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LES
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PETITS VAGABONDS
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PAR
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Mme JEANNE MARCEL
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ILLUSTRÉS DE 25 VIGNETTES
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PAR E. BAYARD
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CINQUIÈME ÉDITION
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PARIS
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LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
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79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
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CHAPITRE PREMIER.
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César, Aimée et leur compagnon Balthasar.
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Il était une fois, mes petits lecteurs, deux enfants que Dieu avait
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faits orphelins tout jeunes, et bien avant qu'ils fussent en état de
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garder le souvenir des soins et de la tendresse que leur avait prodigués
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leur pauvre maman.
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A l'époque où commence notre histoire, l'aîné, un garçon, pouvait avoir
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neuf ans, peut-être dix, et le plus jeune, une fille, huit ans à peine.
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Il ne faut pas me demander s'ils étaient jolis; c'était chose fort
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difficile à découvrir sous leurs haillons, et je ne saurais vraiment
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vous répondre. Cela, du reste, leur importait si peu, qu'ils eussent
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été eux-mêmes bien embarrassés de dire s'ils avaient le nez camard ou
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aquilin; de la vie, ils ne s'étaient regardés dans un miroir.
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Je n'essayerai pas non plus de vous vanter leur intelligence; ils en
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avaient, sans doute, mais il n'y paraissait guère, car ils avaient
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toujours vécu comme des sauvages et ne savaient encore ni lire, ni
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écrire, ni prier. Ils ignoraient aussi tout ce qui concernait leur
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première enfance, et ne connaissaient rien des parents qu'ils avaient
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perdus, ni de l'époque ou du lieu où ils étaient nés. Aussi loin dans le
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passé qu'ils pouvaient se reporter par le souvenir, ils se voyaient
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du matin au soir errant sur le pavé de Paris; où ils offraient aux
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promeneurs des bouquets de roses et de violettes qu'on leur achetait
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trop rarement, et du soir au matin couchés côte à côte sur de misérables
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paillasses dans le logis de leur tuteur Joseph Ledoux.
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Lorsque César, qui avait par moment des idées vagues et confuses d'un
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temps plus heureux, s'enhardissait assez pour questionner Joseph,
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celui-ci répondait invariablement qu'ils n'étaient que de misérables
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enfants trouvés. Enfants trouvés!... Cela les faisait réfléchir: ils se
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représentaient tous deux abandonnés sous le porche d'une église, comme
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ils entendaient dire qu'on trouvait quelquefois des enfants nouveau-nés,
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ou bien perdus dans un chemin de traverse, au milieu des bois, tels
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que César en voyait toujours la nuit dans ses rêves, bien qu'à sa
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connaissance il n'eût jamais été à la campagne. Et c'était pour eux un
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grand sujet de désolation!
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Ah! si à défaut de parents, la Providence leur avait seulement donné
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des amis! Mais l'amitié, douce au coeur des enfants comme au coeur des
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hommes, leur faisait aussi défaut. Personne ne s'intéressait à eux
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au delà de cette pitié passagère que leur grande jeunesse inspirait à
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quelques promeneurs. De temps à autre ils entendaient qu'on disait en
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passant près d'eux: »Pauvres petits!» Touchés jusqu'au fond de l'âme,
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ils levaient sur la personne qui avait parlé ainsi leurs beaux yeux
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pleins de reconnaissance, mais on leur donnait deux sous et puis c'était
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fini. Ils étaient donc seuls au monde et abandonnés de tous, excepté de
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Dieu, qui veille toujours sur ses créatures; mais ils ne connaissaient
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point Dieu.
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Si, je me trompe, César et Aimée avaient un ami. Un seul, il est vrai,
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mais plus attaché et plus dévoué qu'on ne serait autorisé à l'exiger
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d'un grand nombre. Il s'appelait Balthasar et n'était, hélas! qu'un
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pauvre caniche aussi mal placé dans la hiérarchie des chiens que ses
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maîtres dans celle des hommes. D'un extérieur peu fait pour inspirer la
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confiance, il était horriblement malpropre et avait l'air de porter des
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guenilles en guise de toison. De plus il avait le malheur d'être maigre
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à lui tout seul autant que les sept vaches qu'un certain roi d'Égypte
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vit en songe, comme il est expliqué dans la Bible. Mais cela ne fait
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rien; ce ne sont pas toujours les caniches les plus gras et les mieux
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soignés qui sont les meilleurs et les plus intelligents. Si Balthasar
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était laid et chétif, en revanche, sa cervelle de chien était bien
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organisée; il avait beaucoup de moyens, et, en outre, du coeur assez
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pour faire honte à bien des hommes.
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C'était vraiment une bonne et intelligente bête; et quand je songe aux
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preuves d'attachement qu'il a données à ses jeunes maîtres, et à sa
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conduite si sagement raisonnée en maintes circonstances, je me demande
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comment il se trouve des gens assez hardis ou assez aveugles pour
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refuser aux caniches la faculté de penser.
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Croyez bien, mes petits lecteurs, que Balthasar ne ressemblait en rien
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à ces chiens idiots qu'on voit tous les jours s'attacher au premier
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venu qui veut bien se déclarer leur maître, et sont toujours prêts à
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s'humilier devant la force. De tels chiens ne méritent seulement pas
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qu'on daigne s'occuper d'eux. Quant à lui, il ignorait la bassesse et
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n'avait point tant de servilité dans le coeur au service des hommes.
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Son éducation avait été fort soignée; des maîtres habiles et bien
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inspirés l'avaient doté de nombreux talents, dont Joseph Ledoux tirait
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alors un parti assez avantageux. On ne savait pas en ce temps-là que
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l'adversité obligerait un jour Balthasar à faire un gagne-pain des tours
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d'adresse et de force qu'on lui avait enseignés pour charmer ses loisirs
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et ceux de ses amis. Mais la vie est ainsi faite: personne ne peut
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répondre de l'avenir. On voit tous les jours les gens les mieux partagés
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sous le rapport des richesses passer de l'opulence à la misère avec une
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rapidité bien faite pour donner à réfléchir!...
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Quant à Balthasar, il n'était point tombé d'une hauteur vertigineuse;
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c'était au milieu d'une honnête famille d'artisans, et non dans le
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chenil d'un grand seigneur, que le sort l'avait fait naître.
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Il n'en avait pas moins été très-dur pour lui de se trouver ensuite au
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service d'un bateleur, et surtout d'un bateleur ivrogne et méchant comme
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était Joseph Ledoux. Balthasar, vous le devinez bien, je pense, était un
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chien savant, ou, si vous le préférez, un chien artiste.
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Vous énumérer tous les tours qu'il exécutait serait fastidieux;
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cependant, si cela peut lui procurer une meilleure place dans votre
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estime, je vous apprendrai qu'il sautait à la corde presqu'aussi
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bien que les plus habiles d'entre vous; disait l'heure au public avec
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l'exactitude d'un cadran solaire; mettait bravement le feu à un petit
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canon de poche, dont l'explosion ne le faisait même pas sourciller;
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savait, rien qu'à l'inspection de la physionomie, distinguer au milieu
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d'une foule d'enfants celui qui était le plus aimable et le plus docile,
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et, de sa patte droite, battait la mesure avec une précision remarquable
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lorsque son maître jouait du violon. Entre de meilleures mains que
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celles de Joseph, il aurait pu très-certainement se faire connaître et
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gagner beaucoup d'argent.
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Mais je dois, pour être juste, déclarer que l'amour-propre et la
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cupidité n'étaient point son fait, et que si c'eût été pour sa
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satisfaction personnelle et par amour de l'or, jamais il n'eût consenti
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à prendre une sébile entre ses dents et à la tendre humblement à des
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spectateurs qui, le plus souvent, ne donnent leur centime qu'à regret,
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et par respect humain plutôt que pour rétribuer honorablement le savoir
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et l'adresse. En cela, comme en beaucoup d'autres choses, il obéissait à
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son devoir de préférence à ses goûts.
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[Illustration: Il sautait à la corde.]
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Tout naturellement César et Aimée chérissaient Balthasar, dont ils
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connaissaient et appréciaient le dévouement. C'était un vieil ami qu'ils
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avaient toujours vu près d'eux. Ils le soupçonnaient avec raison de
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les avoir précédés dans la vie; et, parfois, lorsqu'il fixait sur leurs
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jeunes visages ses pauvres yeux déjà ternis par l'âge, mais profonds et
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comme tout chargés de souvenirs, ils s'imaginaient que le vieux chien
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songeait à ce passé si obscur que César faisait de vains efforts pour
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pénétrer. Malheureusement Balthasar était incapable de les consoler et
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de les encourager; il ne pouvait que les aimer; c'était quelque chose
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sans doute, mais ce n'était pas assez. Ils le voyaient fort peu,
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d'ailleurs, car ils étaient obligés de se séparer de lui dès le matin
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pour se rendre où les appelait leur occupation, et ne rentraient que le
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soir presque toujours brisés de fatigue et poursuivis par le sommeil.
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Quoi qu'il m'en coûte, mes petits lecteurs, je dois vous faire connaître
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la véritable occupation de César et d'Aimée. Il est donc inutile de
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vous le dissimuler, leur commerce de fleurs n'était qu'un prétexte pour
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demander l'aumône; ils faisaient le honteux métier de mendiants!... Un
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dur métier, croyez-moi, et qui procure tant de misères, d'ennuis et de
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fatigues, que je me demande comment il se trouve des paresseux assez
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mal inspirés pour le choisir volontairement. Quant à mes amis, ils ne
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l'avaient point choisi, au contraire; c'était bien malgré eux et tout à
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fait à leur corps défendant qu'ils s'y livraient. Que cette répugnance
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les réhabilite à vos yeux et fasse qu'il se trouve pour eux une toute
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petite place dans un coin de votre coeur.
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[Illustration]
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CHAPITRE II.
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Où il est prouvé que la fortune nous arrive parfois à l'improviste, sans
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être attendue, et qu'elle s'en va non moins vite.
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Un jour, c'était vers la mi-avril, le temps était magnifique et tout le
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monde était dehors. César et Aimée qui connaissaient les bons endroits,
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étaient venus, dans l'espoir de faire une recette fabuleuse, se placer
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à la grille des Tuileries qui ouvre sur la rue Castiglione. Mais à peine
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s'y trouvaient-ils depuis un quart d'heure que, entraînés par les goûts
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de leur âge, ils oublièrent la chasse des petits sous pour regarder les
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enfants qui couraient dans le jardin. Les deux paniers de roses et
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de muguet gisaient sans plus de façon sur le trottoir; quant à leurs
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propriétaires, ils suivaient avec un vif intérêt les parties qui se
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jouaient de l'autre côté de la grille. Ils étaient si complétement
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absorbés dans leur contemplation qu'ils ne virent point descendre de
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voiture, à quelques pas d'eux, une jeune et belle dame, laquelle vint
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droit à César et lui dit en lui glissant quelque chose dans la main:
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«Prenez ceci et priez Dieu pour qu'il rende la santé à un pauvre enfant
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dont la mère ne pourrait supporter la perte.»
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Mes amis (souffrez que je leur donne ce titre), mes amis stupéfaits
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n'eurent pas même assez de présence d'esprit pour remercier la jeune
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dame, qui, du reste, s'était promptement éloignée.
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«Que t'a-t-elle donné, César? demanda Aimée.
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--Tiens, fit César en ouvrant la main, voilà! Je crois bien que c'est
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une pièce d'or.
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--Une pièce d'or?
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--Oui, comme on en voit chez les changeurs.
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--Montre un peu.... Oh! que c'est joli une pièce d'or!... Mais elle est
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bien petite, sais-tu?
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--Oh! cela ne fait rien.
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--Elle est bonne tout de même, n'est-ce pas?
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--Parbleu!... On dirait une pièce de vingt francs.
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--Vingt francs!... Montre encore!... Combien cela fait-il de sous, vingt
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francs?
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--Oh! je ne sais pas au juste, mais beaucoup, beaucoup, plein ton panier
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peut-être!...
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[Illustration: «Prenez ceci et priez Dieu».]
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--Tant que cela?
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--Pour le moins.
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--Et que peut-on acheter avec un panier de sous?
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--Tout ce qu'on veut, je pense.
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--Vrai, César?... Alors nous sommes riches?
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--Bien sûr que nous le sommes.... A moins pourtant que la dame ne se
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soit trompée.
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--Comment donc?
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--Eh bien, oui, qu'elle ne nous ait donné cela pour une pièce de cinq
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centimes.
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--Le penses-tu?
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--Dame! je ne sais pas.... mais cependant cela pourrait bien être.
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--Comment faire alors?
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--Chercher la dame et lui rendre la pièce.
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--Oh! ce serait dommage.... J'étais déjà si contente d'être riche!...
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D'ailleurs, comment veux-tu retrouver au milieu de tant de monde une
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personne que tu n'as fait qu'entrevoir?
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--Je la reconnaîtrai bien, que cela ne t'inquiète pas, viens.
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--Allons!... puisque tu le veux.
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--Et toi, tu ne le veux donc pas?
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--Si fait.... Je serais heureuse de posséder beaucoup d'argent, mais je
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ne voudrais pas garder une pièce d'or qui ne m'appartiendrait pas....
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--A la bonne heure!»
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Malgré une persévérance et une bonne volonté fort louables, les deux
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enfants ne trouvèrent point la dame à la pièce d'or.
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«Je l'avais bien dit, fit Aimée en se laissant tomber avec découragement
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sur un banc de pierre dans la partie la plus déserte du jardin.
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--Nous reviendrons demain, répondit César.
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--Alors tu ne donneras pas la pièce à Joseph?
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--Non. Et toi, Aimée, tu ne lui parleras pas de cela, à Joseph.
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--Pourquoi?
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--Ne le connais-tu donc pas? il prendrait les vingt francs et les
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garderait sans s'assurer davantage qu'ils sont bien à lui.
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--A propos, que t'a-t-elle dit, la dame?
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--Elle m'a recommandé de prier Dieu pour qu'il rende la santé à un
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enfant malade.
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--Et tu le feras?
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--Sans doute.
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--Même avant de savoir si la pièce d'or est à nous?
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--Qu'importe!
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--Mais comment?
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--Comment?
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--Oui, que lui diras-tu, au bon Dieu? Comment t'y prendras-tu pour le
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prier?
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--Écoute, fit César comme en cherchant à se rappeler....
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--Tu ne sais pas?
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--Non, je ne sais plus prier le bon Dieu.
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--Tu l'as donc su?
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--Au fait, non, je ne l'ai jamais su;... qui me l'aurait appris?
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--Dis-donc, où le voit-on, le bon Dieu?
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--Dans les églises.
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--Vrai?... Qui te l'a dit?
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--Personne.... Mais c'est dans les églises, j'en réponds. Si tu veux,
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nous irons voir demain?
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--Pourquoi pas tout de suite?
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--Il est trop tard. A cette heure l'église est déserte, il y fait sombre
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et tu aurais peur.
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--Tu as donc été dans une église, toi, César?
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--Je ne m'en souviens pas.
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--On le dirait. Moi, je trouve bien extraordinaire que tu te souviennes
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comme cela de choses que tu n'as point vues.»
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César et Aimée arrivèrent ce soir-là les premiers au logis; Joseph
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s'était, selon toute apparence, oublié au cabaret. C'était si bien dans
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ses habitudes qu'ils n'en parurent même pas surpris. N'ayant rien de
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mieux à faire en attendant qu'il lui plût de rentrer, ils s'accroupirent
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sur leurs talons dans un coin de la chambre, et là, dans l'obscurité,
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s'occupèrent joyeusement à bâtir des châteaux en Espagne. Avec la
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pièce d'or (en supposant qu'elle fût à lui et à Aimée) César achetait
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immédiatement des livres, et allait à l'école où il travaillait si
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bien qu'au bout de très-peu de temps, six mois au plus grand mot, il en
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sortait le plus savant de toute la classe. Alors il apprenait un état
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qui le faisait vivre honorablement, ainsi que sa soeur. Ce n'était
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|
pas plus difficile que cela! Quant à Aimée, un magnifique bébé qu'elle
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voyait depuis longtemps à l'étalage d'un marchand de jouets du boulevard
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et qui avait des dents et des cheveux _pour de vrai_, fermait les yeux
|
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pour dormir et les ouvrait en s'éveillant, demandait à manger lorsqu'il
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avait faim et même lorsqu'il n'avait pas faim, appelait son papa et sa
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maman selon qu'il lui plaisait de voir l'un ou l'autre, enfin un bébé
|
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charmant qui souriait sans partialité à toutes les petites filles et
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leur envoyait des baisers à travers la vitrine où il était exposé,
|
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suffisait à son bonheur. César la trouvait bien raisonnable. Mais
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quelque riche qu'on soit, il faut, si l'on veut être réellement heureux,
|
|
savoir borner ses désirs.
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|
Ils en étaient là lorsque des pas inégaux se firent entendre dans
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|
l'escalier; presque aussitôt la porte s'ouvrit avec fracas et Joseph
|
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entra suivi de Balthasar. César cacha prudemment sa pièce d'or dans la
|
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doublure de sa veste. C'était un misérable que Joseph, et un misérable
|
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de toutes les façons; paresseux, ivrogne, méchant, voleur, il avait tous
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les vices. Les enfants le craignaient et le détestaient, parce que pour
|
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un oui, pour un non, il les battait comme plâtre, selon l'expression
|
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des voisins, qui plus d'une fois étaient venus les arracher à sa fureur.
|
|
Balthasar, de son côté, lui témoignait beaucoup de froideur et ne lui
|
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obéissait qu'en rechignant.
|
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|
«Ah! vous voilà, vous autres, dit-il en découvrant mes amis dans un
|
|
coin de la chambre. La journée a dû être bonne par un temps comme cela.
|
|
Donnez-moi votre argent.»
|
|
|
|
Par malheur les pauvres petits, comme vous savez, avaient perdu une
|
|
partie de l'après-midi à regarder jouer les enfants et à chercher la
|
|
dame à la pièce d'or, et au lieu de deux francs que Joseph leur avait
|
|
fixés comme minimum de recette, ils ne rapportaient que trente sous. Il
|
|
allait se mettre en colère lorsque tout à coup il vit briller quelque
|
|
chose sur la poitrine de César. L'enfant ignorait que le dessus de son
|
|
habit, aussi clair que du canevas, permettait de voir la malheureuse
|
|
pièce de vingt francs qu'il avait cru si bien cacher.
|
|
|
|
Joseph était muet de surprise.
|
|
|
|
«Une pièce d'or! s'écria-t-il enfin. Comment César, tu as de l'or!... et
|
|
tu ne le dis pas tout de suite!... Voyons, donne-moi ça, mon garçon?
|
|
|
|
--Ce n'est pas à moi, dit César stupéfait.
|
|
|
|
--Aurais-tu la prétention de la garder?
|
|
|
|
--Je te dis qu'elle ne m'appartient pas; on me l'a donnée pour un sou;
|
|
je le crois du moins.
|
|
|
|
--C'est trop fort!... Es-tu donc devenu tout à fait imbécile? Si on te
|
|
l'a donnée, elle est à toi.
|
|
|
|
--Non, te dis-je....
|
|
|
|
--Allons! allons, pas tant de raisons. Si elle n'est pas à toi, elle est
|
|
à moi, j'en fais mon affaire.»
|
|
|
|
Et Joseph se jeta brutalement sur le pauvre César qui, appuyé par Aimée
|
|
et Balthasar, lui opposa d'abord une certaine résistance. Mais il n'est
|
|
pas difficile à un homme de venir à bout de deux enfants de cet âge.
|
|
Bientôt Joseph put s'emparer de la pièce de vingt francs, et il s'enfuit
|
|
laissant César et Aimée étendus deci delà comme des choses inertes sur
|
|
le plancher de la chambre. Certes ils étaient durs à la souffrance, leur
|
|
tuteur les y avait habitués, mais jamais encore il ne les avait traités
|
|
de la sorte et ils pensaient bien que cette fois, ils n'en reviendraient
|
|
pas.
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|
Heureusement c'était une erreur, et vers le matin, comme le jour
|
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commençait à poindre, ils reprirent un peu courage et se traînèrent sur
|
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leurs petits lits où un sommeil profond et bienfaisant ne tarda pas à
|
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s'emparer d'eux. Vous pensez bien qu'après une telle scène ils ne furent
|
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pas bercés par des rêves positivement enchanteurs, mais enfin leurs
|
|
traits contractés par la terreur se détendirent un peu, et Dieu leur fit
|
|
la grâce de se reposer jusque longtemps après le lever du soleil.
|
|
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|
CHAPITRE III.
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|
Ce que pense le père Antoine sur la manière dont on doit gagner sa vie.
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Ce jour-ci était un dimanche, le beau dimanche de Pâques, si j'ai
|
|
bonne mémoire; c'était fête partout, excepté dans le coeur de mes amis,
|
|
lesquels, tristement assis sur le carreau de leur chambre, songeaient
|
|
à leur misérable destinée, lorsque par la fenêtre--un châssis en
|
|
tabatière--que Joseph avait oublié de fermer le soir précédent, ils
|
|
remarquèrent que le ciel était pur et virent, pour la première fois
|
|
cette année-là, des hirondelles aller et venir tout affairées sur les
|
|
toits. Cela leur fit pronostiquer qu'on était enfin débarrassé des
|
|
frimats et que la belle saison était définitivement arrivée. Ce leur fut
|
|
une douce consolation, et bientôt l'espoir vint sécher leurs larmes
|
|
et leur montrer l'avenir sous un aspect plus heureux. Ils se vêtirent,
|
|
c'est-à-dire qu'ils rajustèrent tant bien que mal leurs habits sur leurs
|
|
épaules, puis, après s'être consultés, décidèrent qu'ils sortiraient
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comme les autres jours, bien que Joseph n'eût point préparé leur
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provision quotidienne de fleurs.
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Ils se dirigèrent vers le centre de Paris, cheminant comme ils en
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avaient l'habitude en se donnant la main. Balthasar les suivit. C'était
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la première fois que le brave chien les accompagnait, et cela les
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ravissait de le voir gambader autour d'eux; car dans sa joie, Balthasar
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oubliant qu'il était vieux, sautait et folâtrait avec la fougue et
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l'entrain de la jeunesse.
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On descendit comme cela le jardin du Luxembourg, en faisant un détour
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pour visiter la pépinière, où la végétation, plus hâtive que dans les
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autres parties du jardin, offrait déjà aux yeux ravis de nos petits
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promeneurs une assez grande variété de fleurs, que faisait admirablement
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ressortir la verdure d'avril, si belle à voir en sa fraîcheur et sa
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jeunesse. César et Aimée, d'ailleurs, se plaisaient au milieu de
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ces arbustes presque tous indigènes, ou, du moins, qu'une longue
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acclimatation nous a rendus familiers. Ils en savaient les noms;
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c'étaient d'anciens amis. Ils aimaient aussi à voir les pêchers, les
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poiriers, les cerisiers, les amandiers se couvrir de fleurs; puis à
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considérer comment, en quelques mois, se formaient et mûrissaient les
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belles grappes de raisin qu'on apercevait au milieu du feuillage épais
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et dentelé de la vigne.
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L'aspect de toutes ces choses, aussi belles qu'intéressantes, faisait
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rêver César; il lui semblait toujours qu'il les connaissait de longue
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date et pour les avoir vues ailleurs qu'à Paris.
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Mes amis étaient fort au courant des différentes époques où mûrissaient
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les fruits de la pépinière, car tous les matins ils venaient les
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admirer, les convoiter peut-être, et juger des progrès qu'ils faisaient
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d'un jour à l'autre.
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Ils savaient aussi que l'hiver était proche quand les arbres, dépouillés
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de leur récolte et n'ayant plus rien à abriter, laissaient tristement
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tomber leurs feuilles. César et Aimée n'aimaient point à voir la terre
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jonchée de ces débris de feuillages, que, contrairement aux autres
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enfants, ils ne prenaient aucun plaisir à écraser en les faisant crier
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sous la semelle de leurs souliers. Mais à l'époque dont je parle, le
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printemps commençait à peine et les deux enfants ne songeaient point,
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Dieu merci! aux dures gelées de décembre.
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Ils prirent donc par la pépinière, s'arrêtant pour prodiguer aux
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gazouillements vulgaires du pierrot et aux vocalises brillantes et
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hardies du rossignol les mêmes applaudissements. Ils n'avaient pas assez
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d'expérience pour juger et comparer, et trouvaient les chants de l'un
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et de l'autre également admirables. En fait de jouissances, comme vous
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pouvez croire, ils n'avaient point été gâtés; c'est pourquoi tout leur
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semblait bon: ils n'étaient pas difficiles. N'importe, ils étaient
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heureux et c'était le principal, n'est-ce pas?
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Après s'être suffisamment promenés, à leur idée, ils sortirent du
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Luxembourg par la grille de l'Odéon, et de là se dirigèrent tout
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droit vers la rue _Saint-André-des-Arts_. C'était un chemin qu'ils
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connaissaient de reste, car ils l'avaient fait plus d'une fois depuis
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le commencement de l'hiver. Ils pensaient rencontrer, dans cette rue,
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un brave et digne homme qui, par pitié, voulait bien leur porter quelque
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intérêt. «Comme nous serions heureux si, à la place de Joseph, c'était
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lui qui fût notre tuteur!» se disaient-ils souvent en admirant sa bonne
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et honnête figure encadrée de cheveux gris que recouvrait invariablement
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un bonnet de laine noir.
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[Illustration: Il faisait rôtir et vendait des marrons.]
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D'après cela, vous comprenez que ce n'était pas non plus un puissant
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personnage. Non, bien sûr. On l'appelait le père Antoine, et, tant que
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durait l'hiver, il faisait rôtir et vendait des marrons à la porte du
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marchand de vin dont la boutique fait le coin de la rue _Saint-André
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des-Arts_ et de la rue _Gît-le-Coeur_. César et Aimée avaient fait sa
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connaissance un jour de détresse, un soir qu'ils avaient perdu leur
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chemin et erraient par là comme de pauvres âmes en peine, aveuglés par
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la neige et le grésil qui, tombant fin et dru, leur cinglaient le visage
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comme eussent fait des aiguilles. Le père Antoine, dont l'âme était
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bonne et accessible à la pitié parce que lui-même, dans sa jeunesse,
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avait connu la misère, les fit entrer dans son échoppe et se mit
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en devoir de les réchauffer et les consoler, leur promettant de les
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remettre bientôt dans leur chemin et même de les reconduire, s'ils
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craignaient encore de se perdre. Mais, tout en approchant leurs petites
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mains du fourneau, le bonhomme découvrit qu'ils étaient dans un grand
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état de faiblesse et qu'ils avaient encore plus besoin de nourriture
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que de bonnes paroles. Pauvre lui-même, il fit ce qu'il put et les
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réconforta de son mieux avec le reste de son déjeuner. Puis, en les
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quittant, il leur fit promettre, si un tel accident se renouvelait, de
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venir le trouver tout droit et sans hésitation. Je ne vous surprendrai
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sans doute pas beaucoup, mes petits lecteurs, en vous disant qu'ils
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auraient pu se rendre souvent à l'invitation du père Antoine. Joseph
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oubliait deux ou trois fois par semaine, au moins, de leur donner à
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dîner ou à déjeuner. D'un autre côté, il les avait tant et tant menacés
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de les faire mettre en prison s'ils touchaient à l'argent de leur
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recette, qu'ils n'osaient en distraire un sou pour acheter du pain.
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Cependant, guidés par un sentiment de délicatesse instinctive, ils
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mettaient beaucoup de discrétion dans leur conduite et ne venaient
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trouver le brave homme qu'à la dernière extrémité.
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Ils se dirigèrent donc vers la rue _Saint-André-des-Arts_, comme je vous
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ai dit; mais hélas! un immense désappointement les y attendait: le
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père Antoine n'était plus dans son échoppe. Ce qu'ils ressentirent
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en présence de ce nouveau malheur est impossible à exprimer. Ils n'en
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pouvaient croire ce qu'ils voyaient, et restaient là sans bouger, tout
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droits sur leurs jambes et les yeux fixés sur cette pauvre petite
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place où se tenait jadis leur Providence. Les pauvres innocents! ils
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ne savaient point que, contrairement aux hirondelles, les marchands de
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marrons émigrent dès les premiers beaux jours. Eux qui vivaient dans la
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rue, et devaient, malgré leur jeune âge, y faire tant d'observations,
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ils n'avaient point remarqué cela.
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Le premier moment de stupeur passé, ils fondirent en larmes. C'était
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navrant de les voir comme cela, rangés côte à côte sur le trottoir
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qu'ils encombraient!
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Balthasar, assis entre eux deux, fixait alternativement sur l'un et sur
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l'autre des yeux si profondément attristés, qu'on eût dit qu'il pleurait
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lui-même. Mais personne ne faisait attention à tant de désespoir;
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c'était dimanche, comme vous savez; les bonnes gens pressés de se rendre
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à la promenade ou de jouir de leur liberté, allaient et venaient sans
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s'occuper les uns des autres. César et Aimée étaient là se désespérant
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depuis un grand quart d'heure, lorsque le timbre d'une voix bien connue
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vint frapper leur oreille; ils s'avancèrent et virent alors chez le
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marchand de vin le père Antoine endimanché qui, un énorme morceau de
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pain à la main, déjeunait de bon appétit, debout près du comptoir, en
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causant avec la marchande. Lui, tout d'abord, ne les vit pas. Quant
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à eux, un peu calmés à la vue inespérée du brave homme, mais tout
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intimidés par les beaux habits dont il était revêtu, ils n'osaient lever
|
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les yeux sur lui et se contentaient de le regarder en dessous. Antoine
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avait fait cette superbe toilette parce qu'il se disposait à partir;
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comme il était fier, il ne voulait pas en voyage être pris pour un
|
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paresseux, un vaurien ou un homme sans ordre qui ne sait pas économiser
|
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quelque argent pour se vêtir honorablement. Mais mes amis, qui
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ignoraient tout cela, ne parvenaient point à s'expliquer cette belle
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veste et ce beau pantalon de velours, et ces rustiques souliers auxquels
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le cordonnier avait prodigué les clous, et cet ample chapeau de feutre
|
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au lieu du bonnet des jours ordinaires. Cela ne dura pas longtemps
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ainsi, parce que Balthasar, qui voyait sans doute ce qui se passait dans
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l'esprit de ses jeunes maîtres, se mit à japper bruyamment et, tout de
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suite, le père Antoine se retourna pour voir ce que c'était.
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«A la bonne heure! s'écria-t-il en apercevant les deux enfants. Je me
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disais bien que je ne pouvais quitter Paris et faire un bon voyage sans
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avoir, auparavant, embrassé ces deux petites créatures-là!»
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Il les fit entrer et partagea bravement son pain avec eux.
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«Bon! fit-il, en répondant aux regards surpris de la marchande, j'en
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avais quatre fois trop.... N'est-il pas honteux qu'un seul homme
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engloutisse à son repas ce qui peut suffire à trois personnes?»
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Puis s'adressant aux enfants:
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«Çà, mes petits, leur dit-il avec bonhomie, nous allons nous séparer,
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mais pas pour toujours. S'il plaît à Dieu, je reviendrai encore dans six
|
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mois par ici vendre des marrons aux Parisiens. Mais, pour le moment, la
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saison est close, et il me faut retourner au pays.... A l'été, moi, je
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suis comme les grands seigneurs, et ne saurais vivre autre part que dans
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les champs, avec nos bêtes et les oiseaux du bon Dieu. Que voulez-vous?
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je ne suis pas subtil de mes dix doigts; et Paris, où tant d'autres
|
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gagnent des cents et des mille, ne m'offre que la ressource de balayer
|
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ses ordures. Merci! Je suis trop délicat pour accepter.... J'aime un
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million de fois mieux sarcler nos champs ou faner au soleil l'herbe de
|
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nos prairies, dont la bonne odeur, quand vient le soir, nous console des
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fatigues du jour.»
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Mes amis le regardaient avec admiration; jamais encore ils n'avaient
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entendu si bien parler et dire de si belles choses.
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«Mais je m'aperçois, reprit le père Antoine, que la joie me rend bavard
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et égoïste.... C'est que vraiment on ne peut se défendre d'être heureux
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à l'idée qu'on va revoir son vieux clocher; puis sa petite maison, un
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trou, une cabane.... Dame! au point de vue de l'argent, ça ne vaut pas
|
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grand'chose;... mais on y est né, et on rêve d'y mourir; puis les vieux
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amis qu'on a laissés au départ, et qui vous attendent là-bas, et enfin
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les petits-enfants, les enfants des enfants, quoi!... Il y en a de votre
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taille, puis d'autres qui sont plus grands, et d'autres encore qui sont
|
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plus petits. Ils sont là, je ne sais combien vraiment, de tous les
|
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âges et de toutes les hauteurs, qui accourent à ma rencontre à qui sera
|
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embrassé le premier. Moi, qui suis, pour certaines choses, plus faible
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qu'une femme, ça me rend heureux et ça me fait pleurer.... On n'a pas
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idée de ces choses-là quand on n'y a point passé.... Enfin! c'est en
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|
souvenir de tout ce petit peuple que je me suis attaché à ces deux-là.»
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Tout en causant, le brave homme regardait tour à tour la marchande et
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les enfants; mais on voyait bien qu'il s'adressait surtout à lui-même.
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«Vous ne pouvez pas me comprendre, vous autres, dit-il à mes amis.
|
|
Quant à la campagne, elle vous est inconnue. Qui donc vous aurait appris
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combien il est bon de contempler tous les jours un ciel à perte de vue,
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des bois, des champs, des prairies, des rivières, des chemins poudreux,
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des berges gazonnées de pâquerettes que le bon Dieu prend la peine de
|
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semer lui-même? Personne, n'est-ce pas?»
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Pendant que le père Antoine achevait son frugal repas, la boutique
|
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du marchand de vin s'était remplie. Toutes les connaissances du brave
|
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homme, tenant à lui souhaiter un bon voyage, étaient venues lui serrer
|
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la main avant son départ. Tous avaient un souvenir et un souhait pour
|
|
le pays. On parlait des vieux amis; de ceux qui vivaient toujours et de
|
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ceux qui n'étaient plus.
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«Tu reverras Martial, disait l'un; est-il bien vieilli? a-t-il beaucoup
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de petits-enfants? son fils est-il soldat?....
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--Et le père Léonard, disait un autre, comment porte-t-il ses
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quatre-vingts ans?
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--Et Jean! disait encore un autre, est-ce que tu verras Jean? On dit
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|
qu'il fait du charbon dans la forêt de Fontainebleau.
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--Ah! oui, Jean, répétait-on en choeur, quel bon camarade il faisait
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dans le temps!... Si tu vas le voir en passant, donne-lui donc une bonne
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|
poignée de main de ma part,» etc., etc.
