa vérité, jamais! jamais!
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|
-- Je vous crois, dit Mme Bonacieux; mais pourquoi donc alors vous
|
|
êtes-vous écriée ainsi?
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|
-- Comment, vous ne comprenez pas! dit Milady, qui était déjà
|
|
remise de son trouble, et qui avait retrouvé toute sa présence
|
|
d'esprit.
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|
-- Comment voulez-vous que je comprenne? je ne sais rien.
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|
-- Vous ne comprenez pas que M. d'Artagnan étant mon ami, il
|
|
m'avait prise pour confidente?
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|
|
-- Vraiment!
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|
-- Vous ne comprenez pas que je sais tout, votre enlèvement de la
|
|
petite maison de Saint-Germain, son désespoir, celui de ses amis,
|
|
leurs recherches inutiles depuis ce moment! Et comment ne voulez-
|
|
vous pas que je m'en étonne, quand, sans m'en douter, je me trouve
|
|
en face de vous, de vous dont nous avons parlé si souvent
|
|
ensemble, de vous qu'il aime de toute la force de son âme, de vous
|
|
qu'il m'avait fait aimer avant que je vous eusse vue? Ah! chère
|
|
Constance, je vous trouve donc, je vous vois donc enfin!»
|
|
|
|
Et Milady tendit ses bras à Mme Bonacieux, qui, convaincue par ce
|
|
qu'elle venait de lui dire, ne vit plus dans cette femme, qu'un
|
|
instant auparavant elle avait crue sa rivale, qu'une amie sincère
|
|
et dévouée.
|
|
|
|
«Oh! pardonnez-moi! pardonnez-moi! s'écria-t-elle en se laissant
|
|
aller sur son épaule, je l'aime tant!»
|
|
|
|
Ces deux femmes se tinrent un instant embrassées. Certes, si les
|
|
forces de Milady eussent été à la hauteur de sa haine,
|
|
Mme Bonacieux ne fût sortie que morte de cet embrassement. Mais,
|
|
ne pouvant pas l'étouffer, elle lui sourit.
|
|
|
|
«O chère belle! chère bonne petite! dit Milady, que je suis
|
|
heureuse de vous voir! Laissez-moi vous regarder. Et, en disant
|
|
ces mots, elle la dévorait effectivement du regard. Oui, c'est
|
|
bien vous. Ah! d'après ce qu'il m'a dit, je vous reconnais à cette
|
|
heure, je vous reconnais parfaitement.»
|
|
|
|
La pauvre jeune femme ne pouvait se douter de ce qui se passait
|
|
d'affreusement cruel derrière le rempart de ce front pur, derrière
|
|
ces yeux si brillants où elle ne lisait que de l'intérêt et de la
|
|
compassion.
|
|
|
|
«Alors vous savez ce que j'ai souffert, dit Mme Bonacieux,
|
|
puisqu'il vous a dit ce qu'il souffrait; mais souffrir pour lui,
|
|
c'est du bonheur.»
|
|
|
|
Milady reprit machinalement:
|
|
|
|
«Oui, c'est du bonheur.»
|
|
|
|
Elle pensait à autre chose.
|
|
|
|
«Et puis, continua Mme Bonacieux, mon supplice touche à son terme;
|
|
demain, ce soir peut-être, je le reverrai, et alors le passé
|
|
n'existera plus.
|
|
|
|
-- Ce soir? demain? s'écria Milady tirée de sa rêverie par ces
|
|
paroles, que voulez-vous dire? attendez-vous quelque nouvelle de
|
|
lui?
|
|
|
|
-- Je l'attends lui-même.
|
|
|
|
-- Lui-même; d'Artagnan, ici!
|
|
|
|
-- Lui-même.
|
|
|
|
-- Mais, c'est impossible! il est au siège de La Rochelle avec le
|
|
cardinal; il ne reviendra à Paris qu'après la prise de la ville.
|
|
|
|
-- Vous le croyez ainsi, mais est-ce qu'il y a quelque chose
|
|
d'impossible à mon d'Artagnan, le noble et loyal gentilhomme!
|
|
|
|
-- Oh! je ne puis vous croire!
|
|
|
|
-- Eh bien, lisez donc!» dit, dans l'excès de son orgueil et de sa
|
|
joie, la malheureuse jeune femme en présentant une lettre à
|
|
Milady.
|
|
|
|
«L'écriture de Mme de Chevreuse! se dit en elle-même Milady. Ah!
|
|
j'étais bien sûre qu'ils avaient des intelligences de ce côté-là!»
|
|
|
|
Et elle lut avidement ces quelques lignes:
|
|
|
|
«Ma chère enfant, tenez-vous prête; notre ami vous verra bientôt,
|
|
et il ne vous verra que pour vous arracher de la prison où votre
|
|
sûreté exigeait que vous fussiez cachée: préparez-vous donc au
|
|
départ et ne désespérez jamais de nous.
|
|
|
|
«Notre charmant Gascon vient de se montrer brave et fidèle comme
|
|
toujours, dites-lui qu'on lui est bien reconnaissant quelque part
|
|
de l'avis qu'il a donné.»
|
|
|
|
«Oui, oui, dit Milady, oui, la lettre est précise. Savez-vous quel
|
|
est cet avis?
|
|
|
|
-- Non. Je me doute seulement qu'il aura prévenu la reine de
|
|
quelque nouvelle machination du cardinal.
|
|
|
|
-- Oui, c'est cela sans doute!» dit Milady en rendant la lettre à
|
|
Mme Bonacieux et en laissant retomber sa tête pensive sur sa
|
|
poitrine.
|
|
|
|
En ce moment on entendit le galop d'un cheval.
|
|
|
|
«Oh! s'écria Mme Bonacieux en s'élançant à la fenêtre, serait-ce
|
|
déjà lui?»
|
|
|
|
Milady était restée dans son lit, pétrifiée par la surprise; tant
|
|
de choses inattendues lui arrivaient tout à coup, que pour la
|
|
première fois la tête lui manquait.
|
|
|
|
«Lui! lui! murmura-t-elle, serait-ce lui?»
|
|
|
|
Et elle demeurait dans son lit les yeux fixes.
|
|
|
|
«Hélas, non! dit Mme Bonacieux, c'est un homme que je ne connais
|
|
pas, et qui cependant a l'air de venir ici; oui, il ralentit sa
|
|
course, il s'arrête à la porte, il sonne.
|
|
|
|
Milady sauta hors de son lit.
|
|
|
|
«Vous êtes bien sûre que ce n'est pas lui? dit-elle.
|
|
|
|
-- Oh! oui, bien sûre!
|
|
|
|
-- Vous avez peut-être mal vu.
|
|
|
|
-- Oh! je verrais la plume de son feutre, le bout de son manteau,
|
|
que je le reconnaîtrais, lui!
|
|
|
|
Milady s'habillait toujours.
|
|
|
|
«N'importe! cet homme vient ici, dites-vous?
|
|
|
|
-- Oui, il est entré.
|
|
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|
-- C'est ou pour vous ou pour moi.
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu, comme vous semblez agitée!
|
|
|
|
-- Oui, je l'avoue, je n'ai pas votre confiance, je crains tout du
|
|
cardinal.
|
|
|
|
-- Chut! dit Mme Bonacieux, on vient!»
|
|
|
|
Effectivement, la porte s'ouvrit, et la supérieure entra.
|
|
|
|
«Est-ce vous qui arrivez de Boulogne? demanda-t-elle à Milady.
|
|
|
|
-- Oui, c'est moi, répondit celle-ci, et, tâchant de ressaisir son
|
|
sang-froid, qui me demande?
|
|
|
|
-- Un homme qui ne veut pas dire son nom, mais qui vient de la
|
|
part du cardinal.
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|
-- Et qui veut me parler? demanda Milady.
|
|
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|
-- Qui veut parler à une dame arrivant de Boulogne.
|
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|
-- Alors faites entrer, madame, je vous prie.
|
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|
-- Oh! mon Dieu! mon Dieu! dit Mme Bonacieux, serait-ce quelque
|
|
mauvaise nouvelle?
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|
-- J'en ai peur.
|
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|
-- Je vous laisse avec cet étranger, mais aussitôt son départ, si
|
|
vous le permettez, je reviendrai.
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|
|
-- Comment donc! je vous en prie.»
|
|
|
|
La supérieure et Mme Bonacieux sortirent.
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|
Milady resta seule, les yeux fixés sur la porte; un instant après
|
|
on entendit le bruit d'éperons qui retentissaient sur les
|
|
escaliers, puis les pas se rapprochèrent, puis la porte s'ouvrit,
|
|
et un homme parut.
|
|
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|
Milady jeta un cri de joie: cet homme c'était le comte de
|
|
Rochefort, l'âme damnée de Son Éminence.
|
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|
|
CHAPITRE LXII
|
|
DEUX VARIÉTÉS DE DÉMONS
|
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|
«Ah! s'écrièrent ensemble Rochefort et Milady, c'est vous!
|
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|
-- Oui, c'est moi.
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|
-- Et vous arrivez...? demanda Milady.
|
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|
-- De La Rochelle, et vous?
|
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|
-- D'Angleterre.
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|
-- Buckingham?
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|
-- Mort ou blessé dangereusement; comme je partais sans avoir rien
|
|
pu obtenir de lui, un fanatique venait de l'assassiner.
|
|
|
|
-- Ah! fit Rochefort avec un sourire, voilà un hasard bien
|
|
heureux! et qui satisfera Son Éminence! L'avez-vous prévenue?
|
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|
-- Je lui ai écrit de Boulogne. Mais comment êtes-vous ici?
|
|
|
|
-- Son Éminence, inquiète, m'a envoyé à votre recherche.
|
|
|
|
-- Je suis arrivée d'hier seulement.
|
|
|
|
-- Et qu'avez-vous fait depuis hier?
|
|
|
|
-- Je n'ai pas perdu mon temps.
|
|
|
|
-- Oh! je m'en doute bien!
|
|
|
|
-- Savez-vous qui j'ai rencontré ici?
|
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|
|
-- Non.
|
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|
|
-- Devinez.
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|
-- Comment voulez-vous?...
|
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|
-- Cette jeune femme que la reine a tirée de prison.
|
|
|
|
-- La maîtresse du petit d'Artagnan?
|
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|
|
-- Oui, Mme Bonacieux, dont le cardinal ignorait la retraite.
|
|
|
|
-- Eh bien, dit Rochefort, voilà encore un hasard qui peut aller
|
|
de pair avec l'autre, M. le cardinal est en vérité un homme
|
|
privilégié.
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|
|
-- Comprenez-vous mon étonnement, continua Milady, quand je me
|
|
suis trouvée face à face avec cette femme?
|
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|
-- Vous connaît-elle?
|
|
|
|
-- Non.
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|
-- Alors elle vous regarde comme une étrangère?»
|
|
|
|
Milady sourit.
|
|
|
|
«Je suis sa meilleure amie!
|
|
|
|
-- Sur mon honneur, dit Rochefort, il n'y a que vous, ma chère
|
|
comtesse, pour faire de ces miracles-là.
|
|
|
|
-- Et bien m'en a pris, chevalier, dit Milady, car savez-vous ce
|
|
qui se passe?
|
|
|
|
-- Non.
|
|
|
|
-- On va la venir chercher demain ou après-demain avec un ordre de
|
|
la reine.
|
|
|
|
-- Vraiment? et qui cela?
|
|
|
|
-- D'Artagnan et ses amis.
|
|
|
|
-- En vérité ils en feront tant, que nous serons obligés de les
|
|
envoyer à la Bastille.
|
|
|
|
-- Pourquoi n'est-ce point déjà fait?
|
|
|
|
-- Que voulez-vous! parce que M. le cardinal a pour ces hommes une
|
|
faiblesse que je ne comprends pas.
|
|
|
|
-- Vraiment?
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Eh bien, dites-lui ceci, Rochefort: dites-lui que notre
|
|
conversation à l'auberge du Colombier-Rouge a été entendue par ces
|
|
quatre hommes; dites-lui qu'après son départ l'un d'eux est monté
|
|
et m'a arraché par violence le sauf-conduit qu'il m'avait donné;
|
|
dites-lui qu'ils avaient fait prévenir Lord de Winter de mon
|
|
passage en Angleterre; que, cette fois encore, ils ont failli
|
|
faire échouer ma mission, comme ils ont fait échouer celle des
|
|
ferrets; dites-lui que parmi ces quatre hommes, deux seulement
|
|
sont à craindre, d'Artagnan et Athos; dites-lui que le troisième,
|
|
Aramis, est l'amant de Mme de Chevreuse: il faut laisser vivre
|
|
celui-là, on sait son secret, il peut être utile; quant au
|
|
quatrième, Porthos, c'est un sot, un fat et un niais, qu'il ne
|
|
s'en occupe même pas.
|
|
|
|
-- Mais ces quatre hommes doivent être à cette heure au siège de
|
|
La Rochelle.
|
|
|
|
-- Je le croyais comme vous; mais une lettre que Mme Bonacieux a
|
|
reçue de Mme de Chevreuse, et qu'elle a eu l'imprudence de me
|
|
communiquer, me porte à croire que ces quatre hommes au contraire
|
|
sont en campagne pour la venir enlever.
|
|
|
|
-- Diable! comment faire?
|
|
|
|
-- Que vous a dit le cardinal à mon égard?
|
|
|
|
-- De prendre vos dépêches écrites ou verbales, de revenir en
|
|
poste, et, quand il saura ce que vous avez fait, il avisera à ce
|
|
que vous devez faire.
|
|
|
|
-- Je dois donc rester ici? demanda Milady.
|
|
|
|
-- Ici ou dans les environs.
|
|
|
|
-- Vous ne pouvez m'emmener avec vous?
|
|
|
|
-- Non, l'ordre est formel: aux environs du camp, vous pourriez
|
|
être reconnue, et votre présence, vous le comprenez,
|
|
compromettrait Son Éminence, surtout après ce qui vient de se
|
|
passer là-bas. Seulement, dites-moi d'avance où vous attendrez des
|
|
nouvelles du cardinal, que je sache toujours où vous retrouver.
|
|
|
|
-- Écoutez, il est probable que je ne pourrai rester ici.
|
|
|
|
-- Pourquoi?
|
|
|
|
-- Vous oubliez que mes ennemis peuvent arriver d'un moment à
|
|
l'autre.
|
|
|
|
-- C'est vrai; mais alors cette petite femme va échapper à Son
|
|
Éminence?
|
|
|
|
-- Bah! dit Milady avec un sourire qui n'appartenait qu'à elle,
|
|
vous oubliez que je suis sa meilleure amie.
|
|
|
|
-- Ah! c'est vrai! je puis donc dire au cardinal, à l'endroit de
|
|
cette femme...
|
|
|
|
-- Qu'il soit tranquille.
|
|
|
|
-- Voilà tout?
|
|
|
|
-- Il saura ce que cela veut dire.
|
|
|
|
-- Il le devinera. Maintenant, voyons, que dois-je faire?
|
|
|
|
-- Repartir à l'instant même; il me semble que les nouvelles que
|
|
vous reportez valent bien la peine que l'on fasse diligence.
|
|
|
|
-- Ma chaise s'est cassée en entrant à Lillers.
|
|
|
|
-- À merveille!
|
|
|
|
-- Comment, à merveille?
|
|
|
|
-- Oui, j'ai besoin de votre chaise, moi, dit la comtesse.
|
|
|
|
-- Et comment partirai-je, alors?
|
|
|
|
-- À franc étrier.
|
|
|
|
-- Vous en parlez bien à votre aise, cent quatre-vingts lieues.
|
|
|
|
-- Qu'est-ce que cela?
|
|
|
|
-- On les fera. Après?
|
|
|
|
-- Après: en passant à Lillers, vous me renvoyez la chaise avec
|
|
ordre à votre domestique de se mettre à ma disposition.
|
|
|
|
-- Bien.
|
|
|
|
-- Vous avez sans doute sur vous quelque ordre du cardinal?
|
|
|
|
-- J'ai mon plein pouvoir.
|
|
|
|
-- Vous le montrez à l'abbesse, et vous dites qu'on viendra me
|
|
chercher, soit aujourd'hui, soit demain, et que j'aurai à suivre
|
|
la personne qui se présentera en votre nom.
|
|
|
|
-- Très bien!
|
|
|
|
-- N'oubliez pas de me traiter durement en parlant de moi à
|
|
l'abbesse.
|
|
|
|
-- À quoi bon?
|
|
|
|
-- Je suis une victime du cardinal. Il faut bien que j'inspire de
|
|
la confiance à cette pauvre petite Mme Bonacieux.
|
|
|
|
-- C'est juste. Maintenant voulez-vous me faire un rapport de tout
|
|
ce qui est arrivé?
|
|
|
|
-- Mais je vous ai raconté les événements, vous avez bonne
|
|
mémoire, répétez les choses comme je vous les ai dites, un papier
|
|
se perd.
|
|
|
|
-- Vous avez raison; seulement que je sache où vous retrouver, que
|
|
je n'aille pas courir inutilement dans les environs.
|
|
|
|
-- C'est juste, attendez.
|
|
|
|
-- Voulez-vous une carte?
|
|
|
|
-- Oh! je connais ce pays à merveille.
|
|
|
|
-- Vous? quand donc y êtes-vous venue?
|
|
|
|
-- J'y ai été élevée.
|
|
|
|
-- Vraiment?
|
|
|
|
-- C'est bon à quelque chose, vous le voyez, que d'avoir été
|
|
élevée quelque part.
|
|
|
|
-- Vous m'attendrez donc...?
|
|
|
|
-- Laissez-moi réfléchir un instant; eh! tenez, à Armentières.
|
|
|
|
-- Qu'est-ce que cela, Armentières?
|
|
|
|
-- Une petite ville sur la Lys! je n'aurai qu'à traverser la
|
|
rivière et je suis en pays étranger.
|
|
|
|
-- À merveille! mais il est bien entendu que vous ne traverserez
|
|
la rivière qu'en cas de danger.
|
|
|
|
-- C'est bien entendu.