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Balthasar, ému sans doute de voir tous ces braves gens réunis, allait de
|
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l'un à l'autre, leur prodiguant les avances et les amitiés. On lui fit
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fête sans se demander à qui il appartenait ni d'où il venait. Sa bonne
|
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et intelligente physionomie lui tenait lieu de passe-port. Enhardi par
|
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ce bienveillant accueil, et sans doute aussi pour montrer aux amis du
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père Antoine que leurs caresses ne s'égaraient point sur un caniche
|
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ingrat, il se mit joyeusement, et sans y être invité, à exécuter
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quelques-uns de ses tours les plus simples, comme de se ramasser en
|
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boule et de rouler sur lui-même à l'imitation des clowns qui font la
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culbute; de s'étendre tout de son long sur le parquet pour contrefaire
|
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le mort; de courir, en allongeant précieusement les jambes, et bondir
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par-dessus des obstacles--obstacles imaginaires, puisque Joseph n'était
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pas là pour lui en tendre de réels--comme un cheval de course
|
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qui franchit des barrières. On avait pris goût à ces jeux et on y
|
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applaudissait, ce qui encourageait et animait Balthasar; il se sentait
|
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apprécié. A la fin, tout essoufflé et la poitrine haletante, il
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disparut, mais pour reparaître presque aussitôt une assiette entre les
|
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dents. Alors, entraîné sans doute par l'habitude, ou poussé par tout
|
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autre motif que j'ignore, il fit le tour de la salle en s'arrêtant
|
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respectueusement devant chacune des personnes présentes. Il recueillit
|
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environ cinquante centimes qu'il s'empressa de rapporter à ses jeunes
|
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maîtres; lesquels, n'osant se montrer devant tout ce monde, se cachaient
|
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timidement derrière le père Antoine.
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«Çà, leur dit le brave homme, ce chien est-il donc à vous!
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--Oui, répondit Aimée en caressant le caniche, c'est notre ami Balthasar
|
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et nous l'aimons bien.
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--Il le mérite; je ne crois pas avoir jamais vu un chien si habile,
|
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et je pense que vous pourrez en tirer de l'argent; mais si vous m'en
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croyez, c'est autrement que vous chercherez à gagner votre vie. Le
|
|
métier que vous faites là, voyez-vous, c'est un métier de mendiants.
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|
--D'ordinaire, Balthasar ne nous suit pas; ce n'est pas avec nous qu'il
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travaille, mais avec Joseph.
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--Qui ça, Joseph?
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--Notre tuteur ... Notre métier, à nous, c'est de vendre des fleurs dans
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la rue....
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--Oui, oui, je sais. Mais ce n'est pas encore là ce qu'il faudrait
|
|
faire.... Écoute, César, à ton âge, j'allais aux champs garder les
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chèvres et les moutons de nos voisins. J'y gagnais mon pain quotidien et
|
|
cent sols par mois. C'était peu, mais j'en faisais assez. Avec cela,
|
|
tu penses, je n'avais pas souvent des culottes neuves, et comme ma
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|
belle-mère,--j'avais une belle-mère, moi,--ne me raccommodait jamais
|
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les vieilles, il n'y avait pas de danger qu'on me prît pour un fils de
|
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millionnaire. Mais des vêtements déchirés, c'était la moindre des choses
|
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et j'allais avec cela comme à vide. Seulement, mon petit, ici s'arrêtait
|
|
mon insouciance; quoique bien jeune, j'aurais eu honte de mendier. Au
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|
pays, on regarde cela comme un déshonneur, et on a raison; car un coeur
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|
bien placé ne se résigne pas aisément à vivre aux dépens d'autrui....
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|
Oh! quand on ne peut pas faire autrement, quand on est infirme, je ne
|
|
dis pas.... N'importe, c'est toujours un malheur!... Mais pour un homme
|
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solidement établi et qui possède ses membres au grand complet,... c'est
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|
le dernier des derniers; on ne peut descendre plus bas,... à mon sens,
|
|
du moins. Ce que j'en dis n'est pas pour moi,--il ne m'appartient pas de
|
|
me proposer en exemple,... je ne serais d'ailleurs qu'un triste modèle à
|
|
imiter, car je n'ai point fait fortune,--mais pour vous, qu'il me peine
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de voir traîner une si misérable existence. Je sais bien, mon Dieu, que
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|
mes paroles sont inutiles pour le moment;... à votre âge, on ne peut
|
|
rien par soi-même, et votre tuteur ne me paraît pas homme à écouter
|
|
mes raisons.... N'importe, je suis d'avis qu'on fait bien, lorsque
|
|
l'occasion s'en présente, de laisser tomber quelque semence dans une
|
|
terre fertile peut-être, quoique mal préparée, et qui sans cela pourrait
|
|
demeurer à jamais improductive. La bonne saison venue, Dieu aidant,
|
|
il lèvera toujours quelques touffes de bon grain, et c'est autant de
|
|
gagné.... Mais nous reparlerons de cela dans six mois. En attendant,
|
|
priez Dieu pour qu'il ne vous abandonne pas, et tâchez de conserver les
|
|
bonnes qualités qu'il vous a données.»
|
|
|
|
Ce disant, le brave homme boucla sa valise et la mit sur son dos comme
|
|
un sac de soldat; puis, ayant embrassé les deux enfants, il prit dans
|
|
un coin de la boutique son bâton de voyage et partit en faisant résonner
|
|
sur le pavé les nombreux clous de ses souliers. Nos amis, et Balthasar
|
|
avec eux, debout sur le seuil, le regardaient tristement s'éloigner;
|
|
mais au détour d'une rue, il disparut, et tous trois se retrouvèrent
|
|
cette fois réellement seuls et abandonnés.
|
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|
CHAPITRE IV.
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|
César et Aimée devant l'église Saint-Séverin.
|
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|
Le père Antoine leur avait dit de prier Dieu; c'était la deuxième fois
|
|
depuis deux jours que la même recommandation leur était faite, et cela
|
|
les préoccupait beaucoup, parce qu'ils ne savaient pas prier. Pourtant,
|
|
après s'être consultés ils prirent congé de la marchande de vin,
|
|
qui s'était montrée bonne pour eux, et se rendirent à l'église
|
|
Saint-Séverin. Mais retenus par une extrême timidité, ils s'arrêtèrent
|
|
devant le portail, et là, le visage collé sur les barreaux de la grille,
|
|
regardèrent en silence les fidèles qui entraient et sortaient, leur
|
|
livre de messe à la main; puis un mendiant assis sur un escabeau près
|
|
de la porte, et une mendiante, sa femme sans doute, qui se tenait sur
|
|
un autre escabeau. L'homme était aveugle,... d'après un écriteau qu'il
|
|
portait sur la poitrine, mais nous n'oserions affirmer qu'il le fût
|
|
réellement. La femme avait les poignets retournés; ce qui ne l'empêchait
|
|
point de secouer avec une persistance effrontée, sous le nez des gens
|
|
qui passaient devant elle, un large gobelet d'étain dans lequel deux
|
|
ou trois gros sous faisaient un tapage agaçant. L'homme gardait une
|
|
immobilité de statue.
|
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|
|
Nos amis étaient là depuis quelques minutes, lorsque leur extérieur
|
|
misérable excita la compassion de deux dames, lesquelles glissèrent dans
|
|
la main d'Aimée une légère aumône.
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|
|
«Qu'est-ce que c'est, demanda l'homme en se détournant, on nous fait de
|
|
la concurrence?
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|
--Si vous ne partez pas, ajouta la femme aux poignets retournés, je vous
|
|
tire les oreilles! Qui est-ce qui vous a donné la permission de vous
|
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planter là et de recevoir les aumônes qui nous sont destinées?... Ça ne
|
|
va pourtant pas déjà si bien, ajouta-t-elle en regardant son compagnon.
|
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|
--Attendons la sortie de la grand'messe; toutes les dames du quartier y
|
|
sont entrées.
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|
|
--Peuh! qu'est-ce que tout cela?
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|
|
|
--Le beau temps va les disposer en notre faveur et leur faire délier les
|
|
cordons de leurs bourses.
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|
[Illustration: «Si vous ne partez pas, je vous tire les oreilles!».]
|
|
|
|
--Laisse-moi donc tranquille!... Elles vont rester là des heures à
|
|
causer, à secouer leurs jupes, à encombrer le portail de telle façon que
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les bonnes gens qui nous assistent les autres dimanches ne nous verront
|
|
seulement pas.
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|
--C'est pas tout ça!... Il y a déjà cent fois que je te le dis et te le
|
|
répète, ce sont les quêteuses de l'intérieur qui nous font du tort.
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|
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|
--On en fourre partout, c'est vrai,... et des enjôleuses!... Faut les
|
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entendre dire avec leur petite voix flûtée, «Pour les pauvres!...» On
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croirait qu'il s'agit de leurs propres intérêts, parole d'honneur! Avec
|
|
tout ça, les sous qu'on leur donne ne tombent point dans nos gobelets.
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|
|
--C'est une injustice, une indignité!...
|
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|
|
--Je le sais aussi bien que toi....
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|
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|
--Ça devrait être défendu!...
|
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|
--Quand tu me chanteras toujours la même histoire!... Est-ce que j'y
|
|
peux quelque chose, moi?
|
|
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|
--Que veux-tu? on dit ce qu'on pense.
|
|
|
|
--Oui, mais c'est aux oreilles de M. le curé qu'il faudrait corner ça.»
|
|
|
|
En ce moment passait une dame; la mendiante secoua son gobelet.
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|
«Combien t'a-t-elle donné? demanda l'homme.
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|
--Deux centimes!... tout cela!
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--Elle fait ce qu'elle peut, c'te femme.
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|
--Parbleu! c'est gênée....
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--Tous les dimanches tu as son offrande.
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--Elle est jolie, l'offrande.... Ça dépense trop pour sa toilette. Quand
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on n'a pas le moyen de donner plus de deux centimes, on ne porte pas de
|
|
robes de soie.
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|
--Qu'est ce que ça te fait?
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--A moi? Rien; je m'en moque.... Mais ça vous révolte de voir ces
|
|
choses-là.»
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Il sortait un monsieur qui donnait le bras à une charmante jeune fille.
|
|
La mendiante s'enfonçant sous sa capeline et mettant ses poignets en
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évidence, prit un air piteux et dit d'une voix larmoyante:
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«Ayez pitié d'une pauvre femme qui ne peut se servir de ses mains; et
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d'un pauvre homme que le feu du ciel a rendu aveugle!»
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A votre âge, mes petits lecteurs, on doit sympathiser avec toutes les
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infortunes; pour rien au monde, je ne voudrais vous froisser dans vos
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sentiments de charité, ou vous mettre en garde contre la sensibilité
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si naturelle de votre coeur d'enfant. C'est pourquoi je vous prie
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instamment de ne pas juger des malheureux qui vous tendront une main
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suppliante d'après les êtres indignes d'intérêt qu'à mon grand regret,
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je viens de vous présenter. Du reste, les enfants qui voudraient que
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leur pitié ne fût pas surprise quelquefois, devraient se résigner à ne
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jamais faire l'aumône, ce qui serait triste pour eux et cruel pour les
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pauvres. Donnez donc votre sou. Si par hasard un doute vous traversait
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l'esprit, dites-vous qu'il vaut mieux se tromper dix fois que de laisser
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un seul instant une misère vraie sans être secourue. Encore un mot:
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parmi les misérables, il en est qui sont jeunes et auxquels l'avenir
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promet de nombreuses années. A ceux-là, il ne suffit pas de donner votre
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sou; il faut encore les aider à sortir de la misère. C'est difficile.
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Cependant on y réussit quelquefois en s'adressant à leur intelligence,
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en leur indiquant les ressources qu'ils peuvent trouver en eux-mêmes;
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en leur inspirant de la confiance en Dieu et en leur destinée. Et,
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croyez-moi, vous aurez plus de mérite à cela qu'à les combler d'aumônes
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jusqu'à la fin de leurs jours.
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Le monsieur et la jeune demoiselle qui sortaient de l'église laissèrent
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tomber quelque menue monnaie dans le gobelet de l'aveugle et dans celui
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de sa compagne; puis, mes amis, avec leur mine à la fois craintive et
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sauvage, attirèrent l'attention de la jeune fille.
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«Et ces pauvres enfants, mon père, dit-elle, ne leur donnerez-vous rien?
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Voyez comme ils ont l'air timide!»
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Le monsieur donna cinquante centimes à César, qui, au lieu de dire
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merci! se prit à rougir. L'enfant avait encore toutes fraîches dans
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l'esprit les paroles du père Antoine.
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«Ah! çà, vous autres, s'écria la mendiante lorsque le monsieur et la
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jeune fille se furent éloignés, allez-vous bientôt partir, avec votre
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air timide?
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--Nous sommes venus pour la messe, dit Aimée, et non pour vous faire du
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tort.
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--Il y paraît!... Pour la messe!... Vous l'entendez d'ici, la messe,
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n'est-ce pas?... Allons, allons, quittez la place tout de suite, et
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faites en sorte qu'on ne vous revoie plus,... ou bien vous aurez de mes
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nouvelles.»
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Ce disant, elle s'était levée. Mes amis, effrayés, se sauvèrent en
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emportant le regret de n'avoir pu pénétrer dans l'église et prier Dieu
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pour l'enfant de la dame à la pièce d'or.
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CHAPITRE V.
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Fuite de mes amis.
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Ils marchèrent longtemps à l'aventure et par des chemins qu'ils ne
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connaissaient pas. C'était Balthasar qui les conduisait.... Enfin ils se
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trouvèrent dans la campagne. Alors, effrayés de leur audace et fatigués,
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ils s'assirent sur le bord d'un fossé pour se reposer et réfléchir.
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Quand je dis qu'ils se trouvaient dans la campagne c'est une manière de
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parler, car vous savez aussi bien que moi qu'on ne peut appeler ainsi
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que par complaisance les quelques champs qu'on rencontre, au sortir de
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Paris, entourés de maisons blanchâtres, de fabriques et de carrières
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de moellons. Mais, pour Aimée, c'était nouveau et elle s'extasiait sur
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toutes ces abominations avec une bonne foi qui vous eût fait sourire.
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Elle rappelait, moins la suffisance et la fatuité, le rat de la fable
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lorsqu'il sort de son trou pour la première fois.
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«Voilà donc, s'écriait-elle, les champs, les bois, le ciel dont nous
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parlait le père Antoine!... Que tout cela est beau! n'est-ce pas, César?
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--La campagne que je vois dans mes rêves, répondait César, est bien
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autrement belle et imposante que celle-ci: figure-toi, Aimée, de grands
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espaces, aussi loin que ta vue peut s'étendre et bien au delà encore,
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entièrement couverts de verdure, où, de distance en distance, des
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troupeaux de boeufs et de moutons paissent de l'herbe dont les fleurs
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sont roses et presque aussi parfumées que nos violettes; puis des bois
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dont on ne découvre jamais la fin, des montagnes de rochers entassés les
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uns sur les autres jusqu'au ciel, et au bas de ces rochers des ravins si
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profonds qu'on ne peut y jeter les yeux sans avoir le vertige.
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--Il n'y a donc pas de maisons?
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--Oh! si, mais toutes petites et non pas blanches comme celles-ci; de
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loin on n'en découvre que le toit qui sort des arbres.... N'est-ce pas,
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Aimée, que c'est bien extraordinaire de rêver toujours de ces choses-là?
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--Oui, bien sûr....
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--Et toujours les mêmes. Rien ne change; c'est toujours les bois, les
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champs et les montagnes, que je te dis. Puis, dans ces bois, où par
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endroits l'ombre est si épaisse qu'on dirait qu'il y fait nuit, même au
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milieu du jour, des hommes, à l'aide de grosses cordes, tirent, pour
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les faire tomber, sur des arbres dont on a coupé les racines et qui sont
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encore plus hauts que les plus hautes maisons de Paris. Plus loin, dans
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les montagnes, d'autres hommes fendent les roches et les divisent en
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fragments comme ces pavés que tu vois entassés ici près de nous. A un
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certain moment, les ouvriers prennent leur repas, ils sont tous réunis
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sur une plate-forme gazonnée, non loin de leur travail; un d'entre eux,
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un seul, est assis sur un rocher à côté d'une jeune femme;... tout à
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coup l'homme et la femme disparaissent dans un nuage d'épaisse fumée,
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on entend une explosion terrible, et de tous côtés partent des cris
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d'effroi.... puis....
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--Puis?
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--Puis je ne sais plus. Lorsque j'en suis là de mon rêve, j'étouffe, il
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me semble que je veux crier aussi; mais je ne le puis, et les efforts
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que je fais m'éveillent....
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--Toujours au même endroit?
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--Toujours.»
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Balthasar s'était approché des enfants et avait écouté ce qu'ils
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disaient avec une attention singulière; puis il se mit, lorsque son
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jeune maître eut cessé de parler, à pousser des hurlements plaintifs.
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«Fais-le donc taire, dit Aimée; cela me fait pleurer, moi, de l'entendre
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gémir de la sorte!
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--Oh! fit César avec stupeur, il me semble que Balthasar y était!... Dis
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donc, Aimée, si tout cela était arrivé?...
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--On le dirait....
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--Mais non, c'est impossible, puisque nous sommes des enfants trouvés!
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--C'est Joseph qui dit cela.
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--Qu'en penses-tu, toi, Aimée?
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--Moi! je n'en pense rien, je ne sais pas....»
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|
[Illustration: On entend une explosion terrible.]
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C'est en causant ainsi que mes amis, sans s'arrêter autrement que pour
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s'asseoir et se reposer quelques minutes lorsqu'ils se sentaient trop
|
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fatigués, firent plusieurs lieues et gagnèrent un endroit appelé Orly.
|
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Jusque-là ils avaient marché sans inquiétude; le grand air leur
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donnait des forces, et ils ne songeaient point que la nuit pouvait les
|
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surprendre dans la campagne. Cependant, depuis qu'ils étaient hors de
|
|
Paris, le soleil n'avait cessé de descendre; en ce moment, il semblait
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presque toucher la terre; encore quelques instants et il allait
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disparaître. Mais César et Aimée ne s'en préoccupaient point; ils
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étaient frappés par le spectacle inattendu qui s'offrait à leurs yeux:
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devant eux, tout à fait à l'horizon et dans une immense étendue, le ciel
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paraissait incendié, tandis qu'un orage, que le vent avait chassé de
|
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l'ouest à l'est, plongeait dans l'obscurité tout l'horizon opposé.
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Au levant c'était presque la nuit, au couchant c'était une clarté
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admirable, indescriptible et qui convertissait tout en or: la toiture
|
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des maisons, les feuilles des arbres, les vitraux d'une église qu'on
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apercevait au loin, l'eau des fossés qui bordaient la route et la
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poussière des chemins. Mes amis, qui jusqu'alors avaient cru que le
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soleil était couché lorsque les hautes maisons de la rue de Rivoli le
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dérobaient aux yeux des Parisiens, trouvaient ce spectacle si beau
|
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que pour le contempler plus à l'aise ils s'assirent sur une berge, les
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jambes pendantes parce qu'ils étaient fatigués, et le corps orienté de
|
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telle façon qu'ils pussent, rien qu'en détournant la tête et sans se
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déranger autrement, regarder à l'ouest et à l'est. Mais tout doucement
|
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le jour s'éteignit, et la nuit les surprit comme ils admiraient encore
|
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une ligne rosée qui semblait fermer le ciel à l'endroit où le soleil
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venait de disparaître. Aussi, lorsqu'ils reportèrent leurs yeux éblouis
|
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sur d'autres objets, furent-ils saisis par une soudaine frayeur.
|
|
L'obscurité glaçait d'épouvante ces pauvres enfants qui n'avaient jamais
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vu la nuit ailleurs qu'à Paris et éclairée par des milliers de becs de
|
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gaz.
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Bien qu'ils eussent l'espoir d'atteindre en moins d'un quart d'heure
|
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les premières maisons d'un village qu'ils avaient vu sur leur droite
|
|
lorsqu'il faisait encore jour, ils se remirent en marche avec moins de
|
|
confiance et d'ardeur qu'auparavant Balthasar, au lieu de vagabonder
|
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comme il avait fait toute la journée, s'était rapproché d'eux, et, comme
|
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s'il eût été lui-même sous l'influence de la crainte, il marchait d'un
|
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pas tranquille et jetait à droite et à gauche des regards furtifs
|
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qu'il ramenait sans cesse à ses jeunes maîtres. Tous trois gardaient un
|
|
silence qui ne contribuait pas peu à les effrayer; ils ne savaient point
|
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que, pour chasser la peur, il suffit souvent de faire du bruit soi-même.
|
|
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Ils se taisaient donc. Cependant la journée n'était point finie; on
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|
entendait encore au loin des voix qui se répondaient et des éclats de
|
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rire que l'écho de la vallée répétait d'une façon enfantine. C'étaient
|
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des gamins qui jouaient dans la rue de quelque village voisin. On
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entendait aussi par intervalle les aboiements féroces des bouledogues
|
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qu'on lâche la nuit dans les châteaux et les fermes pour monter la
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garde et courir sus aux malfaiteurs. Balthasar y répondait par de sourds
|
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grognements; il aboyait tout bas. Le brave et fidèle animal distinguait
|
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bien dans tout ce tapage plus d'une provocation à son adresse; mais en
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sa qualité d'étranger au pays, il ne voulait point engager de discussion
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où il se sentait vaincu d'avance. Allez donc, lorsque vous n'êtes qu'un
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pauvre caniche maigre et efflanqué, lutter de verve et de poumons avec
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de telles gens, et donner la réplique à des individus qui mènent une
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vie de pacha et sont nourris comme des rentiers. Et puis, qui sait?...
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Peut-être ne voulait-il pas compromettre les malheureux enfants en
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attirant sur eux l'attention de quelque garde-champêtre attardé dans la
|
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campagne?
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Un moment ils entendirent marcher derrière eux; la même crainte les
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saisit tout à coup; ils s'imaginèrent que Joseph les poursuivait, et,
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instinctivement, ils se jetèrent sur le côté de la route. Un homme
|
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passa tout tranquillement sans leur adresser la parole, sans les voir
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peut-être. Mais toutes ces vaines frayeurs leur donnaient la fièvre,
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|
et, s'il vous eût été permis de leur appuyer votre main sur la
|
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poitrine, vous eussiez senti leur pauvre petit coeur qui battait à coups
|
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précipités, absolument comme celui de ces malheureux oiseaux qu'il vous
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arrive quelquefois de tenir captifs entre vos mains naïvement cruelles.
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Heureusement ils entraient dans un village et la vue des gens qui
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allaient et venaient les rassura un peu. Mais cela ne suffisait pas; ils
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étaient fatigués et ne savaient point encore s'ils trouveraient un abri
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pour se reposer où s'ils devaient dormir à la belle étoile.
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|
CHAPITRE VI.
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Florentin et Florentine.
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Ils passaient devant une de ces petites et jolies maisons de campagne
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comme il s'en rencontre tant aux environs de Paris. Une petite fille
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accompagnée d'une servante, en sortait; mes amis s'arrêtèrent pour
|
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admirer sa gracieuse tournure et le joli visage qu'à la lueur d'une
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lanterne elle montrait sous une capeline en soie bleue.
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«Oh, ciel! fit cette jolie demoiselle avec une petite voix maniérée, que
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font là ces enfants? Les connaissez-vous, Marie?
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--Voyons, dit la fille, en leur mettant la lanterne sous le nez.... Oh!
|
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pour ça non, mam'zelle, ils ne sont pas du village.
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--Ne les éclairez plus, Marie; ils ont de trop vilaines physionomies; on
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dirait de petits brigands.
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--Le fait est qu'ils sont loin d'inspirer de la confiance. Je sais bien
|
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qui ne leur donnerait pas sa bourse à garder, moi.
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--Que font-ils par ici?
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--Pardine! ça cherche à voler.
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--Vous croyez, Marie?
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--Ah! bien, si je le crois? Mais j'en suis sûre, mam'zelle. Et il n'est
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pas déjà si rassurant de les voir rôder comme cela autour de la maison.
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--Renvoyez-les au plus vite, alors.
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--C'est ce que je vais faire.»
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Puis, s'adressant aux enfants qui n'avaient pas l'air d'entendre:
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«Allons, allons, portez vos méditations ailleurs, vous autres.
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--Ils ne vous comprennent point.
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--C'est possible; alors je vais leur parler un meilleur français. Çà,
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cria-t-elle, on vous prie de déguerpir, si vous ne le faites pas tout de
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suite, vous aurez affaire à moi.
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--Nous ne vous gênons pas, dit Aimée, qui, plus décidée que César,
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prenait la parole dans les occasions critiques.
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--Voyez, mam'zelle, comme ils ne comprennent point. Et ça ose
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répondre!... On ne saurait croire jusqu'où peut aller l'audace de ces
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|
petits misérables; on ne ferait que son devoir en les souffletant.
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--Assez, Marie, assez, ne les frappez point, donnez-leur quelque argent,
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et ils s'éloigneront peut-être. Il faut en finir, je ne puis passer ma
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soirée ici.»
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La servante jeta dix centimes au visage de César et disparut avec son
|
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impertinente maîtresse. Quant à mes amis, sans essayer de chercher les
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dix centimes, qu'il eût, du reste, été impossible de trouver, tant la
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|
nuit était devenue épaisse, ils continuèrent à marcher dans la rue,
|
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plongeant dans les maisons dont les volets étaient encore ouverts, des
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regards profondément découragés.
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Ils se demandaient si aucune de ces demeures ne voudrait s'ouvrir pour
|
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les recevoir, et s'ils étaient condamnés à passer la nuit dehors. Il
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fallait cependant bien peu de chose pour ramener la sécurité dans leur
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pauvre coeur et à en chasser toutes les appréhensions et toutes les
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angoisses que la peur y avait fait naître: le coin le plus obscur
|
|
d'une de ces grandes cuisines où l'on voyait des chats et des chiens se
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prélasser aux meilleures places, se chauffer le ventre et le museau à
|
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la flamme joyeuse et turbulente du foyer, en compagnie de vieillards et
|
|
d'enfants qui jouaient et devisaient entre eux! Tout doucement César
|
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et Aimée se faufilèrent le long des maisons pour mieux voir ce qui s'y
|
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passait. C'était indiscret, mais ils n'en savaient rien; et, d'ailleurs,
|
|
tout cela était si nouveau, et tous ces logis si différents de celui
|
|
de Joseph!... Une fenêtre plus vivement éclairée que les autres captiva
|
|
bientôt exclusivement leur attention. Par cette fenêtre on pouvait
|
|
explorer dans tous ses recoins une de ces grandes salles qui, dans les
|
|
maisons de paysans, tiennent lieu tout à la fois de cuisine, de salle à
|
|
manger et de chambre à coucher. Une femme jeune encore, les manches et
|
|
la jupe retroussées, tenait un poêlon sur le feu, pendant qu'un petit
|
|
garçon et une petite fille, du même âge à peu près que mes amis,
|
|
promenaient à tour de rôle, en le dodelinant sur leurs bras, un gros
|
|
marmot de sept à huit mois qu'on avait déjà habillé pour la nuit.
|
|
Quand ce bébé manifestait quelque impatience, le frère et la soeur lui
|
|
faisaient toutes sortes de mines, lui chantaient une belle chanson, ou
|
|
bien lui disaient de ces riens qui n'ont aucun sens, mais qui font tant
|
|
rire les bébés de cet âge. César et Aimée ayant compris tout de suite
|
|
que c'étaient là de braves enfants, prenaient un plaisir extraordinaire
|
|
à les voir se promener de long en large dans la chambre. Mais, à
|
|
plusieurs reprises, leur regard se croisa avec celui de la maman,
|
|
laquelle, ne devinant pas ce que c'était, dit à ses enfants:
|
|
|
|
«Voyez donc un peu ce qui fait de l'ombre à la fenêtre!»
|
|
|
|
Mes amis, qui avaient entendu, s'éloignèrent de quelques pas.
|
|
|
|
«Rien, maman, il n'y a rien,» répondirent les petits villageois, après
|
|
avoir jeté un coup d'oeil dans la rue.
|
|
|
|
Un peu après, elle prit le bébé pour le faire souper et dit encore:
|
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|
|
«Pour sûr, il y a quelqu'un à la fenêtre. Allez dehors, vous pousserez
|
|
les volets.»
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|
|
|
César et Aimée songèrent à fuir, mais je ne sais quoi les tenait cloués
|
|
là, près de cette maison.
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|
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|
Quant aux petits villageois, ils entr'ouvrirent la porte avec
|
|
précaution, et aussitôt la refermèrent vivement.
|
|
|
|
«Quoi donc? fit la mère.
|
|
|
|
--Maman, répondirent-ils d'une voix étouffée, il y a un homme.
|
|
|
|
--Bon! faut-il avoir peur pour cela? C'est sans doute votre père;
|
|
ouvrez-lui.»
|
|
|
|
Il fallut bien s'exécuter. Cette fois, ils sortirent tout à fait, mais
|
|
rentrant presque aussitôt:
|
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|
|
«Maman, ma chère maman, s'écrièrent-ils, venez donc voir, c'est un petit
|
|
garçon et une petite fille.»
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La maman sortit.
|
|
|
|
«C'est ma foi vrai! fit-elle comme en se parlant à elle-même. Et à cette
|
|
heure.... Comment cela se fait-il?... Ils me font l'effet de petits
|
|
poussins qui se seraient perdus dans l'herbe en courant après les
|
|
insectes et n'auraient pu retrouver le nid de leur mère. Ah! ça, petits,
|
|
leur dit-elle, approchez donc un peu qu'on vous voie!»
|
|
|
|
César et Aimée, suivis de Balthasar, vinrent se placer dans la clarté
|
|
que le feu envoyait jusque dans la rue par la porte toute grande
|
|
ouverte. Ils ne brillaient point, je vous assure, dans cette lumière à
|
|
la Rembrandt.
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|
«Dieu du ciel! comme ils sont faits! s'écria la jeune femme en
|
|
découvrant de quelle misérable façon ils étaient vêtus. Et dire que
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|
ce sont là de petites créatures du bon Dieu!... Allons, entrez tout de
|
|
même, on verra....»
|
|
|
|
Nos amis, comme vous pensez bien, ne se firent point prier.
|
|
|
|
La villageoise leur assigna pour s'asseoir un banc de l'autre côté de la
|
|
table, où elle-même avait pris place avec le bébé.
|
|
|
|
Quant aux enfants, ils vinrent se poster tous deux en face de César et
|
|
d'Aimée, et là, les mains derrière le dos, se mirent à examiner mes amis
|
|
en silence et avec cette curiosité naïve et indiscrète particulière aux
|
|
enfants à qui l'éducation n'a pas appris à vivre selon l'usage du monde.
|
|
Puis, de temps en temps, ils se regardaient en se faisant des signes
|
|
avec les yeux pour se communiquer leurs impressions. Mes amis, de leur
|
|
côté, leur rendaient la pareille et les examinaient aussi, mais plus
|
|
timidement, un peu en dessous, il faut bien le dire, ce qui ne les
|
|
empêchait point de voir combien tous deux étaient gentils, la petite
|
|
fille surtout.
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|
[Illustration: «Allons, entrez tout de même, on verra.».]
|
|
|
|
Elle avait de bonnes joues rondes et fermes que le grand air avait
|
|
légèrement brunies, et une forêt de cheveux blonds qui s'échappaient
|
|
de son petit bonnet, tout autour de la tête, par centaine de boucles,
|
|
rangées les unes de ci, les autres de là, au caprice du vent, sans ordre
|
|
et sans art. Oui, certes, elle était gentille, et vous n'auriez pas dit
|
|
le contraire si, comme César et Aimée, vous aviez pu admirer sa petite
|
|
bouche qui souriait avec tant de finesse et de naïveté, et ses grands
|
|
yeux si expressifs qu'on eût dit qu'ils parlaient, et son nez en l'air,
|
|
et le petit bout de ses jolies oreilles où étaient accrochés de beaux
|
|
pendants d'or en forme de poires; puis sa belle robe de tartanelle,
|
|
puis son beau tablier de mérinos, puis son joli bonnet des dimanches!...
|
|
Après cela, peut-être que vous n'aimez que les petites demoiselles
|
|
qui ont le teint trop pâle, les traits trop délicats et la taille trop
|
|
effilée.... Je ne veux point nier qu'elles soient intéressantes et n'ai
|
|
point la prétention de contester la légitimité de votre goût; mais enfin
|
|
vous conviendrez qu'il y a des beautés de plusieurs sortes, et que les
|
|
enfants dont la santé est robuste, la mine appétissante et l'humeur
|
|
aimable, ne sont pas à dédaigner.
|
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|
|
«Voyons, dit la maman lorsque le bébé fut couché, vous allez me dire qui
|
|
vous êtes et pourquoi nous vous avons trouvés à pareille heure dans la
|
|
grand'rue de notre village?»
|
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|
|
César raconta tant bien que mal comment ils avaient quitté Paris.
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|
|
«Dieu du ciel! s'écriait la jeune femme que la brutalité de Joseph
|
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faisait frémir, est-il possible que la terre nourrisse des monstres
|
|
comme cela?»
|
|
|
|
Elle résolut de garder chez elle jusqu'au lendemain ces pauvres
|
|
abandonnés, et se mit sur-le-champ à préparer le repas du soir, car elle
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voyait bien qu'ils étaient exténués et ne pourraient, sans souffrir,
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rester plus longtemps sans prendre de nourriture.
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Alors entra un homme âgé de trente-cinq ans à peu près. Il était grand
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et bien pris dans ses membres, qu'il portait cependant avec une certaine
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lourdeur, comme les individus que les rudes travaux des champs ont de
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bonne heure courbés sur la terre. Le petit garçon et la petite fille
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coururent à sa rencontre, il les embrassa avec effusion. César comprit
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qu'il était le maître du logis. C'était un bon père et un honnête homme,
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on le voyait bien; et malgré la pesanteur de sa démarche, on lisait
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dans son maintien comme sur son visage la dignité naturelle des gens qui
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n'ont de comptes à rendre et de grâces à demander qu'à Dieu.
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Il s'en alla jeter un coup d'oeil sur le bébé qui dormait paisiblement
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dans un petit berceau rustique, puis il offrit à sa femme de l'aider
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dans ses occupations de ménagère.
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«Voici, lui dit-elle en montrant César et Aimée, deux enfants que
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j'ai recueillis dans la rue. Vont-ils se mettre à table avec nous pour
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souper?
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--Pourquoi pas?» répondit simplement le jeune homme, qui était laconique
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dans tout ce qu'il disait et semblait avare de ses paroles, comme les
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individus habitués à vivre et à travailler dans la solitude.
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Le dîner était frugal, une soupe au lait et des oeufs; mais mes amis
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n'avaient peut-être jamais fait un repas si délicat, et, tout bas, ils
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se disaient que c'était là pour sûr un festin de roi.
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Quant à Balthasar, promptement familiarisé avec les habitudes de la
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maison, côte à côte avec le chat du logis, il mangeait proprement la
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part qu'il s'était adjugée d'un copieux reste de potage.
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Après le dîner, les petits villageois, qu'on appelait Florentin et
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Florentine, se mirent à genoux pour faire leur prière du soir. César et
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Aimée les imitèrent d'instinct, sans trop savoir ce qu'ils faisaient,
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et joignant les mains tant bien que mal, répétaient à voix basse
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les paroles que les autres prononçaient tout haut; mais ils n'en
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comprenaient point le sens.
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La jeune femme qui les regardait, devina aisément qu'ils ne savaient
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point leurs prières. Alors elle résolut de leur montrer au moins à faire
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le signe de la croix.
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«Quand on ne sait pas prier, leur recommanda-t-elle, on dit tout
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simplement: Mon Dieu, ayez pitié de moi!
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--Et quand on veut prier pour d'autres, demanda Aimée, doit-on lui dire
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la même chose au bon Dieu?
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--Pour qui donc veux-tu prier?»
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César dit comment une jeune et belle dame lui avait donné une pièce d'or
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à la grille des Tuileries.