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-- Et, dans ce cas, comment saurai-je où vous êtes?
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-- Vous n'avez pas besoin de votre laquais?
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-- Non.
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-- C'est un homme sûr?
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-- À l'épreuve.
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-- Donnez-le-moi; personne ne le connaît, je le laisse à l'endroit
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que je quitte, et il vous conduit où je suis.
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-- Et vous dites que vous m'attendez à Argentières?
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-- À Armentières, répondit Milady.
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-- Écrivez-moi ce nom-là sur un morceau de papier, de peur que je
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l'oublie; ce n'est pas compromettant, un nom de ville, n'est-ce
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pas?
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-- Eh, qui sait? N'importe, dit Milady en écrivant le nom sur une
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demi-feuille de papier, je me compromets.
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-- Bien! dit Rochefort en prenant des mains de Milady le papier,
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qu'il plia et qu'il enfonça dans la coiffe de son feutre;
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d'ailleurs, soyez tranquille, je vais faire comme les enfants, et,
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dans le cas où je perdrais ce papier, répéter le nom tout le long
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de la route. Maintenant est-ce tout?
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-- Je le crois.
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-- Cherchons bien: Buckingham mort ou grièvement blessé; votre
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entretien avec le cardinal entendu des quatre mousquetaires; Lord
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de Winter prévenu de votre arrivée à Portsmouth; d'Artagnan et
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Athos à la Bastille; Aramis l'amant de Mme de Chevreuse; Porthos
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un fat; Mme Bonacieux retrouvée; vous envoyer la chaise le plus
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tôt possible; mettre mon laquais à votre disposition; faire de
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vous une victime du cardinal, pour que l'abbesse ne prenne aucun
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soupçon; Armentières sur les bords de la Lys. Est-ce cela?
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-- En vérité, mon cher chevalier, vous êtes un miracle de mémoire.
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À propos, ajoutez une chose...
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-- Laquelle?
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-- J'ai vu de très jolis bois qui doivent toucher au jardin du
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couvent, dites qu'il m'est permis de me promener dans ces bois;
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qui sait? j'aurai peut-être besoin de sortir par une porte de
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derrière.
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-- Vous pensez à tout.
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-- Et vous, vous oubliez une chose...
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-- Laquelle?
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-- C'est de me demander si j'ai besoin d'argent.
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-- C'est juste, combien voulez-vous?
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-- Tout ce que vous aurez d'or.
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-- J'ai cinq cents pistoles à peu près.
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-- J'en ai autant: avec mille pistoles on fait face à tout; videz
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vos poches.
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-- Voilà, comtesse.
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-- Bien, mon cher comte! et vous partez...?
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-- Dans une heure; le temps de manger un morceau, pendant lequel
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j'enverrai chercher un cheval de poste.
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-- À merveille! Adieu, chevalier!
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-- Adieu, comtesse!
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-- Recommandez-moi au cardinal, dit Milady.
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-- Recommandez-moi à Satan», répliqua Rochefort.
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Milady et Rochefort échangèrent un sourire et se séparèrent.
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Une heure après, Rochefort partit au grand galop de son cheval;
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cinq heures après il passait à Arras.
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Nos lecteurs savent déjà comment il avait été reconnu par
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d'Artagnan, et comment cette reconnaissance, en inspirant des
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craintes aux quatre mousquetaires, avait donné une nouvelle
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activité à leur voyage.
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|
CHAPITRE LXIII
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|
UNE GOUTTE D'EAU
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À peine Rochefort fut-il sorti, que Mme Bonacieux rentra. Elle
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trouva Milady le visage riant.
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«Eh bien, dit la jeune femme, ce que vous craigniez est donc
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arrivé; ce soir ou demain le cardinal vous envoie prendre?
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-- Qui vous a dit cela, mon enfant? demanda Milady.
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-- Je l'ai entendu de la bouche même du messager.
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-- Venez vous asseoir ici près de moi, dit Milady.
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-- Me voici.
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-- Attendez que je m'assure si personne ne nous écoute.
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-- Pourquoi toutes ces précautions?
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-- Vous allez le savoir.»
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Milady se leva et alla à la porte, l'ouvrit, regarda dans le
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corridor, et revint se rasseoir près de Mme Bonacieux.
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«Alors, dit-elle, il a bien joué son rôle.
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-- Qui cela?
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-- Celui qui s'est présenté à l'abbesse comme l'envoyé du
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cardinal.
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-- C'était donc un rôle qu'il jouait?
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-- Oui, mon enfant.
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-- Cet homme n'est donc pas...
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-- Cet homme, dit Milady en baissant la voix, c'est mon frère.
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-- Votre frère! s'écria Mme Bonacieux.
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-- Eh bien, il n'y a que vous qui sachiez ce secret, mon enfant;
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si vous le confiez à qui que ce soit au monde, je serai perdue, et
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vous aussi peut-être.
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-- Oh! mon Dieu!
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-- Écoutez, voici ce qui se passe: mon frère, qui venait à mon
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secours pour m'enlever ici de force, s'il le fallait, a rencontré
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|
l'émissaire du cardinal qui venait me chercher; il l'a suivi.
|
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Arrivé à un endroit du chemin solitaire et écarté, il a mis l'épée
|
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à la main en sommant le messager de lui remettre les papiers dont
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il était porteur; le messager a voulu se défendre, mon frère l'a
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tué.
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-- Oh! fit Mme Bonacieux en frissonnant.
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-- C'était le seul moyen, songez-y. Alors mon frère a résolu de
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substituer la ruse à la force: il a pris les papiers, il s'est
|
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présenté ici comme l'émissaire du cardinal lui-même, et dans une
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|
heure ou deux, une voiture doit venir me prendre de la part de Son
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|
Éminence.
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-- Je comprends; cette voiture, c'est votre frère qui vous
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l'envoie.
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-- Justement; mais ce n'est pas tout: cette lettre que vous avez
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reçue, et que vous croyez de Mme Chevreuse...
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-- Eh bien?
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-- Elle est fausse.
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-- Comment cela?
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-- Oui, fausse: c'est un piège pour que vous ne fassiez pas de
|
|
résistance quand on viendra vous chercher.
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-- Mais c'est d'Artagnan qui viendra.
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-- Détrompez-vous, d'Artagnan et ses amis sont retenus au siège de
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La Rochelle.
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-- Comment savez-vous cela?
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-- Mon frère a rencontré des émissaires du cardinal en habits de
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mousquetaires. On vous aurait appelée à la porte, vous auriez cru
|
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avoir affaire à des amis, on vous enlevait et on vous ramenait à
|
|
Paris.
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-- Oh! mon Dieu! ma tête se perd au milieu de ce chaos
|
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d'iniquités. Je sens que si cela durait, continua Mme Bonacieux en
|
|
portant ses mains à son front, je deviendrais folle!
|
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|
-- Attendez...
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|
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|
-- Quoi?
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-- J'entends le pas d'un cheval, c'est celui de mon frère qui
|
|
repart; je veux lui dire un dernier adieu, venez.»
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|
Milady ouvrit la fenêtre et fit signe à Mme Bonacieux de l'y
|
|
rejoindre. La jeune femme y alla.
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|
Rochefort passait au galop.
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|
«Adieu, frère», s'écria Milady.
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|
Le chevalier leva la tête, vit les deux jeunes femmes, et, tout
|
|
courant, fit à Milady un signe amical de la main.
|
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|
«Ce bon Georges!» dit-elle en refermant la fenêtre avec une
|
|
expression de visage pleine d'affection et de mélancolie.
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Et elle revint s'asseoir à sa place, comme si elle eût été plongée
|
|
dans des réflexions toutes personnelles.
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|
|
«Chère dame! dit Mme Bonacieux, pardon de vous interrompre! mais
|
|
que me conseillez-vous de faire? mon Dieu! Vous avez plus
|
|
d'expérience que moi, parlez, je vous écoute.
|
|
|
|
-- D'abord, dit Milady, il se peut que je me trompe et que
|
|
d'Artagnan et ses amis viennent véritablement à votre secours.
|
|
|
|
-- Oh! c'eût été trop beau! s'écria Mme Bonacieux, et tant de
|
|
bonheur n'est pas fait pour moi!
|
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|
|
-- Alors, vous comprenez; ce serait tout simplement une question
|
|
de temps, une espèce de course à qui arrivera le premier. Si ce
|
|
sont vos amis qui l'emportent en rapidité, vous êtes sauvée; si ce
|
|
sont les satellites du cardinal, vous êtes perdue.
|
|
|
|
-- Oh! oui, oui, perdue sans miséricorde! Que faire donc? que
|
|
faire?
|
|
|
|
-- Il y aurait un moyen bien simple, bien naturel...
|
|
|
|
-- Lequel, dites?
|
|
|
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-- Ce serait d'attendre, cachée dans les environs, et de s'assurer
|
|
ainsi quels sont les hommes qui viendront vous demander.
|
|
|
|
-- Mais où attendre?
|
|
|
|
-- Oh! ceci n'est point une question: moi-même je m'arrête et je
|
|
me cache à quelques lieues d'ici en attendant que mon frère vienne
|
|
me rejoindre; eh bien, je vous emmène avec moi, nous nous cachons
|
|
et nous attendons ensemble.
|
|
|
|
-- Mais on ne me laissera pas partir, je suis ici presque
|
|
prisonnière.
|
|
|
|
-- Comme on croit que je pars sur un ordre du cardinal, on ne vous
|
|
croira pas très pressée de me suivre.
|
|
|
|
-- Eh bien?
|
|
|
|
-- Eh bien, la voiture est à la porte, vous me dites adieu, vous
|
|
montez sur le marchepied pour me serrer dans vos bras une dernière
|
|
fois; le domestique de mon frère qui vient me prendre est prévenu,
|
|
il fait un signe au postillon, et nous partons au galop.
|
|
|
|
-- Mais d'Artagnan, d'Artagnan, s'il vient?
|
|
|
|
-- Ne le saurons-nous pas?
|
|
|
|
-- Comment?
|
|
|
|
-- Rien de plus facile. Nous renvoyons à Béthune ce domestique de
|
|
mon frère, à qui, je vous l'ai dit, nous pouvons nous fier; il
|
|
prend un déguisement et se loge en face du couvent: si ce sont les
|
|
émissaires du cardinal qui viennent, il ne bouge pas; si c'est
|
|
M. d'Artagnan et ses amis, il les amène où nous sommes.
|
|
|
|
-- Il les connaît donc?
|
|
|
|
-- Sans doute, n'a-t-il pas vu M. d'Artagnan chez moi!
|
|
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|
-- Oh! oui, oui, vous avez raison; ainsi, tout va bien, tout est
|
|
pour le mieux; mais ne nous éloignons pas d'ici.
|
|
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|
-- À sept ou huit lieues tout au plus, nous nous tenons sur la
|
|
frontière par exemple, et à la première alerte, nous sortons de
|
|
France.
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|
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|
-- Et d'ici là, que faire?
|
|
|
|
-- Attendre.
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-- Mais s'ils arrivent?
|
|
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|
-- La voiture de mon frère arrivera avant eux.
|
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|
|
-- Si je suis loin de vous quand on viendra vous prendre; à dîner
|
|
ou à souper, par exemple?
|
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|
|
-- Faites une chose.
|
|
|
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-- Laquelle?
|
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|
-- Dites à votre bonne supérieure que, pour nous quitter le moins
|
|
possible, vous lui demanderez la permission de partager mon repas.
|
|
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|
-- Le permettra-t-elle?
|
|
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|
-- Quel inconvénient y a-t-il à cela?
|
|
|
|
-- Oh! très bien, de cette façon nous ne nous quitterons pas un
|
|
instant!
|
|
|
|
-- Eh bien, descendez chez elle pour lui faire votre demande! je
|
|
me sens la tête lourde, je vais faire un tour au jardin.
|
|
|
|
-- Allez, et où vous retrouverai-je?
|
|
|
|
-- Ici dans une heure.
|
|
|
|
-- Ici dans une heure; oh! vous êtes bonne et je vous remercie.
|
|
|
|
-- Comment ne m'intéresserais-je pas à vous? Quand vous ne seriez
|
|
pas belle et charmante, n'êtes-vous pas l'amie d'un de mes
|
|
meilleurs amis!
|
|
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|
-- Cher d'Artagnan, oh! comme il vous remerciera!
|
|
|
|
-- Je l'espère bien. Allons! tout est convenu, descendons.
|
|
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|
-- Vous allez au jardin?
|
|
|
|
-- Oui.
|
|
|
|
-- Suivez ce corridor, un petit escalier vous y conduit.
|
|
|
|
-- À merveille! merci.»
|
|
|
|
Et les deux femmes se quittèrent en échangeant un charmant
|
|
sourire.
|
|
|
|
Milady avait dit la vérité, elle avait la tête lourde; car ses
|
|
projets mal classés s'y heurtaient comme dans un chaos. Elle avait
|
|
besoin d'être seule pour mettre un peu d'ordre dans ses pensées.
|
|
Elle voyait vaguement dans l'avenir; mais il lui fallait un peu de
|
|
silence et de quiétude pour donner à toutes ses idées, encore
|
|
confuses, une forme distincte, un plan arrêté.
|
|
|
|
Ce qu'il y avait de plus pressé, c'était d'enlever Mme Bonacieux,
|
|
de la mettre en lieu de sûreté, et là, le cas échéant, de s'en
|
|
faire un otage. Milady commençait à redouter l'issue de ce duel
|
|
terrible, où ses ennemis mettaient autant de persévérance qu'elle
|
|
mettait, elle, d'acharnement.
|
|
|
|
D'ailleurs elle sentait, comme on sent venir un orage, que cette
|
|
issue était proche et ne pouvait manquer d'être terrible.
|
|
|
|
Le principal pour elle, comme nous l'avons dit, était donc de
|
|
tenir Mme Bonacieux entre ses mains. Mme Bonacieux, c'était la vie
|
|
de d'Artagnan; c'était plus que sa vie, c'était celle de la femme
|
|
qu'il aimait; c'était, en cas de mauvaise fortune, un moyen de
|
|
traiter et d'obtenir sûrement de bonnes conditions.
|
|
|
|
Or, ce point était arrêté: Mme Bonacieux, sans défiance, la
|
|
suivait; une fois cachée avec elle à Armentières, il était facile
|
|
de lui faire croire que d'Artagnan n'était pas venu à Béthune.
|
|
Dans quinze jours au plus, Rochefort serait de retour; pendant ces
|
|
quinze jours, d'ailleurs, elle aviserait à ce qu'elle aurait à
|
|
faire pour se venger des quatre amis. Elle ne s'ennuierait pas,
|
|
Dieu merci, car elle aurait le plus doux passe-temps que les
|
|
événements pussent accorder à une femme de son caractère: une
|
|
bonne vengeance à perfectionner.
|
|
|
|
Tout en rêvant, elle jetait les yeux autour d'elle et classait
|
|
dans sa tête la topographie du jardin. Milady était comme un bon
|
|
général, qui prévoit tout ensemble la victoire et la défaite, et
|
|
qui est tout près, selon les chances de la bataille, à marcher en
|
|
avant ou à battre en retraite.
|
|
|
|
Au bout d'une heure, elle entendit une douce voix qui l'appelait;
|
|
c'était celle de Mme Bonacieux. La bonne abbesse avait
|
|
naturellement consenti à tout, et, pour commencer, elles allaient
|
|
souper ensemble.
|
|
|
|
En arrivant dans la cour, elles entendirent le bruit d'une voiture
|
|
qui s'arrêtait a la porte.
|
|
|
|
«Entendez-vous? dit-elle.
|
|
|
|
-- Oui, le roulement d'une voiture.
|
|
|
|
-- C'est celle que mon frère nous envoie.
|
|
|
|
-- Oh! mon Dieu!
|
|
|
|
-- Voyons, du courage!»
|
|
|
|
On sonna à la porte du couvent, Milady ne s'était pas trompée.
|
|
|
|
«Montez dans votre chambre, dit-elle à Mme Bonacieux, vous avez
|
|
bien quelques bijoux que vous désirez emporter.
|
|
|
|
-- J'ai ses lettres, dit-elle.
|
|
|
|
-- Eh bien, allez les chercher et venez me rejoindre chez moi,
|
|
nous souperons à la hâte, peut-être voyagerons-nous une partie de
|
|
la nuit, il faut prendre des forces.
|
|
|
|
-- Grand Dieu! dit Mme Bonacieux en mettant la main sur sa
|
|
poitrine, le coeur m'étouffe, je ne puis marcher.
|
|
|
|
-- Du courage, allons, du courage! pensez que dans un quart
|
|
d'heure vous êtes sauvée, et songez que ce que vous allez faire,
|
|
c'est pour lui que vous le faites.
|
|
|
|
-- Oh! oui, tout pour lui. Vous m'avez rendu mon courage par un
|
|
seul mot; allez, je vous rejoins.»
|
|
|
|
Milady monta vivement chez elle, elle y trouva le laquais de
|
|
Rochefort, et lui donna ses instructions.
|
|
|
|
Il devait attendre à la porte; si par hasard les mousquetaires
|
|
paraissaient, la voiture partait au galop, faisait le tour du
|
|
couvent, et allait attendre Milady à un petit village qui était
|
|
situé de l'autre côté du bois. Dans ce cas, Milady traversait le
|
|
jardin et gagnait le village à pied; nous l'avons dit déjà, Milady
|
|
connaissait à merveille cette partie de la France.
|
|
|
|
Si les mousquetaires ne paraissaient pas, les choses allaient
|
|
comme il était convenu: Mme Bonacieux montait dans la voiture sous
|
|
prétexte de lui dire adieu et Milady enlevait Mme Bonacieux.
|
|
|
|
Mme Bonacieux entra, et pour lui ôter tout soupçon si elle en
|
|
avait, Milady répéta devant elle au laquais toute la dernière
|
|
partie de ses instructions.
|
|
|
|
Milady fit quelques questions sur la voiture: c'était une chaise
|
|
attelée de trois chevaux, conduite par un postillon; le laquais de
|
|
Rochefort devait la précéder en courrier.
|
|
|
|
C'était à tort que Milady craignait que Mme Bonacieux n'eût des
|
|
soupçons: la pauvre jeune femme était trop pure pour soupçonner
|
|
dans une autre femme une telle perfidie; d'ailleurs le nom de la
|
|
comtesse de Winter, qu'elle avait entendu prononcer par l'abbesse,
|
|
lui était parfaitement inconnu, et elle ignorait même qu'une femme
|
|
eût eu une part si grande et si fatale aux malheurs de sa vie.
|
|
|
|
«Vous le voyez, dit Milady, lorsque le laquais fut sorti, tout est
|
|
prêt. L'abbesse ne se doute de rien et croit qu'on me vient
|
|
chercher de la part du cardinal. Cet homme va donner les derniers
|
|
ordres; prenez la moindre chose, buvez un doigt de vin et partons.
|
|
|
|
-- Oui, dit machinalement Mme Bonacieux, oui, partons.»
|
|
|
|
Milady lui fit signe de s'asseoir devant elle, lui versa un petit
|
|
verre de vin d'Espagne et lui servit un blanc de poulet.
|
|
|
|
«Voyez, lui dit-elle, si tout ne nous seconde pas: voici la nuit
|
|
qui vient; au point du jour nous serons arrivées dans notre
|
|
retraite, et nul ne pourra se douter où nous sommes. Voyons, du
|
|
courage, prenez quelque chose.»
|
|
|
|
Mme Bonacieux mangea machinalement quelques bouchées et trempa ses
|
|
lèvres dans son verre.
|
|
|
|
«Allons donc, allons donc, dit Milady portant le sien à ses
|
|
lèvres, faites comme moi.»
|
|
|
|
Mais au moment où elle l'approchait de sa bouche, sa main resta
|
|
suspendue: elle venait d'entendre sur la route comme le roulement
|
|
lointain d'un galop qui allait s'approchant; puis, presque en même
|
|
temps, il lui sembla entendre des hennissements de chevaux.
|
|
|
|
Ce bruit la tira de sa joie comme un bruit d'orage réveille au
|
|
milieu d'un beau rêve; elle pâlit et courut à la fenêtre, tandis
|
|
que Mme Bonacieux, se levant toute tremblante, s'appuyait sur sa
|
|
chaise pour ne point tomber.
|
|
|
|
On ne voyait rien encore, seulement on entendait le galop qui
|
|
allait toujours se rapprochant.
|
|
|
|
«Oh! mon Dieu, dit Mme Bonacieux, qu'est-ce que ce bruit?
|
|
|
|
-- Celui de nos amis ou de nos ennemis, dit Milady avec son sang-
|
|
froid terrible; restez où vous êtes, je vais vous le dire.»
|
|
|
|
Mme Bonacieux demeura debout, muette, immobile et pâle comme une
|
|
statue.
|
|
|
|
Le bruit devenait plus fort, les chevaux ne devaient pas être à
|
|
plus de cent cinquante pas; si on ne les apercevait point encore,
|
|
c'est que la route faisait un coude. Toutefois, le bruit devenait
|
|
si distinct qu'on eût pu compter les chevaux par le bruit saccadé
|
|
de leurs fers.
|
|
|
|
Milady regardait de toute la puissance de son attention; il
|
|
faisait juste assez clair pour qu'elle pût reconnaître ceux qui
|
|
venaient.
|
|
|
|
Tout à coup, au détour du chemin, elle vit reluire des chapeaux
|
|
galonnés et flotter des plumes; elle compta deux, puis cinq puis
|
|
huit cavaliers; l'un d'eux précédait tous les autres de deux
|
|
longueurs de cheval.
|
|
|
|
Milady poussa un rugissement étouffé. Dans celui qui tenait la
|
|
tête elle reconnut d'Artagnan.
|
|
|
|
«Oh! mon Dieu! mon Dieu! s'écria Mme Bonacieux, qu'y a-t-il donc?
|
|
|
|
-- C'est l'uniforme des gardes de M. le cardinal; pas un instant à
|
|
perdre! s'écria Milady. Fuyons, fuyons!
|
|
|
|
-- Oui, oui, fuyons», répéta Mme Bonacieux, mais sans pouvoir
|
|
faire un pas, clouée qu'elle était à sa place par la terreur.
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On entendit les cavaliers qui passaient sous la fenêtre.
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«Venez donc! mais venez donc! s'écriait Milady en essayant de
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traîner la jeune femme par le bras. Grâce au jardin, nous pouvons
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fuir encore, j'ai la clef, mais hâtons-nous, dans cinq minutes il
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serait trop tard.»
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Mme Bonacieux essaya de marcher, fit deux pas et tomba sur ses
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genoux.
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Milady essaya de la soulever et de l'emporter, mais elle ne put en
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venir à bout.
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En ce moment on entendit le roulement de la voiture, qui à la vue
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des mousquetaires partait au galop. Puis, trois ou quatre coups de
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feu retentirent.
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«Une dernière fois, voulez-vous venir? s'écria Milady.
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-- Oh! mon Dieu! mon Dieu! vous voyez bien que les forces me
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manquent; vous voyez bien que je ne puis marcher: fuyez seule.
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-- Fuir seule! vous laisser ici! non, non, jamais», s'écria
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Milady.
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Tout à coup, un éclair livide jaillit de ses yeux; d'un bond,
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éperdue, elle courut à la table, versa dans le verre de
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Mme Bonacieux le contenu d'un chaton de bague qu'elle ouvrit avec
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une promptitude singulière.
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C'était un grain rougeâtre qui se fondit aussitôt.
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Puis, prenant le verre d'une main ferme:
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«Buvez, dit-elle, ce vin vous donnera des forces, buvez.»
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Et elle approcha le verre des lèvres de la jeune femme qui but
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machinalement.
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«Ah! ce n'est pas ainsi que je voulais me venger, dit Milady en
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reposant avec un sourire infernal le verre sur la table, mais, ma
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foi! on fait ce qu'on peut.»
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Et elle s'élança hors de l'appartement.
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Mme Bonacieux la regarda fuir, sans pouvoir la suivre; elle était
|
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comme ces gens qui rêvent qu'on les poursuit et qui essayent
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vainement de marcher.
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Quelques minutes se passèrent, un bruit affreux retentissait à la
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porte; à chaque instant Mme Bonacieux s'attendait à voir
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reparaître Milady, qui ne reparaissait pas.
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|
Plusieurs fois, de terreur sans doute, la sueur monta froide à son
|
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front brûlant.
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Enfin elle entendit le grincement des grilles qu'on ouvrait, le
|
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bruit des bottes et des éperons retentit par les escaliers; il se
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faisait un grand murmure de voix qui allaient se rapprochant, et
|
|
au milieu desquelles il lui semblait entendre prononcer son nom.
|
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Tout à coup elle jeta un grand cri de joie et s'élança vers la
|
|
porte, elle avait reconnu la voix de d'Artagnan.
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«D'Artagnan! d'Artagnan! s'écria-t-elle, est-ce vous? Par ici, par
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ici.
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-- Constance! Constance! répondit le jeune homme, où êtes-vous?
|
|
mon Dieu!»
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Au même moment, la porte de la cellule céda au choc plutôt qu'elle
|
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ne s'ouvrit; plusieurs hommes se précipitèrent dans la chambre;
|
|
Mme Bonacieux était tombée dans un fauteuil sans pouvoir faire un
|
|
mouvement.
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D'Artagnan jeta un pistolet encore fumant qu'il tenait à la main,
|
|
et tomba à genoux devant sa maîtresse, Athos repassa le sien à sa
|
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ceinture; Porthos et Aramis, qui tenaient leurs épées nues, les
|
|
remirent au fourreau.
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«Oh! d'Artagnan! mon bien-aimé d'Artagnan! tu viens donc enfin, tu
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ne m'avais pas trompée, c'est bien toi!
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-- Oui, oui, Constance! réunis!
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-- Oh!elle avait beau dire que tu ne viendrais pas, j'espérais
|
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sourdement; je n'ai pas voulu fuir; oh! comme j'ai bien fait,
|
|
comme je suis heureuse!»
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|
À ce mot, elle, Athos, qui s'était assis tranquillement, se leva
|
|
tout à coup.
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«Elle! qui, elle? demanda d'Artagnan.
|
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-- Mais ma compagne; celle qui, par amitié pour moi, voulait me
|
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soustraire à mes persécuteurs; celle qui, vous prenant pour des
|
|
gardes du cardinal, vient de s'enfuir.
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|
|
-- Votre compagne, s'écria d'Artagnan, devenant plus pâle que le
|
|
voile blanc de sa maîtresse, de quelle compagne voulez-vous donc
|
|
parler?
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-- De celle dont la voiture était à la porte, d'une femme qui se
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|
dit votre amie, d'Artagnan; d'une femme à qui vous avez tout
|
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raconté.
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-- Son nom, son nom! s'écria d'Artagnan; mon Dieu! ne savez-vous
|
|
donc pas son nom?
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-- Si fait, on l'a prononcé devant moi, attendez... mais c'est
|
|
étrange... oh! mon Dieu! ma tête se trouble, je n'y vois plus.
|
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|
|
-- À moi, mes amis, à moi! ses mains sont glacées, s'écria
|
|
d'Artagnan, elle se trouve mal; grand Dieu! elle perd
|
|
connaissance!»
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|
Tandis que Porthos appelait au secours de toute la puissance de sa
|
|
voix, Aramis courut à la table pour prendre un verre d'eau; mais
|
|
il s'arrêta en voyant l'horrible altération du visage d'Athos,
|
|
qui, debout devant la table, les cheveux hérissés, les yeux glacés
|
|
de stupeur, regardait l'un des verres et semblait en proie au
|
|
doute le plus horrible.
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«Oh! disait Athos, oh! non, c'est impossible! Dieu ne permettrait
|
|
pas un pareil crime.
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-- De l'eau, de l'eau, criait d'Artagnan, de l'eau!
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|
«Pauvre femme, pauvre femme!» murmurait Athos d'une voix brisée.
|
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|
Mme Bonacieux rouvrit les yeux sous les baisers de d'Artagnan.
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|
«Elle revient à elle! s'écria le jeune homme. Oh! mon Dieu, mon
|
|
Dieu! je te remercie!
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|
-- Madame, dit Athos, madame, au nom du Ciel! à qui ce verre vide?
|
|
|
|
-- À moi, monsieur..., répondit la jeune femme d'une voix
|
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mourante.
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-- Mais qui vous a versé ce vin qui était dans ce verre?
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-- Elle.
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|
-- Mais, qui donc, elle?
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|
|
|
-- Ah! je me souviens, dit Mme Bonacieux, la comtesse de
|
|
Winter...»
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|
|
|
Les quatre amis poussèrent un seul et même cri, mais celui d'Athos
|
|
domina tous les autres.
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|
|
|
En ce moment, le visage de Mme Bonacieux devint livide, une
|
|
douleur sourde la terrassa, elle tomba haletante dans les bras de
|
|
Porthos et d'Aramis.
|
|
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|
D'Artagnan saisit les mains d'Athos avec une angoisse difficile à
|
|
décrire.