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«Et cette dame s'appelle?
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--Je l'ignore, répondit César.
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--C'est que nous-mêmes, nous connaissons à Paris un enfant qui est
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très-malade en ce moment; un beau petit garçon que j'ai nourri il y a
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sept ans en même temps que Florentine. Sa mère, Mme de Senneçay, qui est
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la soeur de M. Lebègue....»
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Ici s'interrompant tout à coup:
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«Le connaissez-vous, M. Lebègue? demanda la jeune femme, qui croyait
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naïvement que les notabilités de son village étaient connues du monde
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entier.
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--Non, dit Aimée.
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--Un riche propriétaire de ce pays-ci. C'est à lui qu'appartient le beau
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domaine des Granges, vous savez, sans doute, là, sur la gauche, à une
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lieue d'Orly?... Il est fâcheux que vous ne connaissiez pas M. Lebègue,
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car c'est un digne homme et il aurait pu vous être utile. Mme de
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Senneçay, je vous disais donc, doit conduire mon petit Abel cette
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semaine à Fontainebleau, où je me rendrai presqu'aussitôt pour le
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soigner. Elle est si bonne et si charitable que j'ai pensé tout d'abord
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que c'était elle qui vous avait donné la pièce de vingt francs!»
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Puis, s'adressant à son mari:
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«Dis donc, Étienne, si c'était Mme de Senneçay? demanda-t-elle.
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--Cela n'est pas impossible, répondit Étienne.
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--Quoi qu'il en soit, recommanda la villageoise à mes amis, n'oubliez
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pas de prier Dieu pour la dame au louis d'or.»
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Avec un matelas, qu'on posa dans un coin de la chambre sur de la paille
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fraîche, et des draps propres, on fit un lit pour César et Aimée,
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lesquels ne demandaient pas mieux, après une telle journée, que de se
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reposer et dormir. Mais ils étaient trop fatigués; ils ressentaient
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une sorte de fièvre qui les tint éveillés assez longtemps pour qu'ils
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eussent le loisir de se communiquer leurs impressions.
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«Vois donc, Aimée, disait César, combien il est bon d'être couché dans
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une belle chambre comme celle-ci, où l'on a des parents qui dorment
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à côté de vous. Pour moi, quand je regarde ce lit et ce berceau dans
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l'alcôve, puis la table avec ses deux bancs, l'armoire à l'autre bout de
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la pièce, le buffet orné d'assiettes à fleurs, le seau plein d'eau posé
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sur une escabelle près de la fenêtre, et le feu, non encore éteint,
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éclairant vaguement tout cela lorsque tout le monde est endormi, il me
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semble avoir vu ces choses ailleurs qu'ici; et si je devais continuer à
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demeurer dans cette maison, je croirais volontiers que le temps que nous
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avons passé chez mon oncle Joseph n'a été qu'un abominable rêve.»
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[Illustration: Je ne vous dirai point avec quelle joie ils
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s'habillèrent.]
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Le lendemain, il faisait grand jour et le soleil était levé depuis
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longtemps lorsque mes amis se réveillèrent. La première chose qu'ils
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aperçurent en ouvrant les yeux, fut des vêtements neufs étalés sur le
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pied de leur lit. Quand je dis neufs, je me trompe; ils étaient vieux
|
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et usés, beaucoup usés même; mais rapiécés aussi, et de plus, propres à
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donner envie de se les mettre sur les épaules. Ils sentaient bons, et,
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quoique la couleur en fût singulièrement effacée par endroits, César
|
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et Aimée les trouvaient si beaux qu'ils ne se rassasiaient point de les
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regarder. Pour eux véritablement ils étaient neufs. Je ne vous dirai
|
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point avec quelle joie ils s'habillèrent; ces choses-là ne sauraient se
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dépeindre. Non moins heureux, Florentin et Florentine les aidaient; on
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se mettait à trois pour attacher une agrafe ou faire entrer un bouton,
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et cela n'allait pas encore très-bien parce que de part et d'autre on
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était trop ému.
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Étienne regardait d'un air songeur.
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«Si l'on était riche, dit-il tout à coup, et comme en se parlant à
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lui-même, envoyer ces enfants à l'école, et leur donner ensuite un bon
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état pour qu'ils devinssent d'honnêtes ouvriers, serait une bonne action
|
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à faire. Que vont-ils devenir à présent?
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--Nous voulons gagner notre vie, dit César.
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--Je souhaite que vous rencontriez d'honnêtes gens assez riches pour
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vous prendre sous leur protection. Mais enfin cela peut ne pas se
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trouver tout de suite, et en attendant, il faudra vivre. Quoi qu'il
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arrive, César, n'oublie pas qu'il est moins honteux de demander un
|
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morceau de pain que de le prendre.
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--Pour ça, dit César en rougissant, nous n'avons jamais rien pris à
|
|
personne.
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--C'est bien. Mais il faut se méfier de la misère. On dit parmi nous que
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|
celui qui prend le grain prendra aussi la farine; cela signifie qu'un
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voleur ne redevient jamais honnête homme. Ce que j'en dis n'est pas
|
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pour vous affliger, mais pour vous mettre en garde contre les mauvaises
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pensées et les mauvais conseils, car on se laisse aisément tenter
|
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lorsqu'on est malheureux.
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--Écoute, Étienne, dit en s'approchant la femme qui jusqu'alors avait
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gardé le silence, tout cela est très-bien, mais je pense, moi, que nous
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ne pouvons pas laisser partir ces enfants comme cela.
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--Que veux-tu faire?
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--Par moi-même, rien; je sais que nous ne pouvons pas leur assurer un
|
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sort meilleur. Mais il y a Mme de Senneçay. Je l'ai vue bien souvent
|
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s'intéresser à des enfants qu'elle connaissait à peine; qui sait si
|
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elle ne consentirait point à faire quelque chose pour ceux-ci. Si elle
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|
pouvait les retirer pour toujours à ce Joseph et les placer, les mettre
|
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à l'école?
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--Il faudrait voir.
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--On ne peut aller la tourmenter maintenant; Abel est encore trop
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malade. Mais je la verrai à Fontainebleau.
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--Et en attendant?
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--Nous garderons ces enfants avec nous.
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--Non, cela ne se peut pas; il est possible que Mme de Senneçay refuse
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de s'occuper d'eux, qu'en ferais-tu, alors?
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--Nous aviserons.
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--Ta bonté t'égare.
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--Écoute, je réponds de Mme de Senneçay.
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--N'importe! nous ne pouvons les garder. Si nous n'avions pas d'enfants,
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|
à la bonne heure!
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--Crains-tu donc qu'ils gâtent les nôtres? Ils ont l'air si honnête!
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--C'est vrai, mais nous ne les connaissons pas. Ils n'ont qu'une chose
|
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à faire, retourner avec leur tuteur.... Je voudrais les y reconduire
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moi-même. Je verrais ce que c'est au juste.
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--Eh bien, fais-le.
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--Malheureusement, c'est impossible; je laboure les terres d'un voisin.
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C'est un marché, je dois avoir fini dans trois jours.»
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Pendant que le mari et la femme s'occupaient ainsi de César et d'Aimée,
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ceux-ci achevaient leur toilette.
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«Viens ici, César,» dit Étienne.
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L'enfant s'approcha.
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«Voici ce qui se passe, mon garçon. Ma femme ne veut pas que vous alliez
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comme ça courir les grands chemins, où il ne saurait vous arriver rien
|
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de bon. Elle connaît une dame, Mme de Senneçay, qu'elle veut intéresser
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à votre sort. Mais pour ça, il faut que vous retourniez chez votre
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tuteur.
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--Joseph! qu'est-ce qu'il va dire? s'écria César effrayé.
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--Rien, si tu lui portes de l'argent. Voici deux francs; tu lui
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remettras cela comme si c'était le produit de ta journée.... D'ailleurs
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peu lui importe où tu l'aies gagné. Ma femme verra Mme de Senneçay la
|
|
semaine prochaine; moi, j'irai jeudi voir comment ça va chez vous....
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|
Nous ne vous laisserons pas longtemps avec votre tuteur; il ne s'agit
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que de deux semaines au plus. Si on s'occupe de vous, il faut que
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de votre côté vous fassiez quelques sacrifices. Allons, mes enfants,
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|
promettez-moi de retourner chez Joseph?
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--Nous ferons ce que vous voudrez, dit César.
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--C'est bien, voilà les deux francs. A jeudi.»
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Sur ce, on se sépara.
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CHAPITRE VII.
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A la ferme des Granges.--Les gendarmes.
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Comme ils étaient venus de Paris, on avait pensé, chez Étienne, qu'ils
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sauraient y retourner. Il n'en était rien, et leur embarras fut grand
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lorsqu'il s'agit pour eux de s'orienter. César, qui avait comme une
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vague idée du chemin à prendre, se disait bien qu'il fallait remonter
|
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le village et suivre toujours la grande route en regardant vers le nord;
|
|
mais Balthasar penchait visiblement pour le midi.... Pour se donner le
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|
temps de réfléchir et de ne pas risquer de se tromper en se décidant
|
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trop légèrement, ils prirent au hasard le premier sentier qui se
|
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présenta, et bientôt se trouvèrent en pleine campagne. Alors l'idée
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|
leur vint de compter leur trésor: cela faisait, en tout, trois francs
|
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trente-cinq centimes, une assez jolie somme vraiment, et au moyen de
|
|
laquelle on pouvait espérer se faire bien recevoir de Joseph.
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Cependant le temps passait; il fallait enfin partir.
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«Le chemin pour aller à Paris, madame? demanda Aimée à une bonne femme
|
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qui revenait des champs courbée sous un lourd fagot d'herbe.
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--Le chemin de Paris, répondit la vieille paysanne en appuyant, pour
|
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se reposer, ses deux mains sur une canne qu'elle portait attachée à son
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poignet par une petite courroie, c'est la grande route dont vous voyez
|
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d'ici les deux rangées d'ormes. Retournez sur vos pas et suivez toujours
|
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tout droit. Comme vous avez de bonnes jambes, vous y arriverez avant
|
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le soleil couché.... Il ne faudrait pas, par exemple, me demander d'en
|
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faire autant, j'ai bien assez de retourner comme ça à la maison.
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--Voulez-vous que je porte votre fardeau? demanda César.
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--Non, je ne le veux pas. Mais je te remercie de ton offre et te tiens
|
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pour un bon enfant. On ne peut en dire autant de tous les garçons de ton
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|
âge.... Allons, bien le bonjour! Si vous allez à Paris, que le bon Dieu
|
|
vous y garde.»
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|
Et la vieille femme s'éloigna.
|
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|
Mes amis, encouragés par ce bon souhait, se décidèrent à partir. Mais
|
|
Balthasar s'était enfui; on le voyait qui courait au loin dans une
|
|
direction tout à fait opposée à celle que ses maîtres voulaient prendre.
|
|
Il fallut courir après lui pour le ramener. Il s'enfuit de nouveau....
|
|
Une partie de la journée se passa dans cet exercice. Dès que mes amis
|
|
voulaient prendre le chemin de Paris, Balthasar s'enfuyait d'un autre
|
|
côté. On eût pu croire qu'il en faisait un jeu; mais on reculait au
|
|
lieu d'avancer, et les pauvres enfants durent renoncer pour ce jour-là à
|
|
tenir la promesse qu'ils avaient faite de retourner chez Joseph.
|
|
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|
Il pouvait être quatre heures de l'après-midi, lorsqu'ils s'arrêtèrent à
|
|
la lisière d'un champ où un certain nombre d'ouvriers étaient occupés à
|
|
détruire de la mauvaise herbe. César les compta; ils étaient dix, parmi
|
|
lesquels deux enfants d'une douzaine d'années. Le travail auquel ils se
|
|
livraient paraissait des plus simples et des plus faciles, et mes amis
|
|
se dirent qu'ils en feraient bien autant si on voulait seulement les
|
|
mettre à l'épreuve et leur donner des outils. Alors, enhardis par la
|
|
confiance qu'ils avaient en eux-mêmes et leur désir de gagner leur pain
|
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comme le père Antoine, ils s'approchèrent d'un vieillard qui s'était
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|
redressé pour allumer sa pipe.
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|
|
«Monsieur, lui demanda César, êtes-vous le maître de ces hommes qui
|
|
travaillent avec vous?
|
|
|
|
--Moi? répondit l'homme, non, je ne le suis point. Mais je voudrais bien
|
|
l'être, savez-vous,--c'était un Belge,--car je ne me donnerais pas tant
|
|
de peine et prendrais mon temps pour allumer c'pipe et l'fumer tout à
|
|
mon aise! Mais on doit se consoler de n'être pas maître, n'est-ce pas,
|
|
lorsqu'on voit autour de soi tant de braves gens qui ne sont aussi
|
|
que des ouvriers. Il faut bien qu'il y ait plus de soldats que de
|
|
capitaines, savez-vous?... Bast, les choses vont toujours bien lorsqu'on
|
|
a du coeur à la besogne. Mais, à propos du maître, avez-vous une
|
|
commission pour lui?
|
|
|
|
--Nous voudrions, dit César, lui demander de l'ouvrage.
|
|
|
|
--De l'ouvrage? fit l'homme entre deux bouffées de fumée, il faut aller
|
|
voir; s'il en a, il vous en donnera. C'est un brave maître, savez-vous?
|
|
|
|
--Où donc demeure-t-il?
|
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|
|
--Là-bas, fit le Belge en montrant une fort belle maison, située à un
|
|
demi-kilomètre environ.
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|
--Au château?
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|
--Justement, c'est là qu'il demeure, savez-vous? Mais, si vous n'osez
|
|
pas y entrer au château, allez à la ferme; vous demanderez Robert, le
|
|
régisseur, et vous lui conterez votre affaire.»
|
|
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|
Les enfants hésitaient.
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|
«M. Robert n'est pas méchant, savez-vous? leur dit le brave homme en
|
|
forme d'encouragement.... Allons, bonne chance!»
|
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|
Mes amis suivirent le chemin qu'on leur avait indiqué. C'était un étroit
|
|
sentier dans lequel ils étaient obligés de marcher à la file, Balthasar
|
|
devant comme toujours.
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|
|
La campagne qu'ils traversaient était riche, fertile, et, sinon
|
|
pittoresque, du moins accidentée dans les proportions gracieuses
|
|
particulières à tous les paysages qui entourent Paris. Ce n'était point
|
|
grandiose et nullement fait pour étonner ou terrifier le touriste, mais
|
|
bien plutôt pour le séduire et le charmer.
|
|
|
|
Les yeux se promenaient en souriant de ces plaines richement cultivées à
|
|
ces coteaux peuplés de villas et boisés de parcs anglais que séparaient,
|
|
de distance en distance, de gros villages dont les maisons s'étageant
|
|
à mi-côte semblaient regarder, les unes par-dessus les autres, la Seine
|
|
qui coulait placidement au milieu de la vallée et, de ci, de là, faisait
|
|
un détour pour s'en aller arroser le pied d'une autre colline également
|
|
verdoyante et jolie.
|
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|
|
Aimée, qui, en se haussant sur ses petits pieds, parvenait à dépasser
|
|
de toute la tête un épais champ de seigle dont les tiges minces et
|
|
flexibles venaient lui caresser le visage, cherchait à voir le plus
|
|
possible de toutes ces choses.
|
|
|
|
«C'est donc là, César, demanda-t-elle, la campagne que tu vois dans tes
|
|
rêves?
|
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|
--Non, Aimée, non, ce n'est pas cela.
|
|
|
|
--C'est encore plus beau?
|
|
|
|
--Je ne sais pas si c'est plus beau, mais c'est différent. Les bois y
|
|
sont plus épais, les maisons moins nombreuses, la solitude plus complète
|
|
et le silence plus profond. Enfin je ne sais comment te dire cela,
|
|
moi; c'est moins riant, moins en fête qu'ici, et il me semble que je ne
|
|
pourrais en voir la réalité sans être ému.»
|
|
|
|
Ils étaient arrivés. Mais alors, la timidité naturelle de leur caractère
|
|
prenant le dessus, au lieu d'entrer ils s'assirent au pied d'un arbre,
|
|
juste en face du château que, pour se donner du courage sans doute,
|
|
ils se mirent à examiner minutieusement, s'amusant à en compter les
|
|
fenêtres, les persiennes, les girouettes, les paratonnerres, enfin tout
|
|
jusqu'aux marches du perron et aux caisses de fleurs dont elles étaient
|
|
ornées.
|
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|
|
[Illustration: «Non, Aimée, non, ce n'est pas cela.».]
|
|
|
|
La ferme, située sur la gauche, se trouvait à peu près masquée par un
|
|
bouquet d'arbres; ce qui faisait qu'au premier abord on ne la voyait
|
|
point. Il fallait, pour s'y rendre, quitter la route et prendre un joli
|
|
chemin qui semblait se perdre dans le bois. Mais il était facile de la
|
|
deviner au mouvement, au va et vient qui régnaient de ce côté. C'était
|
|
sans cesse des chevaux attelés à des charrettes ou à des tombereaux
|
|
qu'on dirigeait par là; puis une volée de poussins qui venaient,
|
|
conduits par leur mère, picoter quelques grains de blé tombés sur la
|
|
route, ou une bande de canetons courant se baigner effrontément dans
|
|
la magnifique pièce d'eau qu'on voyait briller devant le château et
|
|
réfléchir le ciel et les arbres avec la transparence d'un miroir.
|
|
|
|
César et Aimée, n'ayant plus rien à compter, prirent enfin le parti de
|
|
se rendre à la ferme. Ils allaient entrer dans la cour, cour immense
|
|
et entourée d'un si grand nombre de bâtiments qu'on eût dit un village,
|
|
lorsque Balthasar rebroussa chemin et vint, l'oreille basse, se cacher
|
|
craintivement derrière ses maîtres, qui, eux-mêmes, reculèrent tout à
|
|
coup saisis d'épouvante: un énorme cerbère, un boule-dogue de taille
|
|
colossale bondissant de fureur à la vue du caniche, s'élançait en
|
|
poussant des aboiements féroces sur les barreaux de fer de sa loge.
|
|
Heureusement un jeune homme qui venait derrière mes amis apaisa d'un mot
|
|
le chien de garde.
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|
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«Silence donc, Matamore!» dit-il sévèrement.
|
|
|
|
Matamore se tut, mais de mauvaise grâce et en montrant sous un rictus
|
|
qui n'était rien moins que rassurant, des crocs d'ivoire luisants et
|
|
affilés comme des poignards.
|
|
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|
Balthasar, malgré l'exemple que lui donnaient ses maîtres en suivant le
|
|
monsieur qui avait tant d'influence sur Matamore, jugea convenable de
|
|
rester dehors.
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|
«Qui cherchez-vous, mes enfants? demanda le jeune homme.
|
|
|
|
--Le régisseur.
|
|
|
|
--Et qu'avez-vous à lui dire, au régisseur?
|
|
|
|
--Dame! répondit César passablement embarrassé, voici ce que c'est: ma
|
|
soeur et moi nous voudrions travailler.
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|
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--Bah! vraiment? Mais vous êtes trop jeunes.
|
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|
|
--Oh! ça ne fait rien.
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--Voyons! que savez-vous faire?
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|
|
--Ce que vous voudrez.
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|
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--C'est un peu vague.... N'importe, si la bonne volonté y est; les
|
|
travaux des champs n'exigent pas un long apprentissage.
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|
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--Moi, d'abord, dit Aimée, je puis conduire aux champs tous ces jolis
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moutons que je vois là.»
|
|
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Elle montrait une troupe de deux à trois cents agneaux, lesquels n'ayant
|
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rien de mieux à faire pour le moment, gambadaient dans la cour et se
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livraient à des courses folles, comme font les enfants qui jouent à
|
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cache-cache et aux barres.
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«Et moi, dit César, je puis très-bien labourer la terre et conduire les
|
|
chariots de grains.
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|
--Je saurais bien aussi ramasser les oeufs, dit Aimée, ou donner à
|
|
manger aux petits poussins, ou même faire la cuisine, si cela vous
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plaît.»
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Il faut convenir qu'Aimée s'avançait un peu; mais son zèle l'emportait.
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«Si vous avez un jardin, je le cultiverai, reprit César. Je sais comment
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on plante les fleurs et à quelle époque il faut tailler la vigne.»
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Le jeune homme, qui n'était autre que le régisseur et qu'on appelait M.
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Robert, comprit tout de suite que mes amis ne savaient rien faire; mais,
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en même temps, il leur voyait tant de courage et de bonne volonté qu'il
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ne voulut pas les affliger par un refus brutal.
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«Venez avec moi,» leur dit-il.
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Et il les conduisit dans une vaste pièce qui servait de salle à manger
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aux gens de la ferme et qu'on appelait le réfectoire. Là, une jeune
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et alerte servante nommée Victoire leur servit un goûter, ainsi
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qu'à Balthasar, qui avait trouvé, sans éveiller de nouveau les
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susceptibilités du boule-dogue, le moyen d'entrer non-seulement dans la
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cour, mais encore dans la maison, et cela juste à point pour partager le
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repas de ses maîtres.
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Tous trois mangeaient de bon appétit, et M. Robert, à qui cela faisait
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plaisir, les regardait en souriant, lorsque tout à coup le galop de deux
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chevaux et un cliquetis de ferraille appela leur attention.
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«Tiens! s'écria Victoire en regardant par la fenêtre, voici les
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gendarmes!»
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Certes, mes amis savaient ce que c'était que des gendarmes; à Paris,
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ils en rencontraient à chaque instant et n'en avaient jamais eu peur;
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cependant, soit pressentiment, soit conscience de leur état d'enfants
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abandonnés, ce fut avec un véritable déplaisir qu'ils virent entrer dans
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le réfectoire ces deux braves serviteurs de l'ordre public; lesquels,
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pour remplir un devoir de politesse envers M. Robert et sa compagnie,
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portèrent militairement au front le revers de la main droite.
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La compagnie de M. Robert, c'était César et Aimée, puis la servante,
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qui, allant et venant de la cuisine au réfectoire, servait nos amis et
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les encourageait avec toutes sortes de bonnes paroles.
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«Pauvres petits! disait-elle; là, voyez comme ils ont faim!... Mangez
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ceci, puisqu'on vous le donne... C'est de bon coeur, allez!... On dirait
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pourtant qu'ils craignent d'y toucher!... Faut pas comme ça faire des
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façons.... N'ayez donc pas peur!... quand on vous dit qu'il en reste
|
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encore pour les autres.»
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Les gendarmes avaient chaud (à la campagne les gendarmes ont souvent
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chaud); ils déposèrent leurs chapeaux sur un buffet, ce qui permit à
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César et à Aimée de constater que les gendarmes n'ont pas la physionomie
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plus rébarbative que les autres hommes, et que la sévérité qu'on serait
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tenté de leur supposer au premier abord ne réside le plus souvent que
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dans leur grosse moustache et leur grand chapeau.
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On peut dire que c'étaient là des observations rassurantes; pourtant
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César et Aimée n'étaient point du tout rassurés.
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«Victoire, dit M. Robert à la servante, prenez une bouteille de vin
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blanc et versez à boire à messieurs les gendarmes.»
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Messieurs les gendarmes se firent un peu prier, mais seulement pour la
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forme, car ils avaient grand'soif (à la campagne, ayant souvent chaud,
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il se trouve qu'ils ont toujours soif).
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«Monsieur Robert et la compagnie, dirent-ils en faisant de nouveau le
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salut militaire, à la vôtre!»
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Puis l'un d'eux prit la parole pour expliquer l'objet de leur visite. La
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servante voulait leur verser à boire de nouveau, mais ils remercièrent
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honnêtement.
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«Il nous faut tout notre sang-froid, monsieur Robert, dit celui qui
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avait déjà pris la parole; nous avons une mission à remplir, et.... vous
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comprenez, n'est-ce pas?
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--Oui, vous sentez, fit l'autre.
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--Le devoir d'abord, reprit le premier.... après.... Eh bien! après, si
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vous le permettez....
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--Si cela vous convient, dit le second, qui semblait avoir pour fonction
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de répéter ce que disait son camarade.
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--Pour en venir tout de suite au fait, voici la chose, monsieur Robert:
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nous sommes à la recherche des individus qui ont mis le feu cette nuit à
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Villeneuve-le-Roi. N'auriez-vous point reçu ou vu passer des rôdeurs ou
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des vagabonds à mine suspecte?... Il faut nous dire cela.
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--Non, répondit M. Robert, nous n'avons vu personne.
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--Ah! fit le gendarme en jetant de côté un coup d'oeil expressif sur nos
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amis, qui, la fourchette en l'air et la bouche béante, écoutaient avec
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une sorte de stupeur.
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--Les pertes sont-elles considérables? demanda M. Robert.
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--A l'heure qu'il est, plus de vingt ménages sont dans la rue.... Il y
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aura de la misère.... Voyez-vous, c'est affreux ces choses-là; on ne s'y
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habitue jamais. Les granges, les maisons qui s'écroulent; les bestiaux
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qu'on veut sauver et qui, effrayés par le feu, refusent de sortir des
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étables où la fumée les étouffe; les vieillards qui ont peur de périr,
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les hommes qui pleurent, les femmes qui deviennent folles, les petits
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enfants qu'on oublie dans les chambres que dévore l'incendie!... Puis
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les cris de la foule, le tambour, le tocsin, le désordre!... les flammes
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qui se font des trouées et se jettent sur les malheureux qui veulent les
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éteindre!... Oui, allez, monsieur Robert, c'est épouvantable!...
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--Moi, dit la servante avec une naïveté féroce, ce qui me touche le plus
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dans tout cela c'est les bêtes.... Quand je pense que nos vaches et nos
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moutons pourraient brûler comme ça, tout vivants.... ça me donne froid
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dans le dos.
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--Et les hommes, n'est-ce pas encore cent fois plus malheureux?
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--C'est malheureux, je ne dis pas le contraire; mais de pauvres et
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innocentes bêtes qui ne savent ni parler, ni demander du secours, c'est
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pis encore.
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--Taisez-vous, Victoire, dit M. Robert, les propos que vous tenez là
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sont insensés.... Avez-vous des soupçons sur quelqu'un, messieurs les
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gendarmes?
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--On accuse des saltimbanques qui ont quitté Villeneuve cette nuit, sans
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|
payer leur dettes, pendant que tout le monde courait au feu.
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--Il est facile de retrouver leurs traces!
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--Pas tant que cela. Ils se sont séparés, paraît-il, pour suivre des
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directions différentes. On nous a rapporté qu'ils avaient pris, les uns
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un chemin de traverse, les autres un sentier, et les autres encore
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la grand'route. Et, entre nous, ça m'étonne bien que vous n'ayez vu
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personne de la bande, car on m'a signalé deux de leurs enfants qui se
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|
sont dirigés par ici.
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--En fait d'enfant, dit M. Robert, je n'ai vu que ceux que vous-mêmes
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|
pouvez voir en ce moment.
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--Lesquels donc, monsieur?
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--Mais ces deux petits qui sont à table près de vous.»
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A ces mots, César et Aimée furent saisis d'un tel effroi que la servante
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eut pitié d'eux.
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«Pour ça, dit-elle, ce n'est pas eux, j'en réponds. N'est-ce pas,
|
|
petits, que ce n'est pas vous?
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--Quoi donc? fit César troublé.
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--Qui avez mis le feu.
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--Le feu?
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--Oui, le feu.... Est-il assez borné! On te demande si c'est toi qui
|
|
as mis le feu. C'est simple comme bonjour, tu n'as qu'à répondre que ce
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n'est pas toi.
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|
--Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.... Je ne sais pas,
|
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moi....
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--Comment tu ne sais pas? Et qui donc le saura, si ce n'est toi,
|
|
imbécile!»
|
|
|
|
Le pauvre César était interdit et, pour le moment, tout à fait incapable
|
|
de faire une réponse raisonnable. Mais Aimée ne s'intimidait pas si
|
|
facilement.
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|
[Illustration: Les enfants ne surent que répondre.]
|
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|
«Ce n'est pas nous, dit-elle, qui avons fait ce que vous dites, et je ne
|
|
pense pas que nous soyons des saltimbanques.»
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|
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|
Si messieurs les gendarmes avaient quelque peu réfléchi, il leur eût
|
|
été facile de comprendre que ces enfants n'étaient pas ceux qu'ils
|
|
cherchaient; mais il est de leur état de voir partout des coupables.
|
|
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|
«Quoi, dit Victoire à Aimée, tu n'as pas à cet égard plus de certitude
|
|
que cela? Alors comment veux-tu que les autres en soient sûrs? En voilà
|
|
une jolie manière de se défendre!
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|
--Assez, la fille, dit gravement le gendarme, laissez l'autorité faire
|
|
son devoir. Si ces enfants sont coupables, rien ne nous empêchera de les
|
|
arrêter.
|
|
|
|
--Rien ne nous empêchera de les arrêter, répéta, selon sa coutume,
|
|
l'autre gendarme.
|
|
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|
--Nous arrêter! s'écria Aimée, nous arrêter!... entends-tu, César, pour
|
|
nous mettre en prison!...
|
|
|
|
--Comme des voleurs, fit César en pleurant.
|
|
|
|
--Bon, dit la servante en haussant les épaules, les voilà maintenant qui
|
|
se mettent à crier avant qu'on ne les écorche, comme les anguilles de
|
|
Melun.
|
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|
|
--Allons! Victoire, retirez-vous,» dit M. Robert sévèrement.
|
|
|
|
Victoire passa, en maugréant, dans la pièce voisine, et le gendarme
|
|
sortit de sa poche des papiers, des plumes et un encrier pour dresser le
|
|
procès-verbal.
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|
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|
«Qui êtes-vous?» demanda-t-il.
|
|
|
|
Les enfants ne surent que répondre.
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|
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|
«Ils ne veulent point se nommer. Écrivez cela, dit-il à son camarade.
|
|
|
|
Puis, s'adressant de nouveau aux enfants: «Quel âge avez-vous?»
|
|
demanda-t-il.
|
|
|
|
César et Aimée, qui ne savaient point quel âge ils avaient, gardèrent le
|
|
silence.
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|
«Mettez, qu'ils n'ont point dit leur âge, dit le gendarme qui
|
|
interrogeait à celui qui écrivait.
|
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|
|
--D'où êtes-vous?» demanda-t-il encore.
|
|
|
|
Les pauvres petits n'en savaient rien.
|
|
|
|
«Où êtes-vous nés?»
|
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|
Force fut encore de se taire.
|
|
|
|
«En quelle année?»
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|
|
|
Silence.
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|
|
«Écrivez qu'ils ne veulent point divulguer le nom de leur famille ni le
|
|
lieu de leur naissance.»
|
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|
Puis il continua:
|
|
|
|
«Que font vos parents, où demeurent-ils? Comment les appelle-t-on?»
|
|
|
|
A ce déluge de questions, les pauvres enfants étourdis fondirent en
|
|
larmes. M. Robert eut pitié d'une si grande douleur.
|
|
|
|
«Voyons, leur dit-il doucement, calmez-vous.
|
|
|
|
[Illustration: Sur ces entrefaites un cavalier....]
|
|
|
|
On ne veut pas vous faire du mal. Remettez-vous et répondez à M. le
|
|
gendarme qui vous interroge. Dites-lui ce que vous savez.
|
|
|
|
--Nous ne savons rien, nous, fit César avec désespoir.
|
|
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|
--Cela n'est pas possible. Vous voulez tromper la justice, dit le
|
|
gendarme; on sait toujours qui on est... Si vous ne me répondez pas, il
|
|
faudra pourtant que je vous arrête.
|
|
|
|
--Là! fit tout à coup la servante qui avait écouté à la porte, ces
|
|
pauvres enfants! il me fait mal de les voir en cet état. Ce n'est pas
|
|
eux qui ont fait le coup; j'en répondrais sur ma tête. Il faut être
|
|
aveugle pour ne pas voir qu'ils sont innocents.
|
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|
--Pourquoi donc alors qu'ils s'obstinent à garder le silence?
|
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|
|
--Ah! pourquoi? Je n'en sais rien, moi; mais soyez certains que s'ils
|
|
étaient coupables, ils répondraient. Les criminels ont réponse à tout.
|
|
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|
--C'est vrai, fit observer M. Robert. Voyons, mes enfants, un peu de
|
|
courage, et avouez si vous savez qui a mis le feu.
|
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|
|
--Comment, répondit enfin César, pourrions-nous savoir cela, puisque
|
|
nous ne connaissons pas le village que vous dites?
|
|
|
|
--Eh bien! reprit le gendarme, dites-nous seulement ce que font vos
|
|
parents?
|
|
|
|
--Ces enfants sont orphelins, fit M. Robert.
|
|
|
|
--Alors ils ont des oncles, des tantes, un tuteur, quelqu'un enfin qui
|
|
doit s'occuper d'eux et à qui nous allons les reconduire.»
|
|
|
|
César et Aimée, que l'idée d'être ramenés par les gendarmes à Joseph
|
|
Ledoux effrayait au delà de toute expression, ne desserrèrent point les
|
|
dents.
|
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|
«Vous vous taisez? Il va donc falloir se décider à nous suivre. Qui
|
|
que vous soyez, on ne peut vous laisser comme ça courir les chemins.
|
|
Ce n'est pas pour rien qu'on a inventé les colonies agricoles et
|
|
pénitentiaires.»
|
|
|
|
Sur ces entrefaites, un cavalier qui était entré dans la cour avec la
|
|
vitesse d'un ouragan, mit lestement pied à terre et pénétra dans la
|
|
salle.
|
|
|
|
«Qu'est-ce donc, messieurs les gendarmes? demanda-t-il.
|
|
|
|
--C'est ces deux petits rôdeurs que nous arrêtons, monsieur Richard.»
|
|
|
|
M. Richard, qui avait alors une douzaine d'années, était un fort beau
|
|
garçon dont la physionomie intelligente et gracieuse inspirait tout
|
|
d'abord de la confiance et de la sympathie. On se sentait disposé à
|
|
l'aimer même avant de le connaître. César et Aimée, qui, à travers leurs
|
|
larmes, pouvaient à peine le voir, devinèrent tout de suite que c'était
|
|
un ami, et se reprirent à espérer.
|
|
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|
CHAPITRE VIII.
|
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|
M. Richard Lebègue.--Mes amis travaillent.
|
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|
«Peut-on savoir, messieurs, demanda-t-il, de quoi sont accusés ces
|
|
enfants?
|
|
|
|
--Tout porte à croire, monsieur Richard, qu'ils ont des accointances
|
|
avec les incendiaires de Villeneuve-le-Roi, ou du moins qu'ils les
|
|
connaissent.
|
|
|
|
--Ou qu'ils les connaissent, répéta l'autre avec la fidélité d'un écho.
|
|
|
|
--Vous vous trompez, messieurs, les incendiaires sont arrêtés.
|
|
|
|
--Que m'apprenez-vous là, monsieur Richard? Ils sont arrêtés!... En
|
|
êtes-vous bien sûr?
|
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|
|
--Mon père donne en ce moment l'ordre de les diriger sur Versailles, où
|
|
ils seront jugés.
|
|
|
|
--Eh bien, tant mieux!... J'en suis bien aise, c'est une charge de moins
|
|
pour ces enfants.