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|
|
|
«Et quoi! dit-il, tu crois...»
|
|
|
|
Sa voix s'éteignit dans un sanglot.
|
|
|
|
«Je crois tout, dit Athos en se mordant les lèvres jusqu'au sang.
|
|
|
|
-- D'Artagnan, d'Artagnan! s'écria Mme Bonacieux, où es-tu? ne me
|
|
quitte pas, tu vois bien que je vais mourir.»
|
|
|
|
D'Artagnan lâcha les mains d'Athos, qu'il tenait encore entre ses
|
|
mains crispées, et courut à elle.
|
|
|
|
Son visage si beau était tout bouleversé, ses yeux vitreux
|
|
n'avaient déjà plus de regard, un tremblement convulsif agitait
|
|
son corps, la sueur coulait sur son front.
|
|
|
|
«Au nom du Ciel! courez appeler; Porthos, Aramis demandez du
|
|
secours!
|
|
|
|
-- Inutile, dit Athos, inutile, au poison qu'elle verse il n'y a
|
|
pas de contrepoison.
|
|
|
|
-- Oui, oui, du secours, du secours! murmura Mme Bonacieux; du
|
|
secours!»
|
|
|
|
Puis, rassemblant toutes ses forces, elle prit la tête du jeune
|
|
homme entre ses deux mains, le regarda un instant comme si toute
|
|
son âme était passée dans son regard, et, avec un cri sanglotant,
|
|
elle appuya ses lèvres sur les siennes.
|
|
|
|
«Constance! Constance!» s'écria d'Artagnan.
|
|
|
|
Un soupir s'échappa de la bouche de Mme Bonacieux, effleurant
|
|
celle de d'Artagnan; ce soupir, c'était cette âme si chaste et si
|
|
aimante qui remontait au ciel.
|
|
|
|
D'Artagnan ne serrait plus qu'un cadavre entre ses bras.
|
|
|
|
Le jeune homme poussa un cri et tomba près de sa maîtresse, aussi
|
|
pâle et aussi glacé qu'elle.
|
|
|
|
Porthos pleura, Aramis montra le poing au ciel, Athos fit le signe
|
|
de la croix.
|
|
|
|
En ce moment un homme parut sur la porte, presque aussi pâle que
|
|
ceux qui étaient dans la chambre, et regarda tout autour de lui,
|
|
vit Mme Bonacieux morte et d'Artagnan évanoui.
|
|
|
|
Il apparaissait juste à cet instant de stupeur qui suit les
|
|
grandes catastrophes.
|
|
|
|
«Je ne m'étais pas trompé, dit-il, voilà M. d'Artagnan, et vous
|
|
êtes ses trois amis, MM. Athos, Porthos et Aramis.»
|
|
|
|
Ceux dont les noms venaient d'être prononcés regardaient
|
|
l'étranger avec étonnement, il leur semblait à tous trois le
|
|
reconnaître.
|
|
|
|
«Messieurs, reprit le nouveau venu, vous êtes comme moi à la
|
|
recherche d'une femme qui, ajouta-t-il avec un sourire terrible, a
|
|
dû passer par ici, car j'y vois un cadavre!»
|
|
|
|
Les trois amis restèrent muets; seulement la voix comme le visage
|
|
leur rappelait un homme qu'ils avaient déjà vu; cependant, ils ne
|
|
pouvaient se souvenir dans quelles circonstances.
|
|
|
|
«Messieurs, continua l'étranger, puisque vous ne voulez pas
|
|
reconnaître un homme qui probablement vous doit la vie deux fois,
|
|
il faut bien que je me nomme; je suis Lord de Winter, le beau-
|
|
frère de cette femme.»
|
|
|
|
Les trois amis jetèrent un cri de surprise.
|
|
|
|
Athos se leva et lui tendit la main.
|
|
|
|
«Soyez le bienvenu, Milord, dit-il, vous êtes des nôtres.
|
|
|
|
-- Je suis parti cinq heures après elle de Portsmouth, dit Lord de
|
|
Winter, je suis arrivé trois heures après elle à Boulogne, je l'ai
|
|
manquée de vingt minutes à Saint-Omer; enfin, à Lillers, j'ai
|
|
perdu sa trace. J'allais au hasard, m'informant à tout le monde,
|
|
quand je vous ai vus passer au galop; j'ai reconnu M. d'Artagnan.
|
|
Je vous ai appelés, vous ne m'avez pas répondu; j'ai voulu vous
|
|
suivre, mais mon cheval était trop fatigué pour aller du même
|
|
train que les vôtres. Et cependant il paraît que malgré la
|
|
diligence que vous avez faite, vous êtes encore arrivés trop tard!
|
|
|
|
-- Vous voyez, dit Athos en montrant à Lord de Winter
|
|
Mme Bonacieux morte et d'Artagnan que Porthos et Aramis essayaient
|
|
de rappeler à la vie.
|
|
|
|
-- Sont-ils donc morts tous deux? demanda froidement Lord de
|
|
Winter.
|
|
|
|
-- Non, heureusement, répondit Athos, M. d'Artagnan n'est
|
|
qu'évanoui.
|
|
|
|
-- Ah! tant mieux!» dit Lord de Winter.
|
|
|
|
En effet, en ce moment d'Artagnan rouvrit les yeux.
|
|
|
|
Il s'arracha des bras de Porthos et d'Aramis et se jeta comme un
|
|
insensé sur le corps de sa maîtresse.
|
|
|
|
Athos se leva, marcha vers son ami d'un pas lent et solennel,
|
|
l'embrassa tendrement, et, comme il éclatait en sanglots, il lui
|
|
dit de sa voix si noble et si persuasive:
|
|
|
|
«Ami, sois homme: les femmes pleurent les morts, les hommes les
|
|
vengent!
|
|
|
|
-- Oh! oui, dit d'Artagnan, oui! si c'est pour la venger, je suis
|
|
prêt à te suivre!»
|
|
|
|
Athos profita de ce moment de force que l'espoir de la vengeance
|
|
rendait à son malheureux ami pour faire signe à Porthos et à
|
|
Aramis d'aller chercher la supérieure.
|
|
|
|
Les deux amis la rencontrèrent dans le corridor, encore toute
|
|
troublée et tout éperdue de tant d'événements; elle appela
|
|
quelques religieuses, qui, contre toutes les habitudes
|
|
monastiques, se trouvèrent en présence de cinq hommes.
|
|
|
|
«Madame, dit Athos en passant le bras de d'Artagnan sous le sien,
|
|
nous abandonnons à vos soins pieux le corps de cette malheureuse
|
|
femme. Ce fut un ange sur la terre avant d'être un ange au ciel.
|
|
Traitez-la comme une de vos soeurs; nous reviendrons un jour prier
|
|
sur sa tombe.»
|
|
|
|
D'Artagnan cacha sa figure dans la poitrine d'Athos et éclata en
|
|
sanglots.
|
|
|
|
«Pleure, dit Athos, pleure, coeur plein d'amour, de jeunesse et de
|
|
vie! Hélas! je voudrais bien pouvoir pleurer comme toi!»
|
|
|
|
Et il entraîna son ami, affectueux comme un père, consolant comme
|
|
un prêtre, grand comme l'homme qui a beaucoup souffert.
|
|
|
|
Tous cinq, suivis de leurs valets, tenant leurs chevaux par la
|
|
bride, s'avancèrent vers la ville de Béthune, dont on apercevait
|
|
le faubourg, et ils s'arrêtèrent devant la première auberge qu'ils
|
|
rencontrèrent.
|
|
|
|
«Mais, dit d'Artagnan, ne poursuivons-nous pas cette femme?
|
|
|
|
-- Plus tard, dit Athos, j'ai des mesures à prendre.
|
|
|
|
-- Elle nous échappera, reprit le jeune homme, elle nous
|
|
échappera, Athos, et ce sera ta faute.
|
|
|
|
-- Je réponds d'elle», dit Athos.
|
|
|
|
D'Artagnan avait une telle confiance dans la parole de son ami,
|
|
qu'il baissa la tête et entra dans l'auberge sans rien répondre.
|
|
|
|
Porthos et Aramis se regardaient, ne comprenant rien à l'assurance
|
|
d'Athos.
|
|
|
|
Lord de Winter croyait qu'il parlait ainsi pour engourdir la
|
|
douleur de d'Artagnan.
|
|
|
|
«Maintenant, messieurs, dit Athos lorsqu'il se fut assuré qu'il y
|
|
avait cinq chambres de libres dans l'hôtel, retirons-nous chacun
|
|
chez soi; d'Artagnan a besoin d'être seul pour pleurer et vous
|
|
pour dormir. Je me charge de tout, soyez tranquilles.
|
|
|
|
-- Il me semble cependant, dit Lord de Winter, que s'il y a
|
|
quelque mesure à prendre contre la comtesse, cela me regarde:
|
|
c'est ma belle-soeur.
|
|
|
|
-- Et moi, dit Athos, c'est ma femme.
|
|
|
|
D'Artagnan tressaillit, car il comprit qu'Athos était sûr de sa
|
|
vengeance, puisqu'il révélait un pareil secret; Porthos et Aramis
|
|
se regardèrent en pâlissant. Lord de Winter pensa qu'Athos était
|
|
fou.
|
|
|
|
«Retirez-vous donc, dit Athos, et laissez-moi faire. Vous voyez
|
|
bien qu'en ma qualité de mari cela me regarde. Seulement,
|
|
d'Artagnan, si vous ne l'avez pas perdu, remettez-moi ce papier
|
|
qui s'est échappé du chapeau de cet homme et sur lequel est écrit
|
|
le nom de la ville...
|
|
|
|
-- Ah! dit d'Artagnan, je comprends, ce nom écrit de sa main...
|
|
|
|
-- Tu vois bien, dit Athos, qu'il y a un Dieu dans le ciel!»
|
|
|
|
|
|
CHAPITRE LXIV
|
|
L'HOMME AU MANTEAU ROUGE
|
|
|
|
Le désespoir d'Athos avait fait place à une douleur concentrée,
|
|
qui rendait plus lucides encore les brillantes facultés d'esprit
|
|
de cet homme.
|
|
|
|
Tout entier à une seule pensée, celle de la promesse qu'il avait
|
|
faite et de la responsabilité qu'il avait prise, il se retira le
|
|
dernier dans sa chambre, pria l'hôte de lui procurer une carte de
|
|
la province, se courba dessus, interrogea les lignes tracées,
|
|
reconnut que quatre chemins différents se rendaient de Béthune à
|
|
Armentières, et fit appeler les valets.
|
|
|
|
Planchet, Grimaud, Mousqueton et Bazin se présentèrent et reçurent
|
|
les ordres clairs, ponctuels et graves d'Athos.
|
|
|
|
Ils devaient partir au point du jour, le lendemain, et se rendre à
|
|
Armentières, chacun par une route différente. Planchet, le plus
|
|
intelligent des quatre, devait suivre celle par laquelle avait
|
|
disparu la voiture sur laquelle les quatre amis avaient tiré, et
|
|
qui était accompagnée, on se le rappelle, du domestique de
|
|
Rochefort.
|
|
|
|
Athos mit les valets en campagne d'abord, parce que, depuis que
|
|
ces hommes étaient à son service et à celui de ses amis, il avait
|
|
reconnu en chacun d'eux des qualités différentes et essentielles.
|
|
|
|
Puis, des valets qui interrogent inspirent aux passants moins de
|
|
défiance que leurs maîtres, et trouvent plus de sympathie chez
|
|
ceux auxquels ils s'adressent.
|
|
|
|
Enfin, Milady connaissait les maîtres, tandis qu'elle ne
|
|
connaissait pas les valets; au contraire, les valets connaissaient
|
|
parfaitement Milady.
|
|
|
|
Tous quatre devaient se trouver réunis le lendemain à onze heures
|
|
à l'endroit indiqué; s'ils avaient découvert la retraite de
|
|
Milady, trois resteraient à la garder, le quatrième reviendrait à
|
|
Béthune pour prévenir Athos et servir de guide aux quatre amis.
|
|
|
|
Ces dispositions prises, les valets se retirèrent à leur tour.
|
|
|
|
Athos alors se leva de sa chaise, ceignit son épée, s'enveloppa
|
|
dans son manteau et sortit de l'hôtel; il était dix heures à peu
|
|
près. À dix heures du soir, on le sait, en province les rues sont
|
|
peu fréquentées. Athos cependant cherchait visiblement quelqu'un à
|
|
qui il pût adresser une question. Enfin il rencontra un passant
|
|
attardé, s'approcha de lui, lui dit quelques paroles; l'homme
|
|
auquel il s'adressait recula avec terreur, cependant il répondit
|
|
aux paroles du mousquetaire par une indication. Athos offrit à cet
|
|
homme une demi-pistole pour l'accompagner, mais l'homme refusa.
|
|
|
|
Athos s'enfonça dans la rue que l'indicateur avait désignée du
|
|
doigt; mais, arrivé à un carrefour, il s'arrêta de nouveau,
|
|
visiblement embarrassé. Cependant, comme, plus qu'aucun autre
|
|
lieu, le carrefour lui offrait la chance de rencontrer quelqu'un,
|
|
il s'y arrêta. En effet, au bout d'un instant, un veilleur de nuit
|
|
passa. Athos lui répéta la même question qu'il avait déjà faite à
|
|
la première personne qu'il avait rencontrée, le veilleur de nuit
|
|
laissa apercevoir la même terreur, refusa à son tour d'accompagner
|
|
Athos, et lui montra de la main le chemin qu'il devait suivre.
|
|
|
|
Athos marcha dans la direction indiquée et atteignit le faubourg
|
|
situé à l'extrémité de la ville opposée à celle par laquelle lui
|
|
et ses compagnons étaient entrés. Là il parut de nouveau inquiet
|
|
et embarrassé, et s'arrêta pour la troisième fois.
|
|
|
|
Heureusement un mendiant passa, qui s'approcha d'Athos pour lui
|
|
demander l'aumône. Athos lui proposa un écu pour l'accompagner où
|
|
il allait. Le mendiant hésita un instant, mais à la vue de la
|
|
pièce d'argent qui brillait dans l'obscurité, il se décida et
|
|
marcha devant Athos.
|
|
|
|
Arrivé à l'angle d'une rue, il lui montra de loin une petite
|
|
maison isolée, solitaire, triste; Athos s'en approcha, tandis que
|
|
le mendiant, qui avait reçu son salaire, s'en éloignait à toutes
|
|
jambes.
|
|
|
|
Athos en fit le tour, avant de distinguer la porte au milieu de la
|
|
couleur rougeâtre dont cette maison était peinte; aucune lumière
|
|
ne paraissait à travers les gerçures des contrevents, aucun bruit
|
|
ne pouvait faire supposer qu'elle fût habitée, elle était sombre
|
|
et muette comme un tombeau.
|
|
|
|
Trois fois Athos frappa sans qu'on lui répondît. Au troisième coup
|
|
cependant des pas intérieurs se rapprochèrent; enfin la porte
|
|
s'entrebâilla, et un homme de haute taille, au teint pâle, aux
|
|
cheveux et à la barbe noire, parut.
|
|
|
|
Athos et lui échangèrent quelques mots à voix basse, puis l'homme
|
|
à la haute taille fit signe au mousquetaire qu'il pouvait entrer.
|
|
Athos profita à l'instant même de la permission, et la porte se
|
|
referma derrière lui.
|
|
|
|
L'homme qu'Athos était venu chercher si loin et qu'il avait trouvé
|
|
avec tant de peine, le fit entrer dans son laboratoire, où il
|
|
était occupé à retenir avec des fils de fer les os cliquetants
|
|
d'un squelette. Tout le corps était déjà rajusté: la tête seule
|
|
était posée sur une table.
|
|
|
|
Tout le reste de l'ameublement indiquait que celui chez lequel on
|
|
se trouvait s'occupait de sciences naturelles: il y avait des
|
|
bocaux pleins de serpents, étiquetés selon les espèces; des
|
|
lézards desséchés reluisaient comme des émeraudes taillées dans de
|
|
grands cadres de bois noir; enfin, des bottes d'herbes sauvages,
|
|
odoriférantes et sans doute douées de vertus inconnues au vulgaire
|
|
des hommes, étaient attachées au plafond et descendaient dans les
|
|
angles de l'appartement.
|
|
|
|
Du reste, pas de famille, pas de serviteurs; l'homme à la haute
|
|
taille habitait seul cette maison.
|
|
|
|
Athos jeta un coup d'oeil froid et indifférent sur tous les objets
|
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que nous venons de décrire, et, sur l'invitation de celui qu'il
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venait chercher, il s'assit près de lui.