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|
|
|
--A qui vous allez rendre la liberté, n'est-ce pas?
|
|
|
|
--Je le voudrais, monsieur Richard, puisque cela paraît vous faire
|
|
plaisir, mais je ne le puis. Vous les voyez ici en flagrant délit de
|
|
vagabondage, et M. le maire, votre papa, me blâmerait si je ne les
|
|
ramassais pas.
|
|
|
|
--Savez-vous qu'ils n'ont pas du tout l'air de grands criminels.... Si
|
|
je me chargeais d'eux, messieurs les gendarmes?...
|
|
|
|
--Votre protection ne saurait leur suffire; si c'était M. Lebègue, votre
|
|
papa, qui les prît sous la sienne, à la bonne heure!... Mais il ne le
|
|
ferait pas; il a bien assez des pauvres du pays. Ainsi, monsieur, nous
|
|
vous disons au revoir.
|
|
|
|
--Mon père va venir, attendez au moins que vous l'ayez vu.
|
|
|
|
--Oui, dit à son tour la servante, M. Richard a raison; attendez que
|
|
M. Lebègue ait vu ces pauvres enfants.... Il me fait peine, à moi, de
|
|
songer qu'ils vont partir comme cela.»
|
|
|
|
En ce moment, M. Lebègue entrait; mes amis, malgré leur trouble,
|
|
comprirent que c'était un personnage tout-puissant aux Granges, car à sa
|
|
vue, la servante avait délicatement ramené le coin droit de son tablier
|
|
sur la hanche gauche, et M. Robert s'était levé; quant aux gendarmes,
|
|
ils se tenaient au port d'arme et faisaient en sorte de ne point perdre
|
|
un pouce de leur dignité. Intérieurement ils se disaient: M. Lebègue,
|
|
qui est maire de Villeneuve, qui est membre du conseil général, qui a le
|
|
sous-préfet dans sa manche gauche, le préfet dans sa manche droite, sans
|
|
compter le député, le ministre, le gouvernement et tout le tremblement,
|
|
verra fort bien que les gendarmes Poulain et Benoist ont une excellente
|
|
tenue et sont parfaitement à leur affaire, et alors, en sa qualité
|
|
de père de ses administrés, il ne pourra se dispenser de faire nommer
|
|
lesdits gendarmes Poulain et Benoist, brigadiers dans quelque localité
|
|
plus importante que Villeneuve-le-Roi.
|
|
|
|
«Et vos incendiaires, mon père, sont-ils déjà sur la route de
|
|
Versailles? demanda Richard.
|
|
|
|
--Non, ceux que nous prenions pour des incendiaires sont d'honnêtes
|
|
ouvriers qui, cette nuit, étaient encore à Paris. Contrarié de la
|
|
méprise dont ils ont été victimes, je les ai fait remettre immédiatement
|
|
en liberté.»
|
|
|
|
Cette nouvelle surprit péniblement Richard, ainsi que Victoire et M.
|
|
Robert. Quant à mes amis, ils en furent atterrés.
|
|
|
|
M. Lebègue, était, en homme, le vivant portrait de Richard. Beaucoup
|
|
de gens l'appelaient M. Lebègue du Coudray, et lorsqu'un flatteur lui
|
|
écrivait, il ne manquait pas de mettre sur l'adresse, à M. le vicomte
|
|
du Coudray. Il était prouvé qu'à la dernière croisade, un vicomte du
|
|
Coudray avait fait des prodiges de valeur et occis tant de Sarrasins
|
|
qu'il s'était trouvé, après la bataille, momentanément paralysé des deux
|
|
bras. Ce héros, de retour en France, épousa une haute et puissante
|
|
dame, et il s'en suivit une longue lignée de vicomtes, de barons et de
|
|
chevaliers du Coudray, qu'on voit jusqu'à la Révolution apparaître de
|
|
temps à autre, au Louvre, à Saint-Germain, à Versailles, pour tâcher
|
|
de recueillir, en obtenant quelque emploi à la cour et à l'armée, une
|
|
faible partie des biens et des honneurs qu'ils pensaient leur avoir été
|
|
acquis à eux et à leurs descendants, jusqu'à la fin des siècles et même
|
|
au delà, par le bras solide et le sabre bien affilé de leur ancêtre,
|
|
Pierre du Coudray. Ces du Coudray disparurent à la Révolution, mais le
|
|
grand-père de M. Lebègue ayant épousé une demoiselle Ducoudray, dont le
|
|
père était procureur au Châtelet de Paris, des amis persuadèrent à ce
|
|
brave homme que sa femme descendait de l'illustre famille de ce nom.
|
|
Des parchemins furent trouvés, et il se fâcha plus d'une fois pour faire
|
|
consentir son fils à porter le titre de vicomte, ce que celui-ci refusa
|
|
constamment. Le père de Richard n'était pas non plus d'un caractère
|
|
à s'affubler d'une vicomté si peu certaine; mais le monde est plein
|
|
d'officieux et de flatteurs toujours prêts à spéculer sur la vanité des
|
|
gens riches ou influents. Heureusement pour lui, M. Lebègue n'était pas
|
|
la dupe de ces gens-là; il savait fort bien que s'il n'avait été qu'un
|
|
pauvre diable, personne n'eût songé à lui persuader qu'il était le
|
|
descendant de Pierre du Coudray.
|
|
|
|
Si vous voulez devenir des hommes, mes petits lecteurs, faites comme
|
|
lui; ne souffrez pas qu'on vous trompe, et ne cherchez point à tromper
|
|
les autres. On va peut-être dire que je risque, en vous parlant ainsi,
|
|
de dessécher votre coeur. Entendons-nous: je serais désolée de détruire
|
|
les illusions qui doivent charmer votre jeunesse, mais que doit-on
|
|
comprendre par des illusions, si ce n'est l'amour de tout ce qui est
|
|
véritablement noble, grand, généreux, élevé. Eh bien! ces illusions-là,
|
|
ayez-les, et faites en sorte qu'elles deviennent des réalités. Pour
|
|
votre part, croyez au bien et faites-le, aimez les sentiments élevés,
|
|
les passions généreuses, et soyez vous-mêmes susceptibles de
|
|
grandeur d'âme et de dévouement; c'est un sûr moyen de n'être jamais
|
|
désillusionné. Mais sont ce des illusions bien enviables que de se
|
|
tromper volontairement sur soi et sur les autres? Et y a-t-il jamais
|
|
nécessité de croire qu'un flatteur est un homme sincère ou qu'on soit un
|
|
héros, parce qu'il se pourrait qu'on eût parmi ses ancêtres un individu
|
|
qui ait cassé la tête à vingt-trois Sarrasins en un seul jour; à prendre
|
|
enfin le mal pour le bien, le faux pour le vrai, et l'injuste pour le
|
|
juste?
|
|
|
|
Réfléchissez à cela, et dites ce que vous en pensez.
|
|
|
|
Quant à M. Lebègue, disons, pour finir, que c'était un brave et digne
|
|
homme plein de coeur et d'intelligence; mais qu'il n'avait aucun préfet
|
|
dans sa manche, et ne jouissait auprès de l'administration que du crédit
|
|
qu'obtient ordinairement un homme distingué et dépourvu d'ambition qui
|
|
veut se rendre utile à ses concitoyens. Il faisait valoir ses biens
|
|
lui-même, quoique sa fortune fût assez considérable pour lui
|
|
procurer une oisiveté opulente. Mais il n'aimait point le vide et le
|
|
désoeuvrement que traîne inévitablement avec elle la vie oisive et
|
|
purement mondaine.
|
|
|
|
D'un autre côté, il s'était dit qu'il pouvait rendre quelques services
|
|
à ses semblables et à son pays en utilisant sa grande fortune à
|
|
expérimenter les nouvelles découvertes en agriculture, et à les faire
|
|
adopter lorsqu'elles seraient lucratives et susceptibles d'améliorer
|
|
le sort des pauvres cultivateurs. Et voyez comme la Providence favorise
|
|
ceux qui font le bien avec intelligence: à ce métier, M. Lebègue n'avait
|
|
point diminué ses revenus; il ne les avait pas augmentés non plus, par
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exemple. Mais cela lui importait peu; il n'entrait point dans ses vues
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de spéculer.
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Maintenant, revenons à César et à Aimée. M. Lebègue fut frappé de leur
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désespoir.
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«Qu'est-ce qui afflige donc si fort ces enfants?» demanda-t-il.
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Le gendarme expliqua leur affaire.
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«Qu'ils se rassurent, dit M. Lebègue, ils ne seront pas arrêtés comme
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incendiaires. Ce sont bien certainement les saltimbanques qui ont mis
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le feu,--on a des preuves--et parmi leurs enfants, il n'en est aucun qui
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ressemble à ce petit garçon et à cette petite fille.
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--A la bonne heure! s'écria Richard.
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--Cependant, comme on ne peut laisser deux enfants courir les grands
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chemins et vagabonder de village en village, je dois les faire arrêter,
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et si personne ne les réclame, on les enverra dans quelque maison de
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correction.
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--Il paraît, dit Richard, qu'ils étaient venus pour demander à M. Robert
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de les occuper.
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--C'est une excellente note pour eux.
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--Pensez-vous, mon père, qu'ils soient capables de travailler?
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--Mais sans doute, pourquoi pas? Ils peuvent à cette époque de l'année
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rendre dans les champs les mêmes services que les autres enfants de leur
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âge.
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--Alors, mon père, si vous leur donniez de l'ouvrage?
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--C'est impossible, mon ami, il n'y en a pas pour eux ici.
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--Mais si je vous priais de leur en créer.
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--Il me faudrait te refuser; j'ai encore dans le village deux ou trois
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enfants pauvres qui ne sont pas occupés, et auxquels garder ceux-ci
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serait nuire. D'ailleurs, mon ami, je ne puis donner asile à des enfants
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qui ne veulent pas se faire connaître.
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César, se doutant bien que c'était là le M. Lebègue dont avaient parlé
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les paysans d'Orly, se décida à raconter ce qui leur était arrivé, à lui
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et à sa soeur, depuis la rencontre de la dame aux vingt francs, et ne
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cacha point l'effroi que leur avait causé la perspective d'être ramenés
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chez Joseph par les gendarmes.
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M. Lebègue prit enfin le parti de garder les deux enfants à la ferme. Il
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devait voir Mme de Senneçay le surlendemain, et comptait s'entendre avec
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elle sur ce qu'il convenait de faire pour eux. En attendant, M. Robert
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fut chargé de prendre des informations sur Joseph, et Richard, remontant
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immédiatement le petit cheval gris pommelé qui l'attendait dans la
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cour,--et qui était un arabe pur-sang,--se rendit à Orly, pour demander
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à Florentin et à Florentine, avec qui il avait joué plus d'une fois chez
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Mme de Senneçay, ce qu'ils savaient de ses protégés.
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Les gendarmes, n'ayant plus rien à faire aux Granges, jugèrent
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convenable de se retirer, non sans avoir toutefois vidé une seconde
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fois leurs verres et salué militairement, en gendarmes bien appris, M.
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Lebègue, M. Richard et leur compagnie.
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A votre place, mes petits lecteurs, je croirais certainement que César
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et Aimée en ont fini avec leur vie de misère, et qu'ils vont mener
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désormais une existence paisible et laborieuse aux Granges, sous la
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protection de Richard et de son père. Mais, il ne faut pas nous le
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dissimuler, tout est surprise pour nous dans la vie, et presque
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toujours la Providence, qui a des vues opposées aux nôtres, déjoue nos
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combinaisons les mieux établies, et empêche nos projets les plus chers
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de se réaliser.
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Victoire se chargea de César et d'Aimée pour le reste de la journée. La
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bonne fille était enchantée d'avoir ces deux enfants qui la suivaient
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partout et l'aidaient avec empressement dans les soins du ménage. Le
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soir, elle les fit coucher dans une chambre, à côté de la sienne, et le
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lendemain, dès cinq heures, elle les réveillait pour leur faire prendre
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tout de suite les habitudes salutaires de la campagne, où tout le monde
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est sur pied au petit jour. Seulement, comme il y avait une forte
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rosée, on dut attendre jusqu'à huit heures pour se rendre aux champs.
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Il s'agissait d'énieller les jeunes blés. C'était un travail charmant et
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des plus simples; à l'aide d'une toute petite bêche, qui n'a pas plus
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de cinq à six centimètres de large, on coupe la plante, qu'on ramasse
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ensuite pour s'assurer qu'elle est bien détruite. Aux granges, il
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fallait rapporter toutes les nielles ou nigelles, si vous le préférez, à
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M. Robert, qui jugeait du travail que chacun avait fait par la quantité
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de plantes qu'il lui rapportait.
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César et Aimée, à laquelle Victoire avait donné un grand chapeau de
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paille à cause du soleil, qui, à la mi-avril, est déjà très-chaud,
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partirent donc à huit heures en compagnie de six enfants de leur âge que
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dirigeaient deux vieilles femmes. Ils furent bientôt au courant de ce
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travail élémentaire et, pour contenter M. Robert, s'y livrèrent
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avec ardeur. Ce n'était pas l'affaire des autres, qui n'en prenaient
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ordinairement qu'à leur aise; mais cependant la matinée se passa bien.
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A midi, ils revinrent à la maison pour dîner. M. Lebègue leur fit
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compliment, et Richard, qui se trouvait là, leur remit une petite pièce
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de cinq francs à compte sur leur travail. Hélas! c'était trop de bonheur
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à la fois!... Balthasar, sans montrer un enthousiasme excessif, se
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faisait fort bien à ce nouveau genre de vie; d'autant mieux que
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Matamore le voyait maintenant d'un très-bon oeil et lui faisait un
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petit grognement amical chaque fois qu'il passait devant sa loge.
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L'intelligent caniche allait sans cesse de la ferme aux champs, où il
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regardait ses maîtres travailler, et des champs à la ferme, où il avait
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entrepris de se rendre utile en empêchant les poules de venir picoter le
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petit blé qu'on donnait aux brebis. Certes, l'emploi que s'était
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adjugé Balthasar n'était pas une sinécure; il fallait, pour le remplir
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consciencieusement, dépenser beaucoup d'instinct et une surveillance
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de tous les instants; mais Victoire, qui le voyait monter la garde ou
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courir tout haletant au grand soleil, le récompensait et l'encourageait
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en lui donnant de temps à autre une tasse de lait.
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Les choses durèrent ainsi deux jours; le troisième au matin, rien encore
|
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ne faisait prévoir qu'elles dussent changer. Seulement, à midi, les
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enfants apprirent de Victoire que M. Robert était absent pour une partie
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de la journée et que M. Lebègue et Richard montaient en voiture pour se
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rendre chez Mme de Senneçay. Nos amis savaient que c'était pour eux
|
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que M. Lebègue s'absentait; néanmoins leur coeur se serra en apprenant
|
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qu'ils allaient rester toute une après-midi sans voir leurs protecteurs.
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Vous savez, mes petits lecteurs, que leurs camarades, dès le premier
|
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jour, leur avaient montré de la mauvaise humeur. On leur en voulait
|
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parce qu'ils travaillaient bien. D'un autre côté, on les regardait
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comme des intrus qui étaient venus faire du tort aux enfants du village.
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Jusqu'alors on s'était contenté de leur montrer les dents parce qu'on
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craignait M. Lebègue et M. Robert; mais aussitôt qu'on sut ces messieurs
|
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absents, on organisa une cabale pour obliger mes amis à quitter les
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Granges le jour même. Parmi les six enfants qui travaillaient avec eux,
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il y avait quatre garçons; ces quatre s'étaient renforcés de deux autres
|
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qui étaient venus censément en amateurs, parce qu'ils trouvaient que
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c'était une heureuse manière d'employer leur congé du jeudi. C'était ce
|
|
qu'ils disaient du moins, mais la vérité est que les autres les avaient
|
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été chercher. A une heure, au lieu de se mettre à l'ouvrage, on resta
|
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sur la route à jouer aux billes. César et Aimée, suivis des deux
|
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vieilles femmes, travaillèrent comme de coutume. Les gamins voulurent
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les forcer à jouer avec eux; mes amis résistèrent; une bataille
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s'engagea. Ces mauvais sujets n'eurent point honte de leur nombre, six
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contre deux, et frappèrent comme des lâches qui se sentent en force.
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|
Les deux autres petites filles et les vieilles femmes, tranquillement
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assises sur leurs paniers, regardaient cette lutte sauvage d'un oeil
|
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calme et, disons-le, presque content; ces créatures bornées, croyant que
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|
les habitants du village, seuls, avaient droit à la bienfaisance de M.
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|
Lebègue, voyaient avec humeur ces étrangers qui la partageaient avec
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eux. Balthasar, qui était accouru au secours de ses maîtres, mordait à
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belles dents au hasard dans le bataillon ennemi; il atteignit enfin un
|
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mollet plus tendre ou plus sensible que les autres; le gamin blessé se
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retourna et appuya si cruellement son pied, grossièrement chaussé d'un
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sabot, sur la patte du malheureux chien, qu'on put la croire broyée. Le
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pauvre Balthasar en perdit presque connaissance. César le prit dans ses
|
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bras, et laissant sur la place sa bêche et son panier, s'enfuit à toutes
|
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jambes avec Aimée qu'il tenait par la main. Ils voulaient retourner
|
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aux Granges, mais les autres s'arrangèrent de manière à leur couper
|
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le chemin. Les pauvres enfants se sauvèrent comme ils purent à travers
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champs pendant plus d'une heure, jusqu'à ce qu'enfin ils eussent perdu
|
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leurs ennemis de vue.
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[Illustration: Balthasar mordait à belles dents.]
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Le soir, Victoire témoigna une grande surprise en ne les voyant point
|
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rentrer. «Il est inutile de les attendre, dirent les vieilles femmes.
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Ce sont de petits paresseux; comme il les ennuyait de travailler
|
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assidûment, ils ont planté là le panier et la bêche, et se sont enfuis
|
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avec leur chien.
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--Il y a quelque chose là-dessous, dit la bonne Victoire tout attristée;
|
|
mais si vous ne dites pas la vérité, M. Lebègue saura bien la découvrir.
|
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|
--M. Lebègue? Il verra combien il a eu tort de s'intéresser à des
|
|
enfants qu'il ne connaissait point, à des étrangers, à des vagabonds
|
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qu'il n'aurait pas même dû garder chez lui une heure. N'y a-t-il pas
|
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d'ailleurs assez de monde dans la commune pour faire son ouvrage?»
|
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|
Quand M. Robert rentra, tout le monde à la ferme était couché depuis
|
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longtemps; il était trop tard pour envoyer à la recherche de mes
|
|
malheureux amis. M. Lebègue revint aux Granges le lendemain soir
|
|
seulement. Le samedi, dès le matin, il envoya des courriers dans toutes
|
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les directions pour savoir ce qu'étaient devenus les enfants; mais on ne
|
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les rencontra point; personne n'avait entendu parler d'eux.
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CHAPITRE IX.
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En flânant.--Une nouvelle connaissance.
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Encore une fois César et Aimée se retrouvèrent seuls. Il est vrai
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qu'ils avaient maintenant de quoi vivre, mais ce n'était qu'une chétive
|
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consolation. Croyez bien, mes petits lecteurs, qu'ils auraient abandonné
|
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de bon coeur leur belle petite pièce de cinq francs pour demeurer
|
|
toujours auprès du jeune M. Richard, qui s'était montré si bon pour eux.
|
|
Mais, hélas! il est bien rare qu'en ce bas monde on obtienne comme cela,
|
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tout de suite et sans effort, les choses qu'on désire le plus. Il n'est
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|
donné à personne de régler sa destinée.
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Je ne veux point les suivre pas à pas, cela manquerait d'intérêt. Ils
|
|
allaient, ils allaient!... suivant Balthasar, qui, bien qu'il n'eût
|
|
que trois pattes à sa disposition, se montrait infatigable. Ils se
|
|
nourrissaient comme ils pouvaient, mangeant la plupart du temps du pain
|
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dont ils partageaient la mie avec les oiseaux.
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|
Quoiqu'ils eussent un regret profond de ne plus demeurer à la ferme des
|
|
Granges, où ils avaient trouvé en Victoire une si excellente amie, ils
|
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vécurent comme cela deux jours dans la paix et l'insouciance, abusant
|
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un peu, pour jouer et courir, de cette liberté qu'ils goûtaient pour
|
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la première fois. Quand Balthasar les voyait occupés à construire des
|
|
maisons avec les pierres de la route, ou bien à creuser des canaux
|
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en travers d'un chemin pour mettre en communication des fossés pleins
|
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d'eau, il s'asseyait sur son derrière, et, sérieux comme un quaker, il
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montrait par sa mine grave et impassible que ces jeux ne lui plaisaient
|
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pas. Mais les enfants n'y prenaient point garde et, comme si de rien
|
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n'était, continuaient de perdre agréablement le temps. D'autres fois le
|
|
brave chien impatienté prenait le parti de s'enfuir pour les arracher
|
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à ces occupations oiseuses. Cela réussissait toujours; dès qu'ils
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|
apercevaient Balthasar au loin, ils s'empressaient de courir pour le
|
|
rattraper; le caniche satisfait y mettait de la complaisance et revenait
|
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sur ses pas. Et l'on marchait ensuite pendant une heure ou deux sans
|
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songer à jouer.
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Une après-midi que le temps était à l'orage, ils s'étaient encore
|
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arrêtés, et sans souci des heures qui fuyaient, s'attardaient à
|
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l'édification d'une jolie maison bourgeoise. Cela marchait tout à fait
|
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bien: le rez-de-chaussée était solide et sagement distribué. On avait
|
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fait un plancher comme on avait pu, avec quelques tiges de sureau vert
|
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et des brindilles de hêtres ramassées au pied d'une pile de fagots. Ce
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n'était pas, à vrai dire, d'une élégance recherchée; mais on pouvait
|
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fort bien s'en contenter, surtout si l'on avait des goûts modestes;
|
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quant au deuxième étage, il montait; encore un peu, et mes amis, se
|
|
faisant charpentiers, allaient poser la toiture, une série de petites
|
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lattes qu'ils avaient taillées dans des copeaux, lorsqu'ils s'aperçurent
|
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que Balthasar n'était plus là. Ils se trouvaient à quelques centaines
|
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de pas d'un village appelé Viry. Alors, et sans se soucier d'achever
|
|
une oeuvre qui devait cependant leur donner de grandes satisfactions
|
|
d'amour-propre, ils se mirent, sans perdre une minute, à courir dans la
|
|
direction du village. Mais comme ils étaient sur le point de s'engager
|
|
dans la rue principale, ils se rencontrèrent avec une troupe de paysans
|
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qui en sortaient, tous armés de fourches, de brocs, de serpes et
|
|
marchant à la poursuite de quelque chose que mes amis virent passer
|
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devant eux, comme un point blanc qui fuyait avec une rapidité
|
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vertigineuse. Derrière les hommes, des femmes et des enfants accouraient
|
|
en poussant des clameurs: «Au chien enragé! au chien enragé! criait-on,
|
|
fermez vos portes!» César et Aimée, effrayés comme les autres,
|
|
regardèrent en avant pour comprendre un peu de quoi il s'agissait.
|
|
Hélas! mes bons petits lecteurs, le point blanc c'était Balthasar!... à
|
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ce qu'ils pensèrent du moins, mais il était si loin déjà qu'on pouvait
|
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s'y tromper.... A leur tour, ils crièrent: «Si c'est Balthasar, ne lui
|
|
faites pas de mal; il n'est pas méchant.»
|
|
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|
Mais les paysans n'entendaient point et couraient toujours. Enfin tout
|
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le monde s'arrêta, et un profond silence régna au milieu de cette foule
|
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qui tout à l'heure poussait des cris de forcené. Une lutte s'engagea
|
|
entre un des hommes et le chien; lutte effroyable, car l'homme, un jeune
|
|
garçon de dix-huit ans, n'avait pour toute arme qu'une fourche à dents
|
|
de fer.
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|
|
|
Je vous laisse à penser si l'anxiété était vive parmi les spectateurs,
|
|
au milieu desquels se trouvait la mère du jeune garçon. Par moment on se
|
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flattait que tout était fini; mais tout à coup le chien, qu'on avait
|
|
cru terrassé, reparaissait bondissant d'un autre côté, et la pauvre
|
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mère gémissait à fendre l'âme. Cela dura ainsi deux ou trois minutes qui
|
|
parurent des siècles.
|
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|
[Illustration: Le jeune homme souleva avec sa fourche le cadavre du
|
|
chien.]
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|
Enfin le jeune homme, demeuré vainqueur, souleva avec sa fourche le
|
|
cadavre du chien qu'il montra à la foule. Cette vue opéra un soulagement
|
|
immense, et tous les coeurs se dilatèrent. Ce fut à qui se précipiterait
|
|
pour féliciter le jeune héros et s'assurer qu'il n'était pas blessé.
|
|
Plus le danger avait été grand, plus on se montra joyeux. Les enfants
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du village couraient, chantaient et dansaient dans la rue. Les grandes
|
|
personnes, elles-mêmes, parlaient et riaient avec une verve qui
|
|
ressemblait à de la frénésie.
|
|
|
|
Après s'être bien assuré que le monstre était mort, on creusa dans un
|
|
guéret une fosse profonde de plusieurs pieds; on y jeta le cadavre qu'on
|
|
recouvrit de terre, et tout fut fini. Mais alors César et Aimée, à qui
|
|
l'idée que c'était leur ami qu'on venait d'enterrer là ne laissait aucun
|
|
repos, se mirent à appeler Balthasar à grands cris. Ce qu'entendant
|
|
les petits paysans, ils ramassèrent des cailloux sur la route et
|
|
poursuivirent les deux pauvres enfants fort loin à coups de pierres, et
|
|
leur auraient fait un mauvais parti, s'il ne s'était rencontré un bois
|
|
où les malheureux se réfugièrent.
|
|
|
|
Là ils s'accroupirent sur l'herbe et se livrèrent tout entiers à
|
|
la douleur d'avoir perdu Balthasar. C'en était donc fait! Ils
|
|
ne reverraient plus leur fidèle et dévoué compagnon!... Et ils
|
|
pleuraient!.. On n'a pas l'idée d'un tel désespoir. Aimée, le visage
|
|
enfoui dans son tablier et la tête appuyée sur ses genoux, sanglotait
|
|
à faire pitié. César, en homme qu'il était déjà, pleurait plus
|
|
silencieusement: mais son chagrin, pour être plus calme, n'en était pas
|
|
moins profond!...
|
|
|
|
Par moment, cependant, ils cessaient de pleurer; une voix intérieure, un
|
|
pressentiment leur disaient que Balthasar était vivant; que ce n'était
|
|
pas lui que le jeune paysan avait tué. Et d'ailleurs pourquoi ces gens
|
|
auraient-ils fait mourir Balthasar, qui était si doux et si inoffensif?
|
|
Un chien enragé!... Si leur ami eût été frappé d'un tel malheur, n'en
|
|
auraient-ils point remarqué quelques symptômes?... Mais Balthasar se
|
|
portait bien;... le matin même il avait déjeuné de bon appétit avec
|
|
eux.... Ce chien qu'on avait enterré et qui ressemblait si fort à
|
|
Balthasar, ils ne l'avaient point vu de près; pourquoi n'en serait-ce
|
|
pas un autre?...
|
|
|
|
Oui, sans doute, ce pouvait être un autre chien; mais pourquoi aussi
|
|
Balthasar ne se montrait-il pas, s'il était vivant? Pourquoi ne
|
|
venait-il pas rassurer ses maîtres et leur dire, ne vous désolez plus;
|
|
me voici?... Ah! mon Dieu! ces pressentiments n'étaient-ils donc que de
|
|
faux espoirs destinés à faire paraître la réalité plus amère encore. Une
|
|
telle incertitude était intolérable.... Mais Balthasar était mort;
|
|
il n'en fallait plus douter! Et les pauvres enfants se remettaient à
|
|
pleurer.
|
|
|
|
Combien de temps demeurèrent-ils en cet état? Nous ne saurions le dire;
|
|
ni eux non plus, bien certainement. Néanmoins, il est permis de supposer
|
|
que cela durait depuis plus de deux heures, parce que la clarté du
|
|
jour était sensiblement diminuée, lorsqu'ils furent, pour ainsi dire,
|
|
réveillés, rappelés à la vie par un léger bruit, une espèce de froufrou
|
|
qui se produisit dans le feuillage épais du fourré, à quelques pas
|
|
d'eux. Ils relevèrent la tête; quelque chose rampait dans l'herbe en
|
|
se dirigeant de leur côté. Or ce quelque chose, mes petits lecteurs,
|
|
c'était Balthasar!... Balthasar encore tout tremblant et tout effrayé,
|
|
mais joyeux cependant. D'un bond, il sauta sur les genoux d'Aimée, qui
|
|
l'embrassa comme un enfant; puis sur ceux de César, qui l'examina avec
|
|
attention pour s'assurer qu'il n'était pas blessé. Balthasar n'avait
|
|
aucune trace de blessure sur sa petite personne. Définitivement, ce
|
|
n'était pas lui que le jeune paysan avait transpercé d'une fourche. Tout
|
|
cela était fort heureux, et on avait lieu de s'en réjouir. Mais pourquoi
|
|
M. Balthasar avait-il causé tant d'inquiétudes à ses maîtres, en
|
|
demeurant si longtemps loin d'eux après ce qui s'était passé?... Si
|
|
Balthasar avait pu répondre, il leur aurait appris qu'on avait fait
|
|
un véritable massacre de chiens à Viry, et que jusqu'à cette heure il
|
|
n'aurait pu, sans risquer sa vie, sortir de la retraite qu'il avait
|
|
heureusement trouvée dans la demeure qu'un renard s'était jadis creusée
|
|
sous une meule de foin.
|
|
|
|
César et Aimée, absorbés par la joie d'avoir retrouvé leur fidèle
|
|
serviteur, n'avaient point remarqué que le temps s'était couvert au
|
|
coucher du soleil, et que la nuit s'avançait sombre et effrayante comme
|
|
ils ne l'avaient encore jamais vue. Une pluie fine et glacée vint leur
|
|
rappeler qu'il était temps de chercher un gîte. Un gîte!... Ce mot les
|
|
jeta dans des appréhensions terribles. Sans être des logiciens d'une
|
|
force remarquable, ils raisonnaient suffisamment pour comprendre qu'il
|
|
serait imprudent d'aller avec Balthasar demander un gîte aux habitants
|
|
de Viry. Après le drame de l'après-midi, ces braves gens ne devaient pas
|
|
voir d'un bon oeil des chiens étrangers dans leur village.
|
|
|
|
Après s'être consultés, mes amis se dirigèrent d'un autre côté, et
|
|
malgré une obscurité, devenue tout à coup épaisse, se mirent à marcher
|
|
d'un bon pas, espérant atteindre en peu d'instants un hameau, une ferme,
|
|
une maisonnette, quelque chose enfin où on voulût bien leur permettre de
|
|
passer la nuit.
|
|
|
|
La pluie, comme je vous ai dit, tombait fine, serrée, froide, et le
|
|
vent, qui soufflait avec violence, gémissait tristement dans les arbres
|
|
et courait dans la plaine en poussant des hurlements de bêtes fauves.
|
|
C'était lugubre. D'un autre côté, comme mes amis recevaient ce vent et
|
|
cette pluie en plein visage, leur marche était pénible, ils n'avançaient
|
|
que difficilement et se fatiguaient beaucoup. Aimée, pour se garantir
|
|
les mains et la figure, avait relevé sa jupe sur sa tête. Quant à César,
|
|
habitué depuis longtemps aux intempéries et moins sensible qu'Aimée, il
|
|
marchait héroïquement sous la pluie, ne la sentant presque pas, tant il
|
|
avait hâte d'arriver et de procurer un abri à sa soeur.
|
|
|
|
Mais il est des jours où une fatalité malheureuse semble nous
|
|
poursuivre, et où l'on dirait, si on n'était chrétien, que la Providence
|
|
a cessé de veiller sur nous. Ces jours-là, nos efforts demeurent
|
|
inutiles, nos espoirs les mieux fondés nous trompent, et le but que nous
|
|
voulons atteindre nous échappe ou recule à mesure que nous avançons,
|
|
comme ces mirages que voient, dit-on, fuir devant eux les voyageurs qui
|
|
traversent le désert. Vous, mes petits lecteurs, vous savez que ce sont
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là des jours d'épreuve que le bon Dieu nous envoie pour affermir notre
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courage et fortifier notre âme. Mais César et Aimée n'étaient en réalité
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ni chrétiens, ni païens, et n'avaient point la douce consolation de se
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recommander à la bonté divine. Si tout récemment ils avaient appris
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à réciter quelques prières, ce n'étaient pour eux que des mots sans
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signification et dont le sens leur échappait.--Les pauvres enfants
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avaient beau marcher, rien ne leur apparaissait; c'était à croire que
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le chemin qu'ils avaient pris ne conduisait à aucune habitation. Le
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découragement allait s'emparer de leur esprit, lorsque tout à coup une
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lueur, une sorte d'éclair passa à côté d'eux, non loin de la route.
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«Chienne de pluie! fit en même temps une voix odieusement éraillée,
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quoique fort jeune encore; elle est cause que mes allumettes ne veulent
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pas mordre et que je ne pourrai fumer ce soir. Comme c'est gai de
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passer une jolie soirée comme celle-ci en tête à tête avec son propre
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répertoire!... Et pas seulement un billard!... C'est-il sciant!... Vrai,
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ce pays n'est pas habitable, on s'y croirait dans le grand désert....
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Aïe! ratée! encore une!... Elles y passeront toutes!... Décidément, je
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n'y prolongerai pas mon séjour, et demain, avant le lever de l'aurore,
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je secoue la poussière de mes sandales et dirige mes pas vers des
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contrées plus hospitalières!»
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Balthasar, comme réveillé en sursaut par ce monologue, ne fit qu'un bond
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du chemin dans les terres.
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«Ah! ah! reprit aussitôt la voix, qu'est-ce que c'est que cela? Un
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camarade? Hé! l'ami, on n'entre pas ainsi chez les gens bien élevés,
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sans crier gare!... On se fait annoncer, que diable!... Qu'es-tu? chien,
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renard, tigre, panthère?... Pristi! mon cher, fais donc entendre un peu
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ta voix pour que je sache au moins qui j'ai l'honneur de recevoir?
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--Balthasar, Balthasar! appelaient mes amis.
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--Est-ce que c'est toi qu'on appelle Balthasar? Viens un peu me dire
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cela!»
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Tout en parlant, le propriétaire de la voix éraillée avait réussi à
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faire prendre une allumette.
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«Bah! dit-il à Balthasar lorsqu'il l'eut examiné, tu n'es qu'un simple
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caniche, et un caniche mouillé, ce qui ne rehausse pas d'un centimètre
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ta position sociale. N'importe! tu as l'air intelligent, et l'esprit est
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de toutes les conditions.»
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César et Aimée, guidés par la lumière, avaient suivi Balthasar, et
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étaient entrés dans une de ces petites huttes en terre, comme en élèvent
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à peu de frais les paysans pour se faire un abri et resserrer les outils
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qui leur servent aux travaux des champs. Là, ils trouvèrent Balthasar en
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compagnie d'un jeune garçon qui allumait gravement une grosse pipe.
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«Tiens, Balthasar, fit ce garçon, voici tes maîtres qui viennent te
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réclamer. Disons-nous adieu.»
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Mais Balthasar ne bougeait. César et Aimée étourdis, stupéfiés et comme
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ahuris par le vent, la pluie et la fatigue, restaient bouche béante,
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regardant sans voir et écoutant sans entendre.