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Alors il lui expliqua la cause de sa visite et le service qu'il
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réclamait de lui; mais à peine eut-il exposé sa demande, que
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l'inconnu, qui était resté debout devant le mousquetaire, recula
|
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de terreur et refusa. Alors Athos tira de sa poche un petit papier
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sur lequel étaient écrites deux lignes accompagnées d'une
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signature et d'un sceau, et le présenta à celui qui donnait trop
|
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prématurément ces signes de répugnance. L'homme à la grande taille
|
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eut à peine lu ces deux lignes, vu la signature et reconnu le
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sceau, qu'il s'inclina en signe qu'il n'avait plus aucune
|
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objection à faire, et qu'il était prêt à obéir.
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Athos n'en demanda pas davantage; il se leva, salua, sortit,
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reprit en s'en allant le chemin qu'il avait suivi pour venir,
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rentra dans l'hôtel et s'enferma chez lui.
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Au point du jour, d'Artagnan entra dans sa chambre et demanda ce
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qu'il fallait faire.
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«Attendre», répondit Athos.
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Quelques instants après, la supérieure du couvent fit prévenir les
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mousquetaires que l'enterrement de la victime de Milady aurait
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lieu à midi. Quant à l'empoisonneuse, on n'en avait pas eu de
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nouvelles; seulement elle avait dû fuir par le jardin, sur le
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sable duquel on avait reconnu la trace de ses pas et dont on avait
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retrouvé la porte fermée; quant à la clé, elle avait disparu.
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À l'heure indiquée, Lord de Winter et les quatre amis se rendirent
|
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au couvent: les cloches sonnaient à toute volée, la chapelle était
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ouverte, la grille du choeur était fermée. Au milieu du choeur, le
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corps de la victime, revêtue de ses habits de novice, était
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exposé. De chaque côté du choeur et derrière des grilles s'ouvrant
|
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sur le couvent était toute la communauté des carmélites, qui
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écoutait de là le service divin et mêlait son chant au chant des
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prêtres, sans voir les profanes et sans être vue d'eux.
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À la porte de la chapelle, d'Artagnan sentit son courage qui
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fuyait de nouveau; il se retourna pour chercher Athos, mais Athos
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avait disparu.
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Fidèle à sa mission de vengeance, Athos s'était fait conduire au
|
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jardin; et là, sur le sable, suivant les pas légers de cette femme
|
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qui avait laissé une trace sanglante partout où elle avait passé,
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il s'avança jusqu'à la porte qui donnait sur le bois, se la fit
|
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ouvrir, et s'enfonça dans la forêt.
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Alors tous ses doutes se confirmèrent: le chemin par lequel la
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voiture avait disparu contournait la forêt. Athos suivit le chemin
|
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quelque temps les yeux fixés sur le sol; de légères taches de
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sang, qui provenaient d'une blessure faite ou à l'homme qui
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accompagnait la voiture en courrier, ou à l'un des chevaux,
|
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piquetaient le chemin. Au bout de trois quarts de lieue à peu
|
|
près, à cinquante pas de Festubert, une tache de sang plus large
|
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apparaissait; le sol était piétiné par les chevaux. Entre la forêt
|
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et cet endroit dénonciateur, un peu en arrière de la terre
|
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écorchée, on retrouvait la même trace de petits pas que dans le
|
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jardin; la voiture s'était arrêtée.
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En cet endroit, Milady était sortie du bois et était montée dans
|
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la voiture.
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Satisfait de cette découverte qui confirmait tous ses soupçons,
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Athos revint à l'hôtel et trouva Planchet qui l'attendait avec
|
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impatience.
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Tout était comme l'avait prévu Athos.
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Planchet avait suivi la route, avait comme Athos remarqué les
|
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taches de sang, comme Athos il avait reconnu l'endroit où les
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|
chevaux s'étaient arrêtés; mais il avait poussé plus loin
|
|
qu'Athos, de sorte qu'au village de Festubert, en buvant dans une
|
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auberge, il avait, sans avoir eu besoin de questionner, appris que
|
|
la veille, à huit heures et demie du soir, un homme blessé, qui
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accompagnait une dame qui voyageait dans une chaise de poste,
|
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avait été obligé de s'arrêter, ne pouvant aller plus loin.
|
|
L'accident avait été mis sur le compte de voleurs qui auraient
|
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arrêté la chaise dans le bois. L'homme était resté dans le
|
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village, la femme avait relayé et continué son chemin.
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|
Planchet se mit en quête du postillon qui avait conduit la chaise,
|
|
et le retrouva. Il avait conduit la dame jusqu'à Fromelles, et de
|
|
Fromelles elle était partie pour Armentières. Planchet prit la
|
|
traverse, et à sept heures du matin il était à Armentières.
|
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Il n'y avait qu'un seul hôtel, celui de la Poste. Planchet alla
|
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s'y présenter comme un laquais sans place qui cherchait une
|
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condition. Il n'avait pas causé dix minutes avec les gens de
|
|
l'auberge, qu'il savait qu'une femme seule était arrivée à onze
|
|
heures du soir, avait pris une chambre, avait fait venir le maître
|
|
d'hôtel et lui avait dit qu'elle désirerait demeurer quelque temps
|
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dans les environs.
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|
Planchet n'avait pas besoin d'en savoir davantage. Il courut au
|
|
rendez-vous, trouva les trois laquais exacts à leur poste, les
|
|
plaça en sentinelles à toutes les issues de l'hôtel, et vint
|
|
trouver Athos, qui achevait de recevoir les renseignements de
|
|
Planchet, lorsque ses amis rentrèrent.
|
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|
Tous les visages étaient sombres et crispés, même le doux visage
|
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d'Aramis.
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«Que faut-il faire? demanda d'Artagnan.
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-- Attendre», répondit Athos.
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Chacun se retira chez soi.
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À huit heures du soir, Athos donna l'ordre de seller les chevaux,
|
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et fit prévenir Lord de Winter et ses amis qu'ils eussent à se
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préparer pour l'expédition.
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En un instant tous cinq furent prêts. Chacun visita ses armes et
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les mit en état. Athos descendit le premier et trouva d'Artagnan
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déjà à cheval et s'impatientant.
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«Patience, dit Athos, il nous manque encore quelqu'un.»
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Les quatre cavaliers regardèrent autour d'eux avec étonnement, car
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|
ils cherchaient inutilement dans leur esprit quel était ce
|
|
quelqu'un qui pouvait leur manquer.
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|
En ce moment Planchet amena le cheval d'Athos, le mousquetaire
|
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sauta légèrement en selle.
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«Attendez-moi, dit-il, je reviens.»
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Et il partit au galop.
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|
Un quart d'heure après, il revint effectivement accompagné d'un
|
|
homme masqué et enveloppé d'un grand manteau rouge.
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|
Lord de Winter et les trois mousquetaires s'interrogèrent du
|
|
regard. Nul d'entre eux ne put renseigner les autres, car tous
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|
ignoraient ce qu'était cet homme. Cependant ils pensèrent que cela
|
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devait être ainsi, puisque la chose se faisait par l'ordre
|
|
d'Athos.
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À neuf heures, guidée par Planchet, la petite cavalcade se mit en
|
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route, prenant le chemin qu'avait suivi la voiture.
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C'était un triste aspect que celui de ces six hommes courant en
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silence, plongés chacun dans sa pensée, mornes comme le désespoir,
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sombres comme le châtiment.
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CHAPITRE LXV
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|
LE JUGEMENT
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C'était une nuit orageuse et sombre, de gros nuages couraient au
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ciel, voilant la clarté des étoiles; la lune ne devait se lever
|
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qu'à minuit.
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Parfois, à la lueur d'un éclair qui brillait à l'horizon, on
|
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apercevait la route qui se déroulait blanche et solitaire; puis,
|
|
l'éclair éteint, tout rentrait dans l'obscurité.
|
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|
À chaque instant, Athos invitait d'Artagnan, toujours à la tête de
|
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la petite troupe, à reprendre son rang qu'au bout d'un instant il
|
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abandonnait de nouveau; il n'avait qu'une pensée, c'était d'aller
|
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en avant, et il allait.
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|
On traversa en silence le village de Festubert, où était resté le
|
|
domestique blessé, puis on longea le bois de Richebourg; arrivés à
|
|
Herlies, Planchet, qui dirigeait toujours la colonne, prit à
|
|
gauche.
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|
Plusieurs fois, Lord de Winter, soit Porthos, soit Aramis, avaient
|
|
essayé d'adresser la parole à l'homme au manteau rouge; mais à
|
|
chaque interrogation qui lui avait été faite, il s'était incliné
|
|
sans répondre. Les voyageurs avaient alors compris qu'il y avait
|
|
quelque raison pour que l'inconnu gardât le silence, et ils
|
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avaient cessé de lui adresser la parole.
|
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|
D'ailleurs, l'orage grossissait, les éclairs se succédaient
|
|
rapidement, le tonnerre commençait à gronder, et le vent,
|
|
précurseur de l'ouragan, sifflait dans la plaine, agitant les
|
|
plumes des cavaliers.
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|
La cavalcade prit le grand trot.
|
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|
Un peu au-delà de Fromelles, l'orage éclata; on déploya les
|
|
manteaux; il restait encore trois lieues à faire: on les fit sous
|
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des torrents de pluie.
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|
D'Artagnan avait ôté son feutre et n'avait pas mis son manteau; il
|
|
trouvait plaisir à laisser ruisseler l'eau sur son front brûlant
|
|
et sur son corps agité de frissons fiévreux.
|
|
|
|
Au moment où la petite troupe avait dépassé Goskal et allait
|
|
arriver à la poste, un homme, abrité sous un arbre, se détacha du
|
|
tronc avec lequel il était resté confondu dans l'obscurité, et
|
|
s'avança jusqu'au milieu de la route, mettant son doigt sur ses
|
|
lèvres.
|
|
|
|
Athos reconnut Grimaud.
|
|
|
|
«Qu'y a-t-il donc? s'écria d'Artagnan, aurait-elle quitté
|
|
Armentières?»
|
|
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|
Grimaud fit de sa tête un signe affirmatif. D'Artagnan grinça des
|
|
dents.
|
|
|
|
«Silence, d'Artagnan! dit Athos, c'est moi qui me suis chargé de
|
|
tout, c'est donc à moi d'interroger Grimaud.
|
|
|
|
-- Où est-elle?» demanda Athos.
|
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|
|
Grimaud étendit la main dans la direction de la Lys.
|
|
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|
«Loin d'ici?» demanda Athos.
|
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|
|
Grimaud présenta à son maître son index plié.
|
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|
|
«Seule?» demanda Athos.
|
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|
Grimaud fit signe que oui.
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|
|
|
«Messieurs, dit Athos, elle est seule à une demi-lieue d'ici, dans
|
|
la direction de la rivière.
|
|
|
|
-- C'est bien, dit d'Artagnan, conduis-nous, Grimaud.»
|
|
|
|
Grimaud prit à travers champs, et servit de guide à la cavalcade.
|
|
|
|
Au bout de cinq cents pas à peu près, on trouva un ruisseau, que
|
|
l'on traversa à gué.
|
|
|
|
À la lueur d'un éclair, on aperçut le village d'Erquinghem.
|
|
|
|
«Est-ce là?» demanda d'Artagnan.
|
|
|
|
Grimaud secoua la tête en signe de négation.
|
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|
|
«Silence donc!» dit Athos.
|
|
|
|
Et la troupe continua son chemin.
|
|
|
|
Un autre éclair brilla; Grimaud étendit le bras, et à la lueur
|
|
bleuâtre du serpent de feu on distingua une petite maison isolée,
|
|
au bord de la rivière, à cent pas d'un bac. Une fenêtre était
|
|
éclairée.
|
|
|
|
«Nous y sommes», dit Athos.
|
|
|
|
En ce moment, un homme couché dans le fossé se leva, c'était
|
|
Mousqueton; il montra du doigt la fenêtre éclairée.
|
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«Elle est là, dit-il.
|
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|
-- Et Bazin? demanda Athos.
|
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-- Tandis que je gardais la fenêtre, il gardait la porte.
|
|
|
|
-- Bien, dit Athos, vous êtes tous de fidèles serviteurs.» Athos
|
|
sauta à bas de son cheval, dont il remit la bride aux mains de
|
|
Grimaud, et s'avança vers la fenêtre après avoir fait signe au
|
|
reste de la troupe de tourner du côté de la porte.
|
|
|
|
La petite maison était entourée d'une haie vive, de deux ou trois
|
|
pieds de haut. Athos franchit la haie, parvint jusqu'à la fenêtre
|
|
privée de contrevents, mais dont les demi-rideaux étaient
|
|
exactement tirés.
|
|
|
|
Il monta sur le rebord de pierre, afin que son oeil pût dépasser
|
|
la hauteur des rideaux.
|
|
|
|
À la lueur d'une lampe, il vit une femme enveloppée d'une mante de
|
|
couleur sombre, assise sur un escabeau, près d'un feu mourant: ses
|
|
coudes étaient posés sur une mauvaise table, et elle appuyait sa
|
|
tête dans ses deux mains blanches comme l'ivoire.
|
|
|
|
On ne pouvait distinguer son visage, mais un sourire sinistre
|
|
passa sur les lèvres d'Athos, il n'y avait pas à s'y tromper,
|
|
c'était bien celle qu'il cherchait.
|
|
|
|
En ce moment un cheval hennit: Milady releva la tête, vit, collé à
|
|
la vitre, le visage pâle d'Athos, et poussa un cri.
|
|
|
|
Athos comprit qu'il était reconnu, poussa la fenêtre du genou et
|
|
de la main, la fenêtre céda, les carreaux se rompirent.
|
|
|
|
Et Athos, pareil au spectre de la vengeance, sauta dans la
|
|
chambre.
|
|
|
|
Milady courut à la porte et l'ouvrit; plus pâle et plus menaçant
|
|
encore qu'Athos, d'Artagnan était sur le seuil.
|
|
|
|
Milady recula en poussant un cri. D'Artagnan, croyant qu'elle
|
|
avait quelque moyen de fuir et craignant qu'elle ne leur échappât,
|
|
tira un pistolet de sa ceinture; mais Athos leva la main.
|
|
|
|
«Remets cette arme à sa place, d'Artagnan, dit-il, il importe que
|
|
cette femme soit jugée et non assassinée. Attends encore un
|
|
instant, d'Artagnan, et tu seras satisfait. Entrez, messieurs.»
|
|
|
|
D'Artagnan obéit, car Athos avait la voix solennelle et le geste
|
|
puissant d'un juge envoyé par le Seigneur lui-même. Aussi,
|
|
derrière d'Artagnan, entrèrent Porthos, Aramis, Lord de Winter et
|
|
l'homme au manteau rouge.
|
|
|
|
Les quatre valets gardaient la porte et la fenêtre.
|
|
|
|
Milady était tombée sur sa chaise les mains étendues, comme pour
|
|
conjurer cette terrible apparition; en apercevant son beau-frère,
|
|
elle jeta un cri terrible.
|
|
|
|
«Que demandez-vous? s'écria Milady.
|
|
|
|
-- Nous demandons, dit Athos, Charlotte Backson, qui s'est appelée
|
|
d'abord la comtesse de La Fère, puis Lady de Winter, baronne de
|
|
Sheffield.