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«Tu ne comprends donc pas, Balthasar? dit le garçon à la pipe; adieu,
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mon pauvre ami!»
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Mais tous trois, le caniche et ses maîtres, gardèrent la même
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immobilité.
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«Tiens, tiens! s'écria le jeune garçon en riant, c'est drôle, ça, tout
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de même! Dites donc, vous autres, est-ce que vous n'allez pas bientôt
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partir?»
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Les enfants étaient timides, ils n'osèrent répliquer.
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«Viens, Balthasar, allons-nous-en,» dit César avec découragement.
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Balthasar fit comme s'il n'avait pas entendu.
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«Bon! fit le jeune garçon, je vois ce que c'est. Toi, mon Balthasar, tu
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es un chien d'esprit; tu te dis en toi-même: assez comme cela de pluie,
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de vent et de crotte; au tour des autres si le coeur leur en dit! Moi,
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je suis bien ici et j'y reste. C'est-y pas vrai, hein, mon vieux, que tu
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te dis cela?»
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Et il passa la main sur le dos du caniche.
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«Et ces enfants qui sont nos maîtres, allons-nous donc les laisser
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partir comme cela?
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--Nous ne partirons pas sans lui, dit Aimée, qui reprenait peu à peu
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possession de ses idées.
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--Et le papa? et la maman qui nous attendent en faisant le feu et en
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préparant la soupe aux choux?... Ah! mais non, vous ne resterez pas
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ici.... C'est moi qui n'entends point ainsi les choses!... On viendrait
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vous y chercher.... ça me dérangerait.... Pas d'imprudence, mes mignons;
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ne compromettez pas les honnêtes gens qui laissent le prochain dormir en
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paix.
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--Personne ne nous attend, dit César.
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--Pas possible! Et où allez-vous donc comme cela?
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--Nulle part....
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--Tiens! c'est ça qui est commode!... Alors si je vous offrais
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l'hospitalité dans ma résidence aussi champêtre que modeste,
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accepteriez-vous?
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--Si cela ne vous gêne pas, répondit naïvement César.
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--Comment donc, fit l'autre, d'un ton cérémonieux, enchanté de vous
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faire plaisir!... Et d'ailleurs, vous savez, où il y a de la place pour
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un il y en a pour quatre!... en se serrant un peu...»
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Puis changeant de ton:
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«C'est moi que ça embêtait de passer la nuit comme ça tout seul au
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milieu des champs!... A présent, nous allons rire, pas vrai? Pour
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commencer, faisons du feu; j'ai vu du bois par ici.... Voilà une
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heureuse idée d'avoir entassé des fagots dans ce coin!...
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--Cette maison est donc à vous? demanda César.
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--A moi? Ah çà, d'où sors-tu donc, toi? A moi?... Parbleu! si elle est à
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moi!
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--Je n'ai pas dit cela pour vous fâcher.
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--C'est bon, je ne suis pas susceptible;... voyons, voulez-vous vous
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approcher du feu et sécher vos habits?
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--Ce n'est pas de refus, dit César en faisant placer commodément Aimée;
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après quoi il s'approcha à son tour, et tous trois, ou plutôt tous
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quatre, car Balthasar était de la partie, se chauffèrent joyeusement.»
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A la lueur du foyer, mes amis purent examiner leur hôte: c'était, au
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premier abord, un enfant d'une douzaine d'années, mais, en réalité, il
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en avait quatorze, peut-être quinze. Ses vêtements étaient ceux d'un
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ouvrier; seulement il portait des souliers vernis,--misérablement
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éculés, par exemple!--et avait la main fine et blanche, sinon propre,
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des gens qui ont vécu dans l'oisiveté. En somme, c'était un
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assez singulier personnage; et sa physionomie encore plus maligne
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qu'intelligente ne plaisait qu'à moitié à mes amis. Mais, vous le savez,
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on n'a pas toujours la liberté de choisir son hôte.
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Le feu était bon et brûlait bien; le prétendu maître du logis
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n'épargnait point le bois. De plus, la hutte n'était point, comme vous
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pourriez le croire, encombrée de fumée, car le jeune garçon avait eu
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l'esprit de faire le feu sous une espèce de lucarne percée au levant,
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laquelle, ce soir-là, remplit fort bien l'office d'une excellente
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cheminée. César et Aimée furent bientôt réchauffés; intérieurement ils
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en remerciaient leur hôte, et, malgré le peu de sympathie qu'il leur
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inspirait, se sentaient tout pleins de bons sentiments à son égard.
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Petit à petit, ils reprirent de l'assurance, et bientôt, quittant
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l'attitude d'oiseaux effrayés qu'ils avaient en arrivant, ils
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hasardèrent un coup d'oeil autour d'eux pour voir comment était faite
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leur demeure momentanée.
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«Dame! fit le jeune garçon qui avait suivi leur regard, c'est moins
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somptueux que le palais des Tuileries.... Mais s'il manque par ci par
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là quelques dorures, du moins les toiles d'araignées abondent.... Bast!
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c'est toujours assez bon pour un jour de pluie....»
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Puis il reprit après un court moment de silence:
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«A propos, n'est-il pas l'heure de souper.... Qui est-ce qui soupe ici?»
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Nos amis sortirent de leur poche un morceau de pain rassis, qu'ils se
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mirent bravement à manger.
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«Si le coeur vous en dit, nous le partagerons avec vous? proposèrent-ils
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honnêtement à leur nouveau camarade.
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--Bon! fit celui-ci, c'est là tout ce que vous avez à offrir?... Comme
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on se fait des idées.... Moi, je vous aurais crus mieux approvisionnés
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que ça.»
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Alors, furetant de tous cotés dans la hutte, il finit par découvrir deux
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ou trois sacs de pommes de terre qu'on avait cachés sous de la paille.
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Ouvrir un sac, en choisir une douzaine, rejetant celles qui n'étaient
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pas assez fraîches pour garder les plus saines et les plus belles, et
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les disposer convenablement sous les cendres chaudes, fut l'affaire d'un
|
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instant.
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«Que faites-vous là? demanda César.
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--Ce que je fais?... Parbleu! avec ça que c'est difficile à comprendre.
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Ne vois-tu pas, jeune sauvage, que je prépare un souper excellent avec
|
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des pommes de terre que j'ai empruntées à mon propriétaire?
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--Elles ne vous appartiennent donc pas?
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--Peuh!... Il y a du pour et du contre....
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--Je croyais que tout ici vous appartenait?
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--Ah çà, vas-tu me chicaner pour quelques méchantes pommes de terre que
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le propriétaire de cette cabane a peut-être volées à son voisin?
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[Illustration: Le feu était bon et brûlait bien.]
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--Si elles ne sont pas à vous, dit César, qui se rappelait ce qu'on
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lui avait recommandé à Orly, vous avez tort d'en prendre. Pourquoi ne
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voulez-vous pas de notre pain?
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--Voilà qui est fort!... Vas-tu me faire poser bien longtemps comme
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cela, et te mettre sur le pied de faire ta tête à mes dépens? Voyez un
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peu ce Don Quichotte en herbe qui se donne le genre de défendre le bien
|
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d'autrui!... De quoi te mêles-tu, gros innocent?... Après tout, futur
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garde-champêtre, rien ne t'oblige à partager mon souper. Je me sens, du
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|
reste, assez d'appétit pour en venir à bout tout seul.»
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Tout en parlant, le jeune garçon soignait ses pommes de terre, les
|
|
tournant et retournant avec amour.
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Elles furent bientôt cuites à point. Il en ouvrit une et aussitôt un
|
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arôme qui devait être sensible à des palais peu blasés vint frapper
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l'odorat de mes amis. Les pauvres enfants avaient encore faim et leurs
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yeux brillèrent de convoitise. César regretta presque de s'être montré
|
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si fier; l'autre s'en aperçut, mais se garda bien de renouveler son
|
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offre.... Allez, mes petits lecteurs, il ne faut pas que les heureux de
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ce monde se montrent trop sévères pour ceux qui souffrent; il est pour
|
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certains enfants quelquefois bien difficile de rester honnêtes,.... et
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si la Providence ne les aidait pas un peu!... Enfin!...
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Mes amis se couchèrent sur une botte de paille, leur camarade en fit
|
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autant, et tous trois dormirent profondément parce que tous trois
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étaient accablés de fatigue. Mais le lendemain, au petit jour, César et
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|
Aimée furent éveillés par leur compagnon. Il s'agissait de quitter la
|
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place, avant que le maître de la hutte n'arrivât à son champ, si par
|
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hasard il lui prenait fantaisie d'y venir.
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On se leva vivement; en un tour de main, les bottes de paille furent
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rattachées et replacées où on les avait prises, puis on sortit. Le jour
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naissant étendait sur la campagne une lueur blafarde qui permettait de
|
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distinguer les objets. Le ciel était encore étoilé, mais ce n'était plus
|
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la nuit, et mes amis, se sentant le coeur aussi dispos et l'esprit aussi
|
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libre que le soir précédent ils les avaient troublés, marchaient d'un
|
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pas alerte et ferme. Il faisait beau d'ailleurs; et, sans la rosée qui
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leur mouillait les jambes, ils ne se fussent pas rappelé qu'il avait plu
|
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la veille.
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Petit à petit l'horizon s'empourpra. César et Aimée, qui n'étaient
|
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pas encore habitués aux effets grandioses d'un beau lever du soleil,
|
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s'étonnaient avec une naïveté pleine d'admiration. Balthasar, comme ivre
|
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de joie, se roulait dans l'herbe mouillée, courait, jappait, grattait
|
|
la terre avec ses ongles, la creusait avec son museau, enfin faisait
|
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un millier de folies; on eût dit qu'il fêtait le retour d'un ami absent
|
|
depuis trop longtemps.
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Et plus j'y pense, mes petits lecteurs, plus je me persuade que c'était
|
|
là, en effet, le secret de son bonheur. Balthasar retrouvait dans le
|
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spectacle du soleil qui s'élevait lentement et majestueusement au-dessus
|
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de la terre, en dispersant les vapeurs de la nuit, un des heureux
|
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souvenirs de sa jeunesse. Quant au compagnon de ses jeunes maîtres, il
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haussait dédaigneusement les épaules et bourrait sa pipe avec les
|
|
gestes et la mine d'un homme blasé depuis longtemps sur les plus beaux
|
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spectacles de la nature, et que plus rien en ce genre ne peut émouvoir
|
|
désormais.
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CHAPITRE X.
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Monsieur Sabin et sa noble famille.--Un festin de Sardanapale.
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Il se peut, mes petits lecteurs, que vous soyez surpris de voir mes
|
|
amis cheminer en compagnie de ce mauvais sujet dont ils connaissaient
|
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maintenant le nom, et qu'ils appelaient Môssieur Sabin, gros comme le
|
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bras. C'est que Môssieur Sabin était un habile homme pour son âge. Comme
|
|
il avait, tout porte à le croire, de secrètes raisons pour redouter
|
|
les gendarmes, les gardes-champêtres, les messiers, enfin tout ce qui
|
|
portait un sabre ou un tricorne, la compagnie de ces deux enfants, qui
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|
avaient l'air si candide, s'était tout de suite présentée à son esprit
|
|
comme une sorte de protection. Il avait bien dans son sac un certificat
|
|
où il était expliqué que lui, Sabin, s'en allait à Fontainebleau pour
|
|
rejoindre ses parents; mais deux sûretés valent mieux qu'une; et il se
|
|
promettait d'ajouter sur le papier en question qu'il voyageait avec son
|
|
frère et sa soeur. Les choses étant ainsi arrangées, il lui semblait
|
|
impossible d'être inquiété à l'avenir; il se disait qu'il pourrait
|
|
voyager au grand jour et sur les grands chemins, au lieu de se cacher
|
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comme il avait fait depuis le commencement de la semaine.
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Il faut dire aussi qu'il avait guigné les coins du mouchoir de César, et
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|
flairé quelque aubaine par là.
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Il entreprit alors de faire la cour à mes amis, lesquels malheureusement
|
|
n'étaient que trop faciles à séduire.
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On cheminait donc de compagnie, Sabin racontant des histoires de
|
|
sa composition, et César et Aimée croyant tout cela comme parole
|
|
d'Évangile. Tout à coup Sabin se mit à se frotter le ventre et à faire
|
|
toutes sortes de grimaces.
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«Pristi! s'écria-t-il, que j'ai faim! il n'est rien de tel, pour vous
|
|
creuser l'estomac, que de respirer l'air vif du matin après avoir soupé
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la veille de pommes de terre cuites sous la cendre. C'est pas pour dire,
|
|
mais si j'étais dans ma respectable famille, il régnerait sur ma table
|
|
une abondance qui me fait joliment faute pour le moment.
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|
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--Vous avez donc une famille? demanda naïvement Aimée.
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--Bon!... Eh bien, pour qui donc me prends-tu?
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|
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|
--Où demeurent-ils, vos parents? fit César à son tour.
|
|
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|
--Je crois, petits sauvages, il les appelait ainsi par amitié, répondit
|
|
Sabin, que vous vous permettez de me questionner. C'est hardi de votre
|
|
part et inconvenant au possible. Ignorez-vous donc que les inférieurs
|
|
sont tenus d'attendre, pour parler, que leurs supérieurs aient daigné
|
|
leur adresser la parole? or, je suis votre supérieur par l'âge,
|
|
l'expérience et l'éducation. Mais je veux être bon prince et vous
|
|
répondre comme si c'était conforme aux usages.»
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|
Ici le jeune garçon fit une pause assez longue pendant laquelle il
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|
alluma sa pipe avec une sorte de suffisance (Sabin fumait toujours, même
|
|
en parlant), puis il raconta l'histoire que voici:
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|
|
«Mon père, jeunes sauvages, demeure partout.... partout où il y a des
|
|
grands chemins. Il s'est construit lui-même pour son usage et celui de
|
|
sa famille un palais qu'il fait, selon sa fantaisie, transporter du
|
|
Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, ou dans toute autre direction qu'il lui
|
|
plaît. Oui, petits, un palais roulant. Vous n'avez jamais vu cela, vous
|
|
autres? Un manoir qui nous conduit, nous et notre fortune, d'une ville
|
|
dans une autre, au gré de notre caprice. A la sécurité du colimaçon
|
|
qui peut rentrer dans sa coquille à la moindre alerte, nous joignons
|
|
la liberté des oiseaux que vous voyez voltiger d'arbre en arbre et de
|
|
buisson en buisson. Aussi, comme les hirondelles, qui, les mauvais
|
|
jours venus, s'en vont chercher fortune en des climats plus doux, nous
|
|
émigrons sans cesse d'un pays pauvre ou épuisé dans un autre où nous
|
|
savons trouver la vie facile et abondante. Nous sommes comme ces
|
|
pasteurs orientaux dont on raconte de si belles histoires; nous plantons
|
|
notre tente et faisons paître nos troupeaux là où les pâturages nous
|
|
semblent plus verts et plus tendres. Vous comprenez bien, petits, que
|
|
c'est une manière de parler, car notre tente est un château comme j'ai
|
|
déjà eu l'honneur de vous le dire, et en fait de troupeaux nous ne
|
|
possédons qu'un pauvre vieux cheval qui a usé sa jeunesse au service de
|
|
son ingrate patrie.»
|
|
|
|
Ici, le jeune garçon s'interrompit pour proposer à nos amis de déjeuner
|
|
au village de Ris dont on approchait. Ils acceptèrent sans difficulté
|
|
aucune; Sabin avait le don de les charmer.
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|
|
[Illustration: «Mon père, jeunes sauvages, demeure partout...»]
|
|
|
|
«Et votre cheval? fit Aimée.
|
|
|
|
--Fidèle! voici: à l'âge réglementaire on l'a rayé brutalement des
|
|
cadres de l'armée et mis hors de service sans lui faire un centime
|
|
de pension. C'est d'une petitesse!... d'une petitesse!... crasseuse,
|
|
n'est-ce pas? Heureusement qu'un monsieur retiré du commerce de la
|
|
passementerie avec des rentes par-dessus la tête eut l'idée de l'acheter
|
|
pour lui faire un sort.... et pour l'atteler à une demi-fortune. A la
|
|
mort de cet homme généreux, Fidèle passa aux mains d'un huissier de
|
|
province, et, de chute en chute, tomba jusqu'à celles d'un chaudronnier
|
|
ambulant. C'est de ce dernier que mon père le tient. Pauvre vieux
|
|
cheval! je ne lui connais que deux défauts, mais là deux vrais défauts,
|
|
deux défauts tels qu'on pourrait les appeler des vices.
|
|
|
|
--Est-ce qu'il mord? demanda Aimée.
|
|
|
|
--Lui? Oh! non, par exemple; et avec quoi mordrait-il? il n'a plus de
|
|
dents. Non, oh! non, il ne mord pas; je ne veux point le calomnier.
|
|
|
|
--Lesquels, alors?
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|
|
|
--Son grand âge d'abord, puis un appétit qui revient tous les jours avec
|
|
une régularité désespérante.... On a beau le nourrir copieusement la
|
|
veille, il a encore faim le lendemain; c'est un guignon, on dirait qu'il
|
|
ne vit que pour manger. Les maîtres qui l'ont laissé contracter cette
|
|
mauvaise habitude ont manqué de prévoyance et se sont rendus bien
|
|
coupables envers lui. Mais n'importe! si nous ne lui donnons pas
|
|
tous les jours autant d'avoine qu'il en pourrait souhaiter, les bons
|
|
traitements ne lui font pas défaut, et il est dans la famille sur un
|
|
pied d'intimité fort enviable.»
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|
|
A dire vrai, mes petits lecteurs, nos amis ne comprenaient pas toujours
|
|
ce beau langage, et profitaient de toutes les interruptions pour ramener
|
|
le narrateur au fait.
|
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«Quel est donc, demanda César, le métier que fait votre père?
|
|
|
|
--Un métier, mal-appris? Sachez, jeunes sauvages, que mon père exerce
|
|
une profession libérale!... Voué par une vocation impérieuse au culte
|
|
des arts et des lettres, il s'est donné pour mission d'éclairer les
|
|
peuples en les initiant aux beautés de la littérature dramatique....
|
|
Mais ceci est tout à fait au-dessus de la portée de votre intelligence
|
|
et ne vous intéressera pas.
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--Si fait, fit César, vous voulez dire que votre père est comédien.
|
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|
--Bravo! tu n'es pas si bête qu'on pourrait le croire. Apprends donc
|
|
alors que dans son palais portatif il a réuni tout ce qui est nécessaire
|
|
pour établir en quelques instants un théâtre bien conditionné. D'un
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autre côté, il possède une troupe d'acteurs.... Oh! mais d'acteurs....
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|
Il faut voir ça, mon cher. A la vérité, une bonne part de leurs succès
|
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revient à mon père et à ceux d'entre nous qui leur donnent la voix et le
|
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mouvement; car ce ne sont que des marionnettes, et des marionnettes,
|
|
si bien douées qu'elles fussent, ne sauraient parler ni se mouvoir
|
|
d'elles-mêmes, vous pensez bien.
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--Oh! je sais, dit Aimée; je connais l'homme qui fait parler celles du
|
|
théâtre de Guignol, au Luxembourg.
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--Oui-da!... Mais ce n'est pas du tout la même chose, ma belle. Guignol
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|
est un théâtre pour les enfants, et sur lequel on ne joue que des
|
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niaiseries, tandis que notre théâtre, à nous, est d'un genre sérieux et
|
|
tout à fait relevé. Nous représentons des tragédies, des drames et des
|
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comédies pour de vrai, en deux actes, en trois actes, en six actes,
|
|
en douze actes,... en autant d'actes que nous jugeons à propos, enfin!
|
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Tantôt c'est _la jeune et innocente Esther chez le farouche sultan
|
|
Assuérus_, de M. Molière, un bon, celui-là; tantôt le _Ruy Blas_, de M.
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|
Corneille, encore un bon, ma petite, ou bien _les amours de l'infortuné
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Didier et de la malheureuse Marion Delorme_, par M. Racine; on ne joue
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que ça aux Français. Mon père a refait ces pièces à l'usage de ses
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acteurs et de son public. Il en a supprimé tous les personnages dont les
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rôles ne sont pas indispensables, puis les tirades, les longueurs, enfin
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tout ce qui est ennuyeux ou peu intéressant; je vous prie de croire que
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ce n'était pas là une besogne d'écolier, et que pour l'accomplir il ne
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fallait pas être un idiot. Par exemple, il tient à ce que son nom soit
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sur l'affiche à côté de celui de ces messieurs. Ainsi, nous mettons: _la
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jeune et belle Esther_, etc., _de M. Racine, revue et corrigée par M.
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Dussault_. C'est justice, n'est-ce pas?»
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Depuis un moment Sabin parlait tout seul, faisant les questions et les
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réponses à sa fantaisie; nos amis étaient trop illettrés pour lui tenir
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tête sur un pareil sujet, mais ils devinaient qu'il s'agissait de choses
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d'une grande importance, et se gardaient bien d'interrompre.
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«Mais, continua le jeune Sabin, nous avons encore d'autres cordes
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à notre arc. Dans les contrées où les populations ne sont pas assez
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éclairées pour prendre du plaisir à voir représenter ces chefs-d'oeuvre,
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nous donnons un autre genre de spectacle; mes frères aînés sont
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athlètes.
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--Athlètes, demanda Aimée, qu'est-ce que cela?
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--Athlètes, petite sauvage, cela signifie habile dans les exercices du
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corps. Les athlètes sautent, font des tours de force et enlèvent à bras
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tendus ou bien avec leurs dents, des poids qu'un homme ordinaire ne
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saurait changer de place même avec l'aide de tous ses membres, voilà ce
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que c'est que des athlètes....
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--Et vous?
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--Moi, je suis jongleur et équilibriste; c'est cela un art! A la bonne
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heure!... Donnez-moi seulement une douzaine d'oranges et un bilboquet
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et je vous en ferai voir!... J'aurais déjà débuté, si j'avais voulu,
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au cirque Napoléon; mais il est trop finaud, le directeur, il voulait
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lésiner avec moi, et marchander sur les appointements, donner d'une
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main et reprendre de l'autre.... Ah! non, par exemple, non.... Avec les
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artistes, il faut faire les choses carrément; c'est tant, c'est tant.
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Voilà!... Maintenant, s'il en veut, il en demandera.... Mon intention, à
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moi, est de lui tenir la dragée haute.
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--Combien donc en avez-vous, de frères?...
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--Cinq, trois grands et deux petits; deux petits, pas plus haut que ça;
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l'un a sept ans et l'autre cinq.... et drôles! Il faut les voir tourner
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autour du théâtre sur leurs jambes et leurs bras tendus comme les ailes
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d'un moulin.... Mais le plus magnifique, c'est lorsqu'à nous sept, nous
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formons, grimpés les uns sur les autres, une pyramide dont mon père est
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la base et mon plus jeune frère le sommet. Enfin j'ai une soeur. Ah!
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voilà, petits, une femme!... Elle renverse un homme d'un seul coup de
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poing et fait des armes comme un professeur d'escrime. Elle fait aussi
|
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des exercices de haute voltige sur le dos de Fidèle et danse sur la
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corde avec la grâce d'une déesse.... Enfin c'est une fille charmante!...
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Aussi, nous n'épargnons rien pour sa toilette; l'or, le velours et la
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soie lui sont prodigués. A la ville, elle porte des robes longues de ça!
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et des falbalas comme une princesse.... C'est à qui parmi nous la gâtera
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le plus!...»
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Ce portrait d'une personne remarquable à tant de titres faisait ouvrir
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de grands yeux à Aimée. Elle n'aurait jamais cru que tant de perfections
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pussent se trouver réunies chez une seule femme.
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«Et votre mère, demanda-t-elle, danse-t-elle aussi sur la corde?
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--Ma mère a pour mission, répondit Sabin, de recevoir le prix des places
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à la porte du théâtre. Puis, lorsque l'occasion s'en présente, elle
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tire les cartes et prédit le _passé_, _le présent_, _et l'avenir_
|
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aux individus qui l'honorent de leur confiance. Mais, tout cela, sans
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préjudice de ses occupations domestiques; car c'est une remarquable
|
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ménagère, et vous saurez, jeunes sauvages, que dans les jours de
|
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détresse, personne autant qu'elle n'est habile à trouver une gibelotte
|
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ou un civet dans la peau d'un angora.
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«Et maintenant, reprit-il après avoir gardé un instant le silence,
|
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afin de permettre à mes amis d'admirer à leur aise combien étaient
|
|
précieusement doués tous les membres de sa respectable famille,
|
|
maintenant que je vous ai si complaisamment édifiés sur les miens,
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|
j'espère que vous m'accorderez assez de confiance pour venir déjeuner
|
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avec moi à l'hôtel de _l'Éléphant d'or_, où je suis parfaitement connu,
|
|
et traité comme le fils de la maison?
|
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[Illustration: Elle renverse un homme d'un seul coup de poing.]
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--Faut-il beaucoup d'argent pour déjeuner à l'hôtel? demanda Aimée.
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--Ne vous occupez pas de cela; j'en fais mon affaire.»
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L'hôtel de _l'Éléphant d'or_ était une assez triste auberge où
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|
s'arrêtaient les rouliers qui n'avaient pas assez d'argent pour se
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permettre de dîner au _Cheval noir_, un autre restaurant dont le maître
|
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avait des prétentions à la bonne cuisine et passait pour le Véfour de la
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localité.
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Lorsque mes amis, conduits par Sabin et suivis de Balthasar, pénétrèrent
|
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dans la grande salle de _l'Éléphant d'or_, qui en était en même temps
|
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la cuisine, deux ou trois hommes en blouse et la casquette sur la tête,
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déjeunaient gloutonnement le nez dans leur assiette et les coudes sur la
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table.
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De temps à autre, ils interpellaient la maîtresse de la maison ou la
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|
servante en disant d'une voix rauque:
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«Eh! la bourgeoise, par ici!»
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Ou bien:
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«La cuisinière, apportez-nous donc ceci, servez-nous donc cela!
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--Eh! la fille, cria comme les autres M. Sabin en s'asseyant à une table
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mal essuyée, venez un peu qu'on vous parle.»
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La fille obéit.
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«Tiens! c'est M. Sabin, fit-elle en découvrant, par un large rire, deux
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belles rangées de dents qui n'eussent point déshonoré la bouche d'un
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jeune poulain.
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--Oui, charmante Maritorne, c'est lui-même, avec son jeune frère César
|
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et sa petite soeur Aimée; deux enfants fort aimables que je vous engage
|
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à traiter de votre mieux.»
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|
César et Aimée, à qui la leçon avait été faite, ne démentirent point
|
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Sabin; et la servante crut ce qu'il lui dit.
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|
«Maintenant, détaillez-nous la carte du jour? demanda le jeune
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|
saltimbanque.
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--Du lapin?
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--Non merci! trop connu!
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--De la tête de veau?
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--Point de vinaigrette; j'ai mal dîné hier.
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--Une omelette?
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--Pas assez substantiel.
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--De la fricassée de poulet?
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--Trop bégueule!
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--Ah! dame! C'est que vous êtes joliment difficile!... Eh bien, des
|
|
côtelettes de porc frais?
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|
--Bravo! à la sauce Robert; c'est tout à fait grand genre! Combien vous
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|
faut-il de temps pour préparer cela?
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--Un quart d'heure.
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--Allez. En attendant donnez-nous, pour nous faire prendre patience, une
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|
miche, un cervelas et une bouteille de cacheté.»
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Au premier service, les choses allaient déjà très-bien; mais au
|
|
second!... Ah! au second, elles allèrent bien mieux encore. M. Sabin,
|
|
tout à fait en verve, était pétillant d'esprit.... Il se livrait à tant
|
|
et tant d'aimables folies que la grosse servante s'écriait en se tordant
|
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de rire:
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«Est-il drôle, ce M. Sabin! Mon Dieu, est-il drôle!»
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|
Quant à mes amis, entraînés par l'exemple, et aussi par un appétit
|
|
féroce, ils avaient bu et mangé en un seul repas, plus qu'ils ne
|
|
faisaient d'ordinaire en trois jours. Mais ces excès devaient leur
|
|
coûter cher; le quart d'heure de Rabelais arriva: il fallut payer toute
|
|
cette goinfrerie.
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|
«C'est cent sous, dit la fille en additionnant sur ses doigts.
|
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--Cent sous, fit M. Sabin, c'est un peu cher; mais comme tout cela était
|
|
bon et cuit à point, je ne te rabattrai rien.»
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M. Sabin avait si bien déjeuné qu'il tutoyait la servante.
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|
«Paye, César,» dit-il.
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|
César et Aimée étaient interdits à tel point qu'ils ne trouvèrent
|
|
pas une objection à faire. Ce fut avec un tremblement de honte qu'ils
|
|
dénouèrent le coin du mouchoir où était serrée la jolie pièce d'or de M.
|
|
Richard. César la mit sur la table, Sabin s'en empara vivement.
|
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|
|
«Je croyais que c'était dix francs, dit-il en la tournant et la
|
|
retournant.... Tiens, Maritorne,» fit-il en la présentant délicatement
|
|
à la servante, qui refaisait son compte, toujours sur ses doigts, en
|
|
disant: dix sous d'une part, un franc de l'autre, etc., etc. «Eh bien!
|
|
c'est encore vingt-cinq centimes que vous me devez, ajouta-t-elle enfin.
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|
--Bon! fit Sabin, ça passera comme cela.
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|
--Non pas; il me faut mes cinq sous.»
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|
Sabin fit mine de chercher dans ses poches.
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|
«Je n'ai pas de monnaie, dit-il.
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--Ta, ta, ta! Mes cinq sous tout de suite!
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--Fais-nous crédit sur notre bonne mine.
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--Non, j'aurais trop peur de perdre.
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|
--Mal-apprise!
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--Allons, allons, mes cinq sous ou je vais chercher les gendarmes.»
|
|
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|
A cette menace, mes pauvres amis s'empressèrent de donner leurs
|
|
dernières ressources, qu'un moment, hélas! ils avaient cru pouvoir
|
|
sauver du naufrage.
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|
Il n'y avait que vingt centimes. La fille hocha la tête.
|
|
|
|
«Et pour moi? dit-elle.
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|
--Tiens, voilà!» fit Sabin en l'embrassant bruyamment sur les deux
|
|
joues.
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|
Elle s'enfuit en riant, et mes amis cruellement désappointés et le coeur
|
|
plus gros qu'une montagne, sortirent tristement de la fatale auberge.
|
|
|
|
Tout d'abord Sabin, qui paraissait enchanté de lui, roula une cigarette
|
|
et la fuma délicatement, du bout des lèvres, en pirouettant sur ses
|
|
talons, en prenant des poses toutes plus élégantes les unes que les
|
|
autres, enfin en faisant le joli garçon; puis après il bourra sa grosse
|
|
pipe et se mit à fumer sérieusement.
|
|
|
|
Quant à mes amis, pour commencer, ils crurent, tant ils avaient bien
|
|
déjeuné, qu'ils n'auraient plus jamais faim. Mais avant que deux heures
|
|
ne se fussent écoulées, les choses avaient changé d'aspect et l'avenir
|
|
leur apparaissait déjà plus dégagé d'illusions.
|
|
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|
Certes, ils ne songeaient point encore à dîner, mais ils marchaient
|
|
piteusement côte à côte et pleuraient. Leur ami, M. Sabin, les voyait
|
|
s'essuyer de temps en temps les yeux du revers de la main.
|
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|
|
«Ah! çà, leur dit-il enfin, vous êtes de singuliers personnages, vous
|
|
autres!... Qui diable aurait supposé que vous aviez la digestion
|
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si lugubre? On vous fait déjeuner comme des princes, et au lieu de
|
|
remercier les gens en vous montrant aimables, vous pleurez comme deux
|
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imbéciles.
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--C'est nos cinq francs! dit naïvement Aimée.
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|
--Leurs cinq francs!...
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|
--A présent, il nous faudra mendier.
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|
--Peuh!...
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--Dame! si nous ne trouvons pas d'ouvrage?
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--Ah! ah! ah! s'écria le gamin en se tordant de rire, de l'ouvrage!...
|
|
C'est ça qui est joli! de l'ouvrage! Mais ils sont drôles au possible,
|
|
ces petits sauvages!
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|
--Riez, si bon vous semble, mais mon frère et moi nous voulons
|
|
travailler.
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--Laissez-moi donc tranquille!» fit Sabin avec un geste d'épaules
|
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intraduisible. Puis reprenant son sérieux: «Travailler, dit-il, cela
|
|
vous gâte les mains et vous prive de votre liberté!... Travailler! comme
|
|
des manoeuvres, n'est-ce pas? Pour quelques méchantes pièces de monnaie,
|
|
se mettre à la merci d'un individu qui se croit votre maître et vous
|
|
traite en esclave!... Pour gagner convenablement sa vie, je ne connais
|
|
que deux moyens, moi: se faire artiste, comme nous autres, ou domestique
|
|
dans des maisons où il n'y ait rien à faire. Si le sort ne m'avait
|
|
pas fait naître d'une honorable famille de comédiens, j'aurais brigué
|
|
l'honneur de figurer derrière un de ces magnifiques carrosses qu'on
|
|
voit à Paris monter l'avenue des Champs-Élysées au trot rapide de
|
|
quatre superbes chevaux anglais; ou encore de passer mes journées
|
|
paresseusement étendu sur les banquettes moelleuses d'une antichambre
|
|
princière. C'est ça, des positions! Du galon sur toutes les coutures
|
|
comme un maréchal de France les jours de gala! ou bien habillé de noir
|
|
et cravaté de blanc comme un gentleman qui se rend au bal!... Seulement,
|
|
je n'aurais pas été assez bel homme; on ne veut que des beaux hommes
|
|
pour remplir ces offices importants.... Ça se comprend.... Quand on est
|
|
riche et qu'on peut payer.... C'est dommage, car j'aurais eu la vocation
|
|
et toutes les qualités de l'emploi. Mais toi, César, qui me parais
|
|
destiné à devenir grand et fort, si tu m'en crois, c'est là que tu
|
|
chercheras fortune, au lieu de t'abîmer le corps et l'âme pour vous
|
|
nourrir misérablement, ta soeur et toi.... A moins que tu ne préfères
|
|
t'enrôler parmi nous et mener en notre compagnie une vie joyeuse et
|
|
indépendante, une petite existence en dehors du monde, et qui nargue
|
|
tout à la fois vos lois et vos gendarmes. Voilà, mon bonhomme, ce que
|
|
tu feras, si tu as pour un centime de jugement. Ne me parlez donc plus
|
|
d'ouvrage!... Travailler! c'est bon pour des lourdauds.
|
|
|
|
--Si je savais? fit César comme en se consultant.
|
|
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|
--Quoi?
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|
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--Que ce soit comme vous dites?
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|
--Et pourquoi ne le serait-ce pas?
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|
|
--C'est juste!... Et on vous donne de l'argent pour ça?
|
|
|
|
--Si on vous en donne?... Parbleu!
|
|
|
|
--Et Aimée, que deviendra-t-elle?
|
|
|
|
--Nous lui trouverons une place de femme de chambre.
|
|
|
|
--Que fait-on quand on est femme de chambre? demanda Aimée.
|
|
|
|
--Ah! voilà! fit Sabin avec importance; chez les bourgeoises on est
|
|
accablé de besogne, chez les grandes dames on ne fait rien.
|
|
|
|
--Rien du tout?
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|
|
|
--Rien du tout. Et comme sa maîtresse, on porte des robes de soie et des
|
|
chapeaux. Le tout est de bien choisir.
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|
|
|
--Mon choix est fait; je me placerai femme de chambre où il n'y a rien à
|
|
faire.
|
|
|
|
--Cela, petite sauvage, prouve en faveur de ton intelligence.
|
|
|
|
--Mais, dit César, je ne suis pas encore grand; si on ne prend que des
|
|
beaux hommes on ne voudra pas de moi.
|
|
|
|
--Tu peux, en attendant, faire un très-joli groom.
|
|
|
|
--Qu'est-ce que cela?
|
|
|
|
--Quoi! jeune sauvage, tu ne sais pas ce que c'est qu'un groom? N'as-tu
|
|
donc jamais vu un monsieur quelconque conduisant un grandissime cheval
|
|
attelé à un tilbury si léger qu'il en paraît aérien?
|
|
|
|
[Illustration: Cet enfant, c'est un groom .]
|
|
|
|
--Si fait, j'ai vu cela.
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|
|
|
--Et à côté de ce monsieur, qui entasse plusieurs coussins sous lui pour
|
|
donner à penser qu'il est un homme superbe, n'as tu jamais remarqué un
|
|
enfant de ton âge assis un pied plus bas que son maître afin de paraître
|
|
encore plus petit qu'il n'est réellement?
|
|
|
|
--Oui, je sais....
|
|
|
|
--Eh bien! cet enfant, c'est un groom.
|
|
|
|
--Et qu'a-t-il à faire?
|
|
|
|
--Rien du tout, par exemple! toujours dans les bonnes maisons, qu'à
|
|
se promener en tilbury avec son maître.... Il me semble que tu peux
|
|
t'acquitter de cela aussi bien que n'importe qui!...
|
|
|
|
--Si ce n'est pas plus difficile que vous dites.
|
|
|
|
--Sans compter qu'on y gagne plus d'argent qu'à faire n'importe quel
|
|
état.... Ne rien faire, et être bien nourri, bien logé, bien habillé et
|
|
bien payé!... Est-ce assez joli, hein?
|
|
|
|
--Mais comment pourrais-je me placer groom?
|
|
|
|
--Laisse-moi faire, je te procurerai cela. Sur notre route, se trouve le
|
|
château de Rochemoussue, qui appartient au prince de Rochemoussue.
|
|
J'y suis parfaitement connu; le prince, qui est le meilleur et le
|
|
plus généreux des princes, me protége et fait tout ce qu'il peut pour
|
|
m'obliger; je lui parlerai, et la chose s'arrangera tout de suite.... En
|
|
attendant, pour vous récompenser d'être si sages, je vais m'occuper de
|
|
vous gagner un bon dîner et un bon gîte.»
|
|
|
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|
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|
|
CHAPITRE XI.
|
|
|
|
Sabin à Essonne.--Mes amis à Chantemerle.
|
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|
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|
|
On arrivait à Essonne, il était deux heures de l'après midi. Sabin
|
|
s'arrêta près d'un cabaret borgne, où il entra seul.... Moins de cinq
|
|
minutes après, il reparaissait aux yeux de mes amis dans un maillot
|
|
couleur de chair, et n'ayant pour tout vêtement qu'un petit caleçon
|
|
rouge orné de paillettes d'or; des bottines également rouges et
|
|
pailletées d'or, lui maintenaient gracieusement le pied, et un cercle
|
|
d'or lui ceignait la tête.
|
|
|
|
Mes amis furent éblouis, ces splendeurs les fascinèrent au point que le
|
|
jeune saltimbanque leur semblait un fils de roi.
|
|
|
|
Il partit, jouant du fifre à travers les rues et faisant porter par
|
|
César, que cette marque de confiance honorait infiniment, le sac que
|
|
vous connaissez. Aimée suivait avec Balthasar. Cela faisait un effet
|
|
prodigieux; tout le monde se mettait aux portes et aux fenêtres pour les
|
|
voir passer; bientôt les gamins, accourant de tous côtés, leur formèrent
|
|
en moins d'un instant une escorte des plus satisfaisantes. Tout cela,
|
|
emboîtant le pas derrière Sabin et marchant aux sons du fifre, parcourut
|
|
le bourg dans tous les sens, et, après être monté jusqu'en haut de
|
|
la rue principale, redescendit pour venir s'arrêter sur le pont où un
|
|
cercle d'une certaine importance se forma autour du jeune saltimbanque,
|
|
lequel, prenant une pose olympienne, fit alors son boniment:
|
|
|
|
«Mesdames et messieurs, dit-il avec une galanterie de bon goût, j'ai
|
|
l'honneur de vous présenter en ma personne le fils de l'illustre
|
|
Lucifer, qui vous a honorés l'année dernière de sa visite, et n'a pas
|
|
dédaigné d'exécuter dans vos murs les tours merveilleux qui ont fait sa
|
|
fortune et porté son nom victorieux dans les six parties du monde!...
|
|
Vous êtes trop au courant des progrès de la civilisation, mesdames et
|
|
messieurs, pour ignorer que depuis la découverte de la Californie
|
|
le monde se divise en six parties.--(Murmures dans l'auditoire qui
|
|
signifient: Parbleu! si on sait cela!) L'accueil qu'il reçut de vous,
|
|
reprit Sabin, l'appréciation supérieurement intelligente que vous fîtes
|
|
de ses talents vous ont rendus chers à son coeur. Et, aujourd'hui qu'il
|
|
se repose sous des lauriers si noblement acquis, parmi ses nombreux
|
|
souvenirs celui qu'il évoque avec le plus de plaisir, c'est le vôtre!
|
|
Il aime à se dire que nulle part dans ce vaste univers qu'il a parcouru
|
|
dans tous les sens, ainsi que nos planètes (grande admiration dans
|
|
l'auditoire pour ce voyageur intrépide), il n'a rencontré des hommes
|
|
plus courageux, plus intelligents, plus hospitaliers, plus généreux,
|
|
plus instruits et plus forts, oui, plus forts, que dans cette charmante
|
|
petite ville, qui mériterait bien d'en être une grande. _Lui_, qu'on a
|
|
surnommé l'Hercule moderne, il a rencontré ici pour la première fois des
|
|
hommes qui lui ont tenu tête et qu'il n'a pu vaincre qu'après une lutte
|
|
de quelques secondes!!!... (Tous les hommes présents se regardent en
|
|
ayant l'air de se dire les uns aux autres: est-ce que c'est toi?)
|
|
Quant à moi, mesdames et messieurs, la nature m'ayant refusé les dons
|
|
nécessaires pour marcher sur les nobles traces de mon illustre père,
|
|
ce n'est donc pas par les mêmes moyens que j'essayerai de vous charmer,
|
|
non; c'est tout simplement par des exercices de précision et d'adresse
|
|
que je veux enlever vos suffrages.... Avez-vous des oranges?--Qui
|
|
d'entre vous me donne six, douze et même quinze oranges?... Personne n'a
|
|
d'orange?... Alors, mesdames et messieurs, je vais m'en passer; il faut
|
|
savoir se contenter de ce qu'on possède et tirer parti de ses propres
|
|
ressources.»
|
|
|
|
Sabin joua encore du fifre, puis, sans doute pour donner aux
|
|
retardataires le temps d'arriver, il perdit quelques minutes à disposer
|
|
sur le sol un tapis en serge verte. Enfin se décidant à commencer,
|
|
il jongla d'abord avec des balles recouvertes d'un métal si brillant
|
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qu'Aimée pensait qu'elles étaient en argent massif. Il commença par en
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prendre deux seulement, puis quatre, puis six, puis dix; il les envoyait
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et les recevait d'abord avec les mains, puis elles lui tombèrent sur
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l'avant-bras, sur les épaules, sur les cuisses, sur la poitrine, sur la
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tête, il en était environné; c'était vraiment merveilleux, et la
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foule applaudissait de bon coeur. Après cet exercice, vint le tour du
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bilboquet. Il joua d'abord avec une seule bille, puis avec deux, puis
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avec trois, puis avec quatre.... Il abandonna ces premières qui étaient
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petites pour en prendre de plus grosses, lesquelles furent délaissées
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à leur tour pour de plus grosses encore. Enfin, avec une adresse
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étonnante, incompréhensible, il jongla sans même se faire une
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égratignure, avec une demi-douzaine de petits poignards pointus et
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affilés comme des stylets. Malgré tant de savoir-faire et l'enthousiasme
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de la foule, il ne tomba que quelques sous sur le tapis de serge,
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vingt-cinq au plus.... Sabin déçu fit entendre un juron formidable,
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et traita tout haut d'imbécile ce bon public qu'il flattait en si bons
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termes quelques minutes auparavant. Heureusement pour lui, tout le monde
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était parti et nos amis seulement l'entendirent.
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[Illustration: Il jongla avec une demi-douzaine de poignards.]
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«Bast, dit-il enfin pour se consoler, nous recommencerons demain, et
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la recette sera meilleure. Il n'y avait là que des femmes et des
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vieillards; un tas d'infirmes qui n'entendent rien aux distractions de
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l'esprit, et s'imaginent que je suis encore trop heureux de les avoir
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amusés. Mais qu'importe! vingt-cinq sous, c'est toujours du pain pour ce
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soir. Nous coucherons où nous pourrons.»
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Il replia bagage et on retourna au cabaret, mais silencieusement et
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ayant au fond le coeur assez triste.
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Il me serait difficile, mes petits lecteurs, de vous dire bien au juste
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ce qu'éprouvaient César et Aimée dans la société de M. Sabin, et
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les pensées qui occupaient leur jeune esprit. Malgré la perspective
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enivrante de devenir domestiques dans des maisons où il n'y aurait rien
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à faire, ils n'étaient peut-être pas complétement rassurés sur l'avenir.
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Quant au présent, ils avaient lieu de s'en plaindre, mais ils n'en
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avaient pas le temps; Sabin les étourdissait. Cependant, quoiqu'ils
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fussent peu aptes à réfléchir, il leur était déjà venu à l'esprit que
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le père Antoine n'approuverait pas qu'on fît société avec ce garçon qui
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avait, à l'endroit du travail, une manière de voir si originale, et ne
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professait qu'un respect excessivement médiocre pour le bien d'autrui.
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Balthasar, vu son âge sans doute, avait le jugement plus sûr et
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plus formé, et jusqu'alors il s'était tenu à distance de Sabin;
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malheureusement le pauvre caniche adorait les paillettes et le
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clinquant,--on n'est pas parfait!--et à peine eut-il aperçu le jeune
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saltimbanque dans son costume de théâtre qu'il lui fit toutes sortes
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d'amitiés. Pauvre Balthasar! cette faiblesse devait lui coûter cher!...
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Le lendemain, faute d'argent, il fallut se passer de déjeuner. Mes amis,
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pour tuer le temps, se mirent à errer dans les environs d'Essonne. Le
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hasard les conduisit du côté de Chantemerle, où sont réunies un grand
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nombre d'usines appropriées aux productions les plus diverses; telles
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que fabriques de tissus de fil et de coton, impressions sur étoffe,
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laminoirs, fonderies, etc., etc. Ils se rencontrèrent avec des enfants
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qui jouaient sur la route et s'arrêtèrent pour les regarder. Lorsque la
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partie fut achevée, un de ces enfants s'approcha d'eux.
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«Qu'est-ce que vous faites, vous? leur demanda-t-il.
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--Rien.... pour le moment.
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--Alors, vous cherchez votre pain?
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--Oh! non....
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--Ne mentez pas; ça se voit, vous mendiez.
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--Pour ça non, dit César, nous ne mendions pas et nous ne voulons pas
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mendier.
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--Vous avez donc des rentes?
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--Non.
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--Non? Eh bien, comment vivez-vous donc?
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--Nous cherchons de l'ouvrage.
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--Est-ce bien vrai, ça?
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--Mais oui, c'est bien vrai.
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--Alors vous voulez travailler?
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--Sans doute.
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--Sans doute? Vous ne dites pas cela avec beaucoup d'ardeur....
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C'est égal, on entre à la fabrique, venez voir un peu. Je gagne
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soixante-quinze centimes par jour pour six heures de travail, moi qui
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n'ai pas encore dix ans. Le reste du temps, j'apprends à lire et je joue
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dans un vaste préau que je vais vous montrer. Nous sommes comme cela
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plus de cinquante occupés à transporter des bobines d'un endroit dans un
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autre. Ce n'est pas difficile; vous pouvez en faire autant presque sans
|
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apprentissage. Si cela vous convient, vous verrez le contre-maître;
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il vous casera tout de suite, car on a besoin d'enfants. Attention! et
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suivez-moi. Pour qu'on vous laisse entrer, je vais dire que vous êtes
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mon cousin et ma cousine de Petit Bourg.... Seulement, pas de bêtises;
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on ne touche à rien ici.»
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Mes amis suivirent le jeune ouvrier. L'aspect de ces vastes bâtiments,
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de ces hautes cheminées, de tout ce monde, le bruit des machines en
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mouvement, l'ordre qui régnait au milieu d'une activité étourdissante,
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l'immensité des salles, le nombre incalculable des métiers leur fit
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d'abord perdre la tête; ils ne voyaient rien à force de regarder.
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«C'est ici qu'on file le lin et le chanvre, leur disait leur cicérone,
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là qu'on les tisse, plus loin on fait de la toile ouvrée. Dans ce grand
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bâtiment, où nous nous rendons en ce moment, on fabrique des tissus de
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coton, à côté on les imprime.»
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Lorsque le jeune ouvrier les fit entrer dans la salle où il travaillait,
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ils éprouvèrent une sorte de déception. La vue de ces enfants, mal vêtus
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pour la plupart, qui se livraient à un travail sérieux et gagnaient
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consciencieusement leurs soixante-quinze centimes, ne leur dit rien à
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l'imagination; l'idée d'être domestiques dans des maisons où il n'y a
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rien à faire les flattait bien davantage.
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«Moi, dit Aimée, je trouve que ça sent mauvais ici!
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--Si tu y tiens, fit en riant le jeune ouvrier, on parfumera la salle
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avec de l'essence de rose.»
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Le mot de mijaurée fut prononcé par quelques gamins.
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Mes amis, sur la proposition de leur introducteur, s'arrêtèrent près
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d'un métier pour voir comment se faisait la toile; mais cela ne les
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intéressa point. Ils n'y comprenaient rien.
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«Retire-toi donc, retire-toi donc, Aimée, cria tout à coup César. Il y a
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de l'huile après toutes ces mécaniques, et tu en mets à ton tablier.»
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Tous les jeunes garçons qui se trouvaient dans la salle se retournèrent.
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On commença à regarder mes pauvres amis de travers.
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«Allons-nous-en, César, dit enfin Aimée; il y a trop de poussière
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ici, nous n'y saurions durer. Décidément j'aime mieux que nous soyons
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domestiques dans des maisons où il n'y ait rien à faire.
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--Fallait donc le dire tout de suite! s'écria le jeune ouvrier en
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colère. Vous voulez être _larbins_, vous autres?... Alors qu'on détale,
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et plus vite que ça!»
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A ce mot de larbin, un haro s'éleva dans la salle.
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«T'as d'ça dans ta famille, toi? s'écriait-on.
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--Non pas. S'ils étaient de ma famille je les renierais; mais ils n'en
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sont point, Dieu merci! Ils étaient sur la route et se disaient sans
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ouvrage. Je leur ai proposé d'entrer ici, ils ont accepté. Pour qu'on ne
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leur fît pas de difficultés, je les ai fait passer pour mes parents de
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_Petit-Bourg_. Voilà tout!»
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Les pauvres enfants ne savaient comment échapper aux moqueries de ces
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gamins qu'ils avaient offensés sans le vouloir.
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«Vous n'avez donc pas de sang dans les veines? disait l'un.
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--Ni de moelle dans les os? ajoutait l'autre.
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--_Madame_ craint de gâter ses habits!
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--Monsieur veut porter perruque!
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--Je comprends ça, moi.
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--Ça tient chaud l'hiver?
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--D'abord. Et puis ça vous pose!... quand on a de l'ambition.»
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Un contre-maître dut protéger la sortie de mes pauvres amis, qui étaient
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tout à fait incapables de se défendre et ne comprenaient rien à l'avanie
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qu'on leur faisait subir.
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Ils rentrèrent tristement à l'auberge où Sabin faisait répéter
|
|
Balthasar. Sabin avait découvert que Balthasar était un artiste comme
|
|
lui, et il voulait connaître tout son savoir-faire pour en tirer parti
|
|
dans l'intérêt de la communauté. Le caniche voyant ses maîtres affligés,
|
|
quitta tout pour les caresser.
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«Bon! qu'y a-t-il?» demanda Sabin.
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Ils racontèrent leur mésaventure.
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«Laissez-les dire, fit le jeune saltimbanque, avec ça qu'ils sont jolis
|
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et qu'ils ont bonne mine!... Vous faire ouvriers de manufacture, comme
|
|
ce serait spirituel!... Qu'ils viennent tout à l'heure sur la place, et
|
|
je leur montrerai, moi, la bonne manière de gagner sa vie.»
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|
A midi et quelques minutes, le fils de l'illustre Lucifer, ou de M.
|
|
Dussault, selon l'occasion, jouant du fifre, se promena comme la veille,
|
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suivi de César, qui portait toujours le précieux sac, d'Aimée, de
|
|
Balthasar, et de tous les vagabonds de la localité. C'était justement
|
|
l'heure du repas pour les fabricants qui étaient tous sortis, excepté
|
|
les enfants qu'on obligeait à jouer dans le préau. En moins de cinq
|
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minutes, une foule compacte entoura nos aventuriers. Sabin répéta le
|
|
même boniment et les mêmes exercices que la veille; puis Balthasar à son
|
|
tour paya de sa personne.
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|
La recette fut magnifique! Sabin, de retour à l'auberge, commanda un
|
|
déjeuner copieux. Nos amis, qui avaient grand'faim, mangèrent encore
|
|
sans retenue; et le soir, comme il n'y avait déjà plus d'argent, on
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coucha dans une étable entre deux vaches et un âne.
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|
C'est ainsi qu'ils vécurent pendant une semaine. On s'arrêtait
|
|
tantôt dans une ville, tantôt dans un village, pour y donner des
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représentations plus ou moins lucratives, et toujours on cassait le pot
|
|
après avoir mangé le beurre, comme disent les bonnes gens de la campagne
|
|
en parlant des imprévoyants qui dépensent l'argent à mesure qu'ils le
|
|
gagnent.
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César et Aimée s'accoutumaient assez bien à ce genre de vie. De temps à
|
|
autre, cependant, il leur passait comme un nuage dans l'esprit; c'était
|
|
le souvenir de ce qu'avait dit le père Antoine.... mais le père
|
|
Antoine était si loin!... Vous le dirai-je, mes petits lecteurs? César
|
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maintenant dormait d'un sommeil profond et ne rêvait plus des choses qui
|
|
occupaient si fortement son jeune esprit dans ses jours de misère; la
|
|
campagne, cette belle campagne que le bon Dieu lui faisait voir, ou
|
|
revoir en dormant pour le consoler, ne l'intéressait plus, il n'y
|
|
pensait jamais. Comme Sabin, il considérait maintenant toute chose au
|
|
point de vue de la recette et disait avec son ami:
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«Ici, il n'y a que des paysans; pas de chance!»
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Ou bien:
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«Voici une ville, bonne aubaine!»
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Puis on bâtissait des châteaux en Espagne pour les temps fortunés où
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l'on serait domestique dans une maison où il n'y aurait rien à faire.
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|
D'un autre côté, on ne craignait plus les gendarmes; le papier de leur
|
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compagnon mettait nos vagabonds en sûreté. Ils se protégeaient les uns
|
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les autres....
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Et les jours se passaient!...
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|
Quant à Balthasar, ces détails lui importaient peu. Il marchait toujours
|
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en avant, prenant le chemin qui lui plaisait, quitte à revenir sur ses
|
|
pas lorsque Sabin voulait aller d'un autre côté; ce qui n'avait lieu
|
|
que rarement, car le chemin du saltimbanque paraissait être celui du
|
|
caniche. Pourtant il arrivait bien quelquefois qu'on était obligé,
|
|
pour se procurer de l'argent, de se détourner à droite ou à gauche;
|
|
Balthasar, malgré une opposition sérieuse, qui se manifestait
|
|
comme toujours par des fuites plus ou moins prolongées, finissait
|
|
infailliblement par céder. Sabin avait appris à mes amis que ce n'était
|
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là qu'une feinte de la part du caniche, et leur avait démontré qu'il n'y
|
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avait pas lieu de s'en préoccuper. L'expérience lui avait donné raison.
|
|
C'est ainsi qu'on perdit une semaine à Corbeil, à Melun et à Milly; mais
|
|
nos aventuriers n'étaient pas gens pressés. La vie leur apparaissait
|
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si longue, si longue! et ils voyaient devant eux un si grand nombre
|
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d'années, qu'ils pensaient bien avoir le droit de gaspiller un peu
|
|
le temps présent. Et, d'ailleurs, pourquoi se seraient-ils pressés
|
|
ou inquiétés, puisque Sabin devait les placer chez son ami intime, le
|
|
prince de Rochemoussue?... Leur sort n'était-il pas fixé?
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CHAPITRE XII.
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Au château de Rochemoussue.
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C'était vers les quatre heures de l'après-midi, on avait dépassé le
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village de Chailly depuis quelques minutes lorsque apparut dans le
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|
lointain la masse grandiose des bois de Rochemoussue. Sabin, qui
|
|
connaissait le pays, abandonna la grande route pour s'engager dans
|
|
un joli chemin, propre et uni comme un parquet. On était déjà sur le
|
|
domaine de Rochemoussue. On marcha comme cela un quart d'heure environ.
|
|
César était troublé; il lui semblait connaître, mais vaguement, ces
|
|
vastes prairies où paissaient en liberté les petites vaches bretonnes du
|
|
prince. L'aspect général de la campagne était sévère; aussi loin que la
|
|
vue pouvait s'étendre, l'horizon était boisé.
|
|
|
|
«Reconnais-tu donc tout cela, César? demanda Aimée.
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|
|
--Je ne sais pas,» répondit le jeune garçon.
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|
|
|
Et ils continuèrent d'avancer.
|
|
|
|
Enfin au delà d'une magnifique pelouse d'un vert tendre, entre deux
|
|
massifs de haute futaie, se découvrit le château de Rochemoussue.
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|
«Les prairies et les bois, dit César à Aimée, je croyais les
|
|
reconnaître; mais ce château, je ne l'ai jamais vu.»
|
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|
|
On n'était encore que dans la première quinzaine de mai, seulement le
|
|
printemps était si beau cette année-là qu'on eût dit que le climat de
|
|
l'Italie était devenu celui de la France.
|
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|
«Voilà, dit Sabin à mes amis en leur montrant le château (une imposante
|
|
construction édifiée dans le style du dix-septième siècle), voilà où
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désormais vous passerez votre vie dans la paix et l'abondance!»
|
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|
On côtoyait de magnifiques potagers et des jardins qui n'étaient séparés
|
|
de la route que par un large fossé. Nos aventuriers pouvaient tout
|
|
à l'aise admirer les serres monumentales, toutes grandes ouvertes au
|
|
soleil de mai, et exposant aux regards des promeneurs, les nuances
|
|
vives, tendres ou riches de ces rhododendrons célèbres, de ces azalées
|
|
merveilleuses qui tous les ans remportaient le prix au concours
|
|
d'horticulture. Ils pouvaient encore admirer la savante disposition des
|
|
serres-chaudes où étaient cultivées des primeurs devenues des types dans
|
|
le monde horticole, puis une melonnière unique au monde pour la saveur
|
|
et la variété de ses espèces. Mais ce qui ravissait surtout mes amis,
|
|
dont les goûts étaient encore simples, c'était trois petits chalets, à
|
|
toiture de chaume et aux murs recouverts de lierre, disséminés dans les
|
|
jardins et sans doute destinés à loger les jardiniers.
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«Que je voudrais demeurer là! disait Aimée.
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|
--Peuh! faisait Sabin avec ce dédain des petites choses qui lui était
|
|
particulier, c'est malsain au possible.... sans compter les autres
|
|
désagréments. Les lézards y font leur nid, c'est infesté de souris et
|
|
les rats s'y promènent comme des gens qui sont chez eux.
|
|
|
|
--Du moment que les rats s'y promènent.... C'est égal, je voudrais bien
|
|
avoir une petite maison comme cela.»
|
|
|
|
Sabin entra chez le concierge du château, et demanda M. Prosper, un
|
|
valet de pied attaché au service de M. Maxime de Rochemoussue, le plus
|
|
jeune fils du prince, un enfant qui n'avait encore que cinq ans et demi.
|
|
|
|
Nos amis avaient cru que Sabin s'adresserait au prince lui-même. Ils
|
|
furent quelque peu déçus, mais ils se consolèrent promptement en
|
|
voyant arriver M. Prosper qui était un fort beau garçon et représentait
|
|
énormément avec son habit bleu de roi, sa culotte courte, ses superbes
|
|
mollets et ses souliers à boucles.
|
|
|
|
Sabin, qui avait connu M. Prosper au temps où le jeune domestique
|
|
n'était encore qu'un petit paysan du Berry, lui dit quelques mots à voix
|
|
basse. Le valet de chambre s'absenta, mais revint presque aussitôt.
|
|
|
|
«Vous pouvez demeurer ici jusqu'à demain,» leur dit-il.
|
|
|
|
Alors tous trois entrèrent suivis de Balthasar que tant de grandeur
|
|
n'embarrassait point.
|
|
|
|
Il était cinq heures; la nouvelle que des saltimbanques étaient
|
|
au château pénétra jusqu'au salon, et bientôt on vint chercher nos
|
|
aventuriers de la part du prince et de la princesse, qui voulaient,
|
|
puisque l'occasion s'en présentait, donner le spectacle à leurs enfants.
|
|
|
|
Sabin suivit M. Prosper avec l'aplomb d'un mérite qui ne s'ignore pas;
|
|
ce que voyant César et Aimée, ils suivirent Sabin, et Balthasar suivit
|
|
tout le monde.
|
|
|
|
Le prince et la princesse, entourés de leurs enfants, étaient au jardin
|
|
sous un immense platane qui les protégeait de son ombre, sans leur
|
|
dérober la vue splendide de la vallée de la Seine qui se déroulait
|
|
devant eux.
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|
|
[Illustration: Le prince et la princesse, entourés de leurs enfants,
|
|
étaient au jardin.]
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|
|
Sabin avait tant parlé du prince et de la princesse de Rochemoussue, il
|
|
les avait tant exaltés que mes amis s'attendaient à voir des personnages
|
|
de taille surhumaine, ou, tout au moins, autrement faits que les autres
|
|
mortels, et ils ne laissaient pas que d'être troublés. Mais ils ne
|
|
tardèrent point à se rassurer; le prince et la princesse ressemblaient à
|
|
tout le monde, et avaient été taillés sur le patron banal qu'ont fourni
|
|
au genre humain tout entier Adam et Ève nos premiers parents. Ils
|
|
paraissaient peut-être meilleurs ou plus intelligents que bien d'autres;
|
|
mais cela tenait évidemment aux qualités intérieures et toutes morales
|
|
dont ils étaient doués, et à l'éducation qu'ils avaient reçue.
|
|
|
|
La princesse était une gracieuse petite femme à la physionomie douce
|
|
et fine. Elle était jolie, mais elle avait dû l'être encore davantage,
|
|
autrefois, dans le temps, lorsqu'elle était toute jeune; seulement,
|
|
comme mes amis ne l'avaient pas connue dans ce temps-là, ils la
|
|
trouvaient charmante. Ils n'avaient jamais rien vu, du reste, de
|
|
gracieux et d'encourageant comme son sourire, ni rien entendu d'émouvant
|
|
comme le son de sa voix; elle avait l'air de parler du coeur, et son
|
|
regard, si tendre et si pénétrant, semblait dire aux pauvres gens:
|
|
«Rassurez-vous, ayez confiance; je vous comprends, moi, et je sais ce
|
|
qu'il vous faut!» Elle était vraiment l'incarnation de la bonté et de la
|
|
charité.
|
|
|
|
Certes, il y avait loin de cette douce princesse, qui savait si bien
|
|
se mettre à la portée de tous, des riches comme des pauvres, à ces
|
|
altières, hautaines et impertinentes créatures qu'on a si longtemps
|
|
représentées comme les types les plus achevés de la noblesse. Mais à
|
|
votre sens, mes petits lecteurs, ne valait-elle pas mieux?
|
|
|
|
Le prince était un homme de cinquante-cinq ans, environ, mais qui n'en
|
|
paraissait pas beaucoup plus de quarante-cinq; il avait la tournure et
|
|
la physionomie d'un militaire, quoiqu'il n'eût jamais fait partie de
|
|
l'armée. Mais sous des dehors brusques, il cachait un coeur droit
|
|
et juste, et sa parole, bien que brève, n'était jamais ni dure ni
|
|
blessante. Il semblait, au contraire, que sa brusquerie n'eût d'autre
|
|
objet que de dissimuler ses bonnes actions. Ainsi, par exemple,
|
|
lorsqu'on lui rapportait que de pauvres gens allaient être expropriés
|
|
faute d'argent pour payer le loyer d'une misérable chaumière, il
|
|
ordonnait à son intendant de payer pour eux du même ton dont il eût
|
|
ordonné de les fusiller. Si un obligé dans sa reconnaissance venait le
|
|
trouver pour le remercier et protester de son dévouement, il lui disait:
|
|
«Qu'on ne m'ennuie plus de ces choses-là.»
|
|
|
|
C'était un travers sans doute, mais un tout petit travers.... Et quand
|
|
on pense combien il serait aisé aux princes d'avoir de gros défauts, on
|
|
est bien près de leur souhaiter beaucoup de travers comme celui-là.
|
|
|
|
Dès qu'il eut appris l'arrivée au château de nos trois aventuriers,
|
|
le prince avait dit, toujours sur le même ton: «Qu'on me les amène de
|
|
suite!» et tout naturellement on s'était empressé d'obéir.
|
|
|
|
Nous devons, pour être juste, avouer qu'il imposait énormément à nos
|
|
amis. Tout dans sa personne, sa grosse et rude moustache, ses favoris
|
|
épais, ses cheveux taillés en brosse et la mobilité de son oeil vif et
|
|
clair les embarrassait outre mesure. Aussi pendant que Sabin, excité
|
|
par le haut rang de ses spectateurs, se livrait aux inspirations de son
|
|
génie, reportaient-ils de préférence sur la princesse leur regard timide
|
|
et curieux.
|
|
|
|
M. et Mme de Rochemoussue, comme nous l'avons dit, étaient entourés de
|
|
leurs enfants: un grand et beau garçon de dix-huit ans qu'on appelait
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Ludovic, une charmante fille de seize ans nommée Luce, une autre de dix,
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appelée Marthe, et le petit Maxime qui n'avait encore, comme vous savez,
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que cinq ans et demi.
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Tous les quatre prirent un plaisir très-vif au spectacle improvisé que
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leur donnaient Sabin et Balthasar, qui, lui aussi, se surpassa. Le brave
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caniche fut bien récompensé par ces beaux enfants du plaisir qu'il leur
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avait procuré, car ils le comblèrent de caresses et de bonbons, et
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ne dédaignèrent point de passer leurs mains fines et blanches dans sa
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toison peu soignée. Jamais Balthasar ne s'était trouvé à pareille fête,
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et il se montrait fort sensible à l'honneur qu'on lui faisait. Cependant
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il sut y répondre fort dignement et il n'eut point, tant s'en faut,
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la mine plate et impudente que prit Sabin pour recevoir les vingt-cinq
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francs dont le prince crut devoir payer leur savoir-faire et leur
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habileté.
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Vingt-cinq francs! c'était une somme fabuleuse dans le ménage des trois
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aventuriers. Sabin était comme fou de joie, et mes amis pensaient
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que leur fortune était faite. Tous trois, sur la recommandation de
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la princesse, se rendirent à l'office où le maître d'hôtel leur donna
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quelques friandises afin qu'ils pussent, sans trop souffrir de la
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faim, attendre le dîner, qui n'avait lieu qu'à huit heures pour les
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domestiques.
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Après une collation comme ils ne soupçonnaient même pas qu'on en pût
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faire, ils montèrent, toujours accompagnés de M. Prosper, à leurs
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chambres respectives, situées sous les combles du château. Là, César et
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Aimée trouvèrent chacun un costume complet qui leur était donné par
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la princesse. Tout y était, depuis les souliers jusqu'au bonnet. Ils
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s'empressèrent, sur l'invitation de M. Prosper, de quitter leurs vieux
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habits et de mettre les neufs; puis ils redescendirent à l'office où
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tous deux firent assez bonne figure, l'un avec sa blouse de retors
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coquettement serrée sur les hanches par une large ceinture de cuir,
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l'autre avec sa robe, et son tablier de cotonnade, ses souliers lacés,
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son châle noué en sautoir et son petit bonnet de soie noire, derrière
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le bavolet duquel ses cheveux bien peignés et bien brossés frisaient
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en queue de canard. Sabin les examinait de la tête aux pieds, et, les
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prenant par la main, les faisait tourner à droite, tourner à gauche, et
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affectait de ne les point reconnaître. Cela les amusait, et ils riaient
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de bon coeur.
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Ils pensaient bien, du reste, que si la princesse leur avait donné tant
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de belles choses, c'était parce que Sabin lui avait dit ou fait dire un
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mot en leur faveur. Mais c'est égal, ils avaient remarqué qu'il était
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moins lié avec le prince qu'il n'avait toujours prétendu.
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Après dîner, le prince, la princesse et leurs enfants, accompagnés des
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précepteurs et des institutrices, montèrent dans de belles voitures pour
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se rendre chez un autre prince du voisinage, où l'on devait danser
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et jouer des charades une partie de la nuit. Ce fut alors au tour des
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domestiques de se mettre à table. Ils étaient là plus de vingt!...
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C'était jour de gala; on profitait de l'absence du prince pour fêter
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tranquillement à ses dépens l'anniversaire de l'un d'entre eux. On avait
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dressé un couvert splendide: les fleurs, l'argenterie et les cristaux
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étincelaient sur la table au feu d'une profusion de bougies. Le
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maître-d'hôtel d'un côté, et la femme de charge de l'autre, occupaient
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les places d'honneur; les autres convives venaient à la suite, chacun
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selon son âge ou le rang qu'il croyait tenir dans la maison. Aux deux
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extrémités étaient placés Sabin et le dernier des marmitons, puis César
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et Aimée.
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Les hommes avaient quitté la livrée pour prendre l'habit noir, et les
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dames étaient en robes de soie. Cela présentait vraiment un joli coup
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d'oeil. Par exemple, les vins manquaient, non par la quantité, mais
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par la variété, et les convives, chose désolante, n'avaient pas plus
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de trois verres devant leur assiette. Pourtant la cave du prince
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était célèbre, mais le sommelier, un ancien militaire, un homme sans
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_éducation_, un rustre enfin, ne faisait point partie de la domesticité.
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Il était incorruptible et n'entendait point raillerie sur la question de
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probité. Il avait donc fallu se contenter du bourgogne ordinaire et
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du madère de cuisine. Quelques bouteilles de champagne, adroitement
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dérobées dans la bagarre d'une grande soirée, complétèrent le festin.