|
|
|
|
-- C'est moi, c'est moi! murmura-t-elle au comble de la terreur,
|
|
que me voulez-vous?
|
|
|
|
-- Nous voulons vous juger selon vos crimes, dit Athos: vous serez
|
|
libre de vous défendre, justifiez-vous si vous pouvez. Monsieur
|
|
d'Artagnan, à vous d'accuser le premier.»
|
|
|
|
D'Artagnan s'avança.
|
|
|
|
«Devant Dieu et devant les hommes, dit-il, j'accuse cette femme
|
|
d'avoir empoisonné Constance Bonacieux, morte hier soir.»
|
|
|
|
Il se retourna vers Porthos et vers Aramis.
|
|
|
|
«Nous attestons», dirent d'un seul mouvement les deux
|
|
mousquetaires.
|
|
|
|
D'Artagnan continua.
|
|
|
|
«Devant Dieu et devant les hommes, j'accuse cette femme d'avoir
|
|
voulu m'empoisonner moi-même, dans du vin qu'elle m'avait envoyé
|
|
de Villeroi, avec une fausse lettre, comme si le vin venait de mes
|
|
amis; Dieu m'a sauvé; mais un homme est mort à ma place, qui
|
|
s'appelait Brisemont.
|
|
|
|
-- Nous attestons, dirent de la même voix Porthos et Aramis.
|
|
|
|
-- Devant Dieu et devant les hommes, j'accuse cette femme
|
|
de m'avoir poussé au meurtre du baron de Wardes; et, comme
|
|
personne n'est là pour attester la vérité de cette accusation, je
|
|
l'atteste, moi.
|
|
|
|
«J'ai dit.»
|
|
|
|
Et d'Artagnan passa de l'autre côté de la chambre avec Porthos et
|
|
Aramis.
|
|
|
|
«À vous, Milord!» dit Athos.
|
|
|
|
Le baron s'approcha à son tour.
|
|
|
|
«Devant Dieu et devant les hommes, dit-il, j'accuse cette femme
|
|
d'avoir fait assassiner le duc de Buckingham.
|
|
|
|
-- Le duc de Buckingham assassiné? s'écrièrent d'un seul cri tous
|
|
les assistants.
|
|
|
|
-- Oui, dit le baron, assassiné! Sur la lettre d'avis que vous
|
|
m'aviez écrite, j'avais fait arrêter cette femme, et je l'avais
|
|
donnée en garde à un loyal serviteur; elle a corrompu cet homme,
|
|
elle lui a mis le poignard dans la main, elle lui a fait tuer le
|
|
duc, et dans ce moment peut-être Felton paie de sa tête le crime
|
|
de cette furie.»
|
|
|
|
Un frémissement courut parmi les juges à la révélation de ces
|
|
crimes encore inconnus.
|
|
|
|
«Ce n'est pas tout, reprit Lord de Winter, mon frère, qui vous
|
|
avait faite son héritière, est mort en trois heures d'une étrange
|
|
maladie qui laisse des taches livides sur tout le corps. Ma soeur,
|
|
comment votre mari est-il mort?
|
|
|
|
-- Horreur! s'écrièrent Porthos et Aramis.
|
|
|
|
-- Assassin de Buckingham, assassin de Felton, assassin de mon
|
|
frère, je demande justice contre vous, et je déclare que si on ne
|
|
me la fait pas, je me la ferai.»
|
|
|
|
Et Lord de Winter alla se ranger près de d'Artagnan, laissant la
|
|
place libre à un autre accusateur.
|
|
|
|
Milady laissa tomber son front dans ses deux mains et essaya de
|
|
rappeler ses idées confondues par un vertige mortel.
|
|
|
|
«À mon tour, dit Athos, tremblant lui-même comme le lion tremble à
|
|
l'aspect du serpent, à mon tour. J'épousai cette femme quand elle
|
|
était jeune fille, je l'épousai malgré toute ma famille; je lui
|
|
donnai mon bien, je lui donnai mon nom; et un jour je m'aperçus
|
|
que cette femme était flétrie: cette femme était marquée d'une
|
|
fleur de lis sur l'épaule gauche.
|
|
|
|
-- Oh! dit Milady en se levant, je défie de retrouver le tribunal
|
|
qui a prononcé sur moi cette sentence infâme. Je défie de
|
|
retrouver celui qui l'a exécutée.
|
|
|
|
-- Silence, dit une voix.
|
|
|
|
-- À ceci, c'est à moi de répondre!»
|
|
|
|
Et l'homme au manteau rouge s'approcha à son tour.
|
|
|
|
«Quel est cet homme, quel est cet homme?» s'écria Milady suffoquée
|
|
par la terreur et dont les cheveux se dénouèrent et se dressèrent
|
|
sur sa tête livide comme s'ils eussent été vivants.
|
|
|
|
Tous les yeux se tournèrent sur cet homme, car à tous, excepté à
|
|
Athos, il était inconnu.
|
|
|
|
Encore Athos le regardait-il avec autant de stupéfaction que les
|
|
autres, car il ignorait comment il pouvait se trouver mêlé en
|
|
quelque chose à l'horrible drame qui se dénouait en ce moment.
|
|
|
|
Après s'être approché de Milady, d'un pas lent et solennel, de
|
|
manière que la table seule le séparât d'elle, l'inconnu ôta son
|
|
masque.
|
|
|
|
Milady regarda quelque temps avec une terreur croissante ce visage
|
|
pâle encadré de cheveux et de favoris noirs, dont la seule
|
|
expression était une impassibilité glacée, puis tout à coup:
|
|
|
|
«Oh! non, non, dit-elle en se levant et en reculant jusqu'au mur;
|
|
non, non, c'est une apparition infernale! ce n'est pas lui! à moi!
|
|
à moi!» s'écria-t-elle d'une voix rauque en se retournant vers la
|
|
muraille, comme si elle eût pu s'y ouvrir un passage avec ses
|
|
mains.
|
|
|
|
«Mais qui êtes-vous donc? s'écrièrent tous les témoins de cette
|
|
scène.
|
|
|
|
-- Demandez-le à cette femme, dit l'homme au manteau rouge, car
|
|
vous voyez bien qu'elle m'a reconnu, elle.
|
|
|
|
-- Le bourreau de Lille, le bourreau de Lille!» s'écria Milady en
|
|
proie à une terreur insensée et se cramponnant des mains à la
|
|
muraille pour ne pas tomber.
|
|
|
|
Tout le monde s'écarta, et l'homme au manteau rouge resta seul
|
|
debout au milieu de la salle.
|
|
|
|
«Oh! grâce! grâce! pardon!» s'écria la misérable en tombant à
|
|
genoux.
|
|
|
|
L'inconnu laissa le silence se rétablir.
|
|
|
|
«Je vous le disais bien qu'elle m'avait reconnu! reprit-il. Oui,
|
|
je suis le bourreau de la ville de Lille, et voici mon histoire.»
|
|
|
|
Tous les yeux étaient fixés sur cet homme dont on attendait les
|
|
paroles avec une avide anxiété.
|
|
|
|
«Cette jeune femme était autrefois une jeune fille aussi belle
|
|
qu'elle est belle aujourd'hui. Elle était religieuse au couvent
|
|
des bénédictines de Templemar. Un jeune prêtre au coeur simple et
|
|
croyant desservait l'église de ce couvent; elle entreprit de le
|
|
séduire et y réussit, elle eût séduit un saint.
|
|
|
|
«Leurs voeux à tous deux étaient sacrés, irrévocables; leur
|
|
liaison ne pouvait durer longtemps sans les perdre tous deux. Elle
|
|
obtint de lui qu'ils quitteraient le pays; mais pour quitter le
|
|
pays, pour fuir ensemble, pour gagner une autre partie de la
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France, où ils pussent vivre tranquilles parce qu'ils seraient
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inconnus, il fallait de l'argent; ni l'un ni l'autre n'en avait.
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Le prêtre vola les vases sacrés, les vendit; mais comme ils
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s'apprêtaient à partir ensemble, ils furent arrêtés tous deux.
|
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«Huit jours après, elle avait séduit le fils du geôlier et s'était
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sauvée. Le jeune prêtre fut condamné à dix ans de fers et à la
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flétrissure. J'étais le bourreau de la ville de Lille, comme dit
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cette femme. Je fus obligé de marquer le coupable, et le coupable,
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messieurs, c'était mon frère!
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«Je jurai alors que cette femme qui l'avait perdu, qui était plus
|
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que sa complice, puisqu'elle l'avait poussé au crime, partagerait
|
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au moins le châtiment. Je me doutai du lieu où elle était cachée,
|
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je la poursuivis, je l'atteignis, je la garrottai et lui imprimai
|
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la même flétrissure que j'avais imprimée à mon frère.
|
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«Le lendemain de mon retour à Lille, mon frère parvint à
|
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s'échapper à son tour, on m'accusa de complicité, et l'on me
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condamna à rester en prison à sa place tant qu'il ne se serait pas
|
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constitué prisonnier. Mon pauvre frère ignorait ce jugement; il
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avait rejoint cette femme, ils avaient fui ensemble dans le Berry;
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et là, il avait obtenu une petite cure. Cette femme passait pour
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sa soeur.
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«Le seigneur de la terre sur laquelle était située l'église du
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curé vit cette prétendue soeur et en devint amoureux, amoureux au
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point qu'il lui proposa de l'épouser. Alors elle quitta celui
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qu'elle avait perdu pour celui qu'elle devait perdre, et devint la
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comtesse de La Fère...»
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Tous les yeux se tournèrent vers Athos, dont c'était le véritable
|
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nom, et qui fit signe de la tête que tout ce qu'avait dit le
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bourreau était vrai.
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«Alors, reprit celui-ci, fou, désespéré, décidé à se débarrasser
|
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d'une existence à laquelle elle avait tout enlevé, honneur et
|
|
bonheur, mon pauvre frère revint à Lille, et apprenant l'arrêt qui
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m'avait condamné à sa place, se constitua prisonnier et se pendit
|
|
le même soir au soupirail de son cachot.
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|
|
|
«Au reste, c'est une justice à leur rendre, ceux qui m'avaient
|
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condamné me tinrent parole. À peine l'identité du cadavre fut-elle
|
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constatée qu'on me rendit ma liberté.
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|
«Voilà le crime dont je l'accuse, voilà la cause pour laquelle je
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l'ai marquée.
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-- Monsieur d'Artagnan, dit Athos, quelle est la peine que vous
|
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réclamez contre cette femme?
|
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|
-- La peine de mort, répondit d'Artagnan.
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|
-- Milord de Winter, continua Athos, quelle est la peine que vous
|
|
réclamez contre cette femme?
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-- La peine de mort, reprit Lord de Winter.
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-- Messieurs Porthos et Aramis, reprit Athos, vous qui êtes ses
|
|
juges, quelle est la peine que vous portez contre cette femme?
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-- La peine de mort», répondirent d'une voix sourde les deux
|
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mousquetaires.
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Milady poussa un hurlement affreux, et fit quelques pas vers ses
|
|
juges en se traînant sur ses genoux.
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Athos étendit la main vers elle.
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|
«Anne de Breuil, comtesse de La Fère, Milady de Winter, dit-il,
|
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vos crimes ont lassé les hommes sur la terre et Dieu dans le ciel.
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|
Si vous savez quelque prière, dites-la, car vous êtes condamnée et
|
|
vous allez mourir.»
|
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|
À ces paroles, qui ne lui laissaient aucun espoir, Milady se
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|
releva de toute sa hauteur et voulut parler, mais les forces lui
|
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manquèrent; elle sentit qu'une main puissante et implacable la
|
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saisissait par les cheveux et l'entraînait aussi irrévocablement
|
|
que la fatalité entraîne l'homme: elle ne tenta donc pas même de
|
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faire résistance et sortit de la chaumière.
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|
Lord de Winter, d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis sortirent
|
|
derrière elle. Les valets suivirent leurs maîtres et la chambre
|
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resta solitaire avec sa fenêtre brisée, sa porte ouverte et sa
|
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lampe fumeuse qui brûlait tristement sur la table.
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|
CHAPITRE LXVI
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|
L'EXÉCUTION
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Il était minuit à peu près; la lune, échancrée par sa décroissance
|
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et ensanglantée par les dernières traces de l'orage, se levait
|
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derrière la petite ville d'Armentières, qui détachait sur sa lueur
|
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blafarde la silhouette sombre de ses maisons et le squelette de
|
|
son haut clocher découpé à jour. En face, la Lys roulait ses eaux
|
|
pareilles à une rivière d'étain fondu; tandis que sur l'autre rive
|
|
on voyait la masse noire des arbres se profiler sur un ciel
|
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orageux envahi par de gros nuages cuivrés qui faisaient une espèce
|
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de crépuscule au milieu de la nuit. À gauche s'élevait un vieux
|
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moulin abandonné, aux ailes immobiles, dans les ruines duquel une
|
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chouette faisait entendre son cri aigu, périodique et monotone. Çà
|
|
et là dans la plaine, à droite et à gauche du chemin que suivait
|
|
le lugubre cortège, apparaissaient quelques arbres bas et trapus,
|
|
qui semblaient des nains difformes accroupis pour guetter les
|
|
hommes à cette heure sinistre.
|
|
|
|
De temps en temps un large éclair ouvrait l'horizon dans toute sa
|
|
largeur, serpentait au-dessus de la masse noire des arbres et
|
|
venait comme un effrayant cimeterre couper le ciel et l'eau en
|
|
deux parties. Pas un souffle de vent ne passait dans l'atmosphère
|
|
alourdie. Un silence de mort écrasait toute la nature; le sol
|
|
était humide et glissant de la pluie qui venait de tomber, et les
|
|
herbes ranimées jetaient leur parfum avec plus d'énergie.
|
|
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|
Deux valets traînaient Milady, qu'ils tenaient chacun par un bras;
|
|
le bourreau marchait derrière, et Lord de Winter, d'Artagnan,
|
|
Athos, Porthos et Aramis marchaient derrière le bourreau.
|
|
|
|
Planchet et Bazin venaient les derniers.
|
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|
Les deux valets conduisaient Milady du côté de la rivière. Sa
|
|
bouche était muette; mais ses yeux parlaient avec leur
|
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inexprimable éloquence, suppliant tour à tour chacun de ceux
|
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qu'elle regardait.
|
|
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|
Comme elle se trouvait de quelques pas en avant, elle dit aux
|
|
valets:
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«Mille pistoles à chacun de vous si vous protégez ma fuite; mais
|
|
si vous me livrez à vos maîtres, j'ai ici près des vengeurs qui
|
|
vous feront payer cher ma mort.»
|
|
|
|
Grimaud hésitait. Mousqueton tremblait de tous ses membres.
|
|
|
|
Athos, qui avait entendu la voix de Milady, s'approcha vivement,
|
|
Lord de Winter en fit autant.
|
|
|
|
«Renvoyez ces valets, dit-il, elle leur a parlé, ils ne sont plus
|
|
sûrs.»