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C'était peu!... mais tant de gens sont encore obligés de se contenter à
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moins!...
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Il fallait entendre tout ce monde singeant maladroitement ses maîtres;
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les femmes minaudant, et les hommes jouant aux gentlemen!
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On disait princesse à la femme de chambre de Mme de Rochemoussue, et
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prince au valet de chambre de monsieur! Comme le jeune Ludovic portait
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le titre de comte de Montgeron, son domestique se faisait appeler
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Montgeron tout court. «Mon cher Montgeron, lui disait-on, goûtez donc
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de ces conserves d'ananas.» Deux invités, qui servaient dans un
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château voisin, avaient pris le titre de marquis et marquise du Breuil.
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«Marquise, disaient les dames, vos yeux sont ravissants; vous êtes ce
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soir tout à fait en beauté!»
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Mais au dessert, grâce au cliquot du prince, le naturel reparut, les
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langues s'aiguisèrent, et nos amis apprirent en moins d'une demi-heure
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les secrets le plus intimes de la famille de Rochemoussue. On raconta
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avec beaucoup de malice et de sous-entendus, comme pour donner à penser
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que ce n'était pas tout, que le prince avait trois fausses dents, que la
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princesse portait de faux cheveux, que M. Ludovic était myope, que Mlle
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Luce avait une jambe de travers, que Mlle Marthe serait bossue et que le
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petit Maxime deviendrait épileptique. On sut aussi que M. le marquis de
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Breuil était un sot, un bellâtre qui se teignait les moustaches et les
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favoris, et la marquise une fine mouche qui le faisait tourner comme le
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vent un coq de clocher.
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Puis on s'égaya aux dépens de la principauté de Rochemoussue,
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principauté de fraîche date, achetée à Rome par le père du prince
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actuel, un financier peu scrupuleux, qui était censé l'avoir obtenue
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en reconnaissance de services rendus au gouvernement pontifical; et on
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affirma que la princesse n'avait point tant sujet de faire la sucrée,
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puisque son grand-père avait tout bonnement gagné son immense fortune en
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faisant fabriquer des tissus à Mulhouse.
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Nous devons ajouter que le prince, la princesse et toutes les personnes
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de leur monde le plus intime étaient désignés par des surnoms: l'un,
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qui était fort et trapu, était appelé le taureau; l'autre, qui avait
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les jambes trop longues, le lévrier. Mais, plus généralement, le noms
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étaient pris dans la mythologie: il y avait Jupiter, Mars, Bacchus, puis
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Junon, Diane, Vénus, Proserpine, etc., etc.
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[Illustration: Elle chanta avec un brio renversant.]
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A dix heures, on décida qu'il serait tout à fait charmant de finir la
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soirée par un bal et un peu de musique. Prosper jouait délicieusement du
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violon. Annette chantait agréablement, et Jean touchait passablement du
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piano. On monta au salon qui servait de salle d'étude aux enfants. M.
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Jean se mit au piano et Mlle Annette charma d'abord la société par deux
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ou trois innocentes chansonnettes, puis elle aborda la grande musique et
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chanta avec un brio renversant un morceau du _Prophète_, que Mlle Luce
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apprenait depuis quelque temps et dont elle n'était pas encore parvenue
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à vaincre toutes les difficultés. M. Prosper, un ténor élégant et joli
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garçon comme tous les ténors, après s'être un peu fait prier, consentit
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à chanter, en s'accompagnant avec son violon, cet air fameux et
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difficile: _O Richard, ô mon roi!_... que M. Ludovic répétait sans trop
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de succès depuis plus de six mois.... C'était tout bonnement divin!
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On s'arracha à ces délices pour se livrer au plaisir de la danse. Les
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dames, ayant jugé à propos de changer de toilette, avaient emprunté à
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la garde-robe de leurs maîtresses des robes de tulle de la plus grande
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fraîcheur et sortant des ateliers d'une faiseuse célèbre. C'était
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simple, mais de bon goût. Avec cela, une fleur, un ruban, un rien dans
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les cheveux, et l'on n'avait pas la tournure de tout le monde!
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César et Aimée, relégués dans un coin sur un canapé pendant que Sabin,
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faisant sa partie dans l'orchestre, jouait du fifre avec une ardeur de
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possédé, admiraient toutes ces merveilles et pensaient de bonne foi,
|
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tant leurs idées étaient confuses et embrouillées, que dans les maisons
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où il n'y a rien à faire ce sont les domestiques qui sont les maîtres.
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Enfin cette société de singes se sépara et mes amis furent reconduits à
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leurs chambres, de jolies chambres meublées chacune d'un lit de fer, de
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deux chaises, d'un lavabo et d'un miroir. C'était du luxe, mais hélas!
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c'était aussi la première fois que les pauvres enfants couchaient dans
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des chambres différentes! et eux qui dormaient si bien sur la paille
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pourvu qu'ils y fussent côte à côte, purent à peine fermer l'oeil sur
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ces matelas confortables et dans ces draps blancs et parfumés à l'iris.
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Il faut bien le dire, du reste, ils avaient encore la tête pleine du
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bal et de la musique; puis ils avaient bu du punch et cela les agitait.
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Sabin, plus habitué à supporter les plaisirs du monde, était monté à sa
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chambre gris comme deux Polonais, et cependant on l'entendait ronfler à
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travers la cloison.
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CHAPITRE XIII.
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Mes amis font une rencontre aussi heureuse qu'inattendue.
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En mai, le soleil se lève de grand matin; il était cinq heures à peine
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et déjà il faisait grand jour. César et Aimée, ne parvenant pas à
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goûter un sommeil paisible, résolurent de s'habiller, puis de faire
|
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en compagnie de Balthasar une promenade dans ce beau parc dont on
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découvrait une partie de leurs fenêtres. Ils pensaient qu'il n'y
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avait pas de mal à prendre, pour ainsi dire, possession de ces lieux
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privilégiés où ils comptaient bien passer leur vie désormais.... Certes,
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ils étaient ravis de courir dans ces allées si soigneusement entretenues
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qu'il eût fallu avoir recours à une loupe pour y découvrir un brin
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d'herbe, de s'enfoncer sous ces futaies si hautes et si épaisses que le
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jour y pénétrait à peine, d'admirer les magnifiques saules pleureurs
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qui baignaient, avec une grâce remplie de tristesse et de nonchalance,
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l'extrémité de leurs branches dans l'eau transparente des lacs. Oui,
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ils trouvèrent bon de se reposer sur le gazon à l'ombre des marronniers
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d'Inde ou des gigantesques platanes.... Mais on s'habitue si vite aux
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grandeurs!... Ils avaient parcouru dans tous les sens cet admirable
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domaine, auprès duquel le paradis terrestre n'eût semblé qu'un marécage
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inculte, et joué dans des allées bordées de rosiers trois fois hauts
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comme leurs petites personnes, d'ébéniers dont les grappes leur
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retombaient sur la tête et de toutes sortes d'arbustes aux fleurs
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éclatantes et parfumées.
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Eh bien! mes petits lecteurs, vous me croirez si vous voulez, en moins
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de trois heures, ils s'étaient familiarisés avec toutes ces merveilles,
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qui déjà ne leur semblaient point de trop pour eux, et ils pensaient
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bien qu'ils pourraient en jouir largement lorsque César serait groom
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dans cette maison, où, comme ils avaient pu s'en assurer la veille,
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il n'y avait rien à faire qu'à s'amuser. Quant à Balthasar, toutes ces
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choses lui étaient indifférentes, et à tous moments il témoignait son
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impatience par des allées et des venues, des aboiements et des caresses
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auxquels César et Aimée ne comprenaient rien. Enfin on se trouva en
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présence d'une grille ouverte et il put sortir; force fut bien à mes
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amis de le suivre. Il courait, il courait, sans se soucier de la fatigue
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qu'il imposait aux jambes de ses maîtres, et en moins d'un quart d'heure
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on se trouva sur la route de Rochemoussue à Fontainebleau. De loin
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César et Aimée voyaient que le caniche caressait un homme, et cela les
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intriguait prodigieusement, car Balthasar n'était point d'un naturel
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familier. Ils hâtèrent le pas. Mais jugez, mes petits lecteurs, quelle
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fut leur surprise lorsqu'ils reconnurent le père Antoine!... le père
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Antoine? Comment cela se faisait-il? Lui qui devait être dans son pays,
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pourquoi nos amis le rencontraient-ils comme cela, à l'improviste,
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sur la route de Rochemoussue? Leur imagination était aux champs. Bien
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souvent le sort se plaît à nous jouer de ces surprises qui ressemblent
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à des coups de théâtre et nous déconcertent tant elles sont inattendues.
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On se demande comment cela s'est fait et on n'est pas loin de supposer
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que des créatures d'un autre ordre, des génies, des esprits, se mêlent à
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notre insu de notre destinée et gouvernent nos affaires, les emmêlant
|
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et les débrouillant à leur fantaisie, sans prendre seulement la peine de
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nous demander si cela nous plaît. Il ne s'en faut alors de presque rien
|
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qu'on prenne pour des êtres réels les créatures charmantes qui peuplent
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les contes de fées. Mais César et Aimée, qui ne savaient point lire,
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ne connaissaient point de féeries.... C'est égal! je ne suis pas
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très-éloigné de croire que s'ils avaient été en état de supposer que des
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fées et des génies pussent se mêler de leurs affaires, ils auraient, en
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cette circonstance, trouvé leur intervention rien moins qu'agréable.
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«Ah çà, dit le père Antoine, qui vous a amenés par ici, et que diable y
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faites-vous?»
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Ils racontèrent leur histoire et dirent consciencieusement, parce
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qu'ils ne savaient point mentir, ce qui leur était arrivé depuis trois
|
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semaines. Mais à partir du moment où ils avaient rencontré Sabin, le
|
|
brave homme ne cessa de hocher la tête à tout ce qu'ils disaient. On
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voyait bien que cette odyssée n'était point de son goût.
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|
«Et maintenant qu'allez-vous devenir? demanda le brave homme.
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--Sabin va nous faire placer domestiques au château de Rochemoussue.
|
|
C'est une grande maison, et où il n'y a rien à faire, dit naïvement
|
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Aimée.
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--Domestiques, fit le bonhomme en hochant toujours la tête... soit!...
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si cela vous convient; servir ses semblables est un métier aussi
|
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honorable qu'un autre.... lorsqu'il est exercé honorablement. Ne
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|
sommes-nous pas tous, d'ailleurs, les serviteurs les uns des autres en
|
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ce bas monde?
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[Illustration: Ils reconnurent le père Antoine.]
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Faire rôtir des marrons pour le public ou pour un particulier, n'est-ce
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pas toujours faire rôtir des marrons? L'essentiel est que les marrons
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soient rôtis à point.... Moi, il me semble que si je m'étais mis en
|
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condition, j'aurais pu faire un brave et honnête serviteur. Après cela,
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|
peut-être que je m'abuse.... et que c'est plus difficile que je ne
|
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pense. Mais l'idée ne m'en serait jamais venue.... Ce n'est pas que
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je sois plus fier qu'un autre, oh! non!... Seulement je n'y ai point
|
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pensé.... Sois donc domestique puisque ça te plaît, mon garçon. Mais
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entendons-nous; sois-le dans une maison où il y ait de l'ouvrage, et
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non où il n'y ait rien à faire. Il faut avoir du coeur, mon bonhomme,
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|
et gagner le pain qui te fera vivre. Quoi donc! est-ce que le travail
|
|
te ferait peur?... On me dira que ceux qu'on paye pour ne rien faire
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gagnent leur argent en ne faisant rien. Cela les regarde.... et aussi
|
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les bourgeois qui les prennent à leur service. Mais, c'est égal,
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vois-tu, parader derrière un carrosse ou fainéanter toute la journée
|
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dans une antichambre en disant du mal de ses maîtres, ça ne peut pas
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être un bon état. Tiens, César, veux-tu te mettre en condition et en
|
|
même temps devenir un homme, apprends l'état de jardinier. Si ton ami
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Sabin a quelque influence dans la maison, qu'il t'y fasse entrer comme
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|
aide-jardinier. Pour commencer tu ne gagneras que ta nourriture, mais
|
|
bientôt on te donnera des appointements, et un jour tu pourras occuper
|
|
une place de maître jardinier. Mais pour cela il faut être intelligent
|
|
et travailleur.... Tâte-toi. Allons, te sens-tu capable de cela?...
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|
Domestique dans une maison où il n'y a rien à faire. N'est-ce pas une
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|
honte d'avoir songé à prendre un pareil métier!... Allons, va retrouver
|
|
Sabin et ramène-le ici; je veux causer avec ce garçon-là et voir un peu
|
|
ce qu'il est.»
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|
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|
César et Aimée retournèrent au château et gravirent assez piteusement
|
|
les trois étages qui conduisaient à leurs mansardes. Celle de Sabin
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était vide!... Ils cherchèrent partout le fameux sac; point de sac!...
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tout avait disparu. Ils descendirent à l'office, et demandèrent des
|
|
nouvelles de leur camarade; on ne l'avait point vu. Le coeur serré par
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|
un pressentiment pénible, ils revinrent près d'Antoine qui les attendait
|
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sur la route.
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|
«Et Sabin, demanda le brave homme.
|
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|
|
--On ne sait ce qu'il est devenu.
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|
|
--Ah! on ne sait ce qu'il est devenu! Eh bien, je vais vous le dire,
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|
moi, ce qu'il est devenu. Il est parti avec les vingt-cinq francs dont
|
|
la moitié vous appartenait à cause de Balthasar, et, d'après le portrait
|
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que vous m'en faites, ce doit être l'espèce de vaurien qui est passé
|
|
près de moi il n'y a pas plus d'une heure et demie, comme j'étais assis
|
|
sur la route.... Vous voilà bien! maintenant, vos places s'en vont à
|
|
vau-l'eau!... Ce n'est, ma foi, pas malheureux; il vous fallait une
|
|
bonne leçon, vous en aviez besoin, vraiment.... Je me demande comment
|
|
vous avez pu croire qu'un semblable garnement avait du crédit auprès
|
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d'un homme comme le prince de Rochemoussue, et comment vous n'avez pas
|
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vu tout de suite qu'il n'était qu'un mauvais sujet et un voleur....
|
|
Il était temps qu'il vous quittât, car vous alliez devenir deux petits
|
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fainéants comme lui.... Ah çà, qu'est-ce qui vous fait pleurer?
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--Nous n'avons plus d'argent!
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|
--Voilà-t-il pas une belle affaire! On dirait vraiment que c'est la
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|
première fois que cela vous arrive!
|
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--Les gendarmes vont nous arrêter et nous reconduire chez Joseph.
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|
--Écoutez, ça dépend de vous; si vous voulez travailler, suivez-moi et
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|
vous n'entendrez jamais parler de Joseph. Sinon, je vous abandonne,
|
|
et, ma foi! je ne sais pas ce qu'il adviendra de vous. Allons,
|
|
choisissez....
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--Nous voulons travailler, s'empressèrent de dire les deux enfants.
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|
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|
--Alors partons. Seulement ne marchez pas trop vite parce que je viens
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de faire une maladie; et mes jambes ne sont pas encore bien solides.»
|
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|
Les pauvres enfants s'empressèrent auprès d'Antoine, et lui demandèrent
|
|
ce qu'il avait eu.
|
|
|
|
«Oh! presque rien, répondit le brave homme; un refroidissement, une
|
|
fluxion de poitrine, je ne sais pas au juste comment le médecin appelle
|
|
ça. J'avais fait un détour pour voir un ami à moi qui demeure près
|
|
d'ici. Je ne m'étais jusqu'alors ressenti de rien; mais chez lui je me
|
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sens pris tout à coup de frissons, de fièvre.... et j'y suis resté près
|
|
de trois semaines; à présent ça va mieux, je me rendais tout doucement
|
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à la gare lorsque vous m'avez rencontré; car maintenant il faut que je
|
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prenne le chemin de fer, je ne suis pas assez fort pour retourner à pied
|
|
au pays.... Bast! il ne faut plus parler de cela; le bon Dieu qui sait
|
|
bien mieux que nous comment il faut conduire nos affaires, voulait sans
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doute que je me trouvasse par ici en même temps que vous autres pour
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venir à votre secours et vous aider à sortir d'un mauvais chemin....»
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Après une heure de marche on était en pleine forêt, César était devenu
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songeur, et Balthasar humait l'air en poussant de petits cris de joie,
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puis il s'en allait flairer les arbres et se roulait dans l'herbe avec
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une sorte de frénésie.
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|
«Est-ce que ça te déplaît de venir avec moi, César? demanda le père
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Antoine.
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|
--Oh non! répondit l'enfant.
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|
--N'aimerais-tu point la forêt? craindrais-tu d'y avoir peur?
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--Peur!... Non, pour ça, je n'y ai point peur; il me semble, au
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contraire, que j'y ai vécu et que je la connais.
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|
--A la bonne heure!»
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|
CHAPITRE XIV.
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Mes amis chez le père Jean.
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On atteignit un endroit où le taillis avait été coupé l'année
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précédente. Le bois de corde et la corps des gros arbres étaient
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enlevés, mais il restait encore des bourrées empilées sur la lisière
|
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des chemins d'exploitation, et de gros tas de bois à charbon qu'on
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apercevait au milieu des jeunes pousses. Il était bientôt midi, l'air
|
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était lourd, le soleil brûlant et la chaleur devenait accablante dans
|
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ces sables dépourvus d'ombrage. Aimée ne pouvait plus avancer.
|
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«Nous y voilà, lui disait le père Antoine. Allons, encore un effort!»
|
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Et il montrait aux enfants une épaisse fumée qui s'échappait d'une
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|
clairière à cinquante pas de là.
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|
Enfin on arriva et nos amis se trouvèrent en présence d'un homme qui,
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|
assis sur le gazon, mangeait tranquillement son pain en regardant
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brûler le fourneau qu'il venait d'allumer. Au premier abord les enfants
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pensèrent que c'était un nègre.
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«C'est mon ami Jean, leur dit le père Antoine, un compatriote à moi qui
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est venu s'établir charbonnier par ici.»
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Jean détourna la tête et reconnut son ami.
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«C'est encore moi, dit celui-ci.
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--Il n'y a pas de reproche, fit Jean en lui tendant sa main noire.
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--Je le sais!
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--Ça ne va pas?
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--Pas bien fort.... Mais ce n'est pas là ce qui me ramène; je viens te
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demander un service?
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--Parle?
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--Voici deux petits.... c'est malheureux comme les pierres,... la
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misère, quoi!... Mais c'est bon; je les connais depuis longtemps, j'en
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réponds. Ils étaient exploités par un misérable; ils se sont échappés.
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Comment? ils te le diront.... Enfin, les voilà.... Si je les abandonne
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sur les grands chemins, on les ramasse et on les envoie l'un d'un côté,
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l'autre d'un autre, dans quelque maison de correction.... Faut pas
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laisser faire ça, ce serait les perdre; prends-les avec toi.... à eux
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deux ils valent bien le garçon qui t'a quitté.... Ils travailleront et
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tu les nourriras.... tu trouveras une petite place pour les loger....
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Enfin tu feras pour le mieux. Il est bien possible que l'état ne leur
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plaise pas; s'ils trouvent mieux, ils le prendront. Fais comme s'ils
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t'appartenaient.
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[Illustration: «C'est mon ami Jean,» leur dit le père Antoine.]
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--C'est bien, dit Jean avec gravité, il sera fait comme tu désires.
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--Merci! mon vieux.
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--Bon! il n'y a pas de quoi! Ne faut-il pas s'entr'aider en ce bas
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monde?
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--Çà, venez ici, vous autres, dit le père Antoine en prenant les deux
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enfants par la main, voilà votre maître ou plutôt votre père, car c'est
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un bon et brave homme que mon ami Jean. Il faut lui obéir et bien
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faire la besogne qu'il vous commandera. Dame! ce n'est pas un métier
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de muscadin; avant huit jours vous serez aussi noirs que lui. Mais cela
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importe peu, si vous êtes aussi honnêtes.... Sur ce, au revoir et bon
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courage! S'il plaît à Dieu, je repasserai par ici au mois d'octobre.»
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Le brave homme embrassa les deux enfants, serra encore une fois la main
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de son ami et partit tout à fait.
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Jean conduisit les deux enfants dans sa maisonnette, une espèce de hutte
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en terre dans laquelle était installé son ménage de solitaire. Cela
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se composait d'un lit de feuilles sèches, d'un bahut, d'un fourneau
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portatif, de deux marmites en terre, de quelques assiettes, d'une
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demi-douzaine de cuillers et fourchettes en étain et d'une cruche en
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grès pour aller puiser de l'eau à la fontaine.
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«Voici ma demeure, dit-il à mes amis. Dame! ce n'est pas beau!... Mais
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on y est bien tout de même.... Toi, petite, comment t'appelles-tu?
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--Aimée.
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--Toi, petite Aimée, tu seras notre ménagère; je ne veux pas que tu
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touches au charbon. A nous deux, ton frère et moi, nous suffirons à la
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besogne.... Vois-tu, tu gouverneras la maison, tu tremperas la soupe,
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tu feras la lessive, tu raccommoderas notre linge. Ce sera bientôt fait,
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va, sois tranquille: il n'y en a pas beaucoup. Sais-tu coudre?
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--Non, répondit Aimée en rougissant.
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--Bon! c'est pas la peine de rougir, je te montrerai, moi... puis aussi
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à savonner nos hardes. Si tu as de la bonne volonté, tout ira bien.»
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Jean qui avait amassé une provision de feuilles sèches à quelques pas de
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sa demeure, leur en apporta suffisamment pour dresser deux lits; puis il
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exigea que mes amis quittassent les beaux habits que leur avait donnés
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la princesse de Rochemoussue, et reprissent les vieux que César avait
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apportés sur son épaule au bout d'un bâton.
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«Il faut garder cela pour les dimanches et les jours fériés, disait
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Jean, on ne peut pas travailler lorsqu'on est en toilette.»
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Et il avait bien raison.
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Le soir, après la journée de travail, il les conduisit à Arbonne, où il
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acheta un dé à coudre, des ciseaux, des aiguilles et du fil pour Aimée,
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qui ne s'attendait pas à tant de générosité. Elle était reconnaissante,
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et cela faisait plaisir à Jean, qui s'amusait de voir combien elle était
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fière de pouvoir enfin, comme toutes les fillettes de son âge, porter
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des ciseaux attachés par un ruban à la ceinture de son tablier, et
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coudre ses robes s'il en était besoin.
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César était toujours songeur; Balthasar galopait comme un fou dans
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les rues du village, entrait dans toutes les cours et mettait le nez à
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toutes les portes.
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«Qu'est-ce qu'il a donc?» disait Jean.
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Tout à coup il disparut; César inquiet partit devant pour le chercher,
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Aimée le suivit. On entendait le caniche qui aboyait dans une cour au
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fond de laquelle se trouvait une maison toute basse et toute petite dont
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les deux uniques chambres avaient leurs fenêtres encore ouvertes. César
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entra. Les bonnes gens soupaient.
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«Qu'as-tu donc? demanda Aimée à son frère, pourquoi es-tu si pâle?»
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On ne voyait point Balthasar, mais on l'entendait toujours.
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«Madame, dit poliment César à la maîtresse du logis, notre chien est
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dans votre jardin, voulez-vous nous permettre d'aller le chercher?
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--Attendez; il faut que je vous ouvre la porte.
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--Ne vous dérangez pas; nous l'ouvrirons bien.
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--Si vous savez comment on s'y prend, allez.... Mais voyez donc comme
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les animaux sont subtils! Il a fallu pour entrer dans le jardin, que
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celui-ci montât au grenier, et qu'il en descendît par l'échelle qui est
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appuyée sur la lucarne. Un homme n'aurait pas trouvé ça!»
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Les enfants se rendirent au jardin. Balthasar était fourré dans une
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petite loge en maçonnerie, on eut de la peine à l'en faire sortir, il
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fallut l'emporter.
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«Viens, dit César à Aimée, que je te montre comme il y a de belles roses
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par ici.»
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Et il contourna un avancement que formait le four sur le jardin. Les
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roses étaient superbes en effet. C'étaient des mille-feuilles, mais
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elles commençaient seulement à s'ouvrir. Mes amis, qui n'osaient en
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cueillir, se contentaient d'en respirer le parfum.
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«Tiens! vous saviez donc qu'il y avait là des rosiers? dit la femme qui,
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ne voyant pas ressortir les enfants, était venue pour voir ce qu'ils
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faisaient. Ils ont été plantés par ceux qui possédaient la maison avant
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nous. De braves gens qui sont morts bien malheureusement.... Vous en
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avez peut-être entendu parler?...»
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César n'eut pas la force de répondre; il se sauva parce qu'il avait
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envie de pleurer. Dehors, il put donner cours à ses larmes, et son coeur
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fut soulagé.
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«Qu'a-t-il donc, ton frère? demanda la femme à Aimée, pourquoi se
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sauve-t-il comme cela?
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--C'est sans doute parce qu'il ne veut pas faire attendre notre maître
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qui est dans la rue.
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--Votre maître? Ah! mon Dieu! est-ce que vous êtes déjà en condition?
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--Oui,» répondit Aimée, en fermant la porte. Puis elle ajouta: «Je vous
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remercie, madame.
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--Il n'y a pas de quoi, ma petite, dit obligeamment la femme.... A une
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autre fois, si l'occasion se représente.»
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Aimée sortit, et trouva Jean qui questionnait César.
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«Voilà ce que c'est, dit la petite fille, dans le temps que nous étions
|
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à Paris, il rêvait toujours de la campagne, de bois, de villages, de
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rochers, enfin de tout ce qu'on voit par ici, n'est-ce pas, César?...
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|
C'est bien singulier, allez, cette petite maison et ce jardin, on eût
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dit qu'il les connaissait, n'est-ce pas? dis donc, César?»
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Le pauvre enfant sanglotait.
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«Nous ne reviendrons plus par ici, va, calme-toi,» lui disait Jean, qui
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ne savait que penser de cet accès de douleur.
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On rentra tout attristé à la maison; cependant le lendemain dès le matin
|
|
César se mit courageusement à l'ouvrage, il était fort et ne s'épargnait
|
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pas la peine. Jean l'encourageait.
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|
Quant à Aimée elle rangeait, lavait et balayait comme une petite femme.
|
|
Jean lui avait appris comment il fallait faire, et elle s'acquittait
|
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déjà bien de sa tâche. Puis il lui montra à coudre.
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Il fallait voir le bonhomme assis sur l'herbe, les jambes croisées à la
|
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façon des tailleurs, tenant d'une main une grosse aiguille dans laquelle
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était passée une aune d'un gros fil noir.
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On mettait des bouts de manches à une blouse de laine. Jean cousait en
|
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surjet. Ce n'était pas fin, oh! non, mais cela tenait bien, car le fil
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était solide.
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|
Il disait à Aimée:
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«Vois-tu bien, petite, regarde comme cela se fait: on attache un bout
|
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de l'étoffe à sa ceinture, on tient le reste ferme et bien tendu avec sa
|
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main gauche, de la droite on passe l'aiguille comme cela, on la tire de
|
|
l'autre côté et le point se trouve fait. Essaye un peu à ton tour, pour
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voir si tu réussiras.»
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[Illustration: «Essaye un peu à ton tour pour voir.»]
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Aimée prenait la manche et essayait; mais elle ne réussissait pas
|
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toujours. Pour un point qui pouvait rester, il y en avait dix qu'il
|
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fallait défaire. Tout lui causait de l'embarras; c'était son dé qui
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tombait, le fil qui se bouclait, l'aiguille qui se défilait.... Que
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sais-je encore?... Puis elle prenait trop d'étoffe:
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«Ne mords pas tant, petite, ne mords pas tant,» disait le brave homme.
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|
Enfin, à chaque instant elle se piquait les doigts, mais ce n'était
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qu'un menu détail, elle ne s'en plaignait point.
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César, accroupi devant elle, disait:
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«Pas si loin, le point sera trop grand.»
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Ou bien:
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«Un peu plus à droite, un peu plus à gauche.»
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Il lui ramassait son dé et enfilait les aiguilles.
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|
Après quelques leçons, Aimée était aussi forte que son maître, qui, dans
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sa joie, imagina de tailler dans de vieux vêtements à lui, une blouse et
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|
un pantalon de fatigue pour César. Il prit la peine de bâtir toutes
|
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les coutures, Aimée fut chargée de les coudre. Elle s'en acquitta à
|
|
la satisfaction générale. Dame! vous pensez bien que les points se
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|
laissaient voir; d'autant plus que le fil noir étant venu à manquer,
|
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on avait été obligé d'en employer du blanc; mais Jean trouvait cela
|
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superbe, c'était le principal, n'est-ce pas? Et puis deux jours après il
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n'y paraissait plus; tout était de même couleur.
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|
Certes, on ne menait pas une vie molle et oisive dans la hutte du
|
|
charbonnier, et le soir chacun se couchait sur son lit de feuilles
|
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sèches, sans demander que la journée fût plus longue; mais enfin on
|
|
avait fait son devoir et on s'endormait le coeur satisfait.
|
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|
Balthasar prenait un goût tout particulier à ce genre de vie. Il allait
|
|
et venait à sa guise, courant dans le bois toute la journée, mais se
|
|
trouvant toujours à la maison à l'heure des repas pour manger, et la
|
|
nuit pour monter la garde. Nos amis le laissaient faire. Il paraissait
|
|
d'ailleurs si bien connaître les chemins qu'il n'y avait pas lieu de se
|
|
préoccuper de ses absences; pourtant un soir il ne rentra pas à l'heure
|
|
ordinaire. On fut inquiet. Le lendemain César remarqua que le caniche
|
|
avait du sang au cou et des égratignures aux oreilles.
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|
«Il se sera battu à la chasse,» dit Jean.
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|
Et les choses en restèrent là.
|
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|
Deux jours plus tard il n'était pas encore rentré à l'heure du souper;
|
|
on n'y fit point attention; on se coucha même sans l'attendre. Mais
|
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cette fois il ne revint pas. Jean et mes amis s'en allèrent dans tous
|
|
les villages des environs pour demander si on ne l'avait point vu.
|
|
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«Il est venu tous les jours de la semaine passée, leur dit la maîtresse
|
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de la petite maison d'Arbonne. Mais, depuis deux ou trois jours, nous ne
|
|
le voyons plus.»
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Il était donc perdu ou bien, qui sait, mort dans quelque fossé loin de
|
|
ceux qui l'aimaient.
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|
Les pauvres enfants ne pouvaient se consoler de ce malheur, ils en
|
|
avaient perdu le sommeil et l'appétit et faisaient pitié à Jean qui
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cherchait tous les moyens de les distraire.
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|
CHAPITRE XV.
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César et Aimée à la comédie.
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Enfin on gagna le vingt-cinq mai. C'était un dimanche, et à l'occasion
|
|
de nous ne savons plus quel événement, il y avait fête à Fontainebleau.
|
|
Jean leur promit de les y conduire; on avança la besogne le samedi, et
|
|
le lendemain dès huit heures tous trois étaient prêts à partir. Il les
|
|
fit passer par les bois de Franchard afin qu'ils pussent contempler
|
|
ces gorges et ces rochers sauvages qui font l'admiration des touristes.
|
|
Aimée n'avait jamais rien soupçonné de pareil; il n'en était pas de même
|
|
de César qui se détourna pour voir la roche qui pleure et la grotte
|
|
de l'ermite. Près de la maison du garde, un nuage lui passa devant les
|
|
yeux, il chancela.
|
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|
«Qu'est-ce encore? demanda Jean qui l'observait.
|
|
|
|
--Tout à coup, répondit l'enfant, il s'est présenté à mon esprit comme
|
|
une vision d'homme et de femme mutilés!... mais ce n'est plus rien.»
|
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|
|
Tous trois cheminaient d'un bon pas; ils voulaient arriver assez
|
|
tôt pour entendre la messe. Jean, qui savait lire, portait son gros
|
|
paroissien sous le bras. Il l'ouvrit à l'église et suivit l'office avec
|
|
un recueillement admirable: se mettant à genoux, s'asseyant ou se tenant
|
|
debout selon qu'on était à l'Évangile, au Credo ou à l'Élévation.
|
|
Dans ce beau livre,--objet d'une grande admiration de la part de mes
|
|
amis,--dans ce beau livre, qui avait été imprimé à Limoges en dix-huit
|
|
cent huit, plusieurs passages étaient notés, Jean les psalmodiait
|
|
naïvement à haute voix, et sans s'inquiéter le moins du monde de la
|
|
cacophonie que cela formait avec le plain-chant romain qu'on psalmodiait
|
|
au lutrin.
|
|
|
|
Quant à mes amis, bien lavés, bien peignés, ils lui faisaient honneur
|
|
par leur gentillesse et leur bonne tenue, et se contentaient de répéter
|
|
à voix basse les prières qu'il leur avait apprises. Après la messe, on
|
|
mangea un morceau sur le pouce en se promenant dans le parc, où toute la
|
|
belle société s'était donné rendez-vous. A deux heures, on décida qu'on
|
|
irait à la comédie.
|
|
|
|
Il y avait sur la place du marché une demi-douzaine de baraques qui
|
|
faisaient rage avec leurs parades. La foule qui les regardait était
|
|
épaisse, mais Jean savait se faire de la place, et, grâce à lui, les
|
|
deux enfants se trouvèrent bientôt au premier rang. Après avoir écouté
|
|
pendant quelque temps la musique de forcenés et les sottises que les
|
|
saltimbanques débitaient au public, César et Aimée se décidèrent pour
|
|
une baraque où un individu costumé en diable, et un autre en pierrot,
|
|
jouaient du fifre et de la grosse caisse, pendant qu'une assez belle
|
|
fille en spencer de velours et en jupe de tulle, exécutait un pas de
|
|
fantaisie, qu'elle interrompait à chaque instant pour venir souffleter
|
|
le pierrot, lequel, sous prétexte de lui faire des compliments, lui
|
|
disait de malicieuses naïvetés. Nos amis, et la foule avec eux, riaient
|
|
de bon coeur de la façon comique dont le pierrot recevait le soufflet,
|
|
et des grimaces qu'il faisait en affectant d'avoir la mâchoire
|
|
disloquée. Pendant qu'ils s'amusaient aux _bagatelles_ de la porte,
|
|
Jean étudiait la toile au milieu de laquelle était représentée toute la
|
|
troupe faisant la pyramide; de chaque côté on voyait les saltimbanques
|
|
sautant par-dessus un magnifique cheval alezan brûlé, et de l'autre, la
|
|
belle fille aux soufflets dansant sur la corde. Tout à fait en haut sur
|
|
une large bande nouvellement ajoutée on lisait la réclame suivante:
|
|
|
|
«Exhibition d'un chien savant élevé et dressé par le roi d'Astrakhanie,
|
|
Mithridate soixante-quinze?» Cette inscription, qui tirait l'oeil de la
|
|
foule, donnait à penser à Jean; et sans rien dire à mes amis, le brave
|
|
homme les fit entrer les premiers dans la baraque. Ils n'avaient que
|
|
des places de seconde classe, mais cela ne faisait rien; on y était bien
|
|
tout de même, et d'ailleurs ils ne tenaient point à briller au premier
|
|
rang.
|
|
|
|
Mes amis étaient fort émus de tout ce qu'ils allaient voir, car, malgré
|
|
les descriptions merveilleuses que Sabin s'était plu jadis à leur faire,
|
|
ils ne pouvaient en avoir qu'une faible idée. Sabin, du reste, avait une
|
|
façon de raconter qui présentait mal les choses à des esprits simples et
|
|
neufs comme eux.
|
|
|
|
Enfin, le spectacle commença. Deux garçons qui n'avaient pas plus de
|
|
huit ans, firent la culbute sur une vieille couverture qui servait de
|
|
tapis; ils se prenaient par le bout du pied et se retournaient à tour de
|
|
rôle comme des sacs de son. Après ces enfants, on amena un pauvre vieux
|
|
cheval dont les reins affaissés, les jambes vacillantes, le garrot tendu
|
|
et la tête morne ne disaient que trop les fatigues. Tous les hommes de
|
|
la troupe,--ils étaient huit,--sautèrent assez lestement par-dessus en
|
|
s'aidant de la main. Puis la belle fille dansa sur la corde. Il y eut
|
|
ensuite un entr'acte pendant lequel la danseuse fit une quête.
|
|
|
|
Alors l'individu costumé en diable vint annoncer que la seconde
|
|
partie du spectacle se composait des exercices de M. Sabin, le célèbre
|
|
jongleur, qui n'avait pas encore douze ans révolus, et dépassait de cent
|
|
coudées en adresse et en habileté le célèbre Z..., du _Cirque de Paris_.
|
|
Mes amis, à l'idée de revoir leur compagnon d'aventures, se sentirent
|
|
quelque peu troublés. Le diable annonça en outre l'exhibition du chien
|
|
savant, et, pour clore le spectacle, le grrrand tableau de la pyramide!
|
|
|
|
Sabin s'avança et fit un beau salut aux spectateurs.
|
|
|
|
«Sabin, demanda Jean, n'est-ce pas ainsi que s'appelait votre voleur?
|
|
|
|
--Oui, répondit César, et c'est le même que vous voyez là.»
|
|
|
|
Sabin était véritablement habile; de plus, il possédait au suprême degré
|
|
l'art de se rendre sympathique à la foule, qu'il savait émouvoir et dont
|
|
il s'attirait l'admiration par l'aisance, la sûreté, la hardiesse et
|
|
l'ardeur qu'il mettait à ses exercices. Il était, du reste, le seul de
|
|
la bande qui fût réellement artiste. Aussi, dès qu'il se présentait,
|
|
était-il toujours bien accueilli!
|
|
|
|
Lorsqu'il eut achevé ses exercices accoutumés, on lui apporta un petit
|
|
chien dont le pelage était si singulier qu'il semblait teint.
|
|
|
|
Mais alors l'illustre Lucifer jugea convenable de faire un speech aux
|
|
spectateurs pour les préparer aux merveilles qu'ils étaient admis à
|
|
contempler.
|
|
|
|
«Mesdames et messieurs, dit-il gracieusement, le chien que nous avons
|
|
l'honneur de vous présenter ne se trouve plus qu'en Astrakhanie, un
|
|
royaume qui est situé, géographiquement parlant, entre la Chine et
|
|
l'Hindoustan. Mais ce sont là des choses que vous savez aussi bien que
|
|
moi.... si ce n'est mieux.» (Approbation du public à cette flatterie
|
|
délicate.)
|
|
|
|
César et Aimée étaient tout yeux et tout oreilles.
|
|
|
|
«Depuis des siècles, reprit Lucifer, cette race au pelage brun, tacheté
|
|
de feu, comme vous voyez, est disparue de notre vieille Europe.--Vous
|
|
pouvez, si cela vous plaît, consulter le travail qu'a fait sur ce
|
|
sujet l'illustre Cuvier, un savant français, un de nos compatriotes,
|
|
messieurs.--Cette race est donc disparue de notre vieille Europe; vous
|
|
verrez aussi dans les ouvrages de l'illustre naturaliste que je viens de
|
|
vous nommer, qu'elle est antédiluvienne. Il y est également prouvé que
|
|
les individus en sont plus intelligents que ceux de toutes les autres.
|
|
Et ce, par la raison toute simple qu'ils ont le cerveau plus développé
|
|
d'un tiers.... au moins. Regardez le crâne de celui-ci!... Du reste,
|
|
pour que vous ne conserviez aucun doute à ce sujet, monsieur Sabin (les
|
|
artistes aiment à se donner mutuellement le titre de monsieur),
|
|
monsieur Sabin aura l'honneur de faire circuler Nador dans la salle....
|
|
Maintenant, mesdames et messieurs, je dois, pour rendre hommage à la
|
|
vérité et justice à qui de droit, déclarer que ce chien a été dressé
|
|
par mon auguste maître.... et ami, le roi d'Astrakhanie, Mithridate
|
|
soixante-quinze, en personne; un grand roi, messieurs, qui aime ces
|
|
charmantes bêtes avec la même passion qu'avait jadis pour elles le roi
|
|
de France, Henri III, surnommé le dernier des Valois, à cause de son
|
|
courage et de sa valeur, comme vous savez tous.... Si je vous donne tous
|
|
ces détails, mesdames et messieurs, c'est parce que je ne voudrais pas
|
|
que vous crussiez...»
|
|
|
|
Cet imparfait du subjonctif fit bondir un titi (il y a des titis
|
|
partout) qui s'écria:
|
|
|
|
«As-tu bientôt fini de nous ennuyer avec ton chien! Avec ça qu'on ne
|
|
voit pas que c'est un caniche et que tu l'as teint toi-même!
|
|
|
|
--Puisque t'as un cuvier, cria un autre, tu feras bien de le mettre
|
|
dedans avec une forte lessive pour lui rendre sa couleur naturelle.»
|
|
|
|
A ces propos le public (le public est inconstant dans ses admirations,
|
|
hélas!), le public se mit à rire bruyamment.
|
|
|
|
Lucifer était mécontent.
|
|
|
|
«Voyons, fit le premier titi, assez de _blague_ comme ça... Ça devient
|
|
_embêtant_. Montre-nous ce qu'il sait faire, ton caniche, et passons à
|
|
autre chose!»
|
|
|
|
On rit de nouveau. Seuls mes amis étaient sérieux. Lorsqu'on se fut
|
|
calmé, Sabin présenta au chien un cerceau en papier en lui disant pour
|
|
l'encourager.
|
|
|
|
«Holà! Nador, holà!»
|
|
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Mais Nador humait l'air de tous côtés et ne regardait point le cerceau.
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César et Aimée étaient tout debout sur leur banc.
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«Balthasar! s'écrièrent-ils en même temps, ici, Balthasar!»
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Le chien s'élança, mais Sabin eut le temps de le retenir.
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«Balthasar! c'est Balthasar! criaient les deux enfants; ici, ici,
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Balthasar!»
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Le chien mordit Sabin pour se débarrasser de lui, et d'un bond franchit
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l'espace qui le séparait de mes amis.
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Cela fit émeute dans la baraque. Tous les spectateurs s'étaient levés;
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on criait, on gesticulait, on interpellait Lucifer et Sabin. Tout le
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monde demandait des explications. Alors Jean réclama le silence d'une
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voix forte, et, avec l'assurance que donne le bon droit, il dit en
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montrant Lucifer et Sabin:
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«Ces gens sont des misérables; ils ont volé ce chien à mes enfants
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adoptifs; César et Aimée, que voilà.
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--Vous en avez menti! s'écria Sabin furieux. Ce chien est à moi. Ici,
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Nador!»
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Mais Nador fit la sourde oreille.
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«Vous voyez!» dit Jean au public.
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Mais comme toujours, mes petits lecteurs, il se trouva des soutiens pour
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la mauvaise cause, et les deux saltimbanques furent en un clin d'oeil
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entourés de gens qui criaient:
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«Prouvez, prouvez donc que ce chien est à vous?
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--Oui, oui, donnez des preuves, répétaient Lucifer et Sabin, auprès de
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qui toute la troupe était accourue.
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--Pour preuve, dit Jean, je donne ma parole!
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--Ce n'est pas une preuve, ça!...
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--Comment ce n'est pas une preuve!
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--Allons, allons, mon brave homme, rendez Nador à Lucifer, qui en est le
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véritable propriétaire.»
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La belle fille et sa mère,--une horrible vieille, ridée et
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maquillée,--toutes deux le poing sur la hanche, apostrophaient Jean en
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termes aussi violents que grossiers.
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«Si vous ne rendez pas Nador, nous allons vous conduire au poste,
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disaient les amis de Lucifer.
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--Faites!» répondait Jean toujours calme.
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César et Aimée tremblaient comme les feuilles des arbres pendant
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l'orage.
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«Faites! dites-vous? Eh bien! nous allons voir!»
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Et ces individus qui n'avaient aucune raison de préférer Lucifer à Jean,
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mais qui cherchaient tout simplement à donner carrière à leur
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humeur batailleuse, s'apprêtaient à tomber sur le brave homme à bras
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raccourcis, lorsqu'un gendarme, qu'on avait été chercher, entra dans la
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baraque. Aussitôt trois enfants, deux jeunes garçons et une fillette,
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coururent à sa rencontre.
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«Monsieur le brigadier, dit le plus âgé, il faut que vous fassiez rendre
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justice à ces enfants. Ce chien leur appartient. Ils l'avaient avec eux
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lorsqu'ils étaient aux Granges, chez mon père.
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--Soyez tranquille, monsieur Richard, répondit le brigadier.
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--Mais vous-même, monsieur le brigadier, vous l'avez vu le jour où vous
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les avez rencontrés à la ferme.
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--Je ne m'en souviens pas, monsieur Richard.
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--Quoi! vous ne vous en souvenez pas? Mais regardez-les donc.
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--Eux, je les reconnais, mais le chien....
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|
[Illustration: César et Aimée tremblaient.]
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--Monsieur le brigadier, je vous donne ma parole, moi, qu'il est à eux!
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--Bien, monsieur Richard.
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--Demandez à Florentin et à Florentine, si vous doutez encore.
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--Non, monsieur Richard, je ne doute pas....
|
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|
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--Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est, s'écriait-on autour de
|
|
Lucifer. Un gendarme qui reçoit des ordres d'un enfant? Qu'est-ce que
|
|
M. Richard vient faire ici? Nous ne connaissons pas M. Richard, nous
|
|
autres....
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--Monsieur le brigadier, dit Lucifer avec le calme d'un honnête homme,
|
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faites votre devoir; rendez-nous Nador et chassez ces imposteurs!»
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A vous dire vrai, mes petits lecteurs, le brigadier était fort
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|
embarrassé. Il ne doutait point que les saltimbanques ne fussent des
|
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coquins, mais toutes les apparences d'honnêteté étaient pour eux.
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«A bas le brigadier qui ne fait pas son devoir! cria-t-on dans la foule.
|
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--A bas le brigadier!» répétèrent des voix nombreuses.
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On ne s'imagine pas combien de gens sont heureux de crier à bas
|
|
quelqu'un ou à bas quelque chose!
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|
En attendant, Lucifer, qui était habile et ne voulait pas avoir l'air
|
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d'encourager les mutins, fit taire ses partisans.
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«Monsieur le brigadier, dit-il poliment, croyez que personne plus
|
|
que moi ne respecte la justice et l'autorité dont vous êtes le digne
|
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représentant. Obtenez seulement que ce brave homme et ces enfants, que
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|
je veux bien croire victimes d'une erreur, lâchent Nador, qu'ils serrent
|
|
dans leurs bras comme s'ils voulaient l'étouffer, faites qu'ils
|
|
lui rendent sa liberté. Il va de suite revenir avec M. Sabin, et le
|
|
spectacle pourra continuer.»
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|
Mes amis tenaient en effet Balthasar serré avec force contre leur
|
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poitrine, et se défendaient courageusement contre les agressions des
|
|
jeunes saltimbanques qui voulaient le reprendre.
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«Allons, allons, brigadier, faites votre devoir!» disait-on autour de
|
|
Lucifer.
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Richard indigné vint s'asseoir avec Florentin et Florentine auprès de
|
|
César et d'Aimée pour les soutenir et les encourager.
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|
Le brigadier, tout en imposant silence à la foule, réfléchissait à la
|
|
conduite qu'il devait tenir. Quelque chose lui disait que Lucifer
|
|
était le voleur; il avait comme un vague souvenir d'avoir rencontré ces
|
|
saltimbanques, et il cherchait quel compte ils avaient à régler avec
|
|
la justice. Mais où les avait-il vus!... A Villeneuve? Peut-être bien.
|
|
Seulement, comme il n'en était pas certain, il ne pouvait rien faire. On
|
|
n'arrête pas les gens sur de simples soupçons.
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|
|
|
Sabin, lui, ne perdait point le temps en réflexions; il connaissait
|
|
parfaitement la vérité que cherchait le bon gendarme; mais son intérêt
|
|
n'était point de la divulguer. Il s'était approché traîtreusement des
|
|
enfants, et là, un morceau de sucre entre les dents, un autre dans
|
|
chaque main, il attendit que l'occasion se montrât propice. Elle ne
|
|
tarda point. Les plus jeunes enfants de Lucifer faisaient tout leur
|
|
possible pour battre mes amis; ceux-ci, obligés de repousser leurs
|
|
attaques, ouvrirent imprudemment les bras. Au même instant Sabin enleva
|
|
Balthasar qui, s'enlaçant après lui, se mit à lui lécher la figure et
|
|
les mains. Le pauvre animal, qui jeûnait souvent depuis qu'il était
|
|
devenu le pensionnaire de Lucifer, dévorait le sucre que Sabin avait
|
|
entre les dents. Alors le bon public, celui qui jusque-là avait soutenu
|
|
César et Aimée, tourna du côté de Lucifer, pour qui la partie était
|
|
gagnée, et aussitôt un haro s'éleva contre mes malheureux amis et contre
|
|
Jean, leur père adoptif.
|
|
|
|
«A la porte, les escrocs! criait-on de tous côtés, au poste les
|
|
voleurs!... etc., etc....
|
|
|
|
--Je n'en demande pas tant, dit le généreux et prudent Lucifer, qu'ils
|
|
s'en aillent et qu'on n'en entende plus parler.»
|
|
|
|
On les expulsa sur-le-champ de la baraque, et Jean lui-même, le brave
|
|
Jean dont la probité n'avait auparavant jamais reçu d'atteinte, dut
|
|
chercher dans la retraite un refuge contre les mauvais propos qui lui
|
|
arrivaient de toute part.
|
|
|
|
«J'espère, dit-il en sortant, que la justice prendra bientôt sa revanche
|
|
et que votre triomphe ne sera pas de longue durée.»
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|
|
La représentation continua. La faim faisait faire à Balthasar des choses
|
|
qui devaient singulièrement répugner à sa conscience de chien honnête.
|
|
|
|
«C'est égal, dit un titi en sortant du spectacle, je ne suis pas encore
|
|
convaincu, moi, car ce chien n'était qu'un caniche déguisé. Et il me
|
|
semble qu'il n'est pas besoin du discernement de Salomon pour savoir où
|
|
est le bon droit dans tout ça.»
|
|
|
|
Richard, ainsi que Florentin et Florentine, incapables d'abandonner des
|
|
amis dans la défaite, avaient suivi César et Aimée, et leur proposaient,
|
|
pour les consoler, de les conduire chez Mme de Senneçay, où devait se
|
|
trouver M. Lebègue.
|
|
|
|
«Venez, disait Richard, mon père vous fera rendre Balthasar.
|
|
|
|
--Non, monsieur Richard, non, répondit Jean; vous êtes bien honnête,
|
|
mais nous ne pouvons accepter votre offre. Madame votre tante ne nous
|
|
connaît pas; aller comme cela chez elle serait lui causer de l'embarras
|
|
et peut-être du désagrément. Nous préférons retourner à la maison.
|
|
Parlez de nous à monsieur votre papa, et, s'il le désire, nous irons
|
|
le voir. Tout le monde sait que c'est un digne homme. Vous lui direz,
|
|
monsieur Richard, que nous sommes à ses ordres.»
|
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|
CHAPITRE XVI.
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|
L'histoire que raconte le vieux Cyprien. La fin de tout cela.
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|
Et Jean emmena César et Aimée, qui fondaient en larmes. Ils
|
|
rencontrèrent sur la place quelques _anciens_ d'Arbonne qui se
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préparaient à reprendre le chemin de leur village. Quand on est vieux,
|
|
on en a bientôt assez du tumulte des fêtes; le bruit, les tambours, les
|
|
spectacles, les danses, la musique, tout cela vous étourdit et ne vous
|
|
dit plus rien à l'imagination. On lui préfère cent fois le silence
|
|
des bois, qui permet à l'esprit de se recueillir; l'ombrage des
|
|
vieux arbres, où l'on est si bien pour deviser du temps passé, et la
|
|
contemplation de la campagne, qui réjouit le coeur en lui parlant sans
|
|
cesse d'avenir.
|
|
|
|
Ils arrêtèrent Jean, qui se préparait à passer outre.
|
|
|
|
«Ne voulez-vous donc point que nous fassions route ensemble, père Jean?
|
|
demandèrent-ils.
|
|
|
|
--Pour moi, répondit Jean, je ne demande pas mieux, et si cela vous
|
|
convient?...
|
|
|
|
--Venez, mon brave. Un honnête homme de plus ne gâtera pas notre
|
|
société.... Mais vous emmenez trop tôt ces pauvres enfants; ils auraient
|
|
voulu rester pour voir le feu d'artifice.... C'est sans doute ce qui les
|
|
fait pleurer.
|
|
|
|
--Non, répondit Jean; ils sont plus raisonnables que cela, Dieu
|
|
merci!... S'ils pleurent, c'est qu'ils en ont réellement sujet.»
|
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|
Et il raconta, en peu de mots, leur affaire et l'histoire de Balthasar.
|
|
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|
«Balthasar, dit un vieillard comme en cherchant dans ses souvenirs, où
|
|
donc ai-je connu un chien qui s'appelait Balthasar?»
|
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|
Le désespoir de mes amis se calmait dans la société de ces braves gens,
|
|
qui les regardaient avec une attention singulière.
|
|
|
|
«Est-ce qu'ils sont à vous, ces enfants-là, père Jean, demanda l'un
|
|
d'entre eux en relevant la tête de César pour le regarder en face.
|
|
|
|
--Non.»
|
|
|
|
Et Jean dit comment ils lui étaient arrivés.
|
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|
|
«C'est singulier tout cela.»
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|
|
On continua de marcher.
|
|
|
|
«C'est étrange, reprit le même vieillard, plus je regarde ces enfants et
|
|
plus il me semble les avoir déjà vus.
|
|
|
|
--Et moi de même, dit un autre.... Mais ce n'est pas étonnant; le
|
|
garçon a dans le tour du visage un faux air de ressemblance avec ton
|
|
petit-fils.
|
|
|
|
--C'est donc cela!... Ne trouves-tu pas aussi que la fille a quelque
|
|
chose dans les traits qui rappelle ta petite-fille?... La nature est
|
|
bizarre dans ses rapprochements. S'ils étaient d'Arbonne, ce ne serait
|
|
pas étonnant; tous les habitants y sont plus ou moins parents les uns
|
|
des autres.... Mais des enfants qui sont nés on ne sait où, à l'autre
|
|
bout de la France, peut-être.»
|
|
|
|
On repassa près de Franchard. César, ému de nouveau, contint son
|
|
émotion. Pas assez cependant pour n'être pas remarqué du vieux paysan
|
|
qui l'observait.
|
|
|
|
«Pourquoi donc, mon garçon, que tu deviens si pâle? demanda-t-il;
|
|
serais-tu malade?
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|
|
|
--Non, répondit César, je vous remercie....»
|
|
|
|
Et il partit en avant avec sa soeur pour échapper aux questions
|
|
qu'on pourrait lui faire encore, et auxquelles il était embarrassé de
|
|
répondre.
|
|
|
|
«Ah! père Jean, reprit le vieillard, je ne passe jamais ici sans être
|
|
ému par le souvenir d'un malheur dont notre famille y a été frappée....
|
|
il y a juste six ans, jour pour jour.... On était au lundi, mais c'était
|
|
le 25 de mai, comme aujourd'hui.... Étiez-vous déjà dans le pays, il y a
|
|
six ans, père Jean?
|
|
|
|
--Non, à la Saint-Pierre, il n'y aura encore que cinq ans.
|
|
|
|
--N'importe! vous avez dû en entendre parler....
|
|
|
|
«La femme était ma nièce.... C'était une toute jeune personne, puisqu'il
|
|
fallait encore aller jusqu'à la Saint-Denis pour qu'elle eût ses
|
|
vingt-quatre ans accomplis.... Son mari était plus âgé de quelques
|
|
années.... Nous les avions mariés cinq ans auparavant dans la semaine de
|
|
Pâques.... Il y a onze ans de cela; mais qu'est-ce que onze ans pour un
|
|
vieillard? Je m'en souviens comme d'aujourd'hui!...
|
|
|
|
«Son père, mon propre frère, qui était le plus jeune de sept garçons,
|
|
est mort le premier. Il a donné le signal; les autres l'ont rapidement
|
|
suivi; il ne reste plus aujourd'hui que François, mon compagnon de
|
|
route, et moi le plus âgé de tous.... Ma nièce perdit sa mère peu de
|
|
temps après. La pauvre petite devint orpheline dès son bas âge, au
|
|
moment où les soins de ses parents lui étaient le plus indispensables.
|
|
Elle nous restait donc sur les bras à sept ans avec un tout petit bien;
|
|
une maison et un jardin que vous avez pu voir à l'entrée du village du
|
|
côté de la forêt. A quatorze ans, elle savait lire, écrire et compter
|
|
mieux que pas un autre enfant de l'école. Nous lui fîmes alors apprendre
|
|
l'état de couturière, afin qu'elle pût gagner sa vie et se tirer
|
|
d'affaire sans le secours d'autrui... A dix-huit ans elle parla de se
|
|
marier; elle avait fait la connaissance d'un carrier qui lui plaisait.
|
|
Un carrier, ça ne nous convenait pas trop à nous autres.... Nous sommes
|
|
tous cultivateurs dans la famille, et nous aurions voulu lui voir
|
|
épouser un homme qui fût aussi cultivateur.... Et puis, les carriers
|
|
sont moins bien vus; ça gagne de l'argent, mais ça s'amuse.... Et
|
|
d'ailleurs ils ne tiennent pas au sol comme nous autres, dont quelques
|
|
familles ont des racines qui remontent à plus de deux cents ans dans
|
|
le pays. Ils sont changeants, et, pour un rien, une contrariété, un
|
|
caprice, transportent leur nid dans les quatre coins de la France. Je
|
|
craignais de voir un jour ma nièce partir comme cela.... Mais ça lui
|
|
plaisait, il fallut bien la laisser faire!... C'était, du reste, un bon
|
|
garçon; il se conduisait bien et la rendait heureuse.... Ils avaient
|
|
deux enfants, deux chérubins, deux petites têtes blondes; un garçon
|
|
et une fille. Enfin on pouvait croire que c'était un ménage béni d'en
|
|
haut.... Dans nos familles on est solidaire les uns des autres! on
|
|
partage les mêmes joies et on s'afflige des mêmes peines: nous étions
|
|
heureux de son bonheur, et nous avions lieu d'espérer qu'il serait
|
|
durable, lorsqu'un jour, il faisait beau comme aujourd'hui, mais c'était
|
|
dans la matinée, on vint me chercher pour me conduire dans la forêt où
|
|
ma nièce m'attendait, disait-on. Je voyais bien qu'il y avait quelque
|
|
chose; on me donnait à entendre qu'un malheur était arrivé.... Mais
|
|
lequel? Moi, je ne devinais pas. Qui aurait pu supposer cela?...
|
|
Pourtant, j'avais prié François de m'accompagner. Notre guide nous
|
|
conduisit à l'abbaye de Franchard. A la porte je vis les deux petits
|
|
enfants; ils étaient assis à l'ombre avec les enfants du garde. L'aîné,
|
|
qui avait déjà quatre ans, se tenait immobile et comme stupéfié. Il ne
|
|
pleurait pas, mais il était frappé. Mon frère et moi, nous fûmes saisis
|
|
de le voir en cet état.--«Père Cyprien, me dit mon guide, il faut
|
|
demander à Dieu de vous donner du courage.»
|
|
|
|
«Nous entrâmes. Oh! père Jean, que le bon Dieu vous préserve de voir
|
|
jamais ce que nous vîmes alors!... Ma nièce, ma pauvre nièce! une enfant
|
|
que j'avais élevée! Une jeune et belle femme tout à l'heure pleine
|
|
de vie et de santé.... Elle gisait là sur un lit de sangle, mutilée,
|
|
sanglante, les membres hachés!--Et elle vivait; le coeur n'avait pas
|
|
été atteint!... La pauvre enfant, elle poussait des cris!... Oh! ces
|
|
cris-là, ils ne me sortiront jamais de la mémoire, il me semble que je
|
|
les entendrai encore dans l'éternité. Son mari se mourait sur un autre
|
|
lit à côté d'elle.... Et elle voyait cela!... On ne peut rien imaginer
|
|
de plus affreux!... Les malheureux, on avait, sans les prévenir, mis
|
|
le feu à une roche sur laquelle ils s'étaient assis pour prendre leur
|
|
repas.... J'avais alors soixante-dix ans; dites, père Jean, n'était-ce
|
|
pas pitoyable d'être arrivé jusqu'à cet âge pour voir de telles choses!»
|
|
|
|
Comme je vous l'ai dit, mes petits lecteurs, César et Aimée marchaient
|
|
en avant; ils n'avaient donc pu entendre cette douloureuse histoire.
|
|
Mais Jean l'avait écoutée attentivement; et à l'aide de certains
|
|
rapprochements, il cherchait à convertir en certitude les soupçons qui
|
|
n'avaient cessé de le poursuivre depuis la première visite de mes amis à
|
|
Arbonne.
|
|
|
|
«Et les enfants? demanda-t-il au vieux Cyprien.
|
|
|
|
--Les enfants? Ah! voici: Le frère du mari de ma nièce, un monsieur qui
|
|
était établi marchand à Paris les emmena chez lui. C'était leur oncle et
|
|
leur plus proche parent; il en avait le droit. Il fallut, pour aider à
|
|
les élever, vendre la petite maison qui ne rapportait presque rien et en
|
|
placer l'argent sur l'État. Ce nous fut un gros crève-coeur, car c'était
|
|
la maison où nous étions tous nés et où nos parents étaient morts. Si
|
|
j'avais eu de l'argent alors, je l'aurais achetée; mais j'avais déjà
|
|
donné mon bien à mes enfants; eux, de leur côté, obligés de me faire une
|
|
rente et d'élever leur famille, avaient trop de charges pour mettre là
|
|
deux ou trois billets de mille francs. François se trouvait alors dans
|
|
une position absolument semblable à la mienne.
|
|
|
|
--Mais, reprit Jean, absorbé par ses propres pensées, vous les avez
|
|
revus depuis!
|
|
|
|
--Les enfants? Non; ce monsieur de Paris n'était pas disposé à frayer
|
|
avec de petites gens comme nous....
|
|
|
|
--Mais vous lui avez écrit pour demander de leurs nouvelles?
|
|
|
|
--Oui certes; mais jamais il ne nous a répondu. Mon gendre a même
|
|
fait le voyage de Paris exprès pour les voir; mais M. Joseph Ledoux ne
|
|
demeurait plus à l'adresse qu'il nous avait donnée.
|
|
|
|
--Et vous n'en avez plus entendu parler?
|
|
|
|
--Si.... on a fait courir des bruits sur son compte; on a dit qu'il
|
|
était ruiné, et que les enfants....
|
|
|
|
--Que les enfants?...
|
|
|
|
--Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit, père Jean. Si M. Ledoux avait
|
|
été ruiné, ne nous aurait-il pas rendu nos petits-neveux?
|
|
|
|
[Illustration: Elle poussait des cris!...]
|
|
|
|
--Hum! fit Jean; on ne sait pas!...»
|
|
|
|
Le père Cyprien était visiblement inquiet. On touchait aux premières
|
|
maisons d'Arbonne.
|
|
|
|
«C'est là-bas, dit-il, que demeurait ma pauvre nièce. Mais voyez donc,
|
|
père Jean, que de monde rassemblé devant la porte! Serait-il encore
|
|
arrivé un malheur?...»
|
|
|
|
Jean hâta le pas. Comme il arrivait, il vit César et Aimée qui tenaient
|
|
Balthasar. Le brave caniche s'était enfin échappé des mains de M. Sabin
|
|
et de Lucifer. Les habitants d'Arbonne voulaient savoir d'où venait ce
|
|
singulier chien.
|
|
|
|
«C'est le caniche de ces pauvres enfants, disait la maîtresse de la
|
|
maison. Ce pauvre animal! Je ne sais qui l'a mis en cet état, mais il en
|
|
est tout honteux.
|
|
|
|
--Oui, c'est Balthasar, dit Jean. Enfin il nous est revenu!... le
|
|
voilà!... Pauvre vieil ami!... Il ne nous quittera plus maintenant.
|
|
|
|
--Balthasar? fit Cyprien. C'est ma nièce qui avait un chien de ce
|
|
nom....»
|
|
|
|
César avait pris la main de Jean et était entré dans la maison.
|
|
Surexcité outre mesure, il allait d'une pièce dans l'autre, montrant les
|
|
meubles, ouvrant les portes....
|
|
|
|
«Rien n'est changé!» dit-il enfin.
|
|
|
|
Puis il s'évanouit.
|
|
|
|
«Rien n'est changé? répéta Cyprien, qui avait suivi l'enfant. Que
|
|
veut-il dire, votre garçon, père Jean?»
|
|
|
|
En ce moment une calèche et deux cavaliers s'arrêtaient devant la
|
|
maison. C'étaient M. Richard et M. Lebègue, puis Mme de Senneçay,
|
|
accompagnée de Florentin et de Florentine.
|
|
|
|
Aussitôt, avec la rapidité de la foudre, le bruit se répandit dans le
|
|
village que les enfants de Hubert Ledoux étaient revenus à Arbonne.
|
|
En moins d'un instant toutes les maisons furent désertes, et les
|
|
vieillards, les grandes personnes, les enfants, toute la population
|
|
enfin se trouva réunie devant la maison qui avait appartenu à la nièce
|
|
du vieux Cyprien. Le village tout entier voulait adopter les orphelins.
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C'était à qui les verrait le plus tôt et les embrasserait le premier. On
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se racontait leurs épreuves, et on frémissait au récit de leur misère.
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«Ils mendiaient sur la voie publique, s'écriait Cyprien, et nous ne
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le savions pas!... Est-il possible, mon Dieu! que vous ayez permis
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cela!...»
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[Illustration: Lucifer et sa noble famille.]
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Comme vous vous y attendez bien, mes petits lecteurs, M. Lebègue et Mme
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de Senneçay, qu'ils reconnurent pour la dame à la pièce d'or, étaient
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venus pour réclamer nos amis. On les consulta, ils voulaient bien
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rester avec le vieux Cyprien et tous les habitants du village, mais ne
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demandaient pas mieux que de suivre M. Richard, ainsi que Florentin et
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Florentine. Seulement ils ne voulaient à aucun prix se séparer de Jean.
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Le brave homme, qui riait et pleurait d'attendrissement derrière la
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foule, se chargea de leur faire entendre raison. Il s'engagea à leur
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écrire souvent, mais à condition qu'eux mêmes, lorsqu'ils seraient à
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Fontainebleau chez leur protectrice, Mme de Senneçay, ils viendraient
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voir leurs vieux oncles à Arbonne, et continueraient leur promenade
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jusque dans la forêt du côté où lui, Jean, aurait établi ses fourneaux.
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Le soir même, Lucifer et sa noble famille étaient reconnus pour les
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incendiaires de Villeneuve-le-Roi, et le brigadier Poulain, que vous
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avez rencontré aux Granges lorsqu'il n'était encore que simple gendarme,
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avait enfin la satisfaction de les arrêter. Balthasar ne devait plus
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rien avoir à craindre de Sabin désormais.
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Peut-être bien, mes petits lecteurs, que vous vous demandez si César
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et Aimée avaient réellement la vocation de domestiques.... _dans des
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maisons où il n'y a rien à faire_? Non, rassurez-vous. M. Lebègue et
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Mme de Senneçay les ont fait élever à la ferme des Granges, où la
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bonne Victoire, heureuse de les voir enfin fixés près d'elle, leur a
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constamment donné les soins d'une mère. L'excellente fille, pour ne
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point se séparer d'eux, a renoncé à se marier. Jusqu'à ce qu'ils eussent
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atteint leur quinzième année, mes amis, qui, je l'espère, sont un peu
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devenus les vôtres, ont été à l'école avec Florentin et Florentine.
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Ensuite M. Lebègue et M. Robert mirent tous leurs soins à faire de César
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un agriculteur distingué, et Mme de Senneçay voulut achever elle-même
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l'éducation d'Aimée. Elle lui a donné la raison, le bon sens élevé,
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la dignité modeste qu'on voudrait rencontrer chez toutes les femmes en
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général, mais plus encore, peut-être, chez celles qui sont destinées à
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mener une existence laborieuse, soit aux champs, soit dans les villes.
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Dernièrement un double mariage avait lieu à Orly. C'était César qui
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épousait Florentine, et Aimée qui épousait Florentin. Les témoins des
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époux étaient M. Lebègue et M. Robert, d'un côté, et de l'autre le
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père Antoine et son ami Jean. On me disait hier que César et sa femme
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allaient partir avec M. Richard pour assainir et mettre en culture une
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immense propriété que M. Lebègue vient d'acheter en Sologne. Il s'agit
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d'un millier d'hectares au moins; mais la tâche n'effraye ni César ni M.
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Richard, qui tous deux sont actifs, intelligents et courageux.
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Quant à Aimée et à Florentin, ils demeurent à Orly auprès de leurs
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parents.
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Parmi mes petits lecteurs, il s'en trouvera peut-être quelques-uns qui
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se diront que nos héros n'ont point fait une assez grande fortune. Je
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ne m'y suis pas opposée, quant à moi; seulement il n'entre point dans le
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caractère de César et d'Aimée de chercher le bonheur dans la possession
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des richesses ou des grandeurs. Ils ont toutes les qualités voulues pour
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faire l'un et l'autre, un bon père et une bonne mère de famille ... Mais
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ils ne sont encore qu'au début de la vie, et nous ne savons point ce que
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la Providence leur réserve.
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FIN.
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TABLE.
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Chapitres.
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I. César, Aimée et son compagnon Balthasar.
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II. Où il est prouvé que la fortune nous arrive parfois à
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l'improviste, sans être attendue, et qu'elle s'en va non moins
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vite.
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III. Ce que pense le père Antoine sur la manière dont on doit gagner
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sa vie.
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IV. César et Aimée devant l'église Saint Séverin.
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V. Fuite de mes amis.
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VI. Florentin et Florentine.
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VII. A la ferme des Granges.
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VIII. M. Richard Lebègue. Mes amis travaillent.
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IX. En flânant. Une nouvelle connaissance.
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X. Monsieur Sabin et sa noble famille.--Un festin de Sardanapale.
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XI. Sabin à Essonne. Mes amis à Chantemerle.
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XII. Au château de Rochemoussue.
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XIII. Mes amis font une rencontre aussi heureuse que inattendue.
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XIV. Mes amis chez le père Jean.
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XV. César et Aimée à la comédie.
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XVI. L'histoire que raconte le vieux Cyprien. La fin de tout cela.
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FIN DE LA TABLE.
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