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|
|
|
On appela Planchet et Bazin, qui prirent la place de Grimaud et de
|
|
Mousqueton.
|
|
|
|
Arrivés au bord de l'eau, le bourreau s'approcha de Milady et lui
|
|
lia les pieds et les mains.
|
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|
|
Alors elle rompit le silence pour s'écrier:
|
|
|
|
«Vous êtes des lâches, vous êtes des misérables assassins, vous
|
|
vous mettez à dix pour égorger une femme; prenez garde, si je ne
|
|
suis point secourue, je serai vengée.
|
|
|
|
-- Vous n'êtes pas une femme, dit froidement Athos, vous
|
|
n'appartenez pas à l'espèce humaine, vous êtes un démon échappé de
|
|
l'enfer et que nous allons y faire rentrer.
|
|
|
|
-- Ah! messieurs les hommes vertueux! dit Milady, faites attention
|
|
que celui qui touchera un cheveu de ma tête est à son tour un
|
|
assassin.
|
|
|
|
-- Le bourreau peut tuer, sans être pour cela un assassin, madame,
|
|
dit l'homme au manteau rouge en frappant sur sa large épée; c'est
|
|
le dernier juge, voilà tout: _Nachrichter_, comme disent nos
|
|
voisins les Allemands.»
|
|
|
|
Et, comme il la liait en disant ces paroles, Milady poussa deux ou
|
|
trois cris sauvages, qui firent un effet sombre et étrange en
|
|
s'envolant dans la nuit et en se perdant dans les profondeurs du
|
|
bois.
|
|
|
|
«Mais si je suis coupable, si j'ai commis les crimes dont vous
|
|
m'accusez, hurlait Milady, conduisez-moi devant un tribunal, vous
|
|
n'êtes pas des juges, vous, pour me condamner.
|
|
|
|
-- Je vous avais proposé Tyburn, dit Lord de Winter, pourquoi
|
|
n'avez-vous pas voulu?
|
|
|
|
-- Parce que je ne veux pas mourir! s'écria Milady en se
|
|
débattant, parce que je suis trop jeune pour mourir!
|
|
|
|
-- La femme que vous avez empoisonnée à Béthune était plus jeune
|
|
encore que vous, madame, et cependant elle est morte, dit
|
|
d'Artagnan.
|
|
|
|
-- J'entrerai dans un cloître, je me ferai religieuse, dit Milady.
|
|
|
|
-- Vous étiez dans un cloître, dit le bourreau, et vous en êtes
|
|
sortie pour perdre mon frère.»
|
|
|
|
Milady poussa un cri d'effroi, et tomba sur ses genoux.
|
|
|
|
Le bourreau la souleva sous les bras, et voulut l'emporter vers le
|
|
bateau.
|
|
|
|
«Oh! mon Dieu! s'écria-t-elle, mon Dieu! allez-vous donc me
|
|
noyer!»
|
|
|
|
Ces cris avaient quelque chose de si déchirant, que d'Artagnan,
|
|
qui d'abord était le plus acharné à la poursuite de Milady, se
|
|
laissa aller sur une souche, et pencha la tête, se bouchant les
|
|
oreilles avec les paumes de ses mains; et cependant, malgré cela,
|
|
il l'entendait encore menacer et crier.
|
|
|
|
D'Artagnan était le plus jeune de tous ces hommes, le coeur lui
|
|
manqua.
|
|
|
|
«Oh! je ne puis voir cet affreux spectacle! je ne puis consentir à
|
|
ce que cette femme meure ainsi!»
|
|
|
|
Milady avait entendu ces quelques mots, et elle s'était reprise à
|
|
une lueur d'espérance.
|
|
|
|
«D'Artagnan! d'Artagnan! cria-t-elle, souviens-toi que je t'ai
|
|
aimé!»
|
|
|
|
Le jeune homme se leva et fit un pas vers elle.
|
|
|
|
Mais Athos, brusquement, tira son épée, se mit sur son chemin.
|
|
|
|
«Si vous faites un pas de plus, d'Artagnan, dit-il, nous
|
|
croiserons le fer ensemble.
|
|
|
|
D'Artagnan tomba à genoux et pria.
|
|
|
|
«Allons, continua Athos, bourreau, fais ton devoir.
|
|
|
|
-- Volontiers, Monseigneur, dit le bourreau, car aussi vrai que je
|
|
suis bon catholique, je crois fermement être juste en
|
|
accomplissant ma fonction sur cette femme.
|
|
|
|
-- C'est bien.»
|
|
|
|
Athos fit un pas vers Milady.
|
|
|
|
«Je vous pardonne, dit-il, le mal que vous m'avez fait; je vous
|
|
pardonne mon avenir brisé, mon honneur perdu, mon amour souillé et
|
|
mon salut à jamais compromis par le désespoir où vous m'avez jeté.
|
|
Mourez en paix.»
|
|
|
|
Lord de Winter s'avança à son tour.
|
|
|
|
«Je vous pardonne, dit-il, l'empoisonnement de mon frère,
|
|
I'assassinat de Sa Grâce Lord Buckingham; je vous pardonne la mort
|
|
du pauvre Felton, je vous pardonne vos tentatives sur ma personne.
|
|
Mourez en paix.
|
|
|
|
-- Et moi, dit d'Artagnan, pardonnez-moi, madame, d'avoir, par une
|
|
fourberie indigne d'un gentilhomme, provoqué votre colère; et, en
|
|
échange, je vous pardonne le meurtre de ma pauvre amie et vos
|
|
vengeances cruelles pour moi, je vous pardonne et je pleure sur
|
|
vous. Mourez en paix.
|
|
|
|
-- _I am lost!_ murmura en anglais Milady. _I must die._»
|
|
|
|
Alors elle se releva d'elle-même, jeta tout autour d'elle un de
|
|
ces regards clairs qui semblaient jaillir d'un oeil de flamme.
|
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|
Elle ne vit rien.
|
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|
Elle écouta et n'entendit rien.
|
|
|
|
Elle n'avait autour d'elle que des ennemis.
|
|
|
|
«Où vais-je mourir? dit-elle.
|
|
|
|
-- Sur l'autre rive», répondit le bourreau.
|
|
|
|
Alors il la fit entrer dans la barque, et, comme il allait y
|
|
mettre le pied, Athos lui remit une somme d'argent.
|
|
|
|
«Tenez, dit-il, voici le prix de l'exécution; que l'on voie bien
|
|
que nous agissons en juges.
|
|
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|
-- C'est bien, dit le bourreau; et que maintenant, à son tour,
|
|
cette femme sache que je n'accomplis pas mon métier, mais mon
|
|
devoir.»
|
|
|
|
Et il jeta l'argent dans la rivière.
|
|
|
|
Le bateau s'éloigna vers la rive gauche de la Lys, emportant la
|
|
coupable et l'exécuteur; tous les autres demeurèrent sur la rive
|
|
droite, où ils étaient tombés à genoux.
|
|
|
|
Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac, sous le
|
|
reflet d'un nuage pâle qui surplombait l'eau en ce moment.
|
|
|
|
On le vit aborder sur l'autre rive; les personnages se dessinaient
|
|
en noir sur l'horizon rougeâtre.
|
|
|
|
Milady, pendant le trajet, était parvenue à détacher la corde qui
|
|
liait ses pieds: en arrivant sur le rivage, elle sauta légèrement
|
|
à terre et prit la fuite.
|
|
|
|
Mais le sol était humide; en arrivant au haut du talus, elle
|
|
glissa et tomba sur ses genoux.
|
|
|
|
Une idée superstitieuse la frappa sans doute; elle comprit que le
|
|
Ciel lui refusait son secours et resta dans l'attitude où elle se
|
|
trouvait, la tête inclinée et les mains jointes.
|
|
|
|
Alors on vit, de l'autre rive, le bourreau lever lentement ses
|
|
deux bras, un rayon de lune se refléta sur la lame de sa large
|
|
épée, les deux bras retombèrent; on entendit le sifflement du
|
|
cimeterre et le cri de la victime, puis une masse tronquée
|
|
s'affaissa sous le coup.
|
|
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|
Alors le bourreau détacha son manteau rouge, l'étendit à terre, y
|
|
coucha le corps, y jeta la tête, le noua par les quatre coins, le
|
|
chargea sur son épaule et remonta dans le bateau.
|
|
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Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et suspendant son
|
|
fardeau au-dessus de la rivière:
|
|
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|
«Laissez passer la justice de Dieu!» cria-t-il à haute voix.
|
|
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|
Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l'eau, qui se
|
|
referma sur lui.
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|
Trois jours après, les quatre mousquetaires rentraient à Paris;
|
|
ils étaient restés dans les limites de leur congé, et le même soir
|
|
ils allèrent faire leur visite accoutumée à M. de Tréville.
|
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|
«Eh bien, messieurs, leur demanda le brave capitaine, vous êtes-
|
|
vous bien amusés dans votre excursion?
|
|
|
|
-- Prodigieusement», répondit Athos, les dents serrées.
|
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|
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|
CHAPITRE LXVII
|
|
CONCLUSION
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|
Le 6 du mois suivant, le roi, tenant la promesse qu'il avait faite
|
|
au cardinal de quitter Paris pour revenir à La Rochelle, sortit de
|
|
sa capitale tout étourdi encore de la nouvelle qui venait de s'y
|
|
répandre que Buckingham venait d'être assassiné.
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|
|
Quoique prévenue que l'homme qu'elle avait tant aimé courait un
|
|
danger, la reine, lorsqu'on lui annonça cette mort, ne voulut pas
|
|
la croire; il lui arriva même de s'écrier imprudemment:
|
|
|
|
«C'est faux! il vient de m'écrire.»
|
|
|
|
Mais le lendemain il lui fallut bien croire à cette fatale
|
|
nouvelle; La Porte, retenu comme tout le monde en Angleterre par
|
|
les ordres du roi Charles Ier, arriva porteur du dernier et
|
|
funèbre présent que Buckingham envoyait à la reine.
|
|
|
|
La joie du roi avait été très vive; il ne se donna pas la peine de
|
|
la dissimuler et la fit même éclater avec affectation devant la
|
|
reine. Louis XIII, comme tous les coeurs faibles, manquait de
|
|
générosité.
|
|
|
|
Mais bientôt le roi redevint sombre et mal portant: son front
|
|
n'était pas de ceux qui s'éclaircissent pour longtemps; il sentait
|
|
qu'en retournant au camp il allait reprendre son esclavage, et
|
|
cependant il y retournait.
|
|
|
|
Le cardinal était pour lui le serpent fascinateur et il était,
|
|
lui, l'oiseau qui voltige de branche en branche sans pouvoir lui
|
|
échapper.
|
|
|
|
Aussi le retour vers La Rochelle était-il profondément triste. Nos
|
|
quatre amis surtout faisaient l'étonnement de leurs camarades; ils
|
|
voyageaient ensemble, côte à côte, l'oeil sombre et la tête
|
|
baissée. Athos relevait seul de temps en temps son large front; un
|
|
éclair brillait dans ses yeux, un sourire amer passait sur ses
|
|
lèvres, puis, pareil à ses camarades, il se laissait de nouveau
|
|
aller à ses rêveries.
|
|
|
|
Aussitôt l'arrivée de l'escorte dans une ville, dès qu'ils avaient
|
|
conduit le roi à son logis, les quatre amis se retiraient ou chez
|
|
eux ou dans quelque cabaret écarté, où ils ne jouaient ni ne
|
|
buvaient; seulement ils parlaient à voix basse en regardant avec
|
|
attention si nul ne les écoutait.
|
|
|
|
Un jour que le roi avait fait halte sur la route pour voler la
|
|
pie, et que les quatre amis, selon leur habitude, au lieu de
|
|
suivre la chasse, s'étaient arrêtés dans un cabaret sur la grande
|
|
route, un homme, qui venait de La Rochelle à franc étrier,
|
|
s'arrêta à la porte pour boire un verre de vin, et plongea son
|
|
regard dans l'intérieur de la chambre où étaient attablés les
|
|
quatre mousquetaires.
|
|
|
|
«Holà! monsieur d'Artagnan! dit-il, n'est-ce point vous que je
|
|
vois là-bas?»
|
|
|
|
D'Artagnan leva la tête et poussa un cri de joie. Cet homme qu'il
|
|
appelait son fantôme, c'était son inconnu de Meung, de la rue des
|
|
Fossoyeurs et d'Arras.
|
|
|
|
D'Artagnan tira son épée et s'élança vers la porte.
|
|
|
|
Mais cette fois, au lieu de fuir, l'inconnu s'élança à bas de son
|
|
cheval, et s'avança à la rencontre de d'Artagnan.
|
|
|
|
«Ah! monsieur, dit le jeune homme, je vous rejoins donc enfin;
|
|
cette fois vous ne m'échapperez pas.
|
|
|
|
-- Ce n'est pas mon intention non plus, monsieur, car cette fois
|
|
je vous cherchais; au nom du roi, je vous arrête et dis que vous
|
|
ayez à me rendre votre épée, monsieur, et cela sans résistance; il
|
|
y va de la tête, je vous en avertis.
|
|
|
|
-- Qui êtes-vous donc? demanda d'Artagnan en baissant son épée,
|
|
mais sans la rendre encore.
|
|
|
|
-- Je suis le chevalier de Rochefort, répondit l'inconnu, l'écuyer
|
|
de M. le cardinal de Richelieu, et j'ai ordre de vous ramener à
|
|
Son Éminence.
|
|
|
|
-- Nous retournons auprès de Son Éminence, monsieur le chevalier,
|
|
dit Athos en s'avançant, et vous accepterez bien la parole de
|
|
M. d'Artagnan, qu'il va se rendre en droite ligne à La Rochelle.
|
|
|
|
-- Je dois le remettre entre les mains des gardes qui le
|
|
ramèneront au camp.
|
|
|
|
-- Nous lui en servirons, monsieur, sur notre parole de
|
|
gentilshommes; mais sur notre parole de gentilshommes aussi,
|
|
ajouta Athos en fronçant le sourcil, M. d'Artagnan ne nous
|
|
quittera pas.»
|
|
|
|
Le chevalier de Rochefort jeta un coup d'oeil en arrière et vit
|
|
que Porthos et Aramis s'étaient placés entre lui et la porte; il
|
|
comprit qu'il était complètement à la merci de ces quatre hommes.
|
|
|
|
«Messieurs, dit-il, si M. d'Artagnan veut me rendre son épée, et
|
|
joindre sa parole à la vôtre, je me contenterai de votre promesse
|
|
de conduire M. d'Artagnan au quartier de Mgr le cardinal.
|
|
|
|
-- Vous avez ma parole, monsieur, dit d'Artagnan, et voici mon
|
|
épée.
|
|
|
|
-- Cela me va d'autant mieux, ajouta Rochefort, qu'il faut que je
|
|
continue mon voyage.
|
|
|
|
-- Si c'est pour rejoindre Milady, dit froidement Athos, c'est
|
|
inutile, vous ne la retrouverez pas.
|
|
|
|
-- Qu'est-elle donc devenue? demanda vivement Rochefort.
|
|
|
|
-- Revenez au camp et vous le saurez.»
|
|
|
|
Rochefort demeura un instant pensif, puis, comme on n'était plus
|
|
qu'à une journée de Surgères, jusqu'où le cardinal devait venir
|
|
au-devant du roi, il résolut de suivre le conseil d'Athos et de
|
|
revenir avec eux.
|
|
|
|
D'ailleurs ce retour lui offrait un avantage, c'était de
|
|
surveiller lui-même son prisonnier.
|
|
|
|
On se remit en route.
|
|
|
|
Le lendemain, à trois heures de l'après-midi, on arriva à
|
|
Surgères. Le cardinal y attendait Louis XIII. Le ministre et le
|
|
roi y échangèrent force caresses, se félicitèrent de l'heureux
|
|
hasard qui débarrassait la France de l'ennemi acharné qui ameutait
|
|
l'Europe contre elle. Après quoi, le cardinal, qui avait été
|
|
prévenu par Rochefort que d'Artagnan était arrêté, et qui avait
|
|
hâte de le voir, prit congé du roi en l'invitant à venir voir le
|
|
lendemain les travaux de la digue qui étaient achevés.
|
|
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En revenant le soir à son quartier du pont de La Pierre, le
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cardinal trouva debout, devant la porte de la maison qu'il
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habitait, d'Artagnan sans épée et les trois mousquetaires armés.
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Cette fois, comme il était en force, il les regarda sévèrement, et
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fit signe de l'oeil et de la main à d'Artagnan de le suivre.
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D'Artagnan obéit.
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«Nous t'attendrons, d'Artagnan», dit Athos assez haut pour que le
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cardinal l'entendit.
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Son Éminence fronça le sourcil, s'arrêta un instant, puis continua
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son chemin sans prononcer une seule parole.
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D'Artagnan entra derrière le cardinal, et Rochefort derrière
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d'Artagnan; la porte fut gardée.
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Son Éminence se rendit dans la chambre qui lui servait de cabinet,
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et fit signe à Rochefort d'introduire le jeune mousquetaire.
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Rochefort obéit et se retira.
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D'Artagnan resta seul en face du cardinal; c'était sa seconde
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entrevue avec Richelieu, et il avoua depuis qu'il avait été bien
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convaincu que ce serait la dernière.
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Richelieu resta debout, appuyé contre la cheminée, une table était
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dressée entre lui et d'Artagnan.
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«Monsieur, dit le cardinal, vous avez été arrêté par mes ordres.
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-- On me l'a dit, Monseigneur.
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-- Savez-vous pourquoi?
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-- Non, Monseigneur; car la seule chose pour laquelle je pourrais
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être arrêté est encore inconnue de Son Éminence.»
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Richelieu regarda fixement le jeune homme.
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«Oh! Oh! dit-il, que veut dire cela?
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-- Si Monseigneur veut m'apprendre d'abord les crimes qu'on
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m'impute, je lui dirai ensuite les faits que j'ai accomplis.
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-- On vous impute des crimes qui ont fait choir des têtes plus
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hautes que la vôtre, monsieur! dit le cardinal.
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-- Lesquels, Monseigneur? demanda d'Artagnan avec un calme qui
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étonna le cardinal lui-même.
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-- On vous impute d'avoir correspondu avec les ennemis du royaume,
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on vous impute d'avoir surpris les secrets de l'État, on vous
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impute d'avoir essayé de faire avorter les plans de votre général.
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-- Et qui m'impute cela, Monseigneur? dit d'Artagnan, qui se
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doutait que l'accusation venait de Milady: une femme flétrie par
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la justice du pays, une femme qui a épousé un homme en France et
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un autre en Angleterre, une femme qui a empoisonné son second mari
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et qui a tenté de m'empoisonner moi-même!
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-- Que dites-vous donc là? Monsieur, s'écria le cardinal étonné,
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et de quelle femme parlez-vous ainsi?
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-- De Milady de Winter, répondit d'Artagnan; oui, de Milady de
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Winter, dont, sans doute, Votre Éminence ignorait tous les crimes
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lorsqu'elle l'a honorée de sa confiance.
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-- Monsieur, dit le cardinal, si Milady de Winter a commis les
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crimes que vous dites, elle sera punie.
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-- Elle l'est, Monseigneur.
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-- Et qui l'a punie?
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-- Nous.
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-- Elle est en prison?
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-- Elle est morte.
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-- Morte! répéta le cardinal, qui ne pouvait croire à ce qu'il
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entendait: morte! n'avez-vous pas dit qu'elle était morte?
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-- Trois fois elle avait essayé de me tuer, et je lui avais
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pardonné, mais elle a tué la femme que j'aimais. Alors, mes amis
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et moi, nous l'avons prise, jugée et condamnée.»
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D'Artagnan alors raconta l'empoisonnement de Mme Bonacieux dans le
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couvent des Carmélites de Béthune, le jugement de la maison
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isolée, l'exécution sur les bords de la Lys.
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Un frisson courut par tout le corps du cardinal, qui cependant ne
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frissonnait pas facilement.
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Mais tout à coup, comme subissant l'influence d'une pensée muette,
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la physionomie du cardinal, sombre jusqu'alors, s'éclaircit peu à
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peu et arriva à la plus parfaite sérénité.
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«Ainsi, dit-il avec une voix dont la douceur contrastait avec la
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sévérité de ses paroles, vous vous êtes constitués juges, sans
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penser que ceux qui n'ont pas mission de punir et qui punissent
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sont des assassins!
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-- Monseigneur, je vous jure que je n'ai pas eu un instant
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l'intention de défendre ma tête contre vous. Je subirai le
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châtiment que Votre Éminence voudra bien m'infliger. Je ne tiens
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pas assez à la vie pour craindre la mort.
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-- Oui, je le sais, vous êtes un homme de coeur, monsieur, dit le
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cardinal avec une voix presque affectueuse; je puis donc vous dire
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d'avance que vous serez jugé, condamné même.
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-- Un autre pourrait répondre à Votre Éminence qu'il a sa grâce
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dans sa poche; moi je me contenterai de vous dire: «Ordonnez,
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Monseigneur, je suis prêt.»
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-- Votre grâce? dit Richelieu surpris.
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-- Oui, Monseigneur, dit d'Artagnan.
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-- Et signée de qui? du roi?»
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Et le cardinal prononça ces mots avec une singulière expression de
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mépris.
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«Non, de Votre Éminence.
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-- De moi? vous êtes fou, monsieur?
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-- Monseigneur reconnaîtra sans doute son écriture.»
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Et d'Artagnan présenta au cardinal le précieux papier qu'Athos
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avait arraché à Milady, et qu'il avait donné à d'Artagnan pour lui
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servir de sauvegarde.
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Son Éminence prit le papier et lut d'une voix lente et en appuyant
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sur chaque syllabe:
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«C'est par mon ordre et pour le bien de État que le porteur du
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présent a fait ce qu'il a fait.
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«Au camp devant La Rochelle, ce 5 août 1628.
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«Richelieu.»
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Le cardinal, après avoir lu ces deux lignes, tomba dans une
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rêverie profonde, mais il ne rendit pas le papier à d'Artagnan.
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«Il médite de quel genre de supplice il me fera mourir, se dit
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tout bas d'Artagnan; eh bien, ma foi! il verra comment meurt un
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gentilhomme.»
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Le jeune mousquetaire était en excellente disposition pour
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trépasser héroïquement.
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Richelieu pensait toujours, roulait et déroulait le papier dans
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ses mains. Enfin il leva la tête, fixa son regard d'aigle sur
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cette physionomie loyale, ouverte, intelligente, lut sur ce visage
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sillonné de larmes toutes les souffrances qu'il avait endurées
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depuis un mois, et songea pour la troisième ou quatrième fois
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combien cet enfant de vingt et un ans avait d'avenir, et quelles
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ressources son activité, son courage et son esprit pouvaient
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offrir à un bon maître.
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D'un autre côté, les crimes, la puissance, le génie infernal de
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Milady l'avaient plus d'une fois épouvanté. Il sentait comme une
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joie secrète d'être à jamais débarrassé de ce complice dangereux.
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Il déchira lentement le papier que d'Artagnan lui avait si
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généreusement remis.
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«Je suis perdu», dit en lui-même d'Artagnan.
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Et il s'inclina profondément devant le cardinal en homme qui dit:
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«Seigneur, que votre volonté soit faite!»
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Le cardinal s'approcha de la table, et, sans s'asseoir, écrivit
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quelques lignes sur un parchemin dont les deux tiers étaient déjà
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remplis et y apposa son sceau.
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«Ceci est ma condamnation, dit d'Artagnan; il m'épargne l'ennui de
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la Bastille et les lenteurs d'un jugement. C'est encore fort
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aimable à lui.»
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«Tenez, monsieur, dit le cardinal au jeune homme, je vous ai pris
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un blanc-seing et je vous en rends un autre. Le nom manque sur ce
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brevet: vous l'écrirez vous-même.»
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D'Artagnan prit le papier en hésitant et jeta les yeux dessus.
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C'était une lieutenance dans les mousquetaires.
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D'Artagnan tomba aux pieds du cardinal.
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«Monseigneur, dit-il, ma vie est à vous; disposez-en désormais;
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mais cette faveur que vous m'accordez, je ne la mérite pas: j'ai
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trois amis qui sont plus méritants et plus dignes...
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-- Vous êtes un brave garçon, d'Artagnan, interrompit le cardinal
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en lui frappant familièrement sur l'épaule, charmé qu'il était
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d'avoir vaincu cette nature rebelle. Faites de ce brevet ce qu'il
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vous plaira. Seulement rappelez-vous que, quoique le nom soit en
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blanc, c'est à vous que je le donne.
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-- Je ne l'oublierai jamais, répondit d'Artagnan. Votre Éminence
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peut en être certaine.»
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Le cardinal se retourna et dit à haute voix:
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«Rochefort!»
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Le chevalier, qui sans doute était derrière la porte entra
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aussitôt.
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«Rochefort, dit le cardinal, vous voyez M. d'Artagnan; je le
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reçois au nombre de mes amis; ainsi donc que l'on s'embrasse et
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que l'on soit sage si l'on tient à conserver sa tête.
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Rochefort et d'Artagnan s'embrassèrent du bout des lèvres; mais le
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cardinal était là, qui les observait de son oeil vigilant.
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Ils sortirent de la chambre en même temps.
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«Nous nous retrouverons, n'est-ce pas, monsieur?
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-- Quand il vous plaira, fit d'Artagnan.
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-- L'occasion viendra, répondit Rochefort.
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-- Hein?» fit Richelieu en ouvrant la porte.
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Les deux hommes se sourirent, se serrèrent la main et saluèrent
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Son Éminence.
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«Nous commencions à nous impatienter, dit Athos.
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-- Me voilà, mes amis! répondit d'Artagnan, non seulement libre,
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mais en faveur.
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-- Vous nous conterez cela?
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-- Dès ce soir.»
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En effet, dès le soir même d'Artagnan se rendit au logis d'Athos,
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qu'il trouva en train de vider sa bouteille de vin d'Espagne,
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occupation qu'il accomplissait religieusement tous les soirs.
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Il lui raconta ce qui s'était passé entre le cardinal et lui, et
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tirant le brevet de sa poche:
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«Tenez, mon cher Athos, voilà, dit-il, qui vous revient tout
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naturellement.»
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Athos sourit de son doux et charmant sourire.
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«Amis, dit-il, pour Athos c'est trop; pour le comte de La Fère,
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c'est trop peu. Gardez ce brevet, il est à vous; hélas, mon Dieu!
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vous l'avez acheté assez cher.»
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D'Artagnan sortit de la chambre d'Athos, et entra dans celle de
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Porthos.
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Il le trouva vêtu d'un magnifique habit, couvert de broderies
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splendides, et se mirant dans une glace.
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«Ah! ah! dit Porthos, c'est vous, cher ami! comment trouvez-vous
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que ce vêtement me va?
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-- À merveille, dit d'Artagnan, mais je viens vous proposer un
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habit qui vous ira mieux encore.
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-- Lequel? demanda Porthos.
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-- Celui de lieutenant aux mousquetaires.
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D'Artagnan raconta à Porthos son entrevue avec le cardinal, et
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tirant le brevet de sa poche:
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«Tenez, mon cher, dit-il, écrivez votre nom là-dessus, et soyez
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bon chef pour moi.
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Porthos jeta les yeux sur le brevet, et le rendit à d'Artagnan, au
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grand étonnement du jeune homme.
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«Oui, dit-il, cela me flatterait beaucoup, mais je n'aurais pas
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assez longtemps à jouir de cette faveur. Pendant notre expédition
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de Béthune, le mari de ma duchesse est mort; de sorte que, mon
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cher, le coffre du défunt me tendant les bras, j'épouse la veuve.
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Tenez, j'essayais mon habit de noce; gardez la lieutenance, mon
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cher, gardez.»
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Et il rendit le brevet à d'Artagnan.
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Le jeune homme entra chez Aramis.
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Il le trouva agenouillé devant un prie-Dieu, le front appuyé
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contre son livre d'heures ouvert.
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Il lui raconta son entrevue avec le cardinal, et tirant pour la
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troisième fois son brevet de sa poche:
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«Vous, notre ami, notre lumière, notre protecteur invisible, dit-
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il, acceptez ce brevet; vous l'avez mérité plus que personne, par
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votre sagesse et vos conseils toujours suivis de si heureux
|
|
résultats.
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-- Hélas, cher ami! dit Aramis, nos dernières aventures m'ont
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dégoûté tout à fait de la vie d'homme d'épée. Cette fois, mon
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parti est pris irrévocablement, après le siège j'entre chez les
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lazaristes. Gardez ce brevet, d'Artagnan, le métier des armes vous
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convient, vous serez un brave et aventureux capitaine.»
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D'Artagnan, l'oeil humide de reconnaissance et brillant de joie,
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revint à Athos, qu'il trouva toujours attablé et mirant son
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dernier verre de malaga à la lueur de la lampe.
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«Eh bien, dit-il, eux aussi m'ont refusé.
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-- C'est que personne, cher ami, n'en était plus digne que vous.»
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Il prit une plume, écrivit sur le brevet le nom de d'Artagnan, et
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le lui remit.
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«Je n'aurai donc plus d'amis, dit le jeune homme, hélas! plus
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|
rien, que d'amers souvenirs...»
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Et il laissa tomber sa tête entre ses deux mains, tandis que deux
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larmes roulaient le long de ses joues.
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«Vous êtes jeune, vous, répondit Athos, et vos souvenirs amers ont
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le temps de se changer en doux souvenirs!»
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ÉPILOGUE
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La Rochelle, privée du secours de la flotte anglaise et de la
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division promise par Buckingham, se rendit après un siège d'un an.
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Le 28 octobre 1628, on signa la capitulation.
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Le roi fit son entrée à Paris le 23 décembre de la même année. On
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lui fit un triomphe comme s'il revenait de vaincre l'ennemi et non
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des Français. Il entra par le faubourg Saint-Jacques sous des arcs
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de verdure.
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D'Artagnan prit possession de son grade. Porthos quitta le service
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et épousa, dans le courant de l'année suivante, Mme Coquenard, le
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coffre tant convoité contenait huit cent mille livres.
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Mousqueton eut une livrée magnifique, et de plus la satisfaction,
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qu'il avait ambitionnée toute sa vie, de monter derrière un
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carrosse doré.
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Aramis, après un voyage en Lorraine, disparut tout à coup et cessa
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d'écrire à ses amis. On apprit plus tard, par Mme de Chevreuse,
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qui le dit à deux ou trois de ses amants, qu'il avait pris l'habit
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dans un couvent de Nancy.
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Bazin devint frère lai.
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Athos resta mousquetaire sous les ordres de d'Artagnan jusqu'en
|
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1633, époque à laquelle, à la suite d'un voyage qu'il fit en
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Touraine, il quitta aussi le service sous prétexte qu'il venait de
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recueillir un petit héritage en Roussillon.
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|
Grimaud suivit Athos.
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D'Artagnan se battit trois fois avec Rochefort et le blessa trois
|
|
fois.
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«Je vous tuerai probablement à la quatrième, lui dit-il en lui
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tendant la main pour le relever.
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-- Il vaut donc mieux, pour vous et pour moi, que nous en restions
|
|
là, répondit le blessé. Corbleu! je suis plus votre ami que vous
|
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ne pensez, car dès la première rencontre j'aurais pu, en disant un
|
|
mot au cardinal, vous faire couper le cou.»
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|
Ils s'embrassèrent cette fois, mais de bon coeur et sans arrière-
|
|
pensée.
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Planchet obtint de Rochefort le grade de sergent dans les gardes.
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M. Bonacieux vivait fort tranquille, ignorant parfaitement ce
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qu'était devenue sa femme et ne s'en inquiétant guère. Un jour, il
|
|
eut l'imprudence de se rappeler au souvenir du cardinal; le
|
|
cardinal lui fit répondre qu'il allait pourvoir à ce qu'il ne
|
|
manquât jamais de rien désormais.
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En effet, le lendemain, M. Bonacieux, étant sorti à sept heures du
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|
soir de chez lui pour se rendre au Louvre, ne reparut plus rue des
|
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Fossoyeurs; l'avis de ceux qui parurent les mieux informés fut
|
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qu'il était nourri et logé dans quelque château royal aux frais de
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|
sa généreuse Éminence.
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|
FIN
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